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Version finale

36e législature, 1re session
(2 mars 1999 au 9 mars 2001)

Le mardi 27 février 2001 - Vol. 36 N° 113

Consultation générale sur le projet de loi n° 182 - Loi modifiant le Code du travail, instituant la Commission des relations du travail et modifiant d'autres dispositions législatives


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Table des matières

Journal des débats

(Neuf heures trente-quatre minutes)

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): La commission de l'économie et du travail va donc reprendre ses travaux. Je vous rappelle que nous procédons, ce matin, à une consultation générale. Nous tenons donc des auditions publiques sur le projet de loi n° 182, Loi modifiant le Code du travail, instituant la Commission des relations du travail et modifiant d'autres dispositions législatives.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire: Oui, Mme la Présidente. M. Jutras (Drummond) remplace M. Kieffer (Groulx); Mme Houda-Pepin (La Pinière) remplace M. Béchard (Kamouraska-Témiscouata); et M. Pelletier (Chapleau) remplace M. Sirros (Laurier-Dorion).

Remarques préliminaires

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Je vous remercie. Alors, comme c'est notre première journée d'audience, je vous inviterais donc à faire des remarques préliminaires. Mme la ministre.

Mme Diane Lemieux

Mme Lemieux: Merci, Mme la Présidente. D'abord, je voudrais saluer les membres de cette commission. Nous allons passer plusieurs heures ensemble. J'espère que ça se déroulera dans un climat le plus constructif possible, considérant les enjeux que nous avons à arbitrer comme parlementaires.

J'aimerais également d'entrée de jeu, je sais que ce n'est pas habituel, mais, considérant qu'on aura beaucoup de boulot à faire, je voudrais d'abord remercier très sincèrement toute l'équipe du ministère du Travail. Je pense que, si les parlementaires, nous pouvons faire notre travail, c'est parce qu'il y a des gens qui sont dédiés aux grandes décisions de l'État et aux grands défis auxquels on est convié dans ces années 2000. Je les remercie également à l'avance de tout le travail qu'ils devront faire au cours des prochaines semaines.

J'aborderai mon intervention de manière assez simple, davantage peut-être une manière qui est tournée vers les valeurs qui doivent nous habiter au cours de ces prochaines heures que nous allons passer ensemble. Peut-être qu'en rappelant, en se rappelant qu'un Code du travail se doit de respecter la dynamique québécoise. Le Code du travail, il a une histoire; nos pratiques en matière de relations de travail, elles ont une histoire, elles sont enracinées avec les bons et les mauvais côtés. Et nous devons donc faire en sorte que ce Code du travail modifié respecte la dynamique de la société québécoise dans laquelle nous sommes.

En ce sens, je pense important de nous rappeler que le Québec, la population québécoise est profondément attachée au fait que nous devons continuer de progresser économiquement, Nous avons posé des gestes ces dernières années qui font en sorte que le Québec maîtrise davantage sa structure et son développement économique et que nous voulons donc maintenir le contrôle de notre univers économique.

Le Québec a également emboîté le pas dans la nouvelle économie, dans ses nouveaux efforts auxquels nous sommes conviés dans un contexte d'ouverture des marchés. Nous avons également posé des gestes extrêmement importants pour luter contre le chômage, et ça, c'est une cause qui tient à coeur aux Québécois et aux Québécoises. Nous savons que nous avons une richesse mais qu'il faut continuer évidemment de la faire progresser. Également, nous partageons, les hommes et les femmes du Québec, un certain nombre de valeurs et de concepts qui nous sont chers; les mots «équité» et «solidarité» sont des mots qui font partie de l'univers des hommes et des femmes du Québec.

De plus en plus, les gens nous signifient de différentes manières à quel point il est important de responsabiliser les acteurs, ceux qui sont près des décisions, pour qu'ils prennent ces décisions le plus correctement possible, le plus adéquatement possible. Je pense également que les hommes et les femmes du Québec croient à un État structuré, un État qui est capable de fixer les balises quant au maintien d'une certaine cohésion sociale et d'une protection des individus, des individus que le paquebot d'ouverture des marchés peut laisser sur la rive.

Et, si j'ai donc fait ce large détour pour en conclure que nous devons avoir un État capable de fixer les balises, c'est que, devant ce projet de loi sur le Code du travail, c'est de ça qu'il est question. L'État du Québec a quelque chose à faire dans la régulation des relations de travail. Nous avons raison d'avoir des législations qui encadrent le monde du travail, nous avons également raison de ne pas laisser à la stricte économie de marché les paramètres de nos grands régimes qui protègent le droit au travail.

Dans ce contexte et, notamment dans un contexte d'ouverture des marchés, les citoyens et citoyennes de plus en plus nous signifient de différentes manières qu'à la fois ils veulent participer à cette ouverture des marchés, mais en même temps ils nous expriment des craintes et des attentes et des besoins d'être protégés devant ces règles quelquefois féroces auxquelles nous sommes confrontés dans l'économie québécoise. Alors donc, le Québec doit soutenir la création de la richesse, le développement économique, la création d'emplois; il doit également assurer que ces éléments se passent dans des conditions acceptables.

n (9 h 40) n

Nous savons également et j'ai eu l'occasion ces dernières semaines de faire le tour un peu de la littérature dite internationale et je me suis beaucoup intéressée à ce que les grands organismes internationaux qui se préoccupent du travail pensaient du contexte dans lequel nous nous trouvons. Effectivement, on constate que, sur la scène internationale, on cherche de plus en plus à ce que les entreprises et les États concluent des pactes sociaux qui vont faire en sorte que ces règles du jeu, de liberté des capitaux, liberté des personnes, des marchandises et des marchés, fassent en sorte qu'on ne soit pas dans un contexte où on met en péril des droits fondamentaux. Et, de plus en plus, les consensus internationaux sont clairs à l'effet qu'il nous faille préserver le droit au travail avec toutes les libertés que cela comporte, c'est-à-dire la liberté d'association, le droit de négocier une convention collective. Ce sont donc des valeurs qui sont véhiculées également sur la scène internationale, et c'est à ça que le Québec est également convié.

Évidemment, le Québec n'est pas en queue de peloton à l'égard de l'encadrement des rapports du travail. Certains diraient qu'il y a dans nos législations plusieurs irritants; d'autres diraient qu'il s'agit là au contraire d'éléments progressifs qui ont fait évoluer notre environnement politique, social et économique. Mais, quoi qu'il en soit, nous avons senti le besoin de revoir cette législation qui s'appelle le Code du travail pour s'assurer qu'elle correspondait à la réalité de maintenant et à la protection que nous devions apporter aux personnes.

Je vais conclure un peu mon intervention là-dessus, sur les principales dispositions qui sont proposées dans ce projet de loi n° 182. Je crois profondément qu'un code du travail est un instrument qui doit nous permettre d'établir les règles du jeu pour modeler, pour interagir en ce qui concerne nos relations de travail. Cet instrument-là doit nous aider. Au fil des années, plusieurs nouvelles situations sur le marché du travail ont évolué, des situations que le Code du travail anticipe mal parce que ces réalités ne faisaient pas partie de l'époque où il a été adopté. Par exemple, dans les années soixante, nous n'étions pas dans un contexte de fusion d'entreprises ou d'établissements publics, alors que c'est une réalité maintenant, et en ce sens-là le Code du travail anticipe très mal ce genre de situation là.

Je pense également important de rappeler que ce qui nous a guidés dans la confection de ce projet de loi, c'est un certain nombre de valeurs. Comme je le disais tout à l'heure, une première qui est à l'effet que l'État a un rôle à jouer dans la régulation des relations de travail.

Nous avons également été préoccupés par un objectif de déjudiciarisation des relations de travail, en ce sens qu'il nous faut, je crois, miser davantage sur la concertation que sur la confrontation. Nous sommes dans un univers où la confrontation en matière de relations de travail coûte très cher humainement, strictement du point de vue humain, le coût, il est réel.

Nous avons également misé sur la capacité des parties d'évoluer dans la recherche de solutions. Vous savez qu'il peut y avoir une tendance à se fier à l'intervention d'un tiers lorsqu'il y a des situations plus difficiles; je crois sincèrement qu'il nous faut renforcer cette capacité des parties à résoudre les situations les plus difficiles.

Et, comme quatrième élément qui nous a guidés, je pense qu'il est important qu'un État cherche une très grande efficacité des institutions qui sont chargées d'appliquer ses différentes législations. Nous avons le devoir de l'efficacité et de l'efficience de ces institutions.

Je rappellerais que le Code du travail adopté au milieu des années soixante a subi un certain nombre de changements au fil des années, mais des changements qui ne sont pas de l'ordre de changements majeurs. Je vous rappelle qu'à la fin des années soixante nous avons créé le Bureau du Commissaire général du travail, que nous avons également créé le Tribunal du travail, qu'en 1977 l'arbitrage de premières conventions collectives a été introduit dans le Code du travail, qu'en 1982 le Conseil des services essentiels a été créé, qu'au milieu des années quatre-vingt une grande démarche, la commission Beaudry, donc une commission consultative sur le travail, a donné lieu à un rapport important et a également donné lieu à un projet de loi qui a été adopté en 1987 mais malheureusement qui n'est jamais entré en vigueur et que, donc, dans ces années 2000, nous abordons un certain nombre de changements pour permettre une plus grande adéquation de cet instrument important pour notre collectivité.

Je rappelle également que, lorsque j'ai fait connaître les orientations ministérielles au sujet de cette modernisation du Code, il y a quatre principes qui ont été clairement campés. Je vous les rappelle: d'abord, un, le Code du travail doit demeurer un instrument qui favorise le libre exercice du droit d'association des personnes salariées; deux, les pouvoirs publics doivent éviter, autant que faire se peut, de s'immiscer dans les rapports privés tout en jouant leur rôle en regard de la protection de l'intérêt public; trois, les modifications au Code du travail doivent tenir compte du contexte nord-américain; quatre, la révision du Code doit être recentrée sur la recherche d'une plus grande efficacité de la loi et de son administration. Alors, ces principes finalement reprennent de manière claire et précise l'introduction que j'ai faite tout à l'heure.

Alors, quelques mots maintenant sur l'essentiel des amendements qui sont proposés au Code du travail. D'abord, je propose la création d'une Commission des relations de travail, qui aurait pour mission d'assurer l'application diligente et efficace de la procédure d'accréditation, qui aurait également comme mission de veiller à l'établissement et au maintien de saines relations de travail et qui favoriserait et susciterait le règlement ordonné des conflits de travail.

Cette Commission serait divisée en deux grandes sections: la division du soutien aux relations de travail, qui s'occuperait donc de la conciliation, la médiation, les enquêtes, les activités reliées à l'arbitrage; et la division des plaintes et recours, qui traiterait, donc, des dossiers d'accréditation litigieux et qui évidemment statuerait sur les plaintes et recours qui sont prévus au Code du travail et à la Loi sur les normes du travail. Cette proposition de Commission de relations de travail aurait pour effet d'abolir l'appel, notamment le Tribunal du travail, dans le but d'une plus grande efficacité de nos instances.

La deuxième série d'amendements qui sont proposés concerne le concept de salariés. Nous avons voulu dans ce projet de loi couvrir les entrepreneurs dits dépendants, comme le font d'ailleurs plusieurs organismes du travail dans d'autres législations du Canada. Je pense qu'il apparaissait important dans les années 2000 de faire en sorte que, les gens à qui on donne un statut, ça puisse être fait clairement et en toute transparence. Je pense qu'il s'est développé, au fil des années, plusieurs statuts d'emplois. Certains correspondent à l'esprit de ce qu'est un salarié, d'autres pas, et je pense que nous avons la responsabilité de bien couvrir ceux qui correspondent à la notion de salariés.

Nous avons également proposé un certain nombre d'aménagements au sujet de la transmission d'entreprises, donc des articles 45 et 46. L'article 45 est devenu presque une légende urbaine, est un objet de grandes discussions et de discussions extrêmement vives entre les parties et les organisations syndicales et patronales.

Nous avons prévu, à l'article 46 qui est l'article nous permettant une interprétation ordonnée de l'article 45, donc un certain nombre de dispositions pour faciliter l'application de l'article 45.

