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Version finale

35e législature, 2e session
(25 mars 1996 au 21 octobre 1998)

Le mardi 4 février 1997 - Vol. 35 N° 39

Consultation générale sur le projet de loi n° 79 - Loi instituant la Commission des lésions professionnelles et modifiant diverses dispositions législatives


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Table des matières

Auditions


Autres intervenants
M. François Beaulne, président
M. Matthias Rioux
M. Claude Boucher
M. Jean-Claude Gobé
M. Régent L. Beaudet
M. Michel Côté
M. Yvon Charbonneau
*M. Robert Caron, SPGQ
*Mme Isabelle Albernhe, idem
*M. Alain Tremblay, idem
* M. André Choquette, Association des conciliateurs et conciliatrices
de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles
*Mme Line Corriveau, idem
* M. Gilles Robichaud, Association des commissaires en matière
de lésions professionnelles du Québec
*Mme Anne Leydet, idem
*M. Jean-Marc Dubois, idem
*M. Pierre Shedleur, Commission de la santé et de la sécurité du travail
*M. Jacques Meunier, bureau du Protecteur du citoyen
*Mme Ann Gingras, CCQCA
*M. Georges-Étienne Tremblay, idem
*M. Mario Précourt, idem
*M. Christian Cyr, idem
*M. Claude Gingras, CSD
*Mme Lysanne Dagenais, idem
*M. Marc-André Gagnon, CEQ
*M. Jean-Marcel Lapierre, idem
*M. Marc Chantigny, idem
*Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats


(Dix heures douze minutes)

Le Président (M. Beaulne): À l'ordre, s'il vous plaît! Donc, chers collègues, je déclare la séance de notre commission de l'économie et du travail ouverte et je vous rappelle que le mandat de la commission aujourd'hui est de procéder à une consultation générale dans le contexte du projet de loi n° 79, Loi instituant la Commission des lésions professionnelles et modifiant diverses dispositions législatives.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Charbonneau (Bourassa) remplace M. Cherry (Saint-Laurent).

Le Président (M. Beaulne): Merci. Alors, pour les fins d'organisation de nos travaux, nous avons reçu une demande de devancement de la présentation du mémoire de la Centrale de l'enseignement du Québec, à 18 heures plutôt qu'à 20 heures. Alors, est-ce qu'il y a le consentement des membres de la commission pour faire ce changement à notre horaire? Alors, je vous remercie. Ce qui signifie qu'on ajournerait nos travaux à 19 heures.

Alors, sur ce, j'inviterais les représentants du Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec à nous présenter leur mémoire, en vous rappelant que nous avons en tout une heure pour les échanges avec vous, 20 minutes de présentation de votre part, ou moins si vous le voulez, et, par la suite, les deux formations politiques pourront échanger avec vous. Alors, allez-y.


Auditions


Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ)

M. Caron (Robert): Bonjour, M. le Président, Mmes et MM. les députés. Je vais d'abord vous présenter l'équipe qui est avec moi: à ma droite, Alain Tremblay qui est président de bureau de révision paritaire à Chicoutimi; à ma gauche immédiate, Isabelle Albernhe qui est première vice-présidente du SPGQ et qui est présidente aussi de bureau de révision paritaire; à sa gauche, Mme Lucie Nadeau qui est juriste à la CALP; et, à la gauche de Mme Nadeau, Mme Johanne Dumas qui est conciliatrice au bureau de révision paritaire.

Alors, le Syndicat des professionnels est heureux de l'invitation de la commission permanente de l'économie et du travail lui permettant de faire connaître son point de vue sur le projet de loi n° 79. Nous avons d'ailleurs eu l'occasion de participer à de précédentes commissions parlementaires et de formuler des commentaires dans le cadre des débats entourant la réforme de la justice administrative, compte tenu que celle-ci visait initialement la déjudiciarisation du régime de santé et de sécurité du travail. Comme le SPGQ l'avait fait à ces occasions, il entend de nouveau contribuer au présent débat dans une perspective d'amélioration du service à la population. Vous connaissez le SPGQ qui représente, d'ailleurs, 13 000 membres dans la fonction publique et dans des sociétés d'État, dont près d'une centaine oeuvrent dans les bureaux de révision paritaire et à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles visés par la réforme proposée.

Depuis quelques années, à la lumière de l'expérience vécue par les parties patronales et syndicales, ces dernières ont demandé au législateur de revoir les mécanismes de révision et d'appel créés en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et la Loi sur la santé et sécurité du travail. Le SPGQ constate avec satisfaction que la réforme proposée, qui repose sur trois axes que vous connaissez, retient plusieurs demandes maintes fois exprimées par les principaux intervenants en santé et sécurité du travail, tels un tribunal paritaire sous l'autorité du ministre du Travail, des mécanismes de conciliation, le droit à la représentation par la personne de son choix, la possibilité de tenir une conférence préparatoire avant une audition et le droit à une révision administrative.

Toutefois, certaines dispositions apparaissent insatisfaisantes à maints égards, voire même inacceptables. Donc, voici nos commentaires. Sur le Bureau d'évaluation médicale. Le projet de loi modifie d'une façon importante le processus d'évaluation médicale en ce qui regarde particulièrement les modalités de désignation du professionnel de la santé qui, à la demande de la Commission de la santé et de la sécurité du travail ou de celle de l'employeur, aura à examiner un travailleur lorsque l'un ou l'autre des sujets liant la Commission sera litigieux.

Si l'objectif du législateur est de déjudiciariser le système québécois de santé et de sécurité du travail, nous croyons que la modification apportée à la procédure d'évaluation médicale ne permet pas d'atteindre cet objectif. En effet, cette nouvelle façon de faire multiplie les recours et entraîne inévitablement des délais dans le traitement du dossier tout en créant chez le médecin ayant charge du travailleur une pression pouvant mettre en péril la relation qu'il entretient avec son patient. Pensons simplement au médecin omnipraticien qui aura, dans un rapport complémentaire, à renverser l'opinion d'un spécialiste qu'il a lui-même identifié sur une question complexe relevant de sa spécialité. Nous croyons que cette modification vient complexifier et alourdir considérablement une procédure déjà controversées et nous croyons que le législateur aurait intérêt à revoir sa position sur cette question.

Avant de déterminer définitivement une procédure d'évaluation médicale, il serait souhaitable d'attendre les recommandations du Protecteur du citoyen qui étudie actuellement cette question et qui, nous l'espérons, soumettra dans les plus brefs délais ses recommandations. Enfin, jusqu'à preuve du contraire, le statu quo est de loin préférable à ce qui est proposé, à notre avis.

Sur la révision administrative. Le SPGQ est heureux du maintien de la révision administrative interne au sein de la CSST. Comme l'a d'ailleurs abordé notre syndicat précédemment, les décisions de l'administration publique, lorsque contestées, ne doivent pas entraîner forcément le recours à un processus quasi judiciaire nécessitant un débat contradictoire. Cependant, bien que le processus quasi judiciaire soit plus lourd à appliquer que la simple révision administrative interne, nous rappelons que la révision administrative ne pourra être perçue crédible et efficace par les parties que si la décision ou l'ordonnance conséquente à une telle révision est perçue comme ayant été rendue de façon équitable.

À cet égard, le SPGQ est heureux de constater que le projet de loi n° 79, à son article 358.3, permet aux parties de présenter leurs observations à la Commission. Dès lors, il sera permis, de part et d'autre, de prendre connaissance ou de fournir les éléments sur lesquels il pourrait y avoir matière, selon le cas, à confirmer, à infirmer ou à modifier la décision contestée. Ce faisant, le principe d'équité sera respecté en laissant aux parties la possibilité d'établir, de rétablir ou de fournir les faits ou les circonstances militant en faveur du demandeur.

Ceci étant dit, le SPGQ reste tout de même sur sa faim du fait que cette possibilité de fournir des observations, étape pourtant essentielle à une révision administrative équitable, n'ait pas été bien encadrée par le législateur. En effet, aucun délai n'est prévu pour permettre au travailleur d'émettre ses observations. De la même manière, bien qu'une décision doit être rendue par la Commission, aucun délai ne lui est imposé. Comme la révision est de nature administrative, nous estimons que la Commission devra agir avec diligence.

(10 h 20)

Dans un autre ordre d'idées, mais touchant un aspect tout aussi essentiel que le principe d'équité, le SPGQ, bien qu'il soit conscient qu'on ne peut exiger de la personne qui effectue une révision administrative le même degré d'indépendance et d'impartialité que celui exigé d'un tribunal quasi judiciaire, estime cependant primordial que la personne désignée pour déposer une demande de révision administrative interne n'ait aucun lien direct ou hiérarchique avec le décideur. Autrement, nous estimons qu'un tel lien serait de nature à entacher l'indépendance du processus révisionnel. Le risque d'une faible distanciation entre le décideur et le réviseur ne permettra pas au réviseur le recul nécessaire pour apprécier en toute sérénité les observations apportées par les parties. Cette distanciation est importante pour nous. C'est pourquoi nous suggérons fortement au législateur d'inclure dans la loi une disposition claire pour contrer ces effets.

Sur le paritarisme. Le SPGQ est heureux de constater que le législateur a retenu notre recommandation à l'effet de maintenir le paritarisme à la nouvelle Commission des lésions professionnelles, respectant ainsi la culture propre au monde des relations de travail, avec des partenaires habitués à résoudre ses conflits. Le SPGQ est confiant que le paritarisme à la CLP franchira sans obstacle le test de l'article 23 de la Charte québécoise des droits concernant l'indépendance, du fait qu'il ne sera plus, d'une part, lié à la CSST avec la dépendance institutionnelle que cela impliquait et, d'autre part, régi par un mode de nomination de ses membres qui les mettra à une distance suffisante des organisations dont ils ont pour mission d'être sensibles aux préoccupations de leurs membres.

La question de la partialité, souvent soulevée par les opposants au paritarisme pour en réclamer l'abolition, ne tient pas la route, selon nous. En effet, l'expérience des BRP, avec un taux de décision unanime de 85 %, démontre que les parties peuvent trancher des litiges dans un climat de sérénité et milite en faveur du paritarisme au sein du futur tribunal. Le préjugé de la partialité des membres des actuels BRP, de la façon dont il est soutenu, vaudrait-il donc aussi pour les commissaires du travail, arbitres de grief et même les juges qui ont tous une histoire professionnelle, patronale, syndicale, ou autre. Ces prétentions, quant à nous, ne sont pas soutenables, autant logiquement que juridiquement.

La SPGQ réaffirme donc sa position prise dans ses mémoires précédents et demande que tous les membres qui composeront la CLP soient représentatifs de leur milieu et qu'ils possèdent des connaissances d'expert ou d'experte de par leur formation multidisciplinaire. D'autant plus que le monde de l'adjudication en santé et sécurité du travail est un monde complexe où l'on doit trancher des litiges qui nécessitent que les décideurs possèdent des connaissances techniques. Les milieux de travail, les tâches et activités professionnelles complexes, les concepts qui s'apparentent à ceux des relations de travail comme le droit de retour au travail, les mesures prises suite à un accident du travail, la travailleuse enceinte, le droit de refus, la détermination d'emploi convenable avec toute la connaissance du marché du travail que cela implique sont des exemples qui font que les futurs membres de la CLP seront autant d'expertes et d'experts pouvant s'attarder à apprécier la preuve et ainsi rendre les meilleures décisions possible.

Sur les règles de procédure. Je ne veux pas aller dans des aspects trop techniques qui sont quand même importants, mais je veux vous soulever quand même un problème de congruence dans les articles qui sont mentionnés en page 8 de notre mémoire.

Sur le recrutement, la sélection et la nomination des membres. Sur le recrutement, le projet de loi prévoit, à l'article 384, que les commissaires doivent être recrutés parmi deux professions seulement, à savoir les avocats et les notaires. La SPGQ considère que ce choix va à l'encontre des caractéristiques générales de la justice administrative qui sont, entre autres, la spécialisation et la multidisciplinarité. Nous croyons qu'un tribunal administratif et surtout les justiciables seront mieux servis par des experts provenant de différentes disciplines, dont la formation et l'expertise sont reconnues et qui possèdent également une connaissance ou une pratique des règles relatives au processus quasi judiciaire. D'ailleurs, la version initiale du projet de loi n° 130 sur la justice administrative avait retenu ce principe pour la division des lésions professionnelles avant que celle-ci ne soit retranchée du projet de loi. Nous avions alors souligné au ministre de la Justice les avantages de la multidisciplinarité et rappelé que la connaissance d'experts a été reconnue par les tribunaux du Québec et permet aux tribunaux administratifs, qui ne sont pas soumis aux règles strictes de droit civil, de mettre à profit leurs connaissances techniques.

Devant ces faits, nous comprenons mal le choix du législateur de ne se limiter qu'à deux professions pour le recrutement des futurs commissaires, d'autant plus qu'il a prévu des mesures transitoires particulières pour les commissaires de la CALP qui exercent leurs fonctions et qui pourront continuer à les exercer au nouveau tribunal, et ce, sans répondre aux exigences de l'article 384. D'ailleurs, vous verrez que les commissaires de la CALP demandent exactement la même chose. Bref, les deux regroupements de décideurs disent la même chose sur cette question-là. Nous reviendrons sur ce point particulier des mesures transitoires dans un chapitre subséquent. En conclusion, nous recommandons de modifier cet article du projet de loi afin de le rendre conforme et qu'il respecte les caractéristiques particulières des tribunaux administratifs, à savoir la spécialisation et la multidisciplinarité.

Sur la sélection et la nomination. Le mode de sélection et de nomination des membres d'un tribunal est fondamental pour la crédibilité de celui-ci. Sur ce point, l'article 386 s'en remet à un règlement qui devra être adopté par le gouvernement. Le ministre de la Justice a déjà déposé un tel règlement pour le Tribunal administratif du Québec créé par la Loi sur la justice administrative. Si ce règlement devait être également retenu par le gouvernement pour la sélection et la nomination des futurs commissaires, nous soulignons que le règlement, bien que constituant un pas dans la bonne direction, n'éliminera pas entièrement l'arbitraire et les biais partisans qui peuvent influencer le processus de sélection et surtout de nomination.

Nous recommandons donc de modifier ce règlement afin qu'il prévoie le classement des candidats par niveaux selon leurs résultats semblables à la formule actuellement utilisée pour la sélection et le recrutement du personnel de la fonction publique. Ainsi, tout en ayant une certaine latitude ou une certaine souplesse pour nommer un candidat ou une candidate, le gouvernement devra tenir obligatoirement compte de l'excellence et de la compétence. Enfin, toujours dans le but d'améliorer la transparence du processus de nomination, nous nous devons de souligner qu'il n'existe aucune procédure d'appel à la suite du non-renouvellement d'un mandat. Ainsi, nous suggérons au législateur de modifier la loi en prévoyant un recours pour le commissaire dont le mandat ne serait pas renouvelé.

Sur la conciliation. Rappelons d'abord que le SPGQ représente la très grande majorité des professionnels, 29 sur 36, d'ailleurs, qui oeuvrent présentement comme conciliatrices et conciliateurs au bureau de révision de la CSST et à la CALP. Il y en a 26 au BRP, cinq à la CALP, les sept autres personnes vont d'ailleurs nous suivre à cette Commission.

Déjà en janvier 1991 à la CALP et en novembre 1992 au BRP de la CSST, la conciliation était mise en place et de nombreux efforts étaient consacrés pour le développement de ce mécanisme qui permet aux parties d'arriver à une solution négociée de leurs dossiers dans le respect de la loi. La satisfaction des parties ainsi que les résultats très positifs obtenus sont autant d'éléments qui font que le SPGQ est particulièrement heureux de voir le processus de conciliation pleinement reconnu dans le présent projet de loi. C'est un élément clé dans l'objectif de déjudiciarisation, et ce, en complémentarité avec le processus d'adjudication.

Nous sommes heureux que l'essentiel de nos recommandations présentées dans notre mémoire portant sur la Loi sur la justice administrative a été repris, notamment en ce qui concerne l'obligation de confidentialité et la non-contraignabilité des conciliateurs, la précision à l'effet que l'accord doit être constaté par écrit et conforme à la loi, l'immunité et l'application d'un code de déontologie pour les conciliateurs.

(10 h 30)

Afin de bonifier ce chapitre de la loi, le SPGQ souhaite apporter quelques commentaires et recommandations, notamment sur la nomination des conciliatrices et conciliateurs. Le SPGQ se réjouit de voir que le législateur a précisé, à l'article 429.3 du projet de loi, que les conciliatrices et les conciliateurs doivent être nommés suivant la Loi sur la fonction publique. Cette loi met en place un mode d'organisation des ressources humaines qui favorise l'accomplissement de la mission première de la fonction publique, soit celle de fournir avec impartialité un service de qualité à la population. La Loi sur la fonction publique prévoit et encadre le recrutement et l'évaluation des candidats sur la base de critères de connaissances, d'expériences ou d'aptitudes requises pour un emploi, garantissant ainsi une transparence hors de tout doute. Ce cadre législatif s'avère d'autant plus essentiel pour la fonction de conciliateur puisqu'elle exige, par sa nature, impartialité et indépendance. D'ailleurs, on s'étonne qu'un groupe de sept contractuels conciliateurs soutiennent qu'il faut être désyndiqué pour être impartial, alors qu'ils ont déposé eux-mêmes une requête en accréditation. De toute façon, nos conciliateurs proviennent des milieux patronal et syndical.

Les professionnels du SPGQ qui exercent actuellement les fonctions de conciliateur ont été nommés conformément à la Loi sur la fonction publique et ont été choisis en raison de leur connaissance de la loi et de leurs diverses expériences professionnelles pertinentes, notamment en négociation. Ils proviennent de différents milieux, tant patronal, que syndical, qu'institutionnel, et ont acquis l'expertise nécessaire à l'exercice de cette fonction. Il faudra donc s'assurer de leur transfert à la Commission des lésions professionnelles. Nous y reviendrons en traitant des articles 62 et 63.

Compte tenu de la reconnaissance de la conciliation en santé et sécurité au travail, de l'essor des modes alternatifs de résolution des conflits dans tous les secteurs du droit et au moment où le Conseil du trésor revoit l'ensemble de la classification des professionnels dans la fonction publique, et de toutes les catégories d'emplois de toute façon, la SPGQ réitère sa demande de création d'un corps d'emploi distinct de conciliateur regroupant tous les professionnels agissant exclusivement en matière de conciliation et de médiation dans les différents ministères et organismes. De plus, afin d'assurer une intégration optimale des activités de conciliation au sein de la future Commission des lésions professionnelles et de bien marquer l'importance du processus de déjudiciarisation, il serait souhaitable, au niveau de la structure administrative, que la conciliation relève directement de la présidence de la nouvelle CLP.

Sur l'accès à la conciliation. Compte tenu des résultats obtenus en conciliation permettant aux parties de trouver des solutions satisfaisantes à leurs litiges et favorisant l'accélération du traitement des dossiers et la réduction des coûts afférents au régime de santé et de sécurité du travail, il faut privilégier l'accès le plus large possible à la conciliation. Tout en respectant le caractère volontaire de la conciliation, il nous semble que l'article 429.42 doit être modifié de telle sorte que la conciliation devienne une étape du processus décisionnel, à moins d'indications contraires de la part des parties. On vous suggère donc, à la page 13 de notre mémoire, une modification à l'article 429.42.

Je vais revenir à la fin sur la question de la régionalisation. Concernant les mesures transitoires. S'il est un point fondamental que le SPGQ dénonce vigoureusement, c'est bien celui qui concerne la nomination des commissaires. En effet, alors que les commissaires actuels de la CALP pourront continuer à exercer leur fonction au nouveau tribunal même s'ils ne rencontrent pas les exigences des articles 384 et 385, les présidents de bureaux de révision paritaire sont, quant à eux, systématiquement exclus de la fonction de commissaire s'ils ne rencontrent pas ces critères. Il y a là une situation inéquitable et surtout inconciliable avec l'intérêt même du futur tribunal qui aura besoin d'un personnel productif et compétent dès l'entrée en vigueur de sa loi constitutive.

Les mesures transitoires actuelles laissent de côté un nombre important de personnes compétentes et expérimentées qu'il faudra de toute façon remplacer. Or, l'embauche de nouveaux commissaires non expérimentés va exiger une longue période de formation et d'entraînement qui va nécessairement avoir pour conséquence d'engorger le tribunal par un nombre important de dossiers non traités faute de commissaire. En somme, le tribunal proposé, dont les caractéristiques doivent être la célérité et l'efficacité, risque de connaître un échec s'il se prive dès le départ de ressources compétentes, productives et surtout habituées à travailler dans un cadre paritaire. Alors, sur cette question, vous comprendrez que nous aimerions être rassurés sur le transfert de tous les employés de la CSST et de la CALP à la nouvelle CLP.

Évidemment, sur la question – et je finis là-dessus, M. le Président, compte tenu du temps qui nous est imparti, une minute, c'est ça – de la régionalisation. Le SPGQ a eu l'occasion d'exprimer à maintes reprises son désir de voir consacrée par un texte législatif très clair la déconcentration des services offerts à la population en matière de justice administrative. À ce sujet, nous constatons que le législateur avait retenu, à l'article 369 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, le principe général voulant que la CALP ait au moins un bureau dans chaque région administrative où la Commission possède un bureau régional. La Commission d'appel en matière de lésions professionnelles a toutefois transformé l'exception en une règle générale.

Or, l'actuel projet de loi, loin de nous rassurer ou d'améliorer la situation actuelle, rétrécit davantage l'espoir de voir les régions desservies de la même façon que dans les grands centres par la CLP. En effet, l'article 368 du projet de loi prévoit que la CLP a un bureau à Montréal, un à Québec – ce qui est très bien et consacre la situation actuelle – mais qu'elle peut aussi avoir un bureau dans d'autres régions administratives si le nombre de recours dans une région le justifie. En somme, la non-ouverture d'un bureau régional est devenue la règle, l'exception étant d'offrir un service régional. À choisir entre les deux, nous suggérons de revenir au libellé actuel de l'article 369, même si nous sommes fort conscients que, dans l'une ou l'autre des hypothèses retenues, tout est une question de volonté politique. Alors, on comprend aussi que ça s'inscrit, pour nous, dans un contexte de décentralisation. Je sais que ça fait partie d'un débat plus large. Même si on peut penser prêcher à des convertis, on insiste sur cet aspect de la régionalisation. Et ça termine la synthèse de mon rapport, M. le Président.

Le Président (M. Beaulne): Merci, M. Caron. Alors, M. le ministre, vous avez la parole pour quelques questions.

M. Rioux: D'abord, M. Caron, je ne vous cacherai pas que j'avais hâte d'entendre ce que votre organisme avait à dire sur le projet de loi n° 79, en toute vérité. Je me réjouis que les professionnels du gouvernement viennent nous dire que le paritarisme a suffisamment fait ses preuves pour qu'on le maintienne ou qu'on l'institutionnalise dans ce qu'on pourrait appeler le traitement des lésions professionnelles sur le plan des arbitrages.

Je suis content de vous entendre; c'est rafraîchissant et ça fait du bien. Parce que vous comprendrez bien que tout le monde ne partage pas votre point de vue. Vous êtes au courant très certainement, vous lisez les journaux comme moi. Vous fondez votre réflexion sur un élément qui n'est pas mince. Vous fondez votre réflexion sur la base de l'expérience du bureau de révision paritaire. Vous dites: Le paritarisme à ce niveau-là a fait ses preuves. Donc, qu'on le transporte au niveau de la CLP, ça vous apparaît normal. Si vous avez le goût de pousser plus loin votre réflexion devant nous pour les collègues parlementaires, j'en serais ravi.

J'ai remarqué aussi que vous ne vous posez pas de questions existentielles quant à l'impartialité et l'indépendance de cette forme de tribunal. Vous avez certainement consulté au sein de vos professionnels – vous en avez, ils sont légion chez vous, des professionnels, des juristes – ils ont dû vous donner leur avis. Les avocats sont partagés là-dessus. J'aimerais ça que vous poussiez encore plus loin la réflexion, parce que c'est un élément central du projet de loi, je pense qu'il ne faut pas se le cacher.

Vous vous posez des questions également sur les services que pourrait donner la CSST en région. M. Caron, on va regarder ça, on va regarder ça très sérieusement. Vous soulevez là quelque chose d'important. Même si, à la limite, la loi le permet, on est prêts à examiner ça.

Je voudrais également vous rassurer quant aux mesures transitoires que vous évoquez éloquemment dans votre mémoire. À la page 15, là, vous êtes clairs, vous soulevez une préoccupation majeure sur les mesures transitoires. Je prends bonne note de ça et soyez assurés d'une chose, c'est que le personnel des bureaux de révision sont des gens qui ont fait sérieusement leur boulot et on va prendre ça en compte lorsqu'il s'agira des nominations à la Commission des lésions professionnelles. Je suis heureux que vous ayez attiré notre attention de façon précise là-dessus, parce qu'on pense que c'est une remarque très pertinente.

(10 h 40)

Alors, je ne veux pas prendre plus de temps qu'il faut, mais j'aimerais ça que vous poussiez plus loin votre réflexion en ce qui a trait au paritarisme, à l'indépendance et à l'impartialité du tribunal. Quant aux avocats et aux notaires, j'aimerais vous dire que ce n'est pas un dogme. Ça aussi, c'est intéressant, ce que vous soulevez quant à l'accessibilité à la fonction de commissaire. Vous vous interrogez, vous autres, comme professionnels de l'État, sur la pertinence de confier ça seulement à des notaires et à des avocats. Je vous le dis, je ne suis pas dogmatique là-dessus. Lundi matin, on est toujours plus de bonne humeur, hein! Alors, je suis très heureux, c'est un excellent mémoire. Oui, je sais que dans le cas de certains collègues, c'est le vendredi où ils le sont. Ha, ha, ha!

Alors, je voulais vous remercier et vous dire que votre présence ici, ce matin, est fort appréciée. Et j'attends vos commentaires additionnels.

M. Caron (Robert): Oui, merci, M. le ministre. Vous vouliez qu'on détaille sur, je dirais, les bons coups du paritarisme. Déjà, dans notre mémoire, on souligne l'expérience des BRP, où on précise qu'il y a un taux de décision unanime de 85 % au niveau des BRP. Ça, je pense que c'est assez important. Nous, on pense que la décision est meilleure dans un système paritaire. Et pourquoi? Parce qu'on se sert de l'expertise des gens du milieu pour asseoir la meilleure décision possible. Je pense que ça, c'est vérifié. On ne parle pas en théorie quand on dit ça. On contribue aussi à humaniser le processus et à le rendre moins stressant pour les personnes qui ont à se rendre dans ce type de forum là.

Alors, pour nous, c'est important. On pourrait nous évoquer, même, et je sais que ça fait partie des débats autour de la question du paritarisme, des questions de coûts, déjà qu'on est conscients que la réforme génère des économies. On pense aussi, parce qu'on s'est fait cette réflexion-là, on s'est dit que, s'il y a des coûts, les coûts sont justifiables, même dans le contexte actuel. Si c'est le prix à payer pour maintenir un système qui est crédible, qui respecte la décision du conseil d'administration de la CSST, qui est représentatif du milieu, eh bien, on peut penser que c'est un choix social à respecter et que c'est un choix qui est tout à fait acceptable. Alors, nous, notre réflexion est faite là-dessus, puis on a essayé d'être critiques, même, parce qu'on est imprégnés, nous, de l'expérience BRP.

L'autre aspect qu'on traite dans notre rapport, c'est la question de l'indépendance institutionnelle par rapport à la loi aussi, la Charte québécoise. On précise qu'on est confiants que le paritarisme à la CLP va franchir sans obstacle le test de l'article 23 de la Charte québécoise des droits concernant l'indépendance. Alors, là-dessus, on n'a pas de crainte. Les deux principales exigences qu'on a, c'est évidemment l'indépendance institutionnelle et les modes de nomination. Vous venez de nous en parler. Moi, je suis heureux d'entendre que, sur la question des avocats et notaires, il n'y a pas de dogme. C'est une question extrêmement importante pour nous, elle est importante aussi au niveau des mesures transitoires. Je pense qu'on s'explique assez bien là-dessus dans notre rapport.

Sur la régionalisation, on était conscients, et je l'ai dit tantôt, qu'on prêchait peut-être à des convertis, peut-être pas tout le monde, mais ce qu'on attend, c'est peut-être des choses concrètes à cet égard-là, parce que, dans les différentes commissions où on a eu à traiter de cette question-là, il n'y a personne qui était contre la vertu, surtout dans le contexte actuel de décentralisation, mais, pour ce qui est de gestes concrets, on est toujours à chercher des résultats.

Le Président (M. Beaulne): Alors, M. le député de Johnson.

M. Boucher: Vous prévoyez ajouter, dans votre mémoire, un article 429.42. Pouvez-vous élaborer un peu plus sur les modifications que vous suggérez? C'est en regard de la conciliation comme étape du processus décisionnel.

M. Caron (Robert): Pouvez-vous répéter le début de votre question? Je m'excuse.

M. Boucher: J'aimerais ça que vous élaboriez sur ça, cet ajout-là que vous voulez faire, le 429.42, au niveau de la conciliation. Pouvez-vous pousser un peu plus loin votre réflexion?

M. Caron (Robert): Oui, c'est ça. D'ailleurs, dans la loi n° 130 adoptée le 19 décembre, on prévoit, à l'article 122... On reconnaît également la conciliation dans des dispositions semblables de cette loi n° 130 qui a été adoptée en décembre. On prévoit, à l'article 122, la nomination de conciliateurs nommés suivant la Loi sur la fonction publique. Alors, c'est une proposition qu'on fait aussi. Pour nous, le transfert doit se faire dans le respect de la Loi sur la fonction publique et les règles de la convention collective.

Une voix: C'est d'ouvrir la conciliation systématiquement.

M. Caron (Robert): Oui, c'est ça. Bien, la règle qu'on veut, c'est d'offrir la conciliation systématiquement et d'avoir une clause – excusez l'anglais – d'«opting out». Les gens ne sont pas d'accord.

D'ailleurs, cette expérience-là, elle est tentée au niveau de la CALP. Juste faire la différence avec les BRP. Dans les BRP, en 1996, il y a 29 % qui ont choisi la conciliation. À la CALP, quand on l'offrait de façon systématique, les deux tiers optaient pour la conciliation et il y a 70 % des dossiers qui étaient fermés dans ce contexte-là. Alors, selon nous, c'est une procédure qui est nettement plus avantageuse que le contraire.

M. Boucher: Merci.

Le Président (M. Beaulne): M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Merci, M. le Président. Ça fait plaisir de vous saluer au nom des membres de l'opposition. J'ai pris connaissance de votre mémoire avec intérêt, comme tous les mémoires, bien sûr, mais le vôtre en particulier parce que vous êtes des gens qui oeuvrez, pour l'ensemble, dans le système public et êtes à même, des fois, de voir des pratiques qui s'y font d'un côté peut-être différent des autres gens qui viennent devant nous.

J'ai remarqué que, en ce qui concernait le Bureau d'évaluation médicale, vous semblez lever quelques questions, mais vous ne vous prononcez pas. Vous n'allez pas plus loin. Je vous ferai remarquer que, jusqu'à maintenant, à peu près l'ensemble des gens qui vont venus devant cette commission ont émis des réserves quant à sa manière de fonctionner, allant de propositions pour changer sa manière de fonctionner jusqu'à son abolition, à l'autre extrême. Vous, vous dites: On va attendre le Protecteur du citoyen qui étudie actuellement cette question. À ce stade-ci, vous êtes au courant que le Protecteur du citoyen a sorti un rapport qui est déposé devant cette commission? Est-ce que vous en avez pris connaissance?

M. Caron (Robert): Oui, oui.

M. Gobé: Est-ce que vous pouvez nous dire si ce qu'il y a dans ce rapport-là – même s'il n'a pas été déposé, il n'y a pas d'embargo, simplement une question de... Malheureusement, avoir su que vous en parleriez, on aurait peut-être pu inverser les parutions, le faire passer avant vous. En fait, j'aimerais ça vous entendre peut-être nous parler un peu là-dessus.

M. Caron (Robert): Oui. Remarquez qu'on est sortis un tout petit peu de notre rapport pour dire que, finalement, on serait plus favorables au statu quo qu'à ce qui est proposé. On est conscients que, dans le rapport du Protecteur du citoyen, on dit que le processus d'évaluation proposé est source de confrontations, qu'il y a des problèmes au niveau des délais qui ne sont pas les mêmes, des délais qui sont voire même irréalistes dans certains cas, quand on parle du cinq jours. Alors, dans d'autres rapports aussi qu'on a vus, on faisait état qu'il y avait un déséquilibre du travailleur par rapport au spécialiste de la CSST, que ça pouvait créer une bonne partie de la judiciarisation. Je pense que, dans notre mémoire, on précise, sans entrer dans les détails, que la formule proposée est problématique et que, finalement, il faudrait peut-être attendre justement l'étude du rapport du Protecteur du citoyen avant d'aller plus loin.

(10 h 50)

M. Gobé: Mais vous avez dû, comme tout le monde, prendre connaissance dans les médias ou dans l'émission de télévision, là, ou même en commission de témoignages ou de dénonciations, de reproches qui ont été faits par des citoyens dans des organismes en ce qui concerne la manière de fonctionner du BEM, hein, pour l'évaluation médicale. On se rend compte que la confiance du public n'est plus là, que les gens n'ont plus confiance, à tort ou à raison. Mais une chose est sûre, c'est que les gens ont l'impression que, lorsqu'ils vont devant le BEM, c'est devenu la machine à évacuer les dossiers et à nettoyer les dossiers pendants de la CSST avec une tendance un peu...

J'entendais des gens en cette Chambre dire – depuis 12 ans que je suis ici – des collègues dire: La Cour suprême, ça penche toujours du même bord. C'est pour ça que, nous autres, on voudrait changer ça, les Québécois, la Cour suprême du Canada. Bien, il y a beaucoup de travailleurs accidentés qui disent: Le BEM, ça penche toujours du même bord. C'est un peu le même principe. Vous, vous dites que vous préférez le statu quo encore. Vous ne pensez qu'il y aurait peut-être lieu de profiter de la réouverture de la loi, projet de loi n° 79, pour essayer de régler ce problème de confiance et pour faire en sorte que les gens, lorsqu'ils vont devant le BEM, ils y aillent en toute tranquillité, en toute confiance et que nos concitoyens... Parce que n'oubliez pas, lorsqu'on est accidenté...

Vous autres, là, le personnel du gouvernement, c'est comme les députés, on peut avoir une grippe de temps en temps, mais, je veux dire, on n'est moins soumis, hein, que beaucoup de catégories – je ne dis pas qu'il n'y a pas d'accidents de travail chez vous, mais vous êtes beaucoup moins soumis – de travailleurs en particulier. En plus, lorsqu'on est frappé, on est capable de se défendre, de parler. Vous êtes professionnels, ça veut dire que vous êtes généralement à un niveau de scolarisation assez important, vous êtes capables de plaider votre cause, fouiller dans les papiers, remplir des formules. Enfin, les gens qui sont en face de vous, le médecin, vous êtes capables de lui parler; peut-être que vous avez un beau-frère médecin ou un voisin, parce que c'est dans le milieu dans lequel on vit.

Il faut se mettre à la place du petit travailleur qui, des fois, a de la difficulté à écrire, à lire, difficulté à se retrouver dans tout le processus dans lequel il est embarqué; en plus d'être accidenté, de se trouver un peu démuni, de se trouver dans une situation, là, d'insécurité, et puis il parle avec des médecins. Il y en a un à côté de nous, un médecin. Je peux vous assurer que bien des gens qui viennent dans mon bureau de comté, ils ont de la misère à parler avec un médecin, parce que, pour eux, c'est un médecin, c'est un gars qui emploi des mots qu'ils ne comprennent pas tout le temps; le gars, il n'a pas toujours le temps non plus. Puis là ils se ramassent devant le BEM, en plus. Là, le BEM est perçu comme étant celui qui doit les couper.

Alors, il faut tenir compte du monde qui le vit aussi, hein. C'est bien beau de dire qu'au niveau de l'administration d'une réforme on tient compte de grands principes, puis on met ça sur papier: a, b, c, d, tout va bien, mais dans la réalité, pour que les gens qui le vivent puissent s'y retrouver, puissent avoir confiance, le vrai monde, là, vous ne pensez qu'il y aurait lieu d'amener des changements dans ce domaine-là? C'est ce qu'on nous dit actuellement. Vous êtes les seuls qui ne demandez pas ça, c'est pour ça.

M. Caron (Robert): Oui. Remarquez que tantôt je disais que, à tout prendre, on préfère le statu quo que la formule actuelle, parce que ce qu'on dit, c'est que la modification apportée à la procédure d'évaluation médicale ne permet pas d'atteindre l'objectif de déjudiciariser le système québécois de santé et sécurité du travail. Ce qu'on dit aussi, c'est que, avec la formule proposée, on multiplie des recours, on peut mettre en péril la relation que le médecin traitant a avec son patient, on complexifie, on alourdit. Alors, il y a certainement des améliorations. Je vais laisser mes collègues, qui brûlent d'en donner, vous faire partager ces modifications.

Mme Albernhe (Isabelle): Oui, alors, écoutez, il me semble qu'on est assez clairs dans notre texte, là, quand on dit: Nous croyons que cette modification vient complexifier et alourdir considérablement une procédure déjà controversée et nous croyons que le législateur aurait intérêt à revoir sa position sur cette question. Alors, nous sommes très sensibles à ce que vous nous dites, M. le député, et, nous aussi, nous voyons les cas d'abus et les exagérations qui se passent. Alors, on est sensibles à ça et on vous dit: Oui, il faudrait revoir ce processus-là.

M. Gobé: Alors, je vous remercie beaucoup. Une petite dernière question avant de passer à un autre collègue. J'étais intrigué. Paritarisme, vous êtes en faveur de cela. Vous dites qu'au BRP, ça a fait ses preuves. Mais je vous rappellerai quand même que le BRP, ce n'est pas un tribunal de dernière instance et qu'où on veut mettre le paritarisme maintenant, c'est dans la dernière instance. J'ai de la misère un peu avec ça. Il y a beaucoup de monde qui a de la misère avec ça. Qu'il soit à d'autres étapes, à la limite, ça peut fonctionner, mais là, en dernière instance, les gens n'ont plus d'appel, ils n'ont plus rien après. Et puis il y a une preuve à déposer. La preuve, elle est là ou elle n'est pas là.

Alors, moi, ce qui m'a fait tiquer un peu, c'est que vous dites: Le SPGQ est heureux de constater que le législateur a retenu une recommandation à l'effet de maintenir le paritarisme à la nouvelle Commission des lésions professionnelles, respectant ainsi la culture propre au monde des relations de travail, avec des partenaires habitués à résoudre ces conflits. Bon. J'en suis avec vous pour les relations de travail, mais, lorsqu'on arrive à un tribunal de dernière instance sur des accidentés du travail, ce n'est plus des conflits, là, il l'est ou il ne l'est pas. Ce n'est plus une négociation. C'est ça qui m'inquiète un peu.

Est-ce qu'on va se retrouver à avoir des parties qui vont négocier avec un peu de quotas: Bien, j'en ai donné deux cette fois-ci, tu en donnes trois la prochaine fois? Est-ce que... Je dis bien «est-ce que», je questionne. Moi, j'ai un doute là-dessus. Si c'était juste moi, ça ne serait pas si grave que ça, remarquez bien, mais il y a bien du monde qui a des doutes là-dessus. Ça fait que je ne me sens pas tout seul là-dedans. Ça m'inquiète. Ça inquiète beaucoup de gens. Parce que, vous, vous êtes directs, là, il n'y a pas de nuance là-dedans. Vous dites même que c'est vous qui l'avez recommandé, d'ailleurs. On peut dire aux gens qui nous écoutent qui ne sont pas en faveur que c'est vous qui êtes les parrains de ce projet de loi. Je vous taquine un peu, mais je veux dire que c'est quand même assez direct.

M. Caron (Robert): Oui, mais, vous savez, on vit présentement le paritarisme dans les BRP puis on ne retrouve pas ce que vous dites, là, la négociation au niveau des cas d'accidentés du travail. Je vais laisser des gens des BRP vous répondre, parce que c'est vraiment dans leur pratique.

M. Tremblay (Alain): Sur l'aspect, M. le député, que ça va être un tribunal final, je voudrais vous faire remarquer qu'actuellement, sur les 30 000 dossiers qui sont entendus par année par les bureaux de révision, 70 % se terminent par une décision finale qui n'est pas portée en appel. Alors, ça veut dire que, si cet aspect-là du paritarisme était un problème, j'imagine que le taux d'appel serait beaucoup plus élevé. Par ailleurs, si on ajoute à ce 70 % là le fait que la loi prévoit déjà que, sur certaines décisions en bas de 1 000 $, les décisions sont finales au bureau de révision... Encore là, je pense que, si on prenait ces dossiers-là et qu'on faisait une analyse exhaustive: «Est-ce qu'ils ont été plus portés en évocation devant la Cour supérieure?», la réponse serait non. Il n'y a presque pas d'évocation, même si c'était une décision finale du bureau de révision rendue sur ces matières-là. Alors, je pense que pour ça, il n'y a pas d'inquiétude à avoir.

L'autre élément que vous avez mentionné, le fameux test de l'article 23 de la Charte. Alors, grosso modo, de mémoire, l'article 23 dit que toute personne a droit, finalement, à un procès juste et équitable devant un tribunal indépendant et impartial. Alors, deux notions: l'indépendance et l'impartialité. L'indépendance, je pense que, d'abord, bien sûr, elle a été définie comme institutionnelle et aussi au niveau de la fonction. Je pense que le projet de loi, il n'y a pas de problème pour ça. L'institution est complètement détachée de la CSST; c'est une institution qui va relever du ministre et qui n'a rien à voir. Son niveau de financement est établi chaque année par le Conseil du trésor. Donc, ça ne relève pas de la Commission comme telle. Au niveau de la nomination aussi, quand on regarde le processus de nomination des membres, je pense que l'aspect mitoyen qui a été trouvé à ce niveau-là, c'est-à-dire qu'ils doivent être nommés par le gouvernement, déclaration aussi de non-intérêt avant une audition dans chacune des affaires, garantit l'indépendance du tribunal.

Par ailleurs, quant à l'impartialité – et c'est, je pense, là qu'on entend souvent l'argument contre le paritarisme – l'impartialité, elle a été aussi définie par des décisions multiples qui ont été rendues. Vous connaissez les arrêts Valente, la dernière de la Régie des alcools encore et qui a dit qu'on établit, qu'on évalue l'impartialité d'un tribunal selon le critère de la raisonnabilité de la perception d'une personne face à un tribunal, c'est-à-dire: Est-ce qu'une personne raisonnable pourrait croire que le tribunal qui est devant elle est partial? Et, dans un nombre multiple de cas.

Alors, quand on en est rendus avec 85 % de décisions qui sont paritaires et unanimes, je pense que le paritarisme ne présente pas cette crainte de partialité là. Si le paritarisme donnait une image de partialité dans ses décisions, vous auriez, au contraire, 85 % ou 90 % de décisions avec une dissidence. On pourrait dire que, là, effectivement, c'est partial. Mais ce n'est pas le cas.

(11 heures)

M. Gobé: Dans ce tribunal de dernière instance qui va être paritaire, advenant qu'un des membres veuille faire dissidence... D'abord, il ne le peut pas, selon la loi.

M. Tremblay (Alain): Selon la loi actuelle. Oui, oui.

M. Gobé: C'est selon ce qui va s'être passé, ça. Mais, advenant que ce monsieur-là ou cette femme-là sorte puis dise: Moi, j'ai fait dissidence, je n'étais pas d'accord... Ça peut arriver, ça.

M. Tremblay (Alain): Oui, oui.

M. Gobé: Bon. Il reste quoi à faire au pauvre monsieur ou à la pauvre dame qui est accidenté du travail? Il s'en va en cour civile?

M. Tremblay (Alain): Pas du tout. La loi prévoit un recours en révision pour cause. Alors, si la dissidence porte sur des motifs de droit – parce que j'imagine que la dissidence, dans ce cas-là, devra porter sur des questions de droit – ou encore que la décision a été déraisonnable dans le sens que l'interprétation des faits ne peut pas en tirer une conclusion de droit qui est raisonnable, je pense qu'avec ces dissidences-là on vient de lui donner tous les outils qu'il faut pour demander, et gratuitement, une révision pour cause devant la CLP.

Mme Albernhe (Isabelle): Mais, M. le député, à ce compte-là, avec ce raisonnement-là, à la Cour suprême, ils sont neuf. Alors, quand il y a une dissidence ou quand il y a quatre juges qui sont dissidents, la majorité, c'est cinq. C'est parce qu'il faut innover, aussi. Ce n'est pas parce que c'est le dernier palier que c'est un absolu ou c'est un dogme d'avoir une personne qui va rendre la décision. Si c'est trois personnes, les trois personnes qui entendent la preuve, et si vous avez – en tout cas, on vous a vanté les mérites de la formule du paritarisme – une décision rendue par trois personnes, et si elle est, en plus de ça, unanime ou elle est majoritaire, il me semble que le justiciable, le travailleur peut être conforté par une telle décision.

M. Gobé: Une petite question en terminant. J'ai vu que, pour ce qui concernait le Bureau d'évaluation médicale, vous avez écrit attendre le rapport du Protecteur du citoyen pour vous prononcer. Pourquoi, dans le cas du paritarisme, vous ne l'avez pas consulté? Vous vous seriez rendu compte qu'il est opposé au paritarisme.

Mme Albernhe (Isabelle): C'est parce qu'on a un vécu au paritarisme et puis on trouve que ça marche. Alors, quand on peut être catégorique, et on l'est, catégoriques aussi au niveau du BEM... Je vous l'ai mentionné, je vous ai lu trois phrases qui démontrent que nous avons des grosses, grosses, grosses réserves sur le BEM. Alors, dans ce sens-là, on n'hésite pas à se prononcer sur la demande qu'on fait au législateur de revoir ce point-là.

M. Caron (Robert): Vous savez, on a consulté beaucoup de rapports aussi qui vont dans le même sens que nous sur certaines questions, qui vont dans le sens opposé sur d'autres questions. Je pense que c'est absolument normal.

M. Tremblay (Alain): Je pourrais juste rajouter un élément sur le BEM. C'est que nous avions l'impression – en tout cas, c'est les informations qu'on avait – que le Protecteur du citoyen devait déclencher ou avait déclenché une enquête importante sur le fonctionnement du BEM. Or, le Protecteur du citoyen regarde les relations d'un organisme administratif avec les citoyens. Donc, il est possible que les recommandations du Protecteur du citoyen ne soient pas d'ordre législatif mais soient d'ordre administratif au niveau de ses recommandations, au niveau du Protecteur du citoyen. Alors, dans ce contexte-là, faire des recommandations législatives à cette étape-ci alors que le problème est peut-être d'ordre administratif – on l'ignore – plutôt que de se lancer dans des conjectures, des spéculations, nous avons dit: Nous allons attendre.

