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Version finale

30e législature, 2e session
(14 mars 1974 au 28 décembre 1974)

Le mercredi 3 juillet 1974 - Vol. 15 N° 119

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Etude du projet de loi no 22 — Loi sur la langue officielle


Journal des débats

 

Commission permanente de l'éducation,

des affaires culturelles et des communications

Etude du projet de loi no 22 Loi sur la langue officielle

Séance du mercredi 3 juillet 1974

(Dix heures sept minutes)

M. PILOTE (président de la commission permanente de l'éducation, des affaires culturelles et des communications): A l'ordre, messieurs!

Voici quels sont les membres de la commission parlementaire. M. Bérard (Saint-Maurice); M. Charron (Saint-Jacques); M. Déom (Laporte); M. Cloutier (L'Acadie); M. Hardy (Terrebonne); M. Lapointe (Laurentides-Labelle) M. Lachance (Mille-Iles) remplace M. L'Allier (Deux-Montagnes). M. Morin (Sauvé) remplace M. Léger (Lafontaine). M. Parent (Prévost). M. Beauregard (Gouin) remplace M. Phaneuf (Vaudreuil-Soulanges). M. Saint-Germain (Jacques-Cartier); M. Samson (Rouyn-Noranda); M. Veilleux (Saint-Jean).

Aujourd'hui, nous entendrons dans l'ordre...

M. MORIN: M. le Président, avant que nous ne procédions à entendre les comparants, je voudrais soulever un problème qui a été porté à mon attention tout récemment. Le Syndicat des travailleurs de l'enseignement du Nord-Ouest québécois a fait parvenir un mémoire destiné à cette commission, et le syndicat se plaint que ce mémoire ait été refusé parce qu'il ne serait parvenu à la commission que le 12 juin.

M. CLOUTIER: Voulez-vous répéter, s'il vous plaît?

M. MORIN: Oui, M. le ministre. Je répéterai volontiers. Le syndicat se plaint que son mémoire ait été refusé parce que reçu le 12 juin. Or, la date limite, vous vous en souviendrez, avait été fixée au 10 juin et le mémoire avait été mis à la poste à cette date, sous pli recommandé.

Vous n'ignorez pas que, selon la loi qui régit les postes, un objet qui est mis à la poste est réputé reçu légalement par le destinataire. Il existe une abondante jurisprudence sur la question, comme le député de Gouin le sait, et j'aimerais soulever le problème dont m'ont fait part les membres de ce syndicat.

Je pense que le secrétariat des commissions en a reçu un exemplaire et, en ce qui concerne l'Opposition, nous ne voyons pas pour quelle raison on refuserait à ce syndicat le droit de se faire entendre.

M. CLOUTIER: Je vais vérifier auprès du secrétariat des commissions et je vous donnerai l'information pertinente, soit en fin de séance ou au début de la séance cet après-midi.

Je pense que le gouvernement a manifesté, depuis le début, qu'il se souhaitait le plus disponible possible, qu'il cherchait à faire entendre le plus de groupes possible, La façon dont les convocations ont été faites le démontre amplement. Il n'est certainement pas question de priver qui que ce soit du droit de se faire entendre s'il le souhaite. Personnellement, quelle que soit la jurisprudence, je n'aurai certainement pas d'objection si les faits sont à peu près ceux que me rapporte le chef de l'Opposition. Il va de soi que je ne mets pas sa parole en doute. Je n'aurai certainement pas d'objection à ce qu'on puisse les faire entendre, si les convocations faites jusqu'ici nous permettent pour ainsi dire, de les absorber. Ce n'est donc pas nécessaire d'en faire un problème légal. Je crois que la collaboration qui a existé ici et que je me plais à souligner, nous permettrait certainement de régler ce genre de petites difficultés.

M. MORIN: Oui. Il va sans dire, M. le Président, que j'ai relaté les faits tels qu'on me les a soumis et que si par hasard j'ai fait erreur, j'admettrai volontiers que les règles sont applicables à tout le monde.

M. CLOUTIER: Ce que je sais, c'est que le secrétariat des commissions a interprété le règlement de la façon la plus favorable possible pour ceux qui envoient des mémoires. Maintenant, nous avons reçu à peu près 180 demandes au début et nous avons reçu à peu près 150 mémoires. Là-dessus, il y en a une bonne dizaine qui se sont désistés en manifestant leur désir de ne pas se présenter devant la commission. Nous en avons entendu au-delà de 60, sinon davantage. Ceci vous donne quand même une idée de la façon dont toute l'opération a été menée. Je crois bien que les observateurs impartiaux admettront qu'elle l'a été avec la plus grande ouverture d'esprit possible. Nous n'avons même pas cherché, je me plais à le souligner, à grouper les intervenants d'une façon qui pourrait être favorable à une thèse ou à l'autre. Le seul but que j'ai poursuivi depuis le début, c'est de permettre aux gens de s'exprimer et de permettre aux gens d'apporter tous les éclaircissements nécessaires, sachant, d'ailleurs, que de la confusion du début, la vérité finirait par sortir.

M. MORIN: Je crois que nous avons entendu 58 mémoires jusqu'ici, M. le Président.

M. CLOUTIER: 58?

M. MORIN: Je crois que c'est cela.

M. CLOUTIER: Ce n'est pas si mal.

LE PRESIDENT (M. Pilote): On peut commencer? Nous entendrons dans l'ordre aujour-

d'hui le Comité d'école Notre-Dame-de-Lourdes; les Comités d'école regroupés: Présentation de Marie, Saint-Gilles, Don Bosco, Saint-Christophe, Notre-Dame-de-Lourdes; Produits White Star Ltée; Regroupement régional de la capitale québécoise; Comité des citoyens de Saint-Laurent et le Conseil du travail de Joliette. J'inviterais M. Aimé Paradis...

MME PARADIS: Madame!

LE PRESIDENT (M. Pilote): Pardon, c'est écrit monsieur ici.

M. CLOUTIER: Nous nous rendons à l'évidence, madame.

LE PRESIDENT (M. Pilote): ... Mme Aimé Paradis, du Comité d'école Notre-Dame-de-Lourdes, à venir présenter son mémoire et à présenter les gens qui l'accompagnent.

MME PARADIS: Je vous présente M. Octave Dupont.

LE PRESIDENT (M. Pilote): Je vous rappelle que vous avez 20 minutes pour présenter votre mémoire, le parti ministériel a 20 minutes pour vous poser des questions et les partis de l'Opposition ont 20 minutes également. Mme Paradis.

Comité d'école Notre-Dame-de-Lourdes

MME PARADIS: M. le ministre, messieurs les députés, je pense qu'il est inutile de relire notre mémoire. Je crois et j'espère que tout le monde en a pris bonne note. Alors, M. Octave Dupont va vous faire la présentation.

M. DUPONT: Nous représentons le Comité d'école Notre-Dame-de-Lourdes de la ville de Laval dont l'exécutif a été dûment élu par les 212 familles du secteur que nous représentons. Nous représentons donc 424 parents. Lors de notre assemblée générale de mai dernier, nous avons informé les parents présents de notre intention de présenter un mémoire relatif au projet de loi 22. Face aux récents événements vécus à Laval, les parents étaient enthousiasmés par notre projet d'analyse. Etant donné le très court laps de temps accordé pour la présentation du mémoire, notre comité s'est limité à l'étude du chapitre traitant de la langue d'enseignement. Cependant, nous avons gardé sans cesse à l'esprit la nécessité d'une politique vertébrée prônant la primauté de la langue française dans le monde des affaires, du travail et celui des communications.

Examinons tout d'abord le préambule du projet de loi 22. Nous lisons ici le préambule du projet de loi 22: "Attendu que la langue française constitue un patrimoine national que l'Etat a le devoir de préserver, et qu'il incombe au gouvernement du Québec de tout mettre en oeuvre pour en assurer la prééminence et pour en favoriser l'épanouissement et la qualité;

Attendu que la langue française doit être la langue de communication courante...

Attendu que la langue française doit être omniprésente dans le monde des affaires... ici, nous voulons souligner l'ambiguïté de cet attendu étant donné que "omniprésence" ne voudrait pas signifier primauté de la langue française dans le monde des affaires.

Attendu qu'il importe de déterminer le statut de la langue française dans l'enseignement...

Ce sont les attendus, dans votre préambule, qui nous ont incités à vous présenter ce mémoire et, comme vous l'avez si judicieusement dit, votre gouvernement a le devoir de préserver la langue française. Vous admettez donc, de fait, dans votre préambule, que la langue française est menacée, ce que nous trouvons d'ailleurs parfaitement exact. Il est donc de notre devoir de tout mettre en oeuvre pour préserver cette langue française par une législation vertébrée qui en assure la primauté. Le français doit être la seule langue officielle du Québec. Examinons la situation de l'enseignement des langues dans les écoles françaises au Québec. Il ressort que la médiocrité de l'enseignement des langues française et anglaise a favorisé le glissement des étudiants francophones et allophones vers le secteur anglais.

Ici, je passerai la parole à Mme Aimée Paradis qui a préparé un certain nombre de statistiques qui concernent le secteur de l'enseignement à Laval et qui vous démontrera que la proportion d'anglophones est vraiment très infime dans Laval.

MME PARADIS: Ceci pour appuyer l'article 49 qui se lit comme suit: "Les élèves doivent connaître suffisamment la langue d'enseignement pour recevoir l'enseignement dans cette langue. Les élèves qui ne connaissent suffisamment aucune des langues d'enseignement reçoivent l'enseignement en langue française". On trouve cet article trop ambigu et on propose le texte suivant: Que l'enseignement en langue anglaise ne soit donné qu'aux anglophones authentiques — je définirai tantôt ce que j'entends par anglophones authentiques — et que leurs écoles soient intégrées au secteur privé et qu'elles soient considérées comme telles sur le plan des subventions consenties. Que tous les enfants d'immigrants soient intégrés au secteur francophone et que leur adaptation dans les écoles françaises soit facilitée par des mécanismes adéquats.

Nous appuyons nos dires à partir de l'expérience de la commission scolaire Chomedey de Laval. Nous avons comme population scolaire, au secondaire, 30,233 élèves qui comprennent français, anglais et allophones.

La population dans les écoles anglaises, à première vue, serait de 2,622 élèves qui comprennent ceux venant des commissions scolaires

avoisinantes, à savoir: Duvernay, Mille-Iles, Les Ecores. Ce chiffre, 2,622, si on le compare à la population totale, représente 8.7 p.c. Mais en analysant plus en profondeur, on découvre que ce pourcentage n'est pas exact.

A Chomedey de Laval où il y a, en apparence, 1,596 anglophones, cette population se répartit comme suit: 721 anglais, 562 français, 313 allophones.

A Duvernay, pour une population apparente de 410 anglophones, nous avons 149 Anglais, 197 Français et 64 allophones.

A Milles-Iles, sur 616 anglophones, nous avons en réalité 237 Anglais, 277 Français et 102 allophones.

Si on compare maintenant la population d'anglophones authentiques, nous avons une population de 1,107 anglophones authentiques, ce qui abaisse le pourcentage réel à 3.7 p.c. Si nous faisons le pourcentage des francophones passés au secteur anglais, tout d'abord le total, 1,036, nous arrivons à un pourcentage de 3.4 p.c. et le pourcentage des allophones à 1.6 p.c.

Ce qui fait en réalité, pourcentages combinés de francophones et d'allophones, 5 p.c, ce qui est nettement supérieur au pourcentage des anglophones authentiques.

Dans cette étude, il ressort que l'administration scolaire Chomedey de Laval, selon le projet de loi 22 et en vertu de l'article 9, chapitre I — langue de l'administration publique — ne serait pas tenue de rédiger ses textes et documents officiels dans la langue anglaise puisqu'ils ne représentent en fait que 3.7 p.c. de la population concernée.

L'article 13 ne s'appliquerait pas non plus et le français serait la seule langue de communication.

Un article aussi de la Société des nations — référence: Devoir du 27 juin 1974 — le texte se lit comme suit: II faut permettre aux minorités de comprendre la culture et la langue de l'ensemble de la collectivité et permettre de prendre part à ses activités. Comment connaître et comprendre la culture française si on n'y a pas accès?

C'est ce qui se passe pour les anglophones qui fréquentent les institutions d'enseignement anglaises où l'on enseigne un français folklorique. En établissant un système unique français, les deux solitudes, française et anglaise, se rejoindraient et on n'aurait plus cette dichotomie entre les deux groupes ethniques.

Ceci ne viendrait pas à l'encontre de l'article de la Cour européenne des droits de l'homme. Voir encore le Devoir du 28 juin 1974 où il est fait mention que les groupes minoritaires dominants n'ont pas droit à des garanties particulières. Il y a le cas type de la Belgique. Justement, vous avez un immigrant, M. Dupont, Canadien maintenant, qui peut vous exposer...

M. DUPONT: Je suis un Canadien d'origine belge qui pourrait, en fait, vous exposer, comme cela a d'ailleurs été très bien résumé dans le

Devoir du 28 juin... En fait, la Belgique, actuellement, depuis la Loi linguistique, a été divisée en trois régions bien distinctes: La partie nord qui est la région francophone où la seule langue parlée, c'est-à-dire officielle, est le flamand; la partie sud du pays où la seule langue officielle est le français, et la partie bilingue de Bruxelles, constituée par les 19 communes constituant la ville de Bruxelles, où cette région est désignée comme bilingue, mais où la langue d'enseignement est déterminée non pas par le libre choix des parents, mais par la langue parlée à la maison.

Je peux vous citer un exemple familial où des personnes, s'exprimant très bien en français, mais parlant le flamand à la maison, doivent, par la loi, envoyer leurs enfants à Bruxelles dans une école néerlandophone. Je pense que c'est une situation assez claire et on a peut-être trop souvent voulu assimiler le cas du Québec à la Belgique, étant donné que c'est assez facile de faire des rapprochements, mais je pense que la situation est totalement différente.

MME PARADIS: Dans le système d'enseignement public unique préconisé dans notre rapport, l'enseignement de la langue seconde ne serait plus perçu comme imposé par un pouvoir dominateur, mais comme un moyen d'accéder à une autre culture, tout en étant un outil de communication essentiel dans le contexte nord-américain. Là-dessus, je crois que je rejoins la pensée du Dr Cloutier lorsqu'il animait la célèbre émission "Un homme vous écoute".

Examinons maintenant la situation des minorités francophones à l'extérieur de la province de Québec. Au primaire, l'enseignement des matières principales se fait 50 p.c. en anglais, et l'enseignement des matières secondaires se fait en français. Au niveau du secondaire, un enseignement totalement en anglais.

Donc, à l'instar des autres provinces, nous nous devons d'appliquer les mêmes mesures pour les minorités anglophones que celles appliquées aux minorités francophones des autres provinces.

Donc, il nous faut assurer la primauté de l'enseignement de la langue française dans toutes les écoles, et accorder, comme privilège, un enseignement à 50 p.c. en français pour les matières principales et 50 p.c. en anglais pour les matières secondaires, pour enfin parvenir au niveau du secondaire à un enseignement unilingue français public aussi au niveau des CEGEP et universités tout comme dans les autres provinces.

En somme, notre proposition — celle que vous retrouverez dans le mémoire — est beaucoup plus avantageuse pour les anglophones que celle qui prévaut à l'heure actuelle dans les autres provinces.

LE PRESIDENT (M. Pilote): Le ministre de l'Education.

M. CLOUTIER: M. le Président, je remercie le Comité d'école Notre-Dame-de-Lourdes pour

la présentation de son mémoire. C'est toujours avec beaucoup de plaisir que j'entends les parents s'exprimer sur des problèmes qui les concernent au premier chef. C'est aussi avec beaucoup de sympathie que j'ai écouté cette déposition.

J'ai noté également qu'un des représentants du comité d'école a bien dit, ou a bien laissé entendre, qu'il était difficile d'appliquer les exemples d'autres pays à la situation qui est la nôtre. Souvent l'exemple belge a été mis de l'avant. Le point de départ du problème en Belgique était forcément différent d'ici. Même si certaines solutions peuvent nous inspirer, les véritables solutions doivent naître de la société telle qu'elle est et de notre histoire. Pas nécessairement de la société qu'on aimerait construire, mais de la situation de manière à la faire évoluer.

De toute façon, ce n'est pas le lieu de faire un débat. Les circonstances vont nous permettre de l'entreprendre bientôt. Je me contenterai de demander un éclaircissement et de poser une question.

Je voudrais être sûr de bien comprendre ce que vous souhaitez, c'est la disparition du secteur anglophone public et la constitution d'un système d'enseignement unique qui serait, bien sûr, francophone. C'est bien cela?

MME PARADIS: C'est exact.

M. CLOUTIER: Vous ne niez pas aux anglophones, à ce moment, le droit qui est d'ailleurs reconnu partout au monde d'avoir leurs écoles privées en anglais. Mais ce que vous souhaitez, c'est la disparition du système anglophone. C'est bien cela?

M. DUPONT: Du système anglophone public?

M. CLOUTIER: Du système anglophone public?

M. DUPONT: Nous l'avons d'ailleurs souligné dans notre mémoire. Nous sommes très clairs à ce sujet.

M. CLOUTIER: Très bien. Vous répondez à l'éclaircissement que je vous demandais. Ma question est la suivante: Nous avons entendu les commissaires d'écoles de Chomedy de Laval venir devant cette commission et nous faire part d'une expérience assez intéressante concernant les transferts du secteur francophone au secteur anglophone. Ils nous ont dit, entre autres, qu'ils avaient reçu l'année dernière 350 demandes de transfert du secteur francophone au secteur anglophone et, comme les règlements du ministère de l'Education le leur permettaient, ils ont fait subir des tests et ils ont réduit ces demandes à 150. On peut peut-être en conclure, à partir de cette expérience qui a très bien fonctionné, que, d'une part, l'utilisation de tests et, dans ce cas particulier, il ne s'agissait même pas de tests standardisés, il s'agissait de tests de la commission scolaire; l'utilisation de tests constitue un frein à ces transferts d'un secteur à l'autre. Ils nous ont dit, d'autre part, que l'utilisation de tests permet une meilleure intégration des élèves, en ce sens qu'ils se trouvent, à ce moment, à avoir une connaissance suffisante de la langue d'enseignement d'un secteur pour suivre l'enseignement, dans ce secteur, d'une manière valable.

Je me demande ce que vous pensez de cette expérience.

MME PARADIS: On a peut-être omis de vous informer que, par ailleurs, les francophones grossissent les classes dites orthopédagogiques au niveau du secondaire, dans le secteur anglais et que, finalement, même si les francophones passent au secteur anglais, c'est à leur détriment puisqu'ils resteraient le parent pauvre du sytème anglais.

M. CLOUTIER: C'est peut-être un autre problème que je ne nie pas, mais je vous demandais votre opinion sur l'utilisation de tests en vous donnant un exemple très clair puisqu'il a été fourni devant cette commission, à savoir que, sur 350 demandes, 150 ont été retenues et que, dans tous les cas, il ne semble pas y avoir eu contestation et que les tests auraient agi et comme frein et comme instrument pédagogique dans l'intérêt de l'élève. C'est une opinion là-dessus, non pas sur le fait qu'il y a des transferts d'un secteur à l'autre et que ceci puisse vous créer un problème.

MME PARADIS: On peut souvent faire dire aux tests ce qu'on veut et cela dépend dans quelle condition ils sont faits aussi et deuxièmement, je me pose le problème d'une autre façon: le pourquoi de ces transferts des francophones à l'anglais... Il y a une preuve. La pauvreté de l'enseignement de la langue seconde est effarante, de même que la langue française. La langue française est abâtardie à l'heure actuelle et je pense que le gouvernement doit prendre des mesures, à cet effet, pour corriger la situation.

M. CLOUTIER: Vous avez tout à fait raison. Et d'ailleurs...

MME PARADIS: Disons que le système d'éducation a été passé pas mal vite. M. Gérin-Lajoie a passé cela très très vite, l'histoire des polyvalentes, avec tout le cortège d'inconvénients que cela a amenés, je pense que l'enseignement de la langue doit être une primauté au niveau du gouvernement.

M. CLOUTIER: Madame, vous me faites plaisir parce que vous ralliez exactement mes vues et c'est la bataille que je mène depuis deux ans et demi.

MME PARADIS: Je suis persuadée que, s'il n'y avait qu'un système francophone comme il y a un seul système anglophone officiel ailleurs, on pourrait améliorer la qualité de la langue française et améliorer aussi la qualité de la langue seconde qui est l'anglais, qui est la langue de communication qu'on ne peut dénier, qui est essentielle.

M. CLOUTIER: II peut y avoir coincidence de vues entre nous sur les objectifs, mais il peut aussi y avoir sur les modalités certaines divergences. Alors, je vous remercie beaucoup.

LE PRESIDENT (M. Pilote): Le chef de l'Opposition officielle.

M. MORIN: Je vais céder mon droit de parole, pour l'instant, au député de Saint-Jacques, mais je reviendrai, M. le Président.

M. CHARRON: Je veux vous remercier également au nom de l'Opposition d'avoir apporté votre mémoire, ce matin.

J'ai sous les yeux un article d'un quotidien de la ville de Québec en date du 15 juin 1974, donc il n'y a pas tellement longtemps. On y traitait du problème linguistique de la ville de Laval tel qu'il avait été soulevé au cours du printemps. On y rapporte certaines données qui permettaient de titrer l'article "Ville de Laval, symbole de la lutte des langues". J'aimerais que vous commentiez, pour autant que vous les connaissez, bien sûr, certaines données qui, peut-être pour la commission, constitueront un élément de plus au dossier déjà lourd contre le projet de loi 22. On dit que dans deux ans il y aura 16 p.c. d'étudiants de moins dans les écoles françaises de la ville de Laval, et 12 p.c. de plus dans les écoles anglaises. On dit que depuis quatre ans, dix écoles françaises sont passées au secteur anglais à Laval, que plus de la moitié, soit 53.8 p.c. des élèves inscrits dans les institutions anglaises ne sont pas des anglophones d'origine, et on dit que la commission scolaire Chomedey de Laval prévoit qu'au niveau secondaire, 10,739 étudiants fréquenteront le secteur français 2,889 le secteur anglais en septembre prochain; soit, dans le premier cas, une augmentation de 26 p.c. depuis 1969, au moment de la loi 63, mais dans le second cas un accroissement de 60.5 p.c. de la clientèle, c'est-à-dire dans le côté anglophone.

Je ne sais pas où la journaliste en question a puisé ces statistiques, probablement à Laval même et aux commissions scolaires. Je voulais simplement vous poser comme première question, si vous êtes au courant de ces statistiques, puisque vous nous en avez apporté qui allaient à peu près dans le même sens, et si vous pouvez les commenter?

MME PARADIS: Lorsque tantôt, je vous ai parlé des 2,622 anglophones de la commission scolaire Chomedey de Laval au niveau du secondaire, en réalité quand on fait l'analyse profonde, on constate que ce ne sont pas des anglophones authentiques. Je vous renvoie à mon mémoire. Là-dessus, vous avez une forte proportion... par exemple à Chomedey de Laval, si vous faites le total des francophones et des allophones, vous arrivez à 875 versus 721 pour les Anglais. A Duvernay, vous avez un total de francophones et d'allophones de 261 versus 149 anglophones. A Mille-Isles, vous avez un total de francophones et d'allophones de 379 versus 237 Anglais. Je pense que ces chiffres sont éloquents. Ces chiffres doivent donner à réfléchir au gouvernement, au ministère de l'Education principalement, au niveau de l'établissement le plus rapidement possible de classes d'accueil et aussi d'une certaine animation du milieu, parce qu'il ne faut pas se cacher que, nous, Québécois, sommes un peu xénophobes.

Il faut, à la fois, faire une animation pour permettre une plus grande ouverture du milieu et je croirais, je suis persuadée que, dans un système unique, tous ces heurts et ces embûches seraient définitivement aplanis parce que les gens apprendraient à se connaître, à se rencontrer. En ayant deux systèmes, un système anglais et un système français... Quand on sait que les deux pensées sont totalement à l'opposé l'une de l'autre, l'une de type anglo-saxon et l'autre de type latin, en ne faisant qu'une seule école, on arriverait à une harmonie et on arriverait vraiment à faire un Québec fort.

M. CHARRON: Vous savez, cette opposition que vous signalez entre les deux façons de penser, je pense que les membres de la commission qui ont suivi attentivement les travaux de la commission, qui en est à sa quatrième semaine, ne peuvent plus la nier maintenant. Dans un même après-midi, par exemple, on pouvait véritablement, à partir de gens provenant de la même ville à l'occasion, par exemple Montréal, dans le même après-midi, nous avons entendu la Commission des écoles catholiques de Montréal et le Protestant School Board of Greater Montreal, soit les deux plus grandes commissions scolaires de l'île de Montréal, à proximité de Laval, qui nous ont tenu des propos qui avaient des siècles de distance l'un de l'autre. Cela est certainement une des choses que plusieurs membres ont reconnues depuis le début. Personne n'avait l'impression que ce fossé était à ce point élargi qu'aucun pont, aussi habile et subtil soit-il, que ce soit celui que le ministre a essayé d'édifier avec un chapitre de la langue d'enseignement qui, jusqu'ici, a été refusé par tout le monde... Je pense que c'est une des découvertes que nous avons faites.

Vous avez fait mention également, et je vais vous entretenir de cela maintenant, que nous, Québécois, sommes xénophobes à l'occasion, ce que, je pense, personne ne niera, mais est-ce que vous avez l'impression que... J'y pense, moi

aussi, à ce trait de notre caractère, la xénophobie à certaines occasions, mais, en même temps, je me réjouis tout le temps de voir que, dans les conditions où cette xénophobie, comme vous dites, s'est développée et s'est implantée dans l'esprit des Québécois, cela aurait pu être définitivement plus grave et cela aurait pu... Il me semble que bien des peuples qui auraient connu cette situation que nous avons connue, qui voyait littéralement 90 p.c. des immigrants immédiatement se regrouper au groupe qui, ici, contrôle et s'impose et dirige notre vie économique et, par des voies arrière, notre vie politique également, c'est le minimum, il me semble, de ressentiment... Je ne tiens pas à l'excuser, je tiens à l'expliquer et je me dis qu'à bien des occasions, nous sommes passés à deux doigts du racisme, mais il est toujours resté, au sein des Québécois, une espèce de tolérance que, souvent, on a édifiée en statue, mais de tolérance qui permettait de nous éloigner du racisme pur.

MME PARADIS: II ne faut quand même pas laisser cela simplement aux Québécois francophones, parce que, du côté anglophone, vous avez exactement la même réaction. Je dis que, si on a un système unique, unilingue français, et où l'apprentissage de la langue seconde ne sera pas vu comme l'apprentissage d'une langue du dominant, mais comme un moyen d'accéder à la culture et à la compréhension de l'autre et de pouvoir communiquer, vraiment communiquer dans le sens le plus fort du mot, je pense qu'alors, les problèmes québécois vont s'aplanir.

M. DUPONT: Etant moi-même immigrant, me reportant à une dizaine d'années en arrière, j'ai dû lutter pour m'installer au Québec d'abord, parce que le gouvernement fédéral, dans ses ambassades, favorisait énormément l'implantation même des francophones dans les provinces totalement anglaises. Ma destination première, lorsque je suis arrivé au Canada, était Ottawa. Ce n'était pas bien loin, mais c'était la destination qui m'avait été non pas imposée mais conseillée. En fait, j'ai débarqué à Montréal, je suis resté à Montréal et j'en suis très heureux. Mais je pense que, également pour l'immigrant qui arrive au Québec, étant donné que les postes de commande sont occupés par les Anglais, étant donné, d'autre part, ce que Mme Paradis a souligné, la faiblesse de la langue française, la faiblesse également de l'enseignement de la langue seconde, qui, pour l'immigrant, malgré tout, il faut le comprendre, peut encore constituer la langue qui lui permette de travailler, je pense que tout ça peut inciter drôlement, si le gouvernement du Québec ne prend pas de mesures appropriées, les immigrants à passer au secteur anglophone.

D'autre part, qu'on n'accuse pas les Anglais de racisme ni de xénophobie étant donné leur position dominante, étant donné leur position très forte au Québec. Ce sont les francophones — que je comprends très bien d'avoir manifesté un certain racisme — étant donné que, d'une part, les immigrants venant s'installer au Québec, étant donné le chômage très élevé, ils pouvaient considérer ces immigrants comme des personnes venant chercher leurs moyens de gagner leur vie. En fait, je ne fais absolument pas de reproche à mes conpatriotes québécois d'avoir, dans une certaine mesure, fait certaines remarques aux immigrants étant donné que le gouvernement québécois ne faisait rien pour favoriser cet accueil des immigrants. Les classes d'accueil n'existent pas depuis longtemps et l'immigrant était forcé de se tourner vers un visage qui lui avait d'ailleurs été beaucoup plus inculqué dans les pays d'Europe ou dans d'autres continents, à savoir que le Canada était un pays anglophone. On ne faisait pas cette distinction qu'au Québec il y avait une majorité francophone. Tout ça, je pense, explique la situation, mais ce qui s'explique beaucoup plus difficilement, c'est que le gouvernement du Québec n'ait pas pris de mesure pour favoriser cette intégration des immigrants au milieu francophone.