Nous avons également prévu qu'il pouvait se produire entre les parties des ententes librement négociées qui pourraient donc avoir préséance sur l'application de l'article 45. C'est donc là un élément nouveau sur lequel je serai heureuse d'entendre les parties.

Nous avons également prévu, dans l'application de l'article 45, des pouvoirs plus étendus aux commissaires leur permettant d'intervenir de manière beaucoup plus efficace et au bon moment lorsqu'il y a une mouvance dans les entreprises en termes de transmission d'entreprises ou de sous-traitance.

Finalement, quelques modifications plutôt mineures sont prévues à l'article 45, notamment le retrait de l'exception d'application qui concerne la vente en justice, une exception qui n'existait pas dans aucune autre juridiction canadienne.

Également, nous avons prévu que l'accréditation et la convention collective seraient protégées dans le cas où l'entreprise passe de la compétence législative du fédéral vers le Québec.

Une autre modification qui est proposée concerne la possibilité pour un employeur de demander à la Commission d'ordonner au syndicat de tenir un vote sur des offres patronales. Cette possibilité surviendrait une seule fois par ronde de négociations, et un vote pourrait donc être tenu sous la surveillance de la Commission des relations de travail. Ça, c'est donc un outil nouveau à la disposition des parties.

n (9 h 50) n

Finalement, il y a ? et je vais en faire une liste bien rapide ? un certain nombre de modifications davantage techniques qui sont proposées, notamment de hausser le montant minimum qui représente actuellement 2 $ à payer pour adhérer à un syndicat, donc de faire passer ce montant de 2 $ à 10 $. Je pense que c'est important de mesurer la volonté réelle d'un salarié d'adhérer à une association. Nous proposons également de porter à trois ans la durée maximale de sentence arbitrale de différends pour l'arbitrage volontaire. Nous proposons également de donner la possibilité à la Commission de révoquer toute accréditation qu'elle juge inopérante depuis au moins cinq ans. Et voilà.

Peut-être un dernier élément. Nous proposons également d'accorder de nouveaux pouvoirs à la Commission des relations de travail, dans ce sens qu'elle pourra tenir, par exemple, des conférences préparatoires ou rendre toute ordonnance provisoire qu'elle juge appropriée afin de sauvegarder les droits des parties. Et ça, il y a un certain nombre de modifications qui semblent mineures mais qui ont pour effet de faire en sorte que et la Commission et les agents d'accréditation aient le pouvoir de prendre un certain nombre de décisions, non seulement juste de constater, mais de décider ce qui semble une évidence.

Alors, je terminerais, Mme la Présidente, en disant que c'est bien évident que notre régime de relations de travail, il a évolué, il a évolué peu du point de vue législatif mais beaucoup dans les pratiques, qu'à ce moment-ci il faut se rappeler qu'un instrument comme le Code du travail est un instrument qui appartient aux parties, que l'État bien sûr a un rôle de préserver l'intérêt du public, que le Code du travail doit être un lieu de rencontre. Ce sont les règles du jeu pour des individus, des hommes et des femmes, qui travaillent et qui décident de négocier collectivement leurs relations de travail. Donc, ça doit être dans un certain sens un lieu de rencontre, et à la limite je dirais même un code d'éthique applicable aux parties lorsqu'elles ont à déterminer leurs relations de travail.

Ce projet de loi évidemment suscite beaucoup d'intérêt, j'en suis consciente. J'aborde cette commission avec enthousiasme, je dois le dire, et ouverture, mais je nous rappelle à tous que le test réel, ce n'est pas la résistance, ce n'est pas la résistance aux changements, c'est au contraire notre capacité de construire ensemble autre chose et de se donner un code du travail qui correspond aux aspirations des hommes et des femmes qui doivent gagner leur vie, qui doivent faire vivre leur entreprise et qui correspond aussi aux craintes légitimes d'hommes et de femmes face à la mouvance économique dans laquelle nous vivons.

Alors, je vais m'en tenir à ces remarques, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, merci, Mme la ministre. M. le député de Mont-Royal et porte-parole en matière de travail, pour vos remarques préliminaires.

M. André Tranchemontagne

M. Tranchemontagne: Merci, Mme la Présidente. Tout d'abord, permettez-moi, au nom de mes collègues ici présents, de dire que nous sommes très heureux de participer à cette commission, puisqu'il s'agit, quand on parle de Code du travail, comme vous savez, d'une pièce de législation importante qui nous a gouvernés, si on réfère aux dernières modifications du Code, depuis 1964 et qui nous permet de légiférer dans le domaine des relations entre les patrons et leurs employés. Le meilleur témoignage qu'on puisse apporter là-dessus, c'est justement la réponse assez importante des groupes. On nous dit qu'il y a environ 50 groupes qui ont déposé un mémoire. C'est donc une indication de l'importance que les gens portent au Code du travail.

Je voudrais vous assurer tout de suite, Mme la Présidente, que nous désirons participer à cette commission d'une façon positive et active. Nous désirons aussi y travailler de façon constructive, de telle sorte que nous essaierons d'améliorer le projet de loi n° 182 ou même de le changer d'une façon substantielle. Nous désirons faire preuve au cours des prochains jours, lorsque nous nous assoirons, d'une très grande capacité d'écoute de tous les intervenants, des 50 intervenants, qui doivent passer devant cette commission.

Alors, c'est donc un moment important pour nous. C'est donc un moment important pour le gouvernement du Québec, puisqu'on change le Code, ou on nous propose de changer le Code. Et, comme vous savez, Mme la Présidente, c'est une réforme qui est attendue depuis extrêmement longtemps. En effet, si on réfère un peu à l'histoire, l'histoire récente, il faut remonter à l'automne 1997 alors que le premier ministre du Québec avait promis à ce moment-là une réforme du Code du travail. Cette promesse avait été réitérée, si ma mémoire me sert bien, par le ministre du Travail d'alors, c'est-à-dire l'actuel député de Matane. Ce même député de Matane, qui était ministre du Travail, je le rappelle, avait promis à l'époque une réforme substantielle, une réforme globale, une refonte ? ce sont ses mots exacts ? globale du Code du travail.

Malheureusement, Mme la Présidente, deux ans et demi plus tard, c'est-à-dire au printemps dernier, la ministre déposait ce qu'elle a appelé un document de consultation, et, à partir de ce document de consultation, les gens ont réagi, les différents groupes, que ce soient les patrons ou les syndicats, ont réagi à ce document de consultation. Malheureusement, ce qu'on peut reprocher à ce document de consultation, il était sans aucun lien avec ce qu'on peut appeler un livre blanc, livre blanc qui aurait pu engager, je pense, une profonde réflexion sur les modifications et la modernisation à apporter à nos lois du travail. Ce document, le document de la ministre ? document de consultation, j'y reviens ? évoquait seulement des possibilités de modifications législatives ici et là, et évidemment, c'était beaucoup en deçà des attentes que l'opposition avait suite aux déclarations du premier ministre en 1997 et du ministre du Travail d'alors, le député de Matane.

Malgré cette vaste consultation qui se déroula sur le document d'orientation dont on parle, le dépôt du projet de loi, qui devait être au mois de juin, a été reporté et reporté, si bien qu'on s'est retrouvé, lors de la dernière session, à la dernière journée de la session, où la ministre a déposé en catastrophe le projet de loi n° 182, projet de loi qui était déposé à mon point de vue seulement pour sauver la face de la ministre. Vous vous rappellerez, Mme la Présidente, qu'une semaine plus tôt les journaux d'ailleurs rapportaient les dissensions au sein du Conseil des ministres sur ce projet de loi. Alors donc, il nous est permis de questionner d'une façon substantielle le projet de loi n° 182.

Si on avait, au cours des prochains jours, à se poser une seule question, la question que je proposerais à la commission serait la suivante: Est-ce que le Code du travail sur lequel nous nous reposons présentement, qui est, comme vous savez, une pièce maîtresse des rapports collectifs de travail au Québec, est adapté à la nouvelle réalité du monde du travail du Québec et de l'Amérique du Nord aujourd'hui? Est-ce que le texte législatif de 1964, qui a été développé dans une époque où on parlait d'une économie traditionnelle, d'une organisation de travail industrielle, d'une organisation qu'on peut appeler classique de travail peut aujourd'hui coller à la réalité des nouvelles technologies d'aujourd'hui, de la nouvelle économie d'aujourd'hui? Manifestement pas. Et est-ce que la proposition de la ministre dans son projet de loi n° 182 y répond? Notre réponse, à nous, c'est que ça n'y répond pas plus que le projet de loi initial développé en 1964.

Nous considérons donc que le projet de loi n° 182 n'est pas la refonte globale qui nous avait été promise depuis 1997, ça fait de ça trois ans et demi. C'est ce qu'on pourrait appeler une réformette qui vient modifier ici et là malheureusement certains aspects d'un Code qui vieillit de plus en plus mal. Et souvent, quand on fait des modifications ici et là, on risque que le résultat final soit plus décevant que le point de départ d'où nous sommes partis, c'est-à-dire le Code du travail actuel. Il faut voir dans le Code du travail un outil pour encourager la création d'emplois au Québec, et ce n'est pas à notre avis ce qu'on retrouve dans le projet de loi n° 182. On dirait plutôt que ça représentera une entrave à la création d'emplois, et j'y reviens dans quelques instants.

Alors, l'opposition, donc, depuis la déclaration du premier ministre, a réclamé une réforme, et puis, trois ans et demi plus tard, on nous propose une réformette. Ce qu'on veut dire à la ministre, c'est que peut-être il aurait mieux valu attendre quelques mois de plus ? puisque trois ans et demi ou quatre ans, ça aurait fait la même chose ? et de travailler sur une véritable réforme, qui nous avait été promise il y a donc trois ans et demi. On n'en était donc pas à quelques mois près après avoir attendu trois ans et demi.

n (10 heures) n

Tantôt, la ministre nous parlait de principes. J'aimerais également parler de principes. Nous croyons, nous, à l'opposition, que deux principes, deux objectifs fondamentaux, si vous voulez, devraient guider le législateur dans cette réforme du Code du travail, et je vous les cite.

Premièrement, ce serait de rendre le cadre législatif, qui gère les rapports collectifs de travail, de rendre ce cadre législatif compétitif par rapport aux juridictions qui nous font concurrence. Et, quand je parle de juridictions qui nous font concurrence, il faut interpréter ça principalement comme l'Ontario, le Nouveau-Brunswick, mais aussi d'autres États américains, des États de l'Amérique du Nord.

Le deuxième principe ou objectif fondamental qui devrait nous guider, ce serait la recherche et le maintien d'un meilleur équilibre possible... du meilleur équilibre possible, devrais-je dire, dans les rapports collectifs de travail au Québec. Et nous croyons, Mme la Présidente, qu'autant de façon macro que de façon micro la proposition de Code de travail qui nous est proposée devrait donc être jugée, lue, perçue, comprise à travers ces deux perspectives: un, de rendre le cadre législatif plus concurrentiel par rapport à nos concurrents, c'est-à-dire les autres États de l'Amérique du Nord, et deux, de maintenir le meilleur équilibre possible dans les rapports collectifs de travail.

Donc, c'est par cette lunette, si vous voulez, que nous désirons approcher cette nouvelle proposition de projet de loi n° 182 qui modifierait le Code du travail.

Premièrement, permettez-moi de vous parler du cadre législatif qui gère les rapports collectifs et comment nous voyons qu'il devrait être perçu pour être plus compétitif. Vous vous rappellerez qu'au Québec on a un ministre des Finances qui distribue de l'argent à profusion, qui distribue de l'argent justement des contribuables comme pour attirer les entreprises, des entreprises qui ne viendraient pas automatiquement au Québec, puisque l'économie québécoise performe moins bien que celle des autres provinces canadiennes. On s'évertue souvent à nous dire que l'économie québécoise fonctionne bien, mais, quand on la regarde relativement aux autres économies canadiennes, et à plus forte raison évidemment aux États américains, nous nous rendons compte que l'économie québécoise ne performe pas à sa juste valeur, et c'est pour cette raison qu'on voit le ministre des Finances distribuer autant d'argent aux entreprises pour les convaincre de venir s'installer au Québec.