Sauf que le petit rapport de quatre, cinq pages du Protecteur du citoyen, j'ai vu effectivement qu'il ne nous disait pas si c'était un préliminaire ou s'il y avait une enquête plus approfondie qui s'en venait au printemps. Alors, on ne l'a pas vu. Peut-être qu'il y a en un, mais, avant de faire des recommandations, là, puis on ne sait pas exactement c'est quoi, le fond du problème, on a préféré s'en tenir, sur le plan législatif, à des choses préliminaires. Et, dans ce sens-là, ce qu'on vous mentionnait tantôt, entre une petite attestation médicale de deux pouces sur laquelle est écrit un diagnostic et une expertise de huit pages d'un orthopédiste qui arrive devant le BEM, peut-être effectivement y a-t-il un déséquilibre; pas toujours, mais ça peut arriver. Et le Protecteur recommande là-dessus au moins que le choix par le médecin traitant soit de choisir parmi trois médecins. Alors, il y a des recommandations déjà qui peuvent être intéressantes. Mais celles qui sont là, on pense, vont peut-être juste complexifier ou alourdir, mais effectivement on parle d'un processus actuellement qui est controversé. Dans ce sens-là, on va dans le sens où d'autres effectivement l'ont noté.

Le Président (M. Beaulne): M. le député d'Argenteuil.

M. Beaudet: Merci, M. le Président. À la lecture du deuxième paragraphe où vous parlez du BEM, vous dites: Pensons simplement au médecin omnipraticien qui aura, dans un rapport complémentaire, renversé l'opinion d'un spécialiste qu'il a lui-même identifié sur une question complexe relevant de sa spécialité. Quand je lis ça, moi, je m'inquiète, parce que je me dis: Qu'est-ce qui est le plus important, la complexité du processus ou la bonne évaluation du travailleur accidenté pour qu'il puisse obtenir justice? Et, quand je lis ça, je me demande de quel côté vous êtes.

M. Tremblay (Alain): Effectivement, on souligne actuellement qu'il y a un problème au niveau du BEM. Il y a un déséquilibre. Et ce qu'on dit, c'est que, en tout cas, ce n'est pas les solutions qui sont dans le projet de loi actuellement qui répondent, un, à ce déséquilibre-là; et, si ça veut répondre au déséquilibre, le problème, le pendant, c'est l'alourdissement de la procédure et la menace que ça fait poser sur la relation patient-médecin. Alors, je pense que...

M. Beaudet: Je ne la comprends pas, la menace.

M. Tremblay (Alain): Bien, écoutez, je vais...

M. Beaudet: Parce que, le fait que l'omnipraticien devra justifier au spécialiste qu'il va choisir lui-même, bien, il va poser un diagnostic encore plus précis parce qu'il sait que, s'il l'envoie au spécialiste, quand ça va lui revenir, il va essayer de poser le bon diagnostic et il n'aura pas à aller à l'encontre du diagnostic du spécialiste. Vous parlez, au départ, qu'il va être obligé de s'opposer au diagnostic du spécialiste. Pourquoi il va s'opposer? Il peut être d'accord. Il va peut-être juste l'appuyer.

M. Tremblay (Alain): Effectivement, mais c'est parce qu'il y a deux hypothèses, là.

M. Beaudet: Oui, oui.

M. Tremblay (Alain): Prenez l'exemple...

M. Beaudet: Mais vous prenez juste la noire.

M. Tremblay (Alain): ...où vous voyez votre médecin, et il émet un diagnostic. L'employeur n'est pas d'accord, il fait une expertise. La Commission communique avec votre médecin et dit: Écoutez, voici trois médecins; choisissez-en un. Bon, je vous appelle, je dis: Écoute, voici, j'ai choisi tel médecin. Alors, je vais t'envoyer le voir, pas de problème. Ça revient et ça contredit mon opinion comme médecin traitant. Là, je suis obligé de vous dire comme patient: De deux choses l'une, ou je veux être de votre bord puis je vais contredire mon chum spécialiste en qui j'avais confiance, ou encore je maintiens son opinion, puis là c'est vous, comme patient, qui me tombez dessus. Alors, dans quelle situation, comme médecin, je suis pris, là, dans un cas de contradiction comme ça? Alors, ça vient avoir un impact important sur la relation patient-médecin, une relation d'ordre juridique qui ne devrait pas avoir lieu dans une relation professionnelle médicale entre un patient puis un médecin.

M. Beaudet: J'ai de la difficulté à saisir ça, parce que vous n'êtes pas à poser un diagnostic pour être favorable ou défavorable à un individu. Quand vous posez un diagnostic, c'est pour être équitable et pour donner la bonne réponse au problème qui vous est présenté. Alors, si le fait que vous donniez un problème puis que vous changiez d'opinion parce que vous avez eu d'autres éléments qui vous ont été ajoutés...

Je peux vous dire que je l'ai vécu en fin de semaine, moi. Ce n'est pas compliqué, on s'en va en ski, ma femme se fait mal à un genou, on s'en va voir le médecin à la clinique, puis il regarde le genou: Ah, il n'y a rien là, mettez de la glace puis il n'y a pas de problème. Je savais très bien où j'irais le lendemain, mais je voulais m'assurer qu'il n'y avait pas d'affaire désastreuse. Bon. Ma femme se fait opérer pour le genou demain, mais il n'y avait rien là. Alors, si le spécialiste revient à l'omni puis il dit: Écoute, oui, t'as examiné le genou, mais il y a une petite chose que t'as manqué de faire, l'autre va dire: Ah oui, bien, l'autre qui est spécialiste du genou, il connaît ça.

Alors, c'est ça qui est important, non pas le fait qu'il va y avoir un problème entre le travailleur accidenté puis son omni. Ce qui est important, c'est que le travailleur accidenté ait justice. Mais justice, ça va dans les deux sens, c'est-à-dire: que le diagnostic posé soit le bon et soit propre à donner au travailleur accidenté un traitement équitable par la suite, et ça peut aller jouer dans les deux côtés, ça, ça peut être ou favorable à lui ou défavorable. Parce que ce que madame a soulevé tantôt, qu'au BEM on a eu des histoires d'horreurs, bien, vous savez, on n'est pas obligé d'aller au BEM pour avoir des histoires d'horreurs, on peut regarder les travailleurs qui ont fait des histoires d'horreurs aussi. Bien oui! On ne jouera pas du violon, là, vous savez très bien ce que je veux dire.

Alors, il y en a des deux côtés, sauf que, là, vous en sortez juste du BEM, mais il y en a de l'autre bord aussi. Et, dans ce processus-là, c'est justement pour éviter les histoires d'horreurs d'un bord. Puis la CLP, elle, va éviter les histoires d'horreurs de l'autre bord. Alors, en tout cas, je regarde ça, puis vous avez l'air de vous opposer à ça. Moi, je me dis: Peut-être que c'est une bonne balance.

M. Tremblay (Alain): C'est-à-dire qu'on s'oppose à quoi, là? On ne s'oppose pas au processus actuel, parce qu'on se dit, finalement: Il y a des cas problèmes. D'abord, il faut aussi remettre en contexte le mécanisme de révision médicale. Je vois M. Shedleur qui est ici, il y a peut-être 130 000, 140 000 réclamations par année.

Des voix: Cent quarante mille.

M. Tremblay (Alain): Bon. Alors, imaginons qu'il y a au moins 140 000 attestations médicales qui sont émises par année.

Des voix: Neuf cent mille.

M. Tremblay (Alain): Bon. On peut en ajouter à toutes les semaines. Neuf cent mille possibilités de contestation, y avez-vous pensé? Et ça génère 9 000 contestations au BEM. C'est infime. Alors, quand on replace ça dans son contexte... Et, dans ce 9 000 là, on essaie de trouver – on est tous pour la vertu puis contre le vice – le système le plus vertueux. Il y en a un sur lequel les parties se sont entendues, à l'époque. On se dit: Nous, n'oublions pas qu'on doit décider de causes qui viennent devant nous à partir de lundi matin, et on n'a pas à être préjugés pour ou contre un système. Mais on se dit, à tout le moins, en toute honnêteté: Celui qui est proposé, ce n'est peut-être pas le système qui va bonifier la situation.

M. Beaudet: M. le Président, une dernière question.

Le Président (M. Beaulne): Bien, M. le député d'Argenteuil, malheureusement le temps est écoulé. Je pense que le porte-parole avait juste une petite question additionnelle. Allez-y, M. le député.

(11 h 10)

M. Gobé: Ce n'était pas une question. Quand vous parlez des procédures qui à la fin ne fonctionnent pas, 9 000 cas, il ne faut pas oublier que c'est peut-être les 9 000 cas les plus gros, les plus lourds. C'est pour ça qu'ils se ramassent là aussi puis que l'ensemble des autres dossiers se règlent rapidement parce que c'est des petits accidents et des petites réclamations. Je ne veux pas faire un débat là-dessus, juste vous remettre ça. C'est parce qu'il y a des chiffres que la semaine dernière la FTQ puis la CSN, je pense, nous ont sortis ensemble, à peu près les mêmes trucs. Alors, il faut faire attention de relativiser, pas de lancer des chiffres pour dire: Vous voyez, ça se règle bien, puis il y aurait juste un petit cas qui ne se règle pas. Mais c'est les gros cas, ceux qui font mal puis qui coûtent cher puis que, lui, il a intérêt à couper, des fois.

Mme Albernhe (Isabelle): Si justement les 9 000 cas plus lourds, avec la procédure qui est proposée, le BEM, ça entraîne des relations plus conflictuelles encore entre le médecin traitant et ces médecins-là, ça entraîne des délais additionnels de cinq à 10 jours parce que ça prend des allers et retours, ça entraîne une judiciarisation, bien, là, je pense qu'on n'est pas plus avancé. On vous fait le constat que ce qui est proposé ne vient pas améliorer le système actuel.

Le Président (M. Beaulne): M. le député de La Peltrie.

M. Côté: Merci, M. le Président. Deux petites questions. Justement, pour faire suite à ce que nos collègues de l'opposition viennent de toucher concernant le Bureau d'évaluation médicale, vous dites que présentement les modifications qui seraient apportées à la procédure ne permettront pas d'atteindre des objectifs puis qu'il serait préférable peut-être d'attendre les recommandations du Protecteur du citoyen. J'imagine que vous avez déjà réfléchi, que, vous vous êtes fait certainement une idée à l'effet de comment ça pourrait être, quelles seraient vos propositions. Est-ce que vous entendez revenir par la suite avec certaines propositions relativement au Bureau d'évaluation médicale?

Mme Albernhe (Isabelle): Oui, effectivement nous sommes prêts à revenir avec des suggestions. Mais, pour le moment, on dit: À tout prendre, le statu quo est meilleur que la proposition qui est faite là. Mais on veut contribuer au débat de façon constructive puis on va arriver avec des suggestions.

M. Côté: Alors, ma deuxième question. Vous soulignez aussi, à la page 4 de votre mémoire, qu'il y a absence de délai pour que la Commission rende une décision puis que vous estimez que la Commission devra agir avec diligence. Selon vous, quels seraient les délais qui pourraient être acceptables pour que la CLP rende sa décision?

M. Caron (Robert): Bien, de 30 à 60 jours.

M. Côté: De 30 à 60 jours?

M. Caron (Robert): Oui, c'est ce qui me paraîtrait acceptable.

M. Côté: Merci.

Le Président (M. Beaulne): Merci, M. le député de La Peltrie. Alors, nous vous remercions de votre participation à la commission.

Je suspends une minute pour permettre aux représentants de l'Association des conciliateurs et conciliatrices de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles de prendre place à la commission.

Une voix: Merci.

(Suspension de la séance à 11 h 13)

(Reprise à 11 h 17)

Le Président (M. Beaulne): Bon. Nous allons reprendre nos travaux. Alors, j'inviterais M. André Choquette, président de la CALP, à nous faire sa présentation. Comme pour le groupe précédent...

Des voix: ...

Le Président (M. Beaulne): Président de l'Association, excusez. Alors, nous entendrons votre présentation. Comme pour le groupe précédent, vous aurez un maximum de 20 minutes pour la présentation, et puis, par la suite, les deux groupes politiques pourront échanger avec vous. Alors, la parole est à vous.


Association des conciliateurs et conciliatrices de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles

M. Choquette (André): Merci, M. le Président. M. le ministre, mesdames, messieurs de la commission parlementaire, je suis accompagné de Mme Line Corriveau, conciliatrice à la Commission d'appel. Notre Association est heureuse de participer à la présente commission parlementaire afin de pouvoir éclairer le gouvernement à l'intérieur des limites qu'elle s'est elle-même imposées sur certains aspects du projet de loi n° 79. Je vais, pour ma part, vous faire un bref historique de notre Association, et Mme Line Corriveau vous exposera les modifications que nous aimerions voir apporter au projet de loi n° 79.

L'Association des conciliateurs de la CALP a été formée afin de regrouper les conciliateurs contractuels qui oeuvrent au service de la conciliation à la Commission d'appel. La majeure partie de nous y travaillons depuis sa création en 1990. C'est en effet en 1990 que le service de conciliation fut constitué afin d'offrir à la population québécoise un moyen simple, efficace et peu coûteux pour régler à l'amiable les nombreux litiges qui existent en matière de santé et sécurité au travail. Depuis lors, les efforts déployés par notre équipe ont permis de rendre accessible à toutes les régions du Québec un service de qualité qui est devenu un outil efficace faisant désormais partie de la culture patronale-syndicale.

Soulignons que, lors de la création de ce nouveau service, la Commission d'appel avait jugé approprié de recruter les conciliateurs parmi les gens qui provenaient du monde des relations de travail et qui possédaient une solide connaissance du domaine de la santé et sécurité. C'est donc ainsi que nous avons été choisis et c'est, entre autres, ces critères de sélection qui expliquent le succès que nous avons obtenu auprès de notre clientèle patronale-syndicale. Tel que nous l'avons préalablement mentionné, ce succès est confirmé par le rapport Mireault issu d'un comité formé dans le but de rechercher les meilleures façons de consolider le rôle de la conciliation à l'intérieur de la Commission d'appel. Et je vous référerai à la page 11 de notre mémoire relativement aux critères de sélection qui se prévalaient.

(11 h 20)

Les conciliateurs de la Commission d'appel ont été choisis en raison de critères rigoureux afin d'assurer le succès du processus. En effet, les candidats retenus devaient être détenteurs d'un Bac en relations industrielles ou en droit. Une expertise particulière pouvait toutefois pallier à l'absence d'un diplôme. Par contre, tous devaient posséder une expérience pertinente de 10 années dans le domaine des relations de travail et/ou en santé et sécurité au travail. Nous insistons sur la nécessité de maintenir des critères d'embauche rigoureux qui privilégient une expérience pertinente dans le domaine de la santé et sécurité du travail ainsi qu'une connaissance approfondie des milieux patronaux et syndicaux. Nous avons d'ailleurs remarqué la similarité des critères d'embauche des conciliateurs du ministère du Travail et de ceux de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles.

Nous tenons à rappeler que c'est nous, les artisans de première heure, qui avons fait de la conciliation en matière de santé et de sécurité au travail ce qu'elle est devenue aujourd'hui. En effet, nous osons croire que, si la conciliation à la Commission d'appel est appréciée de toutes les parties, ce n'est pas uniquement en raison de leur volonté de se soumettre au processus, mais également en raison de la confiance qu'elles nous manifestent et que nous avons su gagner au fil des années.

Nous sommes heureux de constater que nos efforts et notre travail acharné n'ont pas été vains, puisque la conciliation est maintenant reconnue par le projet de loi, faut-il le rappeler, que nous pratiquons depuis six ans au sein de la Commission d'appel sans qu'aucune législation formelle ne l'ait encadrée. Dans ce contexte, l'étude du projet de loi ne peut que nous laisser perplexes quant au sort que le législateur réserve aux conciliateurs de la Commission d'appel. Nous proposons donc des modifications à certaines dispositions du projet de loi de façon à préserver la qualité de la conciliation qui existe à l'heure actuelle à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles et à assurer le maintien de l'impartialité des conciliateurs.

La Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles, édictée en 1985, ignorait même le mot «conciliation». Seul l'article 421 de la LATMP pouvait permettre, bien qu'en termes vagues, la possibilité, pour la Commission d'appel, d'offrir aux parties l'aide d'un assesseur afin de faciliter une entente et d'éviter une audience. Ces assesseurs furent donc nommés selon l'article 380 de la LATMP, et je cite: «Le président peut, pour la bonne expédition des affaires de la Commission d'appel, nommer des assesseurs à vacation ou à titre temporaire et déterminer leurs honoraires. Ces assesseurs ne sont pas membres du personnel de la Commission d'appel.»

C'est donc à partir de cet encadrement juridique restreint que la Commission d'appel a constitué, en 1990, un service de conciliation. Ce service a été créé dans le but de diminuer le délai de traitement d'un dossier, puisqu'il pouvait s'écouler plus de trois années entre l'inscription en appel et la décision d'un commissaire. Outre le but recherché de diminuer les délais, soulignons que le service de conciliation a également été instauré afin de doter les parties de nouveaux outils leur permettant d'en arriver à régler elles-mêmes leurs litiges, et ce, à moindres coûts. Le président de la Commission d'appel a donc nommé des assesseurs sur une base contractuelle et leur a confié le mandat d'agir en qualité de conciliateur. Depuis, le service de conciliation a su développer sa crédibilité auprès des parties.

Auparavant, des différends en santé et sécurité du travail menaient trop souvent les parties à des débats judiciarisés entraînant des répercussions négatives sur les relations de travail. Avec l'aide des conciliateurs qui garantissent la confidentialité des discussions et qui proposent des solutions adaptées aux différents milieux, les parties ont appris peu à peu à s'en remettre à un nouveau mode de règlement efficace et économique et à opter pour la voie du dialogue. Aujourd'hui, une très grande partie des dossiers inscrits à la Commission d'appel se règlent en conciliation. Bien plus, les parties profitent de l'aide des conciliateurs afin de régler, par le biais d'ententes corollaires, des dossiers de relations de travail comme des griefs et des contestations découlant d'autres lois. Je vous invite à regarder le rapport Mireault à la page 12 à cet effet. Les résultats obtenus par le service de conciliation de la Commission d'appel ont même, par la suite, amené la Commission de la santé et de la sécurité du travail à mettre sur pied son propre service de conciliation, de même qu'un service de conciliation au niveau des bureaux de révision.

Bien sûr, pour les raisons que nous avons expliquées dans notre mémoire, nous croyons qu'il serait inapproprié pour notre groupe de prendre position sur les débats majeurs dont il est question dans ce projet de loi, entre autres le paritarisme de la nouvelle Commission – si nouvelle Commission il y a – le ministre qui devrait être responsable de cette nouvelle Commission et la structure entourant le processus d'évaluation médicale. Nous saisissons très bien les raisons qui ont amené la tenue de la présente commission parlementaire et nous partageons à la fois les inquiétudes et les interrogations de chacun de vous. Mais, comme nous vous l'avions annoncé, nous aimerions limiter nos commentaires aux dispositions du projet de loi qui concernent la conciliation, non pas que nous manquons d'idées sur les autres aspects du projet de loi, mais bien parce que nous désirons préserver notre image d'impartialité et de neutralité.

Je laisse maintenant le soin à Mme Corriveau de vous faire part des modifications que nous demandons au législateur.

Mme Corriveau (Line): M. le ministre, M. le Président, mesdames, messieurs, comme vous avez pu le constater à la lecture de notre mémoire, les demandes que nous avons formulées ne sont pas tellement nombreuses, mais elles n'en sont pas moins importantes. Je vous rappellerai donc – et je suis certaine que vous ne l'avez pas oublié – que les dispositions actuelles concernant la CALP relèvent actuellement du ministre de la Justice et que le projet de loi prévoit le transfert au ministre du Travail. Il n'est pas question pour nous de nous immiscer dans ce débat; vous avez pu vous rendre compte que d'autres s'en chargeaient. De toute façon, peu importe que nous relevions du ministre de la Justice ou du ministre du Travail, nous croyons que cela ne changerait pas vraiment notre situation.

Si le ministre responsable de la nouvelle Commission devait être le ministre du Travail, les conciliateurs de la nouvelle Commission seront désormais sous l'autorité du ministre du Travail, tout comme les autres conciliateurs déjà à l'emploi du ministère du Travail. En effet, vous n'ignorez pas qu'il y a plusieurs types de conciliateurs à ce ministère: on peut nommer les conciliateurs, les médiateurs et les médiateurs-arbitres du ministère du Travail et également les médiateurs du Conseil des services essentiels.

Il y a le troisième alinéa de l'article 1, paragraphe l, du Code du travail qui prévoit que les conciliateurs médiateurs qui sont nommés ne sont pas des salariés au sens du Code, et ce, en raison du caractère confidentiel de leur fonction. Donc, puisque c'est déjà reconnu par le législateur, nous croyons que toute appartenance syndicale irait à l'encontre du principe d'apparence d'impartialité qui est essentiel à l'exercice de notre fonction. Donc, partant des mêmes raisons qui ont justifié le législateur à reconnaître la particularité des fonctions des conciliateurs nommés spécifiquement au Code du travail, nous croyons que le statut des conciliateurs de la Commission des lésions professionnelles devrait être le même que celui des autres conciliateurs du ministère du Travail. D'ailleurs, le nouvel article 429.46 qui est proposé dans le projet de loi impose aux conciliateurs de la nouvelle Commission une obligation de confidentialité et reconnaît sa non-contraignabilité, et ce sont des règles identiques qui sont prévues à l'article 15 de la Loi sur le ministère du Travail et également à l'article 111.0.10.1 du Code du travail qui concerne les médiateurs du Conseil des services essentiels.

On pourrait penser et on pense qu'on a de bonnes raisons de penser que les conciliateurs de la Commission des lésions professionnelles seront automatiquement intégrés aux conciliateurs du ministère du Travail et qu'ils seront, par le fait même, exclus du régime syndical. Toutefois, étant donné que ce n'est pas spécifiquement mentionné, pour plus de clarté, nous proposons que le troisième paragraphe de l'article 1, paragraphe l, du Code du travail soit amendé en ce sens.

(11 h 30)

On a expliqué précédemment, par M. Choquette, que l'expérience du service de conciliation avait été une réussite à la Commission d'appel. Donc, le législateur propose de consacrer dans la loi le principe de la conciliation. C'est évident que nous nous réjouissons de ceci. Par contre, le nouvel article 423 qui est proposé par le projet de loi confère au président de la nouvelle Commission le pouvoir de nommer des conciliateurs, et 429.3 précise que les conciliateurs seront nommés et rémunérés suivant la Loi sur la fonction publique. Alors, je ne voudrais pas m'empêtrer dans les dispositions du projet de loi et de la loi actuelle, sauf que, en bout de ligne, nous, notre étude, c'est que, dans sa forme actuelle, l'article 429.3 a pour effet de mettre un terme à l'espoir des conciliateurs actuels de la Commission d'appel de se voir transférés à la nouvelle Commission des lésions professionnelles.

Donc, on croit qu'en agissant de la sorte le législateur priverait la Commission des lésions professionnelles, également la Commission de la santé et de la sécurité du travail de même que les parties de l'expérience qui est détenue par des conciliateurs qui ont su se faire connaître et accepter des employeurs, des associations de salariés et des travailleurs à travers le Québec. Donc, notre Association propose qu'une disposition transitoire soit ajoutée au projet de loi afin de prévoir le transfert des conciliateurs contractuels actuels de la Commission d'appel à la nouvelle Commission.

En dehors de cette question de transfert des conciliateurs, il y a évidemment d'autres petits articles qui nous posaient certains problèmes et qui concernent la conciliation. L'article 424 qui est proposé prévoit qu'on doit édicter un code de déontologie. Ce code-là existe déjà. Alors, en fait, ça ne nous cause pas vraiment un problème; on est d'accord avec ça, mais on fait simplement vous souligner, pour éviter un travail inutile, que le code existe déjà.

Un article qui nous cause peut-être un peu plus de difficultés, c'est l'article 416 qui prévoit que la Commission peut intervenir devant la Commission d'appel à tout moment jusqu'à la fin de l'enquête et de l'audition. Il est évident qu'il n'est pas question pour nous de limiter le rôle de la CSST à l'intérieur du processus de la conciliation. Nous avons de bons échanges et nous considérons qu'on doit maintenir ceci. Donc, on ne veut pas limiter le pouvoir d'intervention. Toutefois, on porte à votre attention que, en laissant l'article tel qu'il est, on permet à la CSST d'intervenir à tout moment, sauf qu'on crée parfois une situation difficile pour les parties qui désirent conclure une entente avant la fin de la date d'audition. Et les parties nous passent souvent le commentaire: Ce n'est pas souhaitable de laisser des parties régler entre elles leurs litiges et après de recommencer le processus avec la CSST. Il faudrait donc prévoir une disposition un peu différente. Nous, on en a mis une dans notre mémoire. Elle n'est peut-être pas parfaite, elle est là simplement à titre indicatif. Mais, en autant qu'on trouve une façon de formuler pour éviter cette situation-là, je pense que ce serait à l'avantage de tout le monde.

L'article 429.44 prévoit que tout accord intervenu entre les parties doit être signé par le conciliateur. Alors, comme on l'a dit précédemment, c'est évident qu'en conciliation on règle souvent plus que le litige de la Commission d'appel, et on fait souvent des ententes corollaires ou toutes sortes d'autres ententes qui n'ont pas à être entérinées par la Commission d'appel. Donc, on considère que le conciliateur ne devrait signer que l'accord qui doit être entériné par le commissaire afin d'éviter des situations problématiques dans le futur, si ça pouvait se présenter.

En terminant, j'aimerais souligner que, depuis le début de la commission, nous entendons parler de toutes sortes de choses qui ne tournent pas rond dans le système actuel. Notre mémoire à nous, vous avez dû l'aimer, car il vous a donné un certain répit. Il vous a démontré que, nous, les Québécois, nous étions capables de faire des choses intéressantes dans le système, tellement intéressantes d'ailleurs que des représentants d'une autre province canadienne sont même venus nous rencontrer afin de s'enquérir des raisons de notre succès et d'étudier notre façon de faire. En fait, je ne veux pas insister davantage sur l'efficacité du processus, puisque c'est déjà reconnu dans le projet de loi.

La seule chose à laquelle nous voulons vous sensibiliser, c'est l'importance d'assurer la continuité de ce processus. Pour une des rares fois, nous sommes face à une question qui fait l'unanimité. Si on se fie au rapport Mireault qui est annexé à notre mémoire, il ne faudrait quand même pas rater l'occasion d'en prendre acte. D'ailleurs, nous avons pris note des réponses du ministre Rioux autant à M. Dufour qu'à M. Caron précédemment, et ces réponses nous semblent très encourageantes. Nous osons espérer que la même logique s'appliquera pour nous. Merci.

Le Président (M. Beaulne): Merci. M. le ministre, vous avez la parole pour une période d'échanges.

M. Rioux: M. le Président, je vous avouerai que le groupe qui est devant nous, dans un certain sens, m'impressionne parce qu'il a fait une bonne partie de son discours autour de ce que j'appellerais «la déontologie et l'éthique professionnelle». C'est important, c'est très important.

Je veux vous confirmer aussi, vous comprendrez bien, que je suis d'abord et avant tout un gars de relations de travail et que je suis favorable à la conciliation. Ça serait un petit peu étonnant de voir une personne comme moi, autant par son passé que par son présent, défavorable à la conciliation, d'autant plus que, dans votre cas, il est peut-être important de dire aux gens – peut-être qu'il y a des gens qui ne le savent pas – que vous réglez à peu près 30 % de nos problèmes, ce qui n'est pas rien. Alors, je prends bonne note, et pour moi ça représente une façon... La conciliation, ça a toujours été, à mes yeux, une façon humaine de régler les choses, une façon harmonieuse de régler les choses, de concilier des parties afin d'en arriver à des ententes. Vous comprendrez bien qu'on n'ira pas évacuer une partie aussi précieuse de notre processus qui est incluse dans la loi et qui va y demeurer.

Je vous souligne aussi que, quant aux mesures transitoires, ça, j'en prends bonne note. Vous voulez un statut semblable à celui des conciliateurs du ministère du Travail; on va regarder ça un peu, parce que, voyez-vous, dans votre cas, vous n'êtes pas des permanents.

Mme Corriveau (Line): Non. On l'a dit.

M. Rioux: Vous avez un statut, je ne dirais pas précaire parce que je ne voudrais pas faire bondir du monde, mais vous n'avez pas un statut de travailleur permanent.

Mme Corriveau (Line): Pas du tout, pas du tout.

M. Rioux: Bon. Mais cependant je ne suis pas fermé à regarder ça avec les gens chez nous. Maintenant, je vous trouve quand même assez favorables au projet de loi. Même si vous n'avez pas brassé beaucoup de controverses, je vous trouve assez favorables au projet de loi puis j'ai l'impression que, si on réglait les dispositions transitoires, il y aurait une adhésion à peu près totale. Est-ce que je me trompe?

Mme Corriveau (Line): Est-ce qu'on peut répondre?

M. Rioux: Oui, oui, bien sûr.

Mme Corriveau (Line): Oui? On est favorables au projet de loi en ce qui concerne les dispositions sur la conciliation. En dehors de ces dispositions-là, je vous dirai qu'on n'émettra pas de commentaires. Vous ne pouvez pas déduire qu'on est favorables ou défavorables.

M. Rioux: Qui ne dit mot consent.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Corriveau (Line): Peut-être dans certains cas. Disons que je suis là pour vous dire que ce n'est pas ça que ça veut dire. Toutefois, peu importe la nature du projet de loi qui sortira de la commission parlementaire, nous, on va vivre avec et on va continuer à régler des dossiers quand même, que ce soit comme ça sera. Alors, c'est ça, notre position.

M. Rioux: C'est pour ça que j'évoquais toute la notion éthique, au tout début de mon petit topo. C'est que vous vous en êtes tenus à votre champ d'activité. Mais je prends bonne note de vos remarques, et puis très certainement on en tiendra compte, s'il devait y avoir une nouvelle rédaction du projet de loi.

M. Choquette (André): Je voudrais juste, M. le ministre, si vous permettez, amener une précision à l'élément que vous avez soulevé à l'effet que notre service de conciliation règle 30 % de vos problèmes. On voudrait qu'il soit bien compris que ce 30 % là, c'est l'ensemble des dossiers solutionnés à la Commission d'appel. On a un taux de réussite, dans notre service de conciliation, qui oscille entre 75 % et 85 %.

M. Rioux: On avait bien compris ça.

M. Choquette (André): Parfait. Merci.

M. Rioux: Ah, puis je vous remercie de votre prestation, je vous remercie d'être venus nous rencontrer, et puis ce qu'on espère, c'est d'essayer de répondre le plus possible à vos attentes. Mais on va regarder avec beaucoup de sérieux ce que vous nous avez exposé. Merci.

M. Choquette (André): Merci.

Le Président (M. Beaulne): M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Je vous remercie, M. le Président. Madame, monsieur. écoutez, j'ai été, quand j'ai pris connaissance de votre mémoire, assez impressionné quand même par le travail qui a été fait, car on se rend compte que les gens qui ont à produire des mémoires en commission parlementaire, avec le peu de temps qui est bien souvent disponible, font toujours en sorte d'avoir de la qualité puis de faire avancer les travaux de la commission.

Par contre, moi, il y a des points que j'aimerais peut-être que vous nous expliquiez. Puis vous ne voulez pas parler du projet de loi, alors je le regrette beaucoup. J'avais plusieurs questions à vous poser sur le projet de loi.

Mme Corriveau (Line): Oui, c'est dommage, on aurait aimé. Ha, ha, ha!

M. Gobé: C'est ça. Bah! on ne peut pas vous obliger non plus, parce que ça ne serait pas tellement élégant. Mais pourriez-vous peut-être nous donner des cas de causes, pourquoi vous les réglez, pourquoi vous arrivez en conciliation à régler certaines choses puis pourquoi vous n'arrivez pas à en régler d'autres? C'est quoi?

(11 h 40)

M. Choquette (André): Je devrais dire, dans un premier temps, qu'on est parvenu, au fil du temps, en bouleversant les mentalités, depuis 1990, à obtenir la confiance des parties, tant patronale que syndicale, et des organismes de défense des travailleurs accidentés, et l'intégrité de nos interventions, l'approche qu'on a, à l'intérieur de notre service, développée permettent d'obtenir cette confiance-là, et je vais même jusqu'à dire que, même à la Commission de la santé et de la sécurité, à la CSST, on obtient, depuis déjà quelques années, le même niveau de confiance. Dans une approche où on laisse les parties être en mesure d'exposer clairement leur différend, qui n'est pas toujours le motif qui génère l'appel, qui est souvent autre, on parvient à régler le vrai problème qui est exposé devant nous et, par incidence, on règle le motif de l'appel.

M. Gobé: Vous avez dit tout à l'heure, monsieur, que vous souhaiteriez que les gens qui vont être nommés, si j'ai bien compris, à la nouvelle Commission soient des gens qui ont un Bac en relations de travail. C'est ça?

M. Choquette (André): Non. On n'a pas dit qu'ils soient nécessairement...

M. Gobé: Ou en droit.

M. Choquette (André): ...avec un Bac en relations industrielles ou un Bac en droit, mais ceux qui sont là actuellement détiennent un Bac ou on une expérience de plus de 10 années en relations de travail, incluant ceux qui détiennent le Bac. Le conflit qu'on a souvent à solutionner fait appel à des connaissances de relations de travail, parce que la vérité qu'on a à nous exposer n'est pas toujours évidente, et le questionnement qu'on a à faire face aux représentants syndicaux et patronaux amène à une solution autre que le motif de l'appel ou règle le problème souvent de relations de travail qui nous permet de régler le motif de l'appel. Et d'ailleurs on a un exemple évident de ce phénomène-là: là où il y a des situations conflictuelles en relations de travail, il y a un nombre imposant de réclamations en accidents de travail.

Mme Corriveau (Line): Et de contestations.

M. Choquette (André): Et de contestations. C'est ce que je voulais dire. On peut...

M. Gobé: Mais c'est parce que...

M. Choquette (André): Oui, allez-y.

M. Gobé: ...moi, j'ai toujours eu comme impression – vous me reprendrez, si je me trompe... C'est qu'on parlait de lésions professionnelles, d'accidents de travail et non pas de relations de travail, et il me semble qu'il y a quand même là une marge assez grande à franchir. Moi, je pense que, lorsqu'on traite de cas de la CSST, on parle de travailleurs ou de travailleuses qui sont blessés, qui sont malades. En quoi le fait d'être diplômé en relations de travail concourt-il à améliorer la décision, à rendre une meilleure décision, en ce qui les concerne, sur la gravité de la lésion, sur la possibilité de retour au travail, sur la réhabilitation? Est-ce qu'on n'assiste pas là – on parle de maladies du travail – à une dérive où des spécialistes de relations de travail et de droit se sont accaparés ou se sont impliqués dans ce champ-là? Et peut-être que c'est...

Mme Corriveau (Line): Est-ce que je peux répondre?

M. Gobé: Oui, oui, je termine. C'est peut-être une des choses qui créent peut-être problème. C'est qu'on a une approche peut-être trop légaliste des relations de travail et non pas assez médicale et humaine.

Mme Corriveau (Line): Bon. Je vous dirai que chaque cas qui...

M. Gobé: Je vous questionne, hein, je ne mets pas en doute votre...

Mme Corriveau (Line): Oui, oui. C'est ça. C'est intéressant. Chaque cas qui se présente devant nous, évidemment c'est un cas d'espèce. Il y a beaucoup de dossiers qui se règlent uniquement sur la base des expertises médicales qui sont au dossier, et il n'est pas du tout question de relations de travail. C'est sûr qu'il y en a, des dossiers comme ça, mais il ne faut pas penser que ce n'est que des dossiers comme ça. C'est ce qu'on dit. C'est qu'il y a des deux. On se retrouve souvent avec des dossiers qui se trouvent là justement à cause d'un conflit de travail ou à cause de ce qui s'est passé à un moment précis entre un employeur et son employé, et ça, nous, le sachant, on ne peut pas se fermer les yeux là-dessus. Évidemment qu'on a une approche différente quand on le réalise, à force de poser des questions, parce qu'on va au fond des choses quand on rencontre les gens, et, quand on soupçonne et qu'on a de bonnes raisons de soupçonner que le véritable litige, ce n'est pas le dossier qu'on a devant nous et qu'il y avait autre chose, c'est à ce moment-là que les relations de travail évidemment entrent en jeu.

M. Choquette (André): Je peux vous citer un exemple très facile, puis on va parler de la région de Québec. Prenons les chauffeurs d'autobus, O.K.? Il y avait une multiplicité de problèmes dorsaux relativement aux chauffeurs d'autobus. Conjointement avec la Commission et le service d'inspection, on a commencé progressivement à changer les sièges puis à mettre des sièges ergonomiques qui pouvaient solutionner, à tout le moins diminuer les réclamations. Le problème qu'on a réussi à faire régler, c'est d'activer finalement l'achat de ces coûteux sièges là pour permettre à toutes fins pratiques une diminution presque au niveau zéro des réclamations surabondantes qu'il y avait au niveau dorsal. C'est un des exemples. Il faut aller plus loin que juste l'accidenté du travail et regarder l'ensemble de l'aspect qui génère cet accident de travail là. C'est ce qu'on fait, nous.

M. Gobé: Comment vous êtes payés, vous? Comment êtes-vous rétribués?

M. Choquette (André): Sur une base d'honoraires annuels.

M. Gobé: C'est-à-dire?

M. Choquette (André): Bien, je ne sais pas si c'est la place pour...

M. Gobé: Non, mais le principe. Je ne vous demande pas l'argent.

M. Choquette (André): Non, non. Sur une base annuelle.

Mme Corriveau (Line): Non, bien, c'est un salaire annuel. On n'est pas payés au dossier qu'on ferme, si c'est la question que...

M. Choquette (André): Oui, oui, on est à salaire annuel. Oui, oui.

M. Gobé: Ah, à salaire, oui.

M. Choquette (André): C'est des honoraires annuels qu'on nous verse. On gagne moins cher qu'un député.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Gobé: Si vous pouvez le dire, c'est parce que, nous, c'est public.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Gobé: Je vous remercie.

M. Choquette (André): Merci.

M. Gobé: Peut-être que mon collègue...

Le Président (M. Beaulne): M. le député d'Argenteuil.

M. Beaudet: Oui. Je reviens un peu au problème que vous venez de soulever. Vous, vous dites que les conflits de travail ou les problèmes de relations de travail finissent par vous amener plusieurs cas. Je suis conscient de ça. Mais est-ce que, là, on ne s'adresse pas à la mauvaise Commission?

M. Choquette (André): Et pourtant on règle et les problèmes d'accidents de travail et les litiges de discussions qui pouvaient exister avec les deux. Moi, je pense qu'il faut parler des choses là où elles se présentent, et elles se présentent à notre table; c'est à notre table qu'on doit les régler.

Mme Corriveau (Line): Vous en avez deux pour le prix d'un.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Beaudet: Vous êtes très généreuse. Est-ce qu'on double votre salaire?

Mme Corriveau (Line): Non, non, non. Ha, ha, ha!

M. Beaudet: Non, mais ce à quoi je veux en venir, c'est: si le problème... Exemple, vous parliez des sièges des conducteurs d'autobus. Bien, c'est un problème de relations de travail. Je pense qu'ils ont à négocier avec leur employeur pour avoir des sièges qui soient convenables pour eux. Ce n'est pas à la CSST à régler ce problème-là. Je vois monsieur qui fait des signes que oui, ce n'est pas à la CSST à le régler. Quand l'individu ou le travailleur accidenté arrive chez lui avec ce problème de dos, ce n'est pas à la CSST à régler ce problème-là. Il sera réglé dans la convention ou dans la négociation entre les employés et l'employeur. Là, on déplace le problème dans une autre commission.

M. Choquette (André): On ne déplace pas le problème, on solutionne le problème. Lorsqu'on a une série de problèmes identiques, à toutes fins proches, sauf sur les sièges de lésions, qu'on est en mesure d'en discuter et que chacune des deux parties convient effectivement que c'est le siège en question, avec les cahots pour certaines années où les nids-de-poule sont aussi grands à Québec qu'à Montréal, qu'on doit...

M. Beaudet: Peut-être moins.

M. Choquette (André): Pardon?

M. Beaudet: Il y en a peut-être moins.

M. Choquette (André): Vous êtes une belle ville, maintenant. Ha, ha, ha!

M. Beaudet: Actuellement, en tout cas.

M. Choquette (André): Et que finalement la conclusion dont on convient, c'est qu'il faut arriver à modifier le plus rapidement possible l'achat de ces sièges-là, moi, je pense que ça nous concerne. Ça fait partie aussi de la CSST au niveau préventif. C'est là que le service de prévention doit intervenir.

M. Beaudet: O.K.

Mme Corriveau (Line): D'ailleurs, si je peux me permettre, peut-être que vous n'êtes pas assez familier avec le processus de prévention, mais, moi, j'ai réglé des dossiers d'inspection qui se sont présentés uniquement sur cet aspect-là. Ce n'était pas un dossier qui arrivait via un travailleur qui avait subi une lésion, mais les travailleurs avaient téléphoné à un inspecteur de la CSST qui s'était présenté, et il avait émis un avis de correction en demandant une certaine modification dans l'entreprise. Et le litige, il était là légalement devant nous. Alors, on règle ça aussi. On ne règle pas que les dossiers de la loi sur les accidents de travail, on est aussi nommés pour régler des dossiers de la Loi sur la santé et la sécurité du travail.

M. Beaudet: J'ai bien apprécié. Merci.

Le Président (M. Beaulne): Merci, M. le député. Alors, M. Choquette, Mme Corriveau, la commission vous remercie.

M. Choquette (André): Juste en terminant, M. le Président, si vous me permettez, j'aimerais profiter de cette tribune-là pour, dans un premier temps, rendre hommage à M. Georges Lalande qui a été le président de la Commission d'appel de 1990 à 1992 et qui a été l'initiateur de l'implantation du service de conciliation qu'il appelait lui-même «la nouvelle justice douce». Alors, je profite de l'occasion, et je tiens à vous remercier de nous avoir écoutés aussi attentivement. Merci.

Le Président (M. Beaulne): La commission vous remercie.

Mme Corriveau (Line): Merci.

(11 h 50)

Le Président (M. Beaulne): Et j'inviterais, par la suite, Me Anne M. Moreau à prendre place à la table de la commission.

(Consultation)

Le Président (M. Beaulne): Alors, nous allons reprendre nos audiences. Me Anne Moreau, vous avez une demi-heure pour échanger avec la commission, pour une présentation maximale de 10 minutes, et, par la suite, chaque formation politique pourra utiliser son temps de parole de 10 minutes. Alors, vous avez la parole.


Mme Anne M. Moreau

Mme Moreau (Anne M.): Merci, M. le Président. M. le ministre, messieurs et mesdames, membres de la commission parlementaire, je vous remercie d'abord de votre invitation pour être en mesure de vous présenter un mémoire à votre commission parlementaire.

J'ai une double formation. Je suis d'abord infirmière et j'ai pratiqué comme infirmière pendant une dizaine d'années. Par la suite, j'ai fait mon cours de droit à l'Université McGill et je suis présentement représentante des employeurs dans les secteurs suivants: dans les mines, dans le secteur pharmaceutique, dans l'alimentation, dans le commerce du bois, dans les télécommunications, dans le vêtement. Alors, voilà. Je représente des entreprises, des employeurs à travers la province de Québec et je travaille plus précisément dans le domaine de la santé et sécurité du travail depuis une quinzaine d'années.

Dans un premier temps, il ne faut pas oublier qu'il y a trop d'argent en jeu en matière de CSST pour penser qu'on ne consultera pas un avocat, un représentant syndical ou un consultant, tant du côté de l'employé que du côté de l'employeur. Nous soumettons que le nouveau mécanisme de consultation et de concertation pose d'abord des problèmes pour l'employé, qui se trouve maintenant, selon les dispositions de la nouvelle loi, dans un contexte que j'ai appelé dans mon mémoire, que j'ai désigné comme dans un contexte de yoyo, où il doit se promener de médecin en médecin, tant du côté de l'employeur que du côté de son médecin traitant.

Nous soumettons que le rôle principal d'un médecin est de soigner et d'alléger la souffrance. Comme infirmière pendant de longues années, j'ai été témoin de ce rôle, et le projet de loi, pour nous, annonce un principe de négociation et de concertation qui n'a rien à voir avec la pratique de la médecine, surtout dans un contexte de virage ambulatoire. Si vous regardez le contexte qu'on vit actuellement à Montréal au niveau de la médecine et que vous ajoutez un autre fardeau administratif à ces médecins traitants, nous vous soulignons qu'il y aura certainement des problèmes très sérieux qui viendront dans un délai très rapide.

Au niveau du code de déontologie des médecins, nous vous rappelons qu'il y a déjà une loi à ce sujet et qu'à l'article 2.03.18 il est indiqué que le médecin doit élaborer son diagnostic avec la plus grande attention, en utilisant les méthodes scientifiques les plus appropriées et, si nécessaire, en recourant aux conseils les plus éclairés. Nous soumettons, M. le ministre, que votre nouveau projet de loi vient remettre en question cette idée qui est très fondamentale. Le médecin traitant actuellement pose son diagnostic et, s'il n'est pas sûr, il consulte un spécialiste, mais il lui revient de poser le meilleur diagnostic qu'il peut dans la situation qu'il voit.

Le projet de loi prévoit une tout autre situation où soit l'expert désigné par la CSST ou l'expert désigné par l'employeur propose un autre diagnostic, un autre élément, et, au lieu de confier ce litige à un tiers objectif, on retourne au médecin traitant une autre fois pour lui demander de changer son opinion. Ça, comme infirmière et membre de l'Ordre des infirmières, j'ai beaucoup de difficultés à l'accepter. L'employé, du point de vue de l'employé, il se trouve dans une situation où son médecin devient négociateur, alors que le rôle de son médecin était de le soigner et de le retourner au travail rapidement.

Au niveau légal, au niveau du projet de loi – et là je vais juste prendre quelques éléments, parce que ce point médical, je pense, est très important, très fondamental, et vous pourrez me poser des questions par la suite – nous avons noté que le projet de loi abolit les bureaux de révision paritaire et qu'une des fréquentes critiques au sujet de ce tribunal était que le président du tribunal était un employé de la CSST. Notre soumission est que le nouveau projet de loi ne corrige pas du tout cette situation et que les tribunaux supérieurs nous enseignent actuellement qu'il doit y avoir une sorte de cloisonnement entre celui qui fait la reconsidération administrative et l'agence gouvernementale qui a décidé en première instance.

(12 heures)

Ce que le mémoire propose, c'est qu'il y ait, bien sûr, une reconsidération, parce que tout le monde peut faire des erreurs, puis il y a des erreurs techniques qui peuvent très bien se corriger, mais que celui qui fait la reconsidération doive être à l'extérieur de la CSST comme les conciliateurs de la CALP le sont actuellement. Et, selon nous, le projet de loi n'est pas clair au niveau des délais pour les représentations à faire. Votre projet de loi, à l'article 358.3, propose de donner aux parties l'occasion de présenter leurs observations à la personne chargée de faire la reconsidération administrative, mais il n'y a pas de délais prévus, M. le ministre.