M. CHARRON: J'ai une dernière question avant celle du chef de l'Opposition. Dans votre solution que vous préconisez d'un système unilingue français et du renvoi du secteur anglophone au domaine de l'enseignement privé, est-ce que vous conserviez le droit aux enfants anglophones de s'inscrire à l'école publique française, même dans ce système?

MME PARADIS: Certainement. Et je dis que la journée où la qualité de l'enseignement du français et la tenue de nos écoles — parce que j'ai moi-même enseigné — seront différentes, je pense qu'il y aura sûrement un changement. En plus de ça, la journée où le gouvernement aura une politique de la langue qui se tienne, qui montre que vraiment les Québécois sont des hommes et non pas des chiques molles, qui fera du français la langue de travail, les anglophones seront les premiers à vous respecter. Je connais énormément d'entreprises anglophones où, à l'heure actuelle, le français est la langue de communication entre les employés et l'extérieur. Je pense que si on donne un système unilingue français, on pourra arriver à un standard de qualité.

M. CHARRON: Je veux conclure avec ça, je vous posais cette question uniquement...

MME PARADIS: Pour ne pas brimer certains droits acquis, quoique c'est toujours une forme de privilège, on a donné cette solution: Si les anglophones authentiques veulent continuer leur enseignement, cela devient un secteur privé. Je pense qu'à ce moment-là, on ne brime personne.

M. CHARRON: Je vous posais simplement

cette question parce qu'il s'agit d'un point où nous divergeons d'opinion. Vous savez que nous soutenons la présence d'un secteur public anglophone qui soit adapté à chacun des territoires, mais nous soutenons également chaque fois, devant les anglophones qui viennent à cette commission, qu'autant nous voulons respecter ces droits à une éducation dans leur langue, autant nous voulons maintenir pour eux, comme minorité, en nous inspirant même du texte de la Société des nations que vous nous avez lu, le droit de participer à la vie de la majorité. Cela nous semble la voie la plus juste que nous puissions offrir dans le respect de la minorité anglaise, soit le droit d'avoir ses écoles. Vous les voulez privées, nous considérons qu'elles peuvent être encore publiques sans mettre en danger la sécurité culturelle des Québécois et en même temps leur permettre ce droit d'aller à l'école française pour participer à la vie de la majorité.

Lorsque nous "départisanons" le débat et surtout lorsque nous l'envisageons, il me semble très clair que, pour les anglophones, nous pouvons aboutir à cette solution beaucoup plus facilement que...

MME PARADIS: Quant à nous, notre attitude n'était pas du tout politique. Nous l'avons fait en tant que...

M. CHARRON: Oui, oui.

MME PARADIS: ... parents, on a eu une approche peut-être philosophique de la chose. Si les anglophones veulent être au secteur public, à ce moment-là, 50 p.c. de l'enseignement en langue française pour les matières principales et 50 p.c. en langue anglaise pour les matières secondes et, au niveau secondaire, tout le monde en français.

M. CHARRON: Votre approche philosophique, nous l'attendions. C'est exactement ce que nous voulions. Cela constitue un pas de plus. Le ministre n'a toujours aucun appui dans le monde de l'éducation pour son projet de loi.

M. CLOUTIER: Puisque le député de Saint-Jacques me met en cause, je ne serais pas intervenu, mais je ne peux pas rater l'occasion de souligner que vous allez beaucoup plus loin que le PQ.

M. CHARRON: Oui, je l'ai souligné...

M. CLOUTIER: Je sais que cela vous importe peu et je vous en rends hommage.

M. CHARRON: Oui, oui.

LE PRESIDENT (M. Pilote): L'honorable chef de l'Opposition officielle.

M. MORIN: M. le Président, j'aimerais reve- nir brièvement au cas belge qui a été évoqué par M. Dupont. Le ministre nous disait tout à l'heure que le problème est différent au Québec de ce qu'il peut être en Belgique et, certes, il existe une différence. Mais il y a également de très fortes ressemblances. Il y a des leçons à tirer du cas belge, si l'on veut éviter que les problèmes s'aggravent de la même façon au Québec.

Le ministre nous a dit: II ne faut pas s'inspirer de la société telle qu'on aimerait la construire. Je l'ai noté, cela m'a beaucoup frappé comme phrase. Or, c'est ce que les Flamands ont fait, c'est ce que les Wallons font maintenant également dans la construction d'un pays qui soit plus juste sur le plan des langues.

C'est ce que font également les anglophones québécois. Ils s'inspirent de la société telle qu'ils aimeraient la construire. Et nous avons eu ici, devant cette commission, plusieurs exemples de cette façon de penser de la société, de penser l'avenir. Les anglophones québécois nous ont décrit une société entièrement bilingue, vers laquelle ils aimeraient voir le Québec évoluer. Ils nous ont décrit une société où le secteur anglophone, protestant ou catholique, aurait toute liberté d'assimiler, non seulement les allophones, mais les Québécois francophones tout aussi bien.

Donc, il est normal, lorsqu'on tente de construire un pays, lorsqu'on tente de penser l'avenir, qu'on s'inspire de la société telle qu'on aimerait qu'elle soit, pas seulement telle qu'on peut constater qu'elle se trouve à l'heure actuelle. Si la situation actuelle devait se continuer, c'est bien ce que le projet de loi nous dit en somme, en gros, je pense que la situation serait appelée à se gâter encore davantage, pour les Québécois francophones, ce qui aurait peut-être des conséquences pour la paix sociale au Québec.

Il faut donc résolument — et je vous en félicite — penser la société telle qu'on aimerait qu'elle soit tout en tenant compte, à l'occasion, d'un certain nombre de contraintes qui nous viennent du fait que nous habitons l'Amérique du Nord et qu'on ne peut fermer les yeux sur des faits comme ceux-là. Compte tenu de cela, il est évident que le cas belge recèle des enseignements fort intéressants. J'aimerais peut-être, brièvement, l'approfondir avec M. Dupont.

D'abord, si vous le voulez bien, j'aimerais vous faire préciser le statut exact des écoles dans chacune des parties strictement unilingues avant de parler des 19 communes de l'agglomération bruxelloise. Est-ce que, du côté flamand comme du côté Wallon, il existe le moindre choix entre les écoles majoritaires ou les écoles minoritaires, si je puis employer un vocabulaire qui, évidemment, ne s'applique pas tout à fait dans le cas belge.

M. DUPONT: Non, en fait, il n'existe aucun choix. Vous avez l'exemple le plus frappant dans la région néerlandophone, la partie franco-

phone de l'Université de Louvain qui se trouvait à Louvain, donc en territoire flamand, au nord de la limite de la ligne géographique divisant la Belgique en deux; au nord, la partie néerlando-phone; au sud, la partie néerlandophone avec cet îlot de Bruxelles. En fait, les Flamands sont allés très loin puisqu'ils ont demandé et exigé le déménagement de la partie francophone de l'Université de Louvain, c'est-à-dire que le partie néerlandophone de l'Université de Louvain est restée à Louvain et la partie francophone de l'Université de Louvain est allée s'installer à Wavre, c'est-à-dire au sud, à peu près à dix milles ou quinze milles de Bruxelles. Donc, c'est allé très loin. En fait, cela ne s'est pas fait sans difficulté, je vous l'avoue, et peut-être...

M. CLOUTIER: Cela ne s'est pas fait sans difficulté.

M. DUPONT: ... qu'à ce niveau, cela a créé beaucoup de heurts au niveau d'une institution universitaire de renom, d'exiger le déménagement — cela, je vous l'avoue — en territoire francophone. Mais cela veut dire que la Belgique est allée très loin et ne laisse absolument pas le libre choix. Par exemple, le francophone qui décide, pour ses affaires ou pour toute autre raison, de s'installer dans la partie néerlandophone, au nord de Bruxelles, cette personne doit travailler en flamand, doit tout faire en flamand. La seule liberté qui lui est laissée, c'est de parler sa langue maternelle à la maison. Donc, cela va très loin.

Même en fait, dans les églises de la côte belge, qui est une région de villégiature, précédemment, les sermons des prêtres étaient prononcés en flamand et en français. Actuellement, pour que le français puisse être accepté comme langue employée par le prêtre, le flamand, l'anglais, l'allemand et le français... C'est-à-dire qu'il faut quatre langues pour que le français puisse figurer comme langue de communication, même à l'église. Donc, cela va très loin.

M. CLOUTIER: Et vous savez ce que cela suppose comme contrôle?

M. DUPONT: Oui.

M. CLOUTIER: Vous avez lu le décret belge et vous êtes d'accord sur cette rigidité dans une société?

M. DUPONT: C'est-à-dire, je pense que l'histoire donne raison, dans une certaine mesure, au Flamand d'avoir demandé l'unilinguisme flamand. Elle le donne surtout au Flamand, étant donné que, précédemment, vous aviez énormément de Flamands qui fréquentaient l'école française, surtout les gens qu'on appelle "la bonne société", qui s'exprimaient en français, qui travaillaient même en français et, à ce moment, le peuple, constitué, il y a quarante ou cinquante ans, de paysans, n'était pas capable de communiquer avec ses pairs, avec des gens parlant normalement la même langue.

On a même eu l'exemple en Belgique de gens, il y a très longtemps, avant que les Flamands se réveillent dans leur mouvement, qui ont été jugés en français alors qu'ils étaient néerlandophones et qui n'ont absolument rien compris.

Je pense que l'histoire justifie cette prise de position. La situation était un peu différente, étant donné que le francophone, avant ce décret belge, pouvait se déplacer partout dans toute la Belgique et n'employer que sa propre langue. Au fond, c'était une similitude avec l'anglophone du Québec qui peut, en fait, aller partout dans la province de Québec en ne connaissant pas le français et être entendu partout. Là, il y a une similitude.

M. MORIN: Si les Flamands ont dû aller si loin et employer des méthodes si draconiennes, c'est peut-être parce qu'on a trop attendu pour régler le problème.

M. DUPONT: C'est cela. Je dois vous avouer que, si je témoigne en faveur de la solution belge pour les Flamands, je suis moi-même francophone de naissance, c'est dire que la situation était nettement injuste pour les Flamands.

M. MORIN: II vaudrait mieux qu'on n'attende pas au Québec que la situation se détériore au point d'être obligé d'avoir recours à des solutions aussi radicales. Si j'ai bien compris votre exposé, la néerlandisation s'est appliquée non seulement à l'école primaire, mais tout aussi bien au secteur secondaire et aux études supérieures.

M. DUPONT: Au secteur universitaire également.

M. MORIN: Et il en va de même dans les affaires.

M. DUPONT: II en va de même dans les affaires. Toutes les sociétés étrangères, et Dieu sait si elles sont nombreuses en Belgique, reconnaissent, comme langue de travail, le flamand. Il est évident que certains cadres supérieurs des entreprises doivent, pour la bonne marche des affaires, étant donné leurs responsabilités et leurs contacts avec le monde, connaître d'autres langues. Ce régime d'unilinguisme flamand ou français ne va pas du tout à l'encontre de l'apprentissage d'une deuxième langue ni de l'apprentissage d'une troisième et d'une quatrième langue. Vous savez combien, dans les pays d'Europe, où les régimes d'unilinguisme sont nombreux, les Européens connaissent deux langues et même souvent trois et quatre langues qui leur permettent de communiquer. Ils se voient devant cette nécessité, avec

la constitution de l'Europe, pour pouvoir communiquer. Mais cet unilinguisme qui s'applique dans le pays même ne va pas du tout à l'encontre du bilinguisme individuel ou du trilinguisme, etc.

M. MORIN: Bien, il faut toujours distinguer le bilinguisme des institutions de celui des personnes.

Nous avons donc deux zones unilingues où s'applique ce qu'on appelle, ce que la Cour supérieure des droits de l'homme a appelé, le principe de la territorialité linguistique.

Passons maintenant à l'agglomération bruxelloise. D'après ce que vous nous avez dit, s'y applique le principe de la personnalité linguistique, c'est-à-dire qu'il existe non pas un choix pour les parents entre les écoles francophones et les écoles flamandes, mais que chacun dirige ses enfants en fonction de la langue parlée à la maison.

Qu'arrive-t-il des enfants qui ne parlent ni le français ni le flamand? Par exemple, les enfants des étrangers qui se trouvent à Bruxelles pour les fins des communautés européennes, ou encore parce qu'ils se trouvent à l'emploi du siège social d'une grande société, comme il s'en trouve plusieurs à Bruxelles. Qu'arrive-t-il dans ce cas?

M. DUPONT: Je ne pourrais pas vous répondre exactement, parce que c'est une situation bien précise que je n'ai pas étudiée. Mais je sais pertinemment que tous les enfants, ou beaucoup d'entre eux, de représentants de pays étrangers ou de sociétés étrangères, étant donné que la langue officielle dans la région de Bruxelles est soit le français ou le flamand, vont dans des institutions françaises.

M. MORIN: Privées ou ...

M. DUPONT: Privées, mais subventionnées. D'autre part, je sais aussi, tout près de Bruxelles, pour les enfants de représentants de pays européens dans le cadre de la Communauté européenne, qu'il existe une école européenne, mais je ne pourrais pas vous en dire plus.

LE PRESIDENT (M. Pilote): Le député de Mille-Iles.

M. LACHANCE: Je veux profiter de l'occasion pour remercier les représentants du Comité d'école Notre-Dame-de-Lourdes pour la présentation de leur mémoire. Tout à l'heure, dans votre préambule, M. Dupont, vous avez dit que l'exécutif avait préparé ce mémoire et qu'à une assemblée générale, au mois de mai, il avait été soumis au comité de parents. Combien y avait-il de parents présents à ce moment à cette assemblée générale?

M. DUPONT: Est-ce que vous avez une idée du nombre de personnes qui ont assisté à cette assemblée générale?

MME PARADIS: Malheureusement, nous avions environ une quarantaine de parents.

M. LACHANCE: Une quarantaine de parents. Je vais revenir au secteur privé. Dans votre proposition, vous demandez que les écoles anglaises soient intégrées au secteur privé. Est-ce à dire que les anglophones, s'ils veulent continuer à fréquenter leurs écoles, devront payer des frais de scolarité pour le faire?

M. DUPONT: Oui.

MME PARADIS: Au même titre que les francophones qui envoient leurs enfants dans des écoles privées pour d'autres raisons. Ces écoles bénéficient de subvention à 80 p.c.

M. DUPONT: Justement, nous avons souligné dans notre mémoire qu'en souhaitant que le réseau d'enseignement anglophone passe au secteur privé, ceci, bien sûr, présupposait l'obtention de toutes les subventions qui sont données par le ministère de l'Education aux institutions d'enseignement privées.

M. LACHANCE: En somme, c'est le réseau public anglais qui passe au secteur privé.

MME PARADIS: Le réseau public est unilin-gue français...

M. DUPONT: En fait, c'est juste.

MME PARADIS: ... et les anglophones qui veulent absolument étudier seulement en anglais...

M. DUPONT: ... en anglais, passeraient...

MME PARADIS: ... passeraient au secteur privé.

M. LACHANCE: C'est parce que, dans votre mémoire, ce n'est pas de cette façon que c'est dit.

MME PARADIS: C'est très, très clair. M. DUPONT: C'est clair dans le mémoire. MME PARADIS: Je peux même le relire. M. LACHANCE: Je l'ai lu.

MME PARADIS: "Que l'enseignement en langue anglaise soit donné aux anglophones..."

M. LACHANCE: ... su secteur privé.

MME PARADIS: "... authentiques et que leurs écoles soient intégrées au secteur privé et qu'elles soient considérées comme telles sur le plan des subventions consenties".

M. VEILLEUX: Est-ce que le député de

Mille-Iles me permettrait une question? Est-ce que vous permettriez à des francophones qui le désireraient de fréquenter ce genre d'écoles dans le secteur privé ou serait-ce uniquement réservé, dans votre esprit, aux anglophones?

MME PARADIS: Dans mon esprit, c'est réservé aux anglophones authentiques. C'est clairement dit. Je pense que, si le ministère de l'Education a à coeur de donner un enseignement unilingue français qui soit de qualité supérieure — parce qu'en n'ayant qu'un seul réseau, il pourra atteindre des standards d'excellence — à ce moment vous aurez moins de glissements. Deuxièmement, quand la langue de travail sera le français, il y a un tas d'embûches qui vont tomber d'elles-mêmes.

M. VEILLEUX: II n'y aurait pas de possibilité...

MME PARADIS: L'anglais ne sera pas perçu à ce moment comme la langue du dominateur. Cela sera perçu comme une langue de culture et de communication et je pense que c'est là que le gouvernement devrait tendre dans ses objectifs.

M. VEILLEUX: Si je vous comprends bien, les francophones n'auraient comme seul droit celui de fréquenter le réseau public francophone. C'est cela?

M. DUPONT: Non. Ils auraient le droit de fréquenter le réseau public francophone, mais les institutions privées francophones subsistent et ils auraient le droit, bien sûr, de fréquenter le réseau privé francophone.

Mais nous ne tenons absolument pas à accorder le droit aux francophones de fréquenter le réseau privé anglophone.

M. VEILLEUX: Tout à l'heure, vous avez mentionné un point important et j'ai eu l'occasion de discuter avec l'Association des professeurs de français du Québec et des représentants de la CEQ. Vous avez mentionné l'enseignement du français comme langue maternelle qui avait à être revalorisé dans le secteur francophone et l'enseignement de la langue seconde qui est l'anglais présentement.

Est-ce que, dans votre esprit, ce réaménagement de l'enseignement de la langue maternelle dans le secteur francophone doit être exclusif à la matière qu'on appelle le français dans les écoles...

MME PARADIS: Pour s'appliquer à toutes les matières.

M. VEILLEUX: ... ou si tous les professeurs de toutes les matières doivent faire un effort pour revaloriser leur français?

MME PARADIS: Je ne dirais pas faire un effort, mais doivent parler un français correct, parce que, si on veut être compris, il faut parler clairement et avec des mots précis, et être concis.

M. DUPONT: Evidemment, cette revalorisation de l'enseignement du français peut se faire isolément, mais si, par contre, l'environnement présente un visage anglais, comme il le présente actuellement, en tout cas, à Montréal et à Laval, il est évident que cette revalorisation du français doit s'accompagner d'une revalorisation de la langue française à tous les niveaux.

M. VEILLEUX: Si cet enseignement du français que vous mentionnez a été en diminuant de plus en plus depuis quelques années — je pense que je suis un de ceux qui ont pu s'en rendre compte, parce que j'étais professeur de français au secteur secondaire depuis 1960 — est-ce dû, comme vous le dites, uniquement à cet environnement anglophone qu'on pourrait rencontrer à Montréal ou à Laval, ou serait-ce dû aussi à d'autres facteurs? Lesquels?

MME PARADIS: Au départ, même si j'ai été moi-même professeur, je dois quand même battre ma coulpe devant tout le monde et dire qu'il y a aussi beaucoup d'incompétence parmi les professeurs sur la qualité de la langue.

M. VEILLEUX: Mais est-ce que la venue, par exemple...

MME PARADIS: Deuxièmement, il y a la publicité dite française qui n'est pas française, l'affichage, enfin, etc. La journée où tout cela sera enfin en français et qu'il y aura un contrôle par une régie quelconque de la langue française, étant bien sûr d'avoir les bonnes personnes aux bons endroits et que ce soit du vrai français qu'on emploie, ceci va se refléter à tous les niveaux dans la vie québécoise et cela va se refléter aussi, par ricochet, au niveau de l'enseignement.

M. VEILLEUX: Est-ce que, comme vous le mentionnez, la publicité à l'intérieur de la radio ou de la télévision, allant toujours en augmentant vers ce qu'on appelle le "jouai", peut créer une ambiance ou un décor dans les écoles, ce qui fait que le français va en diminuant au lieu d'aller en s'améliorant?

MME PARADIS: Je pense qu'il ne faut quand même pas négliger le phénomène du "jouai" qui fait foi, à mon sens, d'une certaine prise de conscience des Québécois à une certaine volonté de s'autodéterminer, de vraiment se découvrir et de faire une nation. J'appelle cela la crise d'adolescence du Québécois et il faut en sortir de cette crise d'adolescence et il faut parler, si on veut être respecté, un français correct. Je ne dis pas de parler le français de France, mais parler une qualité de langue qui soit dite internationale.

M. VEILLEUX: Si vous étiez législateur, est-ce que vous prendriez le risque, le 1er septembre 1974, d'intégrer tous les francophones et les anglophones qui n'iraient pas dans un secteur d'enseignement privé au secteur public francophone, compte tenu de l'état du français, de l'enseignement du français comme tel à l'intérieur des écoles francophones actuelles et de l'enseignement des langues secondes? Ou, dans votre esprit, avant d'arriver à une solution comme celle que vous mentionnez, ne serait-il pas mieux d'abord d'améliorer tout ce problème de l'enseignement des langues dans le secteur francophone, et ceci amélioré, à ce moment arriver à une solution comme celle que vous mentionnez?

MME PARADIS: Cela peut se faire par étapes ou cela peut se faire même de façon brutale, évidemment. Si cela se fait de façon brutale, cela va amener certains heurts. Mais je pense que les choses vont se placer d'elles-mêmes. Prenez, quand il y a eu la Loi concernant l'assurance-maladie, cela a dérangé messieurs les médecins et cela a dérangé aussi les Québécois bien nantis. Au début, les gens ont rechigné et, après cela, les gens se sont adaptés. Alors, pourquoi ne le ferait-on pas au niveau de la langue?

M. VEILLEUX: Vous feriez cela malgré l'amélioration de la langue maternelle et l'amélioration de la langue seconde dans le secteur francophone, mais pas dans un état tel...

MME PARADIS: II n'y aurait pas un standard d'excellence au départ, mais cela pourrait se faire par étapes.

Si vous avez le français qui est présent partout, vous avez une langue qui se purifie puisqu'elle va, petit à petit, perdre la gangue, c'est-à-dire tous les anglicismes et arriver à une langue qui soit pure.

M. VEILLEUX: Est-ce que vous avez étudié aussi les problèmes qui pouvaient survenir en réalisant une solution comme celle que vous proposez, les problèmes d'ordre syndical que cela pourrait engendrer pour un gouvernement? Si vous faites disparaître le réseau public anglophone, il y a quand même des enseignants anglophones dans ce réseau, qu'est-ce qui leur arrive?

MME PARADIS: Vous aurez peut-être d'excellents professeurs d'anglais.

M. DUPONT: Puisqu'on veut justement que dans le système public francophone l'enseignement de la langue seconde qui est l'anglais, soit mieux donné, car actuellement, l'enseignement de l'anglais est déplorable, à ce moment-là on y trouverait certainement... D'autre part, vous avez certainement parmi les professeurs anglophones, un certain nombre de pro- fesseurs qui parlent le français. Il y en a certainement un certain nombre qui pourrait, bien sûr, passer au secteur privé anglophone si les Anglais désirent conserver leur langue d'enseignement.

MME PARADIS: II y a un budget de recyclage aussi qui peut servir.

M. VEILLEUX: II y en a qui se sont présentés devant la présente commission et qui ont suggéré comme vous un réseau unique d'enseignement francophone avec un enseignement de la langue seconde où l'anglais ne serait pas obligatoire, mais où l'élève aurait le choix entre différentes langues, que ce soit l'allemand, l'espagnol. Dans votre esprit, cela devait-il être comme langue seconde l'anglais obligatoire pour tous?

MME PARADIS: II faut quand même tenir compte de l'environnement, cette mer anglophone dans laquelle on baigne; il ne faut quand même pas non plus faire de l'autodes-truction ou une forme de masochisme intellectuel. Je pense que cela s'impose, mais quand l'anglais ne sera pas vu comme la langue du dominant et que ce sera vu comme une langue de communication et une langue d'accession à la culture, la motivation sera beaucoup plus grande, les professeurs, à l'heure actuelle, ont toutes les misères du monde pour X, Y, Z raisons, à enseigner l'anglais, peut-être qu'à ce moment-là cela s'applanirait.

M. VEILLEUX: Merci.

LE PRESIDENT (M. Pilote): Le député de Mille-Iles.

M. LACHANCE: Cela revient encore au secteur privé. Les anglophones qui n'auront pas les moyens de payer pour envoyer leurs enfants à l'école privée, est-ce que cela veut dire qu'ils vont être intégrés au secteur français?

MME PARADIS: Ils vont avoir les mêmes problèmes que les francophones qui n'ont pas les moyens et qui envoient leurs enfants au secteur privé et j'en connais.

M. LACHANCE: D'accord. Ma question suivante s'adresse à M. Dupont. En Belgique, quelle langue seconde enseigne-t-on dans les écoles publiques flamandes?

M. DUPONT: La langue seconde enseignée dans les écoles publiques flamandes est le français. En fait, le français constitue d'ailleurs une langue, si l'élève ne recueille pas un nombre suffisant de points, ce cours devient une raison d'échec et à ce moment l'élève qui ne satisfait pas, qui n'a pas une note minimale pour la connaissance de la langue seconde, subit un échec et doit présenter une reprise.

M. DEOM: Quand avez-vous fait votre dernière enquête dans le réseau public flamand?

M. DUPONT: Cet hiver.

M. DEOM: Sur la langue seconde?

M. DUPONT: Oui.

M. DEOM: Vous regarderez les chiffres qui sont publiés par le gouvernement belge et c'est l'anglais qui est enseigné comme langue seconde dans le réseau flamand.

M. DUPONT: C'est-à-dire que l'anglais est enseigné également, mais le français aussi.

M. DEOM: Dans 85 p.c. des écoles, on enseigne l'anglais.

M. DUPONT: De quand datent vos sources?

M. DEOM: Le dernier rapport du Haut-Commissaire aux langues.

M. DUPONT: Qui a été publié quand? M. DEOM: Fin de 1973.

M. DUPONT: Je suis allé cet hiver en Belgique et le français constitue la langue seconde.

LE PRESIDENT (M. Pilote): Le député de l'Assomption, une dernière question.

M. PERREAULT: J'aurais seulement une courte question. Vous prônez un système francophone unique. Est-ce que, dans votre esprit — ce n'est pas dans le texte — ce système francophone devrait être déconfessionnalisé?

MME PARADIS: II serait multiconfessionnel. Parce que justement, un des graves problèmes du Québec, c'est cette division suivant la religion. Si cette chose avait été faite avant, on n'aurait pas les problèmes qu'on a aujourd'hui et le ministère de l'Education ferait d'énormes économies sur le plan des investissements immobiliers.

M. PERREAULT: Merci.

LE PRESIDENT (M. Pilote): Je remercie Mme Paradis ainsi que M. Dupont de la façon dont ils ont présenté leur mémoire. Soyez assurés que la commission va prendre bonne note de ce mémoire.

M. CLOUTIER: Merci.

LE PRESIDENT (M. Pilote): J'inviterais M. Clément Bérubé ainsi que les personnes qui l'accompagnent, représentant les comités d'école de la Présentation de Marie, de Saint-Gilles, de Dom Bosco, de Saint-Christophe et de Notre-Dame-de-Lourdes, à venir présenter leur mémoire. On voudra bien s'identifier.

Vous avez vingt minutes pour présenter votre mémoire ou un résumé. Le parti ministériel a vingt minutes pour vous poser des questions. Les partis d'Opposition disposent également de vingt minutes, M. Bérubé.

Cinq comités d'école

M. BERUBE: D'abord, les personnes qui m'accompagnent sont Mme Marie Beaulieu et Mme Pierrette Bérubé, du comité d'école Présentation de Marie.

M. le Président, étant donné le peu de temps qui a été mis à notre disposition pour faire une analyse en profondeur de tous les aspects du projet de loi sur la langue, on a opté pour l'étude du chapitre V qui concerne plus directement les comités d'école. On a voulu non pas essayer, comme membres de comité d'école mais, on s'est senti responsable de vous donner notre opinion sur la partie de la langue d'enseignement. Notre participation vise donc à établir l'essentiel, à l'intérieur du chapitre V, d'un projet de loi et à vous communiquer nos aspirations afin que vous permettre d'écrire une loi qui respecte ces aspirations. Mme Beaulieu va vous lire le mémoire qu'on vous a soumis.

MME BEAULIEU: Dans cet esprit, nous avons énoncé les principes directeurs qui nous ont amenés à reformuler les articles traitant de la langue d'enseignement, domaine plus particulièrement lié au mandat dévolu au comité d'école.

Notre objectif fondamental est donc de rendre l'Etat du Québec francophone dans les faits, tout en permettant aux anglophones y vivant présentement, de s'y intégrer sans grands heurts.

Nous osons croire que le projet de loi sera révisé et que tous les domaines d'activités, langue de travail, des affaires, des communications, de l'enseignement, etc., seront modifiés pour atteindre cet objectif.

Attendu que la langue française constitue un patrimoine national que l'Etat a le devoir de préserver et qu'il incombe au gouvernement du Québec de tout mettre en oeuvre pour en assurer la prééminence et pour en favoriser l'épanouissement et la qualité;

Attendu que la langue française doit être la langue de communication courante;

Attendu que la langue française doit devenir la langue d'enseignement au Québec;

Attendu que la langue française doit être omniprésente partout et dans tous les domaines de la vie québécoise.