Pourquoi les entreprises ne viennent pas s'installer au Québec? Plusieurs raisons. La première, c'est sûrement l'option politique du gouvernement actuel. La deuxième, c'est le taux d'imposition que les Québécois sont obligés de subir, et alors les entreprises ne sont pas intéressées à venir s'installer dans un endroit où le taux d'imposition est le plus fort en Amérique du Nord. Et finalement, la dernière, c'est le Code du travail avec lequel les entreprises doivent composer, un code du travail qui n'encourage sûrement pas les investisseurs étrangers à venir s'installer ici et pousse même souvent les investisseurs québécois à quitter le Québec pour s'installer chez nos voisins, en Amérique du Nord.

Permettez-moi de vous parler de la réalité québécoise, Mme la Présidente. Premièrement, j'aimerais vous parler du chômage. En janvier dernier, le taux de chômage au Québec a crû de 0,6 %, pour atteindre un total de 8,6 %, alors que, dans l'ensemble canadien, il y a eu un accroissement aussi du taux de chômage, mais seulement de 1/10 de point, pour atteindre 6,9 %. Si on compare le taux de chômage québécois au taux de chômage canadien, on se rend compte que le taux de chômage québécois, Mme la Présidente, il est 25 % plus élevé que celui du Canada et 51 % plus élevé que celui de l'Ontario.

Parallèlement au taux de chômage, un autre indice, probablement encore plus important, c'est l'indice de la création d'emplois. Permettez-moi de vous rappeler quelques chiffres à cet effet. En l'an 2000, durant l'année calendrier 2000, il s'est créé au Québec 25 800 emplois. Pendant que nous créions 25 800 emplois, l'Ontario en créait 186 400 et l'ensemble canadien en créait 323 200. Qu'est-ce que ça veut dire? Ça veut dire que nous n'avons réussi à créer, au cours de l'année 2000, seulement ? seulement ? 8 % de tous les emplois créés au Canada, alors qu'on compte, comme vous le savez, pour 25 % ou presque 25 % de la population du Canada, donc un écart considérable entre la réalité et ce qu'on aurait pu atteindre normalement si on avait obtenu notre juste part. Si on se compare à l'Ontario, l'Ontario a créé, je vous le disais, 186 400 emplois, c'est donc sept fois plus d'emplois que ce qui s'est créé au Québec. Ce sont des résultats, Mme la Présidente, qui nous inquiètent fortement et qui devraient être considérés, qui devraient être retenus quand on parle d'une modification au Code du travail.

Permettez-moi de poursuivre. Le Québec, depuis l'arrivée de M. Landry comme ministre des Finances, qui distribue de l'argent, je vous le répète encore une fois, à gauche et à droite, n'a créé que 17 % de tous les emplois au Canada depuis son arrivée en poste comme ministre des Finances. Le Québec, depuis cette période-là, se classe au septième rang sur la création d'emplois par rapport aux 10 provinces canadiennes. Le retard du Québec, si on convertit ça en retard... on dit que le retard du Québec depuis l'arrivée de M. Landry comme ministre des Finances est de 138 000 emplois par rapport à la croissance canadienne. Autrement dit, si on avait eu une croissance similaire à celle du Canada, on aurait ici, au Québec, dans le moment, 138 000 emplois de plus; seulement en l'année 2000, ça aurait été 55 000 emplois. Je n'ai pas besoin de vous expliquer, Mme la Présidente, que non seulement ça aurait changé les chiffres de création d'emplois, si on ajoute 138 000 à 25 800, mais ça aurait aussi créé une influence considérable sur le taux de chômage du Québec, qui, je vous le rappelle, est encore une fois 25 % plus élevé que dans l'ensemble canadien et 51 % plus élevé qu'en Ontario.

Permettez-moi de vous parler des investissements privés pendant quelques instants. Statistique Canada prévoit qu'au cours de l'année 2001 les investissements privés au Québec seront de 27,4 milliards, c'est-à-dire une baisse de 100 millions par rapport à l'année passée, alors que, dans l'ensemble canadien, on parle d'un investissement privé de 151 milliards, en hausse de 1,4 %. Alors, pendant que le Québec diminue ou, mettons, est stable, si on veut, pendant ce temps-là, le Canada augmente de 1,4 % et l'Ontario, tenez-vous bien, Mme la Présidente, augmentera de 5,3 % au niveau des investissements privés. Seulement 18 % des investissements privés au Canada ont été faits depuis le début de l'arrivée de M. Landry, alors que l'économie québécoise représente facilement 22 % de l'économie canadienne. Et c'est donc, à notre point de vue, le carcan législatif dans lequel on se trouve, le carcan réglementaire excessif dans lequel on se trouve et dans lequel le gouvernement du Québec nous propose de demeurer et même d'augmenter notre carcan, qui nuit à la croissance et à la compétitivité du Québec en Amérique du Nord.

Le nouveau Code qu'on nous propose ne propose aucun changement pour améliorer notre situation compétitive en Amérique du Nord. La situation donc que je viens de décrire, que ce soit au niveau du chômage, au niveau de la création d'emplois, au niveau des investissements privés, la situation que je viens de décrire risque donc de s'empirer. Si le gouvernement parvenait à attirer une part proportionnelle à la taille de son économie, le 22 % dont je vous ai parlé, c'est près de 6 milliards d'investissements de plus que nous aurions au Québec. Imaginez ce que feraient 6 milliards d'investissements au Québec en termes de création d'emplois et en termes de réduction de chômage. Je n'ai pas besoin de m'étirer plus longtemps pour dire que la réalité québécoise par rapport à la réalité nord-américaine laisse grandement à désirer.

n (10 h 10) n

Le projet de loi qu'on nous propose a raté son objectif. Le refus de la ministre d'envisager des modifications à l'article 45 afin d'assouplir le recours à la sous-traitance contribue, à mon point de vue, à maintenir le Québec dans, justement, ce carcan de chômage plus élevé, de croissance de l'emploi moins élevée et d'investissements privés moins élevés. Nous déplorons le fait que les propositions, par exemple, du rapport Mireault, qui constituent, à notre point de vue, un excellent compromis, n'aient pas été retenues. Malheureusement, la ministre n'a retenu que deux des trois propositions du rapport Mireault, laissant tomber celles qui modifiaient ou qui auraient modifié l'article 45 de cette loi.

Je voudrais ajouter que le rapport Mireault n'était pas le seul à recommander des modifications à l'article 45. Je voudrais rappeler que le rapport Lemaire a fait de même et que le rapport Bédard ? là, on ne parle pas d'entreprises, on parle de municipalités ? suggérait que les fusions municipales n'iraient nulle part si on n'arrivait pas à modifier l'article 45 et à permettre à juste titre la sous-traitance pour que les entreprises québécoises deviennent compétitives et pour que les municipalités puissent faire cette réforme tant proposée par le gouvernement, cette réforme qui amènerait supposément, si on avait un article 45 modifié, de la sous-traitance, qui permettrait de la sous-traitance et améliorerait les coûts, et donc les taxes des contribuables, contribuables qui, je vous le rappelle encore une fois, sont les plus taxés en Amérique du Nord.

L'organisation d'aujourd'hui du travail et les impératifs de performance auxquels sont confrontées les entreprises, Mme la Présidente, font en sorte qu'une sous-traitance de fonction devient de plus en plus nécessaire économiquement et je dirais même essentielle économiquement. Cette dernière sous-traitance permettrait aux entreprises d'aller chercher à l'extérieur de leurs murs l'expertise qu'elles ne peuvent souvent développer à l'intérieur et aussi que ce soit par manque de ressources ou encore l'absence de masse critique pour faire face à ses problèmes. Pensez, Mme la Présidente, particulièrement à une PME. Le propriétaire d'une PME doit concentrer ses efforts, son attention sur sa mission essentielle qui est, d'une part, de produire un certain produit et de le vendre sur le marché, et de le vendre d'une façon compétitive. Toutes les autres activités qui sont nécessaires à l'entreprise sont accessoires pour lui et le dérangent souvent de cette mission principale. Et, pour cette raison, faire appel à une sous-traitance permet de déléguer certaines responsabilités non essentielles à la fabrication ou la vente du produit pour lequel cette entreprise est dévouée. Alors donc, c'est essentiel qu'on reconnaisse les impératifs de performance d'aujourd'hui, qu'on reconnaisse la nécessité de permettre aux entreprises de faire de la sous-traitance de fonction afin qu'elles deviennent, ces entreprises, beaucoup plus compétitives sur le marché nord-américain.

D'ailleurs, nous ne sommes pas les seuls, Mme la Présidente, à réclamer ces changements-là. Certains membres du gouvernement péquiste le disent ouvertement. Permettez-moi de rappeler une déclaration de M. Bernard Landry, au mois d'août de l'an 2000, et je vous le cite, il dit: «Ce qui n'a pas de sens, c'est que le Québec se mette à l'écart de toutes les autres économies occidentales qui font de la sous-traitance. Le Québec, c'est la cinquième puissance aérospatiale du monde qui est l'univers même de la sous-traitance.» Je vous rappelle que c'est M. Landry qui tenait ces propos. Et récemment, plus récemment, en décembre 2000, au moment où on parlait de fusions municipales, vous vous souviendrez que M. Denis Vaugeois, qui est ex-ministre péquiste, déclarait ce qui suit: «Le premier acte de courage de la part du gouvernement ne devrait-il pas être de donner aux municipalités les vrais pouvoirs de gestion et de négociation?» Rajoutez à cela les recommandations du rapport Mireault, les recommandations du rapport Lemaire et, finalement, celles du rapport Bédard sur les fusions municipales, vous avez là un contexte où tous les gens semblent d'accord, d'avis que le recours à la sous-traitance est une nécessité aujourd'hui. La ministre malheureusement semble davantage intéressée à protéger ses alliés syndicaux qu'à dynamiser véritablement l'industrie québécoise et l'économie québécoise.

Permettez-moi de vous rappeler, Mme la Présidente, que des lois différentes dans d'autres provinces et d'autres États nord-américains ont donné des résultats qui sont fascinants à voir: si on regarde, par exemple, le salaire moyen dans d'autres provinces ou d'autres États, alors que nous avons un taux de syndicalisation plus élevé que n'importe quelle autre province et évidemment trois fois plus élevé qu'aux États-Unis, et nous avons un revenu per capita qui est moindre que dans ces autres endroits.

Permettez-moi maintenant de parler d'une recherche de meilleur équilibre ? c'était mon deuxième principe, la recherche de meilleur équilibre ? dans les rapports collectifs. Cette recherche donc est un objectif essentiel pour un code du travail et, à notre point de vue, cet équilibre semble menacé par certaines dispositions du projet de loi tel que nous le propose la ministre, le projet de loi n° 182. D'ailleurs, M. Samson, du Soleil, concluait un article qui était fort inquiétant, il disait: «En somme, à tous les chapitres ? il parle de la réforme évidemment ? la réforme est unidirectionnelle, dénoncent avec raison les employeurs. Le Code du travail régit des relations d'égal à égal entre les parties. Il n'est pas un code criminel dans lequel les patrons joueraient les rôles des méchants et les travailleurs ceux des bons. Un premier ministre ? parlant de l'avenir ? devra expliquer la différence à nouveau à la ministre.» Alors, ce n'est pas nous, ce n'est pas l'opposition libérale qui dit ça, c'est M. Jacques Samson, du Soleil. Donc, il s'agit d'un projet de loi qui, à notre point de vue, est mal balancé et qui, au-delà de favoriser les deux parties, c'est-à-dire d'avoir du bon pour les deux parties, à notre point de vue, favorise uniquement la partie syndicale et ne favorise aucunement le travailleur lui-même face à l'emploi.

En créant la Commission des relations de travail, tel que proposé dans le projet de loi, la ministre abdique ses pouvoirs et ses responsabilités en matière de conciliation, de médiation et d'arbitrage au profit de ce qu'on peut appeler, la CRT, un organisme administratif. Il est donc important de réaliser que le ministère du Travail et la ministre devraient se garder des responsabilités et des pouvoirs face à tout le domaine des relations de travail au Québec.

La composition de la CRT nous inquiète aussi énormément, puisqu'elle rompt avec une tradition qu'on pourrait appeler paritaire, c'est-à-dire une tradition qui veut que les organismes ? patronal ou syndical ? soient consultés pour nommer les gens à cette Commission ou à cet organisme. Ce qui nous inquiète aussi, c'est qu'on fasse disparaître le Conseil consultatif du travail, qui est complètement évacué du projet de loi.

