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Version finale

30e législature, 2e session
(14 mars 1974 au 28 décembre 1974)

Le mercredi 24 juillet 1974 - Vol. 15 N° 144

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Etude du projet de loi no 22 — Loi sur la langue officielle


Journal des débats

 

Commission permanente de l'éducation,

des affaires culturelles et des communications

Etude du projet de loi no 22

Loi sur la langue officielle

Séance du mercredi 24 juillet 1974

(Quinze heures vingt-deux minutes)

M. GRATTON (président de la commission permanente de l'éducation, des affaires culturelles et des communications): A l'ordre messieurs!

Avant de rendre la décision qui était en suspens au moment de l'ajournement des travaux hier, j'aimerais informer la commission des députés qui auront droit de vote au cours de la séance aujourd'hui.

Il s'agit de M. Desjardins (Louis-Hébert); M. Charron (Saint-Jacques); M. Déom (Laporte); M. Cloutier (L'Acadie); M. Hardy (Terrebonne); M. Lapointe (Laurentides-Labelle); M. Lachan-ce (Mille-Iles); M. Morin (Sauvé); M. Tardif (Anjou); M. Berthiaume (Napierville-Laprairie); M. Saint-Germain (Jacques-Cartier); M. Samson (Rouyn-Noranda) et M. Veilleux (Saint-Jean).

M. CHARRON: M. le Président, j'aimerais invoquer le règlement très brièvement pour avoir un éclaircissement avant que nous n'entamions l'étude des articles du projet de loi. Je voudrais savoir si les offres d'emploi pour le French Language Board ont déjà été ouvertes, parce que j'ai vu une soumission très claire et très nette, en première page du Devoir, ce matin...

M. BOURASSA: C'est malhonnête.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre!

M. CHARRON: ...je voudrais savoir, si le ministre, avant même que nous n'ayons adopté la loi, a ouvert un concours et que le premier postulant est déjà en train de...

M. CLOUTIER: Est-ce qu'il est possible d'intervenir là-dessus? Je crois que voilà une attaque particulièrement vicieuse contre l'ancien président de la commission Gendron, qui a conduit une des enquête les plus importantes qui aient eu lieu...

M. CHARRON: C'est une espèce de "fai-seux". Ce n'est rien de plus que cela.

M. CLOUTIER: ... ici au Québec. Je ne vois pas pourquoi l'ancien président de cette commission n'aurait pas le droit à ses opinions.

M. HARDY: Parce qu'il n'est pas péquiste...

M. BOURASSA: Parce qu'on n'est pas d'accord avec vous, c'est automatiquement...

M. CHARRON: Parce qu'il est reconnu pour avoir des positions téléguidées, qu'il peut changer à l'occasion.

M. TARDIF: Par qui êtes-vous téléguidé?

M. CHARRON: ... qu'il peut changer à l'occasion. Vous en savez vous-même quelque chose...

M. CLOUTIER: M. le Président, je vous suggérerais de mettre fin à ce débat.

M. CHARRON: ... car il a changé sa position sur le bill 63. Il fait encore exactement la même chose aujourd'hui.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre, messieurs!

M. CHARRON: II est en train de postuler une "job" que vous lui avez déjà promise.

M. CLOUTIER: M. le Président...

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre!

M. CHARRON: Est-ce exact ou non?

M. TARDIF: Applaudissez tout de suite et après cela on passera à des choses intelligentes.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre!

M. CHARRON: J'ai lu son article. Il est en train de soumissionner pour avoir la "job" de président de la Régie de la langue française, rien de plus que cela.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre, messieurs!

M. TARDIF: Applaudissez tout de suite.

M. BURNS: II a changé d'opinion une fois, il peut changer d'opinion aussi souvent qu'il voudra.

M. CHARRON: C'est un homme téléguidé.

M. BURNS: Sur des affaires aussi importantes que le bill 63...

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre, messieurs!

M. CLOUTIER: ... Parti québécois.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre, messieurs!

M. LACROIX: On est péquiste...

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre, messieurs! A l'ordre, s'il vous plaît! Est-ce

qu'on pourrait commencer les travaux avant de commencer à s'engueuler?

M. BURNS: Voulez-vous dire qu'on peut s'engueuler après?

M. HARDY: C'est le vieux "crois ou meurs" de Duplessis.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre!

M. HARDY: Sous Duplessis, on était de l'Union Nationale ou on n'était rien. Avec les péquistes, on est péquiste ou on n'est rien.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre!

M. HARDY: II n'y a rien de nouveau au ciel de Québec.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre!

M. HARDY: Rien de nouveau au ciel du Québec.

Décision du président

LE PRESIDENT (M. Gratton): Si vous voulez, messieurs, je n'ai pas souvent la chance de parler...

M. HARDY: On va vous écouter.

LE PRESIDENT (M. Gratton): ... comme vous le savez, au moment de l'ajournement des travaux hier soir, j'avais indiqué que je rendrais aujourd'hui ma décision quant à la recevabilité de la motion d'amendement du chef de l'Opposition. Et j'aimerais, si vous me le permettez, rendre cette décision dès maintenant.

La motion présentée par le chef de l'Opposition officielle veut que la motion du ministre de l'Education, soit celle d'adopter l'article 2 tel que rédigé, soit amendée pour que l'article 2 soit modifié a) en remplaçant ce qui précède les mots "des lois du Québec" par les mots "seule la version française", et b) en remplaçant ce qui suit: les mots "des lois du Québec" par "à un statut officiel". L'article 2 contenu dans le projet de loi 22 se lit ainsi: "En cas de divergence que les règles ordinaires d'interprétation ne permettent pas de résoudre convenablement, le texte français des lois du Québec prévaut sur le texte anglais."

La motion d'amendement du chef de l'Opposition, si elle était adoptée, nous donnerait un article 2 qui se lirait ainsi: "Seule la version française des lois du Québec a un statut officiel."

Plus tôt hier soir, j'avais déclaré inadmissible une première motion du chef de l'Opposition qui visait à remplacer dans son ensemble l'article 2 par le suivant: "Les lois du Québec sont rédigées et publiées uniquement en français."

Dans le présent cas, c'est à la lumière de l'article 70 de notre règlement qu'il faut examiner toute la question de la recevabilité de la nouvelle motion du chef de l'Opposition. Si vous le voulez bien, nous lirons ensemble l'article 70 au complet.

L'article 70 dit: "Un amendement doit se rapporter directement au sujet de la motion proposée et ne peut avoir que les objets suivants: retrancher, ajouter des mots ou les remplacer par d'autres. Il est irrecevable si son effet est d'écarter la question principale sur laquelle il a été proposé et il en est de même d'un sous-amendement par rapport à un amendement." Soit dit en passant, le code Lavoie, le règlement actuel, a reproduit à ce sujet les mêmes dispositions que contenait l'ancien règlement. L'article 70 pose donc deux conditions préalables avant qu'on puisse accepter une motion d'amendement qui retranche, ajoute ou remplace des mots. La première de ces conditions est que l'amendement doit se rapporter directement au sujet de la motion proposée, et la seconde condition, c'est que l'amendement ne doit pas avoir pour effet d'écarter la question principale.

Lorsque ces deux conditions sont respectées, et seulement alors, on peut demander de retrancher, d'ajouter des mots ou de les remplacer par d'autres.

En réalité, on veut aujourd'hui amender la motion principale du ministre de l'Education qui propose l'adoption de l'article 2, dont j'ai fait lecture tantôt... On veut amender la motion principale du ministre de l'Education en vue d'adopter l'article 2 de façon complète. Or, lorsqu'on lit l'article 2 du projet de loi 22, on constate que l'essence ou le sujet principal de cet article, auquel un amendement doit se rattacher, est contenu dans les mots "les règles ordinaires d'interprétation". Voilà bien le cas que l'article 2 veut régler en cas de divergence, puis suit la solution que l'article 2 propose. Il faut donc garder le concept qui est contenu dans l'article 2 et toute motion d'amendement doit s'y rattacher. Ce n'est pas facile, me dira-t-on, et j'en conviens fort bien. Mais nous n'y pouvons rien. Le règlement et la coutume parlementaire l'exigent.

D'ailleurs, je cite Bourinot, troisième édition, page 442, qui dit: "Autrefois, on tenait, en Angleterre, pour régulier, un amendement ayant pour objet de changer entièrement la nature de la proposition en discussion. Aujourd'hui, un amendement ne peut être étranger à la proposition en discussion ni en changer la nature". C'est pour cela qu'on ne peut accepter une motion qui a pour fin de remplacer complètement un article par un autre. On se trouverait alors à changer entièrement la nature de la proposition en discussion. De même, il faut écarter sur-le-champ toute proposition d'amendement qui conduit pratiquement à la même fin.

Egalement, on ne peut soutenir une proposi-

tion d'amendement qui, pour sauver la lettre du règlement, conserve un ou deux mots non essentiels du texte original pour ensuite greffer autour de ces mots une série de propositions nouvelles qui modifie la nature de la proposition originale. C'est exactement une situation analogue qu'on retrouve quand on lit l'amendement proposé par le chef de l'Opposition. On a conservé les mots "des lois du Québec" afin d'ajouter avant ces mots et d'ajouter après ces mots. Les résultats sont patents.

On a perdu l'essence de la motion principale du ministre de l'Education. Il n'est plus question du tout de cette divergence que les règles ordinaires d'interprétation ne permettent pas de résoudre convenablement, dont fait état l'article 2. L'amendement ne se rapporte plus au sujet de l'article 2. On n'y retrouve plus le concept qu'il mettait de l'avant.

Accepter la motion d'amendement du chef de l'Opposition serait consentir indirectement à ce que le règlement défend de faire directement, soit remplacer un article par un autre. Ce serait violer les deux conditions essentielles que l'article 70 pose expressément, pour pouvoir ajouter, modifier ou remplacer des mots d'un article.

Ce serait en fait accepter d'étudier une proposition secondaire qui modifie entièrement la nature de la proposition principale. Ce serait accepter de mettre de côté le sujet original pour passer à l'étude d'un sujet tout à fait différent. La motion d'amendement ne se greffe pas à l'article 2 dans son concept propre qui a pour fins d'apporter une solution lorsqu'un problème d'interprétation se pose.

Je déclare donc irrecevable la motion du chef de l'Opposition telle que formulée hier. Ceci étant dit, je pense qu'il ne faut pas conclure qu'aucune motion d'amendement n'est possible à la motion du ministre de l'Education, à l'effet d'adopter l'article 2 du projet de loi 22, bien que je conviens — et je l'ai dit tantôt — qu'il est fort difficile d'en arriver à une formulation acceptable.

Mais quand même, il m'apparaft possible d'amender cette motion, de façon à respecter les deux conditions essentielles à sa recevabilité, lesquelles j'ai mentionnées tantôt. Je suis donc disposé dès maintenant à considérer toute motion qui respecterait ces deux conditions essentielles.

M. MORIN: M. le Président...

LE PRESIDENT (M. Gratton): L'honorable chef de l'Opposition officielle.

Motion d'amendement

M. MORIN: Compte tenu de votre décision et quelle que soit l'opinion que je puisse avoir par ailleurs sur son bien-fondé, je vous présente une nouvelle motion qui se rattache directe- ment à la proposition principale, à la motion principale, laquelle, vous en conviendrez, porte sur l'interprétation des lois.

Pour obtenir le résultat que nous tentions d'obtenir hier soir avec la motion que vous avez déclarée irrecevable, je propose donc que nous procédions de la manière suivante. Nous pourrions modifier la motion principale — et je le propose — de façon que les mots "avant les règles ordinaires d'interprétation" soient remplacés par "seule la version française des lois du Québec a un statut officiel."

Je propose qu'en conséquence l'article 2 se lise comme suit: "Nonobstant les règles ordinaires d'interprétation, seule la version française des lois du Québec a un statut officiel." Avant d'expliquer les multiples raisons qui militent en faveur de cette proposition, je voudrais vous demander de bien vouloir la déclarer recevable ou irrecevable.

M. HARDY: M. le Président, je pense qu'il y a des doutes, mais, en vertu d'une jurisprudence déjà établie...

M. MORIN: Si le ministre des Affaires culturelles...

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre, messieurs, s'il vous plaît ! A l'ordre !

M. MORIN: ... a des doutes, je pense que c'est son devoir d'en faire part au président.

M. DESJARDINS: M. le Président, voulez-vous la relire, s'il vous plaft?

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le chef de l'Opposition officielle propose que la motion principale du ministre de l'Education soit amendée pour que, dans le texte de l'article 2, les mots avant "les règles ordinaires d'interprétation" soient remplacés par "nonobstant" et que les mots après "les règles ordinaires d'interprétation" soient remplacés par "seule la version française des lois du Québec a un statut officiel", ce qui donnerait comme résultat que l'article 2, si adopté, tel que le veut la motion d'amendement du chef de l'Opposition, se lirait désormais comme suit: "Nonobstant les règles ordinaires d'interprétation, seule la version française des lois du Québec a un statut officiel."

Est-ce que la commission désire que je me prononce immédiatement sur la recevabilité de cet amendement?

M. HARDY: M. le Président, je pense qu'il y a des doutes. Je ne peux pas affirmer d'une façon péremptoire, catégorique et avec une certitude absolue que la motion telle que présentée est irrecevable. A sa lecture, elle fait preuve d'une recherche très grande. On semble avoir fouillé et s'être presque dépassé sur le plan juridique pour réussir à trouver une formule qui atteint à la fois l'objectif que l'on poursuit et qui...

M. LEGER: ...vous reconnaissez être sérieux. M. HARDY: C'est très sérieux.

M. BOURASSA: Pour la théorie, vous pouvez être bons parfois.

M. HARDY: ... qui semblerait vouloir répondre aux prescriptions de l'article 70 de notre règlement. Toutefois, malgré cette très grande subtilité, malgré ce style juridique très recherché, j'avoue, M. le Président, que je continue à éprouver certains doutes, parce que je me demande toujours si cette motion, telle que rédigée, n'écarte pas la question principale. La question principale était à l'effet d'accorder une préférence à des textes plutôt qu'à d'autres lorsqu'il y a difficulté d'interprétation. L'article 2, tel que rédigé, laissait s'appliquer les règles générales d'interprétation et disait que lorsque ces règles générales d'interprétation ne réussissent pas à éclairer suffisamment le tribunal, celui-ci devait accorder priorité au texte français.

Je considère que la motion, telle que rédigée, écarte cette question principale en affirmant plutôt un autre principe. M. le Président, ce sont là les inquiétudes que je nourris, mais je m'en remets à votre décision.

M. BURNS: M. le Président, sur la question de règlement. Nous avons d'abord et nous avons surtout écouté, avec beaucoup d'attention, votre décision. Nous avons écouté également les remarques que vous avez faites hier soir, les remarques que certains députés ont faites hier soir, relativement à la recevabilité.

M. le Président, comme le disait le chef de l'Opposition, peu importe notre opinion — d'ailleurs elle n'a aucune importance, maintenant que vous avez rendu votre décision — peu importe ce que nous pensons de votre décision, nous nous en reportons tout simplement à l'article 70 qui nous dit qu'un amendement doit se rapporter directement au sujet de la motion. M. le Président, vous allez nous rendre au moins justice sur ce point, parce que l'amendement se rapporte directement au sujet de la motion, à un point tel que la motion qui vous est proposée actuellement par le chef de l'Opposition concerne les règles ordinaires d'interprétation, c'est-à-dire que ce qui apparaît dans l'article 2, actuellement, dans la deuxième ligne, à la fin de la première ligne et au début de la deuxième, est conservé dans notre motion.

Ce que nous faisons, M. le Président, c'est que nous mettons de côté tout ce qui précède les règles ordinaires d'interprétation. Nous mettons de côté tout ce qui suit les règles ordinaires d'interprétation, et nous donnerons dans le sujet, en disant que les règles ordinaires d'interprétation devraient, à l'avenir, s'interpréter à la lumière de la proposition du chef de l'Opposition, c'est-à-dire que nonobstant les règles ordinaires d'interprétation, seule la version française des lois du Québec a un statut officiel.

Si je vais plus loin que cela, M. le Président, je vais argumenter sur le fond. Je suis obligé de faire, quand même à ce stade-ci, l'affirmation sans argumenter sur le fond, qu'actuellement, dans l'état actuel du droit, les deux versions sont officielles devant les tribunaux. C'est-à-dire que si jamais il y avait une différence entre le texte français et le texte anglais devant les tribunaux, de quelque loi que ce soit du Québec, n'importe quel avocat, qui veut appuyer sa thèse devant le tribunal, peut se servir autant du texte anglais que du texte français, peu importe que dans, je pense, 99.9 p.c. des cas — je cherche .1 p.c. où cela aurait pu arriver autrement — les lois du Québec ont toujours été adoptées en français, c'est-à-dire que la discussion elle-même s'est faite en français.