Article 48. L'enseignement se donne en langue française dans les écoles régies par les commissions scolaires, les commissions scolaires régionales et les corporations de syndics.

Ces organismes doivent assurer la connaissan-

ce de la langue anglaise, parlée et écrite comme langue seconde chez tous les étudiants.

Ils doivent aussi prévoir toutes les mesures appropriées pour permettre aux minorités de développer leur culture dans leur propre langue et de la diffuser adéquatement en accord avec des politiques de subventions mises en oeuvre par d'autres ministères et tenant compte de la répartition des effectifs de population des minorités entre elles et par rapport à la majorité.

L'Etat a l'obligation de permettre aux Indiens et aux Esquimaux, premiers occupants du territoire, de développer leur langue propre comme langue première et de veiller à ce que la langue française leur permette de se développer et de diffuser leur culture au sein de la majorité francophone.

L'article 49 se lit comme suit — voua avez le texte sur la copie de l'erratum qui est attaché —: L'application du précédent article devra se faire progressivement sur une période permettant à tous les enfants déjà inscrits au secteur anglophone ainsi qu'aux enfants nés au Québec de parents anglophones, avant l'entrée en vigueur de la loi, de faire leurs études au secteur anglais.

Article 50. A partir de l'entrée en vigueur de la loi, tous les nouveaux résidents au Québec seront inscrits au secteur français.

Article 51. Les organismes chargés de l'éducation ont l'obligation d'organiser l'apprentissage ou le perfectionnement de l'usage de la langue française à tous les adultes non francophones vivant présentement au Québec et ce, sur une période de 25 ans.

Article 52. De même, des mécanismes d'accueil favorisant l'apprentissage du français devraient être développés au profit des immigrants et des nouveaux résidents provenant des autres provinces canadiennes.

LE PRESIDENT (M. Pilote): L'honorable ministre de l'Education.

M. BERUBE: J'aimerais souligner une chose. J'ai l'impression, du moins par ce que la presse nous a communiqué, qu'on a un secteur francophone seulement et on fait l'obligation au gouvernement de développer des mécanismes pour intégrer la population anglophone du fait que la chose a été permise depuis X années, le gouvernement se doit de prendre ses responsabilités et de développer des mécanismes pour intégrer la population, soit anglophone, grecque ou chinoise.

LE PRESIDENT (M. Pilote): L'honorable ministre de l'Education.

M. CLOUTIER: M. le Président, je remercie les Comités d'école Présentation de Marie, Saint-Gilles, Don Bosco, Saint-Christophe et Notre-Dame-de-Lourdes pour la présentation de ce mémoire. Je crois comprendre que ce que souhaite ce groupe, c'est la disparition du secteur anglophone public, la constitution d'un seul réseau d'enseignement au Québec, qui serait francophone. Est-ce bien le cas?

M. BERUBE: Oui.

M. CLOUTIER: Alors, c'est une position analogue, en quelque sorte, à celle du groupe qui vous a précédé?

M. BERUBE: Oui.

M. CLOUTIER: Les remarques que j'ai faites pour le groupe qui a précédé votre groupe sont donc valables pour votre groupe. Je n'ai pas d'autre question pour le moment; je verrai en cours de route s'il y a lieu d'intervenir. Merci.

MME BEAULIEU: M. le Président, j'aimerais ajouter cependant que notre position diffère un peu, puisque nous établissons l'intégration sur une période de 25 ans.

LE PRESIDENT (M. Pilote): L'honorable chef de l'Opposition officielle.

M. MORIN: C'est le député de Saint-Jacques qui va commencer.

LE PRESIDENT (M. Pilote): L'honorable député de Saint-Jacques.

M. CHARRON: M. le Président, je remercie également les membres du Comité d'école qui proviennent tous de la ville de Laval également; en particulier je voudrais peut-être saluer l'école Présentation de Marie pour son apport aux travaux.

Je voudrais vous demander si l'article 49 que vous nous proposez, qui constituerait une étape transitoire, mais quand même échelonnée sur plusieurs années — puisque vous reconnaissez le droit à un enfant de langue anglaise inscrit en maternelle cette année de poursuivre son enseignement dans le secteur anglais, puisqu'il y est déjà inscrit — qu'il soit francophone ou anglophone. Vous dites que cela serait pour tous les enfants déjà inscrits au secteur anglophone. Donc pour une quinzaine d'années, au moins jusqu'à la fin de son appartenance au secteur public dans l'éducation, vous suggérez que l'école anglaise soit limitée, proportionnellement à la population sur les territoires, à celui qui est de langue maternelle anglaise ou à celui qui est déjà inscrit dans le système.

Par la suite, lorsque celui qui est déjà inscrit aura terminé ses études, il ne devrait y avoir qu'un secteur francophone. Est-ce que j'ai bien compris?

M. BERUBE: C'est exactement cela. Les personnes qui ont commencé leur instruction, si on veut, dans notre système scolaire, doivent tout de même avoir la possibilité de la

terminer dans une langue sans tout chambarder dans leurs facultés d'apprentissage en cours de route. On croit, l'école étant un processus d'apprentissage, que si au milieu de ce processus on modifie toutes les données, cela va causer un préjudice à l'enfant. On ne croit donc pas qu'il devrait changer brusquement.

M. CHARRON: D'accord. Cela veut dire, par exemple, à partir de l'année prochaine, qu'il n'y aurait plus de maternelle anglaise et qu'à partir de l'autre année après, il n'y aurait plus ni maternelle, ni première année anglaise. Finalement, ceux qui sont dans le système actuellement seraient toujours les derniers et ce, jusqu'à la fin de leur secondaire, j'imagine?

M. BERUBE: Pour répondre à votre question que nous avons discutée peut-être assez longuement, ce serait un processus qui pourrait être suivi. On a discuté assez longuement pour savoir si on devait accorder ce privilège, par exemple, aux enfants qui seraient nés de couples actuellement anglophones, qui étudient dans le secteur anglophone, qui seraient actuellement mariés. C'est pour cela que, ne pouvant pas s'entendre pour déterminer jusqu'à quel point les privilèges devaient être protégés, on a cru bon d'indiquer une certaine période. Ce n'est pas notre intention d'essayer de vous indiquer comment écrire une loi. On ne peut pas l'écrire, nous autres, parce qu'on n'est pas élu pour cela et qu'on n'a pas les mécanismes que vous pouvez avoir pour écrire des lois.

C'est pour cela qu'on a jugé bon d'indiquer une période de 25 ans, de proposer que, d'ici 25 ans, graduellement, le système anglophone disparaisse du domaine public. Je crois qu'avec 25 ans on couvre l'enfant actuellement né à aller jusqu'au niveau universitaire.

M. CHARRON: Vous couvrez même, si je comprends bien, ceux qui ne sont pas encore à l'école. Parce qu'il y a un point qu'il faut soulever et qui s'appelle dans une formule assez pompeuse "l'homogénéité culturelle des familles". Si, actuellement, une famille qui compte quatre enfants, par exemple, en a deux déjà inscrits à l'école élémentaire anglaise, parce que c'est son droit, vous lui conservez, dans l'article 49, ce droit de compléter ses études en langue anglaise; mais les deux derniers, de trois ans et un an, par exemple, ne pourront plus, eux, entrer à la maternelle anglaise et suivre leur grand frère ou leur grande soeur dans la même culture, puisque ceux qui ne sont pas déjà inscrits devront aller à l'école française.

Vous ne considérez pas que ce genre de partage peut causer, à une occasion, plus de préjudice aux familles et que c'est vraiment s'insérer dans la vie des familles où, tôt ou tard, on aura deux enfants qui auront fait leurs études complètement en anglais, puisque vous le leur permettez, et les deux autres qui les auront faites uniquement en français?

MME BEAULIEU: On peut toujours aussi établir des aménagements pratiques dont on a déjà entendu parler...

M. BERUBE: On n'a pas parlé de la disparition, telle que vous le formuliez tout à l'heure, de la maternelle l'an prochain et de la première année dans deux ans. On parle d'une intégration sur, une période de 25 ans. Cela pourrait peut-être être 20 ans, cela pourrait peut-être être 30. On essaie de vous indiquer simplement une aspiration et non pas une base rigide sur laquelle vous devez écrire une loi.

M. CHARRON: C'est le principe, c'est un principe.

M. BERUBE: D'accord, c'est le principe.

M. CHARRON: Egalement, ce qu'il y a de clair comme principe, c'est que l'école anglaise n'est réservée qu'aux anglophones et à ceux qui sont déjà inscrits, comme vous le dites. Très clairement, vous affirmez le principe que nous ne devons plus, par aucune mesure, assortie d'aucune condition, favoriser le transfert de francophones à l'école anglaise?

M. BERUBE: On a été aussi loin que vous le dites, que l'école anglaise est simplement réservée aux anglophones. Les anglophones, n'ayant pas d'enfants inscrits aujourd'hui, actuellement, devraient les inscrire au système francophone à compter de l'an prochain.

M. CHARRON: Ceux qui n'en ont pas déjà d'inscrits?

M. BERUBE: On prévoit des mécanismes de transfert pour ceux qui ont actuellement des enfants, mais ceux qui ne sont pas mariés ou qui n'ont pas d'enfants actuellement, qui auraient des enfants, par exemple, dans cinq ans, devraient les inscrire à l'école francophone et non pas à l'école anglophone.

M. CHARRON: D'accord. J'aimerais maintenant...

M. BERUBE: Ce qu'on veut définir, c'est un mécanisme de transfert, si on veut, pour arriver à l'école française unique, sans provoquer de heurt, tout de même, dans les familles anglophones.

M. CHARRON: Quand je lis votre article 48 et, encore une fois, dans le principe qu'il veut affirmer plutôt que dans la lettre et dans la mesure pratique qui doit l'accompagner, quand je lis le dernier paragraphe où vous dites que

"les commissions scolaires régionales et les corporations de syndics doivent aussi prévoir toutes les mesures appropriées pour permettre aux minorités de développer leur culture dans leur propre langue et de la diffuser adéquatement, en accord avec des politiques de subventions mises en oeuvre par d'autres ministères et tenant compte de la répartition des effectifs de population des minorités entre elles et par rapport à la majorité", ce principe, qui est affirmé là, c'est celui, entre autres — est-ce que je m'abuse? — de l'unification des commissions scolaires. Vous voudriez que la même commission scolaire, qui a charge d'organiser l'enseignement dans la langue officielle du Québec sur son territoire, soit aussi celle qui est responsable d'organiser et de prévoir — comme vous dites — toutes les mesures appropriées pour permettre aux minorités de développer leur culture.

M. BERUBE: On ne peut pas vous dire qu'on a prévu cela. On n'a pas essayé de prévoir, dans les moindres détails, ce que pourrait être la loi. Disons que l'enseignement en langue française est prévu dans le premier paragraphe de l'article 48. Le dernier paragraphe de l'article, c'est-à-dire le troisième paragraphe de l'article 48 fait une obligation au ministère des Affaires culturelles de développer les cultures tant grecque que chinoise, de permettre le développement des cultures tant grecque que chinoise qu'anglophone qui existent et qui apportent... qui contribuent, si on veut, à notre apport culturel global de la province de Québec.

M. CHARRON: Maintenant...

M. BERUBE: On ne veut pas faire disparaf-tre les cultures. On préconise même le développement des différentes cultures à l'intérieur de secteurs. On sait, par exemple, que, pour une ville comme Montréal, qui est divisée un peu en ghettos, il est impensable de faire vivre des quartiers d'une même nationalité sans avoir leur propre culture.

M. CHARRON: J'ai une dernière question, mais qui sera importante, je pense, pour la commission.

Lorsqu'il y a eu ce débat auquel vous avez participé, en particulier à l'école Présentation de Marie, à Laval, à certaines occasions, l'Opposition officielle a soulevé des questions en Chambre qui tentaient d'apporter de l'aide à la lutte que les parents de Présentation de Marie menaient.

A une des occasions où j'ai posé des questions personnellement au ministre de l'Education, et où je faisais allusion à la loi 63, le ministre m'avait répliqué qu'il ne s'agissait là-bas que d'un problème administratif d'aménagement de locaux scolaires et que j'avais tort de soulever la présence de la loi 63 qui couvait sous le conflit.

De même, lorsque les commissaires de Cho-medey de Laval sont venus à cette commission, le député de Saint-Jean avait questionné M. Décarie pour lui demander de réfuter les allusions que je faisais, à l'occasion, suivant lesquelles le conflit de Laval avait, dans son origine, la Loi pour promouvoir l'enseignement du français, comme elle s'appelait hypocritement, c'est-à-dire la loi 63.

J'aimerais aujourd'hui, au moment où nous avons des représentants de ce comité d'école Présentation de Marie, que vous nous disiez si, oui ou non, à la base de votre action et de la contestation que vous avez menée jusque dans la salle de la commission scolaire, et je dois dire, de la victoire que vous avez obtenue sur plusieurs points... Est-il exact de dire qu'il y avait, à l'origine ou comme partie intégrante de ce conflit, cette loi et cette disposition du libre choix que contenait la loi 63?

M. BERUBE: Répondre à une question aussi complexe prendrait un exposé extrêmement long.

La loi 63 qui est en vigueur a sensibilisé des parents au droit qu'ils avaient du choix. Une plus grande majorité en a profité pour changer de secteur. On a aussi, dans le cas de l'école qui nous concernait, 'un fort transfert à l'école privée qui a amené, à l'heure actuelle, contrairement à ce que vous disiez tout à l'heure, non pas une victoire, parce que notre contestation se faisait d'abord sur un développement de la pédagogie... Malheureusement, notre école Présentation de Marie est fermée pour septembre 1974.

M. CLOUTIER: Je ne peux pas intervenir, M. le Président?

M. CHARRON: Certainement.

M. CLOUTIER: Vous dites qu'il y a eu un très fort transfert au secteur privé. J'ai cru comprendre par les explications des commissaires que ce transfert était même plus important que le transfert au secteur anglophone. Est-ce exact?

MME BEAULIEU: C'est tout à fait exact. Il y a trois facteurs qui ont fait qu'on a eu ce problème à Laval. Il y a eu la dénatalité, les transfuges du secteur français au secteur anglais, et de plus, le glissement vers l'école privée.

M. CLOUTIER: II n'y avait pas de transfuges à ce moment.

MME BEAULIEU: Je parle...

M. CLOUTIER: Je vous taquine un peu. Vous parlez de transfuges quand ils passent du secteur francophone au...

MME BEAULIEU: C'est cela. Et le glissement vers le secteur privé.

M. CLOUTIER: ... et vous parlez de glissement lorsqu'ils transfèrent du secteur public au secteur privé. Vous ne songez quand même pas à interdire le système privé pour garder vos élèves dans le secteur public?

MME BEAULIEU: Non. Mais on avait présenté des solutions, comme M. Bérubé disait, avec vraiment une qualité pédagogique dans notre école et malheureusement, on nous dit que ce n'est pas possible. Alors, on nous a laissés tomber.

M. CLOUTIER: Merci.

LE PRESIDENT (M. Pilote): Le chef de l'Opposition officielle.

M. MORIN: J'aimerais revenir très brièvement sur le projet d'article 51 qui se trouve dans votre document. Vous nous dites que les organismes chargés de l'éducation ont l'obligation d'organiser l'apprentissage ou le perfectionnement de l'usage de la langue française à tous les adultes non francophones vivant présentement au Québec.

Je me demandais si cette disposition était vraiment nécessaire dans la mesure où le français devient la langue de la vie, la langue de tous les jours. C'est bien la perspective dans laquelle vous vous placez, n'est-ce pas?

M. BERUBE: Oui.

M. MORIN: Est-ce que cette disposition est essentielle ou est-ce tout simplement que vous avez voulu mettre à la disposition des adultes un service public qui faciliterait leur intégration à la société québécoise?

M. BERUBE: On croit qu'il faudrait mettre aussi un service public à la disposition des immigrants qui viennent d'autres pays ou des arrivants qui viennent d'autres provinces pour leur permettre de pouvoir s'intégrer rapidement à notre système. De plus, on croit que, si l'article n'est pas dans la loi, la liberté sera laissée aux commissions scolaires ou à quelqu'un quelque part qu'on ne connaît pas, de prévoir les mécanismes d'intégration et si cette chose n'est pas dans la loi, à mon sens, ces mécanismes ne se développeront pas.

M. MORIN: Oui, quoique si la vie devient vraiment française, on peut s'attendre qu'il y ait une pression considérable s'exerçant sur tous les adultes non francophones, les amenant assez rapidement à apprendre le français pour pouvoir être efficaces dans ce nouveau contexte socio-économique. On peut donc s'attendre à voir, comme on l'a vu en 1963 jusqu'en 1965, proliférer les écoles de langues privées et j'imagine que cela serait une solution que de laisser cela au secteur privé, que de laisser les adultes aller apprendre le français, s'ils en ressentent le besoin, dans tous les Berlitz qu'on peut imaginer. J'essaie de comprendre pourquoi vous avez cru essentiel d'inscrire un tel service public dans votre projet.

M. BERUBE: Afin d'activer l'intégration. L'anglophone, par exemple, qui accepterait cette loi, qui voudrait s'y intégrer le plus rapidement possible, chercherait un service quelconque, un mécanisme quelconque pour s'intégrer.

S'il n'y en a aucun de prévu, à ce moment, cela retardera son intégration de 15 ou 20 ans possiblement, ou peut-être qu'il ne s'intégrera jamais, alors que si on lui fournit des mécanismes d'intégration, à ce moment, cela facilitera d'autant la chose.

M. MORIN: Alors, cela pourrait prendre la forme de cours du soir, par exemple...

M. BERUBE: Oui.

M. MORIN: ... comme on en voit dans certains CEGEP ou dans certaines écoles secondaires? C'est cela que vous voulez dire?

M. BERUBE: Oui. M. MORIN: Merci.

LE PRESIDENT (M. Pilote): Le député de Mille-Iles.

M. LACHANCE: Je voudrais remercier les représentants des comités de parents d'école, de la Présentation de Marie. Ce mémoire at-t-il été préparé par le Comité d'école de la Présentation de Marie?

M. BERUBE: Cela a été préparé...

M. LACHANCE: Ou par tous les comités d'école qui sont inscrits ici sur la liste?

M. BERUBE: C'est-à-dire par des représentants de tous ces comités. Disons que les comités d'école énumérés, suite à une action qu'ils ont eue à mener auprès de la commission scolaire, avaient formé ce qu'on appelait les comités interécoles. Au lieu de passer par le comité de parents qui était un mécanisme peut-être un peu trop lourd, on s'est formé un comité des représentants de chaque comité d'école pour arriver à rédiger un mémoire.

M. LACHANCE: Rédiger ce mémoire? M. BERUBE: Ce mémoire-là?

M. LACHANCE: Est-ce qu'il y a eu une assemblée générale du comité d'école des parents dans chacun de ce comités d'école?

M. BERUBE: Assurément, l'assemblée des

parents a eu lieu après la soumission de ce mémoire. Le mémoire est sorti le 8 juin, a été imprimé le 8 juin. La Loi des comités d'écoles prévoyait les réunions générales en mai. La plupart des comités d'école ont fait parvenir à leurs parents ce mémoire, mais ce mémoire n'a pas reçu l'approbation de toute la population qui est couverte par ces cinq écoles, qui est d'environ 2,000 ou 2,500.

M. LACHANCE: En somme, il n'y a pas eu d'assemblée générale pour faire approuver ce mémoire par les parents?

M. BERUBE: Non. Ce mémoire a été approuvé par les comités nommés par les parents.

M. LACHANCE: C'est seulement l'exécutif des représentants de chaque école qui a approuvé cela?

M. BERUBE: Exactement.

M. LACHANCE: J'en viens à votre mémoire ici. Dans votre article 48 que vous proposez, quatrième chapitre, vous dites: L'Etat a l'obligation de permettre aux Indiens et aux Esquimaux, premiers occupants du territoire, de développer leur langue propre comme langue première et de veiller à ce que langue française leur permette de se développer et de diffuser leur culture au sein de la majorité francophone. J'aimerais bien que vous m'expliquiez, parce que, quand je lis le texte, c'est que les Esquimaux et les Indiens apprennent leur langue et, comme langue seconde, le français. Cela va leur permettre de développer et de diffuser leur culture indienne ou esquimaude aux francophones. C'est cela? En somme, si on lit cela, cela veut dire cela?

M. BERUBE: C'est cela, c'est oui. C'est de participer, si on veut, à la culture globale québécoise tout en ayant ce droit dans leur... Disons que l'article comme tel, au moment où on l'a rédigé, on s'est posé bien des questions, à savoir pourquoi on reconnaît, dans l'actuel projet de loi 22, l'anglais et le français et on ne reconnaît pas, par exemple, l'italien, alors qu'il y a beaucoup plus d'Italiens qu'il peut y avoir d'Esquimaux. On s'est posé la question: Est-ce qu'il y avait une relation entre le fédéral et le provincial? Est-ce qu'il y avait des obligations à respecter? C'est pour cela que, vu le manque d'information, on a cru — c'est-à-dire, vu le manque, c'est partagé là-dessus — qu'il valait mieux l'inscrire là, le répéter là, car on ne trouvait pas la façon de le corriger et on ne connaissait pas toutes les lois qui impliquaient les Esquimaux, les Indiens.

M. LACHANCE: Dans votre esprit, est-ce que les Anglais et les Italiens et tous les autres groupes ethniques pourraient faire la même chose? Parce que là vous mentionnez spécifi- quement les Indiens et les Esquimaux. Vous ne faites pas mention des Anglais.

M. BERUBE: Non. Seulement ces groupes.

MME BEAULIEU: Si vous remarquez, c'est écrit: premiers occupants.

M. LACHANCE: Je sais que ce sont les premiers occupants, je suis bien d'accord. Vous voulez poser une question?

M. VEILLEUX: Oui, j'aurais une question à poser sur l'article 49. Lorsque vous mentionnez à la troisième ligne à erratum, en annexe: "... sur une période permettant à tous les enfants déjà inscrits..." est-ce que dans votre esprit les francophones qui ont fait un choix jusqu'à aujourd'hui de passer dans le secteur anglophone pourraient garder le privilège de demeurer dans le secteur anglophone? Quand vous mentionnez "à tous les enfants déjà inscrits".

M. BERUBE: Oui.

M. VEILLEUX: Est-ce que dans votre esprit ceux qui sont déjà inscrits, de parents francophones qui ont fait un choix soit l'an passé ou en 1969 ou avant 1969, ces enfants garderaient le privilège d'être dans le secteur anglophone?

M. BERUBE: Oui. C'est le choix que les parents ont fait à ce moment-là. L'enfant a, dans son processus d'apprentissage, déjà commencé une chose, il faut lui laisser finir cette chose.

M. VEILLEUX: Pour les mêmes raisons que mentionnait tout à l'heure le député de Saint-Jacques, lorsqu'il parlait des anglophones qui n'étaient pas encore nés, mais qui avaient des frères ou des soeurs qui étaient dans le secteur anglophone depuis un certain temps, il vous posait la question: Est-ce que vous laisseriez à l'enfant, au frère de trois ans ou d'un an, lorsque arrivera le temps de fréquenter l'école, le privilège d'aller dans le secteur anglophone? Vous avez répondu oui, pour des raisons d'ordre familial et psychologique chez l'enfant, etc. Est-ce que cela irait pour les frères et les soeurs qui ne fréquentent pas déjà l'école de francophones plus âgés, qui fréquentent ou qui sont déjà inscrits à l'école anglophone?

M. BERUBE: Disons que c'est une chose que nous n'avons pas étudiée, à laquelle nous n'avons pas pensé. Il faudrait peut-être voir le côté psychologique et pédagogique de la chose. Je comprendrais difficilement qu'un Québec qui devient français, même si on a les plus vieux d'une famille qui ont été instruits en secteur anglophone, on soit obligé de placer les plus jeunes dans le secteur anglophone.

M. VEILLEUX: D'accord.

M. BERUBE: A mon sens, il y aurait peut-être un mécanisme plus valable pour l'apprentissage de l'anglais, pour ces enfants.

M. VEILLEUX: D'accord, merci.

M. LACHANCE: A votre article 50, vous dites: A partir de l'entrée en vigueur.de la loi... Est-ce qu'on doit comprendre que vous assimilez les résidants provenant des autres provinces canadiennes à des immigrants, puisque vous entendez les soumettre au même traitement? C'est à la page 3 de votre article 50.

M. BERUBE: Oui. C'est pour cela qu'on a mentionné à un moment donné, si je ne me trompe pas, que les arrivants...

M. LACHANCE: Là je vous parle de Canadiens.

M. BERUBE: Oui, des Canadiens qui viennent d'autres provinces.

M. LACHANCE: Vous les soumettez au même traitement. Cela veut dire que vous les envoyez dans le secteur francophone.

M. BERUBE: Oui. On les envoie dans le secteur francophone, mais seul le secteur francophone existerait.

M. LACHANCE: II y en a seulement un à ce moment. Ce sont toutes les questions que j'avais à vous poser.

LE PRESIDENT (M. Pilote): Est-ce qu'il y en a d'autres qui ont des questions?

M. VEILLEUX: Je voudrais développer l'idée du député de Mille-Iles. En attendant que le réseau anglophone disparaisse, parce que vous lui laissez quand même un certain temps, est-ce que vous permettriez à ces citoyens canadiens d'autres provinces qui viennent, non pas pour demeurer tout le temps au Québec, mais parce que le travail de leur père leur demande d'aller à un siège social à Montréal pendant trois ou quatre ans, compte tenu que le réseau anglophone existe encore pendant un certain temps, pendant l'existence de ce réseau anglophone, la permission de fréquenter l'école anglaise?

M. BERUBE: Ce sont des modalités d'application sur lesquelles on pourrait discuter. J'ai l'impression qu'on pourrait peut-être leur donner cette faculté pour une période de 25 ans, mais cela serait leur donner un avantage, alors qu'à l'heure actuelle, si un Québécois s'en va au siège social d'une société de New York, il va à l'école anglaise du quartier.

M. VEILLEUX: Vous me donnez cette réponse pour ni plus ni moins leur donner un avertissement qu'éventuellement cela va arriver, cela va disparaître. Vous n'aurez plus ce privilège.

Au lieu de faire une cassure, dans votre esprit, on pourrait à la rigueur, leur permettre de fréquenter ce réseau, pour autant qu'ils ne viennent pas résider...

M. BERUBE: Au Québec.

M. VEILLEUX: ... au Québec, tout le temps. Merci.

LE PRESIDENT (M. Pilote): Le chef de l'Opposition officielle.

M. MORIN: J'aimerais revenir avec une courte question, si M. le Président me le permet. Est-ce que vous êtes au courant d'un sondage qui a été effectué en mars dernier, au mois de mars 1974, pour autant que je puisse les avoir, auprès de 2,500 familles de Laval, c'est-à-dire les parents de cinq écoles primaires et d'une école secondaire. D'après ce sondage, ce sont des chiffres qui pourraient avoir quelque importance pour votre représentativité. D'après ce sondage, 97 p.c. des gens consultés s'étaient prononcés en faveur de l'école française. Est-ce que vous connaissiez ce sondage et est-ce que vous pourriez nous apporter quelques précisions là-dessus?

M. BERUBE: Le sondage a été organisé par nous, à peu près les écoles représentées au projet qu'on vous soumet actuellement. Il y en avait une de plus à ce moment-là, une école primaire. C'est le comité interécoles qui, à ce moment-là, a organisé le sondage sur une population qu'on peut difficilement évaluer en parents-élèves, du fait que souvent il y a deux ou trois enfants qui étaient couverts par le secteur du primaire à aller jusqu'au dernier cycle du secondaire, mais on évalue environ la population couverte à ce moment-là, à 2,000 ou 2,300 personnes. Le sondage a donné environ 1,600 réponses, si ma mémoire est bonne, qui représentaient environ 70 p.c. de la population du quartier, de cinq écoles primaires et une école secondaire; 70 p.c. ont répondu et 97 p.c. des répondants se sont prononcés pour que soit gardée francophone l'école Présentation de Marie.

M. MORIN: C'était un sondage qui portait donc sur l'école Présentation de Marie en particulier.

M. BERUBE: En particulier.

M. MORIN: Ce n'était pas sur le principe de l'école française.

M. BERUBE: Non.

M. MORIN: Sur ce cas-là.

M. BERUBE: Non, c'était sur l'école Présentation de Marie, à ce moment-là.

M. MORIN: Bon, très bien, je vous remercie.

LE PRESIDENT (M. Pilote): Je vous remercie. D'autres questions? Je vous remercie, Mme Beaulieu, M. et Mme Bérubé de votre mémoire. Soyez assurés que la commission va prendre bonne note de vos recommandations.

Avant de suspendre nos travaux, je voudrais mentionner les organismes que nous entendrons cet après-midi.

Dans l'ordre: Produits White Star, Limitée, le Regroupement régional de la capitale québécoise, le Comité des citoyens de Saint-Laurent et le Conseil du travail de Joliette.