Le nouveau processus d'accréditation, Mme la Présidente, soulève également certaines inquiétudes. D'importantes difficultés d'application sont à prévoir. Rappelons également que la constitution de la liste des employés, responsabilité qui était jusqu'à aujourd'hui assumée par l'employeur, passera entre les mains de la Commission. Qu'il nous soit permis de laisser avec vous quelques questions. La CRT, la Commission des relations de travail, aura-t-elle la connaissance suffisante pour déterminer justement cette liste? Les délais seront-ils vraiment plus courts si la liste est faite par la Commission plutôt que par l'employeur?

Donc, Mme la Présidente, ce sont des inquiétudes que nous manifestons à l'égard du projet de loi n° 182, inquiétudes sur lesquelles nous aurons l'opportunité de revenir au cours des prochaines semaines. Merci.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Merci, M. le député de Mont-Royal. M. le député de Drummond, tout en vous rappelant qu'il reste 10 minutes à votre formation politique.

M. Normand Jutras

M. Jutras: Merci, Mme la Présidente. Effectivement, aujourd'hui, nous entamons les travaux sur le projet de loi n° 182, la Loi modifiant le Code du travail. Alors, c'est effectivement un projet de loi très important qui, effectivement, est attendu depuis plusieurs mois. Il s'agit donc là d'une pièce maîtresse de notre législation.

n (10 h 20) n

J'entendais le critique libéral qui nous disait que... D'un côté, il reprochait à la ministre d'avoir retardé; par ailleurs, il nous disait qu'on aurait pu attendre encore et on aurait pu encore reporter ça de quelques mois. J'aurais aimé qu'il se branche. Est-ce qu'on a retardé ou on aurait pu attendre quelques mois? Je n'ai jamais su au juste où il logeait par rapport à cela.

Mais, quand il parle des délais qui ont été encourus, je voudrais rappeler à l'opposition libérale qu'en 1987 eux-mêmes avaient adopté un projet de loi ? il s'était même rendu en troisième lecture et il avait été adopté à l'Assemblée nationale ? un projet de loi créant une commission des relations de travail. Non seulement à l'époque le Parti libéral, qui était au pouvoir, l'a adopté, ce projet de loi là, mais, par la suite, ne l'a jamais mis en application, il n'a jamais été sanctionné. Alors, si on veut parler de tergiversation, et d'hésitation, et de recul, je pense qu'on peut peut-être davantage se rappeler ce qui s'est passé du temps que le Parti libéral était au pouvoir, surtout que des problèmes que l'on retrouve dans notre Code du travail, ils sont là depuis plusieurs années et en aucun moment on n'avait senti à l'époque une volonté du Parti libéral, qui était au pouvoir, de les régler, ces problèmes-là. C'était toujours de les pelleter en avant, de refiler la responsabilité aux autres. Mais, nous, Mme la Présidente, ces responsabilités-là, on est capables d'y faire face, et c'est ce que nous présentons aujourd'hui.

Par ailleurs, je voudrais revenir sur une cassette qu'on a entendue encore ce matin à l'effet que l'option politique du Parti québécois empêcherait des entreprises de venir s'installer ici. Je le dis bien, c'est une cassette qu'on entend à répétition. Mais il y a combien d'exemples, Mme la Présidente, qu'on pourrait donner, au sein de l'économie québécoise, qui vont totalement à l'encontre de ce qu'a dit le critique libéral? Juste dans mon comté, dans Drummond, je peux vous donner plusieurs exemples d'entreprises qui se sont établies chez nous et à qui on a posé explicitement cette question-là: Est-ce que le contexte politique du Québec, est-ce que le fait que le Parti québécois, qui est au pouvoir, soit un parti souverainiste, est-ce que ça a influencé votre décision, est-ce que vous avez hésité à cause de cela?

Je prends juste, comme dernier exemple, la compagnie China WorldBest, qui s'installe à Drummondville, c'est 400 emplois. Au président de la compagnie, cette question-là a été posée, puis il a dit que ça ne l'avait influencé d'aucune façon. Et je pourrais vous donner d'autres exemples. Je pense aussi à Osram Sylvania, chez nous toujours, dans Drummond, où, à un moment donné, il était question que la compagnie ferme l'établissement à Drummondville pour s'en aller au Connecticut, ou l'inverse, et la compagnie a décidé de rester chez nous et, en plus, qu'on ait 250 emplois consolidés, c'est 400 nouveaux emplois qui ont été créés. Et toujours dans ce fameux contexte que le critique libéral dit nuire à l'économie du Québec, je peux vous donner l'exemple aussi de Soprema dernièrement, chez nous toujours, qui avait le choix de développer un centre de recherche, soit le développer à Drummondville ou le développer aux États-Unis. Encore là, ils ont fait le choix de le développer chez nous et, encore là, la question leur a été posée, et ils ont dit que, non, ça ne les avait pas préoccupés.

Je pense, Mme la Présidente, que c'est une... Et on pourrait demander à tous les députés qui sont ici de donner des exemples, et ils pourraient nous en donner, des exemples, qui sont tout aussi éloquents. Je pense que c'est une cassette qu'on a entendue depuis tant d'années, mais, finalement, ça ne colle pas à la réalité et ça ne traduit pas réellement ce qui se passe chez nous.

Je voudrais revenir aussi sur ce que le critique libéral disait, et ça, liant ça toujours à notre option politique, à l'effet que c'est un parti souverainiste qui est au pouvoir présentement, et il nous dit qu'on connaît présentement un taux de chômage plus élevé ici, au Québec, que dans le reste du Canada. C'est vrai. Même le vice-premier ministre et ministre d'État à l'Économie et aux Finances, Bernard Landry, le dit constamment, et ce qu'il nous dit, c'est que, effectivement, il faut améliorer cette situation-là.

Cependant, ce que je voudrais rappeler encore au critique libéral, c'est que cette situation-là, elle n'est pas due au fait que c'est le Parti québécois qui est au pouvoir et que c'est un parti souverainiste. Ça fait 50 ans que c'est comme ça et, même du temps que les libéraux étaient au pouvoir ? et Dieu sait qu'ils sont fédéralistes, eux; c'est le fédéralisme à genoux, qu'on pourrait dire ? même de leur temps, Mme la Présidente, la situation était même encore pire à ce chapitre. Alors, comment peut-on dire que, parce que c'est un parti souverainiste qui est au pouvoir, à ce moment-là le taux de chômage ici est plus élevé à cause de cela? Je répète que ça fait 50 ans que c'est comme ça, premièrement. Et deuxièmement, ce que je veux dire là-dessus, c'est que, à cet égard, nous avons une meilleure performance que les libéraux ont pu avoir durant tout le temps qu'ils étaient là, et, je répète, on sait à quel point ils sont fédéralistes, et l'écart du taux de chômage qu'il y a entre le Québec et le reste du Canada, nous avons réussi à le réduire, tandis que, tout le temps que les libéraux étaient là, ils n'ont jamais été capables de faire cela, et pourtant ils sont fédéralistes. Alors, il faut croire que le problème, il n'est pas là.

On a parlé du taux de chômage, on a parlé des investissements. Encore là, Mme la Présidente, les investissements se sont accrus et sont encore meilleurs du temps du Parti québécois, qui est toujours un parti souverainiste, que ce qu'on a connu du temps des libéraux. Alors, moi, je soumets, Mme la Présidente, que c'est vrai que nous avons encore un taux de chômage qui est trop élevé au Québec, mais vouloir lier ça à l'option souverainiste du Parti québécois, je pense que c'est faire fausse route et ce n'est pas voir la réalité telle qu'elle était.

En terminant, parce que vous me faites signe que mon temps s'achève, ce que je veux rappeler aussi... Le critique libéral disait que, avec Bernard Landry, le vice-premier ministre, 17 % des emplois à travers le Canada ont été créés au Québec. Il a dit: Ce n'est pas assez, on est 25 % de la population. Ce que je veux rappeler, encore là, c'est que, du temps des libéraux, tout fédéralistes qu'ils étaient, comparativement avec le reste du Canada, c'était 0 % d'emplois qu'ils créaient par rapport au reste du Canada. Nous, on en crée 17 %. Alors, je me dis: À quoi ça tient, cela? Alors, que le critique libéral vienne nous faire la leçon par rapport à notre option, je pense qu'il fait fausse route. Ce que je lui dis, c'est que 0 %, du temps des libéraux, de création d'emplois au Québec par rapport au reste du Canada versus 17 % du temps du Parti québécois, qui est un parti souverainiste, je pense que notre performance, Mme la Présidente, à cet égard...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Et voilà.

M. Jutras: ...elle est très bonne et bien meilleure à tous égards que celle du Parti libéral.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, merci. Merci, M. le député de Drummond. C'est malheureusement terminé de votre côté. Mme la députée de La Pinière, il faudra que vous soyez très brève, parce qu'il reste une minute à votre parti politique.

Mme Fatima Houda-Pepin

Mme Houda-Pepin: Merci, Mme la Présidente. Alors, je vais m'en tenir au projet de loi n° 182. Mon collègue le député de Mont-Royal et critique en matière du travail a bien campé notre position. Mais il y a un point qui me préoccupe tout particulièrement et qui est effectivement touché par le projet de loi n° 182, c'est toute la question de l'assimilation des travailleurs autonomes à la notion de salarié. J'en parle, Mme la Présidente, parce que j'ai eu l'occasion d'organiser sur la Rive-Sud de Montréal avec les partenaires du marché du travail un forum sur les travailleurs autonomes auquel ont participé pratiquement tous les intervenants patronaux, syndicaux, les milieux de l'éducation, et ce qui en ressort, c'est que les travailleurs autonomes ne veulent pas être encadrés par une législation du genre qui est proposé ici aujourd'hui. Alors, on aura l'occasion d'y revenir, Mme la Présidente. C'est un secteur important, les travailleurs autonomes sont dans toutes les activités de la vie économique, et il faut s'en préoccuper.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, je suis désolée, Mme la députée, mais je suis persuadée que vous allez avoir l'occasion de...

Mme Houda-Pepin: Très bien.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): ...revenir avec des questions dans le courant des audiences.

Mme Houda-Pepin: Merci beaucoup. Merci.

n (10 h 30) n

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, ceci met donc fin aux remarques préliminaires. J'inviterais donc le premier groupe que nous rencontrons ce matin, c'est-à-dire le Conseil du patronat du Québec, à bien vouloir prendre place.

Document déposé

Pendant que nos invités prennent place, j'aimerais aussi déposer, en fait, un envoi qui nous a été fait de l'Association des restaurateurs du Québec pour que finalement chacun des membres de la commission puisse en prendre connaissance.

Auditions

Alors, bonjour M. Taillon, bienvenue à votre groupe à cette commission. Je sais que vous êtes un habitué, vous savez donc que vous avez 20 minutes pour nous présenter votre mémoire. Mais auparavant il faudrait que vous nous présentiez les personnes qui vous accompagnent.

Conseil du patronat du Québec (CPQ)

M. Taillon (Gilles): Merci beaucoup, Mme la Présidente. Alors, je vais vous présenter les gens qui m'accompagnent, en commençant à ma droite, M. Gilles Demers, qui est le président de l'Association québécoise de l'aérospatiale et qui est aussi un industriel de ce secteur; Me Claude Le Corre, qui est associé principal du groupe Le Corre et qui est aussi un auteur prolifique dans le domaine des relations du travail; à ma gauche, Me Louise Marchand, qui est la directrice des relations du travail au Conseil du patronat; et Me Luc Beaulieu, qui est associé chez Ogilvy, Renault et qui fait partie du groupe travail et emploi. Me Beaulieu a longuement travaillé à la Commission des relations industrielles du Canada, donc il connaît bien ce mécanisme.

Alors, Mme la Présidente, Mme la ministre, M. le critique, Mmes, MM. les parlementaires, je veux d'abord vous remercier de permettre au Conseil du patronat de faire valoir son point de vue sur le projet de loi n° 182. Vous avez reçu notre mémoire. Il est accompagné aussi d'un mémoire technique que nous vous distribuerons tantôt ? la ministre et le critique l'ont déjà reçu ? pour aller plus loin dans vos travaux par la suite. Je me contenterai, ce matin, de vous faire état d'une façon synthétique du contenu du mémoire principal du Conseil en abordant principalement quatre grandes questions. Donc, nous avons quatre questionnements principaux. Mais surtout nous allons vous faire des propositions pour rendre ce projet meilleur.