Nous suggérons, après toutes les années de pratique qu'on a, que ce travail peut très bien se faire par écrit, que chaque partie peut avoir 30 jours pour présenter tout ce qu'elle veut comme preuves à celui qui fait la reconsidération, soit les photographies, les vidéos, les arguments qu'elle a. Tout ça peut se faire par écrit, nous le soumettons respectueusement. Mais la personne qui fait la reconsidération, selon nous et selon ce nouveau principe de cloisonnement que les tribunaux supérieurs enseignent, doit être à l'extérieur de la CSST pour avoir l'image d'une personne neutre. C'était le reproche qu'on faisait aux présidents des BRP avant et c'est quelque chose que nous vous invitons à corriger dans le projet de loi.

Au niveau de la Commission des lésions professionnelles, la nouvelle Commission, moi, j'ai indiqué dans le mémoire qu'au Québec actuellement vous avez quatre tribunaux qui traitent des questions de relations de travail. Quatre tribunaux, M. le ministre, c'est quand même important. Vous avez le Commissaire du travail, le Tribunal du travail, l'arbitre du grief selon la Loi sur les normes du travail, qui est une loi d'ordre public, et, enfin, le Tribunal des droits de la personne. Quatre tribunaux, M. le ministre.

Ce que, nous, nous regrettons beaucoup, c'est que la spécialisation du tribunal de dernière instance ne soit plus présente lorsque la décision de votre nouveau tribunal sera prise, et je m'explique. C'est que l'agent d'indemnisation d'abord décide sur une question médicale, de nature médicale. Qu'est-ce qu'il fait quand il rend sa décision? Normalement, il consulte un bureau médical interne à la CSST. Or, il y a un volet médical très important dans la décision que l'agent doit rendre. Alors, lorsque nous arrivons en dernière instance devant le tribunal d'appel, nous constatons qu'on a seulement un consultant assesseur qui peut venir éclairer le tribunal sur les questions médicales. Or, sur le plan pratique du praticien qui se présente devant un tribunal, il est devant quatre personnes dont un consultant qui doit déchiffrer tout l'aspect médical du dossier et faire ce qu'on appelle en anglais le «coaching» qui doit se faire dans le dossier. Nous soumettons respectueusement que ce n'est pas là, M. le ministre, le rôle d'un tribunal de dernière instance qui est spécialisé en une matière. Vous avez déjà quatre tribunaux qui sont spécialisés en matière de relations de travail, mais l'aspect médical est primordial quand nous regardons les décisions et surtout les sommes monétaires qui sont en litige.

Nous avons fait des recommandations à la dernière page de notre mémoire et nous terminons avec ceci: premièrement, qu'une étude actuarielle soit faite par un organisme à l'extérieur de la CSST afin de déterminer les véritables coûts directs et indirects de cette réforme. S'il existe déjà une telle étude, elle devrait être rendue publique. On l'ignore, M. le ministre, s'il existe déjà une étude actuarielle sur la réforme tant du nouveau tribunal administratif, la Commission des lésions professionnelles que des autres. Quels sont les coûts qui seront engendrés par cette réforme?

Deuxièmement, nous demandons que le texte des articles 204, 205, 212 et 358 soit révisé au complet et surtout rédigé de façon plus accessible pour les administrés. Les textes sont des textes qui sont d'ordre public, et nous soumettons qu'ils sont très longs, et peut-être qu'il y a lieu de réviser au moins le contenu de la rédaction, la façon dont c'est présenté. Ils devront être étudiés également à la lumière du Code de déontologie des médecins pour être sûr qu'on ne multipliera pas les litiges avec ce projet de loi.

Nous sommes d'accord que le succès de la conciliation à l'intérieur de la Commission d'appel actuellement et dans les autres litiges des tribunaux administratifs à l'extérieur du Québec également nous incite à recommander que le législateur oblige un représentant de la CSST à participer à ce processus afin de résoudre et d'éviter les litiges. Et, M. le ministre, ça nous inquiète que l'article 429.42 n'oblige pas le représentant de la CSST à assister à la séance de conciliation. On a perdu énormément de temps à se parler entre employeurs et syndicats, et d'arriver à la table à la dernière minute où la CSST bloque l'entente, on aimerait bien qu'il soit là au début de la conciliation.

Finalement, que les assesseurs médicaux du tribunal de dernière instance aient un pouvoir décisionnel et non de simple consultant, comme c'est déjà le cas au tribunal d'appel de la Commission des affaires sociales. Nous vous soumettons que quatre personnes qui décident une cause, c'est beaucoup plus cher que deux personnes qui décident. Mais, comme représentants des employeurs, nous n'allons jamais aimer les litiges où on souffle à l'oreille de l'autre personne pour faire l'entraînement qui doit se faire. On aimerait mieux que les deux personnes devant qui on plaide aient un pouvoir décisionnel.

Et, finalement, que la procédure de reconsidération envisagée soit faite à l'extérieur de la CSST, que les règles de procédure soient simples et précisées dans la législation et que les délais légaux y soient mentionnés pour accélérer le traitement du dossier. Je vous remercie et je suis très disponible pour répondre à vos questions.

Le Président (M. Beaulne): Merci, Me Moreau. Alors, M. le ministre, vous avez la parole.

M. Rioux: J'aimerais clarifier une chose, Mme Moreau, dès le départ: moi, je suis content que vous soyez là et que vous nous fassiez part de votre point de vue.

Je pense qu'il y a une méprise quelque part dans votre discours. On ne veut pas négocier le diagnostic médical, Mme Moreau, ce n'est pas ça dont il est question; on veut plutôt permettre au médecin traitant d'ajouter des informations en ayant recours aux services d'un professionnel spécialiste. C'est ça qu'on veut faire, et ça nous empêche, à mon avis, de laisser le travailleur en situation de dépendance vis-à-vis du médecin de l'employeur. Hein, on l'a dit tout à l'heure, il y a des gens qui sont venus ici devant nous, et ils ont dit: Il y a un déséquilibre d'informations qui est important. Il y en a un qui arrive avec une petite fiche longue comme ça et large comme ça, l'autre arrive avec un document étoffé, bon, etc. Ce qu'on craint, nous, c'est qu'il y ait une disparité de chances, il n'y ait pas de parité de chances entre le travailleur et la machine de l'employeur.

Ça m'étonne d'autant plus, votre prise de position, que les employeurs du Québec qui sont venus devant nous ne pensent pas comme vous, mais pas du tout. Je vous dis que le CPQ, l'Association des manufacturiers du Québec, même la FTQ sont venus nous dire que ça, ça se défendait très bien et que c'était une façon équitable de traiter le dossier médical avant qu'il entre dans le processus de contestation. Ça, c'est ma première remarque. Je ne voudrais pas qu'il y ait de méprise là-dessus.

Vous êtes contre le paritarisme. Vous avez passé très vite là-dessus.

Mme Moreau (Anne M.): Au tribunal de dernière instance, je suis contre le paritarisme, M. le ministre.

M. Rioux: Oui. Vous avez passé très vite là-dessus. Je voudrais vous rappeler qu'il y a des provinces du Canada qui s'inspirent du paritarisme, qu'il y a des pays européens qui s'inspirent du paritarisme dans le règlement de telles questions, et j'aimerais ça que vous développiez un peu plus, parce que vous avez passé un peu trop rapidement à mon goût là-dessus, puis je voudrais vous entendre.

Mme Moreau (Anne M.): Je peux commencer, oui?

M. Rioux: Yes.

Mme Moreau (Anne M.): Merci. Premièrement, ce n'est pas un petit bout de papier que le médecin remplit, actuellement. Il doit remplir l'attestation médicale, mais aussi les formulaires de travaux légers, les rapports finals et les rapports d'évaluation médicale. Donc, il y a déjà une paperasse qui lui est confiée au départ pour ce qui concerne l'employé accidenté.

(12 h 10)

Dans un deuxième temps, même si vous parlez d'opinion médicale complémentaire, M. le ministre, ou qui ajoute, ce n'est pas ça que votre loi dit, actuellement. Votre loi parle précisément de diagnostic, de date de consolidation et de durée de traitement. Alors, si le médecin traitant est amené à changer son opinion sur un de ces trois points-là, l'employé qui regarde le processus vient de se retrouver dans toute une nouvelle situation vis-à-vis de son médecin traitant, et ceci a un impact direct sur les prestations qu'il reçoit de la CSST. Alors, notre réponse est celle-ci: C'est que le texte de loi, tel qu'il est rédigé, ne parle pas d'avis tout simplement complémentaire mais parle bien du fait que, s'il a changé son diagnostic après avoir eu l'expertise, il le fraude.

M. Rioux: Mais, Mme Moreau, on n'enlève pas la liberté professionnelle du médecin traitant. Il en tient compte ou il n'en tient pas compte. Ce qu'on veut, nous, c'est qu'il ait plus d'informations sur le cas qui est devant nous, c'est-à-dire le travailleur qui est accidenté.

Mme Moreau (Anne M.): Mon inquiétude, M. le ministre, c'est la paperasse. C'est ça que je vous dis et c'est ça, mon inquiétude.

M. Rioux: O.K.

Mme Moreau (Anne M.): Dans un deuxième temps, vous avez parlé, je crois, du paritarisme. J'ai participé à des comités de santé et sécurité. Je suis entièrement pour le paritarisme au niveau du comité de santé et sécurité. Également, le conseil d'administration de la CSST est paritaire. Moi, je n'ai rien contre. Je n'assiste pas aux délibérés du conseil d'administration de la CSST. Ce conseil est déjà paritaire.

Mais, troisièmement, au niveau des tribunaux, par contre, en 10 ans de pratique, je n'ai jamais vu un représentant syndical devant le bureau de révision paritaire changer son point de vue pour essayer de défendre l'opinion du représentant de l'employeur. Ce n'est pas ça. Les dissidences qui sont rédigées, c'est les dissidences de la partie syndicale, et ça, vous allez le reproduire devant un tribunal de dernière instance que je trouve très dangereux au niveau de l'influence institutionnelle que ces gens-là peuvent avoir.

Troisièmement, au niveau de la question des autres provinces – parce que je suis native de l'Alberta et que je connais bien ce qui est arrivé au niveau de cette réforme – je vous souligne que ces gens-là des tribunaux des autres provinces sont nommés par le «lieutenant governor in council». Ce n'est pas la même chose que d'être nommé par le ministre du Travail. Et, avec tout le respect que j'ai, la loi actuelle prévoit que les gens qui sont membres du tribunal de dernière instance doivent être nommés par le ministre de la Justice, et c'est le cas actuel, c'est le cas que vous avez actuellement. Et, au niveau des autres provinces, je vous soulignerai qu'ils sont dans des positions déficitaires très graves aussi. Quand on les souligne comme exemple, je peux vous donner la Colombie-Britannique, où ils ont également des gros déficits qui sont le résultat de beaucoup de problèmes au niveau administration. Alors, les citer comme exemple au niveau paritaire, c'est non.

Au Québec, vous avez déjà la Commission des affaires sociales qui est un tribunal où un médecin siège, un avocat siège, et nous soumettons que, aux yeux des justiciables – en tout cas, c'est notre point de vue là-dessus – il y a un tribunal qu'on peut respecter avec beaucoup d'aisance.

M. Rioux: Il y a une chose qui m'a aussi étonné dans votre discours, tout à l'heure: c'est l'élimination du bureau de révision. Vous vous étonnez des coûts, vous vous inquiétez des coûts. C'est une économie de 35 000 000 $. Alors, les gens avec qui vous travaillez, ça va certainement leur faire plaisir, les employeurs. N'oubliez pas qu'il y a une réduction des délais qui est considérable. Ça va favoriser le maintien du droit de retour au travail – je pense que ce n'est pas rien dans tout le débat qui nous intéresse – puis on réduit ça, là, on réduit ça parce qu'il y a une chose qui est bien importante: selon le nombre d'employés, ça peut prendre un an ou deux ans pour compromettre le retour au travail du travailleur. Alors, je suis donc surpris de votre prise de position, d'autant plus que vous travaillez avec des employeurs.

Quant à la Colombie-Britannique puis à l'Alberta, elles sont en surplus. Les chiffres sont éloquents, ici, j'ai tout ça: 82 000 000 $ en surplus en Colombie-Britannique et, en Alberta, 331 000 000 $. Ça, c'est pour l'année courante. Alors, on n'est pas dans l'aberration totale, là. Moi, je comprends que vous ayez des intérêts à défendre, mais, si je vous écoutais, on jetterait le bébé avec l'eau du bain.

Mme Moreau (Anne M.): Je pense qu'on mêle les choses un peu, M. le ministre, avec respect. Vous, vous parlez du déficit; on parle d'un tribunal actuellement, et je n'ai pas vu d'étude actuarielle sur le nouveau tribunal que vous désirez faire. Et deux personnes qui siègent en appel sont moins coûteuses que quatre personnes qui siègent en appel, et les séances sont beaucoup moins longues, les délibérés sont moins longs, et on n'a pas le consensus recherché après, alors je pense que c'est ça.

Mais je pense que la question des autres provinces doit être examinée à fond parce qu'il y a une distinction entre un budget pour un tribunal administratif, d'après moi, et un budget d'un «workers' compensation board» au complet, et je pense que les budgets, les chiffres ne sont pas là, actuellement. Je suis désolée, mais j'aimerais bien ça les voir.

M. Rioux: Les actuaires qui ont travaillé là-dessus nous ont fait une évaluation qui avait une économie de 35 000 000 $. Les employeurs ont dit que c'était une évaluation absolument réaliste. Il y a même des syndicats qui sont venus nous dire: Oui, c'est une excellente chose. Alors, on n'est pas en mauvaise compagnie. Et j'en profite pour vous remercier de votre participation. Ça nous a fait plaisir de vous entendre.

Le Président (M. Beaulne): M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Oui, M. le Président, très rapidement parce que mon collègue veut poser des questions. Tout d'abord, madame, je tiens à vous souhaiter la bienvenue à cette commission et je veux vous féliciter pour votre travail. On n'a pas à qualifier si vous êtes là pour des employeurs ou pour des travailleurs; vous êtes là et vous avez fait un rapport. Je déplore un peu que le ministre ait tenté de vous inférioriser un peu, de vous tasser en laissant entendre que vous représentiez plus un bord. Moi, je trouve que chaque citoyen qui vient ici, devant cette commission, doit être entendu au mérite de ce qu'il dit et de ce qu'il écrit, et on n'est pas obligé d'en tenir compte dans la rédaction du projet de loi, si ça ne fait pas notre affaire. Mais au moins la moindre des politesses, vu qu'il y a une annonce qui a été mise dans le journal pour inviter les citoyens à se présenter ici, et pour le respect de l'institut parlementaire et des députés, c'est de prendre ce qu'ils nous disent comme des choses positives pour le projet de loi et non pas de chercher à discréditer les messagers ou les gens qui le portent.

M. Rioux: Allez-y donc de propos intelligents.

M. Beaudet: M. le ministre, on vous a laissé parler.

Le Président (M. Beaulne): Allez-y, M. le député.

M. Gobé: J'aimerais juste mentionner un point en terminant, puis mon collègue a des questions sur l'évaluation médicale, probablement. Lorsqu'on parle de l'économie de 35 000 000 $, les actuaires du gouvernement... Ça a été fait, ça, et ça a été mentionné par plusieurs intervenants la semaine dernière, à une époque où les délais étaient de deux ans ou trois ans, alors qu'aujourd'hui ils sont de sept, huit, neuf mois ou un an, 18 mois maximum. Ça veut dire que les chiffres que le ministre nous donne, c'est des chiffres d'il y a quelques années, qui ne correspondent pas forcément à la réalité. Ça fait que ça aussi, il faudrait peut-être s'actualiser et puis donner l'heure juste. «C'est-u» 35 000 000 $ d'aujourd'hui ou 35 000 000 $ d'il y a deux ans ou d'il y a trois ans? Ça, j'aimerais ça le savoir, moi, puis je pense que votre questionnement, Mme Moreau, va dans ce sens-là, puis vous êtes en droit de le savoir. Mais je n'ai pas de question à vous poser, moi, là-dessus.

Je tiens à vous remercier, à vous féliciter. On tiendra compte de ce qu'on a vu là-dedans comme dans d'autres mémoires. Mon collègue le député d'Argenteuil, qui est médecin, a des questions à vous poser plus particulièrement de ce côté-là.

Le Président (M. Beaulne): M. le député d'Argenteuil.

M. Beaudet: Merci, M. le Président. Bien, je veux juste mentionner d'entrée que vous n'êtes pas seule à vous questionner sur le paritarisme. Évidemment, le ministre a parlé de divers syndicats, de la FTQ qui était favorable, mais il n'a pas parlé de la CSN qui était défavorable. Alors, vous n'êtes pas seule, il y a des gens qui vous accompagnent dans ce sens-là. Et, comme d'ailleurs les gens de la CSN l'avaient si bien mentionné lors de leur intervention, ils avaient mentionné que les gènes nous suivent. Alors, vous êtes capable de comprendre très bien le langage génétique et vous en avez fait mention lorsque... C'est très rare qu'on va voir dans le paritarisme un membre du syndicat opter pour le patron, probablement aussi rare de l'autre bord aussi qu'on va opter pour le syndicat. Mais, de toute façon, ce n'est pas là que va être mon point.

Vous mentionnez, dans une de vos recommandations, vos suggestions, à la quatrième: que les assesseurs médicaux du tribunal de dernière instance aient un pouvoir décisionnel. Vous allez m'expliquer un petit peu ce que vous voulez faire. Quel rôle vous voulez faire jouer au médecin alors que son rôle, le rôle du médecin, en autant que je puisse comprendre, c'est un rôle de diagnostic, d'évaluation du problème qui lui est présenté par le travailleur accidenté et d'en faire état? Et il n'a plus à décider du restant, ça ne relève plus de sa compétence. Sa compétence, c'est de dire: Cet individu-là, il a eu telle lésion, ça apporte tel pourcentage d'incapacité ou d'invalidité, puis voici mon avis. C'est tout. Maintenant, les autres assesseurs qui ont le rôle décisionnel, c'est à eux à le prendre. Parce que, si on prend le médecin et si on lui fait jouer un rôle de décideur, bien, là, il devient juge et partie. C'est lui qui évalue, donne le pourcentage d'incapacité, puis en même temps il décide. Et ça, ça me pose un problème, là. Si vous pouvez m'éclaircir un peu votre position.

(12 h 20)

Mme Moreau (Anne M.) Oui. Docteur, on parle d'un tribunal d'appel spécialisé de dernière instance. C'est quoi, l'objet de la spécialisation? Ici, c'est une question qui concerne une lésion corporelle ou une question qui, selon nous, est une question médicale d'abord. Celui qui décide, selon nous, doit avoir la capacité de bien évaluer toute la preuve qui est devant lui. Et ce n'est pas un diagnostic, docteur, c'est tout un dossier qui est souvent épais de même, avec les dossiers hospitaliers, avec les divers rapports d'expertise de part et d'autre.

Nous, ce qu'on suggère dans le mémoire, c'est que la personne qui est décideur, qui est actuellement commissaire, se retrouve dans l'obligation de se faire assister par un assesseur. Alors, on plaide nos causes devant deux personnes. Pour nous, le justiciable, on n'aimerait pas juste avoir une personne qui décide la cause, on aimerait bien avoir les deux. Pas un qui est là comme conseiller pour chuchoter les réponses et expliquer la preuve médicale, on aimerait avoir ou retourner à ce qu'on a déjà à la Commission des affaires sociales, où les médecins décident des questions qui sont devant eux. On ne présente pas juste la preuve d'un diagnostic, on présente la preuve de tout un dossier médical, avec toute la preuve qui est là, et notre opinion, c'est que le médecin n'est pas juste là comme assesseur conseiller, il peut être décideur, parce que c'est un tribunal spécialisé. C'était le point de vue qu'on avançait.

M. Beaudet: Je comprends votre point où, à ce moment-là, le médecin n'a rien à faire avec le patient ou le travailleur qui est accidenté. Il ne fait que prendre la preuve qui lui a été déposée, l'évaluer à sa juste valeur et se prononcer.

Mme Moreau (Anne M.): C'est exact. Et d'ailleurs c'est toujours le cas, parce que sinon il y aurait conflit d'intérêts, et le médecin qui décide ne peut pas décider.

M. Beaudet: Je suis d'accord avec vous là-dessus.

Maintenant, lorsqu'on parle dans le projet de loi qu'on veut donner beaucoup, beaucoup d'importance au médecin traitant, il est évident que vous avez soulevé l'importance de la paperasse qui va devoir se promener de l'un à l'autre, et les délais qui vont être encourus vont être non pas raccourcis – à mon avis, en tout cas – ça va être prolongé. Est-ce que vous pensez que, sur le plan de l'éthique, où le médecin traitant va devoir changer son opinion... C'est possible, étant donné qu'il ne peut pas être... On dit que l'omnipraticien, c'est le spécialiste de tout, mais on peut dire: C'est le spécialiste de rien, parce qu'il ne peut pas tout connaître. Alors, il en connaît un petit peu dans tout, mais il ne connaît pas le tout de chacune des spécialités. Alors, lorsque arrivera le retour de la consultation qu'il aura demandée, à la demande de l'employeur, à un médecin spécialiste, trois des médecins spécialistes qu'on lui aura proposés, il n'est pas dit que ce serait défavorable que lui doive changer son opinion.

Mme Moreau (Anne M.): Oui, mais il ne faut pas oublier que cette décision porte sur des prestations de la CSST ou sur des traitements, par exemple le paiement des traitements de physiothérapie. Si votre médecin change d'opinion alors qu'au début il a prescrit de la physiothérapie, par exemple, et que tout d'un coup il change d'opinion et décide que ce n'est plus nécessaire, alors l'employé, s'il décide qu'il veut encore suivre des traitements de physiothérapie, doit soit les payer lui-même ou essayer de les faire payer autrement. Là, il vient d'y avoir un impact direct sur sa physiothérapie.

Dans un deuxième temps, s'il est compensé par la CSST et si le médecin traitant décide de le couper, à ce moment-là il n'a plus de prestations à la CSST. Soit qu'il s'en va sur l'assurance-chômage, s'il se sent encore malade, et change de médecin encore parce qu'il n'est pas content de son médecin traitant... Et là on continue le processus. C'est ça, le danger. C'est ça que je vois, c'est la conséquence sur les prestations de l'employé qui est importante.

M. Beaudet: Oui. Essayez de m'expliquer le cheminement d'un individu qui va voir son médecin. Il l'envoie voir le spécialiste, il lui revient, et le spécialiste lui dit: Non, ce n'est pas ce que tu avais donné comme diagnostic. On me parlait l'autre jour qu'on lui enlève des droits. On lui enlève des droits parce qu'il avait droit à la compensation de la CSST, il avait droit à la rémunération ou au remboursement de sa physiothérapie, puis on lui dit qu'on lui enlève ces droits-là. Sauf que, par le diagnostic qui a été posé par le spécialiste, on lui dit: Non, ce n'est pas ça, le problème. Donc, théoriquement, on ne lui enlève pas des droits. Il a pris des engagements, mais ce n'étaient pas des droits qu'il avait.

Mme Moreau (Anne M.): Vous, vous l'approchez du point de vue des médecins parce que vous trouvez qu'en fin de compte on est arrivé à un résultat qui vous semble correct.

M. Beaudet: Totalement différent.

Mme Moreau (Anne M.): Mais, aux yeux de l'employé, aux yeux du patient, il vient de vivre un processus où il a vu peut-être trois ou quatre médecins différents, et son médecin traitant, la personne en qui il avait le plus confiance, a changé d'idée. Il a quasiment abandonné pour lui parce qu'il a changé d'idée, et, selon lui, il était malade, il avait une entorse, mais là il n'a plus une entorse, il a autre chose. Alors, c'est cette confiance-là qui est ébranlée par tout ce processus de va-et-vient que, moi, j'ai appelé «le système de yoyo» dans le mémoire.

M. Beaudet: Oui. Moi, j'ai un commentaire à ce sujet-là: ou le spécialiste qui a vu le travailleur accidenté, entre guillemets, pose le bon diagnostic, puis à ce moment-là le médecin traitant se rallie, ou, si, aux yeux du médecin traitant, le spécialiste a posé le mauvais diagnostic, bien, il devra défendre sa cause, et ce sera le médecin traitant qui devra défendre son patient. Mais, dans le fond, ce n'est pas son patient, c'est un travailleur accidenté qui devra aller défendre la démarche.

Mme Moreau (Anne M.): Je ne suis pas d'accord. Oui.

M. Beaudet: Et là, comme vous l'avez mentionné, on va se trouver devant des paquets de formules, de paperasses à remplir.

Mme Moreau (Anne M.): Le va-et-vient.

M. Beaudet: Alors, on va sûrement...

Mme Moreau (Anne M.): En plein virage ambulatoire aussi...

M. Beaudet: ...compliquer, il n'y a aucun doute là-dessus. Ha, ha, ha!

Mme Moreau (Anne M.): ...parce que, avec les cliniques qu'on a, avec les attentes qu'on a déjà, on va compliquer les démarches.

M. Beaudet: On va compliquer les démarches, il n'y a aucun doute dans mon esprit. Sur le plan médical, on va les compliquer, mais, sur le plan de l'éthique, je pense qu'on va les valoriser, c'est-à-dire que le meilleur diagnostic devra être posé, mais avec combien de paperasses entre les deux et de délais?

Mme Moreau (Anne M.): Et ce n'est pas sûr que l'employé va avoir compris, aussi. C'est n'est pas sûr que l'employé va avoir compris.

M. Beaudet: Ce qui est important, c'est que l'employé ne soit pas lésé dans ses droits.

Mme Moreau (Anne M.): Oui.

Le Président (M. Beaulne): Merci, M. le député. Merci, Me Moreau. La commission vous remercie d'être venue nous rendre visite pour échanger avec nous ce matin. Et, sur ce, je suspends nos travaux jusqu'à 14 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 27)

(Reprise à 14 h 9)

Le Président (M. Beaulne): Nous allons recommencer nos audiences. Nous allons procéder sans plus de délai à entendre les représentants de l'Association des commissaires en matière de lésions professionnelles du Québec.

Alors, M. Robichaud, vous avez une heure pour échanger avec les membres de la commission, en commençant par une présentation d'un maximum de 20 minutes.


Association des commissaires en matière de lésions professionnelles du Québec

M. Robichaud (Gilles): Je vous remercie, M. le Président. Alors, je souhaite un bon retour de dîner aux gens de la commission, aux permanents de la commission. Je voudrais vous présenter, en commençant, les deux personnes qui m'accompagnent, soit, à ma droite, Anne Leydet, qui est avocate et commissaire depuis sept ans maintenant à la Commission d'appel. Elle est avocate de milieu de travail, d'origine, 10 ans d'expérience dans le milieu des employeurs. Elle était représentante d'employeurs et évidemment elle a représenté les employeurs à la Commission d'appel, à ses débuts. Elle a aussi représenté les employeurs dans les bureaux de révision.

Quant à Jean-Marc Dubois, qui est à ma gauche, pour les besoins de la cause, c'est un non-avocat; le caractère multidisciplinaire de la CALP est protégé et aussi l'origine des personnes du milieu. Jean-Marc, mon collègue, est un ancien ouvrier de l'Alcan devenu représentant délégué en santé et sécurité; il a fait ça pendant une douzaine d'années avant de devenir président du syndicat des employés de l'Alcan. Il est le plus vieux, parmi nous, des commissaires de la CALP. Il a complété son deuxième mandat, en instance de renouvellement; il est toujours en attente, comme un bon nombre d'entre nous, de son renouvellement effectif.

(14 h 10)

Alors, ceci étant dit, il y a moi qui suis avocat ça ne fait pas longtemps, c'est une deuxième carrière. Mais je suis commissaire depuis sept ans et j'ai une vingtaine d'années d'expérience dans les milieux de travail, y compris comme président de syndicat d'enseignants, à l'époque où j'ai eu le plaisir d'avoir le ministre du Travail comme président de syndicat, en 1968-1969. J'ai travaillé, donc, pendant une vingtaine d'années, dis-je, à la CEQ comme président de syndicat libéré, en relations de travail aussi et à la CSN pendant près de 13 ans. Sixième année comme commissaire à la Commission d'appel.

Ceci étant dit, ce n'est pas pour les fleurs, c'était tout simplement pour essayer de présenter à la commission notre volonté, non pas, comme le faisait en souriant le ministre du Travail, de défendre nos intérêts, mais de présenter notre position, pour essayer d'éclairer, dans ce débat, des lignes directrices qui sont plutôt contradictoires. Et ce qu'on voudrait essayer de faire, c'est moins un débat théorique que d'exprimer comment pratiquement nous voyons les choses sur les enjeux principaux.

Alors, on ne fera pas le tour de l'ensemble de notre mémoire. Ou plutôt, ce sera un tour, mais avec des points peut-être privilégiés, ceux surtout sur lesquels le ministre pose beaucoup de questions, notamment le paritarisme. Mais on ne pourra pas non plus, en exposant notre point de vue, oublier que l'affaire Montambault de la Cour d'appel du Québec a mis en cause l'indépendance et l'impartialité de la Commission d'appel pour décider unanimement qu'il y avait des garanties suffisantes pour les justiciables qui se présentaient devant nous d'indépendance et d'impartialité. Alors, on ne peut pas faire autrement que de parler des conditions de notre existence, à un certain moment donné, puisque la cause Montambault est rendue en Cour suprême.

Et, bien sûr, il y a eu récemment la décision de la Cour suprême dans la Régie des alcools, loteries et courses qui, encore une fois, rebrassait toute la question de l'indépendance et de l'impartialité. Alors, nous allons essayer autant que faire se peut de clarifier comment, nous, on voit à travers le projet de loi des risques qui sont plus grands que ceux que la Cour d'appel a eu à analyser dans l'affaire Montambault. Autrement dit, il nous apparaît que les questions posées par le projet de loi, à cause de l'encadrement institutionnel qu'il propose – et ma collègue Anne Leydet va vous en parler dans quelques secondes – risquent de poser des questions qui amèneraient des réponses différentes de celles que la Cour d'appel du Québec a données.

La Cour d'appel a considéré qu'actuellement la CALP offrait des garanties suffisantes pour les justiciables d'indépendance et d'impartialité. Le projet de loi n° 79, s'il était adopté tel quel, nous apparaît comme devant avoir des difficultés plus grandes à passer le test que la Commission d'appel a actuellement passé jusqu'ici. Ceci étant dit, je laisse le soin à Anne de commencer la réflexion avec vous sur la question de l'indépendance et de l'impartialité en relation avec le projet de loi n° 79.

Mme Leydet (Anne): Alors, mon collègue Gilles me permettra d'abord de faire deux apartés. Le premier, je ne peux manquer de souligner que ça prend deux de mes collègues anciennement du côté syndical pour faire le poids avec moi-même du côté patronal. Je ne pouvais pas m'empêcher, en écoutant mon collègue, d'en faire la remarque. Ceci étant dit, bien que mon collègue Gilles vous ait dit que nous allions être fort pratiques, il m'a quand même délégué la lourde tâche de vous parler en fait le plus rapidement possible de l'aspect finalement quelque peu théorique de notre présentation. Et je vais essayer de passer au plus court.

Il s'agit finalement de rappeler à cette commission les critères et les principes d'indépendance et d'impartialité qui ont été soulignés dans les affaires Montambault de la Cour d'appel et de la Régie des alcools de la Cour suprême, tout ça pour, en fait, faire l'exercice suivant avec vous. Nous savons que la Commission d'appel actuelle a passé la barre du test de l'indépendance et de l'impartialité, et il s'agirait de refaire le même exercice ensemble et de se demander si la nouvelle commission paritaire passerait finalement cette même barre à la hauteur qui a été définie non seulement par la Cour d'appel mais par la Cour suprême.

Trois rappels, d'abord, très rapidement. Dans l'affaire Montambault, la Cour d'appel nous a rappelé que la question de l'indépendance était une question qui touchait non seulement l'adjudicateur, l'indépendance d'adjudication en tant que telle, mais également le fonctionnement du tribunal en tant que tel et le mode de nomination des membres. C'est une chose importante dont il faut se souvenir. C'est le premier rappel que je voulais vous faire.

En fait, en avant-propos, j'aurais dû vous rappeler que l'article 23 de la Charte – et je pense qu'il faut le dire – confère au justiciable – et c'est pour le justiciable que nous sommes ici aujourd'hui – le droit à une audience publique et impartiale devant un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé.

Premier rappel, donc. Cette indépendance s'applique non seulement à l'adjudicateur en tant que tel, mais au tribunal dans son ensemble, à son fonctionnement et au mode de nomination de ses membres.

Deuxième rappel. Il faut faire preuve de souplesse dans la détermination du caractère d'indépendance, d'une plus grande souplesse lorsqu'il s'agit d'un tribunal administratif que dans le cas d'une cour de justice. Nous sommes ici dans le cas d'un tribunal administratif. Cependant, la Cour suprême, du même souffle, nous a également dit qu'en aucun cas cette souplesse et cette flexibilité ne devraient permettre de sacrifier sur son autel – si je peux m'exprimer ainsi – la perception d'indépendance et d'impartialité d'un tribunal. Deuxième grand rappel.

Troisième rappel. Les critères d'indépendance qui ont été posés par la Cour suprême dans l'arrêt Valente de 1985, repris par l'arrêt la Régie des alcools en 1996 et l'affaire Montambault, trois critères: la stabilité financière de l'adjudicateur, on n'en parlera pas ici aujourd'hui; deuxièmement, son inamovibilité – un mot difficile à prononcer, mais je me suis pratiquée ce matin avant de venir, alors je le répéterai – l'inamovibilité de l'adjudicateur; et, troisièmement, l'indépendance institutionnelle.

Alors, je vais traiter finalement des deux points principaux qui nous concernent évidemment, puisque notre Association, nous ne vous le cacherons pas, s'occupe évidemment des intérêts socioéconomiques de ses membres. Je vais vous parler d'inamovibilité ainsi que d'indépendance institutionnelle. En effet, dans Montambault, la Cour d'appel s'est dit: Nous devons déterminer le caractère d'indépendance de la CALP et nous devrons le faire dans le cadre finalement où il est question du doute qui est créé, de la crainte ou d'une perception de crainte raisonnable à l'endroit de l'indépendance de ce tribunal en raison des mandats de ses commissaires dont le renouvellement est soumis à la seule discrétion du gouvernement. C'est dans le cadre de cette question-là que la Cour d'appel s'est dit: Est-ce qu'on fait affaire à un tribunal indépendant?

À ce moment-là, la Cour d'appel a dit que, pour déterminer, donc, s'il existait une crainte ou même une apparence de crainte d'indépendance, il fallait d'abord tenir compte du fait que la CALP rendait des décisions dans des litiges qui impliquaient le gouvernement, c'est-à-dire la CSST. Primo. Et, tout de suite, la Cour d'appel nous a dit: À ce moment-là, l'exercice que nous allons devoir faire, c'est de nous assurer que le mode de fonctionnement de la CSST se différencie par rapport à un statut particulier qui est celui de la CALP. Et c'est l'exercice que je vous propose, que nous devrions faire avec la commission paritaire.

Dans l'affaire Montambault, la Cour d'appel s'est déclarée satisfaite de l'indépendance de la CALP par rapport à la CSST, en raison du statut particulier, donc, de la Commission d'appel et de l'organisation structurelle et fonctionnelle de la CSST. Ce que nous vous suggérons dans notre mémoire, c'est qu'avec le projet de loi n° 79 la différence entre la CALP, d'une part, et la CSST, d'autre part, sera de moins en moins évidente puisque l'on cherche le plus possible à harmoniser – je pense citer, en parlant d'harmoniser, les termes mêmes qui avaient été utilisés par le Conseil du patronat dans la presse écrite – la structure de la CALP avec celle de la CSST.

Et je pense que c'est à la page 16 de notre mémoire que l'on vous a indiqué qu'il y aura, en vertu du projet de loi n° 79, des comités paritaires, patronal-syndical, qui vont être chargés d'établir l'aptitude des commissaires à exercer leurs fonctions. Le renouvellement des commissaires sera sujet à la recommandation d'un autre comité paritaire. Il y aura consultation auprès du CCTMO, qui est le Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre. Et évidemment il y aura, sur ce tribunal, des membres paritaires issus, d'une part, des associations syndicales et, d'autre part, des associations d'employeurs. On aura également des vice-présidents qui seront désignés après consultation du CCTMO. Et il faut rappeler que ce Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre reproduit, à toutes fins pratiques, par sa composition, celle du conseil d'administration de la CSST où les parties des différents milieux sont représentées. Donc, cette harmonisation va se faire en vertu du projet de loi n° 79 et va rendre finalement la différenciation entre la CALP ou la future commission paritaire et la CSST de moins en moins évidente.

(14 h 20)

La deuxième chose sur laquelle la Cour d'appel s'était déclarée satisfaite quant à l'indépendance de la CALP, c'était le fait que ses commissaires étaient nommés par le ministre de la Justice, qui est celui, donc, responsable, aux termes de la loi, de la constitution du tribunal ou de la nomination de ses membres, alors que c'était un autre ministre qui s'occupait, lui, ou qui avait la responsabilité de l'application de la loi.

Évidemment, avec le projet de loi n° 79, ce ne serait plus le cas puisque les commissaires, à ce moment-là, auraient le plaisir d'être nommés par le ministre du Travail, qui est celui-là même qui est responsable de l'application de la loi. Alors, la distinction était d'importance pour la Cour d'appel, dans Montambault, qui avait conclu à l'indépendance de la Commission d'appel, étant satisfaite que ce n'étaient pas les intérêts du ministre qui nommait les commissaires qui se trouvaient directement en jeu dans le cadre des procédures devant la Commission d'appel. Or, évidemment, avec le projet de loi n° 79, la commission paritaire aurait à statuer sur des litiges où les intérêts du ministre du Travail, via la CSST – ministre du Travail qui aurait nommé, donc, les membres de cette commission paritaire là – seraient directement en jeu. Et là-dessus, je voudrais passer la parole à mon collègue Jean-Marc.

M. Dubois (Jean-Marc): Oui, pour faire respirer Anne un peu.

Mme Leydet (Anne): Merci.

M. Dubois (Jean-Marc): C'est pour dire que ce n'est pas la première fois, en fait, qu'on discute de cette question-là sur l'opportunité de la responsabilité du tribunal comme telle, à savoir s'il doit être sous la responsabilité du ministre de la Justice ou du ministre du Travail. On se rappellera qu'en 1985 cette même commission parlementaire, la commission de l'économie et du travail, lors des discussions sur la loi 42, avait discuté longuement de cette question-là. En bout de ligne, le 7 mars 1985 – et je me permets de vous référer au Journal des débats – à l'époque, le ministre Fréchette, dans ses conclusions sur cette question-là, avait dit que, si cette Commission d'appel devait être créée pour des objectifs de crédibilité, des objectifs d'apparence de justice, elle devait répondre autant sur l'administration, au sens large du terme, que de son mécanisme ou fonctionnement au ministre de la Justice plutôt qu'au ministre du Travail. Et il se disait alors convaincu sans l'ombre d'un doute qu'il fallait procéder à ce changement parce que, pour atteindre ces objectifs, il en concluait que la Commission d'appel devait relever plutôt du ministre de la Justice que du ministre du Travail. Alors, tout ça pour dire que cette même commission parlementaire, avec le même gouvernement qui a créé la Commission d'appel, aujourd'hui, remet en question la décision qu'il avait prise à l'époque, en 1985. On s'interroge un peu là-dessus.

Mme Leydet (Anne): Alors, ayant repris mon souffle... Merci Jean-Marc. Alors, je vous ai brièvement parlé d'indépendance, des principes d'indépendance. Là où le bât pourrait blesser, c'est au niveau du manque de différenciation entre le tribunal régulataire, si vous voulez, l'organisme régulataire qui est la CSST, et la CALP, d'une part, et, d'autre part, au niveau des deux ministres responsables, le ministre de la Justice, le ministre du Travail.

J'aimerais maintenant vous entretenir très brièvement d'impartialité. Ensuite, je laisserai la parole à Gilles qui va vous parler d'aspects plus pratiques. Sur la question d'impartialité, encore une fois, dans Montambault, la Cour d'appel a signalé que l'impartialité tout comme l'indépendance comportaient un aspect institutionnel. Et la question qui s'est posée à ce moment-là, c'était si l'encadrement institutionnel à la CALP pouvait porter atteinte à la liberté d'un commissaire de décider seul et intégralement des questions qui lui étaient soumises.

Je vous soumets que le même exercice, qui n'est pas théorique, devra être fait pour la nouvelle commission paritaire. Et on devrait éventuellement se demander si l'encadrement institutionnel à la CALP pourrait porter atteinte à la liberté d'un banc de trois commissaires et membres assesseurs syndicaux-patronaux de décider entre eux, seuls et intégralement des questions qui leur sont soumises.

Là-dessus, je vais encore citer la Cour suprême – ouvrir les guillemets: «Personne de l'extérieur, que ce soit un gouvernement, un groupe de pression, un particulier ou même un autre juge, ne doit intervenir en fait ou tenter d'intervenir dans la façon dont un juge mène l'affaire et rend sa décision.» Je ne suis pas ici, et personne n'est ici pour vous dire que c'est ce qui se passerait. Encore une fois, le test, c'est: Est-ce qu'il y a une crainte ou une apparence de crainte que cela puisse se passer? Et, là-dessus, et c'est là où le problème se pose, c'est que le paritarisme, qui a des buts entièrement louables, qui est en soi une bonne chose... Je rappellerai un autre jugement de la Cour suprême, qui encourageait le paritarisme sur les organismes de régulation, en disant que c'était une bonne chose que les milieux soient représentés Et je vous dirai que, là-dessus, la Commission d'appel est entièrement d'accord.

Cependant, le paritarisme a pour but de permettre à des groupes distincts de défendre leurs intérêts respectifs; c'est pour ça qu'on les a à la CSST. Les membres issus d'associations d'employeurs, au conseil d'administration de la CSST, ont pour objectif de défendre les intérêts des employeurs. Et je pourrais dire évidemment la même chose des membres du conseil d'administration de la CSST qui sont issus des associations syndicales.

Mais, lorsqu'une personne vient devant cette commission paritaire, qui, à la différence du Bureau de révision paritaire, ne fait pas partie de la CSST et n'a pas au-dessus d'elle un autre tribunal, une autre cour de justice qui entendrait en appel les gens qui sont mécontents finalement de ces décisions, la personne qui va se trouver devant cette commission paritaire va se dire: Un instant, comment est-ce que ces gens qui sont devant moi peuvent rendre – et c'est une apparence, encore une fois, je ne dis pas que c'est ça qui va se passer – une décision, dire le droit, trancher un litige, alors que, du même souffle, ils doivent promouvoir les intérêts des associations dont ils sont issus? Et ça, c'est une question que peut-être nous n'aurons pas à nous poser, sur le tribunal, mais que certaines parties devant nous vont peut-être poser et le faire évidemment non seulement devant nous mais devant des cours de justice.

En dernier lieu, pourquoi était-ce bon pour les BRP, les bureaux de révision paritaire, mais ça ne le serait pas pour la Commission d'appel? Tout simplement, parce que les bureaux de révision paritaire faisaient partie intégrante et font, encore une fois, toujours partie intégrante de la CSST, qui est un organisme de régulation, d'application d'une loi, et les décisions des bureaux de révision paritaire étaient appelables devant – évidemment, sont encore appelables – la CALP, qui est entièrement indépendante. Et la partie de balle qui se jouerait dans le contexte du projet de loi n° 79 serait entièrement différente. Je passe la parole à Gilles.

M. Robichaud (Gilles): Merci. Sur la question du paritarisme, on ne veut pas, encore une fois, comme on essaie de le faire depuis le début, faire un débat théorique sur les grandes valeurs du paritarisme. À cet effet, à tout le moins pour les tribunaux d'arbitrage, l'expérience que j'en ai, ça a commencé en 1970 et ça s'est terminé en 1985, dans les secteurs public et parapublic, où on a mis fin aux tribunaux d'arbitrage à trois, FTQ, CEQ, CSN. À ce moment-là, j'étais porte-parole syndical pour la CSN à la table provinciale de négociation.

On a gardé le régime en arbitrage de griefs paritaire, si on veut, avec assesseurs, uniquement sur demande des parties. Une vérification récente me permet de dire que ça ne représente plus à peine que 10 %, et c'est dans des cas très précis, je dirais dans les affaires sociales, par exemple, et dans les écoles, dans les commissions scolaires ou dans le monde de l'enseignement, quand on parle de congédiement, de harcèlement ou qu'on parle de questions à connotation sexuelle entre patient ou de cas d'agression. C'est des cas très particuliers, bien circonscrits, où on utilise les assesseurs.

À cet effet, actuellement la LATMP, la loi qu'on a à appliquer nous permet, à l'article 378, d'utiliser des assesseurs aux mêmes fins recherchées par le projet de loi n° 79. Les fins recherchées par le projet de loi n° 79, c'est d'avoir des gens qui ont pour fonction de conseiller les commissaires et de siéger auprès d'eux; c'est ce qu'on a déjà dans la loi. Rien n'empêcherait actuellement que des gens avec des formations particulières... Nous, on a des médecins, parce que la plupart, deux tiers des causes sont des causes d'ordre médical. Et on a des ingénieurs, parce qu'il y a des problèmes sur les chantiers, des problèmes de travail et de danger au travail qui relèvent des chantiers, et ça nous prend des ingénieurs pour aider le commissaire à bien comprendre le problème qui se pose. Si les structures sont en train de s'effondrer, qu'un inspecteur décide d'arrêter les travaux, on s'en vient devant nous pour savoir si c'est justifié; on a besoin de quelqu'un pour nous aider.

Alors, le besoin de nous aider n'est pas nécessairement, obligatoirement, à chaque fois, d'avoir quelqu'un qui vient du milieu du travail, fut-il patronal ou syndical; ce n'est pas ça, le besoin. Ça peut arriver. Il y a des cas de congédiements, il y a des cas de refus de travail qui viennent devant nous, ce sont des causes de relations de travail, et, si on pouvait faire la différence entre les deux, plutôt que d'imposer un régime qui ne répond pas nécessairement adéquatement aux besoins qu'on veut régler, ça pourrait être plus intéressant. Et je dis pourquoi.

(14 h 30)

Actuellement, au ministère du Travail, après avoir vérifié au ministère du Travail, service de l'arbitrage, on a deux choix. Quand on fait une demande auprès du ministre du Travail pour avoir un arbitre, on peut choisir arbitre unique ou on peut choisir arbitre avec assesseurs. Les parties s'entendent, nomment leurs assesseurs, le ministre nomme un président. En 1995, selon les informations que j'ai eues la semaine dernière, sur 1 700 demandes d'arbitres, arbitres avec assesseurs: 40 sur 1 700. En 1996, sur quelque chose comme 1 600 demandes auprès du ministre du Travail pour arbitres, on a demandé 20 arbitres pour tribunal avec assesseurs.