M. CLOUTIER: M. le Président, le chef de l'Opposition a soulevé un petit problème concernant la présentation du mémoire du Syndicat des travailleurs de l'enseignement du Nord-Ouest québécois. Ce problème est venu à son attention parce qu'il a reçu, je viens de le vérifier, copie d'une lettre que ce syndicat envoyait au secrétariat des commissions pour protester sur le fait que leur mémoire n'avait pas été retenu. Dans cette lettre, le syndicat expose son point de vue. Il ne connaissait pas la commission et ne pouvait pas connaître la commission. Le mémoire a été mis à la poste le 10 et il a été reçu le 12. Comme il a été reçu le 12, un des employés de la commission l'a tout simplement mis de côté.

Dès la présentation de cette lettre, avec l'efficacité qui caractérise le secrétariat des commissions depuis le début de cette étude, la situation a été corrigée et une lettre du 27, dont le chef de l'Opposition n'a pas reçu copie, parce que le syndicat n'a pas jugé à propos de le faire... Je crois qu'en fait il n'y avait pas de raison pour qu'ils préviennent le chef de l'Opposition...

M. MORIN: Elle n'a peut-être pas été reçue encore ou elle a peut-être été reçue après...

M. CLOUTIER: Cette lettre...

M. MORIN: ... que j'eus été saisi du problème.

M. CLOUTIER: Cette lettre du 27 régularise la situation et se lit de la façon suivante: Monsieur, nous accusons réception de votre mémoire. Tel que convenu, nous ferons parvenir à chacun des membres de la commission copie de votre mémoire. Cependant, il nous est impossible pour le moment de vous indiquer les dates précises des auditions, etc.

Cela signifie que ce groupe a été remis sur la liste.

M. MORIN: Je remercie le ministre.

LE PRESIDENT (M. Pilote): La commission suspend ses travaux à cet après-midi, après la période des questions, vers 4 heures.

(Suspension de la séance à 11 h 56)

Reprise de la séance à 16 h 10

M. LAMONTAGNE (président de la commission permanente de l'éducation, des affaires culturelles et des communications): A l'ordre, messieurs!

Au début de cette deuxième séance de la journée, je voudrais mentionner les organismes qui seront entendus pour le reste de la journée : Les Produits White Star du Canada Ltée, le Regroupement régional de la capitale québécoise, le Comité des citoyens de Saint-Laurent et le Conseil du travail de Joliette. Nous entendrons maintenant les Produits White Star du Canada Ltée et leur représentant.

Produits White Star

M. WHITE: M. le Président, on m'appelle anglophone. Cependant, j'ai décidé de vous présenter mon mémoire en français. Vous remarquerez probablement certaines imprécisions...

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Est-ce que vous êtes le président des Produits White Star Ltée? Est-ce que vous voulez mentionner votre nom pour le bénéfice du journal des Débats et les membres de la commission?

M. WHITE: Mon nom est William E. White. Je suis le président de Canadian White Star Products Ltd. et des Produits White Star du Canada Ltée, dont la charte contient deux noms, un en français et un en anglais. Est-ce que je continue, M. le Président?

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Parfait.

M. WHITE: Vous remarquerez probablement certaines imprécisions de prononciation et certains moments d'hésitation. Dans de tels cas, je suis convaincu que votre commission si distinguée fera preuve de bienveillance à mon endroit.

Par contre, si je réponds en anglais à certaines questions, ce sera pour m'exprimer le plus clairement que je le peux et, dans de tels cas, je suis convaincu que je peux compter sur votre compréhension.

A mon avis, le problème le plus difficile et le plus sérieux que le gouvernement doit affronter en ce moment, je crois, est sans doute la question de la langue. Je crois qu'il doit trouver la solution qui donnera satisfaction à l'élément français, sans détourner les investissements qui sont nécessaires à la province. Je suis convaincu que ceci est le but du bill 22, mais, dans sa forme présente, je suis d'opinion qu'il repousse ces investissements.

Je me présente comme un industriel québécois ayant à son service environ 100 employés avec la possibilité d'augmenter ce nombre à 400 dans cinq ans. Je vous offre mes observations du point de vue qu'il serait attrayant de

continuer une industrie dont la base est au Québec dans le contexte d'une seule langue officielle.

Au premier abord, je vais spécifier que je suis d'origine française et anglaise, étant donné que ma mère est canadienne-française et que mon père était immigrant de l'Ecosse. Ce qui fait que nous sommes une famille bilingue. Ce n'est pas mon intention d'être le défenseur de la langue française ou le défenseur de la langue anglaise.

Je crois que, pour le progrès de l'homme, la langue est un instrument essentiel pour de bonnes communications. D'après moi, le gouvernement au pouvoir, depuis le gouvernement Lesage et les manoeuvres provocatrices de l'ancien ministre de l'Education, M. Cardinal, a aidé à promouvoir un courant profond de mécontentement parmi les Québécois.

L'indifférence des gouvernements à l'égard des professeurs enseignant la haine entre les anglophones et les francophones, je crois, était honteuse. C'est ce qui, d'après moi, est la cause majeure qui a forcé le gouvernement à légiférer sur la langue. C'est une situation très regrettable.

Le progrès du Québec dépend de l'évolution de son économie. La force de ses industries est essentielle à son évolution.

A moins qu'une société québécoise vende ses produits dans d'autres provinces et d'autres pays, cela ne sera pas suffisant pour créer d'autres emplois et plus d'argent pour les Québécois.

A mon avis, c'est une insulte à un bon administrateur que de faire des lois pour promouvoir un homme à un poste de gérance à cause de sa langue au lieu de sa compétence.

Dans ma société, le président et son directeur adjoint sont étiquetés anglophones. Le contrôleur est italien. Le directeur des ventes, la secrétaire-trésorière, le directeur de production, le directeur des ventes techniques sont tous canadiens-français. Nous sommes tous bilingues.

Toutes les directives pour les employés sont émises dans les deux langues. Nous cherchons présentement un directeur d'exportation qui sera choisi pour ses connaissances, non pas pour l'origine de sa langue, ou sa couleur ou sa religion. Cela serait une injustice de donner des cadeaux de toutes sortes à nos concurrents qui n'ont pas su être assez sages pour créer une organisation bilingue.

La concurrence mesure le succès, pas les règlements gouvernementaux préjudiciables qui ne sont pas définis dans le bill 22. Comme il est écrit présentement, outre les pouvoirs discrétionnaires qui sont donnés à des fonctionnaires avec qui plusieurs sociétés québécoises ne partagent pas le même excessif zèle nationaliste.

Pour ces raisons, je recommanderais que les articles 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 45 et 47 soient retirés pour de plus amples études, car ils entravent présentement la libre marche des affaires d'une société qui doit être guidée principalement par les conditions du marché existant.

Messieurs, je vous demande de vous mettre à la place d'une importante société américaine ou européenne voulant s'établir au Canada pour donner plus de services au marché canadien.

Voici donc les principales conditions qu'une grande société recherche: Un pouvoir à bon marché pour fabriquer leurs produits; un personnel efficace et abondant; un système scolaire bien établi pour leurs familles ainsi que celles de leurs employés et une atmosphère harmonieuse et heureuse; un système de transport économique et efficace pour leurs produits; un avenir équilibré qui peut leur être donné par un gouvernement qui peut promouvoir avec succès et équilibre l'administration de sa province.

A mon avis, le Québec peut satisfaire à toutes ces exigences. En rapport avec ceci, j'attache une copie d'une lettre écrite à l'honorable Bourassa le 22 mai, expédiée tout juste avant l'annonce publique du bill 22, qui est explicite. Je lis cette lettre :

Dear Mr Bourassa:

II felt that you would like to be informed of a situation which, due to the present uncertainty of language rights, has developed with our company.

I am, because of the present language issue, delayed in my dealings with a foreign (USA) company ; merger plans are well advanced which, worth a successful conclusion, would add approximately two hundred more jobs to our factory in this province.

Three management executives would be required to transfer from the USA company to Montreal. While I must impress upon you, Mr Premier, that in my dealings with these people, there is a healthy desire to enrich themselves culturally by living amongst the French Canadiens and learning their language, it is my impression that they do not wish to pay the price of uncertainty for the Anglophone's freedom of living here unless they feel that they have equal rights to those enjoyed by the French Canadiens in Quebec. Negotiations are now stopped pending a clearly defined position on the language rights of the individual in the province of Québec.

I sincerely hope that, in the interim, my company does not lose this deal to an Ontario manufacturer where this threat to the Anglophone is non existant.

I ask you in all sincerity, Mr Premier, why cannot the Anglophone and Francophone co-exist peacefully through a Quebec Bill of Human Rights to include equal protection for both French and English. Both languages would flourish in the interest of all Quebecers.

Can you not settle this matter once and for all by legislating such a Bill of Human Rights in the interest of all the people of Quebec?

I sincerely hope, Mr Premier, that in your meditation on this critical question you and your colleagues will receive the inspiration

necessary to find the formula which will be beneficial to all Quebecers and to the healthy evolution of the economy of our province.

J'attire votre attention à l'article 118 qui supprime le bill 63. A mon avis, c'est une immense erreur. La liberté donnée aux parents pour choisir la langue d'instruction de leurs enfants est un grand avantage que le Québec donne à son peuple. Elle devrait être protégée pour tout le monde, y compris les immigrants qui sont également des parents.

Si, il y a quinze ans, l'enseignement du français dans les écoles anglaises et l'enseignement de l'anglais dans les écoles françaises avaient été adéquats et obligatoires et si un effort sincère avait été donné par les professeurs pour garantir des étudiants québécois versés dans les deux langues, sans que ces mêmes professeurs se fassent complices pour bâtir une langue en détruisant l'autre, la province de Québec serait aujourd'hui la plus agréable, la plus pacifique, la plus riche au point de vue culturel et industriel et la plus équilibrée des provinces du Canada.

Pour ces raisons, je recommande que l'esprit du bill 63 soit conservé et que les articles 48 à 51 du bill 22 soient retirés pour une étude plus approfondie. Etant donné que l'article 52 est idéal pour permettre à l'Anglais de devenir versé dans la langue française, je recommande qu'un autre article soit ajouté pour que le Français devienne versé dans la langue anglaise; autrement, je crois qu'il y aurait injustice pour le Français.

La question me semblerait: Est-ce que le gouvernement peut ou ne peut pas exiger que, je présume, les syndicats d'enseignants suivent ces directives qui, selon moi, n'ont pas été suivies durant les dernières années? Je crois même que je pourrais suggérer une formule pour diminuer cette domination absolue. Cependant, il ne serait pas sage d'en parler publiquement tant que la formule ne sera pas prête à être appliquée.

Présentement, le bill 22 dit: Ce projet proclame le français langue officielle du Québec. Je crois que ceci devrait être changé dans l'intérêt de l'économie du Québec et de l'harmonie pour dire: Ce projet proclame le français langue nationale et le français et l'anglais langues officielles du Québec. Ceci permettrait de continuer le progrès déjà accompli au Canada qui nous permet de constater que le français est, de plus en plus, universellement accepté, surtout depuis que le projet de loi voté par le Parlement du Canada a proclamé le français et l'anglais langues officielles. Je crois que proclamer le français la seule langue officielle du Québec détruit ce que le gouvernement fédéral a réalisé dans l'intérêt de la langue française avec le projet de loi sur les langues officielles.

A mon avis, ce n'est pas dans l'intérêt de la nation canadienne, ni dans l'intérêt des affaires et de l'industrie québécoises, de refuser une position officielle en anglais.

Un homme d'affaires, qui a la responsabilité de diriger l'administration d'une société et de diriger son progrès profitablement, doit constamment voir à l'avenir. Il doit revoir périodiquement les statistiques et, souvent, ses décisions sont prises à cause de son impulsion naturelle qui est marquée par ses expériences passées. En prenant en considération le bill 22, comme il est écrit présentement, lorsque je regarde l'avenir, mon impulsion naturelle me dicte des développements possibles comme suit: un bloc français d'un côté et un bloc anglais de l'autre, ce qui n'est pas favorable à l'harmonie.

Ségrétation des immigrants. Ségrégation de toute personne ou de toute chose qui n'est pas française au Québec par des indiscrétions bureaucratiques au cas où ces pouvoirs discrétionnaires pourraient tomber dans les mains de personnes de mauvaise foi. La dissension grandissante au Québec pourra très bien conduire à la formation d'un nouveau groupe politique qui pourra être la réunion de trois forces: le nombre croissant de membres de l'Assemblée nationale du Parti libéral, dont quelques-uns sont déjà opposés publiquement au projet de loi 22, tel que présentement rédigé, et peut-être d'autres qui sont demeurés silencieux et qui sont sur le point de se prononcer; deuxièmement, la formation d'un Parti progressiste conservateur provincial; troisièmement, la reconstitution de l'Union Nationale dont le programme appuierait un système de deux langues officielles avec le français comme langue nationale et sans discrimination envers les immigrants.

Je me permets de dire que de telles forces combinées en un seul parti, à mon avis, pourraient peut-être sembler plus attrayantes pour la majorité des électeurs et vaincraient logiquement le gouvernement Bourassa aux prochaines élections, pour abroger le projet de loi 22 de la même manière que le projet de loi 22 annule présentement la loi 63. En regardant plus loin, il y a peut-être une autre possibilité.

Comme chacun sait que le nombre d'anglophones de la ville de Québec a diminué de 30 p.c. et à moins de 5 p.c. de 1900 à 1974. Comme chacun sait également que l'importance économique et financière de la ville de Montréal s'est déplacée de Montréal vers Toronto, il semblerait que le Montréal bilingue a besoin de l'aide de Québec, sans quoi une autre province du Canada devrait peut-être être créée.

On pourrait prédire que Montréal serait la capitale de la province de Québec et que la nouvelle province pourrait peut-être être appelée la province du français. Avec Québec comme capitale, les territoires de chacune des provinces ci-haut mentionnées seraient une division de la province de Québec actuelle et l'étendue de chaque province pourrait être déterminée par un référendum de notre population de 6 millions.

Une de ces provinces serait officiellement la province bilingue dans laquelle Anglais et Français prospéreraient librement et l'autre serait française et unilingue dans laquelle le français serait la loi de la province.

Même si je reconnais avoir quelque peu critiqué le projet de loi 22 tel que présentement rédigé, j'aimerais terminer en offrant ce qui, à mon avis, serait la solution, que le projet de loi 22, dans sa rédaction présente, soit retiré pour étude additionnelle et qu'il ne soit présenté à nouveau qu'après qu'un projet de loi québécois du droit de l'homme ait été discuté et légiféré, afin d'assurer que nous tous, dans la province de Québec, qui avons été créés égaux, soyons traités sur un pied d'égalité.

I think Mr Chairman, if I may be permitted the reflexion, that what is on trial here is not the preservation of the French language. I believe the French language has and will continue to progress throughout this country. In my view, what is on trial here is freedom. I think the province of Quebec has been put on trial by bill 22. My reaction has been and still is: Is there to be freedom or is there to be fear?

Is the National Assembly the master of the people or is it elected to serve the people? This is the very difficult choice that the National Assembly has to make for the people of Quebec.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Le ministre de l'Education.

M. CLOUTIER: M. le Président, je remercie le président du Canadian White Star Products Ltd. pour la présentation de son mémoire. J'aimerais tout d'abord obtenir un éclaircissement. Est-ce que vous parlez en votre nom propre, en tant qu'un membre de la communauté économique du Québec?

M. WHITE: Je parle au nom du président de la compagnie Canadian White Star Products Ltd. qui a fait son commentaire, tel que je l'ai mentionné dans mon mémoire, pour qu'il soit attrayant...

M. CLOUTIER: C'est cela.

M. WHITE: ... pour une société de faire affaires dans le contexte d'une loi sur la langue officielle.

M. CLOUTIER: Est-ce que je comprends bien, lorsque je tire de votre mémoire la conclusion que vous préféreriez qu'il n'y ait pas de législation linguistique du tout? C'est-à-dire que la situation actuelle évolue à son mérite.

M. WHITE: Je ne veux pas vous donner l'impression qu'il n'y aurait pas de législation.

M. CLOUTIER: Je vous demande si vous souhaiteriez qu'il n'y en ait pas.

M. WHITE: Non, je souhaiterais qu'il y en ait...

M. CLOUTIER: Qu'il y en ait une.

M. WHITE: Qu'il y en ait une. Ma suggestion, qui engloberait ce projet de loi, est écrite dans la conclusion de mon mémoire.

M. CLOUTIER: C'est cela. Il s'agirait, dans votre esprit, d'une loi qui consacrerait un certain bilinguisme ou le bilinguisme au Québec?

M. WHITE: Tout en identifiant clairement que la province de Québec s'est enrichie culturellement en identifiant la langue française comme une langue nationale et les deux langues, comme langues officielles, ce qui découlerait de la loi qui a déjà été adoptée au Canada, où les deux langues, le français et l'anglais, sont déclarées langues officielles au niveau du gouvernement.

M. CLOUTIER: Vous auriez deux langues officielles et une langue nationale, mais est-ce que vous statueriez sur cette langue nationale? Est-ce que vous diriez exactement à quoi cela correspond ou si vous vous contenteriez d'une proclamation générale?

M. WHITE: C'est une question très difficile à répondre, parce que c'est à cette question que vous faites face dans le moment.

M. CLOUTIER: Ce que fait la loi 22, c'est de déterminer...

M. WHITE: C'est cela.

M. CLOUTIER: ... que le français est la langue officielle et, ensuite, c'est d'arriver avec toute une série de règles d'usage, qui donnent la priorité, la plus grande possible, au français, mais qui déterminent aussi la place de l'anglais, compte tenu des droits individuels que nous tenons à préserver.

Il y a donc une proclamation générale et il y a des règles d'usage. Vous, vous souhaiteriez une proclamation générale d'une autre nature, puisque vous voudriez que la proclamation générale consacre un statut au français et à l'anglais. Mais est-ce que vous auriez églement des règles d'usage pour donner un contenu à cette proclamation générale?

M. WHITE: Les règles d'usage, je crois, dérouleraient de l'évolution, que ce soit dans la famille, que ce soit dans l'éducation, que ce soit dans le monde des affaires.

Je crois que cela se déroulerait automatiquement et, pour illustrer ma réponse, je reviens à ma société. Je vois mal quelqu'un qui déterminerait la présence francophone dans ma société. La présence francophone dans une société pourrait être totalement différente de la présen-

ce francophone dans une autre société. Cela dépend de la situation de la société. Cela dépend du marché. Cela dépend de beaucoup de choses. Je crois qu'on ne peut pas mettre un règlement qui va s'appliquer dans toute société dans le domaine des affaires.

M. CLOUTIER: En tant qu'homme d'affaires, la loi 22 vous gêne beaucoup.

M. WHITE: En tant qu'homme d'affaires, franchement, la loi 22, à mon avis, met des restrictions quand il s'agit de permettre à une compagnie d'évoluer à sa façon. Il n'y a qu'un règlement qui mène une compagnie, c'est d'essayer de la faire prospérer, de la bâtir, de faire du profit et, en conséquence, de créer de l'emploi où elle est.

M. CLOUTIER: Parfait! Merci.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Le député de Saint-Jacques.

M. CHARRON: M. le Président, je veux également remercier M. White de son témoignage.

Avant d'entrer dans les détails des remarques que vous faites, je tiens à signaler qu'à peu près chacun des mémoires qui nous ont été transmis nous apporte une lumière tout à fait particulière sur le problème. Le vôtre en est un autre exemple cet après-midi.

Je ne vous surprendrai pas, M. White, si je vous dis que je suis à plusieurs milles de distance de vos positions, plusieurs années-lumière, si vous aimez mieux, mais j'ai quand même envie de commencer cet entretien avec vous en vous rendant, je pense, ce qu'on doit vous rendre cet après-midi, c'est-à-dire ce que vous nous faites remarquer dans le dernier paragraphe de votre mémoire.

Vous nous dites: "Le projet de loi 22, dans sa rédaction présente, doit être retiré pour une étude additionnelle". — Je vous dis là-dessus: Tous les groupes, à peu près, l'ont demandé — "et qu'il ne soit présenté à nouveau qu'après qu'un projet de loi québécois du droit de l'homme ait été discuté et légiféré, afin d'assurer que nous tous, dans la province de Québec, qui avons été créés égaux, soyons traités sur un pied d'égalité".

M. White, je tiens à vous faire remarquer que, là-dessus, je suis parfaitement d'accord avec vous, en ce sens que cette espèce d'équilibre et d'acrobatie que le ministre a essayé de faire et qui lui ont valu actuellement d'être condamné des deux côtés qu'il essayait de séduire en même temps tiennent peut-être au fait — je vais vous demander votre avis là-dessus — qu'on a essayé d'aborder un problème collectif en y insérant des droits individuels qui ne vont pas avec l'ensemble. La question linguistique est une question collective. Tellement de groupes nous l'ont rappelé. Tous les groupes francophones qui ont réclamé l'abolition du libre choix nous ont affirmé cette position à partir du principe que la langue est un bien collectif et que la qualité de la langue est un droit collectif.

S'il y avait effectivement une charte des droits de l'homme québécoise qui, elle, décrivait tous nos droits — anglophones comme francophones — au chapitre individuel, ce sur quoi l'Etat n'a pas affaire à empiéter, ce sur quoi il y a une protection légale, juridique, établie quant aux droits du citoyen, et qu'un autre projet de loi qui, lui, aborde une question collective, aborde l'ensemble de la question en parlant des droits collectifs de la majorité et des droits collectifs de la minorité, parce qu'il en existe également et qu'il faudrait les établir... Par exemple, établir clairement le droit... Si nous décisons que c'est le choix politique de la société québécoise, que nous reconnaissons un droit à leurs écoles, collectivement et non pas individuellement... Je pense que cette remarque que vous avez faite selon laquelle on a essayé de mettre la charrue devant les boeufs, si vous voulez, et d'introduire des droits individuels dans un domaine qui aborde une question collective mérite l'attention de la commission parlementaire et constitue probablement une explication — je dois dire — à cet étrange scénario auquel nous avons assisté depuis quatre semaines maintenant.

Scénario selon lequel deux groupes, deux blocs, pour reprendre les expressions de votre propre mémoire, sont venus s'affronter avec des positions diamétralement opposées quant au fond, mais qui coïncidaient largement quant au but, celui du retrait du projet de loi 22.

Tout de suite, peut-être en vous demandant de commenter plus ce que vous avez voulu dire dans le dernier paragraphe, je tiens à signaler que sur ce point, vous avez mon accord. J'ai d'autres questions par la suite.

M. WHITE: Cela m'étonne, mon cher monsieur, parce que je ne suis pas d'accord sur votre parti. Cependant, voilà la valeur du dialogue parce que votre sang et mon sang sont de la même couleur. Alors, je crois que d'homme à homme...

M. CHARRON : Le mien est moins rouge que le vôtre, je pense, par exemple.

M. WHITE: N'oubliez pas que mon nom est White.

M. CLOUTIER: Le député de Saint-Jacques m'a toujours paru anémique.

M. WHITE: Je crois que mon nom est White; alors, peut-être que cela... Mais quand vous avez parlé de droits collectifs, je crois que c'est une question très délicate. On parle de majorité. Plus on est fort, plus la majorité est forte, plus on devrait se rappeler l'humilité. C'est très

dangereux et cela n'est pas agréable que le gros en impose au petit. C'est la raison primordiale pour laquelle je suggère un bill des droits de l'homme. Peut-être que ce bill sera fait tout croche, je ne le sais pas. Cela aussi se peut, mais plus on avance, plus on se rend compte que les hommes et l'homme, c'est toute la même chose.

Personnellement, qu'on parle français à 100 p.c. dans la province de Québec, cela ne me dérange pas parce que je parle français à 100 p.c, peut-être pas à 100 p.c, mais à 80 p.c., dans mes affaires. J'ai gagné ma vie, peut-être mieux que certaines autres personnes, parce que je possédais le français. Je me battrai à mort avant qu'on m'enlève mon français.

Je vais vous dire exactement la même chose pour l'anglais. Alors, avant de dire à un francophone: Tu vas mettre l'importance et le maximum d'efforts sur une langue, il faut prendre nos précautions, pour que cela ne soit pas au détriment d'une autre langue qui est très utile pour tous, pour gagner sa vie, pour dialoguer. Je peux vous assurer que j'ai deux fils qui parlent l'anglais et le français. Cela ne leur fait rien. J'ai vu pousser ces gars et ce sont des gars qui ont un point de vue large. Ils ne sont jamais en chicane, excepté avec leur père, de temps en temps.

M. CHARRON: Cette question de la charte des droits de l'homme est une précision dont le Québec a besoin quant aux droits des individus. Elle m'incite à entrer dans la deuxième question que j'ai à vous poser.

Il y a quelque temps, à la surprise générale de la commission, le ministre de la Justice est venu faire un tour d'à peu près une dizaine de minutes pour démentir son collègue de l'Education, devant tout le monde, quant au chapitre de la langue d'enseignement et de cette question du libre choix. Alors que le ministre de l'Education l'avait toujours défendu comme un principe qui est encore reconnu dans le projet de loi, le ministre de la Justice est venu nous rappeler qu'il ne s'agissait que d'une mesure pratique. Ce n'est pas sans incidence parce que le ministre de la Justice est également celui qui sera responsable de la charte des droits de l'homme québécoise qui nous a été annoncée dans le discours inaugural et qui devra nous être présentée à l'automne. Le ministre de la Justice ne veut pas affirmer — il ne voudrait surtout pas voir son collègue de l'Education l'affirmer comme tel, c'est pour cela qu'il a pris la peine de venir lui-même — comme un droit fondamental cette fameuse liberté de choix dans la langue d'enseignement que l'on veut.

C'est probablement comme futur parrain d'une charte des droits de l'homme que le ministre de la Justice est venu rétablir ce fait. Il n'est pas de l'intention du gouvernement, ou en tout cas du ministre de la Justice — parce que maintenant, il faut faire des distinctions entre les ministres et le gouvernement — ce n'est pas l'intention du ministre de la Justice de mettre dans sa charte des droits de l'homme, comme un droit fondamental de l'individu, celui de choisir la langue d'enseignement pour ses enfants.

Cette précision étant donnée, et puisque je viens de faire mention de cette dissension au niveau des ministres, vous faites allusion vous-même, dans votre mémoire, à cette dissension grandissante au Québec, au sein de la formation politique qui a le pouvoir actuellement. Vous évoquez certains faits que j'aimerais vous amener à préciser parce qu'ils dépassent largement l'information que nous pouvons avoir, même si cette dissension transparaît assez clairement maintenant pour que tout le monde en soit au courant. C'est un secret de polichinelle, vous le savez, M. White, la formation d'un caucus spécial à l'intérieur de la majorité ministérielle pour essayer de calmer les esprits, pour que cela ne transparaisse pas trop à la table de la commission.

M. TARDIF: C'est faux.

M. CHARRON: C'est un secret de polichinelle que des politiciens comme le député d'Anjou essaient de sortir de l'ombre...

M. TARDIF: Vous avez le plus bel exemple devant vous...

M. CHARRON: ... à cette occasion en prenant des positions tout à fait...

M. CLOUTIER: C'est un disque.

M. SAINT-GERMAIN: On l'entend depuis un mois.

M. CHARRON: Savez-vous, M. White — je vais poser ma question — est-ce à partir du fait que vous savez que le ministre de l'Immigration est un adversaire du projet de loi 22, qui l'a déjà affirmé? Est-ce parce que le ministre des Affaires municipales a affirmé devant un groupe de ses concitoyens qu'il était opposé à certaines dispositions majeures du projet de loi? Est-ce parce que vous avez remarqué la contradiction entre le ministre de la Justice et le ministre de l'Education? Est-ce parce que vous êtes au courant de la dissension qui existe de la part de cinq députés anglophones du Parti ministériel? Est-ce parce que vous avez des rumeurs de volonté francophone qui apparaîtrait tout à coup chez certains députés, outre les propos tenus pour la galerie, par le député d'Anjou, propos fondamentaux qui seraient véritablement basés sur un refus du projet de loi? Ou êtes-vous au courant d'autre chose qui vous amènerait à dire que la dissension dans cette équipe — si on peut l'appeler équipe — dans cette masse ministérielle, atteindrait des proportions au point qu'on puisse parler d'un troisième parti politique? Dernière question: Quand vous mentionnez le nombre croissant de l'Assemblée nationale...

M. DEOM: On verra cela. M. TARDIF: Le règlement...

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Le député de Jacques-Cartier.

M. SAINT-GERMAIN: ... quand le député de Saint-Jacques prend la parole c'est pour nous faire un long discours de deuxième lecture, qu'il répète d'ailleurs à peu près régulièrement tous les jours.

M. CHARRON: C'est parce que la dissension...

M. SAINT-GERMAIN: Vous savez, M. le Président, qu'on est ici pour écouter nos invités. Personne autour de la table n'est intéressé à écouter le député à ce stade-ci. On connaît ses idées, on connaît ses opinions, on sait que c'est irréversible. Nous sommes ici pour écouter les invités. Je me demande, M. le Président, pour quelle raison vous le laissez disserter de la sorte. C'est une perte de temps complète.

M. CHARRON: Sur le même point de règlement, M. le Président, j'ai posé ma question à M. White, je lui signalais les faits dont nous sommes tous déjà au courant. M. White a affirmé que ce nombre était croissant et que quelques-uns allaient s'opposer publiquement. Ils sont demeurés silencieux, selon la vieille règle traditionnelle des "backbenchers", mais sont sur le point de se prononcer. Or, je vous demande, M. White, à partir de quels faits vous affirmez cette possibilité d'une création d'un nouveau groupe politique?