J'y reviendrai, M. le Président, et je n'irai pas plus loin, parce que là, je me lancerais dans le fond du sujet, et ce n'est pas mon intention. Je veux tout simplement vous dire que cela m'apparaît comme étant tout à fait recevable, eu égard à ce que nous avons discuté hier soir, eu égard à la décision que vous venez de rendre. Je vous soumets que cette proposition du chef de l'Opposition doit être considérée comme recevable.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Messieurs, sur la recevabilité de la motion d'amendement, je relis, parce qu'elle était écrite, la décision que j'ai rendue tantôt quant à la première motion. On a parlé de deux conditions essentielles. La première, que l'amendement se rapporte directement au sujet de la motion proposée. Je pense et j'en suis convaincu que le sujet principal, c'est bien les règles ordinaires d'interprétation. La deuxième condition est que l'amendement ne doit pas avoir pour effet d'écarter la question principale, et je juge que la motion, telle que présentée par l'honorable chef de l'Opposition, n'écarte pas la question principale. Je déclare donc reçue, la motion d'amendement de l'honorable chef de l'Opposition officielle.

Sur le fond, l'honorable député de Lafontaine.

M. LEGER: M. le Président, je vois l'impatience du ministre de l'Education de m'enten-dre.

M. BOURASSA: II est amusant à entendre! M. DESJARDINS: On va vous écouter.

M. LEGER: Justement, M. le Président, vous n'avez encore eu aucun doute sur les objectifs que nous poursuivons dans ce projet de loi. En reculant jusqu'à ce que le parti gouvernemental tombe — nos seuls objectifs sont que le français soit la seule langue officielle. Si le gouvernement, jusqu'à maintenant, a par l'article 1 établi qu'il y a deux versions officielles, puisque cet article est marié avec l'article 133 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, il y a donc deux versions officielles. La motion d'amende-

ment du chef de l'Opposition se lit comme suit: "Que les mots"...avant les règles ordinaires d'interprétation..." soient remplacés par "nonobstant" et que les mots "...après les règles ordinaires d'interprétation..." soient remplacés par "seule la version française des lois du Québec a un statut officiel." En conséquence, selon cet amendement, l'article 2 se lit comme suit: "Nonobstant les règles ordinaires d'interprétation, seule la version française des lois du Québec a un statut officiel."

On atteint donc deux objectifs avec notre amendement. Le premier est qu'on touche à la portion de l'interprétation des lois et, en même temps, on touche à l'aspect du statut officiel.

Le caractère premier d'une langue officielle est qu'elle doit être la langue de l'Etat et la seule langue de l'Etat. A ce stade-ci, le gouvernement n'a pas voulu donner aux Québécois le français comme seule langue officielle. Nous nous voyons donc dans l'obligation de reculer d'un pas et de tenter de secouer ce gouvernement pour qu'il réalise qu'il ne doit pas laisser aller tous les droits des Québécois. Or, la façon dont l'Etat doit s'exprimer, la façon la plus solennelle, c'est bien à travers ses lois et il est impossible qu'une langue soit officielle, qu'elle ne soit pas la langue de la législation et qu'elle s'exprime d'une façon souveraine comme langue de l'Etat, c'est dans la loi que l'Etat doit se manifester comme étant souverain.

On a dit qu'il était inutile d'inscrire le mot "seule" à l'article 1 et on a essayé de faire croire que cela voulait dire quand même que c'était la seule langue officielle.

M. BOURASSA: C'est cela.

M. LEGER: On sait maintenant que les lois au Québec devront être écrites dans les deux langues puisque le texte lui-même est dans les deux langues. C'est le premier illogisme de ce projet de loi, le français langue officielle, et déjà le texte avec lequel on l'écrit est en deux langues.

M. HARDY: Tant qu'il n'est pas sanctionné.

M. LEGER: Ah! Comme cela, tant que cela n'est pas sanctionné, vous pourriez peut-être effacer la partie anglaise? C'est cela que veut dire le ministre des Affaires de la culture "aigre"?

M. HARDY: Demandez cela à votre collègue. Tant qu'une loi n'est pas sanctionnée, elle n'a pas d'effet juridique.

M. LEGER: Pendant ce temps, nous sommes en train d'étudier...

M. HARDY: Qu'est-ce que vous faites des droits du Parlement?

M. LEGER: ... des projets de loi qui sont quand même les intentions du gouvernement tant qu'ils ne sont pas adoptés.

M. BURNS: C'est peut-être un document de travail qu'on nous propose actuellement?

M. LEGER: C'est ça.

M. BURNS: C'est peut-être uniquement cela. C'est peut-être une façon d'examiner le problème. C'est cela? Est-ce qu'on doit...

M. HARDY: Dans un sens, on peut dire que tout projet de loi est un document de travail au moyen duquel le gouvernement peut faire une loi. C'est évident.

M. BURNS: Donc, ce n'est pas nécessairement la politique du gouvernement qu'on voit dans ce projet de loi.

M. HARDY: Oui, c'est la politique du gouvernement. C'est un document de travail qui constitue justement la décision gouvernementale.

M. BURNS: J'accepte cela. M. LEGER: C'est donc dire...

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Lafontaine.

M. LEGER: ... que nous étudions un projet de loi sur la langue française comme langue officielle du Québec avec une paire de lunettes de deux couleurs pour chacun des yeux, un rouge clair d'un côté, et un rouge foncé de l'autre côté. On est obligé de regarder cela avec une paire de lunettes ayant deux lentilles différentes.

M. le Président, je me pose la question suivante : On demande le statut officiel et on ne le fait pas dans les faits à l'article 2. C'est la raison pour laquelle, M. le Président, nous voulons corriger cette omission du gouvernement à l'article 2 et c'est pour cela qu'on veut se réserver la version française comme la seule officielle, même si elle est écrite dans les deux langues. Cela n'exclut pas que les lois soient bilingues puisque le premier ministre et son gouvernement ont accepté que les lois soient bilingues, mais il faut légiférer dans une seule langue. Actuellement, je pense que nous légiférons en français, la plupart du temps, à 99.9 p.c, et on flotte. La deuxième version ne devrait pas être officielle, la version anglaise, si on veut être logique avec l'article 1 et avec ce que le premier ministre nous a dit. Je demande au premier ministre de bien écouter ce que je vais dire pour qu'il ne fasse pas rire de lui. Le fait qu'un anglophone sache que l'Etat qui s'exprime en français détermine par là la langue officielle et que l'anglophone entende cet Etat s'exprimer dans sa langue à lui, comment va-t-il

croire que le français est la langue officielle puisqu'il l'entend dans la langue anglaise? Il va être le premier à rire, M. le Président. Le premier à rire va être l'anglophone. Il va dire: II leur en a passé une belle.

M. BOURASSA: Vous oubliez...

M. LEGER: Ils nous font croire que le français est la langue officielle et la langue par laquelle ils s'expriment, c'est ma langue, moi, anglophone.

M. BOURASSA: Vous oubliez votre contre-projet.

M. LEGER: C'est réellement une loufoquerie. Cet anglophone va être le premier à rire. Il va dire: Ce n'est pas sérieux, ce gouvernement. Il proclame la langue française langue officielle et l'Etat s'exprime, dans cette langue officielle, dans ma langue à moi.

M. BOURASSA: Non. Vous oubliez votre contre-projet.

M. LEGER: Mettez-vous à la place de l'anglophone. Vous vous mettez souvent à leur place, on le sait, mais cette fois-ci, mettez-vous à la place des anglophones, vous le premier ministre d'un parti des anglophones. Mettez-vous à leur place. Ils vont rire de vous. Ils vont dire: Ce n'est pas sérieux, ce gouvernement. Le premier ministre s'exprime dans la langue officielle de l'Etat et il parle en anglais. Mettez-vous à la place de l'anglophone. Mettez-vous maintenant à la place du francophone qui sait qu'il va avoir une version anglaise aussi officielle que la version française. Lui va commencer à se demander, s'il ne s'en est pas aperçu encore: Est-ce que le premier ministre est en train de me tromper? Il m'a dit que ma langue est officielle...

M. BOURASSA: Vous n'avez pas lu votre contre-projet? Le projet de loi du Parti québécois, vous ne l'avez pas lu?

M. LEGER: Oui, M. le Président, nous protégeons les droits de la minorité.

M. BOURASSA: Cela ne paraît pas.

M. LEGER: Pas les droits de la minorité, les droits individuels. Nous ne protégeons pas des droits collectifs puisqu'ils sont déjà protégés par l'article 133 que le premier ministre n'a pas eu le courage d'abolir, d'abroger ou de contrer.

M. BOURASSA: Vous jouez avec les mots comme d'habitude, comme depuis le début du débat.

M. LEGER: M. le Président, j'aime mieux jouer avec des mots que de jouer ce avec quoi vous jouez, vous jouez avec les sentiments des Québécois.

M. HARDY: M. le Président, j'invoque le règlement!

M. LEGER: Question de règlement, allez-y, le ministre des Affaires culturelles.

M. BURNS: En vertu de quoi?

M. HARDY: Attendez une minute.

M. BURNS: En vertu de quoi? C'est ça qu'on veut savoir.

LE PRESIDENT (M. Gratton): ... question de règlement.

M. BURNS: Ne faites pas d'interruption intempestive, j'espère. J'espère que vous ne faites pas ça.

M. CHARRON: C'est en vertu...

M. HARDY: M. le Président, le député de Lafontaine, tantôt, vient de dire que nous jouions avec les sentiments des Québécois.

M. BURNS: C'est quoi, M. le Président, la question de règlement, j'aimerais le savoir?

M. HARDY: S'il y a un parti politique dans cette province, et même en ce moment...

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre!

M. BURNS: M. le Président, je vous demande tout simplement...

M. HARDY: ... et je pense en particulier au député de Saint-Jacques, qui joue avec les sentiments des Québécois, avec les valeurs les plus sacrées...

M. BURNS: M. le Président, vous avez de nombreuses fois décidé qu'il n'y avait pas de question de règlement...

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre!

M. HARDY: ... c'est bien le parti politique qui siège à votre gauche.

M. BURNS: ... qu'il n'y avait pas de question de privilège, qu'il n'y avait pas...

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre, à l'ordre!

M. BURNS: ... possibilité de rétablir les faits, sinon après, M. le Président, le discours.

M. HARDY: C'est vrai.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Lafontaine sur la motion d'amendement.

M. HARDY: C'est vrai, M. le Président, je suis d'accord, j'aurais dû me servir de l'article 96, mais ça m'a tellement révolté...

M. LEGER: M. le Président, le député de Terrebonne, non seulement...

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre!

M. BURNS: Qu'est-ce que ça va donner? Tout simplement, c'est que votre intervention est absolument incompréhensible au journal des Débats, c'est ça votre problème.

M. HARDY: Je verrai à rétablir la compréhension.

M. BURNS: Attendez donc après et on va vous écouter parfaitement. .

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Lafontaine.

M. LEGER: M. le Président, le député de Terrebonne m'a interrompu d'une façon impolie...

LE PRESIDENT (M. Gratton): Sur la motion d'amendement, s'il vous plaît.

M. LEGER: ... puisque lui-même passe son temps à donner des recommandations de politesse à l'Opposition. D'une façon impolie, il m'a interrompu. Vous ne m'avez pas demandé si je voulais vous permettre une question.

M. HARDY: Vous avez raison.

M. LEGER: Donc, sur la question de la politesse, vous étiez en dehors...

M. HARDY: Vous avez raison.

M. LEGER: ... des règles les plus élémentaires...

M. HARDY: Vous avez raison.

M. LEGER: ... et sur la question de règlement, vous n'avez même pas utilisé le règlement...

M. HARDY: Vous avez raison.

M. LEGER: ... puisque vous n'avez pas dit...

M. HARDY: Vous avez raison.

M. LEGER: ... la raison pour laquelle vous m'interrompiez.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre!

M. HARDY: Vous avez raison, mais vous m'avez révolté.

M. LEGER: M. le Président, un autre qui est révolté, il va grossir le nombre des Québécois qui le sont actuellement.

M. HARDY: Pas pour les mêmes raisons.

M. LEGER: Pas pour les mêmes raisons, malheureusement. M. le Président, quand je disais tantôt que le premier ministre et le gouvernement jouent avec les sentiments des Québécois, c'est qu'ils sont en train de duper les uns avec les angoisses des autres, comme je le disais hier. Ils dupent les francophones en faisant croire que les anglophones s'opposent, en faisant peur temporairement aux anglophones, seulement assez pour énerver les francophones dont on connaît le sens hospitalier, courtois, "bonne-ententiste", qui veulent que tout le monde soit heureux chez eux, ils ne veulent pas blesser personne. On sait comment le peuple québécois est. On n'aime pas ça. Parfois, on se laisse piler sur les orteils...

M. HARDY: C'est pour ça que vous vous faites battre.

M. LEGER: ... seulement pour ne pas crier trop fort pour ne pas déranger le monde quand c'est silencieux à la bilbiothèque, M. le Président.

M. HARDY: Vous avez raison. C'est pour ça que vous vous faites battre.

M. LEGER: Je pense que le problème est le suivant. On a essayé de duper les francophones parce que les hauts cris de certains anglophones ont laissé l'impression, chez les francophones, que peut-être on améliorait un peu la loi parce que les anglophones sont fâchés. Maintenant, on va rassurer les anglophones, on va leur dire: Vous avez eu peur, on va vous donner une bonne pinte de bon sens, vous allez rire maintenant, M. le Président. Les anglophones: Ecoutez bien, la langue officielle du Québec est le français. Et on va leur dire ça en anglais, M. le Président. Les anglophones vont trouver ça merveilleux.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre, à l'ordre, à l'ordre, s'il vous plaît !

M. HARDY: Enfin, il a eu ses applaudissements.

M. LEGER: M. le Président...

M. HARDY: Cela a pris du temps. Il est bon pour une autre heure.

M. TARDIF: II collectionne les applaudissements.

M. LEGER: ... ce que le gouvernement propose...

M. BOURASSA: ... réchauffé.

M. LEGER: M. le Président, je ne suis pas comme l'ancien ministre des Affaires municipales qui mettait des guillemets pour dire "applaudissements", dans ses discours.

M. HARDY: Il a eu enfin son oxygène.

M. LEGER: Oui, il est parti justement. Ce que le gouvernement propose, ce sont des lois bilingues et il faut noter que cette proposition va avoir des répercussions dans toutes les activités paragouvernementales, et des activités publiques comme les municipalités, entre autres, et vous savez le danger et l'illogisme que nous allons démontrer à chacun des articles de ce projet de loi.

L'illogisme de l'article 1 avec l'ensemble des 129 articles qui suivent. L'illogisme continuel qui sera décelé à chaque article. On propose le français langue officielle à l'article 1 et on crée une deuxième langue officielle à travers chacun des autres articles. Je le prouve, M. le Président. Cette preuve n'est pas faite par une personne qui peut être très rapprochée du Parti québécois, c'est par la critique de Me Claude-Armand Sheppard que vous connaissez fort bien et qui dit justement, dans sa critique constructive de la commission Gendron, qu'une langue devient officielle dès que son usage est reconnu, autorisée ou imposée, pour toute activité réglementée par la loi.

Dans ce sens, je cite Me Claude-Armand Sheppard. "Une langue minoritaire reconnue officiellement uniquement dans une région donnée et même pour un nombre restreint d'activités peut être qualifiée de langue officielle." Et les 316 municipalités du Québec, qui sont maintenant soumises à l'article 9 que nous verrons bientôt, où on permet l'usage et de l'anglais et du français, donc la "bilinguisation" de près de 3 millions de citoyens payeurs de taxe, cela rend encore l'anglais langue officielle.

L'amendement du chef de l'Opposition, qui vise à ne rendre le statut officiel qu'à la version française des lois du Québec, cela veut dire qu'on peut aller jusqu'à l'article 9 et déclarer que seule la langue française doit être la langue officielle dans le domaine de la législation et des réglementations municipales.

Cela n'empêche pas, pour des individus anglophones, d'avoir une version de ce qui se passe. C'est entendu qu'on ne veut absolument pas restreindre certains droits individuels à des citoyens qui sont des payeurs de taxe. Quand on promulgue un règlement, c'est important lorsqu'ils le désirent, mais pas d'une façon automatique, avec version officielle, seulement s'ils le désirent, d'avoir copie d'un règlement qui les concernent.

M. le Président, plus loin, Me Claude-Ar- mand Sheppard dit: "Tant et aussi longtemps que l'anglais serait reconnu pour quelque activité officielle que ce soit et serait également l'une des langues officielles du Québec". Est-ce l'objectif que le premier ministre et le ministre de l'Education cherchaient à l'article 1, en voulant faire du français la langue officielle et en omettant volontairement d'y ajouter le mot "seule"? Et Me Claude-Armand Sheppard continue: "Seul un examen du contenu de la législation permettrait d'établir l'étendue exacte de la reconnaissance officielle de langue. Mais dire que le français est la langue officielle du Québec serait illogique, à moins que l'usage de l'anglais soit complètement proscrit, du moins pour toute fin officielle."

M. le Président, je pense que c'est un point très important et très grave. Plus loin Me Claude-Armand Sheppard dit encore: "Si le statut accordé au français était légèrement ou fortement supérieur à celui de l'anglais, l'anglais demeurerait langue officielle et il serait faux d'affirmer que seul le français est la langue officielle du Québec."

Le premier ministre devrait écouter davantage les conseils de Me Claude-Armand Sheppard quand il dit cela, que c'est faux. Il n'a pas osé jusqu'à dire que le premier ministre était menteur, parce qu'il pensait que le premier ministre, peut-être, corrigerait l'article 1. Mais il ne l'a pas corrigé, M. le Président. Que dois-je conclure quand Me Claude-Armand Sheppard dit que, si le statut accordé au français était légèrement ou fortement supérieur à celui de l'anglais, l'anglais demeurerait la langue officielle et il serait faux d'affirmer que seul le français est la langue officielle du Québec. Chaque fois que le premier ministre dira en public, à la radio, à la télévision...