Il nous apparaît qu'une meilleure utilisation, en conformité avec l'article de loi qui existe déjà, des capacités d'avoir quelqu'un pour éclairer le tribunal... Il ne faudrait pas le faire éclairer pour rien. Il faudrait que les gens qui éclairent ne soient pas systématiquement des éclaireurs à l'année sur des questions qui ne relèvent pas nécessairement de leur compétence. Il nous semblait que ça avait été compris en 1985, quand on avait choisi d'utiliser des médecins comme assesseurs. Il y a eu aussi des ingénieurs, il y a des psychologues et il y a même un psychiatre qui va être engagé bientôt, selon les besoins.

Nous croyons que les besoins, en fait, à la Commission d'appel et même à la nouvelle commission, ne devraient pas être systématiquement un paritarisme étroit et aveugle qui ne différencie pas les services qu'il a à rendre. C'est selon le besoin; c'est ce que nous suggérons. Ça pourrait être possible. Ce n'est pas contre le paritarisme qu'on en a; c'est l'utilisation pratique des conseils de personnes. Il ne nous apparaît pas tellement utile d'avoir quelqu'un qui vient, autant du milieu patronal que syndical, pour déterminer si, par exemple, une personne – et c'est ce qu'on fait régulièrement – sa date de consolidation: Est-il guéri ou pas? Au mois de décembre ou au mois de janvier?, des débats entre médecins où on doit trancher. Il ne nous apparaît pas utile d'avoir quelqu'un qui vient du paritarisme tel que pratiqué au BRP pour nous aider, nous éclairer pour déterminer s'il y a une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Ce sont des débats médicaux qui se font entre experts devant nous, et ce n'est pas utile. C'était utile d'avoir des médecins; on en a. C'est utile d'avoir des ingénieurs; on peut en avoir en vertu de 378. Si, dans des cas de congédiements, par exemple parce que quelqu'un a exercé un droit, c'est utile d'avoir des assesseurs parce que, là, on parle de relations de travail, ça sera utile de faire référence à ces compétences-là.

Enfin – parce que, là, je vois que le temps dépasse – je rappellerai qu'au tribunal de l'Ontario, au tribunal d'appel en matière d'accidents de travail, en Ontario, ils ont utilisé les assesseurs qui venaient des milieux patronaux et syndicaux pour aider les gens qui ne sont pas représentés. Le tribunal a une structure d'accueil, si on veut, pour les justiciables, autant le petit employeur que le salarié qui n'est pas représenté, pour les aider à préparer leur cause. Ces expériences qui ont été acquises au Bureau de révision pourraient également servir de cette autre façon-là auprès des gens qui ne sont pas représentés, pour les aider à préparer leur cause. Je tiens à vous dire qu'actuellement en Ontario se fait ce débat-là aussi en commission parlementaire, où on a décidé de rajouter des personnes qu'on appelle les «workers representatives» et les «employers representatives», on agrandit le nombre.

Alors, loin de nous de dire qu'on est contre le paritarisme. Plutôt utiliser l'article existant de la loi, 378, utiliser des assesseurs qui vont véritablement aider les décideurs et non pas laisser possiblement une perception qu'on a recréé des bureaux de révision tels qu'ils étaient, alors qu'on est supposé être une commission indépendante et qui donne des garanties d'impartialité.

Le Président (M. Beaulne): Alors, M. Robichaud, je vous remercie. J'invite le ministre à vous poser certaines questions.

M. Rioux: Merci, M. le Président. D'abord, quelques remarques. Je comprends aisément que vous veniez plaider le maintien de la CALP; c'est l'évidence même. Et loin de moi l'idée de vous dire que votre crédibilité devant la commission est entachée de quelque façon que ce soit. Vous êtes des gens sérieux qui avez une pratique professionnelle et une expérience qui ne peut pas faire autrement que de nous apporter un éclairage dont on a sans doute besoin.

Vous vous souviendrez sans doute que la Cour suprême, dans le cas de la Régie des permis d'alcools, avait décidé exactement l'inverse de ce que vous venez de me dire; ça c'est important de vous le rappeler. Je vous rappelle aussi que la Commission des lésions professionnelles qui est créée par le projet de loi n° 79, on s'est organisé pour que ça ait la crédibilité, l'impartialité et l'indépendance auxquelles vous référez. On s'est adressé d'ailleurs à d'éminents juristes qui ont essayé de nous déblayer le terrain pour nous faire comprendre que le paritarisme décisionnel, ça s'inscrivait d'abord correctement dans la tradition et la culture des relations de travail au Québec et que, deuxièmement, s'inspirant en cela des autres provinces canadiennes, on était quand même bien avisé de procéder de la sorte. McCarthy Tétrault, c'est des gens, à mon avis, assez solides et assez sérieux. Le professeur Ouellette, que vous connaissez sans doute, est également... Il a peut-être enseigné à quelques-uns parmi vous, on ne sait pas.

Mais ce qu'il m'importe de vous demander, c'est, quand on écoute tous les groupes qui sont venus jusqu'à aujourd'hui... Moi, ce que j'ai voulu faire au niveau de la déontologie et de l'impartialité, j'ai mis, dans le projet de loi, à la page 16: Avant d'entrer en fonction, les membres prêtent serment en affirmant solennellement ce qui suit, qu'ils jurent qu'ils exerceront et accompliront impartialement et honnêtement, au meilleur de leur capacité et au meilleur de leurs connaissances, les pouvoirs et les devoirs des charges qui leur sont attribuées. Ce code de déontologie doit prévoir des règles particulières pour les membres autres que les commissaires.

Je dois vous avouer que, lorsqu'on y va du côté de la déontologie et dans cette démarche-là, on essaie de garantir autant que possible toute la crédibilité et l'impartialité. Je voudrais vous souligner aussi que, quand vous contestez que ce soit le ministère du Travail ou le ministre du Travail qui nomme les commissaires... Avant, c'était le ministre de la Justice. Je vous ferai remarquer que, désormais, ce sera le gouvernement du Québec, sur recommandation du ministre. Alors, moi, lorsque vous plaidez contre le paritarisme décisionnel sur un tribunal de dernière instance, je ne vous demande pas de défendre vos intérêts, je vous demande de défendre le travailleur qui est en cause, et c'est comme ca que j'aimerais que vous élaboriez votre thèse.

C'est facile, hein. C'est sûr que, lorsqu'on est devant des personnes comme vous – puis, moi, je reconnais, en Gilles Robichaud, un homme d'une vaste expérience, qui est capable de bien juger, de bien jauger les choses – quand on parle de ce modèle décisionnel comme tribunal... J'écoutais tout à l'heure madame qui a fait un plaidoyer assez vibrant. On se cite de part et d'autre la Cour suprême et d'éminents juristes. Moi, j'aimerais ça qu'on aille plus loin, peut-être. Moi, je suis à l'écoute, hein. Je suis à l'écoute des gens puis je me dis: S'il y a des personnes ici qui trouvent des pistes novatrices, inédites, de nature à me faire changer d'idée... Il y a seulement les gens bornés qui ne changent pas d'idée. Mais, moi, après avoir écouté le patronat québécois, une pléiade d'avocats qui sont venus ici, la FTQ et bien du monde, les manufacturiers du Québec... Je ne sais pas ce que la CSD aura à dire tout à l'heure. Mais ce débat-là, il est important, et personne ici dans cette salle ne veut se tromper, au niveau de la décision, de la bonne décision à prendre.

Mme Leydet (Anne): Alors, il y a plusieurs questions dans votre discours, M. le ministre, j'espère que je n'en oublierai aucune. Je vais certainement en adresser quelques-unes. Je pense que vous avez d'abord fait référence à la question du serment d'allégeance. Je pense que c'est l'article 412 qui propose des règles déontologiques particulières et l'article 410 au niveau du serment en tant que tel. Nous n'avons pas couvert de façon spécifique, dans notre mémoire, cet aspect-là. Je crois que tout à l'heure le Protecteur du citoyen vous en traitera. Il en a parlé spécifiquement dans son mémoire. Et il émet, quant à lui, l'opinion que, si toutefois le législateur semble faire en cela une tentative d'exclure toute autorisation de partialité par ce serment-là en essayant de garantir dans la loi qu'il n'y aura pas de partialité... La question ne se pose pas à savoir si c'est dans la loi, la question se pose, comme vous l'avez vous-même si bien dit, si le travailleur ou l'employeur qui est devant le tribunal va être satisfait que ce serment, avec les autres dispositions de la loi, finalement, rencontre les conditions d'indépendance.

(14 h 40)

Vous êtes à l'écoute, vous nous avez dit tout à l'heure que vous étiez à l'écoute et que vous vouliez être pratique. J'adore être une personne pratique, je vais l'être tout de suite avec vous. À la CALP, à l'heure actuelle, et je pense que tous les commissaires du tribunal ont eu cette expérience-là, lorsqu'ils ont particulièrement un travailleur et particulièrement un travailleur non représenté devant eux, ils ont, dans la plupart des cas, à plusieurs reprises, eu à expliquer au travailleur quel tribunal ils étaient et à rassurer le travailleur sur le fait que la CALP n'était pas et ne faisait pas partie de la CSST. C'était aisé jusqu'à maintenant.

On disait, je pense que la plupart des commissaires disaient trois choses: On ne fonctionne pas selon le même budget que celui de la CSST; on relève du ministère de la Justice et non pas du ministre du Travail; et, troisièmement, on n'est pas comme les bureaux de révision, on est à part, on n'est pas paritaire, on est distinct. Le travailleur nous regardait – et je parle d'un aspect pratique – ça satisfaisait à ses questions. La plupart qui viennent devant nous, ceux qui posent la question nous disent: Vous ne faites pas partie de la CSST, vous? Et, on peut leur dire non, à l'heure actuelle. On peut, par ces trois réponses, leur donner finalement les critères qui sont appliqués dans la Cour suprême.

La question qui se pose, c'est: Est-ce que la même chose va pouvoir se faire lorsqu'ils vont revenir finalement devant la nouvelle commission paritaire? Je vais laisser maintenant à Gilles le soin de répondre à certaines autres de vos questions.

M. Robichaud (Gilles): Bien moi, je pense être touché autant que le ministre du Travail de l'intérêt que, dans notre travail, on porte aux gens qui se présentent devant nous. Et ce que plusieurs d'entre nous se posent comme question: Pourquoi on nous dit que ça va rendre plus humain, le paritarisme, que ce qui se passe actuellement? Vous avez dit, M. le ministre, il y a quelques secondes, qu'on devrait penser à la défense du travailleur. Ce que je peux vous dire, c'est que, comme juges administratifs à la Commission d'appel, les travailleurs ne se sont plaints ni devant nous ni devant les sondages qui ont été faits qu'à la CALP ils étaient traités de façon inhumaine. Au contraire, la Commission d'appel a une réputation que tout le monde pourrait envier, dans les tribunaux administratifs, et ceci, dit par les feedbacks qu'on a de ceux avec qui on travaille. Est-ce que le paritarisme viendrait humaniser? Nous en doutons. Ce n'est pas pour dire qu'on est contre, on vous a expliqué, M. le premier ministre... M. le ministre – on va laisser faire les augmentations – ...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Robichaud (Gilles): ...que l'utilisation d'assesseurs pourrait aider à rendre des décisions plus éclairées; on n'était pas contre. On a parlé des médecins, on a parlé des ingénieurs, on a parlé des psychologues, on pourrait même parler – et je vous ai donné des exemples – de droit de refus, de question d'inspection de chantiers où on peut avoir des gens qui viennent des chantiers. Ce qu'on a dit, c'est qu'on ne croit pas que des gens qui seraient systématiquement choisis dans toutes les causes et là dans toutes les causes, ou dans 90 %, comme le projet de loi le dit, seraient de l'utilité qu'on espérerait avoir pour justement rendre des décisions éclairées, pour rendre heureux ou plus heureux. Parce que les gens qui sont devant nous, quand ils sortent, en tout cas, ils ont l'impression d'avoir été entendus comme il faut. Et, des fois, ils regrettent la décision, mais il n'y a personne, enfin il y a très peu de gens qui se sont plaints de la Commission d'appel. Et on se dit: Pourquoi changer la formule? Et, si on la change, on devrait tout simplement utiliser des conseillers, comme la loi le permet actuellement, qui vont conseiller effectivement à partir non pas d'une présomption qu'ils sont bons dans toutes les causes. On devrait prendre des assesseurs qui ont la capacité d'éclairer sur les questions en débat, sur les questions en litige et non pas de façon générale.

Donc, je conclus là-dessus. On pense, nous, qu'on fait un bon travail, et ça n'empêche pas de considérer le travailleur. Parce que, si on pense qu'on fait un bon travail, c'est parce qu'on a l'impression qu'autant les associations d'employeurs, d'ailleurs, qui se présentent devant nous et leurs représentants, autant les travailleurs et leurs associations sont satisfaits de ce que la CALP fait, comme tribunal.

M. Dubois (Jean-Marc): Je me permettrai, parce que, dans votre intervention, M. le ministre, vous avez dit qu'on devait penser aux services qu'on donne aux justiciables. Quotidiennement, on pense à cette amélioration des services qu'on doit donner aux justiciables. On les a dans la peau. On les a devant nous tous les jours, les justiciables, les gens du milieu qui sont devant nous, et c'est dans cet esprit-là qu'on travaille, en tout cas moi, pour un, depuis le début de la Commission d'appel. Et c'est pour ça aussi qu'à la Commission d'appel on a réussi à ramener un délai qui était de trois ans à 12 mois qu'il est aujourd'hui, entre le dépôt d'une déclaration d'appel et une décision rendue aux justiciables. Je pense que ça, c'est donner du service aux justiciables. Nous, on sait qu'on est là pour ça, et c'est dans ce sens-là qu'on travaille. Alors, quand vous nous dites de penser à ça, bien je peux vous dire: Soyez assuré qu'on répond favorablement à votre inquiétude de ce côté-là.

Le Président (M. Beaulne): M. le ministre.

M. Rioux: M. le Président, si on avait le temps, on entreprendrait tout un débat autour des lenteurs de la CALP. Et c'est pour ça qu'on a fait un projet de loi, c'est qu'on était tanné des délais, on en avait plein le dos que ça prenne huit mois au comité de révision paritaire, on était tanné que ça s'engorge au BEM et on est surtout tanné que ça s'engorge à la CALP. Et c'est pour ça qu'on a fait un projet de loi, pour dire que, le travailleur, il fallait régler son problème entre six et 12 mois, tous délais compris.

Ça n'a plus de bon sens. Un travailleur entre dans le système, il est sain d'esprit; il sort de là, il est malade, pas blessé physiquement, blessé psychologiquement. Ces lenteurs-là, mettez-vous bien dans la tête que, dans mon esprit, c'est terminé. C'est terminé, ça. Ce régime-là de traînage de pieds, on l'a connu puis on ne veut plus le connaître. Puis, ça, vous êtes conscients de ça, je n'ai rien à vous annoncer là-dessus, vous êtes mieux informés que moi. Que des institutions s'améliorent, vous comprendrez bien qu'on applaudit à ça. Mais ce qu'on veut, c'est qu'elles s'améliorent un peu plus vite que, peut-être, vous autres, vous le percevez. Puis, tant mieux, si vous avez réussi par vos efforts à faire en sorte que la CALP s'améliore. Nous autres, on dit: On a une meilleure formule que ça. Vous nous comprendrez de vouloir pousser de l'avant une formule dont on discute aujourd'hui. Mais le président de la CSST aurait quelques détails techniques à fournir à la commission.

Le Président (M. Beaulne): Alors, est-ce que j'ai le consentement des collègues?

M. Beaudet: Il va me faire plaisir de l'entendre, M. le Président, pour la première fois depuis le début de la commission.

Le Président (M. Beaulne): Alors, allez-y, M. le président.

M. Shedleur (Pierre): Merci beaucoup. Alors, moi, c'est juste sur trois points que madame a soulevés. Je pense que c'est important, là aussi, de donner, mettons, tous les sons de cloche par rapport à l'indépendance du tribunal. Quand vous parlez des trois critères: budget, dépendance du ministère du Travail puis pas comme le BR, d'abord, pour le budget, ça va demeurer comme c'est actuellement; donc, il n'y a pas de problème. Que ça dépende du ministère du Travail, vous avez soulevé vous-même tantôt la cause de la Régie des permis d'alcool, cette cause-là, on ne la reprendra pas ensemble, elle l'a tranchée, cette question-là, donc, que ça dépende du ministère du Travail, il n'y a pas de problème. On a des avis juridiques d'une firme, je pense, que vous devez connaître, McCarthy Tétrault, de Me Ouellette et on en a d'autres, si vous voulez, on a fait vérifier ça. Et, dernièrement, quand vous dites: On n'est pas comme le BR, la Cour supérieure a souvent reconnu le BR comme tribunal indépendant. Alors, moi, je pense qu'il faut respecter aussi le Bureau de révision, qui est un tribunal indépendant et qui fait un excellent travail. Je n'enlève rien à la CALP, mais il ne faudrait rien enlever au BR non plus.

Le Président (M. Beaulne): Merci, M. le président. Alors, M. le député de La Peltrie, il vous reste deux minutes.

M. Côté: Merci, M. le Président. Rapidement, je reviens aux délais relativement aux travaux de la Commission d'appel. Alors, dans votre rapport de 1995-1996, effectivement, il est mentionné qu'en 1995-1996 il y a eu une diminution de 50 % des délais par rapport à 1992, comme quoi les délais ont chuté considérablement pour passer à 14 mois, même à ça, pour l'Est du Québec, à l'intérieur de 12 mois. Est-ce que vous pourriez nous dire quelles sont les raisons qui ont ramené ce délai-là rapidement, à partir de 29 mois, en 1992, à 14 mois et à 12 mois, comme l'objectif que vous avez présentement? Est-ce que vous avez travaillé plus vite?

(14 h 50)

M. Robichaud (Gilles): Il y a une série de mesures qui ont été prises. D'une part, il faut dire qu'en novembre 1992 le législateur a modifié la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Tout le régime médical qui passait directement à la Commission d'appel, en 1992, est passé au Bureau de révision avant de s'en venir à la Commission d'appel. On vous a déjà dit que ça représente, le médical, 66 % ou les deux tiers du volume des causes qu'on a à entendre. À partir du moment où ça s'en va au Bureau de révision, ça prend un délai avant de venir chez nous. Ça, c'est un des éléments.

Deuxièmement, les modifications qui ont été apportées en 1992 par le législateur ont peut-être aussi eu des effets quant aux contestations, donc aux appels, par la suite. Ça nous a permis de descendre, si on veut, un surplus accumulé depuis des années qu'on n'arrivait pas à descendre, jumelé au travail des conciliateurs, qui sont venus présenter ce matin leur mémoire. Parce que ce service-là a commencé en 1991, finalement il a pris son élan, et c'est en 1993 qu'il a commencé à fonctionner. Sa crédibilité était plus assise et elle l'est encore plus maintenant, ce qui permet de descendre encore du surplus accumulé, ce qui fait que le surplus accumulé actuellement, contrairement à 1993, ne l'est plus.

Contrairement à 1993, où le rapport Durand citait que la CALP n'arrive jamais à régler plus de causes que celles qui entrent à chaque année, on est toujours en déficit, actuellement, depuis deux ans, on ferme 2 000 dossiers de plus qu'il en entre. Forcément, les délais se réduisent; ce n'est pas de la magie. Mais c'est différentes explications contextuelles, dans le contexte, qui nous permettent de dire qu'il y a eu d'autres moyens aussi. Avec la conciliation, il y a peut-être eu plus de désistements. Mais ce n'est pas ça, le principal. Le principal, c'est la conciliation, c'est le fait qu'avec la loi de 1992 pendant deux ans ou un an et demi, il y a des causes qu'on n'a pas eues tout de suite, ce qui nous a permis de descendre le surplus accumulé et d'être capables de souffler par après. Ensuite, il y a eu évidemment l'embauche de commissaires. On a commencé avec une douzaine, on est passé à 18, 20; après ça, on est passé à 42; et une autre dizaine a été embauchée, on est à 50. Alors, tout ça ensemble fait que la CALP a réglé les problèmes soulevés par le rapport Durand en 1993.

Et je rajouterai que le délai de délibérés, celui dont les commissaires sont responsables, après avoir entendu une cause, de rendre une décision est, depuis les trois dernières années, de 60 jours, 62 jours et 63. Ce sont les délais moyens de célérité. La pratique que j'ai de l'arbitrage des griefs ou que j'ai eue pendant des années, et avec le Commissaire du travail, me fait dire que 60, 61, 62 jours, c'est assez rapide. Ce sont les délais de délibérés qui sont les nôtres.

Et j'inviterais aussi à faire attention. Ce sont des causes évolutives, les lésions professionnelles, plus on va aller vite, à un moment donné, on devient contre-productif. Je ne parle pas de rendre les décisions, je parle de faire en sorte que le travailleur qui se présente devant nous n'a pas eu le temps de voir son expert. Ça prend six mois avant de voir un expert. Si on demande de tout passer en dedans de trois mois, du début à la fin, il y a un risque qu'il ne soit pas équipé pour se présenter devant la Commission d'appel et exercer sa défense.

Les lésions professionnelles, les maladies professionnelles sont évolutives. On parle d'un diagnostic, on parle de traitements, on parle possiblement d'atteintes permanentes, de limitations fonctionnelles. Aller trop vite risquerait de préjudicier le travailleur qui se présente devant nous et évidemment, dans certains cas, les employeurs, parce qu'il y a des petits employeurs aussi qui se présentent devant nous, victimes d'accident du travail. Je pense que ces statistiques-là sont aussi importantes, et c'est celles avec lesquelles on vit, et elles démontrent qu'on fait un travail auprès des travailleurs puis des employeurs aussi assez rapide, que 1993, le rapport Durand est complètement dépassé, quant à ses statistiques à tout le moins.

Le Président (M. Beaulne): Alors, M. le député de La Peltrie, en principe, votre temps est écoulé. Mais, s'il y a consentement des collègues pour une très courte question...

M. Côté: Une très courte question.

Le Président (M. Beaulne): Allez-y.

M. Côté: Merci, M. le Président.

Une voix: ...

M. Côté: Par l'intermédiaire du président. Alors, c'est concernant les conseillers ou les assesseurs dont vous avez besoin pour vos auditions, que ce soit un médecin spécialiste ou encore un ingénieur ou autre. Ces assesseurs-là, est-ce qu'ils sont tous à plein temps ou si vous allez en chercher au besoin? Comment c'est choisi? Est-ce que c'est à partir d'une liste qui vous est fournie, au niveau de spécialistes – qui les choisit? – ou si c'est les commissaires qui vont les chercher directement?

M. Robichaud (Gilles): Je vais y aller sur les questions auxquelles je peux répondre. Celles auxquelles je ne peux pas vous apporter de réponses, je ne vous les donnerai pas. Sur le temps plein, temps partiel, il y a un nombre de médecins qui sont à temps plein. Alors, bon an mal an, on en a besoin d'un certain nombre. Il y en a d'autres qui sont à temps partiel, qui répondent à la demande, soit deux jours-semaine, trois jours-semaine. La majorité des médecins sont à temps complet. On a un psychologue qui est à temps partiel parce qu'on n'a pas suffisamment de causes pour justifier un psychologue à temps complet; alors, au besoin. L'ingénieur est à temps complet, il n'y en a qu'un seul. Et le psychiatre, qui s'en viendrait prochainement, serait aussi un assesseur à temps partiel. Quant au choix, on ne sait pas vraiment comment c'est choisi, ce n'est pas déterminé. Une plus grande clairvoyance pourrait être recommandable dans le choix, ou une transparence. Mais on ne le sait pas.

M. Dubois (Jean-Marc): Actuellement, c'est une politique de la direction, de l'administration de la Commission d'appel, c'est par une politique interne qu'on fait la sélection et le choix des assesseurs.

Le Président (M. Beaulne): Merci. M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Merci, M. le Président. M. Robichaud, permettez-moi de vous dire, au nom de mes collègues de l'opposition, que nous avons été fort impressionnés par votre présentation de mémoire; pareil pour vous, madame, et aussi pour votre collègue, à côté. Ça nous a apporté un éclairage particulier dans cette commission. Et je dirais qu'il est parmi les très bons mémoires que nous avons à la commission. Ils sont tous bons. Il y en a qui apportent des points de vue plus généraux et d'autres qui apportent des points de vue beaucoup plus pointus, et c'est le cas du vôtre.

Il semble exister quand même un certain nombre de points noirs entre vous et le ministre. À titre d'exemple, le ministre vient de nous sortir une liste – peut-être vous la faire parvenir dès qu'on aura eu les photocopies – qui semble démontrer que les délais sont beaucoup plus élevés que ceux que vous nous mentionnez. Alors, peut-être, ce serait intéressant, quand vous l'aurez, que vous puissiez élaborer là-dessus.

Et en ce qui concerne les avis juridiques, le ministre nous dit: On a pris des avis juridiques chez McCarthy-Tétrault. D'abord, je souhaiterais qu'ils soient déposés aux membres de la commission, vu qu'on est ici en travail de bonification de projet de loi. Je pense que, si on écoute les gens, il serait important qu'on ait toute l'information possible et qu'on nous donne accès à ces avis juridiques. Parce que je remarque, moi, le Barreau est contre. Le Barreau va venir ici, vous allez voir, la semaine prochaine, et puis il a une vision totalement opposée à celle du ministre; le Protecteur du citoyen, lui aussi. Il me semble que ce sont des gens qui, eux aussi, ont des avis juridiques ou des gens qui sont équipés pour en avoir.

Alors, on sait très bien, et c'est là qu'on regarde la partialité, que, lorsqu'on donne un mandat à une firme quelconque pour obtenir un avis, généralement on s'organise, vu qu'on paie, pour obtenir l'avis qu'on veut bien avoir. M. le ministre, ce que je veux dire par là, c'est que les avis juridiques maison du ministre, là, je préfère avoir ceux, moi, du Protecteur du citoyen puis ceux du Barreau du Québec, qui me semblent beaucoup plus impartiaux dans ces cas-là.

Autre chose, je ne trouve pas juste non plus que le ministre vienne dire: Arrêtez de défendre vos intérêts, défendez donc les citoyens ou parlez-nous... pas honnêtement, mais quasiment, là, c'est ça qu'il disait. Comme si vous étiez ici pour défendre vos intérêts. Moi, franchement, je trouve que c'est un peu poussé. Et je dirais que, si vous, vous défendez vos intérêts, ça ne m'a pas paru le cas. Lui, il défend ceux de la CSST, parce que, chaque fois qu'il parle, c'est M. Shedleur qui lui souffle à l'oreille ce qu'il répond.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Gobé: Alors, entre deux, je préfère le vôtre au sien. Ceci étant dit, on a beaucoup parlé de la cause Montambault. Madame, vous avez parlé beaucoup, de cette cause-là. Et, lorsque le Conseil du patronat est venu ici en cette commission, il nous a fait part d'une décision dans l'affaire Newfoundland Telephone, il a pris ça comme argument pour défendre son argumentation. Alors, j'aimerais ça, peut-être, vous entendre là-dessus et puis que vous expliquiez aux membres de la commission les rapports qu'il y a à ça.

(15 heures)

Mme Leydet (Anne): Oui. Je peux tout à fait répondre à cette question, M. Gobé. La cause qui a été citée par le Conseil du patronat est une décision et, en fait, est un passage, un extrait de la décision des motifs du juge Cory de la Cour suprême du Canada. C'est une décision de 1992, donc qui précède celle de la Régie des alcools et évidemment celle de Montambault dans la Cour d'appel. Et je vais citer ce passage-là, c'est un passage dans lequel on dit que «la composition – et c'est ce que je vous ai dit tout à l'heure – de la Commission peut et, dans bien des cas, devrait refléter tous les éléments de la société». Et le juge continue en disant qu'il faudrait faire figurer dans ces tribunaux-là des experts qui donneraient des conseils relatifs aux aspects techniques, des opérations à étudier par la commission, des représentants du gouvernement et de la collectivité. Ce que le Conseil du patronat a peut-être omis de vous dire – je ne sais pas, je n'étais pas là – c'est qu'il y a un paragraphe qui précède celui qu'il vous cite, du juge Cory, qui précise bien que ce qu'il s'apprête à dire concerne les tribunaux de régulation comme la CSST, où effectivement, à fort bon droit, bravo! le législateur québécois a, avec une grande sagesse, décidé d'y faire représenter tous les milieux. Des tribunaux de régulation. Le juge Cory ne parlait pas de tribunaux administratifs d'appel comme la Commission d'appel. Je pense que ce qui est important quand on cite le juge Cory, c'est de le citer en entier. Alors, je ne sais pas si...

Une voix: Le Protecteur du citoyen...

Mme Leydet (Anne): Et le Protecteur du citoyen, je vais vous en parler tout à l'heure, parce que je ne fais finalement que paraphraser ce que le Protecteur du citoyen – je pense que c'est Me Meunier qui va s'exprimer tout à l'heure – va venir vous dire.

Alors, ça, c'est une chose. Je pense que vous aviez une autre question. On nous parlait de représenter nos intérêts. Écoutez, il faut quand même... Bon. Tout à l'heure, je vous l'ai dit, on peut parler de la Régie des alcools, des avis juridiques. Vous savez, j'ai travaillé pour Ogilvy, Renault pendant 10 ans. Vous me parliez tout à l'heure de McCarthy Tétrault, ce sont des gens formidables. Des grands bureaux d'avocats qui ont des avis juridiques, des petits bureaux d'avocats qui ont des avis juridiques, on va en trouver à n'en savoir que faire, M. le ministre. Ce qui est important, c'est le travailleur qui est devant le banc, qui, lui, va nous regarder et qui va peut-être dire quelque chose qui a été dit dans la salle tout à l'heure: Votre boss, «c'est-u» le président de la CSST? Ça, c'est le problème, c'est la crainte. Et le problème que cette crainte-là naisse de la personne devant le banc de la Commission paritaire, c'est de dire: Vous, votre boss, «c'est-u» le président de la CSST?

C'est ça, le problème de garantie d'indépendance et d'impartialité, M. le ministre, ce n'est rien d'autre. Ce n'est pas nos intérêts à nous, on n'est pas ici en curé. On a autant de curés de paroisse qui prêchent pour leur paroisse ici qu'il y a de membres à cette table et dans l'audience. Ce qui est important, c'est les gens qui vont être devant nous. C'est tout. C'est ce qu'on est venus vous dire aujourd'hui.

M. Gobé: Vous me permettrez de souscrire tout à fait à ce que vous venez de dire. En ce qui concerne les chiffres que vous nous avez donnés, à date, il n'y a pas de raison que nous les mettions en doute. Pourriez-vous nous dire d'où vous les tenez, vous, vos chiffres sur les délais, comparativement à ceux du ministre?

M. Dubois (Jean-Marc): Sur les délais, les informations, moi, que j'ai prises, je les ai prises à la Commission d'appel, les délais les plus récents, les statistiques les plus récentes. L'information qu'on me donne, qui vient du bureau du président de la Commission d'appel, est celle que je vous ai donnée tout à l'heure, que nos délais de traitement du dossier, à ce moment-ci, sont de 12 mois. Et ça, cet objectif-là maintenant a été atteint à la grandeur du Québec.

Le député Côté disait tout à l'heure qu'on était en 1995-1996. C'est dans le rapport annuel: en 1995-1996, on était à 14 mois et, pour l'Est du Québec, à 12 mois. Ça, c'est le rapport annuel. Il a été vérifié par le Vérificateur. C'est des chiffres qui sont publics, là. Moi, les chiffres que j'ai obtenus me viennent du bureau du président de la Commission d'appel. C'est la semaine dernière qu'on m'a donné ces informations-là.

M. Gobé: Parce que, voyez-vous, ce qui se produit, c'est que, depuis le début de la commission, plusieurs groupes ont fait valoir ça. Il y a eu l'ATTAQ qui l'a fait valoir, la CSN nous en a parlé, d'autres groupes aussi, d'ailleurs. On se retrouve, là, avec vraiment une contradiction majeure. Comment vous expliquez ça, vous?

M. Dubois (Jean-Marc): Je ne sais pas de quoi vous parlez.

M. Gobé: Vous l'avez, là, maintenant?

M. Dubois (Jean-Marc): Il faudrait peut-être demander à notre président de faire déposer les statistiques à jour devant la commission parlementaire. On peut bien faire la démarche, mais...

M. Gobé: Parce que c'est grave, là. En d'autres termes, on est en train de justifier un projet de loi sur des statistiques d'une situation antérieure qui n'existe plus maintenant. Parce que le ministre, on l'a écouté il y a quelques minutes, il a dit: C'est fini, les grands délais, ça va aller vite. Puis il déchirait un peu sa chemise, je l'ai vu, là.

M. Dubois (Jean-Marc): Puis ça, ça me fait mal au coeur.

M. Gobé: Là, ils ne sont plus là, les délais. Alors, si vraiment ce que vous dites, là, ce n'est plus ça, bien, il n'y a pas de raison de faire le projet de loi. Pour les raisons qu'il invoque, il y a d'autres raisons à ce moment-là, bien, là, il les amènera, mais pas celles des délais.

M. Dubois (Jean-Marc): Écoutez, moi, je ne sais pas d'où viennent les informations de l'autre côté.

M. Gobé: Mais il nous dit que oui.

M. Rioux: Vous contestez ces chiffres-là?

M. Dubois (Jean-Marc): Non, non, moi, je ne conteste rien. Je suis ici pour essayer que tout le monde soit le mieux éclairé possible, M. le ministre.

Mme Leydet (Anne): Ce qu'on vous dit, c'est évidemment que, nous, notre travail, M. le ministre, c'est d'écouter des causes et de rendre des décisions et surtout pas de les compter. On n'a pas le temps, d'ailleurs, parce que justement il faut aller au plus vite.

M. Dubois (Jean-Marc): Mais il y a autre chose...

Mme Leydet (Anne): Mais on a des chiffres qui nous ont été remis, comme le disait mon collègue, par la présidence de la Commission d'appel. Tout ce qu'on peut vous dire, c'est qu'on peut vous les donner. Maintenant, si la commission parlementaire a un débat ou un problème avec les chiffres à sa disposition, qu'ils lui aient été fournis par la CSST ou par la Commission d'appel, bien, à ce moment-là, que la lumière soit faite sur les véritables chiffres.

M. Dubois (Jean-Marc): Je peux vous dire mieux que ça. Aussi, en dehors des statistiques et des colonnes de chiffres, on siège à tous les jours. Je peux vous dire que les dossiers qu'on traite, on les a devant nous, là. Au moment où on se parle, les dossiers qu'on prend, c'est des dossiers qui sont près de 12 mois et moins de 12 mois, mais plus 12 mois et moins qu'autrement. Ça, c'est les dossiers qu'on entend à tous les jours, là. Alors, on les voit, ils sont devant nous, ces dossiers-là, je ne vais pas les chercher. Écoutez, hier, j'ai siégé, moi, et puis j'ai entendu des causes, des appels qui étaient à la Commission d'appel, et là je ne vous parle pas des dossiers qui ont fait l'objet de trois, quatre remises à la demande des parties; ça, c'est des délais qui ne nous sont pas imputables.

M. Rioux: Alors, le 2,4 ans, vous le contestez?

M. Dubois (Jean-Marc): Moi, ce que je vous dis, ce qu'on traite, là, à l'heure actuelle... Moi, hier, j'ai entendu des causes de janvier et février 1996. Ça, c'est la date où l'appel a été logé à la Commission d'appel. Je les ai entendues, puis je peux vous dire que, d'ici trois semaines, les parties vont avoir la décision.

Le Président (M. Beaulne): M. le député.

M. Gobé: Oui, surtout qu'on voit dans la formule – je ne sais pas si vous l'avez – le tableau 1, CALP, tous les domaines, délai entre la déclaration d'appel à la CALP et la décision, petit point 2: en 1993, 792 jours; en 1994, 764; délai moyen en 1995 non disponible; délai moyen en 1996 non disponible.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Gobé: Il y a un problème, là. On est en train de nous dire que Shedleur, il fait des lois avec des trucs non disponibles. Il faut être sérieux!

Mme Leydet (Anne): Ce sont des chiffres publics.

M. Gobé: Ce n'est pas sérieux, votre truc.

Mme Leydet (Anne): Ce sont des chiffres publics, M. Gobé. Les chiffres sont publics, ils sont tout à fait disponibles. Peut-être qu'à la commission parlementaire ne les a pas, mais le public peut les avoir. Ça, c'est sûr.

Le Président (M. Beaulne): Alors, M. le député d'Argenteuil, vous aviez demandé la parole.

M. Gobé: M. le Président, je souhaiterais, en terminant mon temps de parole...

Le Président (M. Beaulne): Oui. Allez-y, pour terminer.

M. Gobé: ...que la commission puisse avoir toutes les données à date en ce qui concerne les délais, les temps d'appel et les décisions qui sont prises à la CSST, toutes confondues, là, ainsi que les opinions juridiques, bien sûr, mais ça, c'est accessoire. Mais les délais, qu'on les ait, qu'on ait ça à date.

Le Président (M. Beaulne): Votre intervention est bien reçue, M. le député. Je suis sûr que le ministre fera le nécessaire pour éclairer la commission. M. le député d'Argenteuil.

M. Beaudet: Merci, M. le Président. Moi aussi, je dois vous dire que j'ai beaucoup apprécié votre mémoire, d'abord, quand vous vous adressez au paritarisme, ce qui avait déjà été fait dans le rapport Durand, où vous disiez que le paritarisme a essentiellement pour but de permettre à des groupes distincts de défendre leurs intérêts respectifs. Alors, on partage cette opinion-là, de notre côté.

Si j'ai bien compris l'intervention de M. Robichaud lorsqu'il nous cite l'article 378 de la loi actuelle, l'utilisation des assesseurs préviendrait tous les problèmes qu'on envisage aujourd'hui. J'espère que vous n'êtes pas en train de nous dire que, si le législateur utilisait tous les articles qu'on a mis à sa disposition, nous, on serait en train de perdre notre temps. J'espère que ce n'est pas ça que vous êtes après nous dire, là.

M. Robichaud (Gilles): Je ne vous dirai pas ça, mais vous avez entendu les conciliateurs ce matin. Nulle part dans la loi on parle de conciliation. Pourtant, c'est à partir de cet article-là qu'on a mis sur pied la conciliation à la Commission d'appel. Alors, écoutez, je ne vous dis pas nécessairement vous perdez votre temps, mais que l'article 378 permet de faire ce qu'on recherche.

M. Beaudet: En d'autres termes, vous avez dans les mains tous les outils pour faire fonctionner le mécanisme, de sorte que le travailleur accidenté va avoir réponse à son problème, va avoir ça dans des délais adéquats puis va avoir justice au bout de la ligne.

M. Robichaud (Gilles): Je pense qu'actuellement, c'est ce qu'on pourrait dire.

M. Beaudet: Vous avez tout ce qu'il faut.

M. Dubois (Jean-Marc): Si, à l'heure actuelle, on dit qu'on traite, on sort autant de dossiers qu'il en rentre, c'est un exemple qu'ils sont traités en dedans de 12 mois.

Le Président (M. Beaulne): Alors, M. le député de Bourassa.

M. Charbonneau (Bourassa): Oui, M. le Président. Je voudrais inviter M. Robichaud à reprendre cette partie de son exposé à l'intention du ministre, lorsqu'il a expliqué bien clairement tout à l'heure que 378 permettait d'arriver à des formules pouvant s'adapter aux situations. Au moment où l'oreille du ministre est libre de son conseiller, là, il va pouvoir vous entendre en direct, parce que tout à l'heure il était très, très occupé.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Charbonneau (Bourassa): J'ai remarqué qu'à ce moment-là il était accaparé par les bons conseils qu'on lui prodiguait. Pouvez-vous reprendre ce passage-là pour lui dire qu'il a déjà les instruments?

(15 h 10)

Le Président (M. Beaulne): M. Robichaud, avant que vous repreniez ce passage-là, je vous ferai remarquer qu'il reste trois minutes à l'échange qui est prévu entre votre groupe et les parlementaires. Alors, allez-y en réponse à la question du député de Bourassa, mais à l'intérieur du délai imparti.

M. Robichaud (Gilles): Bien, écoutez, l'article 378, ça prend une intention ferme du ministre de vouloir faciliter le travail à la Commission d'appel. À partir d'une intention semblable, parce que ça se traduit sur le plan budgétaire évidemment, si on embauche des nouveaux assesseurs, il y aurait, avec l'article 378, la possibilité de nommer des personnes pour éclairer le décideur ad hoc, c'est-à-dire sur des questions très précises que le tribunal ou le président du tribunal, la direction du tribunal pourrait elle-même décider, comme c'est d'ailleurs prévu déjà dans le projet de loi, c'est le président qui décide d'assigner les formations. Avec l'article existant, il pourrait très bien, selon les besoins, le faire. Il reste combien de temps, M. le Président?

Le Président (M. Beaulne): Une minute et demie.

M. Robichaud (Gilles): Je rappellerai quelque chose d'essentiel, c'est que le rapport Durand, quand il parlait de paritarisme et de la création d'une commission paritaire de lésions professionnelles, il parlait de sages, M. Ouellette, Mme Durand, Dr Bergeron parlaient d'un comité de sages qui ne diraient pas le droit, parce que le droit serait dit par la Cour d'appel du Québec et la Cour suprême ultimement. Le paritarisme, c'est dans ce sens-là qu'à l'origine le professeur Ouellette l'a recommandé. Le projet de loi n° 79 fait qu'on continue, la nouvelle Commission, à dire le droit de façon finale et sans appel. Ça, ce n'est pas remis en question, et c'est fondamentalement différent. C'est tout le temps qu'on avait, je vous laisse là-dessus.

Le Président (M. Beaulne): Je vous remercie. Malheureusement, c'est tout le temps que nous avons pour cet échange avec vous. Je suspends une minute pour permettre aux représentants du Protecteur du citoyen de prendre place.

(Suspension de la séance à 15 h 12)

(Reprise à 15 h 15)

Le Président (M. Beaulne): Nous allons procéder à l'audition des représentants du Protecteur du citoyen. Alors, M. Meunier, la commission vous souhaite la bienvenue, en vous rappelant que vous avez une heure... S'il vous plaît, je vous demanderais un peu de silence au fond de la pièce. Ceux qui ont des caucus spéciaux, je vous invite à les faire dans le couloir.

La commission va poursuivre ses travaux. Alors, M. Meunier, je vous rappellerai que vous avez une heure pour échanger avec les représentants des formations politiques. Vous connaissez les procédures des commissions. Alors, sans plus tarder, je vous donne la parole.


Protecteur du citoyen

M. Meunier (Jacques): Merci beaucoup, M. le Président. Alors, comme l'a souligné le ministre du Travail dans son discours de présentation du projet de loi n° 79, ce projet a pour objet de réformer l'ensemble du processus de contestation des décisions rendues en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et la Loi sur la santé et la sécurité du travail. Cette réforme, le Protecteur du citoyen, comme plusieurs autres, la réclame depuis longtemps et en a fait état à plusieurs reprises dans des rapports où il exposait les problèmes résultant des processus de contestation présentement en vigueur.

Qui dit réformer dit changer en mieux, corriger. La question qui se pose en procédant à l'examen du projet de loi est donc: Change-t-il les choses en mieux? Pour le Protecteur du citoyen, changer les choses en mieux en matière de contestation des décisions rendues par la CSST, c'est d'abord favoriser la qualité et la clarté des décisions de cet organisme en stimulant l'équité procédurale, la simplicité et la célérité des processus décisionnels. Nous fondons évidemment de grands espoirs à cet égard sur la mise en vigueur prochaine des règles générales applicables à des décisions individuelles prises à l'égard d'un administré, et plus particulièrement de celles que l'on retrouve aux articles 2 à 8 de la Loi sur la justice administrative sanctionnée le 16 décembre dernier. D'ailleurs, nous comprenons difficilement que n'ait pas été envisagée la possibilité de mettre en vigueur dès maintenant ces dispositions, sans attendre l'adoption de la Loi sur l'application de la Loi sur la justice administrative dont la mise en vigueur ne nous apparaît pas essentielle aux fins de l'application de ces quelques règles.

Changer les choses en mieux en matière de contestation des décisions rendues par la CSST, c'est aussi, croyons-nous, éliminer le palier des bureaux de révision paritaire. À notre avis, c'est certes là la principale contribution du projet de loi n° 79 à l'amélioration des choses. Le Protecteur du citoyen a, en maintes occasions, dénoncé le rôle majeur des bureaux de révision paritaire dans l'accroissement phénoménal de la judiciarisation du régime. Viser la déjudiciarisation du processus de contestation des décisions de la CSST impliquait donc nécessairement la disparition de ces bureaux.

Toujours préoccupés des changements en mieux susceptibles d'améliorer le sort des parties à des litiges avec la CSST, nous nous attarderons maintenant aux deux volets principaux du projet de loi n° 79, à savoir, dans un premier temps, la création de la Commission des lésions professionnelles à titre de tribunal administratif d'appel des décisions de la CSST et, dans un deuxième temps, la modification du processus d'évaluation médicale du travailleur victime d'une lésion professionnelle.

L'institution de la Commission des lésions professionnelles constitue la principale raison d'être du projet de loi n° 79. Le projet de créer cette nouvelle Commission a fait jusqu'ici l'objet de plusieurs commentaires publics divergents, témoignant ainsi de la grande importance pour les parlementaires de situer au plus haut niveau leur analyse de la proposition gouvernementale. Si le Protecteur du citoyen croit nécessaire de prendre position dans ce débat, c'est qu'il considère de son devoir de s'assurer que les modifications apportées soient vraiment utiles et efficaces, ne soient pas source de litiges inutiles et permettent d'assurer à toutes les parties en cause la justice qu'elles sont en droit d'attendre d'un tribunal.

(15 h 20)

Pour bien aborder ce débat, il faut évidemment se faire une idée du rôle que le législateur entend faire jouer à la Commission projetée. D'abord, ce sera un tribunal administratif de juridiction exclusive dont les décisions seront de caractère obligatoire, finales et sans appel, et qui sera chargé de statuer sur les recours formés en vertu des articles 359 et 359.1 de la LATMP ou en vertu des articles 37.3 et 193 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, même lorsque les problèmes à trancher mettront en cause l'application des chartes des droits et libertés. Ce sera également un tribunal qui, en matière de prévention et d'indemnisation des lésions professionnelles, sera paritaire, c'est-à-dire qu'y siégeront alors, dans chaque formation du tribunal, en outre d'un commissaire, un membre issu des associations syndicales et un autre issu des associations d'employeurs.

Nos commentaires concernant la Commission proposée porteront avant tout sur l'apport le plus significatif de ce projet de loi, c'est-à-dire l'introduction du paritarisme au sein du tribunal d'appel en matière de lésions professionnelles. Nous examinerons le sujet, d'abord, sous l'angle du droit et, ensuite, sous l'angle de la raisonnabilité.