M. WHITE: II me fait plaisir de répondre à votre question, parce que je suis content de constater que nous sommes encore dans un pays démocratique où chacun peut exprimer ses opinions, sans casser les fenêtres, si on peut dire. Pour me référer à votre première question, non, je n'ai pas remarqué de dissension entre le ministre de la Justice et le ministre de l'Education. En effet, si vous dites que le ministre de la Justice n'a pas l'intention d'établir un droit fondamental, à savoir de choisir la langue d'instruction.

Dans le bill des droits de l'homme, mon premier commentaire — j'aimerais entendre cela du ministre de la Justice — qu'il pourrait peut-être changer d'idée, comme je dois féliciter ici le gouvernement et le premier ministre qui a clairement dit que des mémoires seraient présentés sur le bill 22 et qu'on arrêterait à telle date. Cela fait trois fois qu'on prolonge le délai. Alors, je crois que cela démontre que le gouvernement cherche réellement les meilleures solutions. Il y en a sur lesquelles je ne suis pas d'accord, mais au point de vue de la souplesse, je voulais simplement souligner mon sentiment.

M. CHARRON: Bien, monsieur.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Le député de Lafontaine.

M. LEGER: M. le Président, je voudrais demander à M. White s'il a bien affirmé tantôt qu'il serait d'accord pour que le français soit la langue nationale et que l'anglais et le français soient les langues officielles. C'est bien cela?

M. WHITE: Oui.

M. LEGER: Autrement dit, vous seriez d'accord pour un bilinguisme intégral.

M. WHITE: Un bilinguisme égal, je dirais que cela dépend des individus. Il y en a qui ne veulent pas avoir un bilinguisme égal. Cela dépend des individus. Je veux bien faire la mise au point. Je regarde la chose du point de vue "business".

M. LEGER: C'est justement pour cela. Deux langues officielles, cela veut dire...

M. WHITE: Du point de vue des affaires.

M. LEGER: ... que, dans les affaires, les deux soient égales.

M. WHITE: C'est cela. C'est du point de vue des affaires.

M. LEGER: A la page 3 de votre mémoire, vous dites que vous recommandez qu'on enlève entre autres l'article 36 qui dit que la personnalité juridique de la raison sociale doit être en français avec une version anglaise. Est-ce que ce n'est pas du bilinguisme? Pour quelle raison vous opposez-vous à cet article?

M. WHITE: Vous faites un règlement. Premièrement, ma société ne veut pas cela. Ma société, quand elle écrit à Vancouver ou à Chicago, elle s'appelle Canadian White Star Products Ltd. C'est son en-tête de lettre.

M. LEGER: Mais quelle objection avez-vous à ce que Vancouver ait aussi dans votre correspondance la partie française? Si vous êtes un bon Canadien comme vous avez dit tantôt, est-ce que cela ne veut pas dire que les gens de Vancouver peuvent être un peu sensibilisés par une correspondance en français?

M. WHITE: Si vous voulez me laisser faire ma mise au point, de l'autre côté, ma société, quand elle écrit à quelqu'un en français, s'appelle les Produits White Star du Canada Ltée. Les deux sont dans la charte. Ici, si je comprends bien, on est toujours obligé de mettre les deux noms. Si des sociétés veulent les deux noms, je dirais que c'est leur affaire, mais s'il y a une société qui veut dialoguer et être identi-

fiée totalement en français, dans certains cas, et totalement en anglais dans d'autres cas, si, dans leur administration, elles déterminent que c'est à leur avantage, je dis qu'elles devraient avoir la liberté de le faire. C'est tout ce que je dis.

M. LEGER: Comment voulez-vous que, dans votre affirmation, il y ait deux langues officielles, que chacun soit libre de le faire ou de ne pas le faire? Ce n'est pas officiel à ce moment-là.

M. WHITE: Non. Est-ce qu'on parle de l'identité dans l'article 36?

M. LEGER: Répétons. Il y a 36, 39 et 41 où l'un parle des raisons sociales, l'autre parle des contrats qui doivent être en français ou en anglais, l'article 41, même chose, et plus loin...

M. WHITE: Réellement, tous ces articles sont "interlaced".

M. LEGER: C'est du bilinguisme. M. WHITE: "Interlacés" je suppose? M. LEGER: Interreliés.

M. WHITE: Interreliés, merci. Etant donné qu'ils sont interreliés, je pense qu'on ne peut pas séparer l'un de l'autre. Je ne voudrais pas m'embarquer dans la légalité d'un article ou de l'autre. Je voudrais plutôt parler du "spirit of the thing", de l'esprit de l'affaire, du point de vue de l'industrie.

M. LEGER: Mais comment voulez-vous rendre pratique l'affirmation du début? Vous êtes d'accord sur les langues officielles, donc sur le bilinguisme, et vous ne voulez pas de ce que la loi rend bilingue, ce que vous dites, vous ne l'acceptez pas. Vous voulez que ce soit le choix de la compagnie.

M. WHITE: Oui.

M. LEGER: Qu'est-ce qui garantit que, pour les citoyens du Québec, ce bilinguisme va se faire si ce n'est pas par la loi?

M. WHITE: Qu'est-ce qui garantit que ce ne sera pas par loi?

M. LEGER: Que cela va être réellement bilingue, si ce n'est pas par une loi?

M. WHITE: Garantir que c'est bilingue, encore, c'est une question qui, je crois, devrait être laissée à une société. S'il y a une société qui est assez bornée pour se limiter à une langue, elle n'aura pas le succès d'évolution qu'une autre société, qui est assez avant-gardiste pour évoluer plus rapidement en utilisant deux langues.

M. LEGER: Vous avez dit au début de votre mémoire, même au tout début: "La société économique québécoise anglophone doit trouver la solution qui donnera satisfaction à l'élément français, d'une part, sans détourner les investissements qui sont nécessaires à la province". D'après vous, une société québécoise qui aura le français comme base de ses relations à l'intérieur de son Etat, ça peut détourner les investissements étrangers.

M. WHITE: Sûrement, mon cher monsieur. J'ai cité une lettre que j'ai écrite le 22 mai à l'honorable Robert Bourassa et cette lettre a clairement mentionné seulement les oui-dire de cette compagnie américaine. Ces gars pensent qu'ils vont muter trois directeurs, "management level." Je crois que leurs enfants ne pourront pas continuer leur éducation en français. Juste le fait que cette question a été soulevée, ma compagnie court la chance... En effet, je n'ai rien à cacher, je vais vous le dire: J'ai reçu un appel téléphonique concernant cette lettre me demandant si j'aurais objection à faire le même "deal" avec eux dans la province d'Ontario. Personnellement, je ne peux pas regarder ça au point de vue personnel, mais, au point de vue des affaires, je l'ai regardé. Au point de vue des affaires, j'ai dit à ces gens: Vous êtes mieux dans la province de Québec parce que, dans la province de Québec, vous n'avez pas les avantages de l'Ontario, vous n'avez pas deux langues, premièrement. Your children will not have the advantages if they go to Ontario that they can have in the province of Quebec. Alors, cet investissement n'est pas de $100,000.

M. LEGER: Est-ce que vous êtes au courant des conclusions de l'enquête du rapport Gen-dron qui affirme justement que l'enquête, auprès des dirigeants d'entreprise, démontre que les dirigeants d'entreprise anglo-canadiennes sont bien plus négatifs face au projet du français langue de travail que ne le sont les dirigeants des entreprises américaines et étrangères?

M. WHITE: Je me pose la question.

M. LEGER: Vous n'êtes pas d'accord là-dessus?

M. WHITE: Ecoutez, je ne connais pas...

M. LEGER: C'est la conclusion du rapport Gendron auprès des entreprises...

M. WHITE: Je le sais.

M. LEGER: ... et américaines et anglo-canadiennes.

M. WHITE: La commission Gendron. On va dire...

M. LEGER: II n'arrive pas à vos conclusions, donc ce n'est pas...

M. WHITE: Ce n'est pas le gouvernement existant qui l'a nommé, premièrement. Deuxièmement, j'ai dialogué avec la commission Gen-dron et il n'y avait pas toujours deux côtés à la médaille. Elle en voyait juste un côté. Je vous assure que je fais affaires avec assez de compagnies, incluant les banques, Royal Bank, Bank of Montreal, Sun Life, etc., et il n'y a aucune discrimination dans le moment — peut-être qu'il y en avait quand j'étais petit gars, je ne sais pas — d'après mes observations, il n'y en a aucune contre le francophone ou contre l'anglophone et vous n'avez qu'à examiner des gens au niveau de la direction des grosses compagnies, vous allez voir que beaucoup de francophones mènent ces barques avec une habileté formidable.

M. LEGER: On me dit que je n'ai pas d'autres questions à vous poser.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Le député de Louis-Hébert.

M. DESJARDINS: M. White, moi aussi, je vous remercie d'avoir daigné vous pencher sur les problèmes linguistiques au Québec à l'occasion de la présentation du bill 22. Je l'ai mentionné et je le répète: J'ai toujours beaucoup de respect pour les personnes qui viennent présenter un mémoire et j'en ai également pour vous.

Les questions que je vous poserai et les commentaires que je ferai ne changent en rien ce respect que j'ai pour vous comme homme et comme homme d'affaires.

Cependant, je suis obligé de vous dire, parce que je le pense vraiment, que votre mémoire, je le trouve, dans l'ensemble, un peu triste et peu réaliste. Je trouve qu'il est triste, parce qu'il n'est pas réaliste, justement, et qu'il n'est pas réaliste, parce que vous n'avez pas l'air conscient du danger d'assimilation au Québec des francophones par l'élément anglophone.

Je pense que ce sont là des remarques qui auraient pu vous être faites par le Parti québécois, qui prétend se faire le défenseur de la culture française au Québec, mais qui a préféré jouer la petite politique et soulever devant vous une prétendue dissension au sein de son parti. Alors, dans les circonstances, j'aimerais quand même vous dire ce que je pense, et si cela rejoint d'autres commentaires de d'autres personnes, tant mieux. Je pense que vous ne m'avez pas l'air vraiment conscient de ce risque d'assimilation, risque qui a été admis d'ailleurs par d'autres personnes anglophones qui sont venues ici présenter des mémoires.

Je me demande si vous avez réalisé également que le projet de loi ne modifie en rien le droit des anglophones garanti par la constitution canadienne, que cela ne change rien dans la Loi sur les langues officielles adoptées par le gouvernement fédéral. Vous n'avez pas l'air d'admettre que la majorité doit prendre en main sa culture et sa langue dans une province ou un pays donné, alors que nous avons été habitués à cette notion de majorité justement par les Anglo-Saxons. Ici je rejoins les propos tenus par le député de Saint-Jacques hier, c'était à peu près la deuxième fois qu'il tenait des propos vraiment nouveaux et intéressants et je dois dire qu'il est exact que nous avons été habitués au Québec à cette notion de majorité par les éléments anglo-saxons. Le système parlementaire est basé sur cette notion de majorité. Toutes les procédures d'assemblée délibérante au sein de votre compagnie et d'autres compagnies sont basées sur la majorité; toujours c'est la majorité qui décide du sort d'une entreprise, d'un gouvernement, d'une commission parlementaire.

Vous semblez ignorer la majorité au Québec. Tout de même, je respecte vos idées là-dessus. Vous avez préféré...

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Est-ce que le député de Lafontaine a un point de règlement à soulever?

M. LEGER: Je me demande si on est toujours en période de questions.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Vous êtes dans la période des questions, mais, comme vous le savez, depuis un mois nous avons l'avantage de recevoir des membres de votre parti et d'autres partis ici, nous avons fait une convention et je crois avoir été assez généreux pour les membres de votre parti en leur laissant faire des exposés souvent très longs.

M. LEGER: Je n'ai pas d'objection. C'est parce que le député face à moi, tantôt, avait arrêté le député de Saint-Jacques disant qu'il faisait un discours.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): C'est pourquoi je vous demande si vous avez une question de règlement.

M. DESJARDINS: Je n'ai rien dit.

M. LEGER: C'est justement là-dessus...

M. DESJARDINS: Quand le député de Saint-Jacques a fait un préambule, je n'ai jamais rien dit ici, cela m'a toujours amusé. Je le laisse faire. Je termine, M. le Président, j'arrive à la question.

M. LEGER: Je n'ai pas d'objection du moment que vos collègues font la même chose.

M. DESJARDINS: Je vais faire comme le chef de l'Opposition. N'est-il pas vrai que — maintenant je vais pouvoir continuer — vous avez semblé vous faire le défenseur des droits des francophones du Québec, des anglophones du Québec et de tous les immigrants sans

distinction? Ne croyez-vous pas que, depuis le début des auditions, les francophones ont demandé eux-mêmes de ne pas avoir le libre choix? Ils ont demandé eux-mêmes le retrait du bill 63 et que le bill 22, justement, enlève ce libre choix, mais il y a une condition pédagogique, alors qu'il laisse le libre choix aux anglophones. J'aimerais d'abord avoir vos commentaires là-dessus avant de continuer, surtout sur cette question...

M. WHITE: Vous alliez poser une question. C'est cela votre question?

M. DESJARDINS: Oui.

M. WHITE: Et avoir mon commentaire sur le fait que des associations anglophones sont venues ici, l'une après l'autre...

M. DESJARDINS: Etes-vous conscient qu'il y a un risque d'assimilation dans la région de Montréal, par exemple?

M. WHITE: C'est cela votre question?

M. DESJARDINS: Oui. Et s'il y en a un, qu'est-ce que vous allez faire pour l'éliminer?

M. WHITE: Le risque d'assimilation, à mon avis, il n'y en a aucun.

M. DESJARDINS: Bon.

M. WHITE: Attendez, je vais vous citer quelque chose.

M. DESJARDINS: D'accord.

M. WHITE: Au recensement de 1960, pour les gens ayant droit de vote, la présence francophone était de 31 p.c. au Canada. En 1970...

M. DESJARDINS: Je parle du Québec, M. White.

M. WHITE: ... elle était à 32 p.c.

M. DESJARDINS: Je parle du Québec.

M. WHITE: Il n'y a pas de chiffres sur le Québec. Je n'ai pas vu de chiffres.

M. LEGER: Au canada, c'est 26 p.c. pour votre information.

M. WHITE: Pardon?

M. LEGER: Au Canada, c'est 26 p.c.

M. DESJARDINS: M. White...

M. WHITE: J'ai lu cela dans les journaux.

M. DESJARDINS: ... quant on vient nous dire...

M. LEGER: II ne faut pas toujours croire ce qu'il y a dans les journaux!

M. WHITE: Pour répondre à votre question, vous me demandez si je suis conscient qu'il y a danger d'assimilation du francophone; Non, monsieur.

M. DESJARDINS: Vous paraissez le seul dissident là-dessus.

M. WHITE: Je ne dis pas que je ne suis pas conscient, je dis qu'il n'y a pas de danger. La raison pour laquelle je vous dis qu'il n'y a pas de danger, c'est que vous allez sûrement admettre que, dans les dix dernières années, le français a progressé, non seulement dans la province de Québec, mais partout dans le Canada.

M. DESJARDINS: Où, ailleurs au Canada? M. WHITE: Partout dans le Canada.

M. DESJARDINS: En vertu d'un statut juridique ou en vertu d'une tolérance?

M. WHITE: En vertu des deux langues officielles, il y a six ans...

M. DESJARDINS: Au niveau fédéral.

M. WHITE: ... au niveau fédéral. Cela ne vous dit rien?

M. DESJARDINS: C'est strictement ce qui touche les organismes du gouvernement fédéral.

M. WHITE: Oui, mais mon cher monsieur, cela découle...

M. DESJARDINS: De toute façon, vous avez répondu à ma question. Quant à vous, il n'y a pas de danger d'assimilation. Le fait que, dans la région de Montréal, les écoles anglophones soient fréquentées par 75 p.c. de francophones, pour vous, cela ne présente aucun danger d'assimilation?

M. WHITE: Là, vous avez touché réellement le point.

M. DESJARDINS: Je suis bien content.

M. WHITE: Si l'anglophone reçoit une éducation de langue anglaise et reçoit des instructions en français et si le francophone est également éduqué dans la langue anglaise, dans quinze ans, personne ne va être assimilé. Les deux groupes vont se rejoindre et ils parleront la langue qu'ils voudront.

M. DESJARDINS: Donc, pour vous, la "bi-linguisation" ne dirige pas vers l'unilinguisme anglais au Québec?

M. WHITE: Absolument pas.

M. DESJARDINS: C'est d'accord.

M. WHITE: Absolument pas.

M. DESJARDINS: Si je vous disais que les francophones au Québec ne veulent pas le libre choix, ils veulent le retrait du bill 63 à condition qu'à l'école française, la langue anglaise soit bien enseignée, est-ce que vous seriez d'accord pour que cette majorité francophone décide de son propre sort?

M. WHITE: Si une majorité, en décidant de son propre sort, ne pile pas sur d'autres sorts...

M. DESJARDINS: Non.

M. WHITE: ... sur la face d'autres sorts, oui.

M. DESJARDINS: Strictement, les francophones, en majorité, disent: On veut l'école francophone avec un enseignement de la langue anglaise, un bon enseignement, vous acceptez cela?

M. WHITE: Sûrement.

M. DESJARDINS: Si je vous disais maintenant que c'est cela que le bill 22 donne, et, en même temps, si j'ajoutais que le bill 22 laisse le libre choix aux anglophones, vous n'avez rien contre cela?

M. WHITE: Non, je ne l'ai pas vu dans le bill 22.

M. DESJARDINS: Les articles 48 et 49 du bill 22, c'est cela. Vous m'avez l'air d'en demander le retrait. Pourtant, vous êtes d'accord sur ce que je viens de dire. Ces deux articles sont exactement ce que je viens de vous dire.

De toute façon, à la page 3...

M. WHITE: Moi, je l'ai peut-être mal lu.

M. DESJARDINS: C'est ce que j'ai cru comprendre.

M. WHITE: Si je l'ai mal lu, il n'est pas clair.

M. DESJARDINS: Non, mais il peut être clair et que vous l'ayez mal lu.

M. WHITE: D'après vous, il est clair?

M. DESJARDINS: Aux articles 48 et 49, il est très clair. Il maintient un libre choix assorti d'une condition pédagogique pour les francophones, mais il maintient le libre choix absolu des anglophones.

A la page 3 de votre mémoire...

M. WHITE: Est-ce que je peux vous arrêter?

M. DESJARDINS: Oui, certainement.

M. WHITE: "Such bodies may provide instruction in English; they shall not however begin or cease to provide instruction in that language without the prior approval of the minister of Education". D'accord. Il y a une restriction? Moi, je vais vous en poser une question.

M. DESJARDINS: C'est cela. Bien oui, c'est bien évident qu'il y a une restriction. Il faut qu'il y ait un contrôle quelque part. Il faut prévoir un inventaire, de l'équipement, des professeurs. Il y a également des problèmes syndicaux à régler.

M. WHITE: Non, je ne parle pas des problèmes syndicaux.

M. DESJARDINS: II faut planifier.

M. WHITE: Qu'est-ce que vous diriez si le ministre de l'Education n'était pas M. Cloutier, mais était M. Cardinal qu'on a vu il y a dix ans?

M. DESJARDINS: De toute façon, je pense...

M. WHITE: C'est lui qui aurait le sort à régler?

M. DESJARDINS: Vous n'avez pas ici, à commenter l'opinion hypothétique d'un ministre qui n'est pas présent. Personnellement, je n'ai pas l'intention de le faire...

M. WHITE: Ce n'est pas...

M. DESJARDINS: II faut un contrôle tout de même. Je pense que, pour l'instant, le contrôle qui est là me semble nécessaire au point de vue pratique.

Je vous ramène maintenant à la page 3 de votre mémoire où vous énumérez les conditions envisagées par une compagnie étrangère qui viendrait s'installer au Québec...

M. WHITE: Oui.

M. DESJARDINS: ... vous avez cinq conditions qui seraient considérées par une compagnie étrangère avant de venir s'installer au Québec.

M. WHITE: Oui.

M. DESJARDINS: Mais vous avez oublié celle qui me semble la plus importante...

M. WHITE: Oui.

M. DESJARDINS: ... et qui serait la rentabilité. Est-ce que ce ne serait pas la première condition? Si une compagnie étrangère s'aperçoit qu'elle peut faire de l'argent au Québec, elle va venir faire de l'argent en français également, autant qu'en anglais.

M. WHITE: Non, monsieur! La rentabilité...

M. DESJARDINS: C'est la première condition, à mon avis...

M. WHITE: Je suis en affaires depuis 25 ans et la rentabilité...

M. DESJARDINS: Cela passe en dernier. M. WHITE: Non!

M. DESJARDINS: Je vous taquine. M. WHITE: Pour revenir au sérieux... M. DESJARDINS: Oui, oui.

M. WHITE: ... la rentabilité dépend de l'efficacité d'une société — the ease of operation — moins de problèmes il y a, plus une compagnie est efficace.

M. DESJARDINS: Vous pensez que, si on découvrait un puits de pétrole dans mon comté de Louis-Hébert une compagnie apprendrait vite le français pour venir l'exploiter? Vous pensez que l'embouteilleur...

M. WHITE: Votre exemple n'est pas sérieux.

M. DESJARDINS: Le seul embouteilleur...

M. WHITE: Excusez-moi, mais votre exemple n'est pas sérieux.

M. DESJARDINS: Bon, bien enfin...

M. WHITE: Un puits de pétrole, on n'a pas besoin de parler pour extraire de l'huile de la terre.

M. DESJARDINS: II est toujours bon de pousser un exemple au ridicule pour démontrer parfois la valeur d'un argument.

M. WHITE: Ah! ...

M. DESJARDINS: Si vous avez...

M. WHITE: My Board of directors would not go for that one!

M. DESJARDINS: Non? Si vous avez le seul embouteilleur de Coca-Cola au Québec qui décide de déménager en Ontario à cause de l'adoption du bill 22, vous ne croyez pas qu'il y a un autre embouteilleur qui va venir s'installer? C'est un autre argument ridicule.

M. WHITE: Oui.

M. DESJARDINS: C'est pour démontrer le ridicule de certains arguments.

A la page 4 de votre mémoire, vous mentionnez que, si les professeurs avaient enseigné les deux langues depuis une quinzaine d'années dans les écoles, vous ajoutez: "The province of Quebec would be today, the most pleasant, the most peaceful, the richest in culture and in industry and the most stable province in Canada".

Mais voulez-vous me dire si, à votre avis, les entreprises à majorité anglophone ont vraiment fait l'effort, depuis quinze ans, pour que le français soit vraiment la langue de travail, pour que le français soit traité à un statut au moins égal à l'anglais? Je ne parle pas de la vôtre. A votre connaissance personnelle, dans d'autres industries, depuis une quinzaine d'années, est-ce qu'il y a eu un effort suffisant?

M. WHITE: Seulement par des compagnies qui sont administrées pour avoir plus de succès que celles qui n'ont pas été assez fines pour le faire.

M. DESJARDINS: Bon! Donc... Mais avez-vous des exemples? Connaissez-vous des compagnies qui ont vraiment fait des efforts depuis une quinzaine d'années?

M. WHITE: Si j'en connais?

M. DESJARDINS: Oui.

M. WHITE: Oui, quelques-unes.

M. DESJARDINS: Vous en connaissez quelques-unes. Parce que vous êtes au courant des...

M. WHITE: Des affaires.

M. DESJARDINS: ... programmes de l'Office de la langue française mis de l'avant avec la Golden Eagle, avec d'autres compagnies.

M. WHITE: Oui.

M. DESJARDINS: Mais cela, c'est l'intitiati-ve de l'Office de la langue française et non pas...

M. WHITE: Je trouve que c'est très bien.

M. DESJARDINS: Oui, c'est très bien.

M. WHITE: Ils font des suggestions, n'est-ce pas?

M. DESJARDINS: Pardon?

M. WHITE: L'Office de la langue française fait des suggestions.

M. DESJARDINS: C'est cela.

Vous écrivez, à la page 5 de votre mémoire, au deuxième alinéa: "To deny English its official status...

M. WHITE: Oui.

M. DESJARDINS: J'aimerais savoir en vertu de quoi croyez-vous que l'anglais au Québec a un statut officiel, mais juridique.

M. WHITE: Vous avez certains articles du bill 22 qui semblent dire que s'il y a un conflit entre un contrat écrit en anglais ou en français, c'est la langue française qui détermine la légalité de...

M. DESJARDINS: Est-ce que cela nie le statut officiel de la langue anglaise?

M. WHITE: Oui, cela...

M. DESJARDINS: Oui, mais en vertu de quel texte juridique la langue anglaise est-elle officielle au Québec?

M. WHITE: Cela devrait être décidé par une cour, un juge.

M. DESJARDINS: Non, mais aujourd'hui, je vous parle d'aujourd'hui. Le bill n'est pas encore adopté. En vertu de quel texte juridique la langue anglaise est-elle langue officielle au Québec?

M. WHITE: Que voulez-vous dire par texte juridique?

M. DESJARDINS: Une loi. Est-ce qu'il y a une loi qui existe qui fait de l'anglais la langue officielle au Québec.

M. WHITE: Pas encore, non.

M. DESJARDINS: Alors, quand vous dites: "To deny English its official status...

M. WHITE: Oui.

M. LEGER: Cela va le faire.

M. DESJARDINS: Bon! A la page 6 de votre mémoire, je n'admets pas du tout les exemples que vous donnez de faire, par exemple, peut-être une autre province avec la ré- gion de Montréal, parce que si on pousse cela à l'extrême et au ridicule, il faudrait, avec le... C'est un principe que vous avez écrit tout de même.

M. WHITE: Pardon?

M. DESJARDINS: C'est un principe que vous avez écrit.

M. WHITE: Oui.

M. DESJARDINS: Vous le pensez si vous l'avez écrit.

M. WHITE: Sûrement! Ne trouvez-vous pas que peut-être dans 20 ans cela pourrait arriver?

M. DESJARDINS: Accepteriez-vous que tout le nord-ouest du Nouveau-Brunswick, soit le comté de Madawaska, le comté de Victoria, le comté de Restigouche et une partie du comté de Gloucester, qui a une très grande majorité francophone, supposons 80 p.c. ou 85 p.c, devienne également une autre province?

M. WHITE: Oui.

M. DESJARDINS: Que le sud-ouest de l'Ontario, à majorité francophone, devienne également une autre province? Vous accepteriez cela, si on suit votre principe jusqu'au bout. L'accepteriez-vous?

M. WHITE: Où un peuple veut l'unilin-guisme...

M. DESJARDINS: L'accepteriez-vous?

M. WHITE: Personnellement, je ne l'accepterais pas. Mais où un peuple veut être unilingue... Pardon?

M. DESJARDINS: Vous le voulez pour vous, pas pour les autres.

M. WHITE: Non. Je ne veux rien pour les autres. Ce n'est pas moi qui mène. Je fais mes commentaires sur le bill 22 tel que présentement rédigé. Je n'ai pas...

M. DESJARDINS: Je termine mon intervention en vous demandant en quoi le bill est discriminatoire à l'égard de l'immigrant.

M. WHITE: A mon avis, un immigrant devrait avoir les mêmes privilèges que n'importe quelle autre personne.

M. DESJARDINS: Connaissez-vous un pays au monde qui donne à l'immigrant des droits avant son entrée au pays?

M. WHITE: Parce que les autres pays n'ont

pas été assez fins pour faire quelque chose, cela ne veut pas dire que la province de Québec ne devrait pas le faire. Parce que si vous voulez suivre les exemples des autres pays, on peut amener beaucoup d'exemples.

M. DESJARDINS: Faites-vous la distinction entre un immigrant en service commandé? Je m'explique. Par exemple, vous voulez un technicien. Vous n'en trouvez pas au Québec. Vous faites appel aux Etats-Unis et vous en dénichez un à New York.

M. WHITE: Oui.

M. DESJARDINS: Et là, il est en service commandé. Il vient ici avec sa famille, il n'a pas le choix. S'il travaille pour votre compagnie aux Etats-Unis — vous êtes une compagnie multinationale — il est transféré ici, il n'a pas le choix. Il est en service commandé. A ce moment, accepteriez-vous qu'il ait le choix de l'école anglopphone?

Mais si c'est un immigrant qui choisit un nouveau pays, il n'est pas obligé de le faire. A ce moment, ce nouvel immigrant ne devrait-il pas s'intégrer à la majorité de ce pays ou de cette province?

M. WHITE: S'il est intelligent, il va choisir la province de Québec parce que, dans la province de Québec, il a l'avantage des deux langues.

M. DESJARDINS: Mais s'il est intelligent, ne devrait-il pas s'intégrer à la majorité qui est la majorité francophone?

M. WHITE: S'il est intelligent, oui. Je viens de le dire.

M. DESJARDINS: Par conséquent, l'article 49, tel que rédigé, serait satisfaisant.

M. WHITE: Quant aux articles 48 et 49, j'ai dit que tous ces articles sont...

M. DESJARDINS: Vous dites cela, mais quand on vous pose la question...

M. WHITE: ... interreliés, et je ne veux pas débattre chaque article. Mon commentaire, premièrement, est fait sur le bill 22, globalement; et deuxièmement, l'intention était de le limiter au point de vue d'une société faisant affaires dans la province de Québec, dans le contexte d'une langue officielle.