D'entrée de jeu, je vous dirais que les entreprises du Québec, qu'elles soient privées ou publiques, sont inconfortables avec la mouture du projet de loi qui est sur la table. Vous aurez l'occasion d'entendre plusieurs associations patronales, plusieurs groupes d'entreprises, au cours de tout cela. J'ai parcouru leur mémoire, et vous allez constater que, par rapport aux questionnements que nous soulevons, les uns ou les autres apportent un peu le même type de remarques que ce que fait le Conseil du patronat du Québec.

Nous souscrivons à l'objectif fondamental que l'encadrement du travail, c'est une composante essentielle du développement des entreprises, du développement de l'emploi, donc de la croissance économique du Québec. Il faut donc un encadrement qui évite de nous singulariser mais qui plutôt nous met dans une position de compétition saine mais gagnante.

Le premier questionnement, le premier sujet qui nous interroge beaucoup et qui nous a surpris lorsque nous avons pris connaissance du projet de loi n° 182, c'est que nous n'arrivons pas à nous expliquer comment il se fait qu'après toutes les commissions d'experts, commissions mises en place par le gouvernement du Québec aux frais des contribuables, et comment il se fait qu'après certaines déclarations du vice-premier ministre, ministre des Finances et bientôt premier ministre, on n'ait pas apporté dans le projet de loi des modifications à l'article 45 du Code du travail visant à exclure la sous-traitance de cet article. Le projet est muet à l'égard de cette partie-là. Et c'est véritablement difficile pour nous d'accepter, dans le contexte où l'économie, la nouvelle économie, l'économie traditionnelle se développe à partir d'une multiplication des fonctions, d'une spécialisation, d'une délocalisation souvent de la production principale, il est très difficile de comprendre que le projet de loi résiste à cette obligation reconnue par tous de modifier 45 au titre de la sous-traitance.

Surprise aussi, de la part des entreprises publiques et parapubliques, de voir qu'on ne permet pas davantage d'impartition, à l'heure principalement où on fait des regroupements municipaux, où on veut rationaliser l'organisation sur le terrain, qu'on ne permette pas d'ouvrir à l'impartition, à la mise en concurrence des services entre le secteur public et le secteur privé. C'est vrai dans le domaine municipal, c'est vrai aussi dans le domaine scolaire et dans la gestion gouvernementale, plus globalement.

Donc, nous ne comprenons pas. Nous sommes extrêmement déçus de la formulation du projet tel que présenté. Et nous ne nous satisfaisons pas de la réponse qui nous est donnée jusqu'ici, à savoir qu'on trouve la solution au troisième alinéa de l'article 46. Pour le Conseil du patronat, et nous tenons à l'affirmer, nous ne retrouvons rien là-dedans. Le fait d'obliger ou d'amener les parties à négocier les conditions de la sous-traitance en maintenant l'épée de Damoclès que constitue 45, ça n'apporte absolument rien aux employeurs du Québec. C'est comme les obliger à négocier avec un fusil dans le dos. Donc, nous ne voulons pas de 46 dans son format actuel. J'ai compris que les centrales syndicales ne veulent pas de 46 parce qu'elles ont peur que ça fasse notre affaire. Donc, Mme la ministre, MM. et Mmes les parlementaires, il n'y a personne qui veut de 46, n'hésitez pas à le faire disparaître. J'arriverai aux suggestions à la fin de ma présentation.

Deuxième questionnement, c'est que nous avons l'impression ? et si nous nous trompons, on aimerait être infirmés dans notre jugement ? que ce projet vise surtout à pallier à la baisse de la syndicalisation au Québec, qu'on fait tous les d'efforts dans ce projet de loi là pour assurer une recrudescence ou un regain de membership au niveau des syndicats du Québec. Il ne nous apparaît pas que c'est là un objectif qui soit un objectif principal d'un projet de loi qui vise à moderniser le Code du travail. Nous avons au Québec un taux de syndicalisation qui est le plus élevé en Amérique du Nord, le syndicalisme n'est pas un problème, nous ne voyons pas pourquoi on placerait dans cette solution la solution ou le remède à notre performance ou à l'amélioration de notre performance économique.

Cela est particulièrement évident quand arrive cette espèce de volonté dans le projet de définir ou de vouloir syndiquer les entrepreneurs dépendants ou les faux autonomes. Nous pensons qu'il y a tout dans la législation actuelle, notamment la Loi sur les normes, dans la jurisprudence qui en découle, qu'il y a tout pour bien distinguer les vrais des faux autonomes, qu'il faut préserver l'entrepreneurship au Québec et non pas le développement du salariat et, par ricochet, de la syndicalisation. Bravo, si les gens désirent se syndiquer, mais nous ne voyons pas en quoi il faudrait absolument, dans un projet de Code du travail, favoriser cela au-delà de la bonne mesure.

Troisième questionnement important, ce projet introduit, à notre avis, un déséquilibre évident entre le patronat et les travailleurs, entre, donc, les employeurs et les organisations syndicales. Nous pensons qu'un bon Code du travail, c'est un Code qui réussit à faire l'équilibre entre les aspirations syndicales et les droits patronaux. Et, pour y arriver, je vous réfère à la page 14 de notre mémoire, où nous soulignons un ensemble d'éléments qui parviendraient à faire en sorte que la balance arrive à un équilibre et pèse davantage à égalité du côté des employeurs. Et nous voulons souligner, par là, la nécessité de mettre des mécanismes dans le Code du travail qui favorisent la liberté d'expression, qui favorisent la démocratie, l'exercice de la démocratie dans les processus d'accréditation. Nous souhaitons donc ? j'y reviendrai dans quelques minutes ? des solutions, des ajouts de ce côté-là, des ajouts qui sont absents du projet de loi n° 182.

n (10 h 40) n

Finalement, notre quatrième questionnement, c'est quant aux processus, aux modalités administratives, c'est-à-dire la Commission des relations du travail. Nous vous soumettons, là-dessus, que le modèle qui est emprunté dans le projet de loi n° 182, qui semble venir, à l'analyse, du modèle de la Commission des relations du travail de la Colombie-Britannique, est à peu près le plus mauvais modèle que l'on puisse se donner, puisque cette province a d'énormes difficultés dans la rétention des entreprises et dans l'attrait, l'attirance d'entreprises dans sa province, notamment le fait qu'il y ait double mandat, à la Commission, au sein de la même instance, le support et le curatif, notamment le fait qu'on confie des pouvoirs énormes à une bureaucratie qui semble, avec les pouvoirs qui sont décrits dans 182, jouir d'une très, très large autonomie, extrêmement périlleuse pour le climat des relations de travail. Nous souhaitons que l'État du Québec se donne les moyens d'être encore actif dans le domaine de relations de travail et nous déplorons que, dans 182, la ministre du Travail semble se départir de ses responsabilités au profit d'un organisme bureaucratique.

Ce que nous souhaitons, Mme la Présidente, c'est que, d'abord, au niveau de l'article 45, le projet de loi, à refaire, contienne des dispositions qui vont permettre de soustraire l'exercice de la sous-traitance de l'article 45, de faire en sorte qu'il y ait des dispositions claires ? et il y a des suggestions précises à la page 9 de notre mémoire ? qui seront à la charge et approuvées par l'employeur, que, si c'est fait pour détruire ou pour mettre fin soit à l'accréditation, soit à la négociation, une instance, soit d'appel soit une instance qui peut s'appeler une Commission des relations de travail, puisse venir faire en sorte d'assurer le transfert des obligations et des droits. Donc, il faut une disposition claire dans 45. Je ne reviens pas sur le fait qu'il faut faire disparaître le troisième alinéa de 46.

Quant aux éléments d'équilibre pour permettre à ce projet de respecter à la fois les droits des employeurs et les aspirations syndicales, nous soumettons qu'il faut absolument que, dans le Code, il y ait des dispositions qui permettent que l'employeur soit reconnu comme partie intéressée. Il faut en venir à des modifications touchant les dispositions antibriseurs de grève pour que le Québec cesse d'être la seule province qui les interdit complètement. Il est important de revenir à la notion de «travailleur de remplacement» dans les cas de grève qui ne sont vraiment pas faites pour des raisons qui sont acceptables au plan du développement économique. Il faut aussi introduire dans le processus d'accréditation obligatoirement un scrutin de représentation obligatoire secret pour permettre de bien vérifier la volonté des travailleurs syndiqués, ce qui convaincra sans doute les employeurs de ne pas aller plus loin dans les procédures juridiques visant toutes ces questions liées à l'accréditation.

Nous soumettons, Mme la Présidente, aussi qu'il est important de revoir toute la question de la définition de l'«entrepreneur dépendant». La ministre s'est inspirée de la jurisprudence pour codifier dans le texte les éléments qui vont déterminer l'appartenance du travailleur, entrepreneur dépendant ou, en fait, un faux autonome ou un vrai travailleur. Nous disons là-dessus: Il est important à cet égard, il est important absolument de bien préciser cela. Nous pensons que c'est inutile parce que d'autres lois comportent des dispositions. Mais, si la ministre souhaite le faire, elle devrait au moins y inclure tous les éléments de la jurisprudence, notamment les risques de perte et les possibilités de profit, et revoir la formulation du libellé des articles.

Et, quant à la Commission des relations de travail, nous soumettons qu'il serait peut-être intéressant, dans la reconfection du projet de loi, dans la réécriture, de revenir à la proposition du projet de loi n° 30, qui n'était pas parfait mais qui a une bien meilleure facture que ce que nous trouvons dans le projet de loi n° 182. La Commission des relations de travail, qui avait fait l'objet de négociations, est plus conforme à la réalité des relations de travail, c'est-à-dire au bipartisme qui fait en sorte que les relations de travail s'établissent entre employeur et employés.

Mme la Présidente, les membres qui m'accompagnent auront l'occasion de répondre à vos questions. Je vais tenter de diriger dépendamment de leurs responsabilités et de leurs compétences les questions qui nous seront adressées en fonction des membres qui m'accompagnent. Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Merci, M. Taillon. Nous allons donc procéder à la période d'échanges. Mme la ministre.

Mme Lemieux: Merci, Mme la Présidente. M. Taillon, je vous salue, je vous remercie d'être présent à cette commission. Je salue également les gens qui vous accompagnent et j'espère qu'on aura l'occasion effectivement d'échanger avec eux.

Peut-être un premier commentaire général. Mme la Présidente, j'ai eu l'occasion d'avoir de nombreux échanges avec plusieurs acteurs qui sont concernés par le Code du travail. J'ai aussi eu l'occasion d'entendre un certain nombre de représentations dans différents lieux, qui ont été faites par des représentants syndicaux et patronaux. J'ai fait la remarque récemment au président du Conseil du trésor à l'effet que le lien entre la syndicalisation et les indices économiques était un lien fort dangereux en ce sens qu'il y avait une tendance dans la société québécoise à assimiler des ratées, en termes de développement économique, au fait que nous ayons un taux de syndicalisation un peu plus élevé que l'environnement dans lequel nous sommes.

Je suis heureuse de voir que M. Taillon a entendu mes remarques. Mais je me permettrai d'apporter ces précisions au député de Mont-Royal, qui est tombé, comme on dit, les deux pieds dedans. Alors, le député de Mont-Royal nous a fait une longue liste sur un certain nombre d'indicateurs économiques, à quel point ceci et cela était difficile. Et, il faut se le dire, la toile de fond est la suivante, c'est parce que le Québec est trop syndiqué. Je ne veux pas lui prêter des intentions, mais on n'est pas loin d'entendre: Si on n'était pas syndiqué du tout, ça irait pas mal mieux.