Qu'on le veuille ou non, on ne peut aborder l'institution d'un tribunal administratif tel que la Commission des lésions professionnelles sans devoir vérifier l'adéquation de ses caractéristiques aux règles fondamentales destinées à garantir sa pleine capacité de rendre la justice administrative. L'article 9 de la Loi sur la justice administrative tout récemment longuement débattue et adoptée prévoit ce qui suit: «Les procédures menant à une décision prise par [...] un [...] organisme de l'ordre administratif chargé de trancher des litiges opposant un administré à une autorité administrative ou à une autorité décentralisée sont conduites, de manière à permettre un débat loyal, dans le respect du devoir d'agir de façon impartiale.»

Cette disposition, applicable à la Commission des lésions professionnelles à titre d'organisme de l'ordre administratif chargé de trancher de tels litiges, constitue la première des règles que le Parlement vient de formuler en matière d'exercice d'une fonction juridictionnelle. Cette règle doit se lire à la lumière de la disposition préliminaire énoncée à l'article 1 de la même loi qui affirme notamment: «La présente loi a pour objet d'affirmer la spécificité de la justice administrative et d'en assurer la qualité, la célérité et l'accessibilité, de même que d'assurer le respect des droits fondamentaux des administrés.»

Est-il nécessaire de le souligner, les principes ainsi formulés s'inspirent des règles de la justice naturelle et de la Charte des droits et libertés de la personne, loi fondamentale qui, comme vous le savez tous, est de caractère quasi constitutionnel. Les droits qu'énonce cette Charte sont au sens large des droits fondamentaux qui prévalent sur toutes les autres normes en l'absence d'une disposition en écartant expressément l'application. Parmi ces droits, le plus important en matière de justice administrative est certes l'article 23 qui veut que «toute personne ait droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu'il s'agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation portée contre elle». Il est à noter qu'en aucun endroit du projet de loi n° 79 il n'est prévu que l'une ou l'autre de ces dispositions s'applique malgré cet article 23, ce qui aurait constitué la seule manière d'y déroger.

Les trois dispositions citées ci-dessus affirment donc haut et fort le devoir d'un tribunal administratif d'être indépendant et d'agir de façon impartiale et sans préjugé. C'est sans doute pourquoi, dans la Loi sur la justice administrative, dès le premier article concernant la composition du Tribunal administratif du Québec, le législateur édicte que «le tribunal est composé de membres impartiaux et indépendants, nommés par le gouvernement». On ne retrouve malheureusement pas une telle affirmation à la disposition correspondante du projet de loi n° 79 qui se limite à énoncer que «la Commission des lésions professionnelles est composée de membres, dont certains sont commissaires».

Il ne serait être ici question d'entreprendre un traité de l'impartialité suivant la doctrine et la jurisprudence, mais il nous apparaît incontournable de nous arrêter brièvement à quelques opinions d'auteurs et énoncés des plus hauts tribunaux qui, nous l'estimons, justifient nos appréhensions.

Dans l'arrêt du 21 novembre dernier, Québec inc. contre Québec, la Régie des permis d'alcool, le juge Gonthier, auquel se rallient sept de ses collègues de la Cour suprême du Canada, rappelle ce en quoi consiste, aux yeux de la cour, la notion d'impartialité: «L'impartialité désigne un état d'esprit ou une attitude du tribunal vis-à-vis des points en litige et des parties dans une instance donnée. Le terme "impartial" connote une absence de préjugé, réel ou apparent [...]. Il ne fait plus de doute que l'impartialité, tout comme l'indépendance, comporte un aspect institutionnel.»

Il cite ensuite le juge en chef Lamer dans l'arrêt Lippé qui écrivait: «Qu'un juge particulier ait ou non entretenu des idées préconçues ou des préjugés, si le système est structuré de façon à susciter une crainte raisonnable de partialité sur le plan institutionnel, on ne satisfait pas à l'exigence d'impartialité.»

Toujours dans l'arrêt Québec inc., le juge Gonthier écrit: «Il ne fait, en effet, pas de doute que les tribunaux administratifs n'auront pas nécessairement à présenter les mêmes garanties objectives relatives à l'indépendance que les cours supérieures. Je rappelle toutefois que l'article 23 ne tolère pas l'existence d'organismes à propos desquels un observateur bien renseigné, à l'issue de l'analyse de tous les éléments pertinents, éprouverait des craintes raisonnables de partialité.» Et traitant toujours d'impartialité, la Cour suprême se déclare alors d'accord avec l'affirmation du juge Vaillancourt, de la Cour supérieure, dans la même cause, qui disait: «On ne transige pas avec l'impartialité, qui ne saurait être modulée ou à la baisse. D'un décideur, qu'il s'agisse d'un tribunal judiciaire ou quasi judiciaire, on ne saurait accepter qu'il soit presque impartial.»

Au sujet de ce qu'il qualifie de la multitude de mécanismes qui rendent des décisions à caractère parfois autant, sinon plus, administratif que judiciaire, décisions qui n'en influencent pas moins profondément la vie d'un nombre considérable de personnes, ce même juge, dont la Cour suprême cite avec approbation les énoncés, écrit: «Ces organismes sont certes devenus indispensables au bon fonctionnement de notre gouvernement comme à celui de la plupart des démocraties modernes, mais est-ce là une raison suffisante pour accepter que leurs décisions ne soient pas impartiales? Nous ne le croyons pas, d'abord et avant tout parce que l'impartialité, nous le répétons, ne saurait être qu'irréprochable, et ensuite parce que toute personne possède un droit fondamental à une justice d'une telle qualité.»

Enfin, dans ce rappel sommaire de la position de la Cour suprême du Canada en matière d'impartialité des tribunaux quasi judiciaires, nous ne pouvons éviter de commenter la citation à maintes reprises utilisée par le Conseil du patronat et qui est venue sur la table tantôt dans une question posée à l'Association des commissaires. Le Conseil du patronat, dans ses interventions, cite le juge Cory de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Newfoundland Telephone contre Terre-Neuve. L'extrait qu'il cite dit ceci: «La composition des commissions peut et, dans bien des cas, devrait refléter tous les éléments de la société. Parmi les membres peuvent figurer des experts qui donneront des conseils relatifs aux aspects techniques des opérations à étudier par la commission – il dit bien: "aux aspects techniques des opérations à étudier par la commission" – ainsi que des représentants du gouvernement et de la collectivité. Rien n'empêche que des défenseurs des intérêts des consommateurs ou des utilisateurs du produit réglementé soient membres de la commission lorsque les circonstances le permettent. Nul doute que beaucoup de commissions fonctionneront plus efficacement si tous les éléments de la société qui s'intéressent à leurs activités y sont représentés.»

Dans l'alinéa précédant l'extrait ci-dessus cité, le juge Cory écrivait: «Certaines commissions cumulent les fonctions d'enquêteur, de poursuivant et de juge. Seules les commissions réunissant ces trois pouvoirs sont en mesure d'assurer une réglementation adéquate d'industries complexes ou monopolistiques fournissant des services essentiels.» Il nous apparaît évident que le juge Cory ne vise ici que des commissions administratives dont la tâche principale est la régulation de certains secteurs de l'activité économique et plus particulièrement la régulation d'un produit. À cet égard, le juge lui-même, à la page 638 du jugement, affirme: «De toute évidence, il existe une grande diversité de commissions administratives. Celles qui remplissent des fonctions essentiellement juridictionnelles devront respecter la norme applicable aux cours de justice. C'est-à-dire que la conduite des membres de la commission ne doit susciter aucune crainte raisonnable de partialité relativement à leur décision.»

Dans le même esprit, quelques pages plus tôt, le juge Cory, traitant de l'équité procédurale que doit manifester tout corps administratif, écrivait: «Bien que tous les corps administratifs soient soumis à l'obligation d'agir équitablement, l'étendue de cette obligation tient à la nature et à la fonction du tribunal en question. L'obligation d'agir équitablement comprend celle d'assurer aux parties l'équité procédurale, qui ne peut tout simplement pas exister s'il y a partialité de la part d'un décideur. Il est évidemment impossible de déterminer exactement l'état d'esprit d'une personne qui a rendu une décision d'une commission administrative. C'est pourquoi les cours de justice ont adopté le point de vue que l'apparence d'impartialité constitue en soi un élément essentiel de l'équité procédurale.» Et je souligne qu'on est ici en matière d'équité procédurale, ce qui, selon la doctrine et la jurisprudence, est à un niveau même inférieur aux règles exigées de justice naturelle, règles exigées normalement des cours et des tribunaux administratifs exerçant des fonctions semblables.

(15 h 30)

Devant tous ces principes et devant un tribunal projeté dont le rôle est en tous points semblable à celui d'un tribunal judiciaire, si ce n'est qu'il ne sera pas présidé par un juge, tribunal dont les décisions seront finales et sans appel, seront obligatoires et pourront être exécutées par simple dépôt au greffe de la Cour supérieure, quelle que soit l'importance des montants ou conséquences en jeu pour l'une des parties, nous ne pouvons que conclure qu'un tribunal supérieur appelé à appliquer l'article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne à l'examen de la validité de la Commission des lésions professionnelles ne pourra qu'y rechercher des caractéristiques d'un niveau très élevé, près de celles que la doctrine et la jurisprudence exigent d'une cour de justice.

Or, même si nous devons déplorer la non-disponibilité des projets de règlement qui nous auraient permis de mieux apprécier la portée de plusieurs dispositions du projet de loi, nous avons toutes raisons de penser que tant l'examen du statut et du rôle des membres issus d'associations qu'une connaissance élémentaire de la culture d'affrontement de ces associations et de leurs militants, parmi lesquels seront tout naturellement choisis les candidats que se répartiront les parties constituant le CCTMO, peuvent produire dans l'esprit d'un travailleur ou d'un employeur le moindrement au fait de la réalité des choses une crainte raisonnable que l'un des membres du tribunal chargé de décider de ses droits entretienne un préjugé défavorable à son endroit et soit incapable d'impartialité. Je vous invite, à cet égard, à examiner le tableau que nous avons joint en annexe à notre mémoire et qui illustre, je pense, très fortement la disparité de statut et du rôle des deux catégories de membres éventuels de la Commission des lésions professionnelles.

Les appréhensions récemment exprimées dans les médias et sans doute reprises dans divers mémoires présentés devant vous au sujet du paritarisme de la Commission des lésions professionnelles proposée témoignent sans contredit d'un doute très sérieux et répandu au sujet de l'impartialité de ce futur organisme décisionnel. Il ne s'agit certes pas de craintes plus ou moins fantaisistes, mais d'une appréhension sérieuse résultant d'une connaissance du système et de la culture qui légitimement l'anime. Comme l'écrit le professeur Garant à la page 332 de son traité, «il importe peu qu'une personne soit partiale consciemment, inconsciemment ou même pas du tout; ce qui importe, c'est le fait de savoir si, en regardant toutes les circonstances objectivement, on pourrait avoir une appréhension raisonnable que cette personne agira d'une façon partiale».

La Cour d'appel du Québec affirmait sensiblement la même chose dans l'arrêt Saint-Hilaire contre Bégin en 1982, alors que la cour était appelée à appliquer l'article 23 de la Charte à une enquête menée par Me Paul Bégin à titre d'enquêteur désigné par la Commission municipale du Québec pour lui faire rapport. Tout en soulignant qu'il n'y avait pas lieu de mettre en doute l'intégrité et l'impartialité de l'enquêteur, la juge L'Heureux-Dubé, alors de la Cour d'appel, déclarait: «Il est possible et même probable que sa connaissance préalable du dossier, sa participation à des procédures contre certains des appelants ne l'empêcheraient pas de conduire de façon impartiale l'enquête dont il est chargé. Là n'est toutefois pas la question. Les apparences sont le facteur déterminant. Pour le justiciable, la justice doit être au-dessus de tout soupçon et toute appréhension raisonnable de partialité doit être évitée.»

Le fait que le groupe de travail mandaté par la CSST voyait ces membres issus d'associations comme des représentants soit de travailleurs, soit d'employeurs et la récente demande du Conseil du patronat à l'effet que les travailleurs et les employeurs puissent désigner eux-mêmes leurs représentants à la Commission des lésions professionnelles n'offrent rien de rassurant quant à la conception ainsi véhiculée de l'irréprochable apparence d'impartialité que doit avoir le tribunal et chacun de ses membres.

En terminant nos commentaires d'ordre juridique, nous voudrions répondre à l'argument qui allègue les précédents existant dans d'autres provinces canadiennes et dans d'autres pays en soulignant que seul le Québec, parmi ces États ou provinces, a une règle de justice naturelle enchâssée dans une charte quasi constitutionnelle et une toute récente Loi sur la justice administrative qui témoigne indiscutablement des aspirations élevées du Parlement et de la population qu'il représente en matière de justice administrative. C'est sous cet éclairage tout à fait particulier que le projet de loi n° 79 doit être évalué, et il est loin d'être certain que les précédents étrangers subiraient avec succès le test de notre contexte juridique particulier.

Maintenant, on aborde l'examen de la Commission sous l'angle de la raisonnabilité. On invoque que le paritarisme serait une caractéristique fondamentale du régime québécois de santé et de sécurité du travail pour justifier son implantation au sein du tribunal administratif d'appel en matière de lésions professionnelles. Si ce paritarisme a donné d'excellents fruits en matière de recherche, de prévention et d'administration, il n'est pas aussi évident qu'il soit essentiel en matière juridictionnelle. Il y a d'ailleurs lieu de noter que le projet de loi ne prévoit l'implantation de cette caractéristique fondamentale que dans la division de la prévention et de l'indemnisation et non pas dans la division du financement.

Le Parlement peut bien, en fonction du rôle qu'il envisage pour l'organisme créé, choisir la forme que prendra celui-ci. Cependant, il ne peut, comme nous venons de le voir, ignorer les droits prépondérants que la Charte accorde à un citoyen lorsque celui-ci entend faire décider de ses droits. Les parlementaires ne peuvent non plus oublier tous les beaux discours qu'ils viennent de prononcer ou d'entendre sur la nécessité d'adopter toutes les mesures requises afin de favoriser une justice administrative de haute qualité.

La Commission des lésions professionnelles projetée n'est pas un organisme de régulation; c'est un tribunal comme la Commission des affaires sociales, comme le sera le Tribunal administratif du Québec, semblable aux tribunaux judiciaires appelés à décider des circonstances d'un accident de ski ou d'une chute sur un trottoir et de l'indemnisation à verser à la victime.

Pourquoi le paritarisme y serait-il plus nécessaire qu'au sein de la Commission des affaires sociales ou du Tribunal administratif du Québec qui juge et jugera du bien-fondé des décisions de la CSST en application de la Loi sur les accidents du travail? Pourquoi le paritarisme ne serait-il pas tout aussi essentiel au sein des tribunaux judiciaires, y compris la Cour suprême du Canada, lorsqu'ils sont appelés à trancher de litiges en matière de santé et sécurité du travail?

Dans ce contexte et dans celui de la récente adoption de la Loi sur la justice administrative, l'institution de la CLP nous apparaît inopportune. Le projet initial du gouvernement, inspiré des recommandations du groupe de travail constitué en 1994 à l'initiative du ministre de la Justice, d'intégrer la CALP à titre de division au sein du Tribunal administratif du Québec était certes beaucoup plus raisonnable et cohérent avec l'ensemble de notre droit.

Quelques autres commentaires s'imposent. D'abord, nous ne pouvons manquer de dénoncer le fait que les membres paritaires de la CLP soient issus des associations syndicales et des associations d'employeurs, alors même que plus de la moitié des travailleurs ne sont pas syndiqués et qu'un grand nombre de patrons ne sont pas membres d'une association d'employeurs. Aucun de ces travailleurs non syndiqués ou employeurs non membres d'associations ne pourra aspirer à devenir membre du tribunal projeté. Si le monopole des grands syndicats et des grandes associations patronales a été jugé opportun au sein du CCTMO et de la CSST, il ne nous apparaît pas justifiable de lui accorder le pouvoir exclusif d'exercer son influence sur la reconnaissance des droits de chacun des travailleurs et travailleuses accidentés.

Le Protecteur du citoyen doit aussi déplorer le non-assujettissement de la Commission des lésions professionnelles à la compétence du Conseil de la justice administrative institué par la Loi sur la justice administrative. Non seulement la Commission des lésions professionnelles n'aura pas l'avantage de pouvoir bénéficier de l'autorité et des services du Conseil, mais les justiciables, quels qu'ils soient, ne jouiront d'aucun mécanisme crédible et externe de traitement de leurs plaintes à l'endroit d'un membre de la CLP. Il y a là un déséquilibre dans les systèmes et dans les droits qui nous apparaît injustifiable quand on considère que les fonctions d'un membre de la CLP sont du même ordre que celles des membres du Tribunal administratif du Québec.

Notons au passage que le Protecteur du citoyen n'ayant pas la compétence d'intervenir concernant les actes ou omissions d'une personne exerçant une fonction juridictionnelle, les justiciables qui auront un motif de se plaindre de la conduite d'un membre de la Commission des lésions professionnelles seront effectivement dans une situation désavantageuse.

Le Président (M. Beaulne): M. Meunier, je vous demanderais de conclure parce que le temps alloué à la présentation de votre mémoire est maintenant échu et que je voudrais donner l'occasion aux parlementaires de vous poser certaines questions.

M. Meunier (Jacques): Alors, en ce qui concerne le volet de notre examen des dispositions relatives au processus d'évaluation médicale, je vous réfère au mémoire qui est déposé, qui est quand même assez technique et qui réfère à des dispositions particulières.

Pour conclure, je voudrais dire que, tout en soulignant l'appui du Protecteur du citoyen à tout effort de déjudiciarisation des litiges opposant travailleurs et employeurs, entre eux ou à la CSST, nous ne pouvons que déplorer le soudain virage gouvernemental qui a retiré la division des lésions professionnelles du Tribunal administratif du Québec, tel que prévu dans le projet de loi n° 130 présenté par le ministre de la Justice en décembre 1995, pour finalement proposer l'institution d'un tribunal administratif paritaire d'appel des décisions de la CSST.

Voilà pourquoi il nous est apparu si important de vous faire connaître notre point de vue, nos appréhensions et suggestions concernant l'objet premier du projet de loi n° 79 dont vous avez entrepris l'étude.

(15 h 40)

Le Président (M. Beaulne): Merci. Alors, j'invite le ministre à échanger avec vous.

M. Rioux: M. Meunier, ça nous a fait plaisir de vous entendre, et puis je pense que les collègues de la commission également. J'aimerais savoir si la Charte canadienne est aussi contraignante concernant un tribunal impartial et indépendant que la Charte québécoise.

M. Meunier (Jacques): Je vous dirai tout de suite qu'à mon humble avis la Charte québécoise est plus contraignante.

M. Rioux: Est plus contraignante. En quoi?

M. Meunier (Jacques): Bien, c'est-à-dire que, dans la Charte québécoise, il y a une disposition expresse qui vise carrément le droit d'une personne à une audition devant un tribunal indépendant, impartial et qui ne soit pas préjugé. Et la notion de tribunal est clairement définie dans la Charte québécoise et inclut les tribunaux administratifs comme le serait la CLP, comme l'est la CALP ou comme le sera, lors de l'application, le Tribunal administratif du Québec.

M. Rioux: Vous voyez la création de la Commission des lésions professionnelles comme une sorte d'hérésie. Vous dites: On aurait dû s'en tenir aux orientations de la loi n° 130 qui faisaient en sorte que la CALP restait sous l'empire du ministère de la Justice et...

M. Meunier (Jacques): L'idée n'est pas nécessairement que ce soit sous l'empire du ministère de la Justice ou non. Votre terme d'hérésie, je ne l'emploierai pas...

M. Rioux: Mais le discours est à peu près comme ça.

M. Meunier (Jacques): ...mais je dirai quand même que, si vous l'avez compris comme ça, c'est peut-être que vous avez compris comme il faut le message.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Rioux: Le message est clair.

M. Meunier (Jacques): C'est que, évidemment, pour nous, dès qu'on a vu le retrait des dispositions concernant la CALP et qu'on a entendu dire qu'on s'en venait avec un projet de loi qui inclurait une Commission des lésions professionnelles de nature paritaire, là on a dit: On ne comprend plus rien. Parce que le Parlement du Québec était en train de se donner une Loi sur la justice administrative, avec des critères très élevés de qualité, des critères qui répondent en fait aux principes énoncés par la justice naturelle reconnue par nos tribunaux et par les auteurs. Tout à coup, on dit: Tiens, il y a un morceau qui vient de partir, là.

Comment ça se fait? Évidemment, on ne sait pas, là, comment ça se fait, sauf qu'on constate une réalité, c'est qu'il y a un projet de loi n° 79 qui propose une Commission des lésions professionnelles avec un pouvoir énorme, c'est-à-dire que c'est un vrai tribunal, dont les décisions sont finales et sans appel, qui est paritaire, qui prend beaucoup de précautions, dans sa formulation, pour donner l'impression qu'on ne veut pas autoriser, en fait, qu'il y ait de la partialité. C'est-à-dire que le texte proposé essaie, le mieux possible, en fait, de parer la contestation qui surviendra et que, nous, nous prévoyons dès la première journée où la Commission des lésions professionnelles siégera. Parce qu'on ne peut pas comprendre que, à un moment donné, il n'y ait pas un employeur ou un travailleur qui ne jugera pas à propos de contester la constitutionnalité de cette Commission-là, dans le contexte que j'ai décrit, et je vous ramène au contexte que j'ai décrit, tout en insistant sur le message beaucoup plus que sur le messager. J'ai entendu tantôt qu'on servait beaucoup le fait qu'il y avait eu consultation de bureaux d'avocats ou du professeur Ouellette, qui, en passant, est un de mes bons amis, que je respecte beaucoup, mais ce sur quoi nous voulons attirer votre attention, c'est sur le message beaucoup plus que sur les messagers.

M. Rioux: Donc, les décisions que pourraient prendre un tribunal paritaire tel que prévu au projet de loi n° 79, ce n'est pas la qualité des décisions que vous contestez, c'est l'apparence de partialité, ou d'impartialité, ou d'indépendance, ou de non-indépendance.

M. Meunier (Jacques): Au moment où on se parle, on ne peut pas préjuger que les membres, en fait, qui vont siéger vont agir nécessairement de façon partiale. La préoccupation qu'on a, c'est: Est-ce que déjà la structure est suffisamment acceptable pour passer à travers, en fait, une contestation judiciaire et aussi est-ce que la structure, le système proposé est acceptable pour que les citoyens, qu'ils soient travailleurs ou employeurs, puissent vraiment avoir confiance que les droits qui leur sont reconnus, notamment par l'article 23 de la Charte, leur seront reconnus? Est-ce qu'ils pourront faire confiance, en fait, à ce tribunal auquel ils s'adresseront pour trancher leurs droits? Puis leurs droits, pour beaucoup d'entre eux, ce n'est pas rien, c'est beaucoup. La Commission des lésions professionnelles, elle rend des décisions qui sont aussi importantes que bien des décisions de la Cour supérieure. Alors, ce n'est pas rien. Pour le citoyen dont les droits sont en cause, il faut qu'il puisse avoir confiance, pleine confiance dans ce tribunal-là.

Nous estimons, nous autres, que, tel qu'il apparaît, enfin tel qu'il est constitué dans le projet de loi, il y a des faiblesses là-dedans qui font qu'il y a des gens qui ne pourront pas avoir confiance, surtout les gens, comme employeurs ou travailleurs, qui connaissent bien, en fait, la culture du milieu, culture que je ne blâme pas, en règle générale, et que même je soulignais comme légitime. Mais, quand on parle de justice, quand on parle d'attribution de la justice à quelqu'un, on ne peut plus continuer dans cette même culture comme telle.

M. Rioux: Il y a des représentants patronaux et syndicaux, s'ils vous entendaient, M. Meunier, qui bondiraient lorsque vous parlez que ce tribunal-là ne regroupe pas les qualités d'indépendance et d'impartialité. Dans vos propos, vous projetez, au fond, qu'il s'agit d'un tribunal inférieur, ce qu'on propose. Vous, vous dites: Non, l'état de la question, ce n'est pas ça, c'est que, pour maintenir un tribunal de haut standing, il faut que ça reste comme ça l'est présentement, alors qu'il y a des gens qui sont venus nous dire: Il est temps qu'on trace des voies nouvelles en matière de justice administrative.

M. Meunier (Jacques): Mais les voies nouvelles, j'en suis, on en est, le Protecteur du citoyen en est pour toute voie nouvelle qui va vraiment réformer, qui va amener les choses pour le mieux, mais ce qu'on vous décrit et ce qu'on dit, on ne l'a pas inventé, on s'appuie, en fait, sur la vision de la Cour suprême du Canada et on s'appuie sur des décisions d'auteurs qui ont étudié la question en profondeur. On vous dit: Ça a de fortes chances de ne pas marcher et ça va entraîner des contestations inutiles.

M. Rioux: Puis nous, de notre côté, on s'appuie sur des gens aussi sérieux que ceux que vous avez cités. On pense qu'on est en bonne compagnie aussi. Mais votre remarque, au fond, votre mise en garde, c'est de nous dire: Ça ne résistera pas à l'application de l'article 23 de la Charte. C'est ça, votre mise en garde.

M. Meunier (Jacques): C'est ce qu'on émet comme mise en garde. Vous avez des procureurs qui seront là pour vous défendre, déjà ils ont fait leur lit sur cette position-là, mais je suis certain qu'il y a beaucoup d'autres procureurs, beaucoup d'autres bureaux d'avocats, sans doute tout aussi respectables, qui pourraient donner des opinions qui ne rejoindraient probablement pas celles sur lesquelles vous vous appuyez. Évidemment, les commandes ont été passées par la CSST ou par le ministère. Il n'y a personne d'autre qui a passé des commandes autrement que le travail qui a pu se faire par des individus dans des associations ou dans des organismes comme le nôtre.

M. Rioux: Ce que j'ai essayé de savoir, moi, comme ministre du Travail, c'est: Est-ce que la Cour suprême, dans certains jugements, aurait taillé en pièces le paritarisme décisionnel? Puis on n'a pas trouvé.

M. Meunier (Jacques): Pas à ma connaissance.

M. Rioux: Moi non plus.

M. Meunier (Jacques): Pas à ma connaissance. Mais j'ai bien souligné que la situation juridique québécoise est particulière et qu'on verra ce qu'éventuellement les tribunaux en feront si effectivement le Parlement donnait suite à votre projet.

M. Rioux: Merci, M. Meunier. C'est une opinion que je reçois avec intérêt. Merci.

Le Président (M. Beaulne): Merci, M. le ministre. M. le député de LaFontaine.

(15 h 50)

M. Gobé: Alors, merci, M. le Président. M. Meunier, bonjour, il me fait plaisir de vous accueillir ici. De prime abord, je vous dirais que votre mémoire est certainement un mémoire très important et que le ministre va devoir en tenir compte. Je pense que vous faites pas mal le tour de toute la situation. Quand on prend la peine de le lire et d'en discuter un peu, force est de constater qu'il y a là des avenues, des recommandations qu'il serait dommage de ne pas tenir compte.

En ce qui concerne le paritarisme, bien, vous n'êtes pas le seul. Le ministre dit qu'il est en bonne compagnie, mais, je veux dire, jusqu'à maintenant, en cette commission, il est seulement en compagnie, je pense, du Conseil du patronat et, là encore, M. Dufour semblait remettre un peu en question, il disait: À la limite, on pourrait aller avec des assesseurs au tribunal. Alors, je pense qu'on est tous en très bonne compagnie parmi les gens qui se questionnent sur le bien-fondé d'avoir un tribunal de dernière instance paritaire.

Ça, je pense que c'est ce qui ressort actuellement, entre autres points, de cette commission et je trouve ça très important que vous, comme Protecteur du citoyen, vous le fassiez ressortir d'une manière encore plus détaillée. Moi, je souhaite beaucoup que le ministre se rende à l'évidence et que, très rapidement, il envoie les signaux à l'effet qu'il va revoir ça, il va trouver quelque chose d'autre, parce que je ne pense pas qu'on se dirige dans une bonne direction. Mais ce n'est pas le but de ma question, je tenais simplement à vous mentionner ça.

En ce qui concerne la CALP, on a vu les gens de la CALP venir nous voir un peu avant vous, nous faire état un peu du travail qu'ils faisaient, des délais qui sont les leurs, le ministre conteste les délais, ou le bureau de la CSST repris par le ministre, il faut faire peut-être la nuance. Vous, de votre côté, comme Protecteur du citoyen, je sais que vous avez un certain nombre de plaintes de CSST, de gens qui appellent à vos bureaux, qui envoient des cas, des causes, est-ce que vous avez une idée des délais réels?

M. Meunier (Jacques): De la CALP?

M. Gobé: Oui.

M. Meunier (Jacques): Je pense que les données qui ont été fournies par nos prédécesseurs ici correspondent aux dernières informations qu'on avait, nous autres, sur les délais de 63 jours, 62 jours, 64 jours. Évidemment, ce sont des données qui nous parviennent de la même source, ce ne sont pas des choses qu'on a vérifiées nous-mêmes.

M. Gobé: Oui, d'accord, je comprends. Donc, est-ce que vous avez aussi reçu, vous, comme Protecteur du citoyen, ou vos bureaux, des plaintes, des contestations de la CALP ou des gens qui disaient: Il faut changer ça, ça ne fonctionne pas, on ne sent pas qu'il y a justice, il semble que c'est une justice de rabais? Est-ce que vous avez des représentations, quelques plaintes que ce soient?

M. Meunier (Jacques): Dans ma présentation tantôt, j'ai souligné que le Protecteur du citoyen n'a pas le pouvoir d'intervenir lorsque des actes ou omissions ont été accomplis dans l'exercice d'une fonction quasi judiciaire. Or, c'est le cas à la CALP. Il est certain qu'il a été un temps où on recevait beaucoup de plaintes concernant les délais très longs qui étaient en existence, en fait, à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles. Je dirais que maintenant c'est beaucoup plus calme à ce sujet-là. Les plaintes ne portent pas là-dessus.

M. Gobé: Donc, selon vous, c'est un organisme qui fonctionne bien.

M. Meunier (Jacques): Bien, c'est certainement un organisme qui a su se retourner de bord, comme on dit. C'est un organisme qui a su améliorer considérablement sa situation. Il n'a pas toujours été avantagé. Il a notamment dû prendre très rapidement, au départ, une avalanche, en fait, de dossiers et, par la suite, faire face parfois à des manques de ressources. Maintenant, il semble avoir trouvé une vitesse de croisière qui fonctionne assez bien, toujours peut-être améliorable, mais toujours en tenant compte – et je pense que c'était bien de leur part de le souligner – que ce ne sont pas des dossiers qui peuvent nécessairement se régler très, très rapidement, étant donné toutes les implications d'expertises qui sont en cause. Pour permettre justement aux travailleurs et à l'employeur, en fait, de bien faire valoir leurs droits, il faut leur donner le temps de pouvoir obtenir le soutien d'experts dont ils ont besoin, et ça, ça ne se fait pas en criant lapin.

M. Gobé: D'ailleurs, vous le mentionnez à la page 19 de votre mémoire, 19 et 20, où vous relevez justement... Vous allez dans le sens de vos prédécesseurs à cette table, où vous dites: Attention, ça prend un certain temps pour recueillir toutes les informations et toutes les choses.

M. Meunier (Jacques): Il y a une autre chose que je profite peut-être de l'occasion pour ajouter, c'est que j'ai entendu M. le ministre tantôt insister sur le fait qu'il voulait que ça agisse rapidement, que les décisions puissent se prendre rapidement. Nous estimons, pour notre part, que l'implantation du paritarisme au sein du tribunal ne sera pas un élément pour accélérer le fonctionnement de ce tribunal-là; au contraire, les rôles sont plus difficiles à faire fonctionner, les convocations, réunir trois personnes, c'est toujours plus compliqué, les débats sont plus longs, pour parvenir à finaliser une décision, ça prend plus de discussion. Ce n'est certainement pas un facteur d'accélération du fonctionnement de la CALP que d'insuffler de façon systématique le paritarisme dans toutes les formations appelées à trancher des questions d'indemnisation.

M. Gobé: D'autant plus que les délais ne sont plus les délais que nous connaissions antérieurement et qu'un certain nombre de cas vont demander des délais quand même spéciaux, dépendant de la gravité du cas ou de la complexité. Je ne veux peut-être pas vous faire poser – avant de passer la parole à mon collègue le député d'Argenteuil – un avis personnel, mais ce qui semble ressortir de différents témoignages, mais du vôtre aussi, c'est que la CALP, ça marche assez bien, ils se sont revirés de bord comparativement à une situation antérieure qui était un peu problématique, et puis le paritarisme, ce n'est pas forcément la panacée de la solution de tous les problèmes, c'est-à-dire qu'à ce moment-là il n'y a rien qui justifie d'annuler la CALP puis de la remplacer par un tribunal de dernière instance paritaire.

M. Meunier (Jacques): Quand vous dites que le paritarisme, ce n'est pas la panacée dans le cas présent, nous, on va plus loin, on dit carrément, en fait, que c'est peut-être d'insuffler la maladie à l'intérieur, alors que la panacée devrait être le remède. Là, c'est juste l'inverse qui se produirait. Autant on estime que c'est une bonne chose de supprimer l'étape des bureaux de révision paritaire, autant on estime que ce serait une erreur que d'inclure le paritarisme à l'intérieur, autrement dit, de la CALP.

M. Gobé: Je vous remercie, puis je félicite vos collaborateurs pour ce beau mémoire. Je passe à mon collègue la parole.

Le Président (M. Beaulne): M. le député d'Argenteuil.

M. Beaudet: Merci, M. le Président. Moi aussi, je joins mes commentaires élogieux à votre document. Je pense que le ministre aurait intérêt à le lire, et le relire, et le relire à nouveau, et de le mettre comme sur sa table de chevet, parce que je pense que toutes les réponses aux multiples questions qui ont été soulevées se retrouvent dans ce document.

Le ministre a mentionné tantôt l'importance... Aux articles 410 et 412, on parle du code de déontologie où les membres de la CLP prêteront serment, et il veut vraiment marquer ce tribunal administratif d'un esprit d'impartialité et de neutralité. Et, à ce moment-là, je vous demanderais d'essayer de réexpliquer au ministre comment on peut aller chercher un esprit d'impartialité et de neutralité aussi grand que ça. Alors, pourquoi faire le paritarisme si on assume que les gens qui vont être là vont être tellement neutres qu'ils ne seront attachés d'aucune partialité, d'un bord ou de l'autre? Alors, pourquoi cette démarche? Si la démarche se veut d'une neutralité exemplaire, pourquoi prendre quelqu'un du patronat et quelqu'un du milieu ouvrier si ces gens-là sont entachés d'une neutralité à toute épreuve?

M. Meunier (Jacques): À votre question, je dirais deux choses. D'abord, en ce qui concerne le serment exigé, en fait, des membres et aussi des commissaires, je dois dire que, ça, ça existe à peu près pour n'importe quel tribunal. Donc, ça n'a jamais empêché quelqu'un d'être impartial s'il veut être impartial. Bon, en tout cas, ça m'apparaît quand même assez secondaire.

Quant à savoir pourquoi mettre le paritarisme, évidemment, le ministre est sans doute la personne la plus apte à répondre à ce sujet-là. Mais, si, de l'extérieur, je regarde la chose, puis je dis: «Bon, qu'est-ce que c'est susceptible d'apporter? Pourquoi est-ce qu'on veut introduire le paritarisme comme ça?», dans certains domaines, comme le souligne d'ailleurs le juge Cory dans l'arrêt Newfoundland Telephone, il y a des matières techniques, il y a de la réglementation à faire, il y a de l'approbation de produits. À la Régie des permis d'alcool, ça prend, jusqu'à un certain point, une certaine connaissance du fonctionnement du domaine, tout ça.

(16 heures)

Il est certain qu'un travailleur issu d'une association de travailleurs qui pourrait se retrouver au sein de la CLP pourra peut-être plus facilement imaginer comment a pu se produire tel accident, pourvu évidemment que ce soit dans un domaine où lui a déjà travaillé, ce qui ne sera pas le cas dans probablement la majorité des cas.

De la même façon, l'employeur issu d'une association d'employeurs qui, lui, va siéger à la Commission des lésions professionnelles aura une certaine expérience du milieu du travail, comment a pu s'organiser le travail dans cette usine-là et ce qui a pu faire peut-être qu'il y a eu des négligences et qu'est survenu l'accident. C'est ça. Mais les commissaires eux-mêmes ont une certaine expérience du domaine, on l'a vu tantôt. En fait, les commissaires qui se sont présentés étaient quand même des gens qui étaient connaissants en la matière. Et, en plus de ça, lorsque la chose est le moindrement un peu plus complexe, le président peut désigner un assesseur ou deux assesseurs pour assister le commissaire dans une audition. Ça nous apparaît un système crédible, un système souple et un système qui va faire en sorte quand même que les décisions pourront être prises par une autorité indépendante et impartiale.

M. Beaudet: Alors, selon vous, le travailleur lésé ou accidenté, aujourd'hui, dans le système actuel, trouve justice.

M. Meunier (Jacques): On le croit, on se permet de le croire, parce que, disons, on n'a pas d'échos vraiment négatifs constants concernant le fonctionnement de ce tribunal-là. Et je pense que l'attitude qu'ont les tribunaux supérieurs à l'endroit de ce même tribunal là démontre quand même qu'il est digne de crédibilité et d'une crédibilité bien méritée.

M. Beaudet: Vous parlez des délais de la CLP qui vont peut-être entacher les économies que le ministre nous dit qu'il va réaliser. Est-ce que donner au fonctionnement actuel, c'est-à-dire la CALP et tout ce qui l'entoure, les moyens de fonctionner, d'après vous, d'après la lecture que vous pouvez en faire, serait suffisant pour régler le problème?

M. Meunier (Jacques): Je n'ose pas me prononcer là-dessus. Je pense que c'est une chose qu'il faudrait que vous puissiez discuter avec les autorités de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles pour voir quels sont exactement leurs projets immédiats pour continuer l'amélioration de leurs services, que vous puissiez discuter avec eux ce qu'ils estiment qu'il est raisonnable de prendre comme objectif. Parce qu'on peut toujours dire: Toutes les décisions devront être rendues sur le banc, toutes les décisions devraient être rendues dans les 48 heures qui suivent une audition, etc., mais, en dehors de l'idéal, il y a une certaine réalité et il y a une certaine irréalité qui a ses exigences pour être capable d'assurer aux justiciables la justice qui leur est due. Alors, je pense que ce sont des choses que vous auriez plutôt intérêt à discuter avec les représentants de la CALP.

M. Beaudet: Merci.

Le Président (M. Beaulne): Alors, M. Meunier, la commission vous remercie de votre présentation.

J'inviterais maintenant les porte-parole du Conseil central CSN de Québec–Chaudière-Appalaches.

Alors, la commission vous souhaite la bienvenue à ces audiences sur le projet de loi n° 79. Je vous rappellerai que vous avez 20 minutes pour la présentation de votre mémoire, et, par la suite, les parlementaires pourront échanger avec vous. Alors, je vous donne la parole.


Conseil central CSN de Québec–Chaudière-Appalaches (CCQCA)

Mme Gingras (Ann): Merci, M. le Président. D'abord, je voudrais faire la présentation. Alors, à ma gauche, c'est Georges-Étienne Tremblay, qui est conseiller syndical à la CSN et qui a 15 ans d'expérience au niveau de la santé et la sécurité au travail et particulièrement au niveau de la défense; à ma droite, M. Christian Cyr, qui est responsable du Comité santé-sécurité, qui est également un militant défenseur au niveau des BRP depuis cinq ans et qui siège également comme réviseur au niveau des bureaux de révision paritaire; à droite également, M. Mario Précourt, qui est conseiller syndical à la CSN, 13 ans d'expérience dans le domaine de la santé et sécurité au travail; moi-même, Ann Gingras, vice-présidente au Conseil central Québec–Chaudière-Appalaches.

Je voudrais vous remercier de pouvoir présenter notre mémoire aujourd'hui et de nous entendre. D'entrée de jeu, nous voulons vous assurer que nous avons tenu compte entièrement des intérêts des travailleuses et des travailleurs, particulièrement au niveau des accidentés du travail.

Alors, pour nous, travailler est un droit, pas un privilège, et c'est d'autant plus important de pouvoir travailler en sécurité tout en conservant sa santé. Alors, à cet égard, nous devons apporter quelques critiques assez sévères sur les efforts en ce qui concerne la prévention. Nous constatons que le projet de loi n° 79, tel que libellé, ne corrigerait pas la situation, mais, au contraire, va aggraver les problèmes.

Alors, si on fait un petit peu d'historique, au niveau de la loi 17, en 1979, la situation n'a pas beaucoup évolué depuis ce temps. Et, malgré qu'elle soit en vigueur depuis peut-être 18 ans, la Loi sur la santé et la sécurité du travail ne s'applique théoriquement pleinement qu'à trois groupes sur sept. Une autre critique importante que nous pouvons faire à l'égard du gouvernement vis-à-vis la prévention, c'est l'inspection des milieux de travail. Quant à nous, c'est déficient, et nous demandons, nous exigeons même que le gouvernement mette réellement des efforts sur la prévention en votant des législations, des réelles législations qui vont obliger les employeurs, les syndicats, les travailleuses et les travailleurs, qui vont regrouper tout le monde à réorganiser les milieux de travail dans une optique de prévention des accidents et des maladies du travail. Alors, c'est vraiment au niveau des comportements qu'il faut miser, qu'il faut changer, et des comportements surtout qui nuisent à l'assainissement des milieux de travail.

Alors, il y a une culture très particulière qui s'est développée au niveau de la question de la santé et la sécurité au travail, c'est qu'on regarde tout ce qui touche la santé et sécurité comme étant une taxe, un coût, quelque chose qui peut rendre nos entreprises moins concurrentielles. Alors, ça, c'est une vision strictement économique contre laquelle il faut lutter quotidiennement. On ne tient pas compte, aucunement, des problèmes humains qui sont vécus, suite à des accidents de travail ou suite à des maladies professionnelles. Cette perception économique, c'est depuis le régime Gouin et par la suite Taschereau, c'est depuis fort longtemps que ça dure. Et l'élimination des dangers à la source n'est pas l'objectif visé, aucunement.

Alors, en 1979, avec l'adoption de la loi, il y avait un objectif qui était proclamé, et c'était justement l'élimination des dangers à la source. Mais il y a eu énormément de pressions du patronat, et le gouvernement a reculé encore une fois. Il considérait ça comme un irritant majeur. Alors, on ne les force pas à faire de la prévention. On espère qu'ils vont en faire, on souhaite qu'ils vont en faire, mais on ne les force pas, on ne les oblige pas.

Alors, avec la loi 42, la confrontation est devenue vraiment systématique. La loi 42, ce qui est arrivé, c'est que ça a judiciarisé le médical, et c'est surtout là-dessus, avec l'introduction dans la législation d'un processus de contestation par la CSST ou par l'employeur de toutes les questions d'ordre médical déterminées par le médecin ayant charge du travailleur. On s'attaque réellement au médecin traitant.

(16 h 10)

Alors, de là, il y a une nouvelle spécialité qui s'est créée, l'arbitrage médical, qui est devenu le BEM, le Bureau d'évaluation médicale en 1992, avec la loi 35. On se réfère, dans notre mémoire, comme bien d'autres avant nous, au rapport Durand-Ouellette, qui a été un comité formé par la CSST. Mais, comme tout comité, on pige là-dedans, on prend les morceaux qui font notre affaire. Et le gros morceau là-dedans, quant à nous, c'était l'abolition du Bureau d'évaluation médicale; c'est clair pour nous, tous les problèmes passent par là. Et, si on veut effectivement, comme on l'a dit au projet de loi n° 79, humaniser, simplifier et accélérer le processus de révision et d'appel des décisions de la CSST, ça passe par l'abolition du BEM.

Alors, en ce qui concerne l'opinion du médecin traitant, on peut nous dire que le projet de loi n° 79 renforce le rôle du médecin traitant, mais nous croyons sincèrement le contraire. À la page 9 de notre mémoire, nous énumérons un petit peu de quelle façon, avec le projet de loi n° 79, ça devrait se dérouler. Là, avec ce qu'on nous propose, avant même l'entrée en scène du BEM, la CSST pourrait demander à la personne accidentée de se soumettre à un ou plusieurs spécialistes choisis à partir d'une liste qu'elle établirait elle-même. Alors, le médecin traitant n'aurait que cinq jours pour désigner ces spécialistes, sinon la CSST le ferait elle-même. La CSST aurait de plus le pouvoir totalement discrétionnaire de demander les noms de trois autres spécialistes au médecin traitant. Il s'agit là d'une procédure très compliquée. Plusieurs médecins refuseront carrément de soigner des personnes accidentées du travail pour ne pas avoir de trouble avec la CSST. Et nous pouvons vous dire que déjà il y a plusieurs médecins qui, lorsqu'ils voient arriver un accidenté du travail dans leur bureau, le reçoivent avec beaucoup d'appréhension. Les médecins ont été formés pour soigner et non pour s'enliser dans de la bureaucratie.

Les spécialistes qui soignent ne pourront, de façon générale, être consultés dans cette laborieuse démarche de contestation, car ils ne seront pas disponibles dans un délai raisonnable. Surtout avec la réforme de la santé du ministre Rochon qui est en cours, je vous dirais que ça a rallongé de beaucoup les listes d'attente. La personne accidentée et son médecin seront donc scrutés par des spécialistes de l'expertise, toujours disponibles à de telles fins, car, pour plusieurs, ils ne se consacrent plus au soin des personnes, et il y en a même plusieurs qui sont à la retraite et qui ne font que ça. Ces experts, très connus dans le milieu, sont très peu favorables aux travailleuses et aux travailleurs et le plus souvent ils démolissent l'opinion du médecin traitant, trop complaisant à leurs yeux.

À la suite de l'opinion de ce spécialiste désigné, le médecin traitant devrait donner à nouveau son opinion en rédigeant un nouveau rapport. Si le médecin traitant maintient son opinion, la CSST pourrait soit recommencer le processus avec un autre spécialiste ou encore soumettre cette question médicale à un BEM. Ce pré-BEM, tout comme le BEM, constitue une intrusion injustifiée dans le plan de soins et de traitements du médecin qui a charge de la personne accidentée. Ces entraves aux soins et traitements peuvent causer des atteintes permanentes à la santé physique ou psychique des travailleuses et des travailleurs accidentés. Mais, si le médecin de la personne accidentée cède aux pressions du système et se range du côté de l'opinion des spécialistes désignés, la victime accidentée n'aura pas le droit de contester les décisions de la CSST qui en découleront. Évidemment, le nécessaire lien de confiance entre un médecin et son patient sera également rompu. Alors, les pressions sur le médecin de la personne accidentée seront très fortes, car même le médecin de l'employeur pourra intervenir auprès de lui afin de le convaincre de modifier son opinion.

Alors, nous considérons que ces dispositions sont fondamentalement inacceptables et elles judiciarisent, dans certains cas, tout en accentuant l'irrespect de l'opinion du médecin de la personne accidentée et en faisant perdre tout droit de contestation à la victime accidentée. Nous considérons que le problème n'est pas de l'ordre de la compétence des médecins. Les mêmes médecins, qui sont si valorisés dans la réforme Rochon, deviennent des incompétents ou bien souvent des complaisants lorsqu'ils ont à traiter des accidentés du travail, et le même gouvernement tient deux discours.