M. BOURASSA: Ah! oui.

M. LEGER: ...que l'article 1, stipulant que le français est langue officielle, cela veut dire que seul le français est langue officielle, cela veut dire qu'il ment à la population...

M. BOURASSA: M. Chevrette dit le contraire.

M. LEGER: Selon l'interprétation du rapport de Me Claude-Armand Sheppard.

M. BOURASSA: M. Chevrette que vous avez cité dit le contraire.

M. LEGER: Je n'ai pas cité M. Chevrette.

M. BOURASSA: Non, mais vos collègues l'ont cité.

M. LEGER: Vous leur direz à leur intervention, M. le Président, quand ils interviendront. Je n'ai pas parlé de M. Chevrette.

M. BOURASSA: Vous les reniez comme vous avez renié votre chef pour la consigne d'annulation.

M. LEGER: J'ai parlé de M. McWhinney, qui, à Londres...

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre!

M. LEGER: ...c'est-à-dire en Angleterre, a accordé une interview en direct au cours de l'émission "Présent", de Radio-Canada et il a dit qu'il attendait qu'on l'invite. Il est disposé à venir pour interpréter le statut de la langue officielle, M. le Président.

Il l'a dit. C'est le premier ministre qui dit de ne pas détourner le sujet quand lui-même, il me parle de l'annulation et de l'abstention pendant que je parle du projet de loi 22...

M. BOURASSA: Non, c'est parce que je pense...

M. LEGER: Où est la logique?

M. BOURASSA: Non, c'est parce que vous venez de régler...

M. LEGER : C'est votre habitude de faire des abstractions mentales, des distorsions, des extrapolations. Vous êtes une vraie machine IBM dans vos interprétations, M. le Président.

M. BOURASSA: Bon!

M. LEGER: Dans un tel cas, continue Me Armand Sheppard, on pourrait, à la rigueur, parler de langue prioritaire ou de langue d'Etat. L'anglais et le français seraient tous deux langues officielles du Québec, mais le français serait prioritaire ou serait désigné comme langue d'Etat.

M. le Président, quand on regarde ces conclusions d'une personne que je pourrais qualifier d'impartiale, du moins, non pas partiale envers le Parti québécois, je trouve curieux que le premier ministre ose affirmer à l'article 1 que le français est la seule langue officielle et qu'à l'article 2 il refuse d'inclure... C'est pour cela, peut-être qu'il va voter tantôt en faveur de notre amendement qui dit: "Nonobstant les règles ordinaires d'interprétation, seule la version française des lois du Québec a un statut officiel", ... de façon que l'Etat français, avec toute cette souveraineté dont il est capable, puisque c'est le seul Etat qui gouverne les francophones en Amérique, ils devraient s'exprimer souverainement, uniquement en langue française. Pour le faire, il faut que seule la version française des langues, des lois et des règlements du gouvernement ainsi que des institutions publiques ou parapubliques, soit en français.

Si le premier ministre n'a pas le courage de le faire, nous allons lui montrer, article par article, jusqu'à ce qu'il nous impose sa guillotine, que cela aille jusqu'à l'article 129 ou à l'article 130, nous allons lui prouver, à la face de toute la population...

M. BOURASSA: Du vocabulaire.

M. LEGER: ... que son projet de loi est une moquerie du peuple québécois...

M. BOURASSA: Du vocabulaire.

M. LEGER: ... parce qu'il n'est pas capable de réaliser la souveraineté culturelle avec les pouvoirs qu'il se donne. Il refuse de se donner les pouvoirs législatifs pour rendre réalisable cette souveraineté culturelle. Il refuse de le faire et c'est parce que c'est peut-être une admission cachée que seul un Québec souverain indépendant peut faire du français la seule langue officielle au Québec.

M.BOURASSA: II vient de tomber. Votre masque vient de tomber. La partisanerie commence.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Est-ce que la commission est prête à se prononcer sur la motion d'amendement du chef de l'Opposition officielle?

Le député de Maisonneuve.

M. BURNS: M. le Président, on est à la veille d'être prêt à se prononcer sur cette motion, mais on voudrait, avant, s'assurer qu'on a véritablement convaincu le gouvernement que nous proposons un amendement qui a pour but de concrétiser un certain nombre de positions qui ont été rendues publiques, non pas par le moindre des députés libéraux, mais par le chef du gouvernement lui-même.

M. BOURASSA: II va sortir sa trouvaille.

M. BURNS: M. le Président, le chef du gouvernement écrit des choses, émet des choses et il semble les oublier. Ce qui est assez significatif, c'est que le communiqué que j'ai dans les mains est un communiqué qui a été émis par le bureau du premier ministre, tout récemment, à l'occasion de la fête des Québécois français...

M. BOURASSA: Bien oui.

M. BURNS: ... à l'occasion du 24 juin. On nous dit pompeusement dans le texte: "Le gouvernement du Québec entend assurer la permanence et le développement des valeurs françaises qui nous sont propres". Signé, Robert Bourassa.

Voici le texte intégral du message de la Saint-Jean du chef du gouvernement. Cela vaut la peine de le lire; cela vaut la peine de replacer tout cela dans son contexte.

M. BOURASSA: Tout le monde le sait. M. BURNS: Bien non, M. le Président. M. LEGER: Vous êtes trop humble. UNE VOIX: II commence à rougir.

M. HARDY: On est d'accord sur cela, à part cela.

M. BURNS: Vous vous rendez compte... Si vous êtes d'accord, je vais vous dire, ensuite, pourquoi je vous le cite. D'accord?

M.BOURASSA: La seule langue officielle. Je l'ai dit et je le dirai encore parce que...

M. BURNS: Attendez, M. le Président. "Nous pouvons être fiers — M. le Président, ce n'es pas moi qui le dis, c'est le premier ministre dans son communiqué — du Québec moderne, de ce Québec dynamique, vivant et audacieux, terre d'avenir, pleine de promesses et d'espérance. Notre peuple est jeune et entreprenant, capable de relever les plus grands défis.

M. HARDY: Très bien. M. BOURASSA: C'est vrai.

M. BURNS: Le Québec est aussi une terre française et il entend le demeurer.

M. BOURASSA: Je l'ai dit. DES VOIX: C'est vrai. M. HARDY: Très bien.

M. BURNS: Continuez à dire que c'est vrai. Je suis entièrement d'accord que vous disiez "c'est vrai".

M. BOURASSA: Le chef de l'Opposition pense que je... Je peux être fort en chiffre et être capable de bien écrire.

M. BURNS: Faisons les litanies du chef Robert Bourassa.

Je pense qu'on est parti dans un système de litanies, M. le Président. Je vous propose de vous faire signe quand vous voudrez dire: "C'est vrai."

Les données de la situation culturelle du Québec sont connues depuis longtemps.

M. DESJARDINS: C'est vrai.

M. BURNS: Beaucoup a été fait dans le passé pour apporter des réponses à cette question majeure pour l'avenir de notre collectivité.

M. HARDY: C'est vrai.

M. DESJARDINS: C'est vrai.

M. BURNS: Beaucoup reste à faire et le gouvernement est bien décidé...

M. LESSARD: Ainsi soit-il.

M. BURNS: Cela aurait été une bonne place. ... à assumer ses responsabilités en cherchant à réaliser...

M. DESJARDINS: Amen...

M. BURNS: ... son objectif de souveraineté culturelle...

M.HARDY: C'est vrai.

M. DESJARDINS: Ce n'est pas la première fois qu'il dit cela.

M. BURNS: ... à l'intérieur du fédéralisme canadien.

M. HARDY: C'est possible.

M. BURNS: Voilà, M. le Président, un des points de dissension à l'intérieur du caucus. Je sens cette espèce, comment dirais-je, de présence politique, de flair politique de la part du ministre des Affaires culturelles qui ne veut pas dire: "C'est vrai", à tout ce que son chef dit.

M. le Président, il dit: "C'est possible". J'ai bien noté la nuance.

M. HARDY: Continuez donc le texte.

M. BURNS: Continuons. C'est intéressant. Toujours le même communiqué et c'est tout à fait dans l'ordre. Je pense que c'est un très beau préambule à ce que nous discutons actuellement.

M. BOURASSA: Très bien. C'est pour vous autres une façon comme une autre de tuer le temps.

M. BURNS: M. le Président, vous allez voir que cela ne tue pas le temps.

M. BOURASSA: Je n'ai pas d'objection à ce que vous suiviez le texte.

M. BURNS: Cela tue la crédibilité du premier ministre cependant, je l'admets.

M. HARDY: On ne donne jamais assez de diffusion à la vérité.

M. BURNS: J'admets, M. le Président, que de citer son communiqué à proximité de la discussion du projet de loi no 22, cela tue la crédibilité du premier ministre.

Je l'admets, ce n'est pas mon intention, M. le Président.

M. BOURASSA: C'est au peuple à décider. Votre jupon dépasse.

M. BURNS: Le peuple décidera et continuera à décider. Pour le moment, mon problème est d'essayer de cadrer votre attitude par rapport à la motion qui est faite par le chef de l'Opposition.

M. BOURASSA: C'est d'essayer de nuire au parti. Votre tâche est de nuire au gouvernement. C'est le rôle de l'Opposition.

M. BURNS: C'est bien dommage, si vous avez fait cela dans le temps que vous étiez dans l'Opposition...

M. BOURASSA: Non. C'est le rôle que vous avez choisi.

M. BURNS: ... je plains le gouvernement qui était là.

Notre position est, au contraire, beaucoup plus constructive que cela, M. le Président.

M. BOURASSA: Ça force parfois.

M. BURNS: II y a bien des exemples qu'on peut vous donner du contraire.

M. MORIN: Le premier ministre veut nous faire porter sa conception de l'Opposition.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre!

M. BURNS: M. le Président, la fin du texte vaut la peine d'être lue.

M. HARDY: On ne donne jamais trop de diffusion à la vérité.

M. DESJARDINS: Je continuerai la lecture de votre contre-projet après.

M. BURNS: Ce n'est pas long, il achève, parce que le premier ministre a le don, par l'entremise de sa source, Charles Denis, 643-5321, je pense que c'est cela...

M. BOURASSA: C'est cela, oui.

M. BURNS: D'habitude, des sources, ce sont des autorités qu'on cite mais moi cela me surprend, je vois toujours, source, Charles Denis. En tout cas...

M. BOURASSA: Mes media vont vous expliquer pourquoi.

M. BURNS: ... par l'entremise de sa cource, Charles Denis, 643-5321, pour ceux qui veulent l'appeler...

M. BOURASSA: J'essaie d'appeler le soir quand il y a moyen.

M. BURNS: Par l'entremise de sa source, le premier ministre continue en disant: "Cette souveraineté culturelle exprime la détermination des Québécois — ce n'est pas nous qui le disons — d'assurer la permanence et le développement des valeurs françaises qui leur sont propres et qui font l'originalité de la personnalité québécoise au sein du Québec". Voici, M. le Président, les deux bijoux qu'on nous laisse à la fin, les deux belles cerises sur le gâteau.

La proclamation du français, comme seule langue officielle, seule, seule...

M. DESJARDINS: C'est l'article 1.

M. BURNS Ce n'est pas nous qui l'avons dit, M. le Président, c'est le premier ministre.

M. DESJARDINS: C'est ce que l'article 1 dit.

M. BOURASSA: C'est le sens de l'article 1 qui a été présenté...

M. BURNS: Pourquoi n'avez-vous pas accepté notre amendement?

M. BOURASSA: Parce qu'un texte juridique n'est pas la même chose qu'une déclaration qui n'est pas juridique. C'est le bon sens.

M. BURNS: C'est effrayant!

M. LESSARD: Vous faites de la redond n-ce...

M. DESJARDINS: Le seul, le député , Saguenay.

M. BURNS: Cela vaut la peine de continuer. La proclamation du français comme seule langue officielle concrétise le désir de votre gouvernement — on continue à dire votre gouverne ment — d'apporter à la question culturelle québécoise des solutions appropriées et permanentes. C'est lourd de conséquences, ce que ce texte nous...

M. BOURASSA: Cest cela.

M. BURNS: ... laisse entendre.

M. BOURASSA: C'est un jour important.

M. BURNS: Appropriées et permanentes. C'est-à-dire que le gouvernement a fait son lit, et je pense que vers le 24 juin, normalement, on devait savoir ce qu'on s'apprêtait à légiférer, puisque le projet de loi, sauf erreur, était déposé depuis le 22 mai. C'est une solution permanente, M. le Président, qu'on nous propose par le projet de loi 22, selon les dires du communiqué du premier ministre, solution permanente qui doit rendre permanentes les dispositions qu'on impose.

M. BOURASSA: Le député extrapole.

M. BURNS: Je n'extrapole pas, M. le Président. Je vous cite, M. le premier ministre. Je continue.

M. BOURASSA: On ne parle pas de la loi 22 dans le texte.

M. BURNS: Non, non. Vous parlez de la proclamation du français...

M. BOURASSA: C'est évident. M. CHARRON: ... camelote...

M. BURNS: Est-ce que vous pouvez me citer un autre projet de loi, cette année, depuis le début de la session, ou même je dirais depuis les élections du 29 octobre, est-ce que vous pouvez me citer un autre article qui parle de la proclamation du français comme seule langue officielle?

M. BOURASSA: Dans le discours inaugural...

M. BURNS: Est-ce qu'il y en a d'autres? M. BOURASSA: ... c'était mentionné. M. BURNS: Oui, mais...

M. BOURASSA: Vous vous souvenez? Et vous êtes sorti quand j'ai parlé de social-démocratie, mais c'était mentionné.

M. BURNS: C'est postérieur au discours inaugural ce que je cite.

M. LEGER: On n'a pas le droit de rire à l'Assemblée nationale.

M. BURNS: Donc, vous avez eu le temps de vous rajuster. Vous avez eu le temps d'arrêter de faire du verbiage comme vous en faites faire au lieutenant-gouverneur, ce pauvre gars...

M. BOURASSA: Ah! M. le Président...

M. BURNS: ... qui est un gars bien sympathique. Vous lui faites dire des "conneries" à coeur de jour.

M. BOURASSA: Ah!

M. BURNS: Cela n'est pas de ma faute. C'est de votre faute, à vous autres.

M. BOURASSA: Là...

M. HARDY: M. le Président, j'invoque le règlement.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre! Le ministre des Affaires culturelles, sur une question de règlement.

M. HARDY: M. le Président, j'invoque le règlement.

M. CHARRON: ... la reine...

M. BOURASSA: Le chef de l'Opposition, qui connaît le respect des institutions parlementaires, vient de sursauter aux paroles de son leader.

M. HARDY: D'autant plus, M. le Président...

M. BURNS: Si le chef de l'Opposition, qui est mon chef, d'ailleurs...

M. BOURASSA: Ah! C'est bien cela!

M. BURNS: C'est nouveau, cela! Cela vous surprend !

M. BOURASSA: Vous ne pouvez pas dire que je ne vous ai pas aidé.

M. BURNS: Si le chef de l'Opposition me dit que j'ai erré, moi, M. le Président, je vais accepter...

M. DESJARDINS: Vous n'auriez pas dit cela hier...

M. BOURASSA: Sa parole a dépassé...

M. MORIN: ... le député de Maisonneuve à continuer son excellent discours.

M. DESJARDINS: ... René Lévesque était présent.

M. HARDY: M. le Président, j'invoque le règlement.

M. BURNS: Je vois que le chef de l'Opposition n'est pas du tout en désaccord avec moi.

M. HARDY: J'invoque le règlement.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le ministre des Affaires culturelles, question de règlement.

M. HARDY: Suite aux derniers propos du député de Maisonneuve, le député de Maisonneuve sait très bien qu'il existe dans notre règlement un article...

M. BURNS: L'article 68. M. HARDY: L'article 68... M. BURNS: C'est cela.

M. HARDY: ... et plutôt que de laisser planer de vagues insinuations...

M. BURNS: Très bien.

M. HARDY: ... sur une personne qui occupe un poste important dans nos institutions politiques, le député de Maisonneuve devrait, s'il a des accusations sérieuses à porter, se servir de l'article 68, mais ne pas se cacher derrière tout un fatras de mots, comme il le fait actuellement.

M. BURNS: Vous êtes vraiment... M. le Président, je n'oserais pas utiliser l'expression qui me vient à l'esprit pour qualifier l'attitude du ministre des Affaires culturelles.

M. LESSARD: En tout cas, il est...

M. BURNS: En tout cas, je suis sûr que tout le monde va comprendre ce que je pense de lui.

M. HARDY: Ce n'est pas gentil, je vous rappelle le règlement tout simplement.

M. BURNS: Oui. Je parle sur la question de règlement, justement. Je n'oserais même pas, M. le Président, parler de sépulcre blanchi, relativement à la remarque...

M. DESJARDINS: Cela vous prendrait un miroir.

M. BURNS: ... du ministre des Affaires culturelles.

M. HARDY: Vous auriez peur de rencontrer un miroir en disant cela?

M. BURNS: Non, M. le Président! Je pense que cela décrirait assez bien ce que je pense de cette intervention de la part du ministre, mais le ministre sait fort bien, et je le dis à la décharge du lieutenant-gouverneur, de Son Excellence M. Hugues Lapointe...