Alors, je veux qu'on rappelle, qu'on se rappelle tous, les membres de cette Assemblée, une chose simple, l'OCDE. On ne peut pas qualifier l'OCDE comme étant une organisation complaisante et très à gauche. L'OCDE, donc, a dit clairement, après avoir fait des pages et des pages de recherche: «Notre analyse n'a permis de mettre en évidence aucune relation statistiquement significative entre les indicateurs de performance économique et le système de négociations collectives, que celui-ci soit représenté par le taux de syndicalisation ou de couverture conventionnelle.» En d'autres mots, ceux qui seraient tentés de dire: C'est parce qu'on est trop syndiqué, au Québec, qu'on ne récolte pas tous les fruits de nos efforts en termes de développement économique, se trompent et font fausse route.

J'ai déjà dit par ailleurs qu'une certaine rigidité de nos règles en matière de relations de travail pouvait nous jouer des tours. Mais, si on ne s'entend pas sur cet élément de base, où allons-nous? Et, je me permettrai, M. Taillon, dans votre mémoire, vous dites à un moment donné que toutes les entreprises québécoises et de l'extérieur doivent avoir les mêmes capacités que leurs concurrents de Hong-Kong. J'espère juste que la Chine n'est pas notre modèle de régulation de rapports de travail. Ceci étant dit, j'exagère un peu mon propos, mais c'est de ça dont il s'agit. Et je pense que c'est important, au début de cette commission, de se rappeler ces éléments de base, notamment de la part de l'opposition officielle, qui a pris soin de copier-coller des interventions de certaines organisations patronales.

Ceci étant dit, il y a deux questions plus pratiques que je voudrais aborder avec vous, M. Taillon. Vous l'avez fait dans votre mémoire, vous le faites aussi dans le document technique. Évidemment, ce sera autour des articles 45 et 46. D'abord, vous dites: Le troisième alinéa de l'article, l'effet de cet alinéa est annulé à cause de l'article 222. Alors, qu'est-ce qu'on dit? À l'article 46, le troisième alinéa dit, en gros: S'il y a une entente... D'ailleurs, c'est assez fascinant de voir à quel point les deux parties réagissent à cette proposition-là d'entente au sujet de la sous-traitance. Ça me donne beaucoup d'espoir, on est sur une bonne piste. C'est ce que ça me fait dire. Alors, qu'est-ce que dit cet alinéa? S'il y a une entente entre les parties au sujet de la suite des choses quant à la question de la sous-traitance, cette entente-là pourrait donc avoir préséance sur l'application de l'article 45.

n (10 h 50) n

Et vous dites, en gros, votre argumentaire est de dire: Oui, mais, puisque l'article 222 dit la chose suivante: «Les dispositions du troisième alinéa [...] n'ont d'effet qu'au regard de conventions collectives modifiées ou conclues après la date de l'entrée en vigueur de ces dispositions», ça s'annule, somme toute.

Moi, je voudrais vous rappeler le dossier des clauses orphelin. Vous vous rappelez de ces dispositions que nous avons introduites dans la Loi sur les normes du travail. Et nous avons pris soin de dire que les obligations qu'on devait s'imposer devaient s'imposer pour l'avenir et que c'était un peu difficile ? et j'ai fait ce plaidoyer-là, et vous me l'avez fait aussi ? de statuer sur des dispositions de conventions collectives qui ont été convenues à un moment x et d'y apporter un effet rétroactif. Je ne sais pas si vous me suivez dans mon raisonnement, mais on a dit: Ça sera à partir des nouvelles conventions qu'on doit s'imposer cette obligation d'éviter les clauses de disparité de traitement. C'est bien facile, avec le regard d'aujourd'hui, de disposer de quelque chose du passé, mais ce qui a été disposé dans le passé l'a été dans un contexte x. En d'autres mots, s'il y a actuellement des clauses dans les conventions collectives qui concernent la sous-traitance, elles ont été convenues dans un contexte où l'article 46, avec ses modifications, n'était pas présent. Donc, il y a quelque chose d'un peu malhonnête de vouloir trouver tout d'un coup ces dispositions-là merveilleuses, dispositions qui ont pu être conclues il y a cinq ans, 10 ans. C'est souvent du copier-coller, hein, ce genre de dispositions là. Il faut faire passer le test des nouvelles réalités qui sont proposées par le projet de loi. Alors, je veux bien m'assurer qu'on se comprend bien par rapport à cela.

Le deuxième élément pratique que je voudrais aborder avec vous... Vous proposez, en gros, de nous inspirer d'une législation du Nouveau-Brunswick. Vous dites en gros: On devrait soustraire les contrats d'entreprise de l'article 45 à moins qu'un tel contrat n'ait été octroyé dans le but de miner la représentativité syndicale. Vous dites: On est prêts à avoir le poids de cela. Vous savez également que, dans la législation de Nouvelle-Écosse ? c'est un agencement, ce genre de dispositions là ? il existe des dispositions au sujet de la déclaration d'employeur unique. Alors, est-ce que vous n'êtes pas... Quand vous nous faites cette proposition-là, vous prenez les éléments qui font votre affaire, mais vous oubliez qu'il y a tout un agencement dans leur propre code, comme nous cherchons à le faire. Alors, est-ce que votre proposition ne devrait pas être accompagnée de cette technique qui est bien connue au Canada anglais, de déclaration d'employeur unique?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. Taillon.

M. Taillon (Gilles): Oui. Je vais me permettre quelques remarques puis ensuite je vais demander à Me Beaulieu de réagir sur 222, 46 et les dispositions touchant l'employeur unique.

D'abord, la ministre ? je veux tout de suite corriger ? a dit qu'elle avait rencontré le président du Conseil du trésor pour me parler. Je pense que c'est le président du Conseil du patronat, pour éviter que les transcriptions me donnent une fonction qui n'est pas la mienne, M. Léonard ne sera pas de bonne humeur.

Quant au taux de syndicalisation, je vous dirais, il faut bien comprendre notre message. Pour nous, la syndicalisation n'est pas... il n'y a pas d'adéquation à faire entre taux de syndicalisation et progrès économique parce que, sinon, nous serions les champions, nous serions premiers. Alors, nous ne sommes pas premiers au Québec. Il faut le devenir, mais nous ne le sommes pas encore. À preuve, nous recevons de la péréquation du fédéral.

Quant aux vertus de l'OCDE, nous avons fait aussi les mêmes lectures, Mme la ministre, et l'OCDE dit bien, dans son rapport de 1994 ? nous le citions d'ailleurs dans notre bulletin, en mai 1999 ? qu'il y a un lien entre la syndicalisation et le niveau et la nature de la création d'emplois. Donc, il y a un lien à faire entre les deux. Ce n'est pas l'unique facteur, ce n'est pas une corrélation à un, mais on ne peut pas dire qu'on met ça sous le tapis non plus en prenant le même rapport ou les rapports semblables à ceux que vous citez.

Je voudrais que vous évitiez aussi de conclure que, parce que la partie patronale et la partie syndicale ne s'entendent pas sur 46, vous avez la bonne formulation, parce que ce serait dire que finalement tout le monde est contre la peine de mort, vous allez nous l'imposer quand même. Je ne pense pas que ce serait un bon raisonnement.

Là-dessus, passons à l'article 222, l'article 46 et la question de la proposition inspirée de l'exemple Nouvelle-Écosse. Je passe la parole à Me Beaulieu.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. Beaulieu.

M. Beaulieu (Luc): Oui, bonjour. Alors, en présumant, pour les fins de la discussion, que le troisième alinéa rencontre les préoccupations patronales, ce qui n'est pas sûr ? je ne veux pas m'étendre là-dessus, c'est sur le caractère rétroactif, c'est ça, je pense, que vous nous interpellez ? ce que vous nous dites, c'est qu'il y a quelque chose d'inéquitable dans le fait de donner un effet rétroactif à une telle disposition. La réponse là-dessus est la suivante. C'est, quand on lit le texte, ce que vous proposez essentiellement, ça dit: Si on a une entente dans la convention collective qui dispose déjà des conséquences, entre guillemets, défavorables d'une sous-traitance, l'article 45 ne s'applique pas.

Donc, ma première réponse, c'est: De toute façon, la disposition en elle-même contient la protection contre les effets de la sous-traitance. Parce que, si la convention ne contient pas ces éléments-là, bien, la Commission va appliquer l'article 45. Alors, ce qui nous a surpris, c'est de constater que, comme la protection existait à l'égard des salariés, pourquoi on n'en jouissait pas immédiatement, on n'avait pas une application immédiate. Alors, en allant dans les dispositions transitoires, on découvre le fameux article 222 qui, dans le fond, oblige essentiellement un employeur qui verrait un avantage là-dedans à renégocier cette disposition pour pouvoir bénéficier de l'avantage.

La première réaction, c'est qu'on estime, nous autres, que la possibilité d'obtenir ça va être à l'échéance des conventions collectives. On n'aura pas ça en cours de convention collective, ça va être à l'échéance de la convention collective. Vous savez qu'on a au Québec une particularité, on peut conclure des conventions collectives de longue durée. Donc, il se pourrait qu'à l'entrée en vigueur de votre projet de loi il y ait des conventions de six ans qui avaient été signées. Donc, le caractère, disons, permissif, si vous le voyez comme ça, de cette disposition, on ne pourrait en bénéficier qu'au terme de cette convention collective. Alors, ça, c'est le premier volet de notre réaction.

Le deuxième volet, c'est que, si on est sensible à l'argument de la non-rétroactivité des nouvelles dispositions, bien, à ce moment-là, moi, j'inviterais tout le monde à faire l'exercice de se poser la question s'il est équitable aussi de donner une application immédiate à d'autres changements qui sont dans cette loi-là quand on n'a pas prévu dans les dispositions transitoires qu'il faudrait attendre que les gens aient le temps de mesurer ses impacts.

Je prends l'exemple de l'entrepreneur dépendant, qui n'est pas soustrait à l'application immédiate de la loi. Il y a beaucoup d'entreprises qui, le lendemain de l'entrée en vigueur, vont faire l'objet de requêtes devant cette nouvelle Commission pour vouloir inclure dans une unité de négociations déjà existante des entrepreneurs dépendants à l'intérieur de conventions collectives déjà signées. Ils ne bénéficieront pas, si vous voulez, d'une clause qui dirait: Bien, on va attendre, avant de permettre ce genre de balayage dans les unités de négociations, que les parties aient l'occasion de négocier des conventions collectives pour s'ajuster à ce nouvel ajout de salariés. Alors, je complète sur ce volet-là en disant: Bien, si on veut avoir de la cohérence en matière de rétroactivité, il faut aller jusqu'au bout de notre logique. Mais je vous rappelle que la protection, de toute façon, est incluse dans l'article lui-même.

Quant au test de la Nouvelle-Écosse, là-dessus, ça appelle tout un autre débat qui demanderait qu'on fasse effectivement une refonte globale. Ce que vous nous reprochez, c'est un peu le même reproche qu'on vous fait, avec égards, c'est qu'on a fait du «cherry picking» un peu partout, même dans votre réforme. Alors, si on veut parler d'une réforme globale où on va rétablir un équilibre, c'est sûr qu'on peut mettre tout sur la table, mais je pense qu'on ne pourra pas le faire à l'occasion seulement de l'article 46 ou de l'employeur unique. Il faudrait avoir une approche, une refonte globale où on se poserait la question: Est-ce qu'on repart avec une page blanche pour partir avec un nouveau Code avec un équilibre total?

Alors, je suis sensible à votre argument, mais je dis qu'il faudrait, à ce moment-là, l'appliquer à l'ensemble du Code. Et là je vous rappellerai que, si on veut faire un parallèle avec d'autres juridictions, on pourrait prévoir la liberté d'expression, le scrutin obligatoire. Il y a un paquet de dispositions aussi qui manquent, qu'on retrouve dans d'autres juridictions. Donc, je trouve que votre argument là-dessus est valable, mais il faudrait l'appliquer à l'ensemble du Code, pas juste à l'article 45.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, Mme la ministre.

Mme Lemieux: Vous ne me répondez pas, là. Moi, je veux bien, là, mais... Vous avez fait un long mémoire, un document technique, j'en ai pris connaissance, je vais en reprendre connaissance. Je vous la pose, la question. Parce que, si vous me renvoyez la balle, on n'en sortira pas.