Au niveau du BEM particulièrement, ce qu'on voudrait peut-être vous montrer, c'est concrètement, dans une situation de confrontation, la façon dont ça se passe, avec les répercussions. Alors, à cet effet, je demanderais à M. Georges-Étienne Tremblay de vous démontrer ça brièvement. Et j'ai des documents à déposer. Les personnes pourraient peut-être suivre avec...

M. Tremblay (Georges-Étienne): Alors, c'est un petit document...


Document déposé

Le Président (M. Beaulne): Mme Gingras, de quelle nature est-il? Vous pouvez le transmettre à la commission, si ce n'est pas trop épais.

M. Tremblay (Georges-Étienne): Non, ce n'est pas épais.

Mme Gingras (Ann): Ça va prendre quelques minutes.

M. Tremblay (Georges-Étienne): Ça va prendre deux, trois minutes, pour vous expliquer. Je vais attendre que vous ayez le document.

Le Président (M. Beaulne): En avez-vous des copies pour tout le monde?

Mme Gingras (Ann): Oui.

Le Président (M. Beaulne): Ah! bon. Ça facilite les choses.

M. Tremblay (Georges-Étienne): On avait prévu. C'est un document, dans le fond – avant que vous l'ayez, mais pour vous le présenter un peu – qui résume l'absurdité de la confrontation médicale qui est incrustée, qui est insérée dans la loi des accidents de travail et qui va être encore amplifiée, avec le projet de loi n° 79. Ça vous démontre concrètement comment une travailleuse ou un travailleur accidenté doit vivre la situation. Et, de la façon dont ça se déroule, ça ne donne pas justice aux personnes qui sont victimes d'accidents.

Vous avez le document qu'on vous a déposé. La colonne de gauche, c'est le faits, ce qui se produit; dans le milieu, c'est les rapports médicaux, les évaluations qui sont faites; et l'état de la personne, c'est à droite.

Première page. Il y a un accident du travail qui se produit. C'est évident, au moment de l'accident, il n'y a pas de médecin dans la shop. C'est le travailleur ou la travailleuse qui est blessé. À droite, on constate que la personne est blessée ou malade; c'est important, c'est une intoxication, les symptômes sont très présents. Peu de temps après – quand on regarde la colonne de gauche – elle visite son médecin traitant. C'est un médecin qui soigne, qui traite; il est formé pour ça. Ce n'est pas un médecin qui est là pour contrôler le régime de santé et sécurité, pour administrer la loi des accidents de travail, ce n'est pas un médecin qui est payé par un employeur, ce n'est pas un médecin qui est payé par la CSST, c'est un médecin qui est là pour soigner, tel que son code de déontologie... Il est forcé de soigner, c'est sa vocation. Lui, il regarde le travailleur. Il constate, il objective facilement les symptômes. Le diagnostic est général ou il y a un diagnostic qui va peut-être être plus spécifique, par après, devenir différentiel. Mais on voit, regardez le comportement, en bas: Visite du médecin traitant, la qualité du médecin. Si le médecin traitant a un problème, il va référer à un spécialiste, tel que le code de déontologie l'y oblige. Mais, quand il rencontre le travailleur, il y a un diagnostic général, c'est facile de constater l'état de la personne, et il y a un début de soins et de traitement. Le travailleur, à droite, on le voit, il était très symptomatique.

On tourne la page, à la page 2. Là, il s'en va voir le médecin de l'employeur. La personne victime d'accident va rencontrer le médecin de l'employeur. C'est évident, parce que l'employeur a le droit, dans la loi, de contester systématiquement tous les rapports médicaux et, à cette fin, fait visiter la travailleuse ou le travailleur un médecin choisi par l'employeur. C'est un médecin salarié de l'employeur, très souvent, quand on est dans le réseau public, ou un médecin de clinique industrielle qui est mandaté pour donner une opinion spécifique aux fins de l'employeur biaisée. Il examine de façon générale la travailleuse ou le travailleur, il lui fait passer une radiographie. Là, il cherche des conditions personnelles pré-existantes. C'est inutile, la radiographie, mais, là, on va chercher de l'arthrose, de la dégénérescence multiétagée. O.K.? On va commencer à monter son dossier sur le plan des intérêts de l'employeur pour s'attaquer à la personne et l'investigation poussée sur les antécédents, comme je vous le disais tantôt.

Son examen de la condition de la personne accidentée est biaisé par l'effet des médicaments puis des traitements. Je l'ai dit tantôt, le médecin traitant commence à administrer son plan de soins et de traitement. Il donne des anti-inflammatoires, des analgésiques. La personne n'est plus sensible à la douleur. Quand elle rencontre le médecin de l'employeur, il la fait pencher, il n'y a pas de douleur, son examen est biaisé. Les résultats de cet examen-là sont biaisés de façon flagrante.

Plus tard, un petit peu plus loin, à la page 3: Médecin désigné de la CSST. Par définition, même une pathologie, ça évolue. Ça fait 15 ans que je fais de la défense d'accidentés, et, un dossier d'accidenté, ça bouge, puis la travailleuse, le travailleur, son état change avec le temps. C'est évident, quand il s'en va voir le médecin de la CSST qui est un spécialiste de l'expertise, qui est choisi par les employeurs, qui est un médecin du BEM, très souvent, ce qu'il va dire, il va constater que l'état de la personne – on le voit, à la page 3, colonne de droite – accidentée, sa condition s'est nettement améliorée. C'est bon. La personne est capable, il n'y a plus d'atteinte, il n'y a pas de limitation. L'expertise, c'est beau.

(16 h 20)

On envoie ça, par après – la page suivante: Bureau d'évaluation médicale, spécialiste de l'expertise; payé souvent par les employeurs, payé souvent par la CSST, payé par la SAAQ, payé par le BEM, même professionnel qui est le spécialiste de l'expertise. Lui, il va consolider, il va guérir rétroactivement la travailleuse. Il l'examine à telle date: Rétroactivement, quatre mois avant, vous étiez consolidée à telle date. Il ne l'avait jamais vue avant quatre mois. Il l'a met consolidée parce qu'il prend positivement le rapport du médecin de l'employeur. C'est de même que ça se passe, généralement. O.K.?

Par après, vous arrivez: un avis du BEM. L'avis du BEM, de façon générale, il s'attaque aux médecins des travailleuses et des travailleurs. Vous avez les statistiques, plus loin dans notre document, où on vous indique comment les médecins de BEM contredisent une fois sur trois les diagnostics des médecins de travailleuses. Trois fois sur quatre, ils disent que les soins et les traitements ne sont pas requis. Il faudrait que le travailleur, par après, ait rétroactivement des traitements. Il va être trop tard, sa santé va être affectée. Et là, vous avez le médecin du BEM, qui va rétroactivement scraper un dossier.

On va contester à la CALP, au Bureau de révision, depuis la loi 35; là, il va y en avoir des délais. Si vous voulez en voir, des causes des délais, vous en avez ici, à la page 5: les avis des BEM. Ça amène des délais, ça empêche – on continuera tantôt – la prise en charge dans les milieux de travail. Ça fait en sorte que des travailleuses, des travailleurs se ramassent en assurance-salaire. Et ils auraient pu avoir solution à ce problème-là, n'eût été de la judiciarisation.

Par après, quand arrivent les décisions qui font suite à l'avis du BEM, du côté des travailleurs, qu'est-ce qu'on fait? On commande une expertise, non pas au médecin traitant: médecin spécialiste, payé par nous autres avec le fonds de défense des travailleurs, on assume le paiement. Expertise biaisée. L'employeur, il fait la même chose.

Tu es rendu à l'autre étape: Commission d'appel. Encore là, des expertises. Les témoins viennent en audition. C'est ça, la confrontation qui était dénoncée dans le rapport Durand, et c'est ça, la confrontation qui va être enlevée par l'abolition du BEM. Il n'y a pas deux, trois, quatre hypothèses de solution. Le rapport Durand, il a été soumis à 27 organismes. Il y en a 26 qui étaient d'accord avec l'abolition du BEM, sauf l'association des orthopédistes. Je repasse la parole à Ann.

Mme Gingras (Ann): Alors, en conclusion, je pense que M. Tremblay l'a démontré, à chaque fois qu'on veut tenter de régler un problème au niveau de la CSST, on en créé d'autres. Alors, pour nous, pour régler vraiment le problème, c'est toute la question, l'aspect de l'évaluation médicale.

Alors, nous avons six recommandations. Nous avons présenté notre mémoire particulièrement sur la question de l'évaluation médicale, mais on a quand même des recommandations qui touchent d'autres sujets.

C'est bien sûr, on commence avec l'abolition du BEM. On a présenté tout l'argumentaire.

Alors, ce qu'on dit à la deuxième recommandation, c'est que, oui, en cas de doute par la CSST sur une question d'ordre médical, que le médecin traitant choisisse lui-même un spécialiste afin qu'il émette son opinion sur la question, mais pas à partir d'une liste qui a été montée par qui que ce soit; que le médecin ait le loisir de choisir lui-même le spécialiste.

Alors, troisième. On considère qu'on devrait maintenir la CALP, qu'il n'y a pas lieu de l'abolir.

Quatre. On sait qu'au niveau de la CSN – on l'a déjà dit, on le redit encore – il n'y a pas lieu d'introduire le paritarisme au niveau du tribunal d'appel; alors, que ce soit au niveau de la CALP. On veut le maintenir, mais pas avec le paritarisme. Alors c'est lourd, c'est intimidant. Et, si on veut réellement, au niveau du gouvernement, économiser de l'argent, qu'on cesse de le faire sur le dos des travailleuses et des travailleurs, qu'on coupe dans le gras, qui est, quant à nous, le paritarisme au niveau du BRP.

Alors, on dit, à la cinquième recommandation, que la Commission d'appel continue à relever du ministère de la Justice; ça fait juste maintenir l'indépendance. Et je suis autant, aussi, je vous dirai encore plus convaincue que c'est important et nécessaire. Je vous dis, depuis que je suis ici – et je vous vois aller, M. le ministre, avec M. Shedleur – je suis encore, encore plus inquiète. Alors, je pense que c'est d'autant plus important de maintenir l'apparence d'indépendance. Alors, que ça continue à relever du ministère de la Justice.

Six. Que soit modifié le mode de nomination des assesseurs médicaux à la Commission d'appel. D'autres l'ont dit, les critères, s'il y en a, doivent être arbitraires. En tout cas, on ne connaît pas de quelle façon ils sont nommés. Ils sont nommés par la direction de la CALP, mais on pense qu'il devrait y avoir des critères et qu'on doit réviser le mode de nomination.

Alors, ça conclurait sur notre présentation. Mais, avant de passer à la période de questions, on aimerait déposer un autre document si vous nous le permettez. Alors, c'est un document qui nous provient de 15 médecins salariés, dans le réseau de la santé, qui sont rattachés au CLSC Haute-ville, alors ils travaillent au niveau de la prévention, la prise en charge dans les établissements. Ils sont quotidiennement immergés dans les problèmes vécus par toute la judiciarisation du régime. Alors, eux, ils sont unanimes à l'effet d'abolir également le Bureau d'évaluation médicale. Merci. M. Tremblay.


Document déposé

Le Président (M. Beaulne): Merci.

M. Tremblay (Georges-Étienne): Une petite précision sur le document. C'est une lettre du directeur de la Santé publique rattaché au CLSC Haute-ville, M. Denis Laliberté, qu'il adresse à son association, qui est l'Association des médecins du réseau public en santé au travail du Québec.

Vous avez eu un mémoire qui vous a été déposé par l'Association des médecins du travail. Ce mémoire-là, c'est un mémoire de complaisance de l'Association des médecins du travail, où ils sont en conflit d'intérêts. C'est des médecins de la CSST, des médecins de l'employeur, des médecins de cliniques industrielles qui veulent que le projet de loi n° 79, qui leur assure la judiciarisation à long terme, continue puis soit voté.

Sauf que, là, vous avez des médecins en santé publique, qui sont des salariés de l'État, des médecins qui travaillent en prévention, des médecins qui travaillent en réparation – pas d'autos, mais de personnes – qui soignent des personnes. Ces médecins-là disent qu'on doit davantage mettre l'accent sur la prévention, qu'on doit davantage mettre l'accent sur le retour au travail et qu'on doit faire en sorte que les accrocs aux plans de traitement des médecins traitants cessent pas l'abolition du BEM. Et c'est 15 médecins en santé au travail de la région de Québec, qui sont unanimes dans cette position-là. Là, vous n'avez pas la signature des 15, mais vous avez la signature du directeur.

Le Président (M. Beaulne): Je vous remercie et je cède la parole au ministre. M. le ministre.

M. Rioux: La position que vous tenez est sensiblement celle de la CSN. On reconnaît l'orientation fondamentale de votre centrale; vous maintenez la même orientation. Je voudrais quand même dire une chose à madame, c'est qu'avant même que le ministre ait ouvert la bouche vous aviez déjà l'accusation facile. Je trouve ça un peu regrettable. Notre conversation n'a même pas commencé que déjà vous êtes tombée dans le piège des accusations. On est ici pour écouter les gens, et toutes les opinions sont reçues avec respect, ici.

Votre mémoire me permet de vous dire un petit mot sur les groupes prioritaires. La loi 17, moi, j'étais d'accord avec ça, à un moment donné, il y a quelques années. Mais les groupes prioritaires 1, 2 et 3, partiellement 3, on fait l'objet d'une réglementation en 1980-1985 et, depuis ces années-là, rien n'a été fait, absolument rien; je suis d'accord là-dessus, je n'ai aucun problème. Toutefois, pour être honnête et faire en sorte qu'on puisse se comprendre un peu, les présidents de la CSST, au cours des dernières années, ont essayé de faire aboutir les choses, les associations syndicales et patronales ont tenté leur chance, et ça n'a rien donné. L'autre jour, je me suis engagé devant la FTQ à corriger cette situation. Je pense que, d'ici juin, je pourrai déposer un projet de loi qui va permettre de couvrir tous les secteurs. Ça m'apparaît important que vous le sachiez.

Il y a une autre chose que j'aimerais discuter avec vous, c'est... Bon, la question du processus médical, processus d'évaluation, vous le contestez avec vigueur, vous demandez la disparition du BEM, soit. On pense que vous n'êtes pas les seuls à critiquer le BEM. Beaucoup d'intervenants, ici, sont venus nous dire que son fonctionnement n'était pas adéquat. Il y en a qui sont même venus nous dire que les médecins qui siégeaient là étaient des gens qui travaillaient pour leur poche beaucoup plus que pour les travailleurs. On va regarder tout ça.

(16 h 30)

Ce que j'aimerais qu'on aborde ensemble, c'est la question du paritarisme décisionnel. J'ai écouté les gens de la CSN, l'autre jour. Eux autres, ils ont élaboré beaucoup plus là-dessus que vous ne le faites aujourd'hui. Mais, compte tenu que vous avez avec vous une ressource et que ça fait 16 ans qu'il est dans le domaine, il doit quand même avoir un éclairage qui pourrait nous aider. Comment il se fait que vous vous refusez à ce que les décisions de la Commission des lésions professionnelles soient étoffées à partir d'opinions, d'observations et d'évaluations venant de personnes des milieux syndical et patronal, qui sont nommées là par le gouvernement? Et, à l'intérieur de la loi, on prévoit toutes les garanties sur le plan de la déontologie pour qu'il y ait impartialité. Moi, j'aimerais vous entendre là-dessus.

Mme Gingras (Ann): Alors, peut-être, avant de céder la parole à M. Tremblay, je voudrais juste rectifier quelque chose, M. le ministre, si vous me permettez. Je pense qu'on est ici, et tous les groupes aussi sont ici pour s'exprimer sur le projet de loi et pour exprimer leurs inquiétudes. Alors, c'est ce que j'ai fait tout à l'heure. Je n'ai pas porté d'accusation, j'ai dit que j'étais tout à fait inquiète de voir toute la présence, toute la place que prenait la CSST dans la commission parlementaire. Et c'est effectivement, quant à nous, très inquiétant. Ce n'est pas une accusation, aucunement, soyez rassuré là-dessus. Alors, M. Tremblay.

M. Tremblay (Georges-Étienne): Je vais répondre à votre question. Mais, peut-être, une observation sur la question du Bureau d'évaluation médicale: il y a deux débats. Que des gens aient des comportements discutables sur le BEM, c'est une chose. Que vous fassiez plus de vérifications, plus d'encadrement, un code de déontologie plus sévère, c'est dans le même débat. Nous autres, notre débat, il n'est pas là. On ne veut pas qu'il existe, le BEM, peu importe les médecins. Moi, j'ai connu des médecins spécialistes auxquels on s'est référé pour des expertises antérieurement, qui sont devenus membres du BEM; ils ne sont plus trustables. Ce n'est pas le médecin, c'est la structure qui est déficiente. Ça fait qu'il y a deux débats.

Pour votre question sur le paritarisme, le fonctionnement étoffé par des personnes membres, bien écoutez, moi, mon expérience des bureaux de révision... J'ai plaidé devant les anciens bureaux de révision, sous la LAT, la Loi sur les accidents du travail. Ce n'étaient pas des bureaux de révision paritaire. À ma connaissance, les décisions ne sont pas devenues plus étoffées parce que c'est devenu paritaire au Bureau de révision, absolument pas. On invoque souvent: 80 % des décisions sont unanimes. Ce n'est pas parce qu'elle est unanime que la décision est bonne. Ce n'est pas non plus l'unanimité des décisions... On vous déposera tantôt un autre document qui va vous montrer que la Loi sur les accidents du travail discrimine les femmes, dans certaines situations, de façon systémique. Les bureaux de révision paritaire ont continué cette discrimination pour démontrer que le paritarisme n'a absolument pas assuré de qualité.

Je vais vous donner un exemple pour vous démontrer comment, devant les bureaux de révision paritaire, ça se produit très souvent, les dissidences de façon systémique, et c'est les mêmes dissidences. Je me souviens, quand on plaidait au niveau de la loi, il y a eu un grand débat sur le paiement des 14 premiers jours d'indemnité. Les patrons avaient une position: quand il y avait une absence de travail qui se serait produite durant les 14 premiers jours, l'employeur n'avait pas à payer l'indemnité. La partie syndicale avait une opinion inverse. C'est allé jusqu'en Cour suprême. Et, tant qu'on ne s'est pas rendu en Cour suprême, il y avait des dissidences des représentants patronaux sur les bureaux de révision. Une fois rendu en Cour suprême, les dissidences ont cessé. Il est arrivé une décision de la Commission d'appel qui faisait revivre le débat, qui disait: Les employeurs n'ont pas à payer quand il y aurait eu cessation de travail à l'intérieur des 14 premiers jours. Comme par enchantement, tous les assesseurs patronaux, sur les cas d'article 60, se sont mis à écrire des dissidences. C'étaient des dissidences pondues par le CPQ, des dissidences du Conseil du patronat.

Les assesseurs du Conseil du patronat, c'est des gens qui siègent un peu partout sur les bureaux de révision, qui donnent une antenne au Conseil du patronat à la grandeur de la province, qui sont placés là grâce au Conseil du patronat, qui ne sont pas payés par le Conseil du patronat, mais qui lui rendent service, qui sont redevables envers le Conseil du patronat. Ça n'assure absolument pas une décision qui va être plus équitable devant les bureaux de révision, je peux vous le garantir. Devant la Commission d'appel, je ne vois pas pourquoi tu aurais un paritarisme qui serait institué. Vous avez entendu tantôt des représentants de l'Association des commissaires, vous avez entendu le Protecteur du citoyen, je me demande comment ça accélérerait le processus de fonctionner avec trois assesseurs. Je me demande comment ce serait logique d'ajouter peut-être 150 personnes qui ne seront même plus liées à leur organisation, soit patronale ou syndicale, qui vont devoir être payées par le gouvernement à un salaire assez important. Quand on coupe partout dans le secteur public, là, on va mettre des gens inutilement qui ne garantiront pas l'équité puis la justice, qui ne garantiront absolument pas l'accélération du processus. On va arriver avec un nouveau BRP dont on va changer le nom. Ce n'est pas le BRP qu'on a aboli, c'est la CALP, pour recréer sous un nouveau nom un gros BRP.

Moi, je vous dis, on n'embarque pas là-dedans, comme organisation. Ça ne rend pas service à notre monde. Et ce n'est pas en plaçant des gens qu'on va en faire une justice de qualité. Les travailleurs puis les travailleuses, ils ne demandent pas d'avoir quelqu'un qu'ils connaissent ou qu'ils ont connu ou que leur conseiller syndical connaît, ils demandent d'être entendus, écoutés et d'avoir une décision en toute justice et équité. C'est rien que ça qu'ils demandent.

M. Rioux: Mais, M. Tremblay, moi, je vous ai posé la question parce que le Bureau de révision paritaire est plus rapide dans ses décisions que la CALP.

M. Tremblay (Georges-Étienne): C'est bien évident, c'est le premier niveau, ça arrive avant.

M. Rioux: Ah, c'est juste pour ça?

M. Tremblay (Georges-Étienne): Pas rien que pour ça.

M. Rioux: Ah, bon!

M. Tremblay (Georges-Étienne): Je peux vous expliquer le processus devant un bureau de révision. Évidemment, il y a bien plus de bureaux de révision que de commissaires à la CALP, on s'entend, il y a bien plus de membres du Bureau de révision. Devant les bureaux de révision, tu es convoqué, ça procède très sommairement, la preuve n'est pas nécessairement complète comme au niveau de la CALP. Il n'y a très souvent pas de témoins-experts devant le bureau de révision. Des témoins médicaux, quand bien même que tu en ferais entendre, ils ne comprennent pas ça, le médical, au Bureau de révision. «C'est-u» clair? Ils ne le comprennent pas, pas parce qu'ils sont inintelligents, ils n'ont pas cette formation-là. Et les assesseurs médicaux, au niveau du Bureau de révision, il y en a un, j'en ai vu un dans les six dernières années, un assesseur médical, qui était là, au Bureau de révision, pour expliquer aux membres ce que ça voulait dire. Même s'il y a des présidents qui finissent par connaître la médecine, ils ne sont pas membres du Collège des médecins. Ça va donc beaucoup plus vite, ça va beaucoup plus vite.

M. Rioux: M. Tremblay, un juge tout seul sur son banc, pensez-vous qu'il va être plus compétent?

M. Tremblay (Georges-Étienne): Vous me dites: Un juge, pensez-vous qu'il va être plus compétent?

M. Rioux: Oui.

M. Tremblay (Georges-Étienne): Écoutez, à la Commission d'appel, ça va bien, présentement. Il n'y a pas d'assesseur, ça va bien. Mais, il y a des assesseurs médicaux sur lesquels on devrait... On devrait réviser le processus de nomination des assesseurs avec des critères clairement établis. Devant le Bureau de révision, en passant, ça procède souvent sur dossier, c'est une étape qui est là pour préserver les droits des personnes, on fait une contestation, et très souvent il n'y a pas d'audition, c'est sur dossier. O.K. Et, c'est de novo, le processus; ça recommence au complet à la Commission d'appel. Mais, sans discréditer, sans faire injure à personne et avec tout le respect que je dois aux gens qui siègent sur les bureaux de révision, je vous dirai que les qualités de décision ne se comparent pas. À la Commission d'appel, tu as une qualité décisionnelle qui n'est pas la même qu'au niveau du Bureau de révision, au niveau de la décision même. C'est un peu une décision intérimaire, le Bureau de révision. Si elle fait ton affaire, tu vis avec; si elle ne fait pas ton affaire, tu vas en appel. On n'est pas pour le maintien des bureaux de révision, on est pour l'abolition des bureaux de révision; c'est assez clair, ça, pas dans notre mémoire nécessairement, mais on n'a pas repris ce sur quoi on était d'accord dans votre projet de loi.

L'abolition des bureaux de révision, oui, mais en autant qu'on abolit ce qui contamine le système, c'est-à-dire la judiciarisation du médical. Ce que vous faites, respectueusement, dans votre projet de loi, vous enlevez des droits d'appel aux travailleurs et aux travailleuses. Il n'y aura pas une instance d'appel, une simple révision administrative quand on ne sera pas d'accord, ils ne pourront pas se faire entendre, vous enlevez ça. Mais vous enlevez également, très souvent, la simple possibilité de faire un recours en appel. Parce que le médecin traitant, quand il va recevoir l'avis du médecin spécialiste, très régulièrement, il va se ranger du côté du spécialiste; le médecin désigné par la CSST, une, deux fois. Le médecin spécialiste de l'employeur va pouvoir communiquer avec le médecin traitant. Le moindrement que le médecin traitant va dire: J'adhère à la position du spécialiste, il n'y aura plus de droit de contestation. Ça va aller bien, la déjudiciarisation. Vous déjudiciarisez en écrasant le médecin traitant. Ça va faire en sorte que, s'il change son opinion, la travailleuse ou le travailleur perd ses droits. C'est une façon très simple de déjudiciariser. Mais c'est complètement inacceptable et inéquitable et, à mon point de vue, ça ne devrait pas même être réfléchi comme ça. Je ne veux pas prêter au ministre un machiavélisme, mais à la CSST, oui.

(16 h 40)

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Tremblay (Georges-Étienne): Je suis convaincu que la CSST a pensé: On va les avoir sur le tas, il y en a un gros paquet qui vont se faire clencher parce que leur médecin, il va dire: Oui, le médecin désigné a raison. En bout de ligne, on va sauver.

Quand on parlait de la culture, que la santé et sécurité, c'est vu simplement comme une taxe sur la masse salariale, il n'y a pas rien que le ministre Landry qui pense ça, au Québec; c'est pensé depuis longtemps. La santé-sécurité, c'est un coût pour les entreprises. Il faut réduire les coûts en dépit de la condition humaine des travailleuses et des travailleurs. Indépendamment de leurs droits, on va diminuer les coûts. Et on sait que le vice-président auparavant aux finances à la CSST, qui est maintenant le président est habile là-dedans.

Mais nous autres, on dit: Comme gouvernement, c'est inacceptable de réduire les coûts aux dépens des droits des travailleuses et des travailleurs et c'est inacceptable aussi d'augmenter encore la fonction contrôle du médecin travailleur. Vous allez forcer les médecins des travailleurs et des travailleuses à contrôler tout le système. Ils sont formés pour soigner et non pas pour administrer une loi qui est mal foutue. Je ne sais pas si ça répond à la question.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Beaulne): M. le député de La Peltrie, en vous rappelant qu'il reste deux minutes à la formation gouvernementale. Je vous demanderais également – aux répondants – d'être plus brefs dans vos réponses, de manière à permettre un plus grand nombre de questions aux députés parce que votre temps de réponse est également pris sur le temps des questions qui sont posées par les députés. Allez-y, monsieur.

M. Côté: Merci, M. le Président. Alors, vous avez mentionné dans votre mémoire que le médecin justement traitant de l'accidenté va avoir des pressions très fortes, je pense, relativement à ce qui est proposé dans le projet de loi n° 79. Et vous dites: Avec le médecin spécialiste, à partir d'une liste de la CSST, qui va venir l'aider à rendre un diagnostic qui pourrait être peut-être différent, à ce moment-là, ou qui pourrait être modifié, si vous voulez, de la part du médecin traitant... Mais, dans votre recommandation 2 – moi, c'est avec cette recommandation-là que j'ai un peu de difficulté – vous dites que «le médecin traitant choisisse lui-même un spécialiste afin qu'il émette son opinion sur la question». Mais à ce moment-là, le médecin traitant, il va être aussi coincé, dans une certaine mesure. Le spécialiste, ça ne veut pas nécessairement dire qu'il ne l'amènera pas à modifier sa décision également. Est-ce que ça laisse sous-entendre, à ce moment-là, que le médecin traitant du travailleur va choisir un spécialiste qui va répondre à ses attentes? La même chose, comme vous dites, qu'«il n'y a pas lieu de constituer une liste à cet effet», alors, là, c'est l'inverse. C'est la même chose qui se produit. J'aimerais qu'on me précise cet aspect-là.

Mme Gingras (Ann): Alors, ça se peut, ce que vous dites, que le médecin spécialiste, à un moment donné, que le médecin traitant va choisir dise le contraire du médecin traitant. Mais ce qu'on dit c'est: On respecte le médecin traitant. C'est lui qui va décider du médecin spécialiste, c'est lui qui aura le choix. Il ne sera pas contraint de choisir un médecin spécialiste à partir d'une liste montée par la CSST ou par qui et peu importe qui, c'est lui qui aura le choix, le loisir de le faire. Les médecins spécialistes, on ne les contrôle pas, on ne sait pas ce qu'ils vont porter comme diagnostic. Mais, au moins, c'est le médecin traitant qui va faire le choix. Et peut-être en ajout, M. Précourt.

M. Précourt (Mario): Il faut regarder ça dans la vraie vie. Les médecins de tous les jours, quand on les consulte effectivement vont souvent aller consulter des spécialistes, et c'est des connaissances avec lesquelles ils travaillent régulièrement. Quand on voit les gens qui se font traiter en assurance-maladie, ce n'est pas surprenant qu'arrive un spécialiste parce que le cas médicalement est plus difficile. Il n'y a pas de biais, à ce moment-là. Le médecin spécialiste va aider le médecin traitant pour en arriver à un résultat positif au niveau des traitements. Le biais intervient quand on demande à un médecin de contrôler un autre médecin et que le payeur en retire un certain bénéfice. Le médecin traitant n'est pas payé directement par son patient, il est payé par le gouvernement; donc, il n'y a pas de biais, à ce moment-là. Mais, quand c'est le médecin de l'employeur qui intervient ou le médecin de la CSST, là, il intervient un biais, parce que, là, il y a un client.

De la même façon, quand, nous, on va chercher une expertise médicale pour le patient parce que le dossier est judiciarisé, il intervient un biais. C'est pour ça qu'on s'en va dans une confrontation au niveau d'un tribunal administratif où des spécialistes ont étudié à la même école, travaillent parfois dans les mêmes bureaux, et pourtant on fait des débats devant la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles à cause de l'existence du Bureau d'évaluation médicale. C'est là qu'il y a un biais. Et, maintenir le BEM, maintenir les spécialistes sur une liste, que le médecin traitant, dans le fond, se voie imposer, un spécialiste qu'il doit consulter, c'est à ce moment-là qu'intervient le biais. Et on va continuer à judiciariser le dossier, on va continuer à faire des débats, en termes de délai qui sont souvent très longs quand on va à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles. Merci.

Le Président (M. Beaulne): M. le député d'Argenteuil.

M. Beaudet: Merci beaucoup, M. le Président. Mme Gingras, M. Tremblay et vos compagnons, je dois vous remercier d'être venus nous présenter vos doléances sur le projet de loi n° 79. Je dis «doléances» parce qu'il y a peu de choses qui sont favorables. Lorsque vos confrères de la CSN sont venus... Évidemment on va demander à M. Laviolette d'entrer en contact avec M. Tremblay, il va peut-être lui donner des cours de plaideur, parce que M. Tremblay l'a fait avec beaucoup d'emphase et de facilité.

Mme Gingras (Ann): Ils se parlent régulièrement.

M. Beaudet: Je suis sûr. Il y a une teinte, alors. Dans l'exposé, vous nous parlez, au début, des relations de travail et de la prévention, qu'on met très peu d'emphase sur la prévention, et vous parlez que c'est un coût pour l'employeur. À moins que je ne me trompe – il y a peut-être des gens qui sont en affaires, ici – la prévention, ce n'est pas un coût pour l'employeur, c'est une économie. Alors, je vois mal les entrepreneurs, les entreprises qui ne favoriseraient pas la sécurité au travail, parce que ça va devenir un coût plus important pour eux que ce qu'ils pourraient gagner en mettant en place des mesures qui vont favoriser la sécurité et la santé de leurs travailleurs. Alors, je pense qu'en général les travailleurs aujourd'hui ont accepté ce mode de fonctionnement; ça ne l'était pas, il y a 20 ans, puis je comprends ça. Sauf que les mentalités ont changé, les comportements, comme vous l'avez mentionné, ont changé. Les gens sont beaucoup plus ouverts à accepter les démarches que les travailleurs leur proposent pour favoriser la sécurité parce qu'ils savent qu'au bout de la ligne en fin de compte, il y va de leur bien et de leur bénéfice, dans bien des cas.

Il y a certains éléments dans vos recommandations évidemment avec lesquels nous sommes tout à fait d'accord. Évidemment, que la Commission d'appel, telle qu'elle existe actuellement, la CALP, soit maintenue, nous sommes tout à fait d'accord avec cette position. Je retrouve aussi l'abolition du BEM. Lorsque vous nous parlez de la liste qui existe actuellement entre la CSST et un groupe de spécialistes, comme le mentionnait mon confrère tantôt, on va faire l'inverse, on va avoir le médecin traitant qui va avoir sa liste. Parce que – M. Tremblay, ne me dites pas non – de la même façon que celui de la CSST qui est payé par la CSST, l'autre va être payé aussi de la même façon. Alors, le spécialiste va être payé. Que ce soit par le gouvernement ou ailleurs, il va être payé. Alors, ne vous leurrez pas, il y a une source de revenu quelque part.

Et vous le savez très bien, je vous ai entendu, j'allais dire déblatérer, mais, en tout cas, y aller de commentaires très négatifs sur un grand nombre de médecins, vous allez comprendre qu'il y a des gens qui font des milles et des milles ou des kilomètres et des kilomètres pour aller à telle place voir tel docteur, tel médecin traitant parce qu'ils savent que celui-là va leur donner six ou huit semaines de congé, alors que l'autre va leur donner deux semaines. Alors, ça joue dans les deux sens, ça. Et je ne pense pas qu'on doive prendre des cas d'espèce pour justifier un comportement général, parce que c'est déplorable pour les deux côtés. Puis je ne pense pas non plus qu'on doive utiliser ça comme exemple pour justifier tout un comportement. Je pense qu'il faut beaucoup plus s'attacher à la base du problème.

(16 h 50)

Vous avez mentionné tantôt qu'un des problèmes importants, c'était le délai. Parce qu'une lésion professionnelle, c'est vivant, ça évolue dans le temps. Alors, quand le médecin traitant voit un patient, un travailleur accidenté qui est vu par un spécialiste six semaines plus tard, ce n'est plus du tout le même phénomène qu'on a à analyser et à évaluer; je suis tout à fait d'accord avec vous. Alors, si un des problèmes majeurs est le suivi rapide qui doit se faire pour le travailleur accidenté – puis ça devrait être comme ça, il ne devrait pas avoir à attendre six semaines, ou cinq semaines, ou trois mois pour voir un spécialiste, s'il y a lieu – je pense qu'on devrait s'adresser à cette situation-là.

Et j'avais mentionné, lors de la visite du groupe de la CSN, comment il verrait la présence de groupes spécialisés en médecine du travail, un petit peu comme vous le faites là-dedans, où les gens sont spécialisés en médecine du travail, ils ont des bureaux spécifiques et le travailleur accidenté n'a pas d'autre choix que d'aller se présenter à ces endroits-là parce que ces gens-là sont compétents pour évaluer un accidenté du travail, ils connaissent ça et c'est leur rôle, et ils ne sont rattachés à personne, ni à la CSST, ni à la CALP, ni au gouvernement, ils sont indépendants. Le travailleur se doit d'aller à ces bureaux-là. Et, eux, ils le dirigent, le diagnostiquent, le traitent, le font évoluer dans sa thérapie, s'il y a lieu, une physiothérapie, et font, à la fin du compte, l'évaluation de son handicap, de ses limites, pour être capables de le réintégrer au travail. J'aimerais vous entendre là-dessus, si c'est une chose à laquelle vous avez réfléchi.

Mme Gingras (Ann): Vous avez soulevé plusieurs points, M. le député. Alors, peut-être, pour commencer sur ce que vous amenez sur la prévention, quand nous disons qu'il y a beaucoup d'employeurs qui voient ça comme un coût, c'est effectivement vrai. C'est vrai aussi qu'en grande partie les comportements ont changé, mais, je vous dirais, c'est loin d'être répandu de façon générale. Et je vous dirais que c'est très peu présent, le changement de comportement, au niveau du secteur public où le gouvernement est employeur. Là, dans le secteur public, surtout dans le réseau de la santé et des services sociaux, de façon systématique, on conteste. On ne fait aucune prévention, il n'y a pas de rencontre qui se fait avec le Comité santé-sécurité. On conteste. On surmultiplie les actes, les expertises médicales. Et je vous dirais qu'au niveau des lois sociales, au Conseil central, le travail substantiel provient du secteur public, réseau de la santé, par des contestations à n'en plus finir.

Sur les problèmes que vous avez soulevés au niveau des médecins qui peuvent être complaisants, c'est vrai, il y en a, et on est d'accord avec ça. D'ailleurs, c'est la position de la CSN, quand on parle, au niveau de la réforme de la santé, qu'il y en a qui sont complaisants. Par contre, si c'est le problème, on doit régler le problème au niveau des médecins et pas au niveau des personnes victimes d'accidents de travail en exigeant des expertises, des expertises, des expertises. C'est vraiment au niveau des médecins, si c'est le problème, qu'on doit intervenir.

Alors, peut-être, en complément – parce que vous avez soulevé plusieurs points – M. Cyr.

M. Cyr (Christian): Pour nous, ce qui est important, c'est que les gens qui sont victimes d'un accident de travail, ils arrêtent d'être barouettés d'un bord puis de l'autre, d'un médecin à l'autre, juste pour être expertisés, voir si le médecin traitant a raison. Ce qu'on veut, c'est que les gens soient traités le plus tôt possible et rentrent au travail une fois guéris, bien sûr, mais qu'ils soient traités pour leur problème et qu'on arrête de les barouetter. C'est clair, c'est tout simplement ça. Puis le mécanisme qu'il y a présentement, et encore plus celui qu'il pourrait y avoir si le projet de loi passait, ça va faire en sorte de les barouetter encore plus. C'est ça qui n'a pas de bon sens.

Au niveau, peut-être, de la proposition que le député faisait, pourquoi ne pas laisser le choix au médecin traitant, si lui le veut, d'envoyer cette personne-là à des cliniques spécialisées qui pourraient faire en sorte qu'elle revienne plus vite. Mais toujours laisser le médecin traitant, parce que, en pratique, quand il arrive un accident de travail... Moi, je travaille dans un entrepôt. Il y a beaucoup d'accidents de travail, chez nous. Moi, je travaille de 17 heures à 1 heure, le soir. Mon accident de travail n'arrive pas à 15 heures, l'après-midi. Ce n'est pas toutes les cliniques médicales qui sont ouvertes. À 21 heures, le soir, si j'ai un accident de travail, il faut que j'aille à l'hôpital, je ne peux pas me rendre dans une clinique spécialisée, quelque part. Vraiment, le premier médecin que je vais voir, c'est un médecin d'urgence, ce n'est même pas un médecin traitant; à moins que tu tombes sur ton médecin traitant. Mais le lendemain, on peut retourner à notre clinique. Et c'est là que le médecin traitant, c'est important qu'il ait toute la latitude pour traiter cette personne-là.

Mme Gingras (Ann): Alors, un ajout, peut-être, M. Tremblay.

M. Tremblay (Georges-Étienne): Sur la référence, tantôt, on a dit: Ça va être une autre liste, le médecin va choisir ses spécialistes, ça va être une autre liste biaisée de la même façon; je suis en désaccord avec ça. Je pense que vous avez probablement vu le mémoire du Collège des médecins. Ce qu'on vous dit, c'est ce qui est indiqué dans le mémoire du Collège des médecins. Si un médecin a un problème quant au diagnostic, parce que le cas évolue et les traitements n'ont pas d'effet, il réfère à un spécialiste. C'est son code de déontologie qui dit ça.

Les spécialistes, dans la mesure du possible, sont disponibles comme il y en a, puis ça dépend si tu es dans une région ou dans une ville. Donc, ce qu'on demande, c'est qu'il n'y ait pas deux médecines, une médecine pour les accidentés du travail et une médecine pour les malades ou les blessés en dehors du travail.

Sur votre hypothèse à l'effet que des cliniques pluridisciplinaires... Oui, l'approche pluridisciplinaire, la CSN adhère à ça. Qu'il y ait des recherches, des cas compliqués qui prennent du temps à guérir qu'il y ait des approches pluridisciplinaires, oui. Qu'on tienne davantage compte des médecins en santé publique, des médecins qui travaillent dans les CLSC ou dans les départements de santé communautaire – auparavant – les centres de santé publique, qu'on utilise davantage ces ressources publiques là, oui, on adhère à ça. Ce ne sera pas la confrontation.

Des médecins qui sont objectifs, il n'y a pas de problème avec ça. Ça arrive très fréquemment que le médecin traitant, il émet un diagnostic très général au départ; ça ne va pas, la période de consolidation prend plus de temps que prévue, il envoie voir un spécialiste qui change carrément de diagnostic, qui trouve une autre pathologie. Le médecin, il ne s'obstine pas avec ça, le travailleur non plus. Il n'est pas là, le débat. Il est quand vous avez l'imposition de médecins; leur vocation cesse d'identifier correctement le diagnostic, de trouver des soins, de trouver une plan de traitement. Quand vous avez un spécialiste qui est dévié de sa profession, comme le rapport Durand le disait, qui devient quelqu'un qui va aller chercher des éléments de confrontation sur l'aspect médical dans le passé de quelqu'un, dans sa colonne vertébrale, quand c'est un problème musculaire qu'il a, c'est là que ça se complique, c'est quand la loi judiciarise. Et on veut la déjudiciariser, et c'est très simple: abolissez le recours systématique ou presque, possible au BEM. Et là, on complique ça par des pré-BEM. Ça n'a pas de bon sens, ça n'en a pas du tout.

Le Président (M. Beaulne): M. le député de Bourassa.

M. Charbonneau (Bourassa): M. le Président, je pense que l'exercice auquel nous nous livrons est très important, et nos invités y concourent avec beaucoup de compétence et beaucoup de conviction. C'est important parce que ça va aider le ministre à reconcevoir le projet de loi n° 79 ou à n'en retenir que certaines parties, on verra. Et ça augmente chez lui sa capacité critique face aux renseignements qu'il reçoit de la CSST, par exemple. C'est très important. Parce que, vous savez, être ministre il y en a qui pense que c'est facile, puis tout ça. On comprend, on les voit de près, on les voit souffrir, nous autres. Il y a les problèmes que leur posent le Conseil du trésor, le ministre des Finances, qui passent des commandes de compressions, etc., de tarifications. Ça les met dans l'embarras, eux, parce que souvent ils savent que ça peut avoir un impact. Mais ils font un effort pour avancer.

Un ministre, quand il est nommé, il est immédiatement entouré d'ardents collaborateurs, présidents de sociétés, présidents de régies, présidents de conseils. Ils ont tous des rapports de briefing, des cahiers, et c'est des rapports qui ont toutes les caractéristiques de la compétence. Tu arrives là, le ministre est submergé de renseignements, submergé d'avis, de bons conseils. Et tous ont des arguments. Et, s'il y a une petite question qui se soulève: un autre document d'un pouce. Puis, s'il y a trois, quatre questions que le ministre soulève: un rapport de quatre pouces. Et puis le ministre, à un moment donné, il pense que ça a du bon sens, tout ça.

Puis il a 36 chats à fouetter, il a son comté, il a des régions, il a le Conseil des ministres. Alors, ce qu'on fait là, ici, c'est important parce qu'on lui donne une chance de prendre connaissance d'autres points de vue que ceux de ceux qui l'entourent de manière immédiate puis de voir qu'il peut recevoir de bons conseils aussi à partir de l'angle des praticiens et non pas simplement à partir du point de vue des gestionnaires. Il y en a, parmi ces gestionnaires-là, qui ont de brillants fleurons, qui ont été reconnus comme très, très bons gestionnaires au niveau des finances, au niveau de l'administration. Quand on arrive à un niveau supérieur où on a à mettre en équilibre les orientations et l'administration, là, il faut prendre une certaine distance. Et vous collaborez, par vos interventions, à aider le ministre à prendre la distance qui convient à ses fonctions par rapport aux avis qu'il reçoit de son entourage.

(17 heures)

Je voudrais, en conclusion, pour ma part, en tout cas, vous demander... Vous avez, à la page 14, ici, vos recommandations, ce que vous ne voulez pas. Vous, si vous étiez à la place du ministre, est-ce que vous vous acharneriez à passer un projet de loi n° 79? Est-ce que vous voyez l'utilité? Quant à quoi? Qu'est-ce que vous retenez, autrement dit, d'utile dans 79? Parce que ce que vous recommandez, c'est surtout ce que vous ne voulez pas. Mais, à travers tout ça, voyez-vous matière à un projet de loi n° 79 ou si, en définitive, ce n'est pas vraiment la peine de brasser tout ça?

Mme Gingras (Ann): Bien, ce qu'on vous disait tout à l'heure, c'est: Si on veut vraiment solutionner les problèmes qu'on vit dans tout le régime, c'est vraiment la question de déjudiciariser toute la question médicale. Alors, ça passe réellement par là, et on considère qu'avec le projet de loi n° 79 ça ne répond pas à cette problématique-là; au contraire, nous croyons que ça va s'accentuer.

Alors, sur le projet de loi n° 79, ce que je peux vous dire, c'est que, si on était ministre, on changerait probablement de numéro et on referait nos devoirs de A à Z en tenant compte vraiment de ce que peuvent vivre les personnes accidentées du travail et des réels problèmes, ce qu'apporte toute la question de la judiciarisation des questions médicales. Je ne sais pas, M. Tremblay, en complément. Non? Il me fait dire que non. C'est surprenant.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Charbonneau (Bourassa): Merci.

Le Président (M. Beaulne): Alors, merci, M. le député de Bourassa. La commission vous remercie.

Mme Gingras (Ann): Juste peut-être avant de terminer, si vous me permettez, on vous a annoncé un document; on aimerait ça peut-être le déposer à la commission parlementaire. Alors, c'est une étude scientifique qui avait été faite par Mme Katherine Lippel, qui est professeur à l'UQAM. Alors, c'est une étude qui démontre que les femmes sont discriminées au niveau des décisions qui sont rendues par les bureaux de révision paritaire. J'attirerais votre attention surtout à la page 10 dans le document. Les autres, c'est 44 pages très intéressantes, mais surtout la page 10, où il y a un tableau qui nous rappelle que 73,9 % des décisions en ce qui concerne les femmes sont négatives, et, dans le cas des hommes, c'est 52,5 % qui sont négatives. Alors, il y a plusieurs facteurs qui sont impliqués là-dedans. Ça va dans ce qu'on disait. Ce qui est bon dans le projet de loi, c'est l'abolition du BRP et peut-être le fait que le paritarisme ne soit pas ramené au niveau d'un autre palier. Alors, quant à nous, ça vient pousser encore plus notre argumentation, notre point de vue.

M. Tremblay (Georges-Étienne): Peut-être deux petites minutes sur le document. C'est un document de...

Le Président (M. Beaulne): Je m'excuse, je pense que le document a été déposé, et nous allons en faire des copies pour les membres de la commission.