M. HARDY: Vous commencez...

M. BURNS: Très bien? Non, non. Je dis, à sa décharge, que, pour quiconque connaît les règles d'adoption de projets de loi, quiconque connaît la façon d'ouvrir une session, de proroger une session, que le lieutenant-gouverneur au Québec et le gouverneur général au Canada ont des pouvoirs similaires, c'est-à-dire des pouvoirs que je qualifierais, M. le Président, sans vouloir faire une hérésie constitutionnelle, tout simplement de pouvoirs dirigés par l'exécutif.

Ce n'est que cela qu'on retrouve dans toutes nos lois lorsqu'on voit "le lieutenant-gouverneur en conseil". Le lieutenant-gouverneur en conseil, c'est qui? C'est le lieutenant-gouverneur, mais surtout le conseil et le conseil, c'est le cabinet des ministres.

C'est pour cela que je dis — on ne se cachera pas cette affaire — qu'il est bon que la population du Québec sache cela. C'est bon qu'elle sache que ce n'est pas Son Excellence M. Hughes Lapointe qui commet toutes ces "con- neries" — je répète le mot — dans les discours inauguraux, qui fait toutes ces stupidités que le gouvernement, le conseil en question, lui fait dire.

M. BOURASSA: Un exemple.

M. BURNS: C'est son rôle. Malheureusement et depuis 1936...

M. BOURASSA: Un exemple.

M. BURNS: ... au point de vue constitutionnel...

M. BOURASSA: La social-démocratie est une "connerie"?

M. BURNS: II est complètement admis que le lieutenant-gouverneur ou que le gouverneur général du Canada...

M. BOURASSA: Les médicaments gratuits pour les personnes âgées, vous n'êtes pas d'accord sur cela?

M. BURNS: ... ont des pouvoirs qui sont exactement l'équivalent de ceux de la reine d'Angleterre quand elle ouvre les débats du Parlement d'Angleterre ou de Grande-Bretagne ou du Royaume-Uni et lorsqu'elle proroge les sessions. Ce n'est que cela que j'ai voulu dire, de sorte que je ne mets pas les "conneries" sur le dos de Son Excellence M. Lapointe...

M. CLOUTIER: Est-ce que le mot "connerie" est parlementaire?

M. BURNS: ... loin de là. Je les mets sur le dos du conseil...

M. CLOUTIER: M. le Président...

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre!

M. CLOUTIER: ... est-ce que le mot "connerie" apparaît dans le journal des Débats? C'est parlementaire?

LE PRESIDENT (M. Gratton): Je ne sais pas.

M. BURNS: Si vous voulez dire que je ne dois pas dire "connerie", je vais changer mon mot.

M. CLOUTIER: Non...

M. BURNS: J'attends votre directive.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Plutôt que de donner une directive, est-ce que je pourrais simplement demander au député de Maisonneuve — je pense que les faits ont été rétablis — de revenir à la motion d'amendement?

M. BURNS: II me reste combien de temps? Parce que j'ai eu une interruption...

LE PRESIDENT (M. Gratton): Oui, il y a eu une interruption de trois minutes. Alors, elle sera enlevée du temps...

M. BURNS: II me reste normalement une dizaine de minutes.

LE PRESIDENT (M. Gratton): II vous reste jusqu'à 16 h 27.

M. BURNS: D'accord. Merci beaucoup. M. CLOUTIER: Pas plus. M. BOURASSA: J'écoute.

M. BURNS: Cela vaut la peine. C'est ce qui a provoqué...

M. HARDY: Vos interventions paraissent plus courtes en général. C'est long aujourd'hui.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre! M. BURNS: Oui, c'est long parce que... M. DESJARDINS: Comme la mienne hier. M. BURNS: ... là je...

M. DESJARDINS: C'est comme la mienne, hier soir. Elle était longue, la mienne, hier soir?

M. BURNS: Je sais que c'est long actuellement. Cela paraît long au premier ministre. Cela paraît long au ministre des Affaires culturelles. Cela ne parait pas long au ministre de l'Education parce qu'il ne se sent pas impliqué.

UNE VOIX: Il parait stoique.

M. BURNS: II ne se sent pas impliqué. Jusqu'à maintenant, il a dit: Je vais laisser le premier ministre se mettre le cou sur la planche. La guillotine, comme disait la caricature, on va l'essayer et on verra. Le cou sur la planche était autant là pour le premier ministre que pour les autres.

M. BOURASSA: On a dit l'inverse.

M. BURNS: C'est long pour une raison bien simple. Je rappelle des faits qui tranchent dans les chairs vives et c'est très récent. Cela ne remonte guère à plus d'un mois. Effectivement, même, cette déclaration remonte à un mois depuis aujourd'hui. Peut-être un mois et un jour. Le dernier paragraphe que je n'avais pas eu le temps de citer de cette déclaration du bureau du premier ministre — source: Charles Denis: 643-5321 — est important. C'est la raison pour laquelle je veux le citer: "La proclamation du français comme seule..." Ce n'était pas une erreur dans le paragraphe précédent, on le répète. Je vois le député de Mont-Royal qui dit: Ce n'est pas mon chef de gouvernement qui a dit cela, cela n'a pas de sens.

M. BOURASSA: Vous êtes mieux de vous habituer.

M. BURNS: On vous demande simplement dans le projet de loi actuel une chose, de faire autre chose que de gouverner par voie de panneaux-réclame.

M. BOURASSA: Je l'ai dit et je vais le dire...

M. BURNS: Vous êtes un gouvernement qui fonctionne au néon.

M. BOURASSA: ... à Ottawa, à Toronto, à New York, partout, je vais le dire, parce que c'est la vérité.

M. BURNS: Continuez à le dire...

M. BOURASSA: Cest interprété ainsi dans toutes les capitales du monde.

M. BURNS: ... et après cela, quand il y aura une petite réunion, en arrière, le côté officiel, vous leur direz: Ne vous énervez pas, regardez le texte aux articles 1, 2, 19...

M. BOURASSA: Vous avez vu ce qui est arrivé à la lettre du président de la Banque de Montréal?

M. BURNS: ... à l'article 8, à l'article 48, et regardez tout cela. Ne vous inquiétez pas.

M. BOURASSA: Vous avez vu ce qui est arrivé à la lettre du président de la Banque de Montréal?

M. BURNS: Ce que j'ai dit, c'était pour satisfaire mes indigènes qui vont me lire dans les journaux.

M. BOURASSA: C'est malhonnête.

M. BURNS: C'est cela. Non. Ce n'est pas malhonnête du tout.

M. HARDY: Vous manifestez un manque de respect pour les Québécois actuellement.

M. BURNS: Non. Au contraire!

M. HARDY: Vous pensez que les Québécois ne sont pas assez lucides pour voir ce qui se passe.

M. BURNS: Au contraire! M. HARDY: Voyons donc!

M. BURNS: Au contraire!

M. HARDY: Cessez donc de manquer de respect à l'endroit des Québécois !

M. BURNS: J'essaie d'interpréter comme j'y ai droit...

M. HARDY: La majorité des Québécois n'est pas fanatisée comme certaines de vos troupes.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre, messieurs!

M. LEGER: Qu'il ait tort, s'il le dit jusqu'au bout, il va avoir raison.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre!

M. BOURASSA: II me compare à Napoléon, maintenant.

M. LEGER: Napoléon avait dit: Même si vous avez tort, dites-le.

M. BOURASSA: C'est mieux que le général Amine.

M. LEGER: Napoléon a dit: Même si vous avez tort, dites-le, n'arrêtez pas de le dire, allez jusqu'au bout et vous aurez raison.

M. LESSARD: C'est un petit Napoléon, et vous avez votre Waterloo.

M. BOURASSA: Vous, peut-être !

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre, messieurs! Est-ce qu'on pourrait revenir en 1974?

M.BURNS: M. le Président, je reviens en 1974. C'est bon d'avoir de ces rappels historiques, c'est utile, très utile d'ailleurs.

M. BOURASSA: Le député de Maisonneuve me comparaît à un colonel grec la semaine dernière.

M. BURNS: L'histoire, le premier ministre devrait la savoir, est utile pour autant qu'on sache ne pas répéter les erreurs qui ont été faites avant. Il y en a des erreurs dans l'histoire qu'on pourrait énumérer. En tout cas, ce n'est pas mon propos actuellement et je ne serais pas du tout dans le sujet qui nous concerne actuellement si je citais au premier ministre ses erreurs. Mais cela vaut la peine, j'y reviens, même si le premier ministre ne veut pas que je cite ce dernier paragraphe, en fait, l'avant-der-nier paragraphe puisque le reste consiste en souhaits de bonne fête aux Québécois... L'avant-dernier paragraphe de cette déclaration du premier ministre — et là, j'espère que je ne serai pas interrompu, M. le Président— la proclamation du français comme seule langue officielle — deux fois, M. le Président, dans le même texte — la nouvelle politique culturelle, le développement de notre politique d'immigration et de communication, ça, j'ai le goût de rire parce quand on ira plus loin dans le projet de loi; notre nouvelle politique de communication et d'immigration, j'ai bien hâte qu'on en parle. On va voir jusqu'à quel point le gouvernement actuel se soucie tellement peu de cela qu'il a fait enlever, par l'article 117 de la loi, la seule façon que le ministère de l'Immigration, de concert avec le ministère de l'Education, pouvait avoir de franciser ce mandat qu'il avait de franciser les immigrants. On l'enlève par l'article 117. En tout cas, je ne veux pas entrer dans ce détail, on y reviendra. Lisez l'article 117, M. le Président...

M. BOURASSA: On va déposer une loi.

M. BURNS: Oui, vous allez déposer une loi qui va être adoptée quand, M. le Président?

M. BOURASSA: Demain ou après-demain, on va corriger cela.

M. BURNS: Le projet de loi 22 est adopté quand, lui?

M. CLOUTIER: Nous prendrons les moyens pour qu'il n'y ait pas de vide juridique. Nous déposerons la Loi de l'immigration...

M, BURNS: II n'y aura pas de vide.

M. CLOUTIER: II n'y aura pas de vide et nous allons rétablir... Il y a un problème de concordance. C'est purement de la technique juridique.

M. BURNS: Quant à 117, on nous dit que l'article 3 de la Loi du ministère de l'Immigration est abrogé. Il n'y a pas de problème?

M. BOURASSA: La loi va être déposée.

M. CLOUTIER: Je vous affirme qu'il n'y a pas de problème.

M.BURNS: Je ne les ai pas vus dans vos amendements, les correctifs à cela.

M. CLOUTIER : C'est exact parce que la Loi de l'immigration sera déposée et si elle n'est pas sanctionnée avant la Loi 22, il y aura un nouvel amendement apporté de manière qu'il n'y ait pas de vide juridique.

M. BURNS: En tout cas, M. le Président, on reviendra là-dessus.

M. CLOUTIER : Je vous remercie de m'avoir permis d'apporter cette précision.

M. BURNS: Oui.

M. BOURASSA: Si vous n'aviez pas de problèmes techniques, qu'est-ce que vous reprocheriez au gouvernement?

M. BURNS: Je trouve cela essentiel, M. le ministre. Quand j'entends le ministre de l'Immigration, à l'étude de ses crédits, lorsque je lui souligne la disparition de son article 3 dans la Loi de l'immigration, qui me dit: C'est une affaire qui m'a passé entre les pattes, je lui dis: Est-ce que vous étiez au conseil des ministres qui a discuté du projet de loi 22? Il me dit: Oui, mais cela m'a passé entre les pattes. Je dis, M. le ministre — je le dis autant au ministre de l'Education qu'au ministre de l'Immigration, je le dis surtout au chef de l'Etat — ce sont des choses que lorsqu'on décide de légiférer en matière linguistique, on n'a pas le droit de se faire passer entre les pattes. Vous savez qu'on peut toujours se fier à la diligence, à la rapidité de réaction de l'Opposition, mais il ne faut pas se fier uniquement là-dessus. Il me semble que si j'étais membre du gouvernement...

M. BOURASSA: C'est vrai.

M. BURNS: Oui, parce qu'on est aussi faible que vous.

M. BOURASSA: C'est réaliste de votre part.

M. BURNS: Oui, je suis très réaliste. On est humain, on a le droit de se tromper comme tous et chacun de vous, vous avez le droit de vous tromper, on l'admet.

M. HARDY: Errare humanum est.

M. LESSARD: Vous vous êtes trompés d'ailleurs.

M. BURNS: Mais si vous vous fondez sur des questions aussi essentielles que l'article 117, sur la vigilance de l'Opposition, je dis: Vous ne gouvernez pas. Vous faites semblant de gouverner et vous dites: J'espère qu'on va leur passer celle-là et qu'ils ne s'en apercevront pas. C'est cela qu'on vous dit.

En tout cas, M. le Président, je veux terminer la citation de ce texte venant du bureau du premier ministre lorsqu'il parle, pour la deuxième fois, de la proclamation du français comme seule langue officielle et il continue en disant: La présence du Québec au sein de l'Agence de coopération culturelle et technique des pays francophones... Belle jambe qu'on va avoir là après leur avoir montré notre projet de loi 22. Les pays francophones vont même être gênés de nous avoir dans leur groupe.

M. BOURASSA: Vous devriez voir la réaction des pays francophones.

M. BURNS: L'AIPLF, l'Association interna- tionale des parlementaires de langue française, va dire: C'est le genre de compromis que vous faites et vous vous décrivez comme des parlementaires de langue française. On va être non seulement timides, nous, mais eux, vont être gênés de nous avoir dans leur groupe...

M. CLOUTIER: Vous allez refuser tout voyage dorénavant.

M. BURNS: ...a après avoir adopté le projet de loi 22. M. le Président, on y reviendra au voyage en temps et lieu. Ce n'est pas un problème. L'Agence de coopération culturelle et technique des pays francophones, l'élargissement des relations franco-québécoises... Là aussi, on va avoir une belle jambe. Autant d'initiatives qui expriment la volonté de votre gouvernement de faire s'épanouir la société québécoise et d'en développer l'ouverture sur le monde. Ce qu'on vous demande, par l'amendement du chef de l'Opposition, c'est de vérifier la colonne vertébrale d'une société, la façon d'interpréter les lois; c'est ça, la colonne vertébrale d'une société. Une société se tient debout pour autant que sa législation se tient debout, pour autant qu'un avocat, qu'il soit francophone ou anglophone, sache exactement, sans aucune ambiguïté, comment il va plaider devant ce tribunal.

M. le Président, on a parlé de l'AIPLF il y a quelques secondes. Cela va peut-être choquer certains de mes amis sénégalais de dire ça, mais je vais dire...

M. BOURASSA: Votre ami, le rédacteur en chef du Jour, ne sera pas d'accord, lui.

M. BURNS: ...qu'une des réactions... M. BOURASSA: M. Michaud est là.

M. BURNS: ...que j'ai eues lorsque je me suis rendu compte que la cour Suprême du Sénégal avait comme juge en chef un Français qui n'avait pas la nationalité sénégalaise, je me suis dit: Ce sont encore, malgré leur indépendance, de véritables colonisés. Cela va peut-être choquer des Sénégalais que je dise ça.

M. BOURASSA: Cela a été notre cas au fédéral pendant longtemps. On a eu des francophones au fédéral.

M. BURNS: Mais je dis exactement la même chose à l'endroit d'un projet de loi qui, dans un de ses articles, permet la dualité d'interprétation dans des textes français et des textes anglais, alors qu'à l'article 1, on affirme la suprématie du français, on affirme — si j'écoutais le premier ministre — l'unicité, selon l'expression du député de Saint-Jean, du français. On ne dit pas "seule", mais ça veut dire ça.

M. BOURASSA: M. Chevrette...

M. BURNS: On ne le dit tellement pas que,

dès l'article 2, on se force pour nous dire que, vous savez, il y a des textes anglais... Toutes les interprétations des tribunaux, et je défie qui que ce soit de me dire le contraire, ont toujours tenu compte des textes anglais de nos lois même — j'ai cité le chiffre, au hasard, de 99.9 p.c. tout à l'heure — même si 99.9 p.c. de nos lois sont adoptées en français, je dirais même 100 p.c. de nos lois, sauf les interventions de nos bons amis anglophones qui se font, de temps à autre, en anglais, chose, encore une fois — ai-je besoin de le répéter? — chose contre laquelle nous n'en avons pas. Nous n'avions tellement rien contre ça que nous étions même prêts à mettre ça dans un de nos amendements.

Mises à part les interventions de certains députés anglophones, les lois sont constamment adoptées en français. On prend la peine de nous dire, à l'article 2: En cas de divergence, "lorsqu'on ne peut pas résoudre le problème convenablement". Quelle espèce d'ambiguïté accordons-nous à ce texte lorsqu'on donne, comme le dit le communiqué du premier ministre, une permanence à ce texte, lorsqu'on dit: "Si on ne peut pas résoudre convenablement les divergences d'opinion relativement à l'interprétation, le texte français" — c'est ça qui me choque — "prévaut sur le texte anglais", dans une loi qui rend le français langue officielle?