M. Beaulieu (Luc): Mme la ministre, c'est que...

Mme Lemieux: Je vous pose la question très honnêtement. Vous introduisez cette hypothèse-là, mais, je vous dis: Il y a un morceau qui manque, là. Ne pensez-vous pas qu'il y a un morceau qui manque? Là, vous me dites: Bien, vous aussi, il vous en manque des morceaux. On n'en sortira pas, là. Pouvez-vous vous avancer un peu sur cette question-là, la déclaration d'employeur unique?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. Taillon.

M. Taillon (Gilles): Merci beaucoup, Mme la Présidente. Alors, nous sommes prêts, si vous acceptez de revoir le libellé de vos 45 et 46, à regarder l'ensemble de la situation. D'ailleurs, Mireault en parlait de l'employeur unique. On va regarder ça à la lumière de l'engagement que vous prenez de revoir votre libellé actuel. C'est sûr qu'on est prêts à regarder ça, on est ouverts.

n (11 heures) n

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. le député de Mont-Royal.

M. Tranchemontagne: Merci, Mme la Présidente. M. Taillon, je vous salue, je vous souhaite la bienvenue également à la commission. Je salue également, je profite de l'occasion pour saluer les personnes qui vous accompagnent.

J'ai une question principalement au début en ce qui a trait aux travailleurs autonomes. Vous avez mentionné, si je vous ai bien compris, qu'à la limite, ce que vous préféreriez, c'est que la notion de travailleur autonome ne soit pas incluse dans... autonome dépendant, devrais-je dire, que la notion ne soit pas incluse dans la loi et que, si, à la limite, même, il fallait l'inclure, au moins tous les critères utilisés présentement dans la jurisprudence soient utilisés. J'aimerais vous poser la question suivante, étant donné que vous êtes accompagné par des gens qui ont une longue expérience dans le domaine des relations de travail: Pourriez-vous nous donner des exemples, pour éclairer la commission, et la ministre par le fait même, pourriez-vous nous donner des exemples de situations qui pourraient être entraînées justement par une définition telle qu'on la retrouve dans la proposition de 182, telle qu'on la retrouve donc sur le travailleur autonome dépendant?

M. Taillon (Gilles): Alors, d'entrée de jeu, Mme la Présidente, je dirais au critique de l'opposition officielle qu'a priori, pas à la limite, a priori, on souhaiterait que le Code ne parle pas de la définition de... À la limite, s'il faut en parler, il faudrait le définir correctement. Maintenant, je pense que vous référez à nos experts. Me Le Corre, est-ce que vous avez des exemples qui pourraient illustrer aux parlementaires un peu ce qui se passerait dans l'application de cela?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Me Le Corre.

M. Le Corre (Claude): Le problème est que la définition est incomplète, elle ne rejoint pas tous les critères de la jurisprudence, en particulier le critère de perte ou profit, et elle utilise des termes vagues et elle est beaucoup liée à la discrétion de la Commission. Alors, c'est difficile de prédire qui sera et qui ne sera pas syndiqué, accidentellement ou pas, par une disposition semblable. Par exemple, il n'est pas prévu qu'un entrepreneur qui a lui-même des employés ne sera pas syndicable. Alors, je sais que vous avez eu des mémoires, je pense, du monde forestier où, dans ce genre d'entreprise, vous pouvez avoir des personnes qui ont des millions d'investis, ont une centaine d'employés, puis, pour les fins de cet article-là, seraient eux-mêmes salariés vis-à-vis du donneur d'ouvrage qui est le détenteur du contrat d'approvisionnement forestier. Alors, ça va créer des situations absurdes.

D'autres situations, c'est que ça va entraîner, s'il n'y a pas d'autres clôtures à ça, la syndicalisation immédiate de certains groupes de personnes qui n'ont jamais voulu l'être, on oublie de leur demander leur avis, par balayage, pour reprendre l'expression qu'a utilisée mon confrère. Si vous avez, par exemple, une accréditation qui dit: Tous les salariés dans une entreprise comme, je ne sais pas, moi, Hydro-Québec, tous les ingénieurs, alors tous les ingénieurs à contrat pour Hydro-Québec qui auraient une dépendance économique et un certain encadrement seraient susceptibles de devenir employés syndiqués d'Hydro-Québec par le biais de ça sans jamais l'avoir demandé, sans jamais l'avoir surtout voulu. La définition est bien trop large. Comme il n'y a pas de notion de perte ou profit, n'importe qui qui a un contrat majeur avec une entreprise, que ce soit Canadair, Hydro-Québec ou autre chose, et que cette entreprise est syndiquée dans des termes larges ? ce qui est souvent le cas, il y a beaucoup de certificats d'accréditation, c'est tous les salariés, sauf ceux exclus par la loi ? ils vont risquer de se ramasser syndiqués sans l'avoir voulu. Je ne pense pas que ce soit ça qu'on appelle la libre adhésion syndicale. La définition est beaucoup trop large.

Dernier problème qu'on a avec ça, si vous regardez l'interprétation qu'on a donnée à 45, 46 dont on vient de parler, on a des textes assez semblables aux autres juridictions, puis, pourtant, nous, on finit comme les seuls en Amérique du Nord que le sous-contrat est couvert. Alors, imaginez que vous donnez à ces mêmes gens-là... interpréter ça, ce qui est déjà beaucoup plus large que la jurisprudence actuelle, puis je ne sais pas avec quoi on va finir syndiqué là, on va manquer d'exemples pour la prochaine fois, c'est-à-dire, on va manquer de temps pour vous donner des exemples la prochaine fois.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. le député de Mont-Royal.

M. Tranchemontagne: Veux-tu y aller?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Ah! Bien. À ce moment-ci, M. le député de Maskinongé. Je procède par alternance, Mme la députée de La Pinière. Alors, M. le député de Maskinongé.

M. Désilets: Question d'information, Mme la Présidente. Il nous reste combien de temps à notre formation politique?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Il reste cinq minutes.

M. Désilets: Cinq minutes?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): À votre formation politique.

M. Désilets: O.K. Je vais être bref. Je vais poser seulement une question, j'en avais quelques-unes de prévues, mais je sais que mes collègues de la partie ministérielle ont d'autres questions à poser. Je vais m'en tenir à une question, la fameuse loi antibriseurs de grève. M. Taillon, vous avez mentionné que, pour vous, ça, c'est un irritant important. Par contre, ne trouvez-vous pas que le fait d'avoir une loi antibriseurs de grève ? on est les seuls au Canada, vous mentionnez qu'on est les seuls à avoir ça ? ça ne favorise pas, d'après vous, une obligation de négociation et un respect des travailleurs, dans le sens qu'on ne peut pas faire n'importe quoi, c'est nos employés, et la loi antibriseurs de grève favorise justement la relation, ou l'obligation de relation, ou d'entrer en contact avec eux pour avoir une entente négociée? Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Taillon (Gilles): Me Beaulieu.

M. Beaulieu (Luc): Ce qu'on propose, ce n'est pas de revenir à avant l'entrée en vigueur de la loi antibriseurs de grève. Ce qu'on propose, c'est que, puisqu'on introduit au Québec le concept de pratique déloyale ? je ne veux pas être trop technique, là, mais on peut demander maintenant à la Commission d'ordonner, dans votre exemple, à un employeur qui agit d'une mauvaise façon, en contravention au Code, de réparer de toutes sortes de manières... On dit: À ce moment-là, pourquoi ne pas importer les mêmes concepts eu égard aux travailleurs de remplacement? Je prends l'exemple du code fédéral. Le code fédéral, il ne donne pas une licence aux employeurs d'utiliser les travailleurs de remplacement à tort et à travers. Le seul cas où l'employeur peut utiliser des travailleurs de remplacement de façon légale, c'est pour résister économiquement à une grève légale, et non pas les utiliser pour briser le syndicat. Et c'est ça, l'objectif, normalement, d'une disposition antibriseurs de grève, comme le mot l'indique, briser la grève, ne pas permettre à un employeur de briser un syndicat en utilisant les travailleurs de remplacement.

Alors, ce qu'on dit, c'est qu'il y avait une occasion ici ? quand on parle de rétablir l'équilibre, puisqu'on importe ou on dit qu'on veut s'ajuster sur les autres provinces ou les autres juridictions ? d'importer le même concept qui consiste à dire qu'un employeur peut, pour résister économiquement à un conflit, utiliser des travailleurs de remplacement et, s'il le fait dans un autre but, il fera l'objet d'une plainte de pratique déloyale et éventuellement d'une ordonnance lui disant: Tu ne peux plus les utiliser. C'est ce qu'on appelle une interdiction relative des travailleurs de remplacement plutôt qu'une interdiction absolue. C'est une prohibition absolue ici, que tu veuilles utiliser des travailleurs de remplacement simplement pour résister correctement, dans le fond, pour ne pas faire faillite, tu n'as pas le droit, tandis que, au fédéral, par exemple, un employeur qui veut tout simplement résister à ces fins-là, on va lui permettre d'utiliser des travailleurs de remplacement, mais on ne lui permettra pas d'utiliser des travailleurs de remplacement à 3 $ de l'heure de moins que son offre à la table simplement pour faire durer la grève. Donc, c'est dans ce sens-là qu'on faisait cette proposition-là, en disant: Écoutez, on a une occasion qui nous est donnée de s'ajuster, si vous voulez, de s'harmoniser avec les autres; bien, pourquoi on n'en profiterait pas à cet égard-là? Puis on a donné d'autres exemples, mais je ne veux pas m'étendre là-dessus.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): D'accord, merci, M. Beaulieu. Alors, Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: Merci, Mme la Présidente. Alors, M. Taillon, madame et messieurs du Conseil du patronat, merci pour l'éclairage que vous nous avez apporté.

Je voudrais rester avec la question des travailleurs autonomes, et vous savez que ce projet de loi n° 182 y touche de façon assez importante. La Fédération canadienne de l'entreprise indépendante a travaillé ce dossier de façon assez pointue. Il en ressort que 87 % des travailleurs autonomes choisissent de travailler selon ces conditions-là vraiment parce qu'ils l'ont souhaité, parce qu'ils l'ont voulu, par choix. Également, on a lu dans l'un des résultats des sondages qu'ils ont faits que 82,2 % des travailleurs autonomes se considèrent comme des entrepreneurs sans pour autant être eux-mêmes employeurs et, finalement, que 87,6 % sont en désaccord avec le fait d'être considérés comme salariés. C'est quand même assez significatif. On sait également que le travail autonome, c'est une tendance qui s'est dessinée dans le marché du travail, mais qui est une tendance en perpétuelle croissance, et que ça touche tous les secteurs d'activité, du transport à la foresterie, aux communications, etc. Est-ce que, selon vos études et selon vos données, vous considérez qu'il y a des secteurs où cette législation, cet encadrement pourrait affecter davantage certains types de travailleurs autonomes?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Taillon.

n (11 h 10) n

M. Taillon (Gilles): Tel que défini ou tel que présenté, nous pensons que ça pourrait affecter tous les secteurs d'activité. Et nous avons des contacts constants avec les associations de travailleurs autonomes, et il y en a plusieurs, et vous avez raison de dire et d'affirmer que les gens, majoritairement, ne veulent rien savoir d'être syndiqués; ils se considèrent comme des entrepreneurs indépendants, ils bénéficient d'avantages qu'ils veulent conserver. Donc, pour nous, il est clair qu'il faudrait bannir cela. Si, à la limite, en termes de repli, on décidait de définir, il faudrait le définir correctement et éviter toutes les possibilités de faire en sorte que des entrepreneurs deviennent des salariés par le biais d'automatismes juridiques. C'est ça qui, pour nous, est important.

Maintenant, il faut faire attention aussi, il est important, dans une économie nouvelle, dans une société comme la nôtre, de bien s'assurer qu'on a des soupapes au niveau de la capacité de développer l'entrepreneuriat. On sait ? et je corrigerais un petit peu votre assertion ? que le travail autonome croît davantage dans les périodes de difficultés économiques. Donc, il s'agit d'une soupape à la situation d'un marché du travail qui est en problème; les gens deviennent plus indépendants et créent leur propre entreprise. Il ne faudrait pas boucher cette possibilité-là, parce que, quand la situation va être mauvaise économiquement ? et on sait qu'il y a des cycles ? on aura de sérieux problèmes. En période de croissance, l'augmentation du nombre de travailleurs autonomes n'est pas si importante que cela, il y a des recherches qui sont venues démontrer ça récemment.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: C'est pour ça qu'on cherche votre éclairage. Effectivement, c'est à la faveur de difficultés au niveau de l'entrée au marché du travail que ce phénomène s'est développé. Mais il semblerait que la tendance croît sensiblement et, comme vous l'avez si bien dit, dans tous les secteurs.