M. DESJARDINS: En fait, vous affirmez cela, mais en réponse à des questions, vous me semblez quand même assez favorables à la rédaction actuelle des articles 48 et 49 en ajoutant peut-être quelque chose pour l'immigrant en service commandé.

M. WHITE: Je ne veux pas paraître aussi ridicule en arrivant ici et en vous disant que tous les articles du bill 22 n'ont pas de bon sens.

M. DESJARDINS: Non. J'espérais que vous disiez cela.

M. WHITE: On s'entend sur cela.

M. DESJARDINS: C'est tout. Merci bien.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Au nom des membres de la commission, je remercie beaucoup M. White. J'inviterais maintenant le Regroupement régional de la capitale québécoise et ses représentants.

Voulez-vous vous identifier pour le journal des Débats et les membres de la commission, s'il vous plaît?

Regroupement régional de la capitale québécoise

M. LABERGE: Je suis Henri Laberge, porte-parole du Regroupement régional de la capitale québécoise.

M. le Président, avant la présentation du mémoire, est-ce qu'il me serait permis de poser une question au ministre de l'Education sur la signification d'une des parties du bill? Au chapitre V, à la page 10 du bill 22, le titre est la langue de l'enseignement. Qu'est-ce que signifie cette expression: La langue d'enseignement? C'est quoi la langue d'enseignement?

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): En fait, je vous ai permis peut-être à tort de poser une question. Peut-être...

M. LABERGE: M. le Président, je ne veux pas faire un long questionnaire. Je veux tout simplement savoir si ce titre désigne une langue en particulier: La langue de l'enseignement. Simplement pour éclairer.

M. CLOUTIER: Je n'ai évidemment aucune objection à répondre, si cela peut éclairer. C'est surtout nous qui sommes ici pour être éclairés. Or, j'aurais souhaité que vous présentiez votre mémoire, parce qu'il est bien évident que si vous avez une idée derrière la tête, c'est votre droit le plus absolu, alors présentez donc votre mémoire. Expliquez vos opinions politiques, si vous en avez, ensuite j'essaierai de vous apporter tous les éclaircissements nécessaires.

M. LABERGE: Bon.

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Je dois vous rappeler que votre mémoire doit être présenté dans une période de vingt minutes. Il y a une période de 40 minutes allouée aux partis politiques pour les questions.

M. LABERGE: Bon. D'accord. Je voudrais commencer par une remarque préalable au sujet de quelque chose qui a été dit dans le mémoire de celui qui nous a précédés, au sujet de la reconnaissance du français comme la langue nationale du Québec. Je pense que, là-dessus, on ne peut pas être plus d'accord que cela, mais je pense que cela implique plusieurs choses. Si on reconnaît que le français est la langue nationale du Québec, cela veut dire qu'on reconnaît que le Québec constitue vraiment une seule communauté nationale et non pas deux communautés nationales comme certains le prétendent. Alors, s'il y a une seule communauté nationale au Québec, il est normal qu'il y ait une langue nationale comme le mémoire précédent le laissait entendre. Quand on parle d'ajouter à cela deux langues officielles, cela me rappelle deux exemples qui existent dans le monde, que je connais — il y en a peut-être d'autres— qui sont exactement dans cette situation, c'est l'Irlande et Malte. Or, dans les deux cas, il y a une langue nationale reconnue : le gaélique en Irlande et le maltais dans l'île de Malte. Dans les deux cas, tout en reconnaissant qu'il y a une langue nationale, on reconnaît que cette langue nationale n'a pas suffisamment de prestige, n'est pas capable...

LE PRESIDENT (M. Lamontagne): Vous me permettrez d'attirer à nouveau votre attention sur le fait que, dans la première partie de cette présentation, il s'agit de présenter votre mémoire ou de le résumer, et non pas se référer à des mémoires précédents présentés à la commission, mais bien au vôtre.

M. LABERGE: Bon. M. le Président, je vais lire notre mémoire et je ferai d'autres remarques après. Pour bien comprendre la nature et la portée réelles des critiques que nous allons formuler contre le bill 22, tel que présentement rédigé, nous voudrions les situer dans le contexte global des objections que nous faisons à l'esprit même de la politique linguistique du gouvernement actuel. A lire les textes officiels émanant de l'actuel ministre de l'Education et traitant de questions linguistiques, il semble que le Québec n'existe pas comme entité distincte au sein de la francophonie internationale et face à l'Amérique anglo-saxonne, ni comme totalité englobante par rapport aux individus ou groupes qui le composent.

Ceci est particulièrement évident dans l'introduction au "Plan de développement de l'enseignement des langues". On y parle des individus québécois que l'on divise en trois grandes catégories: les francophones, les anglophones et les immigrants. Puis on saute aussitôt à la francophonie internationale et à l'économie nord-américaine. Ce n'est pas pour bien vivre dans leur pays, mais pour pouvoir communiquer avec les francophones d'Europe et d'Afrique que les individus francophones d'ici sont invités à perfectionner leur langue maternelle.

Pour revenir à des considérations plus pratiques, c'est l'anglais qu'ils doivent apprendre pour gagner la vie de tous les jours, avoir accès aux postes de commande dans les entreprises multinationales établies au Québec et pour acquérir une meilleure mobilité continentale. Le ministère de l'Education se donne aussi comme mission de faire acquérir aux immigrants, à nos frais, cette sacro-sainte mobilité continentale, mais il ne lui vient pas à l'esprit de leur offrir d'abord la mobilité québécoise. Comble du paradoxe, le seul avantage que les immigrants pourront trouver, selon le ministre, à fréquenter l'école francophone sera de venir y apprendre l'anglais comme langue du continent, langue de l'économie, langue du succès, langue de l'avenir.

Malgré un certain maquillage verbal et quelques mesures tape-à-l'oeil, le bill 22 incarne encore très bien cette vision aberrante du fait linguistique, complètement coupé de son enracinement historique, socio-politique et culturel québécois, complètement bouché à nos aspirations nationales. Paradoxalement, à notre point de vue, la négation ou la méconnaissance de la réalité nationale québécoise aboutit à donner de mauvaises solutions aux besoins individuels et à brimer le droit de chacun à une légitime originalité. C'est bien à tort, en effet, qu'on oppose trop souvent les droits individuels et les droits collectifs. Ces deux ordres de droits sont complémentaires et s'appuient mutuellement.

Une politique digne de ce nom doit accorder à chaque individu les moyens d'assurer son développement personnel le plus autonome possible, ce qui suppose son intégration sociale, mais aussi à la communauté nationale les moyens de survivre et de se développer comme être collectif. C'est ainsi que nous concevons une politique linguistique, mais ce n'est pas ce que nous trouvons dans le bill 22.

La politique linguistique qui nous est proposée limite et brime le droit à une légitime originalité des individus et des groupes ethniques — je vais me référer tantôt à certains articles — en rangeant artificiellement tous les citoyens dans les deux catégories officielles francophone et anglophone. En même temps, elle refuse à la nation québécoise le moyen par excellence de son unité en ne donnant pas au français tout le prestige d'une véritable langue nationale.

Le bill 22 est inacceptable parce qu'il ne fait pas du français la seule langue officielle du Québec, malgré le titre du projet de loi, mais aussi parce qu'il tend à décourager l'usage facultatif de toute autre langue minoritaire que l'anglais. L'anglais, en effet, y est confirmé comme l'une des deux langues des débats parlementaires et de la rédaction des lois, comme une des deux langues des délibérations dans l'administration publique à tous les niveaux et dans toutes les régions, comme une des deux langues des procédures devant les tribunaux, comme langue du texte officiel des

jugements rendus par des magistrats anglophones, comme langue exigible n'importe où au Québec dans les textes et les contrats, comme langue dans laquelle pourront être rédigées des conventions collectives. Nous pourrions, en nous arrêtant à chaque chapitre et à chaque article, allonger la liste de tous les droits nouveaux accordés à l'anglais et dont la somme en fait véritablement une deuxième langue officielle sur laquelle le français n'aura en fait qu'une priorité protocolaire.

Ce qui frappe aussi, c'est ce besoin qui nous semble à nous quasi maladif du rédacteur de ce bill de mentionner à tout propos qu'il est permis de produire une version anglaise de tel ou tel document. Pourquoi une telle insistance à affirmer ce qui, selon nous, devrait aller de soi? Ce que nous craignons c'est l'interprétation qu'on pourra faire de cette insistance. Ou bien on aura tendance à considérer que toute version non explicitement permise par la loi est défendue et alors on brimerait inutilement les minorités non anglophones dans leur droit de produire ou d'obtenir dans leur langue maternelle des versions facultatives des textes officiels. Ou bien on aura tendance à considérer que le fait de mentionner explicitement la possibilité qu'une version anglaise soit produite, crée une obligation de la produire sur demande et alors on accorde effectivement à l'anglais un statut équivalant en pratique à celui du français.

Au chapitre de la langue d'enseignement, on pourra discuter longuement pour savoir si le libre choix des parents à l'égard de la langue d'enseignement est maintenu. Nous inclinons à penser que juridiquement il est aboli, mais que les commissions scolaires le maintiendront. En fait, très peu d'administrateurs scolaires ont le goût d'assumer l'odieux d'un refus motivé par des critères aussi imprécis que ceux qui sont contenus dans la loi. De toute façon, ce n'est sûrement pas un progrès de remplacer le libre choix des parents par l'arbitraire administratif. Puis, le vice fondamental de la loi 63 qui consistait à établir officiellement deux langues d'enseignement juridiquement sur un pied d'égalité est encore présent dans le bill 22. Je rappelle ici que le vice principal du bill 63 n'était pas d'accorder à des parents une certaine liberté de choix, c'était d'établir que ce choix se faisait entre deux langues qui étaient placées juridiquement sur un pied d'égalité. Le titre du chapitre V est aussi mensonger que le titre du projet de loi. Ce n'est pas de la langue d'enseignement mais bien des deux langues d'enseignement qu'il est question à chacun des cinq articles de ce chapitre.

Le bill 22 est également inacceptable parce qu'il met dans l'insécurité aussi bien les francophones que les anglophones que tous les allophones par son manque de rigueur au niveau des principes, par la marge d'arbitraire laissée au ministre, au cabinet, à la régie et aux administrations locales, par des références trop nombreuses à des règlements à venir dont personne ne connaît le contenu. Nous approuvons sur ce point la critique faite par des mouvements anglophones et italophones à la teneur du bill 22.

La loi linguistique que nous attendons aura sans doute besoin d'être complétée par des règlements, mais elle devra être claire, précise, sans ambiguïté quant aux principes, de sorte que tout le monde pourra savoir d'avance l'esprit véritable des règlements à venir et dans quel cadre précis le ministre et ses fonctionnaires auront le droit et le devoir d'intervenir.

Avec l'actuel gouvernement, les lois ont tendance à devenir de plus en plus de simples catalogues de nouveaux pouvoirs discrétionnaires remis entre les mains d'un ministre ou du cabinet. Ceci est particulièrement odieux dans un domaine aussi vital que la question linguistique. C'est à l'Assemblée nationale, au vu et au su de tous, non dans l'antichambre d'un ministre psychiatre, que doit être déterminé le statut du français et définie une politique de protection des droits minoritaires.

D'autres mémoires s'attarderont sans doute plus que nous à une critique détaillée du bill 22. Nous croyons faire oeuvre utile, quant à nous, en énonçant quelques principes sur lesquels nous voudrions voir reposer une politique linguistique valable.

Une politique linguistique ne peut pas se concevoir comme s'appliquant à un problème en soi, sans relation avec l'ensemble des problèmes que vit quotidiennement le peuple auquel on l'applique. Ainsi, toute politique linguistique au Québec est fonction de la définition que l'on donne à la société québécoise. Le préalable à une politique linguistique originale pour le Québec, c'est la reconnaissance du Québec comme une entité originale, ayant une tradition socio-culturelle et politique particulière et des aspirations collectives distinctes par rapport aux aspirations du grand tout "Canadian".

Une fois admis le caractère distinctif du Québec et son droit à organiser sa vie collective d'une manière originale, il faut reconnaître à cette société le droit de se forger les instruments de cohésion absolument indispensables à sa survie comme société organisée. Dans une société démocratique où tous les groupes de citoyens doivent pouvoir discuter entre eux des grands problèmes collectifs, la langue nationale apparaît comme un instrument privilégié de cohésion nationale, sans doute le plus fondamental et le plus efficace.

L'établissement, la promotion et la diffusion d'une langue nationale unique, accessible à tous, bien que s'imposant au nom de l'intérêt national, ne doivent pas brimer le droit des individus et des familles à conserver et à retransmettre, s'il le désirent, leurs langues maternelles particulières, ni le droit des groupes ethniques minoritaires à faire un usage facultatif des langues minoritaires dans les communications d'ordre privé, ni le droit des citoyens à apprendre des langues étrangères.

Pour respecter au mieux l'égalité de tous devant la loi et assurer en même temps la cohésion nationale et le droit des individus et des familles à une légitime originalité, il importe de bien distinguer le statut public officiel de la langue nationale et les droits individuels quant à l'usage des langues dans le milieu familial et les relations d'ordre privé. Toute position ambiguë en ce domaine est dommageable, à la fois pour la collectivité nationale et pour les individus.

Nous soupçonnons fortement le gouvernement actuel, et en particulier le ministre de l'Education, de ne pas savoir faire la distinction entre la langue maternelle et la langue nationale. Dans le "Plan de développement de l'enseignement des langues", le français et l'anglais sont alternativement présentés comme langues maternelles et langues secondes de tous les Québécois. Mais nulle part, dans ce plan, le ministère ne se reconnaît la moindre responsabilité vis-à-vis de la langue nationale des Québécois en tant que langue nationale. Il est faux de prétendre qu'il n'y a que deux langues maternelles au Québec et il est aberrant de méconnaître le rôle historique du français comme langue nationale des Québécois.

Voici donc comment devraient se définir la place et le rôle respectifs de la langue nationale et de la langue maternelle. La langue maternelle est la langue apprise par l'enfant dans son milieu familial, la première langue apprise par un individu, la langue dans laquelle une personne a appris à penser et à exprimer pour la première fois ses sentiments, ses interrogations et ses découvertes.

La langue maternelle a une très grande importance dans le développement affectif et intellectuel de l'individu. Le passage précoce à une autre langue entraîne des difficultés d'adaptation et parfois des troubles d'apprentissage. La perte totale, par un individu, de l'usage de sa langue maternelle en fait une espèce d'infirme social.

Il n'y a pas de pays au monde dont tous les citoyens, sans exception, ont une seule et même langue maternelle. Le Québec ne fait pas exception à la règle. Les principales langues maternelles des Québécois sont le français, l'anglais, l'italien, l'allemand et le yiddish. Le français est la langue maternelle de 80 p.c. des Québécois et de 85 p.c. des Québécois natifs du pays. Ceux qui, parmi les diverses langues maternelles du Québec, compte tenu de l'environnement nord-américain, indépendamment de toute politique linguistique, ont le moins de chance de perdre leur langue maternelle, ce sont les anglophones.

La langue maternelle est essentiellement un bien propre des individus et des familles qui la parlent. C'est au milieu familial qu'incombe avant tout la responsabilité de la maintenir, de la cultiver, de la transmettre. L'individu a le droit de conserver sa langue maternelle s'il juge qu'il lui est avantageux de la conserver, d'en faire usage dans ses communications d'ordre privé avec d'autres personnes consentantes et de la transmettre si possible à sa progéniture. La collectivité ne doit pas y faire obstacle.

Le système d'éducation publique peut encourager les individus à conserver leurs langues maternelles mais ce n'est pas là sa fonction première. L'école publique, en effet, est une institution de la collectivité nationale, non un prolongement de la famille en tant que telle.

La langue nationale, c'est la langue du pays, de la collectivité nationale et de ses institutions; la langue commune qui assure l'intégration des individus et des familles de diverses origines à une même communauté nationale.

La langue nationale coincide généralement avec la langue maternelle de la majorité de la population nationale, mais ce n'est pas toujours le cas. Ainsi, l'allemand est la langue nationale des Suisses alémaniques, mais la plupart d'entre eux, ont comme langues maternelles les dialectes alémaniques propres à chaque canton ou à chaque partie de canton. L'allemand est pour eux la langue commune qui forge leur unité nationale, qui exprime leur culture nationale et leurs aspirations collectives.

La première condition pour assurer l'unité d'un peuple, c'est que tous les citoyens quelle que soit leur langue maternelle, puissent communiquer entre eux dans une même langue. C'est pourquoi, dans tout pays normal, l'apprentissage de la langue nationale est obligatoire dès les premières années de l'élémentaire et c'est normalement la langue d'enseignement pour tous.

La langue nationale, en tant que langue nationale, n'est pas le bien propre des individus et des familles, mais le bien commun de la nation. Quand elle coincide avec la langue maternelle de la majorité, elle n'est pas pour autant le bien de la seule majorité. Elle est le bien commun de toute la collectivité nationale.

Les droits de l'individu à sa langue maternelle ne sont pas lésés par la proclamation d'une langue nationale unique ou par toute législation l'établissant comme langue officielle de l'administration, des institutions politiques et économiques et des communications d'ordre public. Au contraire, la liberté individuelle est mieux assurée dans un régime d'unilinguisme officiel que dans un régime de bilinguisme officiel généralisé. Ainsi, l'italien, l'allemand et les langues amérindiennes auront plus de chance de survie comme langues maternelles dans un Québec où une seule langue sera vraiment nécessaire à tous que dans un Québec où deux langues resteraient en perpétuelle concurrence comme langues de communications dans divers domaines.

Un groupe ethnique, c'est l'ensemble d'individus et de familles ayant en commun certaines caractéristiques — origine, langue maternelle, traditions familiales — qui les font se reconnaître et se sentir solidaires. Et à partir de cette définition, il est impossible de dire qu'il

n'y a que deux groupes ethniques au Québec.

Un groupe ethnique minoritaire peut — et c'est son droit — résister à son assimilation pure et simple par un autre groupe ethnique, majoritaire ou non. Cela devrait faire partie des droits de l'homme, mais il ne peut pas refuser de s'intégrer à l'ensemble national. Il peut conserver sa langue particulière, mais il doit accepter que la langue nationale soit la langue commune à tous les groupes ethniques intégrés à la nation.

Ce qui est grave au Québec, à l'heure actuelle, c'est la tendance des groupes ethniques minoritaires à s'assimiler à un groupe ethnique minoritaire particulier, à savoir le groupe anglo-québécois. Ceci a pour effet une division artificielle du Québec en deux blocs dont l'un, en régression, est constitué par la majorité numérique francophone, l'autre possédant les principaux leviers de commande de l'économie et voyant son importance numérique proportionnelle augmenter sans cesse.

Cette situation ouvre la porte toute grande à un éventuel éclatement violent de notre société. L'Etat doit donc intervenir et créer des conditions telles que les divers groupes ethniques cessent de s'assimiler massivement aux Anglo-Québécois. La politique linguistique que nous attendons doit contribuer à corriger cette situation explosive, notamment en enlevant à l'anglais son privilège abusif d'être une langue indispensable dans la vie économique interne du Québec.

En conclusion, le peu de temps laissé pour la rédaction de ce mémoire ne nous permet pas d'élaborer tous les aspects de la politique linguistique dont le Québec a besoin. Au minimum, voici ce que nous attendons: 1-Que le français soit reconnu comme langue nationale des québécois et soit réellement la seule langue officielle de l'Etat québécois et de tous les organismes publics, ce que ne donne pas le bill 22; 2-Que le Nouveau-Québec se voie reconnaître un statut particulier quant à la politique linguistique, les langues autochtones y ayant droit à une reconnaissance pleine et entière, ce que ne donne pas non plus l'article 48 du projet de loi 22; 3-Que, dans les relations d'ordre privé, tout ce qui n'est pas défendu par la loi soit considéré comme permis et qu'au niveau du facultatif, toutes les langues non officielles aient des droits juridiquement égaux, ce qui exclut la nécessité de mentionner à tout propos qu'il est permis de faire une version anglaise; 4-Que le gouvernement prenne les moyens pour que l'anglais cesse d'être une langue indispensable dans la vie économique interne du Québec et pour que le français devienne la véritable langue dominante dans tous les secteurs importants de la vie québécoise; 5-Pour qu'aucun individu n'ait à souffrir de l'établissement du français comme seule langue officielle — et c'est nécessaire pour le respect des droits de l'homme — comme langue de travail, des affaires et de la vie économique, que l'Etat prenne les moyens efficaces, notamment par l'école, pour que le français devienne effectivement et le plus rapidement possible, la langue commune de tous les Québécois sans exception; 6- Que les groupes minoritaires soient encouragés à maintenir leurs légitimes originalités, dans toute la mesure où elles ne mettent pas en danger la survie de la culture nationale.

Maintenant, je puis répondre aux questions.

LE PRESIDENT (M. Pilote): L'honorable ministre de l'Education.

M. CLOUTIER: M. le Président, je remercie le Regroupement régional de la capitale québécoise pour la présentation de son mémoire. Est-ce que je pourrais avoir une idée de ce que représente cette association?

M. LABERGE: En fait, ce n'est pas une association, c'est un regroupement spontané. Je puis vous donner la liste des organismes de la région de Québec qui ont adhéré à ce regroupement. Il y a le Conseil central des syndicats nationaux de Québec, le Syndicat des professeurs du Québec métropolitain, qui regroupe des enseignants de l'élémentaire et du secondaire, le Syndicat des professeurs du CEGEP de Sainte-Foy, l'Association des professeurs de l'université Laval, le Comité des citoyens de l'aire no 10, l'Association coopérative d'économie familiale de Québec, la Société nationale des Québécois de la région de la capitale nationale, le Club Fleur-de-Lys, la Corporation des psychologues, la section de Québec de la Ligue des droits de l'homme et la région de Québec du Conseil des hommes d'affaires québécois.

Il y a aussi d'autres groupes qui ont participé au travail, mais qu'on n'a pas pu rejoindre pour annoncer officiellement leur adhésion et qui nous avaient dit officieusement qu'ils devraient nous donner une réponse bientôt.

M. CLOUTIER: Nous avons d'ailleurs entendu un bon nombre des groupes que vous avez cités, au moins une demi-douzaine. De quelle façon considérez-vous que cette prise de position représente les vues de l'ensemble de ces groupes? Je suis porté à le croire, parce que les quelques groupes, que vous nous avez cités et qui sont venus ont exprimé des opinions à peu près semblables.

M. LABERGE: Dans la semaine qui a suivi l'annonce de la commission parlementaire avec les dates où on pourrait présenter les mémoires, on a convoqué une cinquantaine de personnes qui se sont réunies venant de chacun de ces organismes et de quelques autres. On a discuté de l'attitude à prendre vis-à-vis du bill 22.

Les personnes présentes à l'unanimité ont adopté les positions suivantes, à savoir que le français doit être reconnu comme la seule langue officielle et que le bill 22 ne donne pas cela.

Ensuite, on a demandé à chacune des personnes présentes d'aller chercher un mandat explicite de son mouvement ou de son organisme pour adhérer au regroupement régional. Ceux que je vous ai mentionnés sont ceux qui nous ont retourné leur réponse comme quoi ils avaient reçu un mandat explicite de la part de leur association.

M. CLOUTIER: Je vous remercie beaucoup. J'aurai une seule question.

Comme vous me mettez en cause sur le plan personnel une fois ou deux, vous parlez du ministre psychiatre, psychiatre ne prend pas d'accent circonflexe.

M. LABERGE: Merci.

M. CLOUTIER: Enfin, c'est utile de le savoir. Il y a une phrase sur laquelle je suis entièrement d'accord dans votre mémoire. C'est celle-ci, en page 4 et c'est une phrase importante, je vous en félicite. Je cite: "...toute politique linguistique au Québec est fonction de la définition que l'on donne à la société québécoise". C'est vrai. Il se trouve que vous donnez une définition qui n'est pas celle du gouvernement. Je respecte votre définition et je ne nierai pas que la loi 22 est dans la perspective de la définition que le gouvernement donne de la société québécoise.

J'aurai l'occasion en deuxième lecture d'expliquer exactement quels sont les objectifs de cette loi et comment le gouvernement, qui s'inscrit dans une société où il y a, qu'on le veuille ou non, une majorité et une minorité, qui s'inscrit également dans un pays, qu'on le veuille ou non, qui s'appelle le Canada et auquel il tient en tant que gouvernement et en tant que représentant de la population, il a pris cette approche.

Je vous remercie.

LE PRESIDENT (M. Pilote): Le député de Saint-Jacques.

M, CHARRON: M. le Président, je remercie également le Regroupement régional de la capitale québécoise et son porte-parole de cet après-midi.

J'aimerais également revenir à une phrase à la première page de votre mémoire où, sous le titre: "Pourquoi le bill 22 est inacceptable", vous nous invitez à réfléchir sur un paradoxe que vous retrouvez, dans la loi 22. Vous dites: "Paradoxalement, la négation ou la méconnaissance de la réalité nationale québécoise" cela fait suite à la question que le ministre vient de vous poser: "la négation ou la méconnaissance de la réalité nationale québécoise aboutit à donner de mauvaises solutions aux besoins individuels et à brimer le droit de chacun à une légitime originalité". J'aimerais vous entendre développer cette affirmation.

M. LABERGE: Oui, c'est que, d'abord, le projet de loi est conçu globalement sur le modèle suivant: c'est qu'il y a deux langues officielles dont une a une priorité sur l'autre. Nous considérons que c'est une priorité très minime. En fait, il y a deux langues officielles. Deux langues officielles, cela veut dire que, dans la pratique, un citoyen qui veut avoir une véritable mobilité à l'intérieur de son pays et qui veut vraiment pouvoir réussir dans divers domaines doit connaître deux langues. Cela veut dire qu'à ce moment cela limite la possibilité de ceux qui voudraient maintenir une langue maternelle autre que le français ou l'anglais de pouvoir la maintenir, parce que, si c'est difficile d'être bilingue, c'est encore plus difficile d'être trilingue ou d'être quadrilingue. Dans ce sens, tous les privilèges qu'on accorde à l'anglais, qu'on ne nomme pas comme langue officielle, mais dont on fait, en fait, une langue officielle par l'ensemble des articles de la loi, font que toutes les autres langues deviennent pratiquement inutilisables au Québec.

M. CHARRON: Vous affirmez "reconnaître dans le projet de loi une méconnaissance de la réalité nationale québécoise". Encore une fois, je vous inviterais à développer à quel point ou à quel endroit vous faites porter de façon visible la méconnaissance du Québec dont est empreint ce projet de loi.

M. LABERGE: En fait, c'est une critique qui s'applique à l'esprit même de la loi. Cela ne porte pas sur un article en particulier, mais cela porte sur tous les chapitres à partir du début. Vous avez l'article 1 qui annonce quelque chose de très bien. Après cela, dans tout le reste, vous avez toujours deux langues pendantes.

Or, et le mémoire du MQF l'a déjà démontré de façon très claire, la seule langue qui, juridiquement, pouvait prétendre être la langue officielle du Québec jusqu'au bill 63, c'était le français, avec comme seule exception que l'anglais pouvait être utilisé dans les débats parlementaires et devant les tribunaux. Pour tout le reste, la seule langue qui pouvait être juridiquement reconnue comme langue officielle était le français.

Or, le bill 22 vient prolonger ce que le bill 63 avait déjà reconnu comme droit juridique à l'anglais, c'est-à-dire être la deuxième langue d'enseignement sur le même pied que le français.

Alors, cela me semble être une négation du caractère national du Québec. C'est qu'on continue, dans la tradition du bill 63, à considérer le Québec non pas comme une nation ou comme une société nationale distincte, à l'intérieur ou en dehors de la Confédération — cela

est une autre question — mais on ne la considère plus comme une société nationale distincte, mais comme étant une espèce de compromis entre deux sociétés nationales qui vivent à l'intérieur d'une même frontière. Cela est inacceptable de considérer qu'il y a deux communautés nationales au Québec.

Je pense qu'on doit dire qu'il y a une communauté nationale au Québec, mais qui comporte plusieurs groupes ethniques dont les groupes ethniques minoritaires, qui doivent accepter de s'intégrer à l'ensemble national, s'ils veulent vivre la vie collective du Québec.

M. CHARRON: Quand vous affirmez au haut de la page 2 de votre mémoire que c'est bien à tort qu'on oppose trop souvent droits individuels, droits collectifs et que vous affirmez que ces deux ordres de droits sont complémentaires, s'appuient mutuellement, je ne sais pas si vous avez entendu tout à l'heure l'échange que j'ai eu avec M. White, celui qui vous a précédé. Nous avons abordé cette question de la charte des droits de l'homme qui est attendue, qui est promise dans le discours inaugural de cette présente session et qui s'appliquera à statuer, peut-être comme jamais aucune loi québécoise ne l'aura fait, sur les droits individuels des citoyens québécois.