M. le Président, j'aurais encore au moins une demi-heure à vous parler seulement sur ce sujet-là. Parce que je l'ai vécu comme avocat ayant à argumenter devant les tribunaux. J'ai vécu, comme avocat francophone, cette espèce d'humiliation d'être obligé d'aller chercher dans des textes anglais, textes dans lesquels la loi n'a pas été adoptée, d'aller chercher — je l'ai fait il n'y a pas longtemps — avec un sentiment profond d'humiliation, j'ai été obligé, dans notre propre règlement, de convaincre le président que l'"indignité" voulait dire, à cause du texte anglais, la "disqualification", Si le mot n'est pas français, en anglais, on parle de "disqualification".

M. CLOUTIER: Ni l'un ni l'autre ne sont français.

M. BURNS: Quand je suis obligé de faire ça, je me sens profondément humilié comme Québécois français et je vous dis, si on veut adopter une véritable loi qui rende le français langue officielle au Québec, je vous le dis, M. le Président, voyons-y! On a tenté d'y voir à l'article 1. On vous dit: Tentez d'y voir également à l'article 2. Là aussi, vous touchez à la colonne vertébrale du Québec. La façon d'interpréter nos lois, qu'on le veuille ou non, et je n'ai aucune crainte de l'affirmer, a plus d'importance que la façon dont on examine la santé de nos Québécois, parce que la façon d'examiner nos lois a un caractère de permanence que l'examen de la santé de nos concitoyens n'a pas. En tout cas, c'est pour ces raisons que je vous dis que j'appuierai sans aucune réserve la proposition du chef de l'Opposition.

M. HARDY: M. le Président...

LE PRESIDENT (M. Gratton): L'honorable ministre des Affaires culturelles, sur la motion d'amendement.

M. HARDY; M. le Président, quand on relit l'histoire du Québec, l'histoire de la collectivité québécoise, on se rend compte, bien sûr, que cette collectivité a dû faire face à un très grand nombre de problèmes, parce que cette collectivité, il faut l'admettre, a vécu dans des conditions presque anormales, et certains historiens ont fait voir d'une façon assez éloquente ces situations anormales dans lesquelles était placée la collectivité québécoise.

Mais en même temps que l'on se rend compte de ces situations anormales, de ces situations difficiles, de ces situations qui, très fréquemment, nous empêchaient de nous épanouir comme collectivité sur le plan culturel, sur le plan économique, sur le plan social, en même temps que nous mettons le doigt sur ces situations, nous sommes obligés de reconnaître que ceux qui étaient les chefs de cette collectivité, chefs politiques, chefs religieux, les leaders de la collectivité québécoise ont très souvent agi, non pas par mauvaise volonté, mais de façon à nous empêcher de régler ces problèmes ou de corriger ces situations anormales dans lesquelles nous étions placés.

Il s'agit par exemple, de penser à cette doctrine qui longtemps a été véhiculée, cette doctrine que l'on a appelée l'agriculturisme ou cette doctrine — c'était à la fois un sentiment et cela a été érigé en forme de doctrine — qui voulait qu'une des façons pour les francophones du Québec de garder leur langue, et à ce moment-là, on ajoutait leur foi, leurs traditions, une des façons de conserver en quelque sorte leur patrimoine culturel, c'était de se replier, c'était de refuser de participer à la vie économique de la nation, de refuser de s'intégrer à ces institutions économiques.

Le résultat de ces refus, le résultat de cette façon très irréaliste, très abstraite de concevoir les choses, nous a placés dans une situation d'infériorité dont, encore aujourd'hui, nous subissons les conséquences, conséquences que nous subirons encore sûrement pendant un certain nombre d'années, malgré les efforts de redressement qui se font depuis un certain temps et qui continuent à se faire.

Devant les problèmes politiques par exemple, combien de fois les chefs politiques ont préféré nous laisser bercer par toutes sortes d'illusions, faire surgir des problèmes qui n'en étaient pas toujours, problèmes, bien sûr, qui avaient pour conséquence de flatter l'émotion des citoyens, de flatter ou d'entretenir leur fierté! Pendant que les chefs politiques entretenaient la fierté du peuple, leur faisaient apparaî-

tre toutes sortes d'oriflammes, pendant ce temps-là, les véritables problèmes demeuraient sans solution.

M. le Président, je suis enclin à penser qu'à l'heure présente, devant ce problème de la langue française, ceux qui forment actuellement l'Opposition officielle dans ce Parlement sont les fidèles héritiers de la vieille pensée nationaliste, à certains points stérile qui a causé tellement de tort à la collectivité québécoise.

C'est cela qui est paradoxal. Les historiens, ceux qui feront l'histoire des idées dans 25, 30, 40 ou 50 ans, pourront démontrer...

M.CHARRON: Ils vont vous oublier.

M. HARDY: Mais vous, ils ne vous oublieront pas.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre!

M. HARDY: ... d'une façon assez juste, je pense...

M. BURNS: Ils parleront de vous comme des éléments...

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre, encore une fois!

M. HARDY: M. le Président, ceux qui demain feront l'histoire des idées du Québec auront beaucoup de facilité à démontrer l'affiliation entre ceux dont j'ai parlé tantôt, les anciens chefs nationalistes du Québec et ceux qui se proclament des gens tellement avant-gar-distes, tellement nouveaux.

Bien sûr, quand on regarde la façon d'agir des péquistes, si on regarde le vernis qui entoure leur action, on peut être enclin à se dire: Voilà des gens vraiment nouveaux; voilà des gens vraiment modernes. Mais quand on gratte quelque peu cette couche de vernis bien mince, quand on va voir la substance de ce qui anime leur prise de position, qui anime même leur pensée politique et encore davantage, leur prise de position, ce que j'appelle leur attitude devant un débat comme celui auquel nous participons présentement, on se rend bien compte...

M. BURNS: De rappeler sur une question de règlement, ai-je besoin de rappeler la pertinence du débat.

M. HARDY: Laissez faire, j'y viens. Vous allez voir la relation.

M. BURNS: Je veux seulement savoir. Peut-être êtes vous dans votre préambule?

M.HARDY: Ah oui!

M. BURNS: On est d'accord; on vous laisse aller.

M. HARDY: Je ne suis même pas dans le préambule, je suis dans le coeur du sujet et vous allez voir de quelle façon.

M. BURNS: On vous écoute. Bravo!

M. HARDY: M. le Président, quand on regarde bien la façon d'agir, en particulier des députés péquistes et par souci d'honnêteté intellectuelle, je n'oserais même pas, face à ce débat en tout cas, associer tout le Parti québécois, parce que je ne suis pas totalement sûr que l'ensemble du parti soit nécessairement d'accord sur l'attitude adoptée par l'aile parlementaire. Je m'interroge d'autant plus que les péquistes de mon comté ont précisément eu une réunion pour dénoncer l'attitude de l'aile parlementaire de leur parti face au projet de loi 22.

M. LEGER: Sur quel sujet?

M. MORIN: Vous l'aviez organisée?

M. LEGER: Sur quelle portion?

LE PRESIDENT (M. Gratton) : A l'ordre! A l'ordre!

M. HARDY: Non, M. le Président. J'ai appris la nouvelle par un journal que nos amis connaissent bien, Québec-Presse. C'était dans le dernier numéro de Québec-Presse. La réunion a eu lieu à Bois-des-Filion. Mais ce n'est pas pertinent.

M. BURNS: M. le Président, le ministre pourrait peut-être être honnête et dire que la dénonciation à laquelle il fait référence n'a aucunement trait au projet de loi 22 et que c'est une possibilité que nous avons admise chez nous d'ailleurs, de la dissidence sur des éléments stratégiques. Entre autres, l'élément stratégique qui était concerné par la décision...

M. HARDY: Non, ce n'était pas cela. Je regrette, M. le Président.

M. BURNS: ... était relativement la politique d'annulation.

M. HARDY: Le député de Maisonneuve est moins bien informé que moi sur ce qui se passe chez les péquistes de Terrebonne.

M. BURNS: Pas du tout, je suis aboslument bien informé sur ce qui se passe dans le comté du député de Terrebonne.

M. CLOUTIER: Est-ce que mon collègue...

M. BURNS: A part cela, ce n'est pas Terrebonne, c'est Prévost.

M. CLOUTIER: ... me permettrait une question au député de Maisonneuve, parce que le député...

M. HARDY: Non, M. le Président, je ne permets pas une question.

M. CLOUTIER: Je m'incline, je vais attendre mon droit de parole.

M. DESJARDINS: D'ailleurs, il y a suffisamment d'interruptions.

LE PRESIDENT (M. Gratton): C'est le ministre des Affaires culturelles qui a la parole.

M. HARDY: M. le Président, encore une fois, vous voyez très bien que lorsqu'on commence à vouloir discuter sérieusement...

M. CLOUTIER: Oui, cela donne des idées.

M. HARDY: ... immédiatement les péquistes interviennent pour empêcher le cours de l'intervention.

M. LEGER: ... vous ne parlez même pas de l'article 2. Vous êtes rendu avec les péquistes de Terrebonne.

M, HARDY: Je disais donc, M. le Président...

M. BURNS: Vous êtes rendu avec les péquistes de Terrebonne et vous vous trompez avec les péquistes de Prévost. C'est bien différent.

M. DESJARDINS: M. le Président, cela fait une semaine que je le dis, vous faites de l'obstruction quand on parle,

M. HARDY: M. le Président, je disais donc que l'attitude actuelle...

M. LEGER: Ce n'est pas sérieux.

M. HARDY: ... de l'aile parlementaire du Parti québécois, face au bill 22, s'inspire directement du négativisme, de l'attitude stérile que trop souvent ont adoptés, dans le passé, ceux qui se prétendaient être nos chefs. On le voit d'une façon bien concrète, M. le Président, dans ce débat. Alors qu'il s'agissait d'adopter, de proclamer que le français était la seule langue officielle au Québec, vous avez vu les gens du Parti québécois multiplier les motions de procédure, les motions de détails, des motions superficielles, des motions artificielles pour empêcher cette commission et, par la suite, le Parlement, de proclamer d'une façon juridique, d'une façon non équivoque, que le français était la langue officielle.

M. BURNS : Est-ce que vous êtes en train de préparer votre motion de clôture? C'est ce que vous faites?

M. HARDY: M. le Président, on a voulu, par toutes sortes d'artifices...

M. BURNS: Vous préparez votre motion de clôture.

M. HARDY: M. le Président, on a voulu faire toutes sortes de distinctions, on a même été jusqu'à vouloir alourdir d'une façon absolument inacceptable un texte qui est d'une limpidité absolue. Toujours pour une seule raison, parce que l'on voulait empêcher de régler le problème lui-même.

Ce que les péquistes voudraient, au fond, c'est que l'on continue à parler de français, de la langue française, des problèmes du français pendant des mois, des années et des années. Alors même que ces gens accusaient le gouvernement de ne pas agir avec assez de célérité lorsque le gouvernement attendait le rapport Gendron, ces mêmes gens, dans le fond, ne veulent pas que l'on passe à l'action, ne veulent pas que l'on agisse parce que, encore une fois, ceci leur enlèverait, dans une certaine mesure, leur raison d'être. Pour les nationalistes du passé comme pour certains nationalistes du Québec actuel, ce n'est pas tellement régler les problèmes qu'il faut, c'est avoir des sujets de discussion, des sujets de discours, il faut continuer à parler, à parler et à parler, M. le Président, on se demande parfois ce que certains journalistes nationalistes pourraient écrire s'ils n'avaient pas devant eux les problèmes que nous avons et ce que certains partis politiques, certains hommes politiques nationalistes péquistes pourraient dire et faire, tellement ils sont incapables de faire face à des réalités bien concrètes. Leur seule porte de sortie, leur seule façon de se maintenir dans la vie politique, c'est d'avoir des problèmes et de continuer à en discuter abstraitement. C'était vrai hier et avant-hier, lorsque nous étions devant la loi, à l'article 1, ce refus de passer à l'action d'une façon concrète. Et c'est encore plus vrai, peut-être, face à l'article 2. M. le Président, si vous voulez voir le cas d'une tempête dans un verre d'eau, c'est bien la bataille que le Parti québécois mène actuellement sur l'article 2.

M. le Président, l'article 2 tel que rédigé donne non seulement une priorité au français, mais je dirais un absolutisme au français puisque l'article 2 dit que, lorsqu'un juge ne sera pas capable d'interpréter une loi à partir du texte ou à partir des règles d'interprétation usuelles, il devra l'interpréter à partir de la version française, à partir du texte français. Qu'est-ce que l'on veut de plus? Le juge est obligé, avec l'article 2, d'interpréter la loi à partir du texte français.

M. le Président, il est impossible d'avoir plus.

C'est important, l'article 2, bien sûr; c'est important, l'interprétation, bien sûr; mais il ne faut quand même pas accorder une mesure disproportionnée à certaines réalités. L'interprétation des lois, dans la vie d'une collectivité, et surtout l'interprétation quand le texte est à ce point obscur qu'il faut avoir recours aux règles

d'interprétation, ce sont quand même des situations très exceptionnelles. Ce n'est pas ce qui se passe dans le cours ordinaire de la vie d'une collectivité. Quand on parle de la langue de travail, quand on parle de la langue de l'administration publique, quand on parle de la langue des affaires, quand on parle de la langue des institutions d'utilités publiques, voilà un domaine où la vie collective est très directement impliquée. Tous les jours, quotidiennement, un très grand nombre de citoyens sont appelés à s'exprimer dans le monde des affaires, dans le monde du travail, dans le monde de l'administration publique, mais c'est très exceptionnel que les juges doivent avoir recours aux règles d'interprétation d'une façon usuelle, d'une façon habituelle. Le texte de loi est suffisamment clair, suffisamment explicite pour que les juges puissent interpréter la loi et appliquer la loi à des situations de fait.

Donc, M. le Président, encore une fois, dans la vie d'une collectivité, l'article 2 va s'appliquer d'une façon très peu fréquente. C'est plus que l'exception dans la vie d'une collectivité, l'application de cet article 2.

Donc, M. le Président, je dis que, comme les anciens nationalistes, comme les anciens leaders du Québec, le Parti québécois s'attache à des détails pour refuser d'agir. Le Parti québécois voudrait nous empêcher, nous retarder d'adopter une loi qui aura des influences ou des conséquences très considérables sur la vigueur du français au Québec. Plutôt que d'adopter cette loi, plutôt que d'adopter cette mesure — pas parfaite, j'en conviens, il n'y a personne qui va prétendre qu'une loi linguistique puisse être parfaite, à moins d'avoir complètement perdu tout sens de la réalité — qui, dans le contexte actuel du Québec actuel, apporte une amélioration très considérable à la vie française, à la vie du français, M. le Président, les péquistes aiment mieux rejeter cette amélioration, aiment mieux rejeter cette solution pratique, concrète, pour s'amuser, s'arrêter à toutes sortes de points, de détails, toutes sortes de théories abstraites qui, encore une fois, collent très peu à la réalité.

Je termine là-dessus. Je trouvais un peu drôle d'entendre tantôt mon collègue, le député de Maisonneuve. Je pense bien qu'il n'a pas dû être très convaincu de ce qu'il avançait en disant que les autres pays membres de l'AIPLF seraient scandalisés. Voyons, M. le Président! Le député de Maisonneuve, qui a déjà participé à des réunions de l'Association internationale des parlementaires de langue française, sait très bien qu'un grand nombre de pays qui appartiennent à cette association, bien sûr, sont officiellement ou peuvent se considérer comme français, mais où la langue française occupe une place très restreinte dans leur vie collective et dans la vie d'à peu près tous les pays d'Afrique. M. le Président, on sait que, dans un grand nombre de pays d'Afrique, le français est loin d'avoir la place qu'il a ici, au Québec, voyons! J'ai participé à des réunions de l'Association internationale des parlementaires de langue française, où les députés représentant ces pays parlaient entre eux dans la langue de leur pays.

M. BURNS: Dans le dialecte. M. HARDY: Oui. M. BURNS: Oui.

M. HARDY: Dans ces pays, la langue qui est utilisée le plus souvent, dans la réalité quotidienne, ce sont ces dialectes. Donc, M. le Président, prétendre...

M. BURNS: Mais, voulez-vous dire, M. le ministre, que, si vous allez à Dakar, vous allez voir des panneaux-réclame, que vous allez, devant les tribunaux, utiliser...

M. HARDY: Je dis...

M. BURNS: ... des interprétations...

M. HARDY: Je dis, M. le Président...

M. BURNS: ... avec la langue qui s'appelle le ouolof, ou avec le dioula.

M. HARDY: Le député de Maisonneuve corrobore encore ce que j'avançais tantôt.

Pour le député de Maisonneuve, ce n'est pas la langue qui est parlée tous les jours...

M. BURNS: Non. C'est la langue que vous allez parler dans les grands centres.

M. HARDY: ... ce n'est pas la langue qui est parlée dans la rue. Ce n'est pas la langue que les gens utilisent quotidiennement qui est importante.

M. BURNS: C'est exactement ce que vous parlez actuellement au Sénégal.

M. HARDY: C'est la langue des tribunaux. C'est la langue qui est parlée par des petits groupes. Bien, M. le Président, ce n'est pas...

M. BURNS: C'est la langue que tout le monde connaît, le ouolof et le dioula.

M. HARDY: ... ma conception de la culture. Ma conception de la culture, donc, par voie de conséquence, ma conception de la langue, ce n'est pas la langue qui est parlée par une petite élite, par un petit groupe. Une culture...

M. BURNS: Ce n'est justement pas cela que je vous dis.

M. HARDY: M. le Président, une culture... M. BURNS: Je vous dis que c'est tellement...

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre! M. HARDY: ... une langue est vivante... M. BURNS: ... le français...