M. Tremblay (Georges-Étienne): J'en ai d'autres.

Le Président (M. Beaulne): Ah, vous en avez d'autres? Bon. Alors, vous pouvez les distribuer, mais nous allons devoir vous remercier, parce que, par respect pour les autres groupes qui ont droit à une enveloppe semblable, je pense que c'est de toute équité. Alors, la commission vous remercie.

M. Rioux: Vous avertirez les gens du Conseil central de Chaudière-Appalaches que, même si un ministre est entouré de spécialistes, ça ne l'empêche pas de penser et ça ne l'empêche pas d'exercer son jugement.

Le Président (M. Beaulne): Alors, sur ce, je vous remercie et j'invite les représentants de la Centrale des syndicats démocratiques à prendre place.

(Consultation)

Le Président (M. Beaulne): À l'ordre, s'il vous plaît! Nous allons reprendre nos travaux.

Nous souhaitons maintenant la bienvenue à M. Claude Gingras et à son équipe de la Centrale des syndicats démocratiques. Vous avez 20 minutes pour votre présentation, et, par la suite, nous procéderons à des échanges, pour une période globale d'une heure. Alors, avant de commencer votre présentation, si vous voulez bien présenter, pour les fins de la transcription, les personnes qui vous accompagnent.


Centrale des syndicats démocratiques (CSD)

M. Gingras (Claude): Merci, M. le Président. M'accompagnent, pour la présentation du mémoire de la CSD, à mon extrême droite, Hélène Dubé, qui est du Service des communications de la CSD; Catherine Escojido, immédiatement après, qui est au Service de recherche; à ma droite immédiate, Lysanne Dagenais, qui est au Service des lois sociales chez nous, conseillère; et Yves Gervais, qui est également conseiller aux lois sociales chez nous, à la CSD.

Messieurs, mesdames, M. le ministre, membres de la commission parlementaire de l'économie et du travail, chaque fois qu'une réforme de la loi régissant l'indemnisation des victimes de lésions professionnelles fut adoptée – le projet de loi 35 en novembre 1992 ou le projet de loi n° 79 qui nous est actuellement proposé – ces réformes se sont effectuées, selon nous, à l'encontre de l'intérêt des travailleuses et des travailleurs du Québec et ont introduit des biais importants et contraires à l'esprit initial de la loi. Au nom de la célérité et de l'économie administrative, on dénature chaque fois un peu plus le contrat social qui est à l'origine du régime québécois de la santé et de la sécurité au travail qui visait, entre autres, la création d'un système évitant les lourdeurs et l'inaccessible procédure du droit civil ainsi que les assauts d'experts des compagnies d'assurances privées. L'objectif primé était la simple réparation des lésions professionnelles et leurs conséquences. Force nous est de constater que nous avons échoué en partie, du moins en ce qui a trait à la simplification des recours.

Alors, l'économie générale du projet de loi n° 79 est apparue à la CSD fort peu généreuse quant au droit des travailleuses et des travailleurs et plutôt prodigue en économies à réaliser pour le patronat. C'est pourquoi nous demandons le retrait du projet de loi n° 79. Dans ce contexte, nous ne pouvons que nous insurger au nom des travailleuses et des travailleurs que nous représentons. Mentionnons également que, si ce projet de loi ne prévoit aucun droit nouveau, il ne simplifie pas la situation pour nos membres syndiqués. Cela sera encore bien pire pour les non-syndiqués.

(17 h 10)

Une véritable réforme s'impose pour assurer le maintien d'un régime d'indemnisation des victimes de lésions professionnelles collectif efficace et juste. Cette réforme doit être draconienne ou ne pas être. En effet, il est idyllique sinon franchement démagogique de croire que l'on pourra, dans le système actuel, mettre fin aux mentalités antagonistes et à la culture d'affrontement lorsque l'enjeu pour la victime est la perte des acquis de toute une vie de travail.

Aucune barrière ou aucun mécanisme, aussi ingénieux soit-il, ne pourra résister à la détermination d'une personne blessée, sans espoir de guérison, recherchant le maintien de ses revenus familiaux. Tant que des individus blessés lutteront pour la survie de leur famille, de leur mode de vie et qu'ils percevront qu'à défaut de se battre c'est l'aide sociale qui les attend, il y aura des affrontements. Personne ne peut accepter sans réagir de perdre à jamais sa capacité de gagner sa vie ou de la vivre pleinement.

Trop souvent on oublie que c'est l'échec de la médecine qui antagonise les situations. Notre société devrait avoir l'humilité de reconnaître ce fait et, par conséquent, permettre aux individus grandement affectés dans leur force de travail et donc dans leur capacité de gagner leur vie le droit d'en débattre devant des instances judiciaires accessibles, compétentes et neutres, à défaut que notre société soit assez généreuse pour les dédommager sans compter. Il ne faut pas oublier les obligations des employeurs en matière de santé et de sécurité du travail. L'article 51, entre autres, dit: «L'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l'intégrité physique du travailleur...»

Il y a trois moyens de diminuer l'intérêt des victimes d'accidents du travail à utiliser des recours judiciaires de nature médico-légale. Le premier, c'est de sagement les indemniser selon les recommandations de leur médecin, sans autre discussion, en mettant en place des mesures de réadaptation incitatives et un filet social décent et neutre en cas d'échec de la réintégration. Il y en a un deuxième: vicieusement, en multipliant les embûches administratives ou financières visant à décourager les victimes ainsi que ceux qui cherchent à les assister. Il y en a un troisième: franchement mais bêtement, en leur retirant le droit de contester ou en limitant clairement dans le temps ou autrement la valeur des bénéfices que la loi accorde aux accidentés. À ce titre, la démarche du projet de loi n'est ni sage ni franche. Vous pouvez présumer immédiatement où on la situe.

La CSD considère que la santé et la sécurité du travail ne devrait pas se monnayer en termes de sommes d'argent dédiées à l'indemnisation mais devrait plutôt s'investir en prévention. Déjà, beaucoup de chemin a été fait en 20 ans à ce chapitre. Cependant, les progrès de la prévention ne doivent pas nous faire oublier qu'un accident de travail lourd coûtera toujours très cher tant au plan humain que financier. Il est important qu'une victime qui joue son avenir sur la décision d'un fonctionnaire ou d'un médecin ait tout le loisir de faire valoir ses droits, même si cela implique une certaine lenteur du processus.

Le système actuel de BRP, de révision de novo à la CALP offre des garanties valables à ce niveau. Par ailleurs, le contrôle du travailleur sur le cheminement médical de son dossier s'est grandement détérioré, au fil des réformes, depuis 1985. À ce niveau, le projet de loi n° 79 n'est certes pas une amélioration et consolide le cheminement d'une inéquité flagrante. Seule la victime ne peut contester l'opinion du médecin qui la traite, alors qu'il est de plus en plus facile à l'employeur et à la CSST de le contredire. L'évaluation des deux dernières réformes prouve qu'aucune déjudiciarisation ne s'est produite. Pire, l'introduction de nouveaux procédés a fourni des arguments supplémentaires aux représentants des parties pour attaquer la légalité des arbitrages médicaux et les faire casser pour des motifs étrangers à la médecine. En réponse à ce déferlement de victoires procédurières, on a retiré, lors de la réforme de 1992, la protection auparavant dévolue à l'opinion du médecin traitant.

Pourquoi alors le travailleur n'a-t-il pas retrouvé le droit de contester toute conclusion médicale avec laquelle il n'est pas en accord? Avec le projet de loi n° 79, on théorise encore plus le caractère prépondérant de l'opinion du médecin du travailleur. Ne conviendrait-il pas mieux plutôt d'établir une fois pour toutes le caractère incontestable de la décision du médecin traitant, si l'on veut véritablement déjudiciariser cet aspect de l'indemnisation? Dans ce contexte, nous préférons le statu quo à la détérioration effective des droits judiciaires des victimes d'accidents par l'effet du projet de loi n° 79.

Le système actuel prévoit une révision des décisions administratives de la CSST au bureau de révision paritaire, une évaluation des aspects médicaux par le Bureau d'évaluation médicale, une contestation des décisions tant du BEM que de la CSST devant le BRP et un appel des décisions du BRP à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles. La réforme actuelle fut entreprise suite au rapport Garant, lequel a conclu à un besoin de rationalisation et de déjudiciarisation des tribunaux administratifs au Québec ainsi qu'à un besoin d'uniformité les rendant plus accessibles aux justiciables. La CSD s'est élevée contre l'annexion de la Commission d'appel au Tribunal administratif du Québec qui, selon nous, n'offrait pas suffisamment de garanties quant à la spécialisation et à la déjudiciarisation pour les travailleuses et les travailleurs. La suite est connue.

Aujourd'hui, la CSD ne peut soutenir la démarche de création de la CPLP et du projet de loi n° 79, puisque globalement la réforme proposée nous apparaît ne pas intégrer les considérants des travailleuses et des travailleurs et des organisations syndicales. Le projet de loi n° 79 consacre la Commission et ses fonctionnaires, nous propose un paritarisme fantoche et contrevient aux principes de justice naturelle et au droit de la personne d'être jugée par un tribunal impartial. L'essence du paritarisme est d'être particulièrement sensible aux problèmes du milieu et de bien connaître la réalité des situations qui lui sont présentées. Il est le gage d'une plus grande transparence de l'administration pour les usagers et un lien important entre le régime et ces derniers. Par sa nature, il ne peut être indépendant et impartial. Il convient, selon nous, de le maintenir dans les organismes administratifs, tel le BRP, comme cela existe d'ailleurs dans certaines autres provinces canadiennes.

Le BRP est purement une instance administrative supérieure de la CSST dont le mandat est de réviser et de modifier les décisions de l'organisation. Les décisions en émanant sont administratives. Elles sont prises suite à un débat contradictoire dans le cadre d'un fonctionnement quasi judiciaire. Le BRP vérifie, bien sûr, l'application de la loi aux situations de fait de chacun des dossiers. Ses décisions sont de nature administrative et échappent donc au pouvoir de contrôle et de surveillance de la Cour supérieure.

Selon la CSD, le paritarisme doit être maintenu à ce stade, puisqu'il assure le lien entre l'administration et le monde du travail et garantit la transparence du régime. La CALP rend, quant à elle, des décisions juridictionnelles. Elle substitue sa décision à celle de la CSST. Elle est, en ce sens, un tribunal administratif, tribunal qui se définit, selon le rapport Garant, dans les termes suivants: «Il s'agit d'une décision prise par un tiers, généralement un tribunal, pour trancher un litige opposant des parties. En effet, la jurisprudence et la doctrine identifient la fonction juridictionnelle et la décision prise dans l'exercice de cette fonction comme étant celle en vertu de laquelle un décideur tranche un litige opposant des parties sans être lui-même l'une des parties qui s'opposent dans le litige, mais un tiers indépendant et impartial; tranche un litige dont il est saisi et dont il ne se saisit pas; tranche un litige en se fondant sur des considérations de légalité et non uniquement sur des considérations d'opportunité; tranche un litige en constatant l'existence des faits et en disant la norme qu'il n'a pas lui-même adoptée ou soumise pour adoption; tranche un litige à partir des faits prouvés devant lui par les parties sans avoir lui-même recherché ces faits; tranche un litige selon une procédure adaptée à la nature des litiges dont il est saisi.»

Le législateur a confié à la CALP un ordre administratif, l'appel des décisions de la CSST. Les décisions sont finales et soumises au pouvoir de contrôle et de surveillance de la Cour supérieure. Dans notre système de droit québécois, la confiance du citoyen face aux institutions judiciaires se traduit, entre autres, avec l'enchâssement dans la Charte d'une garantie d'accès à une audition publique et impartiale par un tribunal indépendant qui détermine ses droits et obligations ou le bien-fondé de toute accusation portée contre lui. La Cour d'appel a réaffirmé récemment, dans l'arrêt Montambault, l'indépendance et l'impartialité de la CALP. Un tribunal administratif se doit de satisfaire aux exigences de l'article 23 de la Charte. Et la jurisprudence a défini les principes d'impartialité et d'indépendance dans Beauregard: «Historiquement, ce qui a généralement été accepté comme l'essentiel du principe de l'indépendance judiciaire a été la liberté complète des juges prise individuellement d'instruire et de juger les affaires qui leur sont soumises: personne de l'extérieur – que ce soit un gouvernement, un groupe de pression, un particulier ou même un autre juge – ne doit intervenir en fait ou tenter d'intervenir dans la façon dont un juge mène l'affaire et rend sa décision.»

(17 h 20)

Les critères qui se sont dégagés afin d'évaluer l'indépendance institutionnelle sont l'inamovibilité, la sécurité financière et le contrôle administratif. Force nous est de constater que, dans l'état actuel du droit, la CSD ne pourrait soutenir que la nouvelle CPLP soit paritaire, et ce, malgré les mesures prises ou prévues dans le projet de loi afin de créer l'illusion d'impartialité et d'indépendance.

Le gouvernement, au fait de la situation, propose une autre forme de paritarisme en y substituant le rôle de décideur par un rôle d'assesseur. Ceux-ci auraient pour fonction de conseiller le commissaire siégeant à la Commission. Cela vient confirmer nos appréhensions concernant le caractère véritablement paritaire de cette instance d'appel. Alors, cette situation nouvelle place la Commission dans une sorte d'impasse: ou bien elle est véritablement paritaire, ce qui, comme nous venons de le démontrer, ne répond pas aux exigences d'impartialité, ou bien elle y répond en s'adjoignant des assesseurs dont le rôle est devenu complètement factice. Alors, la CSD ne peut appuyer la création de cette instance d'appel. Dans l'état actuel du projet de loi, le statu quo demeure encore une meilleure solution contre l'anéantissement des droits des victimes de lésions professionnelles.

La CSD est d'avis que la procédure médicale proposée dans le projet de loi ne sera pas simplifiée. Elle impose une série de modalités qui auront pour effet une judiciarisation additionnelle et l'alourdissement du système actuel. Le rôle du médecin traitant a toujours été la pierre angulaire du processus médical. Loin de confirmer son rôle, les articles 204 et 205.1 du projet de loi n° 79 font en sorte d'imposer au médecin traitant la transmission du nom de trois professionnels de la santé par écrit à la Commission dans les cinq jours d'une demande. Le médecin ne pourra y accéder, puisque irréalisable dans un délai de cinq jours imparti.

Sous prétexte de permettre au médecin traitant de la victime d'une lésion professionnelle de faire confirmer son diagnostic ou d'autres aspects médicaux auprès d'un spécialiste qui lui sera imposé, le projet de loi édicte une nouvelle série de modalités qui n'auront pour effet que d'introduire de nouveaux irritants à ceux déjà trop nombreux qui existent. Les médecins traitants réagiront à coup sûr négativement devant l'énormité du fardeau administratif que leur impose un tel projet. Dans le cadre d'une procédure subtile, le projet de loi permet à la Commission de museler définitivement les médecins traitants ayant osé prendre une timide position favorable à leurs patients.

La CSD considère également qu'il faut prendre en considération les limites du corps médical dans le cadre d'une loi sur la réparation en matière de santé et sécurité au travail. Il faut démanteler l'industrie de la médecine qui alimente l'affrontement des employeurs et de la CSST et contre laquelle les médecins traitants rémunérés à l'acte ne veulent s'ériger. Il faut reconnaître que la médecine a des limites, que le diagnostic n'est pas une science mais un art, que plusieurs pathologies sont idiopathiques et que la douleur est un phénomène incontrôlable et subjectif.

Les travailleuses et les travailleurs sont incertains face à leur situation et à leur avenir. Chaque médecin rencontré est un expert de plus qui malheureusement, au lieu de les rassurer, les pousse trop souvent un peu plus vers le gouffre de l'incertitude. En ce sens, le BEM est une machine infernale qui contribue largement à miner les victimes de lésions professionnelles. Les médias en ont d'ailleurs maintes fois dénoncé les abus, souvent à la demande des victimes.

La CSD, à l'instar de plusieurs autres organismes, en réclame l'abolition depuis sa création. Le BEM doit disparaître, et les contestations sur les questions médicales doivent être directement dirigées dans un processus d'appel. Alors, la CSD considère qu'il s'agit là d'un débat entre experts devant être entendus par un tribunal spécialisé où un médecin assesseur doit obligatoirement être présent pour aviser le tribunal. Dans les circonstances, nous considérons qu'un retour à l'appel directement à la CALP des questions d'ordre médical, comme c'était le cas avant la réforme de 1992, ce phénomène ou cette façon de faire devrait être réinstauré, à ce moment-ci.

Au sujet de la déjudiciarisation, ce que le commun des mortels constate à la lecture du projet de loi est que la seule mesure déjudiciarisante réside dans une modification de l'article 358.3 du projet: «Après avoir donné aux parties l'occasion de présenter leurs observations, la Commission peut confirmer, infirmer ou modifier la décision, l'ordre ou l'ordonnance rendu initialement et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu.»

La CSD salue cette mesure qui doit être considérée, en droit administratif, comme une déjudiciarisation, puisque, tout en respectant le devoir d'agir équitablement, les organismes actuels qui donnent aux personnes concernées l'occasion de présenter leurs observations le font par le biais de rencontres informelles se déroulant dans le décorum quasi judiciaire, sans plaidoirie et sans respect strict des règles relatives à la preuve au Canada. Cependant, force nous est de constater que le projet de loi n° 79, qui a pour objet d'abroger les bureaux de révision paritaire et de créer un nouvel organisme à caractère décisionnel, soit la CPLP, comporte sa part d'illusions, puisque l'administration ne peut abolir la révision administrative de ces décisions. Ce qui est modifié par le projet de loi est simplement sa structure paritaire. La CSD croit que, dans ces circonstances, il y a lieu de maintenir les BRP, d'en conserver la structure paritaire, forme de gage contre l'arbitraire, tout en procédant à une véritable déjudiciarisation de la révision des demandes.

Le projet de loi augmente la rigueur des règles de preuve et de procédure devant la CPLP. Les demandes seront désormais initiées par requête, et les conclusions recherchées devront être mentionnées. La loi actuelle parle principalement de déclarations écrites, ce qui est amplement suffisant.

Le recours en révision pour cause se complexifie. Il introduit la requête sur permission d'un commissaire. Cette requête sera instruite sur dossier sans audition. Quand on sait qu'une part importante, soit plus de 20 % de nos membres, selon une enquête effectuée en 1987, déclarent éprouver des difficultés avec la lecture et l'écriture, nous devons nous ériger contre une telle complexification. La CALP a fait des efforts considérables pour améliorer son mode de fonctionnement depuis sa création, et nous avons assisté à une accélération de son processus décisionnel. Au surplus, elle s'est dotée de modes alternatifs de règlement des litiges, à savoir la conciliation et les rôles récurrents régionaux dont l'efficacité doit être saluée.

Finalement, rappelons que le ministère du Travail est le responsable de l'application du projet de loi. Historiquement, il se devait d'assurer un certain cloisonnement entre la CSST et le BEM, et notre expérience nous permet aujourd'hui de constater que, pour le BEM, ça n'a pas été le cas. À moins d'une réforme en profondeur misant sur des changements de mentalité réels visant à sortir le régime de la logique d'affrontement qui l'anime, la CSD préfère le statu quo. Nous devons réitérer notre demande, soit le retrait du projet de loi n° 79, dont le seul objectif est de réaliser une économie projetée de 35 000 000 $ sur le dos des victimes de lésions professionnelles.

Le Président (M. Beaulne): Merci, M. Gingras. J'invite maintenant le ministre à vous poser quelques questions.

M. Rioux: D'abord, je voudrais souhaiter la bienvenue aux gens de la CSD. Je ne sais pas si votre voeu sera exaucé, à savoir si on va retirer le projet de loi. Vous en ratissez large, c'est le moins que je puisse vous dire.

Une voix: Il y a des doutes?

M. Rioux: Moi, j'aimerais savoir, étant donné que vous avez quand même une longue pratique et beaucoup d'expérience, comment il se fait que vous en arrivez à des conclusions à partir d'un projet de loi dont les grands objectifs sont les suivants: réduire les délais – ça, c'est ce que j'appelle «respecter les travailleurs»... Moi, ça a été un élément fondamental lorsque j'ai demandé qu'on rédige un projet de loi qui réponde à trois grands objectifs. Réduire les délais, ça voulait dire couper des niveaux de décision, protéger le retour au travail des personnes accidentées – en tout cas, faire en sorte que ça se règle avant deux ans – et aussi faire en sorte que le paritarisme, qui fait partie de notre culture, soit introduit au niveau décisionnel.

(17 h 30)

J'écoute attentivement ce que vous racontez, j'ai lu votre mémoire et je me dis: Il me semble que ce n'est pas dans les habitudes de la CSD d'y aller aussi fort et de ne même pas apporter de nuances. Moi, étant donné que vous dites que le processus d'évaluation médicale et le BEM, c'est une horreur, qu'est-ce que vous allez lui substituer dans un projet de loi qui ferait votre affaire?

M. Gingras (Claude): C'est votre question, M. le ministre?

M. Rioux: Ah oui! J'en ai d'autres aussi.

M. Gingras (Claude): Écoutez, vous êtes peut-être surpris, mais, nous autres aussi, on est surpris. On concourait aux objectifs du projet de loi, mais, quand on a lu le projet de loi, on a été fort déçus du résultat de cette réflexion qui devait viser à réduire les délais, à assurer une structure paritaire et également à permettre aux victimes d'être mieux représentées à l'intérieur du cadre de la loi.

Écoutez, notre déception réside dans le fait que non seulement le projet de loi ne rencontre pas ces objectifs, mais c'est qu'il alourdit encore plus la tâche des victimes. Il les place dans une situation où ce sera encore plus difficile pour elles de faire reconnaître leurs droits. Je veux vous citer, à titre d'exemple, M. le ministre, quelques cas d'horreurs qu'on a actuellement où on est obligé de dépenser tout près de 500 000 $ de frais d'expertise pour une dizaine de travailleurs pour réussir à faire prédominer leurs droits en vertu de la loi et à faire reconnaître, en fait, leur situation de travailleurs victimes de lésions professionnelles. Et ça, ça nous horripile. Le système nous a également forcés, M. le ministre, à mettre sur pied chez nous un régime pour aider les travailleurs à assumer des coûts d'expertise médicale qui coûtent au bas mot plusieurs centaines de milliers de dollars par année pour espérer pouvoir être indemnisés adéquatement, et tout ça, c'est souvent dû justement à la façon dont on traite les travailleurs suite à un diagnostic de leur médecin traitant.

Les travailleurs qui subissent des lésions professionnelles, que ce soit une maladie professionnelle ou un accident, la ressource vers laquelle ils se dirigent automatiquement, c'est vers leur médecin; mais leur médecin traitant. Qui d'autre que leur médecin traitant peut prendre en charge leur situation, leur condition? À qui d'autre peuvent-ils faire confiance, comme ressource, que leur médecin traitant? C'est habituellement le premier geste qu'ils posent.

Et là ils partent en galère. Là, c'est l'employeur qui n'est pas d'accord avec le médecin traitant, c'est la CSST qui n'est pas d'accord avec le médecin traitant, c'est le diagnostic, le formulaire où le médecin n'a qu'une ligne à peu près pour énoncer son diagnostic qui entre en ligne de compte, et là c'est les expertises de 10, 12 pages des supposés experts qui examinent la situation de la personne, et puis là on est confronté à tout un appareil puis à des ressources pour essayer de faire prédominer les droits des travailleurs à l'intérieur de tout ça. Le projet de loi n° 79 n'allège pas ça, d'aucune façon.

Vous dites que vous faites disparaître les BRP? Vous ne faites pas disparaître les BRP, vous remplacez ça par un superagent qui va faire de la révision administrative. On est du même au pareil. Tout ce que vous faites sauter, c'est la structure paritaire des BRP. C'est ça que vous faites sauter. Après ça, vous instituez une nouvelle commission paritaire des lésions professionnelles. Je comprends qu'elle est paritaire, mais toutes les opinions qu'on reçoit à ce moment-ci sur la justice administrative nous disent que le paritarisme aurait probablement de la difficulté à résister dans le cadre du projet de loi.

M. Rioux: Mais vous reconnaissez que le paritarisme est fonctionnel et excellent au niveau du bureau de révision paritaire.

M. Gingras (Claude): Oui. D'ailleurs, c'est pour ça qu'on propose de le maintenir.

M. Rioux: C'est pour ça que vous en recommandez le maintien.

M. Gingras (Claude): On propose de le maintenir à ce niveau-là parce qu'il est inattaquable. Alors, ça assure, dans le cadre du déroulement de la procédure, au moins à ce niveau-là, l'apport des partenaires pour qu'ils s'assurent de la transparence du régime. Alors, c'est une espèce de premier filtre aux décisions.

M. Rioux: En ce qui a trait au BEM, vous ne m'avez pas donné de réponse, mais je reviens avec une autre question. Vous évoquez le diagnostic du médecin traitant qui est souvent écrit sur une toute petite feuille, etc., et le rapport du spécialiste engagé par l'employeur pour contre-attaquer sur le diagnostic du médecin traitant; mais, quand on introduit la possibilité, pour le médecin traitant, d'aller chercher une expertise qui pourrait étoffer son diagnostic, vous ne réagissez pas à ça non plus, vous dites: Ça aussi, c'est mauvais, alors que, nous, on a pensé que le médecin traitant était... Vis-à-vis du médecin de l'employeur, peut-être que le travailleur, en bout de piste, n'a pas justice, n'est pas en situation confortable dans ce pattern. Alors, nous autres, on dit: Oui, il peut aller chercher une expertise, puis il choisit des médecins spécialistes; il consultera bien qui il veut. Et ça, vous ne réagissez pas à ça.

M. Gingras (Claude): On a réagi très fortement, à ma connaissance. Écoutez, je pense que, dans le mémoire qu'on vous a soumis, M. le ministre, on vous dit que c'est d'alourdir encore la situation des victimes...

M. Rioux: Non. Vous dites: On abolit le BEM. C'est ça, votre solution.

M. Gingras (Claude): Oui, c'est la seule solution réaliste, parce que les mesures que vous prévoyez actuellement alourdissent la tâche des médecins traitants. Vous leur imposez des choix. Écoutez, quand vous dites: Proposez-nous trois médecins dans les cinq jours, on sait formellement ce qui va arriver: ils vont se faire imposer un médecin spécialiste par la CSST parce que forcément ils ne peuvent pas rencontrer ces délais-là. On a vérifié auprès de plusieurs médecins dans le champ. Écoutez, c'est mission impossible pour eux. Alors, non seulement on nous propose de se départir du choix du médecin traitant avec cette formule-là, mais on nous dit: On va vous dire ce qui est bon pour vous, les victimes. Or, ça, je pense que c'est un accroc à la liberté de choix du médecin traitant pour les travailleurs.

Le travailleur rencontre un professionnel de la santé, et, s'il a à référer à un professionnel de la santé, je pense qu'il devrait au moins avoir le loisir de le choisir, et ça, on le réclame depuis des années, la possibilité de pouvoir avoir des frais d'expertise compensés justement pour permettre aux victimes de faire face à des opinions contraires de médecins soit de l'employeur ou de la CSST. Mais on ne nous a jamais donné ce droit-là, on ne nous a jamais donné cette possibilité-là. Je pense que ce qui est prévu dans le projet de loi n° 79, ce n'est pas cette possibilité-là. C'est qu'on veut nous imposer un autre médecin, ce qui va alourdir encore la tâche de la victime pour essayer de passer à travers le filet qu'on lui tend, pour un peu la récupérer comme un poisson dans une mer.

M. Rioux: M. le Président, c'est des grosses affirmations. Mais, si le médecin traitant avait le choix, la liberté de choix, comme vous dites, vous auriez donc tendance à maintenir le BEM.

M. Gingras (Claude): Non. On vous dit que la seule condition pour déjudiciariser l'aspect médical, c'est d'abolir le BEM et de se fier à l'opinion du médecin traitant. C'est un professionnel de la santé, le médecin traitant. C'est lui qui prend charge du travailleur, c'est lui qui devrait avoir le mot final en ce qui a trait à la situation de son travailleur et à sa réhabilitation. Alors, c'est lui qui devrait être le maître à bord. Écoutez, si on n'est pas capable de se fier au professionnel de la santé pour faire ça, au médecin traitant du travailleur, qui, en consultation avec des spécialistes, va s'adresser, quelle que soit la lourdeur du cas, à sa situation personnelle, selon le cas, si on n'est pas capable de se fier à ce professionnel de la santé là, on doit, à ce moment-là, se fier à toute une structure qu'on érige d'affrontements entre différents médecins qui seront d'opinions contraires, comme des avocats peuvent l'être; et puis non seulement on a des avocats qui doivent s'affronter devant les instances administratives, mais on a maintenant des professionnels de la santé qui font la même chose.

À l'intérieur de tout ça, on a des travailleurs, des victimes qui ne savent plus par quel bout prendre leur situation pour essayer de se démerder de ce qu'on leur propose, puis je vous avoue que ce n'est pas facile à vivre. On a des gens sur le terrain qui font ça quotidiennement, essayer de les assister, mais c'est certain que ce n'est pas avec le projet de loi n° 79 qu'on va réussir à y arriver. Et là-dessus je voudrais passer la parole à Lysanne Dagenais qui va ajouter un petit complément.

(17 h 40)

Mme Dagenais (Lysanne): M. le ministre, à part ça, le maintien du BEM, c'est le climat d'affrontement aussi. D'autre part, pourquoi il est là? Pour trancher entre deux médecins. Je pense que notre mémoire identifie que la CALP actuelle, qui est assistée, qui est munie d'assesseurs médicaux, est amplement et largement habilitée à décider lorsqu'il y a confrontation. Donc, lorsque le médecin traitant et le médecin de l'employeur et de la CSST ont des divergences, tel que mentionné dans votre projet de loi, on préférerait encore l'ancienne loi où on mentionnait «infirmait les conclusions d'un médecin traitant relativement aux cinq points». Mais, lorsqu'il y a infirmation d'une des conclusions des cinq points en question – diagnostic, plan de traitement, l'APIPP, limitations fonctionnelles, etc. – nous considérons qu'on devrait directement s'en aller devant un tribunal qui puisse décider sur l'ensemble de la preuve médicale et qui soit assisté par un médecin et non qu'un simple travailleur doive se déplacer chez un BEM, un spécialiste de la santé à la charge de la Commission. Et c'est l'impression publique, M. le ministre. Et là il est mal à l'aise. Si vous avez lu dernièrement les journaux, quand il s'agit d'une femme, elle a d'autres pressions et cette personne-là va décider de son sort qui peut peut-être avoir un impact sur un an. Parce que maintenant il ne faut pas se leurrer, il n'y en a plus, des histoires d'horreurs comme il en avait auparavant à la Commission d'appel. Bien souvent vous êtes entendu à l'intérieur d'un an ou 18 mois.

Donc, pourquoi garder le BEM actuel qui est une multiplication des intervenants au dossier? Je pense que la Commission d'appel est habile présentement à décider puis que, si vous voulez économiser, bien, le BEM, c'est la première chose à démanteler.

M. Rioux: Votre président disait tout à l'heure que le médecin traitant, c'est un professionnel, et il faudrait lui donner toute la liberté qu'il faut pour exercer sa profession. Moi, je dis oui. Et d'ailleurs, s'il demande un avis à un spécialiste, il est libre de suivre ou de ne pas suivre cet avis, il a la liberté professionnelle de décider quel est le diagnostic qu'il va déposer, il est libre de faire ce qu'il veut.

Mme Dagenais (Lysanne): Peut-être que, dans votre projet de loi actuel, l'intention est bonne, sauf que le mécanisme est pervers, et je ne pense pas que le projet nous initie vers quelque chose de déjudiciarisant puis qui ramène les travailleurs à une confiance dans notre système, M. le ministre. Je pense présentement que l'opinion du médecin traitant qui a un suivi et non pas une parcelle du vécu du travailleur devrait être considérée jusqu'à une décision finale de la Commission d'appel. Moi, je ne vois pas quel argument on pourrait m'amener quand on me parle de réduire les délais, de protéger le retour au travail avant deux ans, pourquoi on maintiendrait le BEM. Je ne vois pas de justification intellectuelle qui présentement – et ça m'est personnel – puisse me faire concourir à ça. Si vous en avez, je ne l'ai pas vu dans le projet de loi.

M. Rioux: Lorsqu'on a examiné l'ensemble de la situation, lorsque le rapport Durand a été déposé, moi, ils me l'ont présenté, le rapport Durand. On a examiné ça, et c'est vrai que, lorsqu'on a regardé les mécanismes d'appel, qui ressemblent un peu à un musée des horreurs, je me suis dit: Ça ne peut plus durer. Ça, c'est un système qu'il faut absolument... Il faut mettre la hache là-dedans. Ça, ça m'apparaissait comme prioritaire.

Lorsqu'on a étudié toute la question du BEM, moi, j'ai reconnu volontiers qu'il fallait améliorer le processus, et ce qu'on suggère dans le projet de loi, je vous trouve corrects de reconnaître que l'intention est bonne. L'intention était sûrement très bonne. On s'est dit: Il faut que le travailleur, lorsqu'il est accidenté, puisse être examiné et traité dans les meilleurs délais pour qu'il retourne travailler. C'est ça qui est normal. Par ailleurs, on s'est dit aussi: Le bureau de révision paritaire – en tout cas, à mon avis – c'est un élément dans le processus qu'il fallait faire disparaître, et on a créé un tribunal d'appel décisionnel et paritaire. Si vous regardez la mécanique de tout ça, alors que, dans le système actuel, ça peut prendre 30 mois avant d'en arriver à des décisions, vous reconnaîtrez que, dans le projet de loi n° 79, on règle, en tout cas en partie, cette question-là. La CSD ne fait pas une très grande analyse de cet aspect du projet de loi. En tout cas, vous tournez les coins ronds pas mal.

Mme Dagenais (Lysanne): Bien, je ne le considère pas, moi, M. le ministre, parce que, quand vous nous parlez du paritarisme... D'ailleurs, le communiqué sorti en décembre nous mentionnait qu'il y aurait peut-être des assesseurs à la nouvelle CPLP. C'est donc que vous avez fait une analyse du paritarisme décideur qui ne tient pas l'article 23 de la Charte, selon nous. Puis, à partir de ce moment-là, l'alternative, c'est les assesseurs. Des potiches, là, on n'en a pas besoin. Qu'est-ce que vous faites avec, par exemple, une dissidence quand vous n'avez pas d'appel possible? À quoi vous servira-t-elle, cette dissidence-là? Donc, ils vont être là pour vérifier comment on fonctionne à la nouvelle Commission paritaire? Je ne vois pas. Je ne vois pas ce que des assesseurs pourraient avoir comme rôle, à part assurer le bon maintien de la procédure et de l'audition. Je ne vois pas l'impact qu'ils pourraient avoir, puisque le décideur, lui, se doit d'avoir une complète indépendance. Vous ne pourrez pas, comme assesseurs, pouvoir intervenir sur le décideur qui se doit, à travers notre Charte, d'être indépendant. Alors, moi, je ne vois pas comment on pourrait maintenir le paritarisme, à ce stade-ci.

Alors, au bureau de révision, on parle de décisions administratives et d'études du dossier en révision qui regardent l'opportunité des décisions, et, à ce moment-là, la transparence que nous donne le paritarisme, quant à nous, est idéale mais pas relativement aux questions médicales qui sortent des compétences des travailleurs et des gens qui sont nommés là. À ce moment-là, vaut mieux revenir à l'ancien système où on s'en allait avec les arbitrages directement à la CALP, où nécessairement le débat et les gens qui sont là... Parce que le décideur, le commissaire, entend beaucoup plus de décisions, et ça lui crée une expérience que les membres paritaires ne peuvent pas acquérir sur les bureaux de révision.

M. Rioux: Est-ce que vous avez lu les dispositions de la section XI sur la déontologie et l'impartialité?

M. Gingras (Claude): On a tout regardé ces questions-là, M. le ministre.

Mme Dagenais (Lysanne): Oui.

M. Rioux: Vous n'avez pas regardé ça.

M. Gingras (Claude): Oui, oui, on a regardé ça, mais on pense que, même si on encadre le fonctionnement par tout un code de déontologie, vous ne réglerez pas les problèmes de déjudiciarisation de cette façon-là. Vous n'avez pas diminué le nombre de paliers d'intervention; au contraire, on complexifie la tâche de tout le monde dans l'appareil. Et puis, à ce moment-là, on pense qu'on va régler des choses.

Là-dessus, nous autres, je vous avoue que les objectifs de déjudiciarisation... Quand le rapport est sorti, le rapport Durand sur les objectifs de déjudiciarisation, on a examiné ça, nous autres aussi, puis on a salué ce rapport-là parce qu'il semblait qu'il y avait des pistes intéressantes dans ce rapport-là qui étaient prometteuses. Bien sûr, quand on a commencé à creuser tout ça puis à le regarder d'une façon plus intensive, on s'est aperçus qu'il y a des... Parce qu'il ne faut pas oublier que le rapport Durand préconisait l'abolition du BEM, hein? Il faut s'en souvenir. Ça, vous ne l'avez pas retenu. C'était un des éléments importants du rapport, et, bien sûr, il préconisait l'abolition des BRP.

Mais, nous autres, on avait comme position qu'on devait maintenir le paritarisme à l'intérieur du processus décisionnel. Vous avez émis un projet de loi qui s'appelle le projet de loi n° 79. Bien sûr, vous éliminez le BRP, mais vous créez le superagent. Alors, le superagent, c'est un processus, ça aussi, là. Ça vient remplacer le BRP, bien sûr, mais il va exister. Il n'est pas disparu, c'est un autre palier. C'est le même palier. Il va être encore là, mais il ne sera plus paritaire.

Vous introduisez le paritarisme au niveau de la CPLP, mais là, après examen des opinions qu'on reçoit sur la possibilité que le paritarisme puisse s'insérer à ce niveau-là, on commence à avoir des doutes sérieux sur ce tribunal, parce qu'il ne passera pas la rampe. Écoutez, demain matin on ne veut pas se retrouver avec un système décisionnel qui va être attaqué de toutes parts devant les tribunaux puis qui ne résistera pas, qui ne passera pas la rampe. On a des inquiétudes, vous comprenez, par rapport... Puis, au prix que ça nous coûte pour se rendre au bout de l'appareil, on ne veut pas aller recommencer devant les tribunaux civils et puis se retrouver dans des situations qu'on ne veut pas décrire à ce moment-ci mais impossibles pour les travailleurs et les travailleuses victimes de lésions professionnelles. Ça, c'est notre grand souci à ce moment-ci, M. le ministre. Tant qu'à avoir une réforme qui ne rencontre pas nos objectifs, qui risque de créer plus de problèmes aux victimes qu'on n'en a actuellement, on est peut-être mieux de garder le statu quo pour un moment, de regarder voir s'il y a d'autres pistes qui peuvent être examinées pour diminuer ou faire en sorte que ce soit moins lourd. Il doit en exister, il en existe, j'en suis certain.

(17 h 50)

Déjà, on en a discuté au niveau de la CSST, à certaines occasions. Améliorer la décision initiale de l'agent d'indemnisation, tout le monde s'entend là-dessus. O.K.? Il y a plusieurs décisions qui sont rendues et contestées parce que justement elles sont rendues peut-être incorrectement, en ne tenant pas compte de l'ensemble des situations dont on doit tenir compte pour rendre une décision de qualité, et ça, c'est probablement un premier geste à poser. Et c'est un peu pour ça qu'il y a une révision possible de la décision à la CSST, parce que soit la décision première n'est pas nécessairement d'une extrême qualité et d'une extrême rigueur et on a une possibilité de révision de la décision. Or, ça, écoutez, si on améliore ça à ce niveau-là, on va diminuer l'appel aux instances administratives. Ça, c'en est une, façon de diminuer ou de déjudiciariser.

Si on veut après ça diminuer les procédures, qu'on fasse des choses moins rigoureuses, puis qu'on diminue l'importance de la preuve à administrer constamment devant ces instances-là et puis qu'on aille d'une façon beaucoup plus simple devant ces instances-là, et puis là on va déjudiciariser. Mais, si, malgré tout ça, on n'est pas capable de résoudre la problématique, bien, qu'on se garde un tribunal crédible, en bout de ligne, dont la compétence ne sera pas remise en cause et puis qui sera habile et qui aura la confiance, la crédibilité nécessaire pour rendre la meilleure décision dans les circonstances. Ça, je pense, que c'est de cette façon-là qu'on doit travailler, si on veut vraiment déjudiciariser, désalourdir le processus. Mais pas de la façon proposée par la loi n° 79 qui, à mon avis, écarte encore plus le médecin traitant, le marginalise encore plus.

Je vais vous dire une chose par expérience, sur le terrain: actuellement, il y a beaucoup de médecins qui refusent de s'occuper des accidentés du travail. Ce n'est pas une cachette, ça. Vous le savez fort bien, puis on se le fait dire par des travailleurs constamment. Bien, un médecin m'a demandé si c'était un accident de travail, puis il m'a dit: Va donc en voir un autre. Parce qu'il y en a certains qui ont renoncé, vu toute la lourdeur que comporte de s'occuper du cas d'une victime de lésions professionnelles. Ça, c'est triste, puis je dois vous dire une chose: plus on va assujettir les médecins professionnels de la santé qui traitent les travailleurs ou les victimes à des lourdeurs comme celle-là, comme celle qui est proposée par la loi n° 79, plus on va les décourager de s'occuper des victimes, puis je pense que ça ne doit pas être l'objectif du projet de loi, M. le ministre.

Le Président (M. Beaulne): M. le député de Bourassa.

M. Charbonneau (Bourassa): Oui, M. le Président. Je voudrais à mon tour accueillir les propos tenus par la CSD en disant que je les considère comme un témoignage authentique, enraciné dans la pratique quotidienne de ces réalités dont nous essayons de parler à l'occasion de la présentation d'un projet de loi.

Le ministre a l'air de trouver que les propos de la CSD sont un peu crus, qu'elle tourne les coins ronds, qu'elle dit les choses un peu durement; mais je crois qu'il faut plutôt voir le reflet des convictions, le reflet de la réalité que ces gens-là vivent, de leur pratique aussi. Il faut voir aussi le reflet de leur indépendance en tant qu'organisation syndicale qui n'a accepté de s'incorporer dans aucun partenariat de la souveraineté ou des trucs comme ça. C'est une centrale syndicale qui est restée complètement libre sur le plan politique. Elle nous arrive avec des propos qui disent clairement ce qu'il y en a à dire.

M. Rioux: M. le Président.

Le Président (M. Beaulne): Oui, M. le ministre.

M. Rioux: Est-ce que vous pourriez demander au député de Bourassa de demeurer sur le projet de loi n° 79?

M. Beaudet: C'est rafraîchissant, M. le Président.

Le Président (M. Beaulne): Oui, mais, M. le député, effectivement je pense qu'on va s'en tenir aux propos.

M. Charbonneau (Bourassa): Oui, oui, j'y suis.

M. Rioux: Parce que, s'il fait un débat là-dessus, on va en faire un.

Le Président (M. Beaulne): Votre point a bien été pris en considération. Alors, je vous demanderais de continuer dans la veine et l'esprit de nos consultations.

M. Charbonneau (Bourassa): C'était une demi-phrase qui ne faisait que dire, d'après moi, d'où vient ce vent frais d'indépendance, un message qui est assez radical, mais qu'il faut savoir écouter. Et on sait que ça peut être difficile, parce que imaginez-vous le processus auquel est soumis le ministre. Avant les Fêtes, il était tellement imbu de son projet de loi qu'il voulait le faire adopter avant Noël parce qu'on lui avait dit qu'il y avait unanimité sur le projet de loi; consensus, quasiment unanimité. Alors, le ministre se disait: Ma foi, si le travail de brassage d'idées a été fait au préalable et qu'il y a pratiquement unanimité... Avec les objectifs légitimes, louables qu'il met en tête de son projet de loi et qu'à peu près tout le monde partage ici, eh bien, c'est bien normal qu'il dise: Au plus vite on va essayer de faire adopter ça.

L'opposition a soulevé des questions, a posé des demandes, certains groupes ont commencé à lever la main, à lever le doigt, à dire: Bien, on aimerait être entendus, et finalement ce qu'on entend durant ces journées-ci, c'est que la très grande majorité des organisations qui se présentent devant nous a des objections très, très importantes contre le projet de loi, au point, dans certains cas, même d'en demander le retrait. Alors, le ministre travaillait dans une optique de consensus réalisé et il se réveille avec une réalité qui est tout à fait différente. Il y a quelques organismes qui soutiennent son point de vue, mais très peu, et l'ensemble va dans un autre sens.

Alors, là, il est bombardé d'informations nouvelles, des aspects qu'il n'avait pas vus de la même manière. Selon l'information qui lui avait été donnée auparavant, c'était réglé, c'était sous contrôle. Les moyens qu'on lui proposait allaient dans le sens de ses objectifs, ça allait bien. Mais là maintenant, avec l'écoute active qu'il pratique face aux groupes qui viennent ici – et je lui en sais gré – avec l'écoute vient le doute, et on s'aperçoit que le doute s'infiltre graduellement dans ses convictions. Et c'est très important comme démarche, ce que nous faisons, parce que, après le doute, il y aura peut-être une autre étape qui va consister en la réécriture d'un projet de loi qui va être mieux adapté aux objectifs louables qu'il recherche, et ce sera profitable pour tout le monde, ce sera profitable pour lui en tant que ministre d'avoir su écouter, douter puis refaire son travail. Ça va être profitable pour lui, ça va être profitable pour les travailleurs et toutes les organisations impliquées. Alors, c'est très, très important, même si c'est un peu laborieux pour lui et pour tout le monde, d'entendre tout ça. On est en train de reconstruire la structure d'analyse du ministre avec de nouvelles informations qui parfois se développent sous l'angle d'objections. C'est très important, je pense qu'il faut vraiment continuer.

Maintenant, je voudrais vous demander à vous, à la CSD, de nous aider à reconstituer la prise de décision quant à cette loi ou à ce projet de loi au sein de la CSST. Où êtes-vous dans le circuit? Avez-vous pris part à cette décision? Depuis quand les gens de la CSST connaissent-ils votre objection ou vos difficultés avec ce projet de loi? Pourriez-vous nous aider à reconstituer? Parce que tout ça remonte, si je comprends bien, à une couple d'années et plus, peut-être.

M. Gingras (Claude): Bien, écoutez, à votre question, c'est bien certain qu'il y a eu des tractations à un moment donné, suite à la parution du rapport... Bien, c'est-à-dire, premièrement, le groupe Durand a été constitué pour essayer de trouver des pistes de solution pour déjudiciariser les mécanismes de révision pour les victimes. Suite à la parution de ce rapport-là, il y a eu des tractations.

M. Charbonneau (Bourassa): Pourriez-vous mettre des dates, juste pour nous rappeler, quand vous dites «comité un tel», c'était à peu près quand, ou au moins quelle saison?

M. Gingras (Claude): Bien, il a une couple d'années, je pense, le rapport Durand. En 1993, le rapport Durand est sorti. Il y a eu, à la suite de ça, quand même plusieurs tractations qui ont eu lieu à la CSST, bien sûr...