Je partage votre opinion à l'effet que ces deux ordres de droits ne sont pas opposés, contrairement à l'affirmation du ministre. Je suis en train de lui dire que c'était la difficulté à laquelle il devait faire face et qu'il devait inclure dans le projet de loi 22 des droits collectifs de la majorité, les droits individuels des anglophones du Québec. Cela lui a donné ce casse-tête épouvantable pour aboutir au charabia qu'est le projet de loi 22.

Je ne conçois pas, moi non plus, qu'il fallait se livrer à cette épreuve intellectuelle à laquelle le ministre de l'Education n'était nullement préparé, je crois. Dans le même esprit, vous dites que c'est complémentaire et que cela s'appuie mutuellement. Au moment où nous traitons une loi linguistique, l'aborder sous l'angle des droits collectifs et dans un chapitre ultérieur d'une législation, d'un même gouvernement, d'une même Assemblée nationale, s'attaquer, mais cette fois — encore une fois — sans amener les droits collectifs au moment où nous discuterons des droits individuels, prendre l'angle sous le chapitre de l'enseignement, des droits de l'homme et les conquêtes que nous avons faites dans ce chapitre depuis quelques siècles...

Quand vous affirmez que ces deux ordres de droits vous apparaissent comme complémentaires et s'appuient mutuellement, est-ce que vous signalez que le Regroupement régional de la capitale québécoise aurait souhaité que, cette fois, nous disposions et nous abordions cette question sous l'angle collectif, comme elle devait être envisagée, sans écarter, pas plus pour les anglophones que pour les francophones, une loi claire et précise au' chapitre des droits individuels qui devrait venir dans une autre législation, mais que vous considérez le tour de force tenté et manqué comme ayant été fort coûteux pour la collectivité québécoise?

M. LABERGE: Je pense qu'une charte des droits de l'homme devra pouvoir établir de façon claire ce qui est du domaine privé, du domaine où l'Etat n'a pas à se mettre le nez. Par exemple, s'il y avait un gouvernement qui voulait surveiller la langue que les gens utilisent sur la rue pour les pénaliser s'ils ne parlent pas la langue officielle, je pense que cela serait tout à fait inacceptable et contraire aux droits de l'homme.

Alors, la charte des droits de l'homme doit établir cette frontière, entre ce qui est du domaine privé et ce qui est du domaine public; mais une loi linguistique qui veut traiter de la langue nationale, de la langue officielle, doit parler de la langue qui va être utilisée dans le domaine public.

Il y a peut-être seulement un domaine où la frontière est plus difficile à déterminer entre ce qui est droit de l'homme et ce qui est législation linguistique, c'est dans le domaine de l'enseignement; parce que dans ce domaine, nous établissons comme principe que l'école n'est pas le prolongement de la famille, mais une institution de la collectivité nationale.

Cependant, il faut bien reconnaître que l'école élémentaire, en tout cas, sert de transition entre le milieu familial et la société globale, de sorte que l'école élémentaire doit donner une place, qui est à définir, à la fois à la langue nationale et à la langue maternelle. Si on veut donner, au niveau de l'école élémentaire, une place à la langue maternelle et à la langue nationale, il ne faudrait quand même pas qu'on reconnaisse, au point de départ, qu'il y a deux langues d'enseignement qui sont sur un pied d'égalité. H faudrait qu'il y ait une langue d'enseignement général et qu'on reconnaisse que la langue maternelle, mais uniquement la langue maternelle de ceux qui ont cette langue maternelle — il ne s'agit pas, comme dans le bill 63, de dire liberté de choix pour n'importe quelle langue — mais que ceux qui ont une langue maternelle particulière puissent aussi trouver une place pour cette langue maternelle au niveau de l'école élémentaire. On n'est pas entré dans le détail, nous autres, pour définir cette place précise que doivent avoir la langue maternelle et la langue nationale.

Par exemple, cela pourrait être au niveau des premières années de l'élémentaire, l'enseignement pourrait se donner principalement en langue maternelle et puis, progressivement, on passe à un enseignement en langue nationale, et on arrive ensuite au niveau secondaire où l'enseignement se donnerait presque totalement en langue nationale.

M. CHARRON: Est-ce que vous êtes de l'avis du ministre de la Justice qui dit que,

dans cette même recherche d'une frontière entre droit collectif et droit individuel, le choix de la langue d'enseignement est un choix collectif, que c'est une collectivité — comme il l'a lui-même défini à cette commission— qui peut adopter à l'occasion cette mesure pratique, comme il l'a appelée, et que les choix individuels doivent se faire dans la ligne d'un choix collectif préalable?

M. LABERGE: C'est cela. J'étais justement ici au moment où le ministre de la Justice a fait cette remarque. Je suit tout à fait d'accord sur l'ensemble de sa remarque, à savoir que, si on veut établir une langue d'enseignement, c'est vraiment un choix collectif. Puis il faut éviter qu'il y ait des choix disparates à l'intérieur d'une nation. Si on veut faire des exceptions, on doit les faire pour la langue maternelle, mais pour les gens concernés et non pas pour n'importe qui. Par exemple, on pourrait établir un principe qu'il pourrait y avoir une possibilité de choix pour une minorité italienne ou allemande. Mais, comme question de fait, le seul groupe d'une langue minoritaire d'une langue maternelle autre que le français qui réclame des écoles dans sa langue, c'est le groupe anglophone.

Je pense qu'on devrait établir le principe général, que, là où un groupe de langue maternelle minoritaire suffisamment nombreux le demande, il puisse y avoir une certaine place à la langue maternelle au niveau de l'élémentaire. Je pense qu'en pratique ce sera presque exclusivement les anglophones qui le demanderont, mais c'est une question pratique. Je pense que le principe de la loi devrait quand même placer tous les individus sur un pied d'égalité au Québec et non pas faire des classes spéciales et créer des catégories privilégiées de citoyens qui ont des droits que d'autres citoyens n'ont pas. Je pense que les italophones, par exemple, ont raison d'être agacés quand on reconnaît des droits particuliers à la minorité anglophone et qu'on ne reconnaît pas le droit équivalent à la minorité italophone. Je vous ferai remarquer que le droit équivalent n'est pas le droit égal, c'est-à-dire que si les italophones voulaient avoir un droit équivalent à celui des anglophones pour la langue d'enseignement, il faudrait qu'ils réclament l'enseignement en italien. Mais il s'agirait à ce moment-là de voir à quel endroit les Italiens sont assez nombreux pour que cela puisse se faire d'une façon commode, sans que cela crée des coûts exagérés pour la collectivité nationale.

M. CHARRON: Merci.

LE PRESIDENT (M. Pilote): Le député de Laporte.

M. DEOM: M. le Président, à l'instar du ministre, il y a pour moi une phrase qui est extrêmement intéressante dans votre mémoire.

C'est à la page 7, lorsque vous dites: "Mais il ne peut pas refuser de s'intégrer à l'ensemble national". Ma question est la suivante. Est-ce que par ceci vous voulez indiquer que, dans votre esprit, l'ensemble national, c'est le Québec et non le Canada?

M. LABERGE: Oui, selon la définition que nous avons d'un ensemble national. Je pense que c'est une réalité historique et la confédération est ici un aménagement politique qui ne détruit absolument pas la réalité historique nationale du Québec, qui remonte à 1608, alors que la confédération, cet aménagement politique particulier qui s'appelle la confédération canadienne, ne remonte qu'à 1867. La réalité distincte du Québec comme entité nationale distincte a été reconnue par l'Acte de Québec en 1774. On y a reconnu que le territoire de la province de Québec était un territoire français, de tradition française, et on a reconnu que c'étaient les lois françaises qui devraient continuer à s'appliquer chez nous. En 1791, on a séparé la province de Québec en deux, la première fois qu'il y a eu un mouvement séparatiste, pour donner une province aux anglophones, confirmant par le fait même le Québec comme le territoire national distinct d'une nation qui était francophone par nature.

LE PRESIDENT (M. Pilote): Mes amis, il est 18 heures. Est-ce que les membres de la commission seraient prêts à ajouter quelques minutes pour terminer avec M. Laberge, quitte à reprendre? Il reste 7 minutes au parti de l'Opposition et environ 14 minutes au parti ministériel.

M. CLOUTIER: Je pense bien que le parti ministériel n'aura pas besoin de tout ce temps. Je ne sais pas si l'Opposition veut utiliser son temps. Dans ce cas, on pourra terminer d'ici quelques minutes.

LE PRESIDENT (M. Pilote): Le député de Laporte, oui, allez.

M. LABERGE: Est-ce que le député de Laporte continue...

M. DEOM: Oui.

M. LABERGE: Parce que je voudrais juste terminer par une remarque finale.

M. DEOM: Je comprends que, pour vous, la variable politique ne fait pas partie du contexte historique?

M. LABERGE: L'aménagement politique particulier qui s'appelle confédération canadienne.

M. DEOM: C'est quoi, un aménagement politique?

M. LABERGE: C'est-à-dire...

M. DEOM: La Belgique n'est pas une nation, d'après vous?

M. LABERGE: Oui, la Belgique est un aménagement politique qui a été créé par un traité.

M. DEOM: D'après vous, ça ne s'inscrit pas dans l'histoire? La dimension politique ne s'inscrit pas dans l'histoire.

M. LABERGE: Le cas de la Belgique est tout à fait différent, comme je vous ai dit, parce qu'il y a eu un mouvement populaire des deux peuples pour conquérir leur indépendance nationale, ce qui n'est pas le cas au Québec. C'est vraiment un aménagement politique qui a été voté dans un Parlement étranger pour définir notre statut. On peut tenir à ce statut ou ne pas y tenir, mais il reste que c'est un aménagement politique qui n'a rien à voir avec la réalité historique de la nation québécoise.

M. CHARRON: Vous allez moins loin que Diefenbaker et nier qu'il y ait deux nations à l'intérieur du Canada?

M. DEOM: Je ne veux pas répondre au député de Saint-Jacques.

M. CHARRON: Est-ce que vous niez le fait qu'il y a deux nations au Canada?

M. DEOM: En deuxième lecture, M. le député, on répondra à vos questions. Vous dites à un endroit: "Le aspirations collectives distinctes par rapport aux aspirations du grand tout "Canadian". Comment déterminez-vous cela, d'après vous, des aspirations collectives, comment ça se détermine en pratique? C'est vous qui décidez ça ou si c'est...

M. LABERGE: Cela se détermine par la collectivité elle-même. C'est une des traditions les plus maintenues par tous les gouvernements, jusqu'à l'avant-dernier gouvernement, que le Québec défendait le droit d'avoir des politiques particulières. Il se fondait sur la théorie, c'est la thèse qui a été défendue par les gouvernements depuis Honoré Mercier, en passant par Taschereau, Duplessis et Lesage, soit que le Québec avait des besoins particuliers parce qu'il était le foyer d'une communauté nationale distincte.

M. DEOM: Vous n'avez pas l'impression que le 29 octobre, les Québécois ont défini leurs aspirations collectives?

M. LABERGE: Oui, c'est possible.

M. DEOM: C'est le seul moyen qu'ils ont à leur disposition.

M. LABERGE: Je pense qu'ils la définissent constamment.

M. DEOM: Ils l'ont définie de façon très claire.

M. LABERGE: Mais, je pense qu'il ne faut pas concevoir une définition des aspirations collectives comme quelque chose de statique.

M. DEOM: Non, non.

M. LABERGE: Un peuple définit continuellement...

M. DEOM: II y a d'autres élections, en...

M. LABERGE: Oui, c'est cela, exactement. Un peuple est toujours en train de définir ses aspirations et son orientation.

M. DEOM: Vous admettez qu'à l'heure actuelle c'est le gouvernement actuel qui représente le mieux...

M. LABERGE: C'est absolument...

M. DEOM: ... les aspirations collectives des Québécois?

M. LABERGE: Nous ne nions absolument pas que le gouvernement actuel ait été élu par la majorité des Québécois.

M. DEOM: Qu'il représente les aspirations. M. LABERGE: Non, pas nécessairement. M. DEOM: Oui.

M. LABERGE: Je pense que le gouvernement actuel, quand il convoque une commission parlementaire et qu'il invite les gens à venir présenter des mémoires, c'est parce qu'il veut que la population vienne lui dire ce qu'elle attend. Et si, nous, nous acceptons de venir comparaître devant la commission parlementaire, c'est parce que nous acceptons que ce gouvernement a le droit de gouverner le Québec. Si nous ne reconnaissions pas cela, nous ne serions pas ici. Et si vous ne reconnaissiez pas que la population a quelque chose à vous dire et que vous n'ayez pas la connaissance complète de toutes les aspirations populaires, je pense que vous auriez eu la franchise de ne pas convoquer les gens à venir témoigner ici.

M. DEOM: C'est exact. Ma dernière question. Vous dites à un moment donné: Notamment, en enlevant l'anglais, son privilège abusif d'être une langue indispensable dans la vie économique interne du Québec. Est-ce que vous pourriez me dire combien il y a de Québécois francophones qui gagnent leur vie honorablement en français?

M. LABERGE: II y en a un bon nombre, mais je vous réfère aux études de la commis-

sion Gendron — que je ne sais pas par coeur — qui démontrent quand même qu'il y a un nombre beaucoup trop élevé de Canadiens français qui ne peuvent pas gagner leur vie sans l'usage de l'anglais. Ce qui est démontré aussi par la commission Gendron, c'est qu'il est possible de gagner sa vie, mais les promotions les plus importantes dépendent de l'usage et de la connaissance de l'anglais, beaucoup plus que de la connaissance d'usage du français.

M. DEOM: Oui, mais lorsque vous référez à la commission Gendron, vous parlez uniquement d'un secteur des études de la commission Gendron, ses études sur les cadres de direction. Savez-vous combien cela représente dans l'ensemble de la main-d'oeuvre?

M. LABERGE: Je n'ai pas de chiffres là-dessus, mais ce que je veux répondre, c'est que si on admet que c'est parce que cela touche une minorité, cette minorité doit être une minorité privilégiée et que cette minorité doit se recruter exclusivement dans le groupe de ceux qui parlent anglais, au détriment de ceux qui parlent français, je ne suis pas d'accord, même si c'est une minorité.

M. DEOM: Pour votre information, les cadres de direction auxquels la commission Gendron a fait référence représentent, dans l'ensemble occupationnel, pour la main-d'oeuvre, moins de 10 p.c.

M. LABERGE: Oui, d'accord, mais c'est quand même la classe qui est la mieux rémunérée, qui a le plus d'influence...

M. DEOM: II y a une autre étude...

M. LABERGE: ... celle qui détermine le plus la vie du Québec.

M. DEOM: Oui, mais il s'agit de savoir si les Québécois peuvent gagner leur vie en français. Si un Québécois décide d'être menuisier, c'est son problème, ce n'est pas notre problème. S'il y en a un autre qui veut être président d'IBM International, c'est aussi son problème.

M. LABERGE: Ah bon! Est-ce qu'il est plus facile de devenir président d'IBM-Québec si on est unilingue anglais ou si on est unilingue français?

M. DEOM: C'est un Français qui est président d'IBM International. Pour votre information, il s'appelle M. de Maisonrouge. Pour votre information, on peut se référer à partir de certaines études qui ont été faites par la commission Gendron. Il y a plus de 80 p.c. des Québécois qui travaillent actuellement en français et qui gagnent leur vie honorablement en français.

M. CHARRON: ... des francophones de

Montréal font usage des deux langues au travail alors que seulement 31 p.c. des anglophones de la métropole le font.

M. DEOM: M. le député de Saint-Jacques, vous vous référez probablement à l'étude de M. Morrison.

M. CHARRON: C'est cela.

M. DEOM: II y a une étude qui a été faite par la commission Gendron qui est beaucoup plus exhaustive que celle de M. Morrison.

M. LABERGE: La définition de la commission Gendron de la possibilité de gagner sa vie en français est très restrictive. On fait une distinction entre les communications horizontales et les communications verticales. Là-dessus, effectivement, pour communiquer au niveau inférieur de l'entreprise, la majorité des Québécois, travaillent en français, mais pour les communications avec la tête de l'entreprise, les mêmes études de la commission Gendron démontrent que l'anglais a une importance beaucoup plus grande.

M. DEOM: Vous êtes dans une structure pyramidale, c'est inévitable, mais la grosse masse des gens...

M. LABERGE: Oui.

M. DEOM: ... qui sont dans les classes non qualifiées.

M. LABERGE: Pour résumer notre position là-dessus...

M. DEOM: ... eux autres n'ont pas à parler anglais au travail parce qu'ils ne sont pas en communication avec les échelons supérieurs de la hiérarchie.

M. LABERGE: D'accord. Pour résumer notre position là-dessus, ce que nous, nous contestons, c'est justement que la majorité qui, elle, est en bas de la pyramide, comme vous l'appelez, ce soit une majorité francophone...

M. DEOM: C'est la même chose dans les autres provinces, partout.

M. LABERGE: ... alors que la minorité qui est en haut de la pyramide, soit une minorité anglophone. Bien sûr que le bas de la pyramide est plus gros que la pointe en haut. C'est évident.

M. DEOM: Merci, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Pilote): Je remercie M. Laberge, porte-parole du Regroupement régional de la capitale québécoise de son mémoire. Soyez assuré que la commission et les membres vont en prendre bonne note.

Pour 20 h 15 ce soir, sont convoqués: le Comité des citoyens de Saint-Laurent et le Conseil du travail de Joliette. Est-ce que les deux groupements sont présents? Saint-Laurent? Joliette?

La commission ajourne ses travaux à ce soir à 20 h 15.

(Suspension de la séance à 18 h 8)'

Reprise de la séance à 20 h 17

M. PILOTE (président de la commission permanente de l'éducation, des affaires culturelles et des communications): A l'ordre, messieurs!

Avant de commencer la séance, je voudrais faire les changements suivants et nommer les membres de la commission. M. Bérard (Saint-Maurice); M. Charron (Saint-Jacques); M. Déom (Laporte); M. Cloutier (L'Acadie); M. Houde (Fabre) remplace M. Tardif (Terrebonne); M. Larivière (Pontiac-Témiscamingue) remplace M. L'Allier (Deux-Montagnes); M. Léger (Lafontaine) est membre de la commission. M. Parent (Prévost); M. Beauregard (Gouin) remplace M. Phaneuf (Vaudreuil-Soulanges); M. Saint-Germain (Jacques-Cartier); M. Samson (Rouyn-Noranda); M. Veilleux (Saint-Jean). M. Tardif (d'Anjou) remplace M. Bérard (Saint-Maurice).

Nous entendrons d'abord le Comité des citoyens de Saint-Laurent, M. André Béliveau en est le représentant. Je l'invite à venir présenter son mémoire et je voudrais savoir si les représentants du Conseil du travail de Joliette sont ici.

J'inviterais M. Béliveau à présenter le mémoire du Comité des citoyens de Saint-Laurent. Vous avez 20 minutes pour présenter votre mémoire. Le parti ministériel a 20 minutes pour vous poser des questions et les partis de l'Opposition ont également 20 minutes. La parole est à M. Béliveau.

Comité des citoyens de Saint-Laurent

M. BELIVEAU: A la suite de rencontres réunissant un groupe de citoyens de Saint-Laurent pour analyser les implications du projet de loi 22, nous avons cru bon de nous en tenir aux articles 1 à 52, considérant ces articles comme les plus importants.

Voici donc la conclusion de nos travaux.

Attendu que la langue française est la langue de la majorité et que l'Etat se doit d'en assurer la primauté;

Attendu qu'au niveau scolaire le projet de loi 22 ne corrige pas la situation d'assimilation des francophones et des immigrants au secteur scolaire anglophone;

Attendu que cette situation est particulièrement alarmante dans l'ouest de Montréal où, dans certaines écoles anglaises, la population étudiante anglophone ne représente que le tiers des étudiants inscrits;

Attendu que le français doit être la seule langue utilisée dans l'administration publique;

Attendu que le français doit être la langue utilisée dans les milieux de travail;

Attendu que le français doit être la langue du monde des affaires, particulièrement en ce qui concerne les raisons sociales, l'affichage public, les contrats d'adhésion et les contrats conclus par les consommateurs:

Nous proposons que les modifications sui-

vantes au projet de loi 22, Loi sur la langue officielle, soient apportées.

Je voudrais faire remarquer à la commission parlementaire que c'est la première fois que j'ai personnellement l'expérience d'assister à une commission parlementaire. Aucune des personnes du comité n'y a assisté. Je me suis rendu compte au cours de la journée de la façon de présenter un mémoire à une commission parlementaire. On n'a pas présenté cela dans le sens de la majorité. J'espère que vous serez complaisants à notre égard. Nous avons pris cela article par article. D'accord? Merci.

M. CLOUTIER: C'est une approche très positive. Vous êtes venus discuter d'un projet de loi, pour vous prononcer sur son texte, que vous soyez d'accord ou que vous ne soyez pas d'accord, vous n'êtes pas venus pour faire de grandes déclarations, alors je vous en félicite.

M. BELIVEAU: Merci. Nous proposons de supprimer l'article 8, étant donné que nous voulons que la langue française ait le même statut que la langue anglaise possède dans les neuf autres provinces. A l'article 9, nous considérons que ceci crée un précédent. Comme exemple, on pourrait apporter le cas d'une municipalité où 90 p.c. des gens sont francophones dans un petit village des Laurentides, avec 10 p.c. de propriétaires vacanciers anglophones; la municipalité se verrait dans l'obligation d'appliquer le bilinguisme. Aux articles 10 et 11, nous proposons d'inclure aussi les individus, car nous trouvons illogique d'imposer le bilinguisme dans la fonction publique pour 15 p.c. environ de la population anglophone et nuire en plus à l'avancement des fonctionnaires francophones au sein de leur propre administration. A l'article 14, à cause de l'importance de la question, nous exigeons un meilleur contrôle qui serait public et ainsi connu des citoyens. L'alinéa 3, qui permet la présence d'unilingues anglophones dans la fonction publique, est un non-sens, bloquant toute possibilité de mutation, privilégiant les fonctionnaires dans certains secteurs et limitant l'efficacité dans l'impossibilité de contact et de dialogue avec ces mêmes fonctionnaires.

A l'article 16, dans une société francophone, les juges délégués par leurs pairs doivent parler et rendre leur jugement dans la langue de la majorité. Mais, évidemment, les anglophones ont droit à une traduction de ces mêmes jugements dans leur langue. Chose assez curieuse, ce midi, en sortant du Parlement pour aller diner, j'ai rencontré une personne qui faisait du piquetage à la porte ici. Cette personne a apparemment reçu une contravention. Elle a eu un jugement porté contre elle dans la ville de Saint-Jérôme uniquement en anglais, il y a neuf mois de cela. La personne m'a dit qu'une lettre a été envoyée au ministre Choquette et à M. Bourassa. Depuis ce temps, il n'y a eu aucune réponse pour remédier à la situation.

Telle qu'on demande la modification, c'est pour cela que je trouve l'article assez important. A l'article 17, le projet de loi étant le français langue officielle, il serait donc impensable de susciter le bilinguisme dans le contrat, car nous savons par expérience que le bilinguisme mène à l'anglicisation.

Article 20. Encore une fois, l'article 20 va à l'encontre de l'esprit de la loi faisant du français la langue officielle en proclamant le bilinguisme. A l'article 21, nous considérons qu'une trop grande discrétion est laissée aux fonctionnaires et au ministre. On ne considère pas que c'est le présent ministre nécessairement, mais ce seraient peut-être les ministres à venir.

Articles 22 et 23. Devant l'abus auquel pourraient donner lieu ces articles, nous proposons un meilleur contrôle de ces cas particuliers en remplaçant "lieutenant-gouverneur en conseil" par "Assemblée nationale".

L'article 23 est rejeté, car l'article 22 permettrait la flexibilité nécessaire que pourraient exiger des cas très particuliers. Exemple, le besoin d'un ingénieur en physique nucléaire qui serait appelé à venir travailler ici et qu'on n'aurait pas la possibilité d'avoir chez nous. L'idée n'est pas de se couper, de s'encarcaner, mais bien de s'ouvrir, avec une certaine restriction quand même, pour donner la chance aux gens de la province et nos gens ici, chez nous, d'avoir le maximum d'emploi.

Article 24. Remplacer "rédiger" par "utiliser" afin d'inclure autant les directives écrites que verbales. D'après un sondage réalisé pour la commission Gendron par l'équipe du Centre de sondages de l'Université de Montréal — sondage qui n'a pas été publié en entier, mais seulement en partie dans le premier volume du rapport — seulement 33 p.c. des anglophones de Montréal utilisent une autre langue que leur langue maternelle au travail, alors que 54 p.c. des francophones doivent s'y plier pour gagner leur vie. Plus de la moitié des francophones doivent être bilingues pour communiquer avec des non-francophones, alors qu'un tiers seulement de la majorité non francophone doit être bilingue pour communiquer avec la majorité. Les immigrants contribuent pour beaucoup à ce déséquilibre puisqu'il y a environ deux fois et demie plus d'immigrants qui optent pour l'anglais au travail, tout en n'étant cependant pas responsables de cet état de choses. En province, seulement 51 p.c. des anglophones doivent utiliser une autre langue que la leur au travail.

Aux articles 28 et 29, une période de trois ans s'impose afin de faciliter l'intégration des travailleurs anglophones à la langue française. La loi, telle que proposée aux articles 24, 26 et 28, donne au personnel anglophone le droit d'exiger l'anglais au travail. Ce que nous voulons, c'est que le personnel francophone puisse exiger que le français soit la langue de travail, même si minoritaire dans cette entreprise.

Les articles 31, 32, 33, 34 et 35. A notre point de vue, il serait inopportun de gaspiller le temps de la commission sur ces articles qui ont

été littéralement démolis par presque tous les mémoires jusqu'ici. Par contre, nous voyons la nécessité d'imposer des sanctions suite à un programme de francisation, advenant le cas où ce même programme ne serait pas suivi. Une équipe de l'Office de la langue française, travaillant à la francisation des entreprises, est arrivée au résultat suivant: l'étude porte sur quatorze entreprises — dont je vous fais grâce pour le moment, vous en avez entendu parler, General Electric, ainsi de suite — le succès de la politique de francisation n'a vraiment abouti qu'à la compagnie Aigle d'Or de Saint-Romuald et à la Générale Electrique de Québec. Il y a aussi la faillite du premier ministre Bourassa dans ses négociations avec General Motors où 85 p.c. des employés sont francophones et 60 p.c. des cadres sont anglophones. Qu'est-il arrivé de l'Opération 500 qui s'est adressée aux 280 entreprises québécoises de plus de 500 employés? Le ministre semble avoir arrêté cette opération à la veille de Noël. Nous nous posons des questions sur ce point.

Articles 36 et 38. Nous amendons l'article 36 afin de donner un visage français au Québec. L'article 38 tomberait par le fait même. A l'article 39, c'est la proclamation du bilinguisme, mais rien n'est changé, ce n'est que du pareil au même. L'article 40 laisse la porte ouverte à trop d'échappatoires. A l'article 41, je vous ferai remarquer qu'à l'alinéa 1 il y a une erreur du secrétariat; si vous révisez le texte officiel avec ce qu'on a écrit dans le texte qu'on vous a fait parvenir, c'est exactement la même chose, sauf un mot qui s'est échappé. A l'alinéa 2, il est rejeté, l'alinéa 1 répondant aux besoins.

Article 43. Article de concordance avec notre position à l'article 36. Article 45. Nous nous demandons pourquoi laisser tramer jusqu'en 1980, délai considéré trop long. Un délai trop court serait coûteux. Mais un délai trop long serait aussi trop pénible dans une marche arrière.

Article 46. Présentement, aucune poursuite concernant l'étiquetage ne fut prise en main par le procureur général, même si cela était son droit. Mais, au contraire, ce sont des citoyens qui furent obligés de se mouiller continuellement.

Nous proposons d'ajouter " poursuites intentées par des avocats salariés fonctionnaires", afin de contrecarrer l'abus et le patronage qui pourraient se faire avec des avocats de la bonne couleur.

Articles 48 à 52. Nous proposons d'éliminer ces cinq articles et ce que nous proposons, à notre point de vue, semble très clair dans le texte que nous vous avons fait parvenir. Seulement 25 p.c. des immigrants sont frappés par la loi, comme le révèlent les statistiques de l'immigration québécoise depuis quatre ans. C'est donc une loi d'exception contre les minorités italiennes, grecques, portugaises, etc. La tendance à l'anglicisation sera ainsi maintenue.

Avant 1934, la section française de la CECM attirait la majorité des Néo-Québécois. Après 1935 et jusqu'en 1961, l'évolution s'est lentement mais sûrement poursuivie en faveur de l'anglais. A partir de 1961, la tendance s'est accentuée. En 1967-1968, 89 p.c. des élèves non québécois sont allés au secteur anglais et 10 p.c. au secteur français. Dans les deux années qui ont suivi l'adoption du bill 63, à Montréal seulement, il y a eu 3,217 jeunes qui sont passés du secteur français au secteur anglais. Pendant ce temps, 824 jeunes passaient de l'anglais au français et 83.4 p.c. de ceux qui ont changé d'école sont allés vers le secteur anglais.