M. HARDY: ... est dynamique dans la mesure où c'est la langue, c'est la culture de l'ensemble de la collectivité, dans la mesure où c'est la langue, la culture des gens qui l'utilisent tous les jours...

UNE VOIX: Dans la rue...

M. HARDY: ... dans la rue, dans leur travail, dans leurs loisirs. C'est cela, la véritable langue d'une collectivité. La langue parlée devant les tribunaux...

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre!

M. HARDY: ... bien sûr, c'est important, mais ce n'est pas avec la langue parlée devant les tribunaux qu'on va assurer la survivance d'une langue dans n'importe quel pays. Ce n'est même pas avec la langue parlée au Parlement qu'on va assurer la survivance d'une langue.

M. BURNS: Avec le "jouai", je suppose?

M. HARDY: La survivance d'une langue est assurée...

M. BURNS: Le "jouai"?

M. HARDY: ... la survivance et l'épanouissement d'une culture sont assurés dans la mesure où l'ensemble de la collectivité, le plus grand nombre de citoyens de cette collectivité...

M. BURNS: Le "jouai" alors?

M. HARDY: ... parlent cette langue...

M. BURNS: Le "jouai". Oui.

M. HARDY: ... s'expriment dans cette langue, utilisent cette langue tous les jours.

M. BURNS: Le "jouai".

M. HARDY: C'est pour cela, M. le Président, que ce n'est pas seulement — je termine là-dessus — avec la loi 22 qu'on va assurer au Québec la survivance de la langue française. Cela encore, c'est une notion dépassée.

M. LEGER: Surtout pas avec le bill 22.

M. HARDY: Cela encore, M. le Président, c'est une notion dépassée des anciens nationalistes qui croient qu'on crée la vie avec des lois. M. le Président, ce n'est pas avec des lois qu'on crée la vie, et la langue française, la culture française au Québec, M. le Président...

M. CHARRON: Cela va être néanmoins...

M. HARDY: ... même si la loi 22 va apporter de grandes améliorations, ce n'est pas la loi 22 qui va assurer d'une façon définitive la vie de la culture française. La vie d'une culture est assurée dans la mesure où elle est supportée par la vie économique.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre!

M. HARDY: Même si vous adoptiez toutes les lois que vous voudrez, des lois infiniment plus draconiennes, plus coercitives que même le contreprojet du Parti québécois, si vous ne prenez pas parallèlement à ces mesures linguistiques, des mesures sur le plan économique pour faire en sorte que ceux qui participent à cette culture, pour faire en sorte que ceux qui parlent cette langue, aient en même temps une vie économique dynamique, cette culture continue toujours à être menacée. C'est pourquoi, faire actuellement comme vous le faites, le Parti québécois, faire croire à une certaine partie de la population que c'est avec une loi qu'on va assurer d'une façon définitive la survivance de la culture française au Québec, c'est cela berner la population, c'est cela raconter des mensonges à une population, c'est cela, malheureusement, peut-être involontairement, qu'on a trop fait dans le passé et c'est cela que le Parti québécois et ses différentes succursales continuent encore à faire actuellement.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre! Le chef de l'Opposition.

M. MORIN: Je voudrais commencer par dire que je suis d'accord sur une des choses que vient de dire le ministre des Affaires culturelles. C'est vrai que ce n'est pas seulement avec la loi qu'on peut sauver la langue française, mais la loi ne doit pas aller à rencontre des intérêts de la langue et surtout la loi ne doit pas proposer des mesures de bilinguisme comme elle le fait et c'est ce que nous avons contre ce projet de loi.

M. BOURASSA: Arrêtez de mentir!

M. MORIN: Je voudrais, cependant, cet après-midi, m'incliner sur les aspects techniques de l'article 2. Je pense qu'il est temps que nous examinions cet article de très près. Je réserve pour plus tard les aspects constitutionnels et je voudrais m'étendre davantage sur la portée exacte de l'article 2 tel que rédigé, en prenant comme exemple le droit commercial.

Tout le monde sait que le droit commercial a une très grande importance pour les Québécois parce que, de plus en plus, il se mêle des affaires. De plus en plus, on est obligé de faire appel à la législation dans le domaine commercial pour bien mener ses affaires. Or, qu'en est-il dans le domaine du droit commercial par rapport à l'interprétation des lois?

Le droit commercial du Québec a des origines à la fois françaises et britanniques. Parlons d'abord des origines françaises. Tout le fond de

notre droit commercial encore en vigueur aujourd'hui est français. Cela nous vient de l'ancien droit qui régit toujours les transactions commerciales en l'absence de dispositions expresses en sens contraire dans la législation écrite.

Cela veut dire que les lois françaises qui s'appliquaient ici en Nouvelle-France, il y a très longtemps, comme par exemple, l'édit de novembre 1563, qui étendait la législation commerciale à la Nouvelle-France et qui créait les tribunaux de commerce, s'applique toujours. Cela veut dire également que les ordonnances de commerce et de la marine, ce qu'on appelait le code marchand de 1673, ou encore l'ordonnance de 1681 servent toujours d'arrière-plan aux transactions commerciales au Québec, de même que toute la législation sur le commerce pour la Nouvelle-France avant 1760 a continué de s'appliquer dans ce pays grâce à l'Acte de Québec après la conquête de 1760.

Donc, le fond du droit commercial québécois est demeuré français et quand on veut interpréter certaines dispositions du droit commercial, il faut donc se reporter à l'ancien droit français. C'est un premier point.

Depuis la conquête, notre droit a quelque peu évolué à cause de l'influence britannique et de l'imposition d'un certain nombre de règles anglaises à la population française.

Il y a toujours eu d'ailleurs, et ce n'est pas terminé, un effort pour imposer au Québec une certaine uniformité des lois commerciales entre le Québec et le Canada. Ceci a commencé très tôt dans notre histoire. Cela a commencé dès les premières années qui ont suivi 1760. En sorte que notre droit commercial a été pénétré peu à peu d'un certain nombre de dispositions statutaires d'origine britannique. Par exemple, les compagnies à fonds social, les effets de commerce, la banque, ont été l'objet de législations impériales, puis de législations proprement canadiennes, soit au temps de l'Acte d'Union de 1840 à 1867, soit depuis la confédération.

Depuis 1791, en fait, et de manière plus approfondie après 1840 et après 1867, le droit commercial québécois a été de plus en plus envahi par le droit d'origine anglaise, par des usages d'origine anglaise, des coutumes d'origine britannique. En sorte que, aujourd'hui, notre droit commercial a deux origines. Le vieux fond français auquel on doit se référer pour l'interpréter lorsque ces aspects du droit sont mis en cause et, se superposant au droit français, toutes les additions d'origine britannique pour lesquelles, en cas de difficulté d'interprétation, il faut se référer aux usages et aux coutumes d'origine britannique. Donc, un juge qui se trouve devant un problème de droit commercial aura probablement à invoquer à la fois, dans l'interprétation des textes, des mots, des phrases, des textes d'origine française et, d'autre part, à l'occasion et même très souvent, et de plus en plus souvent, des textes d'origine anglaise.

Que vient faire l'article 2 dans cette situation que j'ai décrite? Je m'en suis tenu au droit commercial parce que, comme on le sait, le droit criminel, la législation pénale relève d'Ottawa et donc elle n'est pas en cause, c'est toujours la version anglaise qui prévaut, c'est toujours la source anglaise qui prévaut dans ce cas. Mais pour le droit commercial qui, lui, est Québécois et qui tombe sous la compétence, au moins pour une part, de la Législature québécoise, il faut se reporter à cet ensemble de sources qui sont à la fois françaises et britanniques.

L'article 2 ne peut rien changer à cela. Pourquoi? Parce qu'il nous dit: "En cas de divergence que les règles ordinaires d'interprétation ne permettent pas de résoudre convenablement, le texte français des lois du Québec prévaut sur le texte anglais." Or, les règles ordinaires d'interprétation font que le juge doit se référer tantôt à des sources françaises, tantôt à des sources britanniques. Il n'a pas le choix, il doit le faire. Donc, dans bien des cas, les juges vont être obligés, de toute façon, de se référer au texte anglais des usages et des coutumes d'origine britannique. Ils n'ont pas le choix et ce n'est pas l'article 2 qui va modifier cela, il ne le peut pas. L'article 2 n'intervient que lorsque les règles ordinaires d'interprétation ne permettent pas de réconcilier les deux textes. Mais, M. le Président — je crois d'ailleurs que c'est ce que le ministre des Affaires culturelles, qui est juriste, a voulu dire — cela arrive une fois tous les 30 ans, une fois tous les 50 ans. Donc, c'est une disposition de façade, c'est une disposition qui n'a pas de portée réelle puisqu'on ne pourra l'invoquer que deux fois par siècle, mais elle permet au gouvernement d'avoir l'air de dire que la version française a primauté sur la version anglaise. Oui, cela nous avance beaucoup que, devant les tribunaux, deux fois par siècle, on nous dise: Effectivement, il va falloir avoir recours uniquement à la version française des textes. Dans la majorité des cas, l'article 2, je le dis, sur le plan technique — et je mets quiconque ici au défi de dire le contraire — ne change à peu près rien à la situation existante dans le domaine du droit commercial. Je pourrais faire une démonstration presque aussi convaincante pour le droit civil, même pour notre droit civil qui, lui, est censé être demeuré bien plus d'origine française.

M. le Président, l'idéal, répétons-le, malgré toutes les élucubrations que nous avons entendues de la part du ministre des Affaires culturelles, c'est de trancher la question une bonne fois pour toutes et de dire: II y aura une langue officielle, pas deux, une.

Le ministre des Affaires culturelles veut donner l'illusion que le français aura la prééminence et qu'il faudra s'y reporter constamment. Ce n'est pas vrai. Après la promulgation de ce bill 22, il y aura toujours des colonnes dans nos lois, une en anglais et une en français. Dans la grande majorité des cas, il faudra se reporter

aux deux textes en anglais et en français. C'est bien ça la réalité et l'article 2 ne change rien à ça sur le plan technique.

Cela dit, le ministre des Affaires culturelles prétend que nous parlons au lieu de passer à l'action. Je voudrais bien que vous compreniez que nous n'avons d'autre souci que de vous voir passer à l'action mais de manière à aider les Québécois. Pas de la façon que vous le faites, c'est-à-dire en consacrant le statu quo et le bilinguisme. Je n'appelle pas ça passer à l'action, j'appelle ça aller à l'encontre des intérêts vitaux des Québécois. S'il faut faire appel aux grands hommes du passé, je ne m'en ferai pas faute. S'il faut faire appel à Mercier, s'il faut faire appel à Groulx et aux nationalistes traditionnels, qui, à leur heure, ont été des prophètes qui criaient dans le désert, je n'aurai pas honte de m'y référer.

M. HARDY: ... futuriste.

M. MORIN: Ce n'est peut-être pas ce que le ministre a voulu dire, je l'espère. J'espère qu'il n'en a pas honte parce que ces gens à leur époque criaient tout seul et qu'aujourd'hui, on est bien obligé de leur donner raison. Le gouvernement ne leur donne-t-il pas raison en présentant ce qui devrait être un véritable effort en faveur du français? En posant ces gestes d'apparat, en prétendant qu'il proclame le français, seule langue officielle, alors qu'en réalité il sait très bien que l'anglais garde son statut de langue officielle, en soutenant qu'il prétend répondre aux aspirations des Québécois, est-ce que le gouvernement québécois lui-même ne fait pas un peu du nationalisme traditionnel sans pour autant régler les problèmes modernes auxquels nous nous affrontons, les Québécois? Merci, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre!

M. CLOUTIER: M. le Président...

LE PRESIDENT (M. Gratton): Est-ce que...

M. CLOUTIER: Vous me reconnaîtrez après, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Mont-Royal suivi du ministre de l'Education.

M. CIACCIA: M. le Président, la motion du chef de l'Opposition est clairement illégale et anticonstitutionnelle, et je vais vous en donner les raisons. En plus, non seulement cette motion est illégale et anticonstitutionnelle, mais l'article 2 lui-même, je le soumets, va contre l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. C'est une des raisons pour lesquelles je suis contre cet article du projet de loi. Avant de vous donner les raisons pour lesquelles je considère que la motion et l'article 2 sont illégaux, je voudrais faire seulement une petite remarque. On veut toujours donner l'impression que le statu quo demeure, que les Anglais, la communauté anglophone ne perdent pas de droit par le bill 22. M. le Président, c'est faux, c'est entièrement faux. Je ne sais pas si c'est plus difficile de dire non au parti ministériel, pour un député ministériel, que d'essayer de faire certains reproches aux journalistes. Mais je vais courir le risque et je soumets que la position, les arguments des anglophones n'ont pas été portés à l'attention, n'ont pas été donnés au public québécois.

Le chef de l'Opposition sait que sa motion va à l'encontre de l'article 133 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. C'est vrai qu'il y a des opinions qui disent que la province peut amender l'article 133.

Mais la prépondérance des opinions, incluant l'opinion du juge en chef de la cour Suprême, qui je crois, devrait être une opinion finale, dit que cela ne peut pas être changé unilatéralement. En donnant cette motion, en enlevant le statut légal à l'anglais, vous allez à l'encontre de l'Acte de la Confédération. Et si vous allez à l'encontre de cet acte, vous enlever des droits aux Anglais.

On cite beaucoup d'articles et le député de Maisonneuve citait une foule d'articles qui, prétendait-il, d'après lui, consacraient des droits aux Anglais. Mais c'est entièrement faux. Les articles qu'il vous a cités disent qu'un Anglais peut faire ceci et peut faire cela. Cela n'impose aucune obligation, même les articles disent que la seule authenticité des lois, c'est dans la langue officielle. Alors, pour un Anglais, ce n'est pas officiel sa langue, ce n'est pas authentique sa langue. Naturellement il a le droit de parler. C'est ce que le bill 22 dit. L'anglais peut continuer à parler l'anglais. Mais j'espère que vous ne voulez pas lui enlever ce droit. C'est plus que cela que vous faites. Vous lui enlever le statut légal et il y a une différence entre un statut officiel que l'article 1er proclame pour la province de Québec et un statut légal.

Le statut officiel qui est proclamé, c'est l'unilinguisme des institutions gouvernementales. C'est ni plus ni moins que cela. Avec l'article 2 et avec la motion du chef de l'Opposition, vous enlevez le statut légal de l'anglais. Comprenons ceci. Peut-on le comprendre? Après qu'on a entendu toutes les paroles, toute la démagogie, tout l'appel aux sentiments, au passé, à l'avenir, les faits juridiques de l'article 2 sont ceci: C'est vrai qu'il va y avoir deux colonnes, l'anglais et le français. Mais ce n'est pas le bill 22 qui dit qu'il va y avoir deux colonnes, l'anglais et le français. C'est l'Acte de la Confédération qui dit cela. Ce n'est pas le bill 22. Le bill 22 enlève la légalité à la colonne anglaise...

M. MORIN: Aie! Aie!

M. CIACCIA: Oui, il l'enlève, parce qu'une fois que vous dites que, s'il y a une différence d'interprétation, c'est le français qui prévaut. Savez-vous que c'est cela qui va arriver? Parce

que les Anglais disent: La bureaucratie, ceux qui font les lois, ce ne sont pas les anglophones. La bureaucratie est francophone. Elle va faire la même chose qu'elle a faite dans le bill 22. La version anglaise dit "should" et la version française dit "must". Et il y a une différence.

Après le bill 22, la version anglaise ne vaut rien. Alors, vous voulez dire que cette langue a un statut légal? Elle n'a plus le statut légal. C'est cela le bill 22.

M. MORIN: C'est cela.

M. CIACCIA: Le député de Pointe-Claire vient de le souligner, il démontre exactement le point que je viens de faire valoir, et l'article 2 ne sera pas un article qu'on va soulever tous les trente ans. C'est un article que vont appliquer journalièrement, de jour en jour, la bureaucratie, ceux qui font la législation et on ne pourra plus se fier à l'anglais, à la version du côté droit. Il faudra absolument qu'on lise le côté gauche.

Hier aussi, le député de Maisonneuve a dit: Vous ne parlez pas du chinois, vous ne parlez pas de l'hébreu. Soyons donc honnêtes! S'il y avait un million de Chinois au Québec, on parlerait le chinois au Québec. Mais il n'y en a pas un million. Si le million de Chinois au Québec avait l'histoire de la communauté anglophone, s'il avait l'Acte de la Confédération, on protégerait le chinois au Québec.

Si on ne le protège pas, ce n'est pas parce qu'on veut être contre les Chinois ou qu'on ne veut pas protéger les droits des minorités, c'est parce qu'il y a des statuts juridiques, qu'on doit se conformer à la loi et non pas à l'anarchie. C'est cela qu'on veut essayer de promouvoir ici. C'est que l'on veut essayer de jeter de la poudre aux yeux sur tout ce qu'on fait, sur tous les articles en disant qu'on consacre le bilinguisme. Il n'y a pas de bilinguisme dans le bill 22, c'est de l'unilinguisme.

On disait, hier encore, que le Parti québécois veut l'unilinguisme d'Etat en protégeant les droits individuels. Qu'est-ce que l'Etat? Est-ce que l'Etat n'est pas la collectivité des individus qui existent dans ce pays? L'Etat et les individus ne sont pas séparés. Si dans cet Etat il y a un million d'anglophones, cet Etat doit protéger les droits de cette minorité.