M. Charbonneau (Bourassa): Dont vous êtes.

M. Gingras (Claude): ...dont j'étais partie prenante au début.

M. Charbonneau (Bourassa): Au conseil d'administration?

M. Gingras (Claude): Au conseil d'administration. Bien sûr, il y a eu un jeu de négociations entre les partenaires du monde du travail pour essayer de s'entendre sur ce que pourrait être une façon de déjudiciariser l'appareil. Mais je vais vous dire que, dès le début, un point majeur sur lequel on ne réussissait pas à s'entendre avec le patronat, c'était le BEM, la disparition du BEM. Alors, le patronat a réclamé le maintien du BEM.

Bien sûr, on avait un souhait, nous autres: c'est de garder le paritarisme dans un processus décisionnel qui ne serait pas nécessairement sous l'autorité du ministère du Travail. On l'avait soumis à l'époque parce qu'on pensait qu'une décision paritaire pourrait quand même prévaloir, mais dans un tribunal administratif. Mais, suite à différents jugements puis à des vérifications, on s'est aperçus quand même que ça ne tenait pas. Alors, dans ce sens-là, on était quand même désireux de maintenir le paritarisme à la structure de façon à ce qu'on ait à un endroit dans tout le processus la participation des travailleurs puis des employeurs pour assurer la transparence de la révision administrative avant que ça franchisse l'appel. Et malheureusement, au moment où ça s'est dénoué au niveau du conseil d'administration, un projet de solution...

M. Charbonneau (Bourassa): À quel moment?

M. Gingras (Claude): Bah, c'est il y a...

M. Charbonneau (Bourassa): Étions-nous en 1994 ou 1995 ou...

M. Gingras (Claude): ...un an et demi, deux ans, certain, à peu près.

Une voix: Ça a commencé en mai 1994.

M. Gingras (Claude): Je sais que c'était au mois de juin, en tout cas. J'étais à l'hôpital, j'ai été opéré pendant cette période-là...

M. Charbonneau (Bourassa): Juin 1994.

(18 heures)

M. Gingras (Claude): ...et j'ai manqué cette assemblée-là où on avait à ce moment-là conclu. Mais j'avais parlé au président de la CSST pour lui dire qu'on n'était pas d'accord avec le maintien du BEM ou qu'on voulait quand même que les frais d'expertise encourus par les travailleurs puissent être assumés à l'intérieur du régime. Alors, ça, je pense que c'étaient les deux grandes revendications qu'on avait formulées. Mais à ce moment-là les BRP étaient abolis, le BEM était aboli, selon nous, et on s'en allait vers une nouvelle commission des lésions professionnelles et, à ce moment-là, il n'était pas question aussi qu'elle relève du ministère du Travail, mais elle pouvait continuer de relever d'un organisme extérieur. Et notre position, c'était plutôt du ministère de la Justice, et on l'avait soumis d'ailleurs dans le cadre du débat de la commission Garant. Et par la suite on a eu des consultations qui ont été faites, parce qu'il faut penser qu'avant M. Rioux il y a eu Mme Harel qui avait entamé le processus. Elle nous a consulté par de ses adjoints, de ses conseillers politiques, en tout cas on a eu plusieurs consultations avec le bureau de Mme Harel, sur la question. On a continué de leur exposer nos préoccupations par rapport au modèle qui avait été soumis par le conseil d'administration de la CSST, et qu'on ne partageait pas. C'est une décision majoritaire, bien sûr peut-être des partenaires, là, de la CSST, mais qu'on ne partageait pas et, à ma connaissance, la CSN ne partageait pas aussi la recommandation.

Alors, dans ce sens-là, bon, ça a été une recommandation majoritaire des membres du conseil, qui a été formulée. Ça a été vérifié à plusieurs occasions par les représentants politiques de la ministre, et on a renouvelé nos préoccupations à différentes occasions concernant le projet. Et bien sûr tout ça a aboutit dans le projet de loi n° 79 finalement, qu'on a devant nous, et qui ne rencontre pas, selon nous, quand même l'objectif recherché. Je pense que tout le monde, sur les objectifs, comme vous le disiez, on s'entend qu'on devrait faire des choses, qu'on devrait poser des gestes, mais sur les moyens je pense qu'on est à des longueurs de distance.

M. Charbonneau (Bourassa): Je vous remercie de ces clarifications parce qu'il y a certaines personnes qui ont parlées avant vous, ici, à la commission parlementaire, elles nous avaient dit que la CSD était pour, la CEQ était pour. Alors, on est en train de voir exactement ce qui s'est produit ou ce qui s'est dit à certains moments. Merci.

Le Président (M. Beaulne): M. le député d'Argenteuil.

M. Beaudet: Oui, je vous remercie, M. le Président. Dans votre cheminement avec l'abolition du BEM, madame a mentionné que ça ferait des économies importantes pour le ministère et pour la CSST. Il va falloir évidemment à un moment donné donner plus de ressources à la CALP parce que, si vous transférez tout ça à la CALP, ils n'arriveront jamais non plus. Alors, il n'y aura probablement pas d'économies.

Et je ne sais pas si dans cette démarche-là vous avez évalué les coûts, quels en seraient les coûts, et comment ça va se retomber tout ça en place, parce que la CALP, ça va vous donner un élément, là, qui va tout filtrer parce que le BEM n'existant plus, il va falloir que quelqu'un se prononce. Et les cas qui sont filtrés déjà au BEM, un certain nombre, vont se retrouver à la CALP par nécessité.

Alors, je ne sais si vous avez une idée des coûts parce que, si on nous parle de 35 000 000 $ d'économies, il va falloir les trouver à quelque part.

M. Gingras (Claude): On n'a pas fait cette évaluation là, et puis je vous dis que toute évaluation qui est faite... Même le 35 000 000 $ on en doute énormément, O.K. Je pense que, quand on fait cette évaluation-là, les chiffres ne tiennent pas compte probablement des coûts du superagent ou de toutes sortes de mécaniques qu'on met à l'intérieur puis qu'on va assumer probablement avec le personnel existant de la CSST. Mais je pense que, si on veut vraiment faire l'analyse des coûts, c'est qu'il va falloir qu'on tienne tous les chiffres en perspective. Alors, dans ce sens-là, pour nous autres, on n'a pas d'analyses strictes des diminutions de coûts, mais on pense qu'il y aurait une diminution des coûts parce que justement le fait de ne pas avoir de BEM pourrait désinciter aussi un peu plus les employeurs de se servir de cette mécanique-là, parce qu'il faut dire qu'elle les sert très bien dans le moment, O.K.

Alors, on aurait probablement moins de contestations, dû au fait de la disparition du BEM. Si c'était un tribunal spécialisé, constamment... Parce que vous savez les décisions du BEM, c'est des décisions de gratte-papier souvent, on ne voit même pas la victime, on ne voit pas le travailleur. On examine des dossiers puis on rend des décisions sur papier dans bien des cas.

Or, dans ce sens-là, c'est des médecins bien rémunérés – un groupe assez sélect d'ailleurs, parce qu'il faut s'apercevoir que c'est à peu près toujours les mêmes – qui examinent des dossiers et puis qui rendent des décisions.

Et souvent ces décisions-là sont défavorables pour les travailleurs. Peut-être pas parce que les professionnels veulent absolument rendre une décision défavorable, mais ils n'ont pas suivi la personne, la victime; ils n'ont pas suivi son cas, ils n'ont pas été associés dès le départ à son dossier, ils n'ont pas pu vérifier son état, ils n'ont pas pu vérifier sa réhabilitation en cours de route, mais ils arrivent à un moment donné dans l'histoire pour rendre une décision sur ce qu'ils pensent être correct. Et ça, à ce moment-là souvent, quand une décision est défavorable, le travailleur part avec deux «strikes» contre lui puis là, il est obligé d'aller pareil devant le BRP, après ça à la CALP – s'il ne réussit pas comment faire reconnaître ses droits au BRP, il est obligé d'aller après ça à la CALP – pour faire de nouveau sa preuve. Donc, on le fait trois fois là: on le fait une première fois au BEM, puis on essaie, au niveau du BEM, d'influencer la décision; puis après ça on essaie au niveau du BRP de changer la décision qui est défavorable; puis après ça, il faut le faire encore au niveau de la CALP. Alors, vous comprenez que c'est quand même, pour les victimes, toute une tâche. C'est des coûts. C'est des coûts également pour la CSST qui délègue des gens. O.K.? Constamment. C'est des coûts pour à peu près tout le monde.

Alors, si on enlève ce palier-là, on va diminuer sûrement des coûts. Bien sûr, il va falloir ajouter des ressources au niveau de la seule instance qui va décider des choses. Mais on pense que ça va avoir un effet dissuasif sur la contestation à tout cran, parce qu'on sait... Nous autres, on des employeurs – je ne veux pas citer des noms ici – dès qu'il y a un dossier de lésions professionnelles, c'est automatique, c'est automatique, il y a un médecin engagé pour sortir une expertise, pour faire examiner ça par le BEM. Et puis on les conteste systématiquement devant le BRP, puis après ça devant la CALP. C'est une habitude, on le sait d'avance que c'est ça qui va arriver. Puis souvent on a à déplorer le fait que le BEM vient corroborer, par une décision de papier qu'on appelle, une opinion du médecin de l'employeur et puis là on est obligés d'assigner des experts devant la CALP pour aller démanteler ces deux «strikes» que le travailleur a contre lui. Puis, enfin, avoir raison.

Alors, vous comprenez que c'est lourd comme mécanique. Mais c'est ça qu'on fait actuellement.

M. Beaudet: Sans démanteler toute la loi actuelle puis introduire le nouveau projet de loi n° 79, si on avait... Puis, je vous lance deux choses-là.

La liste de la CSST des médecins spécialistes qui iront voir les malades pour leur évaluation, si, au lieu d'être une liste qui relève de la CSST, elle relevait du Collège des médecins, est-ce que ça pourrait vous satisfaire, d'une part?

D'autre part, quand vous parlez des frais d'expertise des travailleurs – et je trouve ça, aussi, triste que le travailleur qui n'a pas les moyens, les ressources, sauf s'il est syndiqué et que son syndicat le supporte, mais ce n'est pas la majorité des travailleurs ça, qui est obligé d'aller défrayer lui-même les frais d'expertise, advenant une position où le travailleur voit son état confirmé – si les frais d'expertise lui étaient remboursés à ce moment-là par la CSST, est-ce que c'est quelque chose qui serait travaillable?

M. Gingras (Claude): Ça fait des années qu'on demande ça, M. le député. Ça fait des années que... Ça a déjà existé d'ailleurs dans la loi. Quand on avait raison, à un moment donné, on pouvait se faire rembourser selon des barèmes – dans l'ancienne loi – les expertises médicales lorsqu'on réussissait à avoir gain de cause. Et ça, ça a été abrogé. C'est un peu ce qu'on disait. C'est peut-être une façon d'alourdir la mécanique pour dire aux victimes, bien: Tu as toute une tâche pour essayer de faire prévaloir tes droits à l'intérieur du système. Je ne vois pas d'autres façons de qualifier le geste d'avoir abrogé cette possibilité-là. On réclame depuis des années la possibilité, lorsque le diagnostic du travailleur ou sa situation médicale est contestée, que le travailleur puisse avoir accès à une expertise raisonnable pour qu'il puisse quand même faire reconnaître ses droits dans l'appareil.

Ah! je comprends, les travailleurs n'ont pas les mêmes moyens que les entreprises qui les emploient puis ils n'ont pas les mêmes moyens que la CSST non plus pour se prévaloir de leurs droits à l'intérieur du système. Alors, dans ce sens-là, il faut que le système leur permette d'avoir un accès équitable et juste, à la meilleure justice possible dans la reconnaissance de leurs droits. Ça ne veut pas dire, envers et contre tous, donner suite à des réclamations farfelues, mais avoir accès quand même à une reconnaissance de leurs droits en vertu de la loi. Et ça, je pense que c'est une mesure d'équité.

Alors, dans ce sens-là, oui, on a réclamé ça depuis des années, puis, oui, ça, ça ferait partie d'une mesure positive pour justement empêcher les contestations farfelues de la part des médecins experts des employeurs et de la CSST, des diagnostics du médecin traitant souvent à l'occasion, qui sont – comme je vous disais tout à l'heure – sur deux lignes. O.K.?

(18 h 10)

Le Président (M. Beaulne): Alors, M. le député, M. Gingras, mesdames, la commission vous remercie. Et j'inviterais, par la suite, les représentants de la Centrale de l'enseignement du Québec à prendre place à la table de la commission.

(Consultation)

Le Président (M. Beaulne): À l'ordre, s'il vous plaît! Alors, nous allons terminer notre journée de consultations par la présentation de la Centrale de l'enseignement du Québec. Alors, comme pour les autres groupes qui vous ont précédés, vous aurez 20 minutes pour votre présentation et par la suite les groupes parlementaires pourront échanger avec vous. Avant de débuter votre présentation, je vous demanderais de vous identifier, ainsi que les personnes qui vous accompagnent, pour les fins de la transcription.


Centrale de l'enseignement du Québec (CEQ)

M. Gagnon (Marc-André): Alors, bonjour, M. le Président. Je suis Marc-André Gagnon, vice-président de la CEQ. Je suis accompagné de Jean-Marcel Lapierre, qui est au service juridique et de Marc Chantigny, qui est responsable des dossiers plus spécifiques, des dossiers de santé et de sécurité au travail, et qui donne le service aux syndicats et aux personnes qui sont concernés par ce dossier-là.

Alors, d'entrée de jeu, je voudrais vous remercier bien sûr pour avoir tenu cette commission parlementaire qui a été réclamée pour être capables de faire valoir le point de vue de la Centrale. Vous savez très bien que la Centrale représente d'abord les enseignantes et les enseignants, je pense que c'est bien connu de tout le monde, mais on représente plus ça. On représente aussi d'autres travailleuses et travailleurs du secteur de l'éducation, du secteur de la santé et des services sociaux, des institutions privées, des garderies, des loisirs et des communications.

Donc, la Centrale représente un éventail de personnes qui sont toutes bien sûr soumises ou sujettes à la loi ou au Code du travail et donc touchées par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. C'est dans ce sens-là qu'on intervient particulièrement pour être capables de faire valoir un point de vue qui placerait ou qui place les personnes concernées ou qui sont touchées, victimes d'accidents, d'avoir une procédure plus simple, plus équitable, moins onéreuse, mais qui va toujours chercher à mettre au centre des préoccupations la lésion ou les déficiences qui ont pu causer un accident de travail.

Alors, c'est dans ce sens-là qu'on a regardé le projet de loi n° 79. Il y a un certain nombre d'éléments avec lesquels on est confortables, il faut le dire. Par contre, il y en a d'autres qui nous semblent passablement plus problématiques et c'est dans ce sens-là qu'on est venus vous présenter le point de vue de la CEQ. Alors, ça va vous être présenté par Jean-Marcel et ensuite on aura l'occasion bien sûr de répondre à vos questions. Je vous remercie.

M. Lapierre (Jean-Marcel): Alors, le projet de loi fait un certain nombre de choix politiques importants pour déjudiciariser le régime et pour éviter d'introduire des nouveaux facteurs de judiciarisation. Alors, deux choix qu'on apprécie.

C'est d'abord l'abolition des bureaux de révision. Comme c'est un choix qui fait un assez large consensus, on n'insistera pas énormément, mais il nous apparaît vraiment sage et pratique d'abolir ces bureaux et d'introduire un processus de révision administrative.

Le second des choix qu'on apprécie dans le projet de loi, c'est celui de ne pas avoir établi d'appel des décisions de la commission. Le groupe de travail sur la déjudiciarisation avait recommandé d'établir un appel de ces décisions. C'était un groupe de travail qui comprenait quatre avocats.

(18 h 20)

Comme on l'a souligné dans notre mémoire sur la justice administrative, à la commission des institutions, lorsqu'on est intervenus sur le projet de loi sur la justice administrative, nous sommes d'avis que les décisions d'un tribunal administratif qui est spécialisé et indépendant, dont les membres sont compétents, doit être à l'abri d'un renversement par un tribunal de droit commun qui ne bénéficie pas de la même spécialisation, sauf en cas d'excès de compétences. Alors, on est satisfaits de ce choix qu'a fait le gouvernement. On le trouve très important pour non pas la déjudiciarisation, mais pour ne pas déjudiciariser le processus. Et on pense à ce sujet-là que le gouvernement a pris la bonne décision en ne sacrifiant pas aux impératifs d'une cohérence théorique l'intérêt pratique des parties à la célérité et à une décision rendue par une instance qui détient son expertise propre.

Il y a d'autres choix politiques importants qui ont été faits dans le projet de loi, en particulier le maintien du Bureau d'évaluation médicale et le caractère paritaire de la Commission des lésions professionnelles.

Alors, nous allons aborder maintenant des questions spécifiques du projet de loi et d'abord, à la page 3 de notre mémoire, la révision administrative. Comme nous l'avons dit, nous sommes favorables à un régime de révision administrative. Alors, en vertu du projet de loi une personne qui se croit lésée par une décision pourra faire appel à ce processus dans les 30 jours de la notification de la décision de la CSST. Alors, la CSST, après avoir donné l'occasion aux parties de présenter leurs observations, pourra confirmer ou infirmer ou modifier la décision. C'est un régime qui est placé sous l'autorité du président du conseil d'administration et chef de la direction. On prend pour acquis que ce régime-là va se distancier de la décision de l'agent d'indemnisation, que ce régime-là va être simple mais une véritable révision administrative crédible.

Par ailleurs, aucun délai n'est prévu. Le régime tel qu'il est dans le projet de loi ne nous pose pas vraiment de problèmes, sauf un aspect: aucun délai n'est fixé pour rendre la décision de révision administrative. On pense que la célérité du processus d'ensemble nécessite qu'il y ait un tel délai de fixé. C'est un délai d'abord qui exprime la volonté législative, la volonté du Parlement, que le processus se fasse avec célérité, qu'il se fasse à l'intérieur de certains délais et, pour l'ensemble du déroulement rapide, c'est très important. Alors, on croit qu'un délai de 30 jours, à partir de la demande de révision, serait approprié et qu'il serait bon d'envisager que, si ce délai-là n'est pas respecté, la personne visée puisse s'adresser à la Commission des lésions professionnelles. Alors, on recommande d'ajouter un tel délai.

L'évaluation médicale maintenant – évidemment une des questions importantes qu'aborde le projet de loi. Alors, le projet de loi introduit un élément nouveau: le médecin traitant pourrait choisir trois médecins parmi la liste dressée selon l'article 205. Le projet de loi introduit également la possibilité pour le médecin traitant ou le médecin en charge de modifier son opinion à la suite du rapport du médecin désigné par la CSST ou à la suite du rapport du médecin de l'employeur. Comme nous l'avons mentionné, le Bureau d'évaluation médicale est maintenu. Évidemment, c'est un des aspects importants du projet de loi. Tout en constatant qu'un effort a été fait pour augmenter les pouvoirs du médecin traitant dans le processus d'évaluation, nous sommes déçus par cet aspect du projet de loi. Nous pensons que la déjudiciarisation implique de rendre l'évaluation médicale beaucoup plus simple et beaucoup moins conflictuelle. Dans notre mémoire sur la justice administrative, de mars 1995, nous nous rallions à la position du groupe de travail sur la déjudiciarisation , à ce sujet-là, le rapport Durand. Alors, je rappelle les principaux aspects de cette position-là.

D'abord, l'abolition du Bureau d'évaluation médicale. La CSST et l'employeur conservent le droit de faire examiner la personne accidentée et de contester l'opinion du médecin traitant. Mais le médecin désigné par la CSST, c'est le médecin que le médecin en charge désigne et il ne désigne qu'un médecin. Par ailleurs, la CSST peut demander au médecin de désigner à nouveau un médecin, s'il y a désaccord, mais la CSST peut porter à la Commission des lésions professionnelles – pour se placer dans le contexte de la loi – la décision du médecin traitant à laquelle elle doit se rallier. Alors, on est favorable à cette approche qui nous apparaît beaucoup plus simple, beaucoup moins conflictuelle.

Nous sommes en faveur de l'abolition du Bureau d'évaluation médicale, mais nous souhaitons qu'il n'y ait pas d'engorgement à la Commission des lésions professionnelles. Alors, si des études sérieuses démontraient qu'un engorgement va se produire à la Commission des lésions professionnelles, nous serions prêts à réviser notre position et à accepter le Bureau d'évaluation médicale, mais à certaines conditions, avec certaines modifications.

Alors, si le Bureau d'évaluation médicale est maintenu, nous souhaitons qu'il y ait des réformes. M. le ministre, vous avez mentionné, lorsque la FTQ a comparu, que vous envisagiez des ajustements, des changements dans les processus administratifs. Alors, on se réjouit de cette intention-là. Par ailleurs, nous pensons que le processus de sélection doit être modifié.

Les parties, c'est-à-dire l'État, les syndicats et le patronat, ont la responsabilité d'assurer la qualité et la crédibilité des membres du Bureau. Alors, nous pensons qu'il doit y avoir un processus de sélection qui assure l'impartialité, qui assure la compétence, la qualité des médecins du Bureau d'évaluation médicale; ça pourrait se faire par un règlement du Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre, qui serait approuvé par le gouvernement. Mais l'objectif que l'on poursuit, c'est que le processus de sélection soit rendu beaucoup plus rigoureux et qu'il assure cet objectif de qualité et d'impartialité. Les médecins du Bureau d'évaluation médicale sont en fait des adjudicateurs en matière médicale et il n'est pas pensable, il nous semble, de laisser le choix de ces médecins-là dans une sorte de laxisme.

Alors, je continue en commentant certains aspects du projet de loi. On vous a dit au départ quelle était notre position. On fait nôtre la position du groupe de travail sur la déjudiciarisation, mais par ailleurs nous apportons certaines critiques au projet de loi actuel, certains commentaires sur le projet de loi actuel.

Par exemple, au sujet de la désignation d'un médecin de la CSST, nous préférons au statu quo la formule qui est dans le projet de loi, c'est-à-dire le choix par le médecin en charge de trois médecins, la désignation par le médecin en charge de trois médecins. Cependant, si cette mesure-là est conservée, il nous semble qu'elle devrait être assortie d'un délai un peu plus long. Le délai de cinq jours est très court. Alors, un délai court, mais un peu plus long.

(18 h 30)

Maintenant, en ce qui a trait à la possibilité pour le médecin traitant de modifier son opinion suite au rapport du médecin désigné par l'employeur ou par la CSST, nous sommes en désaccord avec cette mesure-là dans le processus actuel, surtout que l'accord du médecin en charge avec le médecin de la CSST ou le médecin de l'employeur pourrait enlever tout recours à la personne qui est victime d'un accident de travail ou d'une lésion professionnelle. Alors, à ce sujet-là, on pense que la formule actuelle du projet de loi est un incitatif à des pressions auxquelles les médecins traitants ne seraient souvent pas prêts à faire face et que ça risquerait de jouer au détriment des intérêts des travailleuses et des travailleurs impliqués. On pense toutefois que, en l'absence de divergence entre le médecin traitant et les autres médecins qui participent à l'évaluation, la question médicale devrait être considérée comme réglée. Ce qu'on veut dire, c'est que, si le rapport du médecin traitant et le rapport du médecin de la CSST, le cas échéant, et du médecin de l'employeur concordent, la question devrait être réglée.

Alors, pour résumer notre position. Notre position est celle du groupe de travail sur la déjudiciarisation à ce sujet-là. Si le Bureau d'évaluation médicale est maintenu, on recommande de rendre la sélection plus rigoureuse. On suggère également de fixer un délai un peu plus long que celui de cinq jours. Et si la décision est maintenue de ne pas adapter la position du groupe de travail sur la déjudiciarisation, on demande de ne pas retenir la possibilité pour le médecin traitant de changer son opinion à la suite du rapport du médecin désigné par la CSST ou par l'employeur.

Alors, maintenant la Commission des lésions professionnelles. On abordera principalement deux questions: la composition paritaire des formations et la révision. Alors, au sujet de la composition paritaire des formations, c'est une question au sujet de laquelle le gouvernement a modifié sa proposition, puisque, dans le cadre de la Loi sur la justice administrative, il n'y avait pas de paritarisme à la section des lésions professionnelles. Alors, maintenant il y a des formations paritaires qui sont proposées. Il nous apparaît que toute la question du paritarisme au niveau d'organismes juridictionnels n'a pas été suffisamment analysée dans un débat public et dans des documents publics et que le débat à ce sujet-là en souffre nécessairement. Nous nous sommes prononcés dans le cadre du projet de loi sur la justice administrative contre l'introduction du paritarisme dans la composition des formations.

Dans le cadre de la Commission des lésions professionnelles, qui est proposée par le projet de loi, nous nous opposons à ce que des membres de la Commission soient issus des associations syndicales et patronales, c'est-à-dire des personnes qui participent aux décisions. On pense qu'avec des commissaires expérimentés et compétents qui peuvent recourir à l'expertise d'un assesseur spécialiste, assesseur expert, il n'est pas nécessaire de compliquer le processus décisionnel, de l'alourdir, d'y introduire la possibilité de dissidence. Nous n'avons toutefois pas d'objection à ce que l'on adjoigne aux commissaires un assesseur syndical et un assesseur patronal qui ne seraient pas partie à la décision, leur rôle se limitant à conseiller le commissaire et à le sensibiliser, lorsque c'est pertinent, à l'un ou l'autre aspect du dossier auquel leur expérience et leur allégeance les rend plus sensibles. Évidemment, quelqu'un qui a une expérience du milieu syndical ou une expérience du milieu patronal peut, à certains moments, sensibiliser le commissaire à certains aspects du dossier et lui rappeler certaines réalités qu'il pourrait être porté, pas à oublier, mais dont il pourrait être porté à ne pas tenir compte.

Les assesseurs experts, maintenant. Le projet de loi prévoit la désignation d'assesseurs à temps plein qui ont pour fonction de siéger auprès d'un commissaire ou d'une formation et de les conseiller sur toute question de nature médicale, professionnelle ou technique. Alors, nous croyons que ces assesseurs doivent être assujettis à une procédure de sélection, comme il en existe une pour les assesseurs qui siègent au Tribunal des droits de la personne.

Ces conseillers de la Commission jouent souvent un rôle déterminant dans la décision, et il importe que le régime donne de bonnes garanties de compétence à leur sujet. Alors, nous recommandons que les assesseurs qui agissent à titre de conseillers sur des questions de nature médicale, professionnelle ou technique soient assujettis à une procédure de sélection.

Enfin, nous soulignons, pour terminer, que nous sommes satisfaits que le projet de loi ait repris la disposition de la Loi sur la justice administrative au sujet de la révision au lieu de la révision pour cause qui existe dans la loi actuelle.

Nous avons vécu une expérience à la Centrale, dans l'affaire Arcand, où un commissaire, seul, a renversé la décision d'une de ses collègues aux motifs qu'il jugeait qu'elle créait une injustice et produisait un résultat absurde. Alors, on pense que l'énumération des motifs qu'il y a dans la nouvelle disposition, au sujet de la révision, est une meilleure solution que la révision pour cause et nous approuvons donc cette disposition du projet.

Le Président (M. Beaulne): Je vous remercie. Alors, j'invite le ministre à vous poser certaines questions. Allez-y, M. le ministre.

M. Rioux: M. Lapierre, je constate que la CEQ a failli être d'accord avec le projet de loi, d'autant plus que sa présidente, en 1994, avait voté en faveur au conseil d'administration de la CSST. Le député de Bourassa tout à l'heure faisait une enquête auprès de la CSD pour savoir à quel moment précis les choses s'étaient passées. Alors, pour son information et pour l'information de tous les membres de la commission, il importe d'ajouter ça.

Je vous le dis, d'autant plus élégamment, M. Lapierre, que vous me souligniez tout à l'heure que le gouvernement avait changé d'orientation sur la question de la justice administrative, lorsqu'il est question de lésions professionnelles, et qu'on avait décidé comme gouvernement d'extirper de la loi n° 130 les dispositions que l'on retrouve dans le projet de loi n° 79 quant à la Commission des lésions comme tribunal administratif. Alors, là-dessus on ne se fait pas de tort ni l'un ni l'autre. Alors, disons qu'on est paritaires, au moins de ce côté-là.

Je me souviens que Mme Pagé dans son argumentaire disait qu'étant donné que c'était une question qui relevait largement de la filière des relations de travail, il fallait donc que ce tribunal-là relève du ministère du Travail. Moi, je prétends qu'elle a toujours raison.

Il faut rappeler aussi que le projet de loi est soutenu par la très grande majorité. Le député de Bourassa tout à l'heure essayait de faire croire aux gens qui sont ici qu'il y avait un revirement de situation considérable face au projet de loi n° 79 et que le vent tournait, finalement. Je ne sais pas de quel bord vient la brise, de son côté, mais, moi, je vous indique, en tout respect pour la CEQ, qui présente quand même un bon mémoire et qu'on a intérêt à recevoir et à lire, que le patronat québécois est d'accord avec le projet de loi. La FTQ, qui représente à peu près 500 000 personnes, est d'accord avec le projet de loi. Je ne sais pas si les cultures syndicales varient d'une centrale à l'autre – ça m'apparaît évident – mais il reste qu'il commence à y avoir du monde qui sont d'accord avec ce projet de loi. Mais cependant on a le droit d'être en désaccord puis on a le droit de l'exprimer et c'est pour ça d'ailleurs qu'on écoute les parties qui viennent devant nous.

(18 h 40)

M. Lapierre, comment s'est produit ce virage en ce qui a trait au paritarisme décisionnel à la CEQ? Comme dirait le député de Bourassa, pourriez-vous nous situer les origines du virage? Sans fouiller dans vos viscères – parce que, lui, il travaille sous forme d'enquête; moi, je travaille sous forme de questions – est-ce que vous pourriez nous expliquer ce changement de culture subit de la part de votre centrale qui fut d'ailleurs la mienne?

M. Gagnon (Marc-André): Écoutez, M. le ministre, je vais...

Le Président (M. Beaulne): M. Gagnon, allez-y.

M. Gagnon (Marc-André): Oui. D'abord, je voudrais préciser que la centrale n'était pas à la décision du conseil d'administration de la CSST parce qu'on n'y siège pas.

M. Rioux: Vous étiez là.

M. Gagnon (Marc-André): Simplement pour rappeler...

M. Rioux: Vous étiez là.

M. Gagnon (Marc-André): En tout cas. Si c'est une décision...

Des voix: ...

M. Rioux: Non, non. Ils étaient là.

M. Gagnon (Marc-André): Si c'est une décision du conseil d'administration, ce n'est sûrement pas une décision du conseil d'administration, puisqu'on ne siège pas. En tout cas.

M. Rioux: Non. Je n'ai aucun problème avec ça, mais votre présidente était là...

M. Gagnon (Marc-André): Bien, si...

M. Rioux: ...et elle donnait son accord.

M. Gagnon (Marc-André): Bon, en tout cas.

M. Charbonneau (Bourassa): ...

M. Rioux: Je ne t'ai pas interrompu, M. le député de Bourassa, tout à l'heure. Bien, alors, s'il vous plaît, laisse-nous discuter, là.

Alors, M. le représentant de la CEQ...

Le Président (M. Beaulne): Un instant, un instant, un instant. M. le ministre, je vous demanderais de conserver le décorum approprié à notre commission.

M. Rioux: Oui, oui, oui, sans problème. Je voudrais juste vous rappeler que c'est une réalité, ça, que la présidente de la Centrale de l'enseignement du Québec était présidente et présente lorsque ce débat a eu lieu au conseil d'administration de la CSST.

M. Gagnon (Marc-André): Moi, M. le ministre, je vous dirai que...

M. Rioux: Je ne vous dis pas qu'elle est membre, mais je sais qu'elle en a fait la demande. Ça viendra, ça, plus tard.

M. Gagnon (Marc-André): Je voudrais indiquer que je pourrai difficilement répéter ou argumenter à partir de ce que la présidente a pu dire à cette rencontre-là, n'y étant pas moi-même. Cependant, si on regarde par rapport à la position que la centrale véhicule en 1997, je pense que des fois il y a des choses qui se passent à un temps. Avec le temps, des analyses et l'évolution des dossiers font en sorte qu'on peut arriver à moduler une position et on pense que, sur toute la question du paritarisme – on l'a dit le printemps dernier, au moment de toute la question de la réforme des tribunaux administratifs, O.K., on a parlé effectivement du paritarisme et où on s'était fait une tête sur un certain nombre de sujets, particulièrement sur celui-là, dans une réforme plus générale de toute la question de la justice administrative... Et, dans ce sens-là, on avait évolué sur comment on voyait le paritarisme et il nous apparaît que la position qu'on vous donne aujourd'hui est plus la réflexion de ce qui a découlé finalement, depuis 1994, autour de ces discussions-là, de ces sujets-là.

Ceci étant dit, je voudrais aussi en même temps vous indiquer que, quand vous dites que la CEQ est d'accord avec le projet, on pourrait dire: On est d'accord avec le projet à la condition que vous ajoutiez les sujets sur lesquels on pense qu'on n'est pas en accord. Dans ce sens-là, on dit assez clairement sur la question du BEM comment on voit ça. On dit aussi assez clairement sur la question du paritarisme comment on voit ça. Et surtout l'importance qu'on veut donner, je pense, au rôle du médecin traitant. Il nous apparaît que dans la mesure où on veut bien revaloriser le rôle de la personne qui reçoit une personne accidentée, qui la connaît, qui suit son dossier, qui y fait passer un certain nombre... bref, qui suit le cheminement tout le long, il nous apparaît que, si c'était ça qui était au coeur, peut-être qu'on aurait besoin moins longtemps de se chicaner sur comment on va régler les dossiers, ni de savoir si ça va être paritaire ou pas, il nous apparaît donc, dans ce sens-là, que, si on veut centrer ça autour de ça, on est capables d'avancer sur un projet de loi. Peut-être qu'on sera d'accord si, à la fin, on avance dans ce qu'on dit.

M. Rioux: D'abord, je vous remercie pour les explications. Je voulais comprendre le virage. Je respecte votre virage. Je n'ai pas de problème avec ça. Mais, quand on comprend mieux, ça travaille mieux après.

Sur la question du BEM, vous avez dit: S'il est maintenu, il faut changer des choses. Bien, moi, je suis d'accord avec votre analyse. Et il y aura des changements. Si ça peut vous rassurer, il y aura des changements. Vous dites: Dans le processus de sélection des médecins – je trouve cette idée-là intéressante – référence au Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre, c'est des idées intéressantes à accueillir et à recevoir.

Quant au délai de cinq jours, vous comprendrez bien que, s'il ne manque que ça pour que la CEQ soit d'accord avec le projet de loi, on va régler ça ce soir. Ce n'est pas trop compliqué. M. Lapierre, hein, on se connaît, on sait que les compromis, c'est faisable, toujours.

Mais pour revenir à l'aspect de la Commission des lésions professionnelles, vous avez évoqué la question des assesseurs. En quoi la présence d'assesseurs améliorait le sort de la décision? Il y en a qui sont venus ici nous dire que ça, c'étaient des plantes vertes, dans un langage assez coloré, qui sont venus nous dire ça. Bon. Deuxièmement, il y en a qui sont venus nous dire toute l'aberration d'avoir un tribunal paritaire décisionnel et vous arrivez là, vous, avec une solution que je dirais mitoyenne. Alors, moi, j'aimerais que vous m'expliquiez les bienfaits de ça. M. Lapierre.

M. Lapierre (Jean-Marcel): Oui, si je me souviens bien la résolution du conseil d'administration de la CSST, c'était un paritarisme au niveau de la décision. Alors, on n'est pas les seules organisations syndicales à avoir évolué à ce sujet-là. Je pense que la FTQ vous a présenté un mémoire où elle était favorable non pas à la présence de personnes qui originent du milieu syndical et patronal, qui participent à la décision, mais à la présence d'assesseurs.

En quoi ça améliore la décision? C'est une vieille pratique en relations de travail, la présence d'assesseurs: on la connaît au niveau de l'arbitrage, elle est dans les dispositions du Code du travail, c'est une pratique courante dans le domaine de l'arbitrage des griefs. C'est important, des assesseurs, pour compléter en fait la réflexion du commissaire au niveau du délibéré. Ce n'est pas seulement important au niveau du délibéré, mais c'est important disons en particulier au niveau du délibéré pour attirer son attention et lui faire comprendre certains aspects qu'il ne peut pas comprendre à cause de son absence d'expérience d'un milieu, que ce soit le milieu patronal ou que ce soit la réalité du travail, des travailleuses et des travailleurs.

C'est important également au cours de l'audition parce que l'assesseur va attirer, à un moment donné, l'attention sur un aspect que le commissaire n'a pas vu, encore là à cause de son expérience qui est une expérience de juriste – le projet de loi prévoit que c'est des avocats, alors, lui, il aborde la question avec son expérience de juriste – alors, toute la richesse d'expérience du milieu, il n'y a personne qui est là pour la véhiculer au moment du délibéré, s'il n'y a pas d'assesseur. Alors, je pense que ça, c'est un apport de cette formule-là.

M. Rioux: Merci.

Le Président (M. Beaulne): Merci, M. le ministre. M. le député de Bourassa.

M. Charbonneau (Bourassa): Oui, M. le Président. Je voudrais saluer des gens que j'ai bien connus à titre de collègues pendant plusieurs années et qui, encore une fois, nous ont apporté leur expertise d'une matière assez complexe.

Je voudrais revenir sur certains propos qui ont été tenus par le ministre et je remarque qu'il aime se référer à mes propos lorsqu'il semble un petit peu coincé. Il dit: Le député de Bourassa a dit ci, le député de Bourassa a dit ça.

(18 h 50)

D'entrée de jeu à la commission parlementaire – je le dis pour les gens qui n'étaient pas ici, mais ils pourront s'y référer – il était tout heureux de me dire: Vous, un ancien président de la CEQ, vous devez être content de savoir que votre centrale est pour le paritarisme – je demande aux gens de regarder dans le Journal des débats – vous devriez être heureux de ça, vous, le paritarisme, la CEQ, le passé syndical. Aujourd'hui, on rencontre les gens de la CEQ, ils nous disent: Attention, on a des choses très précises à dire là-dessus et le paritarisme, là où vous le placez, ce n'est pas notre «bag». Ça n'empêche pas une organisation d'être pour le paritarisme à plusieurs égards, en plusieurs lieux, etc., mais là où ça se place ici... Comme d'autres organisations l'ont dit avant aussi, il y a place pour le paritarisme à certains niveaux, mais, à un autre niveau, lorsqu'il s'agit de décision sans appel, un instant, ce n'est plus de ça qu'on parle. Ces gens-là nous le disent aujourd'hui.

Le ministre nous dit: La présidente de la CEQ a voté pour au conseil d'administration. Or, les faits sont que la CEQ n'a jamais été membre du conseil d'administration. Comment sa présidente a-t-elle pu voter comme membre du conseil d'administration? Cependant, il y a eu des conférences élargies...

Une voix: Voilà.

M. Charbonneau (Bourassa): ...ce n'est pas le conseil d'administration et il n'y a pas de: Voilà, là. Qu'on n'essaie pas de se donner raison en se corrigeant à mesure, là. La CEQ n'a jamais été au conseil d'administration, n'a jamais pu voter pour ni contre au conseil d'administration. Dans des consultations, il a pu y avoir des points de vue de mentionnés et c'était dans un contexte 1994 où toute la question de la réforme des tribunaux administratifs n'était pas en débat, selon les termes que nous avons connus ces derniers mois, cette dernière année, et dans un contexte aussi où on parlait de renvoyer le tout au ministère de la Justice et non pas de le ramener au ministère du Travail. C'étaient des dynamiques passablement différentes; c'étaient des contextes passablement différents et qu'en consultation, dans une conférence élargie, quelqu'un ait pu mentionner une opinion plutôt favorable à un projet de loi, tel que ça se présentait à l'époque, dans un contexte de l'époque, avec les données qui n'existent plus maintenant, c'est une chose et on ne peut pas invoquer aujourd'hui, en 1997, que la CEQ a voté pour au conseil d'administration. Vraiment, c'est à côté de la réalité. Et aujourd'hui on a le point de vue de la CEQ qui dit: Bien, on serait pour, mais il y a la question du BEM, il y a la question de la CALP, ou de la nouvelle Commission, où on ne veut pas avoir de paritarisme, c'est les deux gros enjeux. Ils seraient pour si les deux grosses questions étaient traitées différemment par le ministre. Alors, si le ministre trouve là des appuis vigoureux, je pense que ça va en prendre d'autres aussi, plus vigoureux que ça.

Alors, c'est la situation quant à cette organisation, mais, moi, j'aimerais donner l'occasion aux représentants de la CEQ de nous dire en quoi ils sont concernés par la question des accidents de travail et des lésions professionnelles. Il y a toujours des gens qui sourient, qui souriaient dans le temps que c'était moi qui en parlais puis qui sourient encore 10 ans plus tard quand la CEQ arrive avec le dossier des accidents de travail. Ils ne sont pas dans les mines, ils ne sont pas dans les industries, ils ne sont pas dans la construction, ils ne sont pas dans les manufactures, puis des accidents de travail... M. Gagnon a dit: Il n'y a pas que des enseignants, il y a d'autres catégories de personnel. Il référait particulièrement au personnel de soutien, technique où il peut y avoir des accidents, etc. Mais plus largement, pourriez-vous nous dire, M. Gagnon, ou l'un d'entre vous, quelles sont les catégories de problèmes sous le chapitre, là, sous l'intitulé large «Accidents de travail et lésions professionnelles»? De quoi s'agit-il pour l'ensemble de vos personnels que vous représentez, y compris les enseignants? Il faudrait s'habituer à voir, là, qu'il y a des réalités qui ne sont pas toujours des jambes cassées puis des bras arrachés quand on parle de ces problèmes-là, il y a d'autres choses aussi.

M. Gagnon (Marc-André): Si vous permettez, je vais laisser Marc répondre.

Le Président (M. Beaulne): M. Chantigny, allez-y.

M. Chantigny (Marc): Bien, alors, je remercie M. le député Charbonneau de nous donner l'occasion de nous exprimer là-dessus. Effectivement, si la préoccupation de la Centrale n'est pas très connue en matière de santé et sécurité, c'est peut-être parce que nos problèmes, en matière de santé et sécurité, sont sous le premier thème «Santé», plus que sous le thème «Sécurité» dans nos secteurs d'activité. Et sans vouloir faire un grand développement ici devant la commission parlementaire, je vous dirai que nos préoccupations premières en matière de santé vont vers la santé mentale au travail, un volet qu'on développe depuis un bon nombre d'années à l'intérieur de nos rangs ou avec d'autres experts qui viennent nous aider à l'extérieur et pour lequel on éprouve énormément de problèmes à faire reconnaître la valeur des problèmes de santé que peuvent vivre nos membres.

C'est bien certain que, dans notre quotidien, on rencontre également notre part de jambes cassées ou de bras cassés auxquels vous faisiez allusion tantôt, mais c'est vraiment au niveau du dossier de la santé mentale au travail que vont nos préoccupations et les interventions de la Centrale sont probablement dans ce sens-là pour qu'il y ait une plus grande ouverture de la part de la CSST pour considérer cette partie-là du dossier, qui est plus ou moins occultée actuellement, difficile à faire reconnaître comme maladie professionnelle ou même comme accident de travail. C'est vraiment une préoccupation majeure chez nous. Je pense que c'est...

M. Gagnon (Marc-André): Je voudrais juste ajouter qu'il peut arriver aussi parfois qu'il y ait des accidents qui arrivent plus souvent qu'autrement parce que, d'une certaine façon, on prend pour acquis qu'il n'y en a pas. Si on prend par exemple dans une école primaire, c'est sûr que ce n'est pas une industrie où on travaille avec des grosses machines, mais parfois une enseignante peut se blesser en soulevant simplement un enfant. Il ne se vend pas de chariot pour déplacer un enfant ou pour le soulever. Des fois, c'est au cours d'activités qui sont tout à fait – j'allais dire presque parfois – anodines, mais pour lesquelles il y a effectivement des accidents. Donc, c'est une réalité, bien sûr par rapport à toutes proportions gardées en même temps que vous avez toute la question d'enseignement professionnel qui s'ajoute à ça où là effectivement on travaille avec des machines et que, dans ce sens-là, des fois il faut en même temps surveiller les enfants ou surveiller les étudiants. Donc, il y a aussi son lot aussi d'accidents à ce niveau-là.

Je vais attendre l'autre question, parce que j'avais un commentaires pour finir, mais je vais attendre parce qu'il y avait des choses que M. le ministre a dites sur lesquelles je voudrais faire des précisions. Peut-être que je peux le faire maintenant?

Le Président (M. Beaulne): Allez-y.

M. Gagnon (Marc-André): C'est parce que je voudrais être sûr, M. le ministre, que vous nous avez bien compris, sur le BEM, que ce n'est pas juste la question du délai de cinq jours qui fait le problème. Je veux que ça soit bien clair, parce que pour nous, le BEM, on pense que, si, encore une fois, on donnait un rôle important au médecin traitant, on ne pense pas que le BEM devrait jouer ce rôle-là, le médecin traitant étant au coeur des choses. Il ne nous apparaît pas nécessaire d'avoir le BEM. C'est le médecin traitant qui prendrait les décisions. Si vous regardez bien dans notre mémoire, à la fin, on dit: Il y en a qui nous disent que peut-être que ça pourra entraîner des dossiers qui vont aller directement à la Commission des lésions professionnelles. Et là on dit: On est prêts à regarder ça. Si c'est pour engorger la Commission et arriver à générer des coûts et faire en sorte que ça vienne se judiciariser en haut, on est prêts à regarder le BEM dans le sens qu'on l'a dit, en ajoutant aussi toutefois à la fin – je pense qu'il est important – c'est qu'on veut préserver la position du médecin traitant.

On pense que ce n'est pas une bonne chose dans ces cadres-là de permettre au médecin traitant de changer son opinion parce que, quand le médecin traitant va avoir changé son opinion, il ne va rien laisser à la personne qui a subi un accident de travail, pour se défendre. Tout s'arrête là et elle n'est plus capable d'aller nulle part. Il nous apparaît que ce n'est pas à la Commission à forcer le médecin traitant, suite à d'autres interventions qui se sont faites, de changer son opinion. Il nous semble que, dans ce sens-là, si on veut vraiment centrer ça autour du médecin, il nous apparaît que ça nous permettrait d'éviter d'avoir à mettre en place un BEM. Et je le redis: Si on pense pas que c'est pour monter directement à la Commission d'appel puis générer des coûts supplémentaires et un engorgement du système, on est prêts à la regarder, mais à certaines conditions. D'abord, une condition sur la sélection des personnes qui vont faire partie de ça, préserver le droit du médecin de garder son opinion sur le dossier qu'il a traité. Il me semble que c'est tout à fait différent, et je voudrais qu'on le retienne par rapport à ça.

M. Rioux: C'est noté.

Le Président (M. Beaulne): Alors, M. Gagnon, M. Chantigny, M. Lapierre, la commission vous remercie de votre contribution, et, sur ce, j'ajourne nos travaux au mercredi 12 février, à 15 heures.

(Fin de la séance à 18 h 59)


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