A la régionale Le Royer de Saint-Léonard, 97.9 p.c. de ceux qui ont changé d'école sont allés au secteur anglais, plus particulièrement dans le secteur qui nous touche, nous du groupe de Saint-Laurent. J'ai des chiffres ici qui sont quand même assez significatifs.

A la commission scolaire Sainte-Croix, pour l'année 1972-73, à l'élémentaire, les transfuges francophones au secteur anglophone: 24; du secteur anglophone au secteur francophone: 16. Au secondaire, francophones passés au secteur anglophone: 53; anglophones au secteur francophone: aucun.

Pour l'année 1973/74, à l'élémentaire, du secteur francophone au secteur anglophone: 27; du secteur anglophone au secteur francophone : 3. Au secondaire, du secteur francophone au secteur anglophone: 74; du secteur anglophone au secteur francophone: aucun.

Depuis l'an dernier, il y a un regroupement scolaire qui s'est fait à Saint-Laurent, comprenant les villes de Mont-Royal, Outremont et Saint-Laurent.

Les chiffres que je vais vous citer sont partiels, étant donné qu'une inscription est encore en cours. Ces chiffres datent du 1er juin 1974: A la maternelle, le nombre de francophones transfuges au secteur anglophone, 24 francophones, 49 Néo-Québécois, pour un total de 73; du secteur anglophone au secteur francophone, 43 anglophones, 16 Néo-Québécois, pour un total de 59; à l'élémentaire, du secteur francophone au secteur anglophone, 30 francophones, 68 Néo-Québécois, pour un total de 98; du secteur anglophone au secteur francophone, 9 anglophones, 10 Néo-Québécois, pour un total de 19; au secondaire, les francophones vers le secteur anglophone, 62 francophones, 12 Néo-Québécois pour un total de 74 et aucun anglophone vers le secteur francophone.

C'est la fin de la présentation. Merci.

LE PRESIDENT (M. Pilote): Le ministre de l'Education.

M. CLOUTIER: M. le Président, je remercie le Comité des citoyens de Saint-Laurent pour la présentation de son mémoire. Je n'ai pas de question à ce stade-ci et j'ai un de mes collègues qui aimerait probablement vous demander quelques éclaircissements.

M. CHARRON: On veut lui permettre d'être la vedette.

LE PRESIDENT (M. Pilote): Le député d'Anjou.

M. TARDIF: M. le Président, il ne faut pas évidemment porter attention aux propos du député de Saint-Jacques qui en a probablement assez après quatre semaines. Mes questions vont porter sur un sujet en particulier. Contrairement à d'autres groupes qui ont déclaré, sans ambages, au début de leur mémoire, qu'ils favorisaient l'unilinguisme français à tous les échelons des différentes activités au Québec, vous vous êtes attaqués à un certain nombre d'articles. Je pense qu'on peut tirer comme conclusion de cela, après avoir analysé ces articles, que vous favorisez l'unilinguisme au Québec. Est-ce que c'est bien cela?

M. BELIVEAU: Nous favorisons l'unilinguisme au Québec avec l'enseignement d'une langue seconde, malgré tout. On ne veut pas que la langue anglaise soit éliminée et rayée à tout jamais, ce n'est pas cela l'idée.

M. TARDIF: Le Comité des citoyens de Saint-Laurent, est-ce un groupe qui existe depuis longtemps ou si cela a été créé pour la circonstance?

M. BELIVEAU: Non, cela a été créé pour la circonstance. C'est un regroupement de personnes qu'on a pu aller chercher comme cela, qui étaient intéressées au secteur.

M. TARDIF: Sur quelle base avez-vous choisi ces gens pour faire partie du comité en question?

M. BELIVEAU: Ce sont des gens que je connaissais personnellement, que d'autre personnes connaissaient et des gens qui, lors de l'élection scolaire où j'étais candidat, avaient travaillé avec moi. Un des points de mon programme était l'abrogation de la loi 63. On avait eu beaucoup de discussions sur la langue. Ce sont des contacts comme cela qui ont été faits.

M. TARDIF: C'étaient donc des gens dont vous connaissiez grosso modo l'opinion générale quant à une politique linguistique au Québec.

M. BELIVEAU: En partie, et le message avait été lancé. Etant donné qu'on n'avait pas de moyens financiers, pas de locaux, pas d'argent, pas de possibilités, dans le court délai qui nous restait pour envoyer le mémoire à une date déterminée. On a demandé aux gens d'essayer de trouver de leur côté le plus de personnes possible pour en venir à une discussion valable.

M. TARDIF: Est-ce que ce sont surtout des gens qui évoluent dans les milieux scolaires ou d'autres milieux?

M. BELIVEAU: En partie. Il y a des gens de comités d'école; il y a des gens de comités de parents. Il y en a peut-être un ou deux qui sont dans le syndicalisme.

M. TARDIF: Je n'ai pas d'autres questions, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Pilote): Le député de Saint-Jacques.

M. CHARRON: M. le Président, je veux remercier M. Béliveau et le Comité de citoyens de Saint-Laurent.

Pour faire suite aux questions du député, je voudrais vous féliciter de cette initiative qui n'enlève rien, j'ai l'impression, à la valeur du témoignage que vous avez fait. C'était exactement le but que nous visions lorsque nous avons insisté près du gouvernement et nous avons finalement eu son consentement pour que cette commission siège avant l'adoption en deuxième lecture du principe même de la loi. Lorsqu'on fait une invitation à la population de se prononcer sur un projet de loi et de venir à une commission parlementaire, bien sûr, la première invitation s'adresse aux groupes déjà constitués dont l'avis, souvent, pour la mise en vigueur de la loi, est d'une importance telle que le législateur aura à y songer sérieusement avant même d'adopter le principe de la loi.

Mais c'est aussi un avis lancé à tous les citoyens, et c'est heureux qu'un projet de loi, à l'occasion, suscite un regroupement qui autrement n'aurait pas existé. Des gens se disent: Plutôt que de rester dans mon coin à scruter la loi, article par article à être sans voix et à y aller de façon individuelle, pourquoi ne pas y aller en regroupant des gens que je sais intéressés à la question et avec lesquels je vais étudier le projet de loi article par article et, à l'occasion, nous faire entendre sur des amendements que nous allons suggérer?

Je pense que vous avez eu parfaitement raison, et surtout parfaitement raison de présenter la forme de mémoire que vous avez faite, c'est-à-dire une invitation à prendre le projet de loi et à y apporter des amendements. J'ai l'impression, sans deviner, qu'il y a probablement des amendements que vous ou d'autres auriez voulu suggérer au projet de loi, mais que la discussion avec d'autres citoyens de Saint-Laurent vous a convaincus que votre argument n'était peut-être pas suffisamment fort pour le faire, mais vous avez parfaitement raison de travailler là-dessus.

Je n'ai que peu de questions également, mais la première porte sur les statistiques toutes récentes que vous nous avez données sur l'inscription scolaire à la ville de Saint-Laurent.

Les transferts au niveau maternel — je voudrais voir d'abord si j'ai bien pris vos chiffres — seraient favorables à l'école anglaise dans une proportion de 14... 73 contre 59, qui viennent vers l'école française. C'est exact?

M. BELIVEAU: Oui.

M. CHARRON: A l'école élémentaire, c'est beaucoup plus grave. C'est 98 contre 19, et finalement au secondaire, 74 transferts vers l'école anglaise alors qu'aucun ne se signale vers l'école française?

M. BELIVEAU: Je voudrais vous faire remarquer qu'au secondaire le même cas se représente pour trois années consécutives. Je voudrais vous faire remarquer aussi que les chiffres que j'ai eus m'ont été donnés d'une façon non officielle. C'est plus ou moins une personne qui m'a obtenu ces chiffres parce qu'il n'y a pas possibilité d'avoir de chiffres de la commission scolaire présentement...

M. CHARRON: ... avant que l'inscription ne soit complétée.

M. BELIVEAU: ... avant que l'inscription ne soit complétée et d'après l'information qu'on m'a donnée, il semblerait que, si on retourne deux semaines en arrière, la tendance va en s'élargissant, toujours dans la même proportion. Ce qui voudrait dire qu'après deux ou trois semaines passé la date du 1er juin, c'est peut-être le double. Je ne pourrais pas vous répondre sur cela.

M. CHARRON: D'accord! Saint-Laurent est aussi un endroit connu pour l'existence de deux collèges d'enseignement général et professionnel, l'un à proximité de l'autre; l'ancien collège Saint-Laurent qui est devenu le CEGEP Saint-Laurent et l'ancien collège Basile-Moreau qui est devenu le CEGEP Vanier, comme ils disent. Je vous pose la question comme citoyen de Saint-Laurent parce que vous n'avez probablement pas les statistiques, mais est-ce que le CEGEP Vanier compte beaucoup d'étudiants francophones?

M. BELIVEAU: Je n'ai aucune statistique. Je m'excuse, mais, je n'ai absolument rien et je ne voudrais me risquer à avancer des chiffres qui seraient contestables.

M. CHARRON: D'accord! Tenons-nous en aux secteurs élémentaire et secondaire de la commission scolaire de Saint-Laurent et à votre proposition quant aux modifications profondes que vous suggérez au chapitre de la langue d'enseignement. Si je comprends bien votre position qui est très claire, en deux paragraphes, vous voudriez que cette commission statue que tous les immigrants, à compter de la date la plus rapprochée possible — prenons la vôtre qui est celle du 1er septembre 1974— soient dirigés vers l'école française et que tous les enfants de langue française soient assignés à l'école française également. Est-ce que je vous comprends bien quand je tire, de ces deux affirmations très claires, deux conclusions? Premièrement, vous ne voulez en rien retirer l'école publique aux anglophones de langue maternelle anglaise et à ceux qui sont déjà inscrits dans le système et, si je comprends bien votre mémoire également, vous n'auriez pas objection à ce que les anglophones conservent cette mesure pratique — pour reprendre le vocabulaire du ministre de la Justice — qui est le libre choix et qui leur permettrait, comme minorité, de s'inscrire à l'école de la majorité, mais la seule restriction à ce libre choix que vous demandez c'est à l'égard des francophones.

M. BELIVEAU: C'est exact. Il y a une certaine restriction à ce qu'on devrait faire, c'est que les francophones qui sont au secteur anglophone présentement, on réalise qu'ils ont fait cela pour la raison qu'on le leur permettait à ce moment. Maintenant, leur enlever ce droit, cela crérait sans doute certains conflits. Pour avoir beaucoup plus de souplesse, on se dit: Ecoutez donc, si c'est fait, ils sont intégrés à un certain système, ce serait peut-être néfaste de leur retirer ce droit qu'ils ont pris.

M. CHARRON: Déjà de...

M. BELIVEAU: C'est cela. A l'avenir, pour ne pas créer de problème d'intégration et le retour au secteur francophone.

M. CHARRON: Quelle est la proportion d'anglophones et de francophones à Saint-Laurent actuellement, à peu près?

M. BELIVEAU: C'est environ 48-52 ou 45-55.

M. CHARRON: En faveur de qui?

M. BELIVEAU: C'est légèrement plus anglophone que francophone.

M. CHARRON: Maintenant?

M. BELIVEAU: Oui.

M. CHARRON: 52 p.c. anglophone.

M. BELIVEAU: 52 p.c. ou 53 p.c, il peut y avoir un jeu de 1 p.c. ou 2 p.c. environ.

M. CHARRON: Seriez-vous d'accord si le gouvernement présentait comme politique ce que nous avons appelé dans notre jargon, depuis que nous sommes à ces travaux, une politique de contingentement quant à l'école anglophone, c'est-à-dire que, sur le district donné, par exemple, de Saint-Laurent jusqu'au bout occi-

dental de l'île de Montréal, jusqu'à l'ouest, ce territoire, dans sa proportion d'anglophones de la ville Saint-Laurent, pourrait aller à 52 p.c? On dit que 52 p.c. des places sont réservées à l'école anglaise pour les anglophones. L'adminis-tratiode ce contingentement est laissée à l'administration scolaire sur place, mais pour le reste, on s'en tiendrait à vos deux propositions, c'est-à-dire que les francophones vont à l'école française, excepté ceux qui sont déjà inscrits, toujours avec cette distinction, et les immigrants, à compter de la promulgation de cette loi, vont à l'école française.

M. BELIVEAU: Ecoutez, sur la question des modalités, plusieurs solutions ont été apportées. Cette solution a été apportée aussi. Maintenant, il y avait tellement de personnes en faveur de cette solution et contre aussi qu'on ne peut pas...

M. CHARRON: Mais...

M. BELIVEAU: II semblerait, si ma mémoire est bonne, d'après les discussions qu'on avait, que les gens ne semblent pas être nécessairement contre cette idée.

M. CHARRON: Bon. Ce serait une modalité qui pourrait découler des principes que vous affirmez dans votre mémoire. Est-ce que le comité des citoyens de Saint-Laurent qui s'est réuni à cette occasion a étudié la méthode ou cet attrape-nigaud qu'est le test du chapitre de la langue d'enseignement? Quelle est exactement votre position? Nous allons reparler de cet...

M. CLOUTIER: Je m'attends à beaucoup de grossièretés de votre part, en temps et lieu. Je connais votre style parlementaire.

M. CHARRON: Ah! Qu'est-ce que vous voulez?

M. CLOUTIER: Dans la deuxième lecture, ce sera joli.

M. CHARRON: Vous n'avez rien à craindre de cela.

M. CLOUTIER: Cela fait spectacle.

M. CHARRON: A la suite de cette commission parlementaire, je me sens tellement plus épaulé que vous que je n'hésiterai certainement pas à qualifier les tests comme ils méritent d'être appelés. Vous n'êtes pas obligé de reprendre l'opinion que j'ai de ces tests, mais je vous demande seulement si le comité, avant de se prononcer sur ces deux principes au chapitre de la langue d'enseignement et de nous les présenter ce soir, de nous faire, autrement dit, cette contreproposition, a bien scruté la proposition Cloutier, qui est formulée dans la Loi 22 et qui est celle du test pédagogique.

Pour quelle raison avez-vous refusé cette proposition du ministre actuel, pour un certain temps, et avoir préféré faire les deux propositions suivantes?

M. BELIVEAU: Sur la question du test, il y eu beaucoup de restrictions, beaucoup d'arguments ont été apportés. On a dit: Premièrement, on ne connaît pas présentement les modalités du test; on ne sait pas comment cela peut se jouer d'une commission scolaire à l'autre. Cela va être mené par qui? On ne le sait pas. A notre point de vue, c'était beaucoup trop flou pour endosser un test. Un test mathématique, cela peut se faire, mais un test sur la langue, cela se juge comment? Moi, je n'en ai pas tellement l'idée et il semblerait que... Si vous avez des éclaircissement à nous donner, je suis prêt à retourner au comité et...

M. CLOUTIER: Nous aurons l'occasion de faire le débat à ce sujet-là, mais vous n'ignorez pas que, dans la plupart des commissions scolaires, il y a déjà des tests sur les aptitudes linguistiques qui sont utilisés, Chomedey de Laval en utilise couramment depuis des années d'ailleurs. Ce sont des tests tout aussi rigoureux que les tests qui portent sur les mathématiques. Peu importe la matière, ce qui compte, c'est le niveau de connaissances. Alors, la réglementation viendra préciser de quelle façon tout cela pourra être utilisé.

M. CHARRON: Je n'ai plus d'autres questions, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Pilote): Le député de Saint-Jean.

M. VEILLEUX: M. le Président, vous avez mentionné des statistiques tout à l'heure. A la CECM, il y a quelques années, la majorité des immigrants, par exemple, acceptaient de fréquenter l'école française; aujourd'hui, c'est l'inverse. Il y a aussi aujourd'hui, vous l'avez mentionné, je pense bien, un choix des parents francophones de faire passer leurs enfants dans le secteur anglophone. Le comité s'est-il penché sur les raisons qui ont pu, à un certain moment, amener les parents à choisir le secteur anglophone pour leurs enfants plutôt que le secteur francophone?

M. BELIVEAU: Je suis bien content d'avoir cette réponse. J'ai glissé tout à l'heure, j'aurais dû l'apporter comme argument. Effectivement, il y a même un des membres du comité qui envoie son enfant au secteur anglophone et je pense que cela peut se reproduire à plusieurs exemplaires, cet argument. Il est convaincu que la langue de travail au Québec pour aller quelque part — j'en sais quelque chose, je travaille à Bell Canada, et c'est le cas aussi — c'est l'anglais. Il nous a affirmé qu'aussi curieux que cela puisse être de venir travailler sur un projet de loi 22 comme c'était le cas,

tout en envoyant son enfant à l'école anglaise, si on avait une législation au niveau de la langue, il retirerait son enfant, sachant que, dans son cas, il aurait fait le mieux possible pour son enfant en lui donnant le maximum de chance dans la vie. J'ai l'impression que c'est peut-être...

M. VEILLEUX: Pour reprendre une expression qu'on emploie fréquemment, si on ne vote pas de loi pour rapatrier les francophones dans le secteur francophone, lui, il est prêt à continuer à laisser son enfant dans le secteur anglophone?

M. BELIVEAU: II semblerait que oui, parce que, d'après lui, dans le contexte actuel, il est assuré que l'anglais a priorité pour aller quelque part et avoir une chance d'avoir un bon emploi.

M. VEILLEUX: Quand on parle du marché du travail, est-ce que vous acceptez le fait que, quand même, pour pouvoir gravir certains échelons, notamment au niveau des cadres, est-ce que, dans votre esprit, il faudrait exiger partout l'unilinguisme français au niveau des cadres ou serait-il normal qu'une compagnie qui demande un directeur du personnel exige, en même temps, une certaine connaissance en langue anglaise? Est-ce que vous verriez...

M. BELIVEAU: Je n'ai pas d'objection du tout, de la même façon qu'en France, probablement, on exige une certaine connaissance de la langue anglaise pour remplir une fonction.

M. VEILLEUX: Tout à l'heure, vous avez mentionné des statistiques suivant lesquelles telle compagnie pouvait avoir un très fort pourcentage, en mentionnant General Motors, par exemple, 85 p.c. de main-d'oeuvre francophone et 65 p.c. des cadres sont anglophones, est-ce que vous acceptez le fait, vous, qu'un Canadien français... Il y a un poste ouvert dans une compagnie importante, notamment au niveau de la direction du personnel, le type a toutes les connaissances universitaires voulues, mais il refuse le poste parce qu'à chaque mois il doit faire un rapport d'une page en anglais au siège social de la compagnie à Toronto. Est-ce qu'il n'y aurait pas, dans votre esprit, certains francophones qui n'ont pas voulu gravir des échelons et diminuer le pourcentage d'anglophones au niveau des cadres parce qu'ils refusaient d'écrire, peut-être, une lettre par mois à la compagnie mère, à Toronto, parce qu'il fallait qu'ils l'écrivent en anglais?

M. BELIVEAU: Possiblement, de la même façon que, chez Dupuis et Frères, on doit avoir des anglophones qui se limitent et qui se bloquent pour la même raison, parce qu'ils ne veulent pas écrire en français. C'est possible, vous m'apportez quelque chose d'hypothétique, je n'ai pas de chiffres sur ça, je n'ai pas fait d'analyse sur ça, je croirais que c'est possible.

M. VEILLEUX: Ce que je vous explique, c'est à partir d'un cas bien concret qu'un gérant de compagnie a vécu dans ma municipalité, à Saint-Jean. C'est une compagnie très importante, CCM, où le directeur du personnel a refusé un poste parce qu'il y avait une demi-page ou une page à écrire en anglais chaque mois.

M. BELIVEAU: Je ne nie pas la possibilité de cela.

M. VEILLEUX: Mais vous m'avez donné une des raisons qui pouvait faire qu'à un certain moment... Vous avez mentionné: Parce que le milieu ambiant du travail exigeait qu'on connaisse l'anglais pour pouvoir travailler, ce qui fait que le bonhomme qui est dans votre comité a décidé de faire fréquenter l'école anglaise à son fils qui est un francophone. Si l'enseignement de la langue seconde dans le secteur francophone était un enseignement plus pratique qu'il l'est à l'heure actuelle, croyez-vous qu'on pourrait limiter ce passage du secteur francophone au secteur anglophone?

M. BELIVEAU: A mon point de vue, et on en a discuté avec les gens du comité — je suis aussi président d'un comité d'école dans mon secteur — on a eu en main le dossier sur l'enseignement des langues du ministre Cloutier et, dans ce dossier, on favorise un meilleur enseignement du français et un meilleur enseignement d'une langue seconde. Autant nous étions pour le rejet du dossier scolaire cumulatif, autant nous appuyons cette approche pour l'enseignement des langues de M. Cloutier.

M. CLOUTIER: Parce que c'est exactement ma position, j'étais contre le dossier scolaire cumulatif. La preuve, c'est que je l'ai retiré. Pour ce qui est du plan de l'enseignement des langues...

M. CHARRON: Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre !

M. CLOUTIER: M. le député de Saint-Jacques, pour une fois qu'on me donne raison!

M. BELIVEAU: Mais, cela a été accepté d'emblée par le comité d'école après analyse des implications sur le dossier de l'enseignement des langues.

M. VEILLEUX: Compte tenu de ce que vous venez de dire, c'est-à-dire qu'à l'heure actuelle, l'enseignement de la langue seconde, dans le secteur francophone, est très déficient, est-ce que, d'après vous, à partir du 1er septembre 1974, compte tenu que, quand même, l'amélioration de cet enseignement de la langue seconde, dans le secteur francophone, va prendre plusieurs années avant d'être réellement efficace, est-ce que vous ne croyez pas que ce serait mieux d'attendre que cet enseignement de la langue seconde se soit amélioré sensiblement

dans le secteur francophone avant d'arriver à une solution comme celle que vous proposez?

M. BELIVEAU: Non, M. le député, je ne crois pas qu'il faille attendre. Parce que, plus on attend, plus une mare d'eau devient stagnante, plus elle pue et plus ça va être difficile. Je pense qu'il peut y avoir des anicroches, il peut y avoir des mauvais côtés à brusquer légèrement la chose.

Mais, si on ne fait pas un effort pour l'améliorer et si on attend, il sera justement trop tard. On sait que la tendance à l'assimilation est nettement accélérée et jusqu'à ce qu'il y ait assimilation totale, l'accélération se fera de plus en plus vite. Même, je pense qu'avec les certains petits accrochages qu'il pourrait y avoir ou certains mauvais côtés à aller rapidement dans ce sens, cela vaut le coup, parce que tout de même nous récupérerons vite car nous avons une approche pour l'amélioration des langues. Cela va se récupérer quand même assez vite, toutes les petites erreurs qui peuvent s'être glissées au départ. C'est notre point de vue.

M. VEILLEUX: Dans le plan des langues, vous avez mentionné que vous endossiez du moins le principe de l'amélioration de l'enseignement de la langue seconde, notamment l'anglais dans le secteur francophone. Que pensez-vous de l'amélioration de la langue maternelle? Est-ce que d'après vous il y aurait lieu qu'elle soit améliorée? Vous siégez sur un comité d'école, vous devez...

M. BELIVEAU: Vous voulez dire le français pour les francophones?

M. VEILLEUX: ... langue maternelle pour les francophones.

M. BELIVEAU: Oui, certainement. Mais là encore, il faut faire attention parce que moi, je sais, en connaissance de cause, qu'à la commission scolaire Sainte-Croix nous engageons un certain nombre de professeurs et nous avons un certain nombre d'étudiants. Nous avons des professeurs qui sont très portés vers l'enseignement du français et parce que ces professeurs n'ont plus d'ouverture pour l'enseignement du français dans le secteur de Saint-Laurent, on va les foutre à l'enseignement des mathématiques. Et, dans une école plus loin, on peut prendre un professeur de mathématiques où, il excelle et aime cela, et on va le foutre à l'enseignement des langues.

M. VEILLEUX: Là, vous soulevez...

M. BELIVEAU: Cela se détériore à ce moment-là.

M. VEILLEUX: Vous soulevez...

M. BELIVEAU: Si on avait des professeurs compétents et qu'on ne se servait pas des professeurs de mathématiques pour faire du français et des professeurs de français pour faire des mathématiques, possiblement qu'on récupérerait beaucoup d'enfants au niveau des mathématiques et au niveau de la langue française.

M. VEILLEUX: Cela peut être un des phénomènes que vous mentionnez, que l'enseignement de la langue maternelle française est déficitaire dans le secteur francophone, est-ce qu'il n'y aurait pas lieu aussi de mentionner qu'on exigeait toujours d'un professeur de mathématiques ou d'un professeur en sciences, biologie, chimie, physique, d'être un spécialiste en physique, en chimie ou en biologie, tandis que pour l'enseignement des langues comme pour l'enseignement de l'histoire, l'enseignement de la géographie, assez souvent, celui qui n'avait pas les diplômes en mathématiques, on le plaçait là.

M. BELIVEAU: Possiblement.

M. VEILLEUX: N'avez-vous pas remarqué cela dans votre milieu?

M. BELIVEAU: Possiblement dans plusieurs cas, cela pourrait se retrouver assez facilement dans plusieurs commissions scolaires.

M. VEILLEUX: J'aurais une dernière question à vous poser. Lorsque vous parlez du secteur francophone pour tous les francophones, est-ce que, dans votre esprit, cela doit aller de l'élémentaire à l'universitaire ou si dans l'esprit des gens du comité, c'est de l'élémentaire et du secondaire que vous parlez ou si cela va à un niveau plus élevé?

M. BELIVEAU: Au niveau de l'université, nous manquions de données et n'avons pu faire de consensus. On a plutôt mentionné, au niveau du primaire et du secondaire. Après cela on a dit: De toute façon il faut qu'il y ait un départ. Nous ne pouvons pas sauter à l'université parce qu'on veut qu'il y ait une intégration. On veut quand même une certaine souplesse, on ne veut pas donner un coup de matraque à quelqu'un. On veut faire cela avec souplesse. Donc, c'est impensable de le faire au niveau universitaire. Il faudrait commencer par les échelons les plus bas.

Nous avons dit: Voyons les expériences qui seront tentées, voyons les réussites que nous aurons et quitte, possiblement, si le besoin se fait sentir parce que l'assimilation se fait quand même à un échelon plus élevé, d'aller à l'université. Le point universitaire n'a pas été discuté.

M. VEILLEUX: En d'autres mots, votre comité n'a pas jugé bon de se prononcer immédiatement, comme le disait le député de Saint-Jacques tout à l'heure, sur le CEGEP Vanier.

M. BELIVEAU: On n'a pas touché suffisamment et nous n'avions pas suffisamment de données. Aux secteurs primaire et secondaire de la commission scolaire, on avait des chiffres, au niveau du CEGEP Vanier et du CEGEP Saint-Laurent...

M. VEILLEUX: ... Vanier, c'est le député de Saint-Jacques qui en a parlé tantôt.

M. BELIVEAU: ... on n'avait pas de chiffres, du tout. Donc, on n'a pas pu y toucher. On a dit: On va toucher à quoi? On va discuter sur quel principe?

M. VEILLEUX: Je vous remercie, M. Béliveau.

LE PRESIDENT (M. Pilote): Est-ce qu'il y a d'autres questions? Je remercie M. Béliveau de nous avoir présenté son mémoire. Soyez assuré que les membres de la commission vont en prendre bonne note. J'inviterais, à présent, le représentant du Conseil du travail de Joliette, s'il est ici présent, à venir nous présenter son mémoire. M. Pierre Pilon.

Je crois qu'il est absent.

M. CLOUTIER: Oui, M. le Président, et nous n'avons pas été informés s'il venait ou s'il ne venait pas. Il ne faut pas s'en étonner, c'est notre quatrième semaine. Nous avons entendu plus de soixante groupes. Certains des membres commencent déjà à se sentir suffisamment informés.

M. CHARRON: Est-ce que le ministre commencerait à se sentir suffisamment informé?

M. CLOUTIER: Je me sens, M. le Prési- dent, suffisamment informé,depuis déjà un moment.

M. CHARRON: Pour retirer le projet de loi?

M. CLOUTIER: C'est avec grand plaisir que je tiens à donner aux groupes qui veulent se faire entendre l'occasion de s'exprimer.

LE PRESIDENT (M. Pilote): Demain, nous entendrons dans l'ordre, à partir de onze heures, soit après la période de questions, le Syndicat des professeurs du CEGEP de Sainte-Foy, le Comité anglophone de Verdun, le Groupe de citoyens de Limoilou, M. Louis-Paul Chenier, la Société nationale des Québécois du Saguenay-Lac-Saint-Jean et l'Institut politique de Trois-Rivières.

La séance est suspendue.

M. CHARRON: M. le Président, est-ce que je peux, avant, demander au ministre si, dans les convocations pour mardi prochain, le ministre tiendra compte dans son esprit du délai qu'impose l'élection fédérale. Voudra-t-il ne pas considérer la journée de lundi comme une journée ouvrable, et donc convoquer les gens qui devraient venir mardi prochain dès cette semaine, dès jeudi?

M. CLOUTIER: Oui, M. le Président, c'est ce que nous faisons. Nous considérons le délai de 48 heures comme un minimum.

M. CHARRON: Bien.

LE PRESIDENT (M. Pilote): La commission ajourne ses travaux à demain, onze heures.

(Fin de la séance à 21 h 2)

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