Le député de Sainte-Anne, ici, vient de me souligner qu'il y a un million d'anglophones au Québec, ce qui constitue plus que la totalité de la population de six provinces au Canada. Cela donne un peu l'exemple de ce qu'on essaie de faire ici.

J'ai fait le point hier que c'était impossible ou tout au moins difficile d'essayer d'avoir le débat sur un niveau rationnel dans le climat actuel. Depuis hier, rien n'a changé cette opinion que j'ai.

On a aussi dit que c'est un choix politique de ne pas modifier l'article 133. Je soumets, M. le Président, que l'article 133 a été modifié par l'article 2. J'ai cité la décision de Rex vs Dubois, une cause de la cour Suprême et cette décision a établi clairement l'égalité au niveau du statut juridique. Je ne parle pas au niveau de la langue officielle d'un gouvernement, mais de légalité dans l'interprétation des droits du français et de l'anglais.

Avec l'article 2 et spécialement avec la motion du chef de l'Opposition, vous allez à l'encontre de cette décision de la cour Suprême et vous allez à l'encontre de la décision de la cour Suprême de Bora Laskin, si vous voulez enlever l'article 133. Pourquoi? Une des raisons pour lesquelles je considère qu'il est absolument important d'éviter un appel aux tribunaux, ce n'est pas parce que je crois que ceux qui citent les arguments de la cour Suprême vont perdre, non ce n'est pas cela, c'est parce qu'on va continuer la confrontation. C'est cela que plusieurs cherchent à faire. Ils cherchent à prolonger le débat, la confrontation et la division. Je dis qu'il est possible de donner la protection qu'on veut donner à la langue française en lui accordant un statut officiel de langue officielle. D'ailleurs, c'est cela que dit l'article 1, sans — et je répète — enlever les droits qui existent, non pas les privilèges.

Au niveau humain, je pourrais vous donner un argument pourquoi, même si c'étaient des privilèges, on ne brime pas les privilèges d'une communauté qui a existé dans ce pays aussi longtemps qu'elle a existé, mais je ne parle pas de cela pour le moment, je parle des droits juridiques qui existent dans les statuts.

C'est notre devoir de légiférer suivant la loi. C'est notre devoir d'examiner l'effet juridique de notre législation. Si l'effet juridique va nous amener à une confrontation devant les tribunaux — et je suis certain que ceux qui veulent perturber le climat social, c'est cela qu'ils voudraient et c'est cela que je voudrais éviter — c'est notre devoir d'éviter cela et d'enlever du bill 22 les articles qui vont contre les lois de notre pays.

M. MORIN: Est-ce que le député me permettrait une ou deux questions. J'aime beaucoup l'intervention du député. Je trouve qu'elle est excellente et il a au moins cet avantage de parler vraiment des problèmes et de bien représenter les anglophones du Québec, mais j'aurais une ou deux questions à lui poser, s'il le permettait.

M. CIACCIA: Je n'ai pas objection.

M. MORIN: C'est pour clarifier seulement un ou deux points sur le plan constitutionnel. Vous avez dit que la motion que j'ai présentée va à l'encontre de l'article 133. C'est assez clair, je n'en disconviens pas. Est-ce que, d'après vous, l'article 2, tel qu'il est rédigé, est lui aussi inconstitutionnel, comme l'ont soutenu Frank Scott et le groupe des sept juristes de McGill? C'est ma première question.

M. CIACCIA: Oui, M. le député de Sauvé.

M. MORIN: Vous êtes d'accord.

M. CIACCIA: D'après moi, l'article 2 tel qu'il est rédigé présentement n'est pas constitutionnel et enlève des droits à la communauté et même aux individus anglais, si on préfère parler de droits individuels. Cela enlève des droits à l'individu anglais parce qu'il ne peut plus se fier sur la colonne de droite de la loi. Il est obligé, pour se protéger lui-même, il va falloir qu'il lise seulement la colonne de gauche. Je l'ai souligné parce que...

M. MORIN: Je pense que vous exagérez un peu, parce que...

M. CIACCIA: Prenez le préambule du projet de loi 22 et vous allez voir qu'il y a des différences entre les deux.

M. MORIN: Nous sommes d'accord. Quand on lit, dans la version française, "doit" et, dans la version anglaise, "should", il est évident qu'on raconte deux choses différentes aux deux peuples différents, mais je vous laisse continuer.

M. CIACCIA: Bon. La bureaucratie. Les Anglais, la communauté anglophone croient qu'ils ne sont pas protégés si on laisse la loi, si on laisse certaines opérations à la bureaucratie. Ils le prétendent, je crois, avec droit, parce que c'est quelque chose qui a été modifié à Ottawa, parce que la bureaucratie à Ottawa ne représentait pas la communauté canadienne. A un moment donné, il y avait plus d'anglophones, proportionnellement, que de francophones, alors le gouvernement d'Ottawa a tenté et a réussi à changer cette proportion. Au Québec, les employés de la bureaucratie ne reflètent pas la communauté anglophone. C'est une crainte qu'ils ont, pas pour la protection de leur langue, parce que cela se fait en parlant, mais pour la protection de leurs droits.

Ils répètent, et je voudrais que la population du Québec ait ce message, les Anglais disent que le programme électoral linguistique du Parti québécois est contenu dans le projet de loi 22. Ce programme leur enlevait certains droits linguistiques et aussi des droits éducationnels et ils prétendent, avec raison, qu'ils n'ont pas accepté ce programme électoral. Ils veulent que leurs droits soient gardés tout en reconnaissant la primauté, la priorité, la protection et la prééminence de la langue française au Québec.

M. le Président, je sais que j'ai vingt minutes. Je préférerais garder le reste de mon temps pour faire une autre intervention si je le juge nécessaire.

LE PRESIDENT (M. Gratton): L'honorable ministre de l'Education.

M. CLOUTIER: M, le Président, je désire intervenir sur l'amendement et je vais essayer de m'en tenir à la pertinence du débat, ce qui n'a pas toujours été le cas si j'en crois ce que j'ai entendu jusqu'ici.

En fait, cet amendement revient à relancer le débat sur l'article 133, débat qui a commencé mardi lorsqu'on a entrepris les travaux de cette commission et qui n'a fait que se prolonger depuis sous des formes différentes. Chacun des amendements qu'a apportés le Parti québécois à l'article 1 revenait, au fond, au même et je crois qu'on est en présence, M. le Président, même si vous avez statué sur la recevabilité, exactement du même fond.

Remarquez, M. le Président, que ceci ne m'étonne en rien parce que je crois que le Parti québécois démontre une logique certaine en rapport avec l'option qu'il a faite, qui est une option d'indépendance du Québec.

Le Parti québécois peut difficilement admettre qu'il puisse y avoir une solution linguistique qui s'inscrive dans un autre cadre.

Or, le gouvernement qui, lui, est fédéraliste, considère que le problème linguistique au Québec peut parfaitement recevoir une solution dans le cadre actuel. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il a délibérément maintenu l'article 133, suivant en cela une des recommandations de la commission Gendron. Le député de Saint-Jacques s'est permis tout à l'heure une attaque que j'ai qualifiée de vicieuse contre le président de cette commission. Je crois que les Québécois savent très bien à quoi s'en tenir sur les jugements à l'emporte-pièce posés par le député de Saint-Jacques.

Ce n'est pas parce qu'il y a des Québécois qui ne sont pas de l'avis du Parti québécois — on en a d'ailleurs eu une bonne démonstration lors de la dernière élection — que ces Québécois ne sont pas des patriotes, que ces Québécois ne sont pas des nationalistes ou que ces Québécois n'ont pas droit à leurs idées.

Je tiens à rendre un hommage particulier au président de la commission Gendron qui, au cours de quatre ans, à conduit une commission extrêmement importante et a permis de former le projet de loi actuel. Un gouvernement ne peut se permettre d'improviser lorsqu'il élabore une politique linguistique. Aussi nous sommes-nous basés sur les études de cette commission.

Une des recommandations de cette commission était précisément de maintenir l'article 133. Or, M. le Président, je vais relire encore une fois cet article, parce que je crois qu'il faut bien en mesurer la portée. Le Parti québécois cherche à faire croire aux Québécois qu'il est impossible d'intervenir en matière linguistique si on maintient cet article. Or, je prétends qu'à cause de sa portée limitée, le maintien de l'article 133 ne change absolument rien à l'économie et à l'esprit du projet de loi 22.

L'article 133 de la constitution se lit de la façon suivante: "Dans les Chambres du Parlement du Canada et de la Législature du Québec, chacun pourra, dans les débats, faire usage de la langue anglaise ou de la langue française, mais les registres et les procès-verbaux des Chambres

susdites devront être tenus dans ces deux langues. Dans tout procès porté devant un tribunal du Canada établi en vertu de la présente loi ou devant un tribunal du Québec, chacun pourra faire usage de l'une ou de l'autre de ces langues dans les procédures et les plaidoyers qui seront faits ou dans les actes de procédure qui en émaneront. Les lois du Parlement du Canada et de la Législature du Québec devront être imprimées et publiées dans l'une et l'autre de ces langues".

On constate par conséquent que les droits conférés par l'article 133 sont conférés à la fois aux francophones et aux anglophones, et, en fait, l'article 133 est venu pour protéger les francophones dans l'ensemble du pays, parce qu'il imposait au gouvernement central l'usage des deux langues. Je crois que c'est un point de vue qu'on ne peut pas renier.

M. le Président, les communications au Parlement, comme les communications devant les cours de justice, ressortissent des droits individuels. De plus, M. le Président, il y a ici au Québec, qu'on le veuille ou non — je l'ai répété à maintes reprises — une minorité de parlant anglais d'un million. J'ai eu parfois, à l'instar du député de Mont-Royal, l'impression qu'il y avait quelque chose d'irréel dans toute cette discussion à la table, parce que cette discussion se faisait pour une espèce de société théorique, alors qu'on mettait carrément de côté l'existence d'une minorité qui constitue des citoyens du Québec au même titre que les autres.

Or, M. le Président, n'est-il pas naturel que ces citoyens puissent comprendre et lire les lois qui les régissent? Ce n'est pas autre chose que l'article 133, et qu'on ne vienne pas dire sérieusement que le maintien de l'article 133 change véritablement l'esprit d'une loi linguistique ou en rend l'élaboration impossible.

M. le Président, aurions-nous supprimé l'article 133, que serait-il arrivé? D'une part, nous aurions été obligés de réintroduire dans le projet de loi 22 les droits que les francophones désirent conserver pour eux-mêmes, et, d'autre part, nous aurions également été obligés de réintroduire dans le projet de loi 22 les droits que nous reconnaissons à la minorité anglophone. Et ce faisant, nous aurions pris un risque constitutionnel considérable.

Je suis tout à fait prêt, pour ma part, à admettre qu'en vertu de l'article 92, nous pouvons et que toute autre province peut modifier l'article 1 33, toute autre province pourrait modifier sa constitution, mais, M. le Président, même si certains experts le pensent, et le professeur McWhinney est de ceux-là, rien n'empêche qu'il y a des doutes sérieux et qu'une majorité d'experts ne le croient pas. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la commission Gendron a décidé de faire la recommandation suivante, à savoir qu'en faisant du français la langue officielle, il fallait maintenir l'article 133.

Motion d'ajournement

M. CLOUTIER: Nous nous trouverions donc devant un exercice purement théorique. Je termine ici mes remarques, du moins pour l'instant, et j'ai une motion à faire. Je propose qu'à la suspension des travaux cet après-midi, la commission les ajourne jusqu'à demain.

M. MORIN: Je ne sais si c'est le moment de protester, mais, pour des gens qui...

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre!

M. MORIN: ... veulent nous imposer la guillotine, couper court au débat de la...

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre!

M. MORIN: ... sorte, c'est vraiment la fin de tout.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre! En vertu de l'article 157, en commission élue, un député peut proposer que la commission ajourne ses travaux...

M. BURNS: M. le Président, il y a une motion d'ajournement. Entendons-nous bien.

M. CLOUTIER: C'est l'article 77.

M. BURNS: Ah!

M. CLOUTIER: Non, c'est l'article 157.

M. BURNS: L'article 77! Adopté.

M. CLOUTIER: Non, l'article 157.

M. BURNS: Adopté en vertu de l'article 77.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre!

M. BURNS: On est bien d'accord. Adopté. On s'en va. D'accord?

M. HARDY: M. le Président, sur la question de règlement, la motion est bien claire. Elle dit que lorsqu'il y aura suspension des travaux à six heures — c'est seulement à la suspension des travaux que la motion prend effet — on ajourne les travaux au lendemain.

M. CLOUTIER: Et j'aimerais expliquer...

M. BURNS: C'est absolument irrégulier comme motion.

M. CLOUTIER: Je ne vois pas en quoi... LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre! M. BURNS: Vous l'avez faite...

UNE VOIX: Vous l'avez acceptée.

M. BURNS: Ah non! On l'a acceptée pour six heures.

M. HARDY: Ah non!

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre!

M. HARDY: Samedi, le ministre de l'Education a fait motion...

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre!

M. MORIN: Aujourd'hui, ce n'est pas samedi, c'est mercredi.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre, s'il vous plaît!

M. HARDY: Sur la question de règlement. Le règlement ne change pas d'une journée à l'autre.

LE PRESIDENT: (M. Gratton): A l'ordre! Avant de passer aux questions de règlement...

M. HARDY: Avez-vous un règlement spécial pour le samedi, vous?

LE PRESIDENT (M. Gratton): ... il y a une motion faite par le ministre de l'Education en vertu de l'article 157, pour ajourner les travaux de la commission à demain. On sait que, selon les dispositions de l'article 157, paragraphe 2, ces motions sont mises aux voix sans amendement et elles ne peuvent être faites qu'une fois au cours d'une séance, sauf par un ministre. ' Elles ne peuvent être débattues sauf qu'un représentant de chaque parti reconnu peut prononcer un discours de dix minutes à leur sujet. Quel député veut prendre la parole?

M. CLOUTIER: J'aimerais expliquer pourquoi j'ai présenté cette motion. C'est pour une raison extrêmement simple que j'ai déjà évoquée d'ailleurs...

M. LESSARD: La guillotine.

M. CLOUTIER: ... à quelques reprises. C'est qu'il y a le conseil des ministres le mercredi. Par dérogation, nous avons siégé...

M. LESSARD: ... mercredi dernier...

M. CLOUTIER: Bien sûr. Si je peux me permettre de terminer mes explications. Voulez-vous demander...

M. LESSARD: Non. Je voudrais que vous nous expliquiez la guillotine.

M. BEDARD (Chicoutimi): C'est une mesure préguillotine.

M. CLOUTIER: Quoi qu'il en soit, j'avais commencé à expliquer que, le mercredi, il y a le conseil des ministres. Depuis les travaux de cette commission, mes collègues et moi-même n'avons pu y assister puisque, par la suspension des- règles de pratique, nous avons pu siéger le mercredi soir. Il se trouve que, ce soir, il y a un conseil particulièrement important et il ne m'appartient pas de dire sur quel sujet il porte — le premier ministre pourra le faire s'il le souhaite — et que notre présence est absolument requise. Or, le parrain d'un projet de loi peut parfaitement diriger les travaux de la commission comme il l'entend et c'est exactement ce que je fais.

Traditionnellement, le parrain d'un projet de loi peut parfaitement proposer que l'ordre des travaux se fasse d'une certaine façon plutôt que d'une autre façon.

M. BURNS: M. le Président, sur la question de règlement, je ne réponds pas au nom du parti. C'est le député de Saint-Jacques qui parlera au nom du parti sur la motion, sur la question de règlement.

Je considère que la motion est en vertu de 157 et le ministre, après avoir dit que c'était en vertu de 77 qu'il faisait sa motion, s'est rajusté et nous a dit...

M. HARDY: Voyons, voyons, voyons! Vous dépassez la forme.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre! M. BURNS: La forme, M. le Président... M. HARDY: Attachez-vous à l'intention.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre! Allez-y!

M. BURNS: Comme le dit le ministre des Affaires culturelles, la forme a pris une certaine importance à cette commission depuis un certain temps. Vous le savez, M. le Président, vous avez été obligé à plusieurs reprises de délibérer sur la recevabilité des motions. Je vous demande donc de délibérer entre autres sur cette motion. L'article 157 permet à qui que ce soit, quelque député que ce soit, de proposer que la commission ajourne ses travaux. Je pense que les opinions que nous avons reçues et du président de l'Assemblée nationale et des présidents de commission, sont des opinions montrant que la motion d'ajournement doit se faire purement et simplement sans aucun considérant.

Ce à quoi le ministre des Affaires culturelles nous référait, samedi dernier, a été quand même très différent. C'était dès le début. Ce n'était pas une motion d'ajournement. C'était un ordre de la commission auquel toute la commission s'est ralliée. La commission a dit: Pour aujourd'hui, nos travaux sont de telle heure à telle

heure. C'est ce à quoi équivalait la motion qui était faite par le ministre de l'Education, samedi matin, lorsqu'il nous a dit: La commission devra ajourner ses travaux à 1 heure pour ne reprendre ses travaux que lundi à 3 heures. Ce qui est bien différent, M. le Président. C'est peut-être un peu trop subtil pour le ministre des Affaires culturelles, mais c'est quand même quelque chose de bien différent...

M. HARDY: Vous devenez prétentieux.

M. BURNS: Non. Je ne suis pas prétentieux, je suis réaliste. Je vous écoute et je me rends compte de la faiblesse de vos arguments. Qu'est-ce que vous voulez? Quand j'entends le ministre de l'Education, chose qu'il n'a pas faite samedi, M. le Président, dire qu'en vertu d'abord de 77 et ensuite de 157, j'admets qu'il se soit trompé et il n'y a pas de problème, je ne lui en fais pas grief, mais c'est évident que se référant aux deux articles 77 qui est l'ajournement des débats et 157 qui est l'ajournement de la commission, il n'a pas à qualifier sa motion. Il fait une proposition d'ajournement et, une fois que le représentant de l'Opposition aura pu s'exprimer pendant dix minutes, une fois que quelqu'un du côté ministériel, au nom du gouvernement, aura pu s'exprimer pendant dix minutes, la motion devra être mise aux voix. C'est ce que je vous soumets. Qu'on ne nous dise pas à 5 heures... — parce que quand la motion a été faite il était 5 h 26 ou 5 h 27 — qu'à six heures on ajournera. Si on veut que ce soit à 6 heures, on fera la motion à 6 heures.

M. HARDY: M. le Président, très brièvement sur la question de règlement.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Oui.

M. HARDY: M. le Président, la motion qui est devant nous présentement est exactement la même que celle qui été présentée samedi. C'est une motion dans le cours...

M. BURNS: Vous n'avez aucune capacité de distinguer entre deux types de problèmes différents.

M. HARDY: Je comprends que mercredi et samedi, ce n'est pas la même journée, mais cela ne change rien au point de vue du règlement.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre!

M. HARDY: M. le Président, samedi, la motion disait: Lorsque la commission...

M. BURNS: Est-ce que le ministre me permet une question?

M. HARDY: Non, je ne permets pas de question. Lorsque la commission suspendra ses travaux...

M. BURNS: Vous ne savez pas dans quoi vous vous embarquez là.

M. HARDY: ... à 1 heure...

M. BURNS: M. le Président, donnez-lui raison et je vais lui montrer dans quoi il s'embarque. D'accord?

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre! Laissez-le finir.

M. BURNS: Embarquez-vous.

M. HARDY: M. le Président, samedi, la motion disait: Lorsque la commission suspendra ses travaux à 1 heure, elle ajournera à lundi. C'est exactement la même nature de motion.

M. BURNS: Je demande au ministre simplement ceci, M. le Président, si vous me permettez. Est-ce que, d'après vous, la motion du ministre de l'Education est de la même nature que la motion qui a été faite samedi? Exactement?

M. HARDY: Oui.

M. BURNS: M. le Président, je vous demande de donner un accord sur ce que vient de dire le ministre. Vous allez voir les conséquences que ça comporte. Je ne fais pas de menaces...

LE PRESIDENT (M. Gratton): Je suis fort aise de le faire...

M. BURNS: ...vous allez voir, on va s'amuser follement après. Oui, oui, je vous le dis.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Je suis fort aise de le faire parce que...

M. HARDY: Cela ferait votre affaire, c'est ce que vous faites depuis le début !

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre, à l'ordre!

M. BURNS: Non, non, non!

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre, s'il vous plaît! Je suis fort aise...

M. BURNS: Elle est débattable cette motion, elle n'est pas faite en vertu de l'article 157.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre, s'il vous plaît! Je pense qu'il est clair, en tout cas dans mon esprit, que la motion du ministre de l'Education... Si elle devait être faite en vertu d'un autre article que l'article 157, je me devrais d'appliquer les règles qui régissent l'article qu'il me citera. Je tiens pour acquis que sa motion est faite en vertu de l'article 157 et je

ne fais pas de référence à la motion de samedi parce que je n'y étais pas et je n'invite personne à m'expliquer ce qui est arrivé samedi. Je dis tout simplement au ministre que, si sa motion est faite en vertu de l'article 157, en vue d'ajourner les travaux de la commission, un point, c'est tout, je l'accepte et je la mets immédiatement en délibération.

Le député de Saint-Jacques parlera au nom de l'Opposition officielle.

M. CHARRON: M. le Président, je ne peux pas vous dire que je ne m'y attendais pas. Je vous ai dit hier de ce gouvernement qu'il était hypocrite, je vous ai dit hier de ce gouvernement qu'il était traître, j'ai maintenant l'occasion de vous dire que c'est une bande de peureux. C'est simplement parce qu'ils ont la conviction, ils ont maintenant la certitude que, malgré tous leurs calculs, pour éviter que le débat de ce projet de loi se fasse à l'abri de l'opinion publique pendant que la population est en vacances, il y aura quand même ce soir, devant ce parlement, des Québécois qui viendront de tous les coins du Québec pour protester contre la loi 22. Exactement comme le gouvernement de l'Union Nationale, au moment du débat sur la loi 63, avait ajourné les travaux de la Chambre dans des heures irrégulières pour ne pas faire face à la population, voilà que ce gouvernement veut se camoufler encore, une fois de plus. C'est une bande de peureux qui ont peur de faire face à une poignée de Québécois qui auront eu le courage, en plein coeur d'été, de venir ici au parlement.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre, à l'ordre!

M. CHARRON: Chaque fois que j'ai proposé des motions d'ajournement, vers la fin de la soirée, à 11 h 15 ou à 11 h 30, où, manifestement, on n'était plus en état de continuer à travailler, ils ont battu ces motions d'ajournement systématiquement pour pouvoir nous imposer de continuer jusqu'à minuit parce que, nous disait le ronflant ministre de l'Education, on ne peut pas perdre une minute de délibération.

Et voilà que ce soir, M. le Président, parce qu'il y a des Québécois qui viendront devant ce Parlement qui leur appartient, à eux — ce n'est pas la propriété du Parti libéral ici, c'est la maison des Québécois et ils ont le droit de venir devant la maison des Québécois pour dire que c'est leur gouvernement et leur indiquer leur volonté — on va se camoufler dans un conseil des ministres où, tout à coup, se sent indispensable, lui seul se sent indispensable, le ministre de l'Education, pour aller déblatérer de je ne sais quoi ou pour sauver la peau de je ne sais plus quel député.

Voilà donc, M. le Président, que ce gouvernement se défile tout à coup, dans une seule occasion, parce qu'il y aura ce soir quelques Québécois qui viendront leur dire leur façon de penser. Vous êtes des peureux, vous êtes des lâches et c'est exactement ce qu'ils auront l'occasion de vous dire ce soir.

Plus que cela, M. le Président, qu'est-ce qu'ils font actuellement? Avec cette motion que vient de nous présenter le ministre de l'Education; ils contribuent eux-mêmes à ralentir les travaux de la commission et, demain, ils viendront...

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre!

M. CHARRON: ... utiliser la guillotine. C'est un secret de polichinelle, elle est annoncée pour demain matin. Chacun des députés qui a exigé ses vacances pour la fin de semaine la trouvera au feuilleton. Chacune des petites victoires des petits "back-benchers" libéraux se trouvera au feuilleton demain matin. Et on y dira quoi, M. le Président? On dira que les députés de l'Opposition ont ralenti les travaux de la commission. Qui ralentit les travaux de la commission? Le peureux ministre de l'Education qui a peur, ce soir, que des manifestants à la porte lui disent ce qu'ils pensent de lui, ce qu'ils pensent de ce gouvernement.

Qui a présenté cette motion? Le premier ministre, M. le Président. Il a peur d'une poignée de Québécois et il en a pourtant 102 autour de lui. Il se gonfle, il se gargarise d'avoir la majorité la plus solide de l'histoire du Québec. Aussitôt qu'il y a des Québécois qui viennent s'exprimer devant leur maison, leur Parlement, leur Assemblée nationale, quelle est la réaction? On se camoufle dans le "bunker" protégé, où il est à peu près impossible de regarder même ce qu'on est en train de tramer. C'est dans ce même "bunker" où on a fignolé le bill 22 que, ce soir, on fignolera la façon d'imposer à une petite opposition, par la force, par une motion de clôture, l'adoption de ce bill au cours des prochains jours parce que MM. les députés libéraux peureux, qui ont peur de faire face à une poignée de manifestants devant le Parlement, ont aussi besoin de vacances, épuisés qu'ils sont d'avoir été 40, 50 ou 60 par semaine à suivre les travaux de la commission.

Voilà donc le portrait réel de ce que vous faites. N'invoquez pas un conseil des ministres. La formule est bien trop simple et ne duperait même pas un jeune libéral.

M. le Président, j'ai la conviction ferme que ce qu'on est en train de faire là est non seulement l'acte de lâcheté suprême du gouvernement le plus majoritaire qu'on ait jamais eu, mais en plus de ça, on se prépare soi-même à invoquer demain la guillotine à l'Assemblée nationale pour bousculer et faire avaler non seulement à l'Opposition mais aux Québécois une loi qu'eux-mêmes sont venues dénoncer, groupés comme nous les avions invités, démocratiquement comme nous les avions nous-mêmes invités à cette table même de la commission et qu'ils viendront encore dénoncer ce soir devant le parlement.

Vous aurez ce soir, M. le Président, devant ce

parlement qui ne vous appartient pas, ni à vous, ni à moi, ni au premier ministre, ni à aucun parti politique, mais qui appartient aux Québécois, malgré le 24 juillet, malgré cette volonté claire, nette et précise d'adopter un projet de loi qui...

M. BOURASSA: Combien de monde?

M. CHARRON: ... disparaisse de l'opinion publique, de faire ingurgiter aux Québécois un projet de loi pendant que l'opinion publique est en vacances... Vous aurez quand même des Québécois, représentants de ceux qui, si ce projet de loi avait été discuté dans des conditions normales, seraient infiniment plus nombreux pour vous dire que votre grosse majorité, pour vous dire que ce gouvernement peureux, lâche, où se sauveront ce soir les 102 "backbenchers" qui accompagneront le premier ministre dans le "bunker", au moment où vous fuirez l'opinion publique qui viendra vous contester, même si, vous, vous avez tout calculé pour qu'ils ne viennent pas, ils viendront vous dire ce qu'ils pensent de vous et vous rappeler encore une fois qu'ils ne vous ont pas élus pour les trahir, ils ne vous ont pas élus pour leur imposer une loi que la majorité des Québécois a refusée.

Voilà la motion d'ajournement du ministre de l'Education, ce n'est pas autre chose que cela. Vous vous servirez du ralentissement des travaux de la commission, présenté par votre faux parrain du bill 22. Vous l'utiliserez demain matin, quand en avis, au feuilleton, vous nous annoncerez la guillotine. Vous le ferez intervenir votre Tartufe de l'Education au moment ou on discutera de la motion de clôture. Vous ferez raconter ce qui s'est passé à la commission et on racontera, nous aussi, qu'au moment où. nous étions à débattre un article important sur un amendement important, parce qu'il a eu peur, parce qu'il est lâche, parce qu'il est faible, parce qu'il a eu la plus petite peur possible à rencontrer l'opinion publique québécoise, il a soudainement proposé discrètement, à sa façon coutumière et habituelle, en susurrant ses mots, de nous dire qu'à 17 h 40, la commission avait terminé ses travaux pour aujourd'hui.

Voilà donc, M. le Président, l'explication qu'il faut donner à cette motion d'ajournement. Qu'est-ce que cela veut dire? Cela veut dire que la commission a fini ses travaux.

Le projet de loi 22 est étudié et le gouvernement a l'intention de nous l'imposer, par sa force, par son nombre. Le seul endroit où le gouvernement est courageux, c'est quand ils sont 102 dans la salle de l'autre côté. Aussitôt qu'ils sortent de là, c'est la pire poignée de lâches, de mous qu'on a jamais eus pour gouverner le Québec, la pire "gang" qu'on a jamais pu imaginer et c'est pourtant la plus grosse, M. le Président. Le seul endroit où ils ont un peu de courage, c'est quand ils sont dans leur forteresse unique, sans des spectateurs qui viennent les déranger, à ridiculiser, à humilier six députés qui représentent 45 p.c. de la population. C'est le seul endroit où ils ont du courage. Aussitôt qu'ils en sont sortis, dès qu'il y a des gens dans les galeries, ils s'énervent et ils -indiquent immédiatement qu'il faut fuir. C'est un gouvernement de lâches et la preuve en est donnée par la motion du lâche de l'Education.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre! L'honorable premier ministre, au nom des ministériels.

M. BOURASSA: Je crois que le député de Saint-Jacques a la mémoire courte. Il ne se souvient pas que, dans une autre de ses performances, il a dit, vendredi soir, qu'il ferait de l'obstruction systématique à l'adoption du projet de loi.

M. MORIN: II n'a pas dit cela.

M. BOURASSA: Je l'ai ici, devant moi, le député a dit qu'il faudrait multiplier les amendements, multiplier la procédure pour bloquer cette loi. Je pense que c'est là un aveu formel que le gouvernement doit prendre ses responsabilités. Cela fait plusieurs semaines que le conseil des ministres n'a pas siégé dans une séance régulière. Nous avons d'autres problèmes. Je me souviens que le député de Saint-Jacques a sursauté quand j'ai mentionné le problème de la construction. Il y a quand même 100,000 travailleurs de la construction qui, la semaine prochaine, risquent d'être sérieusement affectés dans leur travail et dans leur gagne-pain si le gouvernement n'examine pas ce problème le plus rapidement possible. Il y a d'autres problèmes. Je n'ai pas à énumérer l'ordre du jour du conseil des ministres, mais je crois que, depuis plusieurs semaines, le conseil des ministres n'ayant pas pu siéger d'une façon complète et normale, il est important de pouvoir le faire ce soir, d'autant plus que l'Opposition, en multipliant les amendements, a respecté l'avertissement qu'avait fait le député de Saint-Jacques de multiplier la procédure par tous les moyens possibles. L'Opposition n'a pas démontré qu'elle était sérieusement prête à étudier le projet de loi comme l'avait dit le chef de l'Opposition il y a plus de dix jours. On a un seul article qui est adopté, M. le Président. Devant cette situation, ce n'est pas parce qu'il y aura des manifestants, nous en avons eu à plusieurs reprises depuis cinq ans, il y a eu une manifestation de 3,000 anglophones au collège Loyola il y a quelques semaines et cela n'a pas empêché le gouvernement de procéder. Je pense que c'est tromper la population que de dire que ce sont quelques centaines ou quelques milliers de manifestants qui pourraient faire changer d'idée au gouvernement.

Je pense que si l'Opposition est honnête, si le chef de l'Opposition est honnête, ils doivent constater qu'il y a des problèmes très sérieux

actuellement, autres que celui de la loi 22. D'accord ! C'est un problème sérieux.

M. MORIN: Reportez-le à l'automne, comme on vous l'a demandé.

M. BOURASSA: M. le Président, le gouvernement a décidé de faire adopter la loi. Il l'a fait notamment en partie parce que l'Opposition elle-même, depuis des années, demande au gouvernement d'abroger la loi 63. Depuis des années, à tout moment... Arrêtez donc de faire les enfants !

M. LEGER: L'exemple des journalistes du Droit, du Soleil...

M. BOURASSA: Bien, d'accord!

M. LEGER: ... de la Presse, qui disent le contraire de ce que le premier ministre dit.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre! A l'ordre!

M. LEGER: C'est exactement le contraire de ce que vous dites.

M. BOURASSA: En agissant comme vous le faites, vous discréditez les paroles du député de Saint-Jacques. Vous vous amusez à la face de l'opinion publique. Nous, on n'a pas le temps de continuer à s'amuser. On veut travailler pour le bien des Québécois. C'est ce qu'on va faire ce soir.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le vote sur la motion d'ajournement de l'honorable ministre de l'Education.

M. Desjardins? M. Desjardins, le vote sur la motion d'ajournement du ministre de l'Education?

M. DESJARDINS: Oui, oui. J'ai dit: En faveur. Je m'excuse.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Ah! Je m'excuse. Je n'ai pas compris.

M. DESJARDINS: Ah bon!

LE PRESIDENT (M. Gratton): M. Charron?

M. CHARRON: Contre.

LE PRESIDENT (M. Gratton): M. Déom?

M. DEOM: En faveur.

LE PRESIDENT (M. Gratton): M. Cloutier?

M. CLOUTIER: En faveur.

LE PRESIDENT (M. Gratton): M. Hardy?

M. HARDY: En faveur.

LE PRESIDENT (M. Gratton): M. Lapointe?

M. LAPOINTE : En faveur.

LE PRESIDENT (M. Gratton): M. Lachance?

M. LACHANCE: En faveur.

LE PRESIDENT (M. Gratton): M. Morin?

M. MORIN: Contre.

LE PRESIDENT (M. Gratton): M. Tardif?

M. TARDIF: Pour.

LE PRESIDENT (M. Gratton): M. Berthiaume?

M. BERTHIAUME: En faveur.

LE PRESIDENT (M. Gratton): M. Saint-Germain?

M. SAINT-GERMAIN: En faveur.

LE PRESIDENT (M. Gratton): M. Samson? M. Veilleux?

M. VEILLEUX: En faveur.

M. MORIN: Vous allez pouvoir partir en vacances, messieurs.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Pour: 10

Contre: 2

La commission ajourne donc ses travaux jusqu'à nouvel ordre de l'Assemblée.

(Fin de la séance à 17 h 45)

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