Moi, ce que je retiens en tout cas de ce débat, des discussions que j'ai eues avec les travailleurs autonomes dans le forum qu'on a organisé sur la Rive-Sud, c'est qu'ils nous disent: Ce qui nous caractérise, c'est qu'on est autonome; donc, si le gouvernement veut nous encadrer par une législation, veut nous assimiler à un travailleur salarié, on perd cette autonomie que nous avons choisie ? pour les multiples raisons d'ailleurs qu'ils peuvent donner.

Une autre question. À la page 14 de votre mémoire, vous parlez de la Commission des relations du travail et vous dites qu'en principe vous n'êtes pas nécessairement favorables avec cette nouvelle structure, mais, si elle doit exister, il faudrait que son mandat soit très limité parce que ça déresponsabilise la ministre de ses pouvoirs et de son mandat de médiation et de conciliation. Pourquoi est-ce que c'est si inquiétant pour vous de déléguer un certain nombre de pouvoirs ministériels à une autorité administrative?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. Taillon.

M. Taillon (Gilles): C'est inquiétant parce que nous pensons qu'il y a une imputabilité ministérielle qu'il faut préserver. Je pense que c'est fondamental. Lorsqu'on confie à une instance bureaucratique des pouvoirs importants, des pouvoirs donc de vie ou de mort sur des décisions, il nous apparaît qu'il peut y avoir de sérieux problèmes de reddition de comptes et d'imputabilité, et nous sommes très inquiets de cela. C'est un peu dans cette optique-là que nous souhaitions qu'on revienne peut-être à une meilleure définition, à un meilleur calibrage des pouvoirs, et je pense qu'à cet égard-là le projet de loi n° 30 était de meilleure facture que ce qu'on a sur la table.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, merci. M. le député de Gaspé, je vous rappelle qu'il reste à peine deux minutes, donc très rapidement.

M. Lelièvre: Très rapidement. Je voulais, moi aussi, poser une question sur les travailleurs de remplacement: Jusqu'où peut aller l'embauche de travailleurs de remplacement pour éviter un conflit économique? Parce que, à mon avis, on a connu au Québec, dans le passé, énormément de difficultés avec les briseurs de grève avant qu'on ait une loi antibriseurs de grève, et là, vous dites dans votre mémoire, à la page 11, que vous ne voulez pas une partie des pouvoirs de la Commission parce que ça va rompre un équilibre déjà très fragile entre les parties. Comment l'introduction d'une telle mesure ne viendrait pas rompre cet équilibre et jusqu'où ça peut aller?

M. Taillon (Gilles): Me Beaulieu.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Me Beaulieu.

M. Beaulieu (Luc): Oui. Alors, je vous rappelle que les abus auxquels vous faites référence, dans les cas où il y en a eu ? puis on n'est pas là pour dire qu'il n'y en a pas eu ? c'était dans un contexte où il n'y avait pas de disposition... aucune disposition qui régissait... Ce qu'on propose, encore une fois dans une approche équilibrée, c'est d'avoir une disposition qui va enrayer le recours abusif, justement, aux travailleurs de remplacement.

Votre question, vous posez: Mais jusqu'où on peut aller? Ça, ça dépend de chaque entreprise, ça dépend de chaque cas d'espèce. C'est pour ça que la Commission, lorsqu'elle est saisie d'une plainte de pratique déloyale, elle doit justement analyser la plainte du syndicat, si, dans un cas particulier, le recours à un travailleur de remplacement a été fait dans le but de résister à un conflit ou a plutôt été fait dans le but de, si vous voulez, miner la capacité du syndicat de négocier, de la miner auprès de ses salariés, de ses membres.

M. Lelièvre: Les travailleurs vont-ils provenir de l'extérieur de l'unité syndicale?

M. Beaulieu (Luc): Des travailleurs peuvent provenir autant de l'extérieur que de l'intérieur. Dans ces juridictions-là, il n'y a pas de distinction à faire.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, voilà, ça met fin au temps qui était alloué au parti ministériel. Maintenant, M. le député de Mont-Royal.

M. Tranchemontagne: Merci, Mme la Présidente. M. Taillon, vous avez manifesté certaines inquiétudes à l'égard de la Commission elle-même, et j'aimerais vous poser la question suivante: Quel serait, globalement, le rôle de la Commission? Parce que vous ne vous êtes pas déclaré totalement contre la Commission. Vous déclarez, par exemple: ce pouvoir énorme ou trop grand pouvoir de la Commission. Quel serait, selon vous, un rôle de la Commission, en supposant que la Commission existe, un rôle qui serait acceptable du point de vue du Conseil du patronat?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Taillon.

M. Taillon (Gilles): Je vous disais donc, M. le député, que nous souhaitions peut-être coller davantage au projet de loi n° 30 quant à la façon dont la Commission pourrait exercer ses pouvoirs. Je vais demander à Me Beaulieu, qui a largement travaillé à l'époque de la préparation de ce projet-là, de vous donner des exemples précis sur les pouvoirs qui existent dans le projet de loi n° 30 et qui seraient bien meilleurs que ceux qu'on a ici.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Me Beaulieu.

M. Beaulieu (Luc): Oui. Avant que je ne l'oublie, la première chose qui nous a surpris dans le projet tel qu'il est présenté... il y a l'aspect d'imputabilité du ministre, mais il y a aussi un aspect... je ne veux pas tomber trop technique, mais il y a un aspect où, sur le plan légal, c'est extrêmement fragile d'avoir des pouvoirs exécutifs qui seraient regroupés au sein d'un organisme qui exerce des fonctions quasi judiciaires. Moi, je suis d'avis, personnellement, que le projet de loi tel qu'il est présenté fait en sorte qu'il va faire l'objet de sérieuses remises en question sur la base de l'article 23 de la Charte, malgré les tentatives qu'on a faites de créer une étanchéité entre les fonctions qui étaient auparavant exercées par le ministère du Travail. Donc, tout simplement, à cette enseigne-là, la projet de loi n° 30 était supérieur parce qu'on ne faisait pas ce mélange, si vous voulez, des fonctions exécutives et quasi judiciaires. D'ailleurs, je souligne qu'on sera la nouvelle province à avoir ça en Amérique du Nord, ça n'existe pas ailleurs, à part la Colombie-Britannique, et le fédéral, lorsqu'il a fait sa réforme du Code du travail y avait pensé, il avait décidé, pour les motifs que j'exprime, de ne pas mélanger le rôle d'une commission qui entend les parties de façon indépendante et impartiale avec un autre rôle qui consiste à les aider, les assister et même parfois presque gérer leurs négociations collectives.

Si on revient, par ailleurs, à la commission comme telle, telle qu'elle nous est présentée. La première valeur qu'il y avait dans le projet de loi n° 30 ? puis écoutez, le projet de loi n° 30, on l'a dénoncé à l'époque, je ne pensais pas qu'un jour je dirais des bonnes choses sur le projet de loi n° 30, mais il faut bien constater aujourd'hui, par rapport à celui qui nous est présenté, qu'il y avait des bonnes choses dedans ? il y avait une clarté dans ses dispositions qu'on ne retrouve pas ici. Quand on lisait le projet de loi n° 30, on ne se posait pas des questions comme on se pose en ce moment: La Commission a compétence sur quoi? Elle peut exercer quelle sorte d'ordonnance? Contre qui? Il n'y avait, au moins, aucune ambiguïté dans la rédaction du projet de loi.

Il y avait également un concept d'audiences à trois plutôt qu'à un, des formations en banc de trois, qui pouvait garantir également, lorsqu'on commence à interpréter des nouvelles dispositions, d'avoir une jurisprudence qui progresse de façon un peu plus cohérente. Et il y avait également, comme vous l'avez souligné vous-même, des garanties quant à la consultation des parties, pour les gens qui allaient éventuellement rendre des décisions et exercer des pouvoirs exorbitants. Et je termine sur ces pouvoirs.

n (11 h 20) n

Dans le projet de loi n° 30, on ne conférait pas toute la gamme complète des pouvoirs de redressement qu'on retrouve ici. Et, nous, on s'interroge, je ne veux pas être... je ne peux pas vous donner des exemples, mais il y a des pouvoirs qu'on a conférés à la Commission qui actuellement ne sont exercés que par le Conseil des services essentiels, et la raison pour laquelle on les a accordés au Conseil des services essentiels, c'est que la mission du Conseil des services essentiels, c'est de veiller à la protection du public, à la santé et à l'intérêt public, alors que la Commission des relations du travail, ce n'est pas ça, sa mission, c'est, dans le fond, de gérer des relations des parties privées. Alors, il y a une gamme de pouvoirs de redressement qui n'ont pas leur place dans ce genre d'activité, et je donne comme exemple le pouvoir de s'ingérer dans la procédure de grief, dans la procédure d'arbitrage, de modifier la convention collective. Alors, ça, c'est ce genre de disposition qui n'a pas sa place dans le secteur privé, et peut-être que, dans certaines occasions, c'est justifié de le faire dans le secteur public. Et on pourrait... on a donné aussi beaucoup d'exemples.

Dernière chose également. On aurait pu également profiter de l'occasion pour, dans une recherche d'efficacité, enlever de la Commission des relations de travail tous les rapports individuels de travail, parce que la mission d'une commission des relations de travail, en principe, c'est de gérer les rapports collectifs de travail. Or, on conserve au sein de cet organisme toutes les plaintes qui émanent de la Loi sur les normes du travail, qui gère les relations individuelles d'emploi, ce qui constitue un fardeau énorme, on a juste à consulter les statistiques actuelles du BCGT. On aurait cru que ça aurait été avantageux de prendre l'opportunité ici pour, si vous voulez, retirer du fardeau de travail des commissaires ces questions-là pour les remettre à des instances qui, de toute façon, vont devoir se trouver des choses à faire ? je pense, entre autres, aux juges du Tribunal du travail ? et conserver la mission de la Commission des relations de travail et la centrer strictement sur les rapports collectifs du travail. Je vous remercie.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. le député de Mont-Royal. Il vous reste à peu près quatre minutes, M. le député.

M. Tranchemontagne: Merci, Mme la Présidente. Quand vous parlez de la possibilité d'ingérence de la Commission, est-ce que je vous comprends bien? c'est que vous êtes en train de nous dire que cette possibilité d'ingérence, ça peut arriver nécessaire à certains moments, mais qu'à ce moment-là la ministre devrait, ou la ministre ou le ministère du Travail devrait se garder ces pouvoirs-là, ils ne devraient pas être laissés dans les mains de la Commission. Est-ce que c'est ça que vous voulez dire?

M. Taillon (Gilles): C'est évident.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, monsieur...

M. Taillon (Gilles): C'est évident pour nous.

M. Tranchemontagne: Oui? O.K. Deuxième question, et je termine là-dessus. Vous n'avez pas parlé du tout du fait qu'on a abrogé le droit d'appel sur les décisions de la Commission, je n'ai pas entendu ou j'ai mal compris, et, nous, de notre côté, c'est une inquiétude. Je ne sais pas si j'ai mal compris votre intervention.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Taillon.

M. Taillon (Gilles): Mme la Présidente, effectivement, on n'est pas revenu sur la nécessité de maintenir le Tribunal du travail. Évidemment, nous nous questionnons, comme vous, sur le fait que la Commission soit sans appel, mais nous n'avons pas jugé opportun de revenir avec le maintien du Tribunal du travail si, bien sûr, les pouvoirs de la Commission sont bien définis et sont définis clairement. Autrement, c'est évident qu'avec le projet qui est sur la table on est dans une très mauvaise posture, si surtout il n'y a pas de tribunal d'appel.

M. Tranchemontagne: Merci, M. Taillon.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: Merci beaucoup, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Très rapidement.

Mme Houda-Pepin: Sur l'article 45, la sous-traitance, vous l'avez abordée, et c'est tout à fait légitime, parce que c'est une de vos revendications. Moi, je vous écoute, j'écoute le Conseil du patronat, j'écoute les représentants syndicaux et je constate qu'il y a comme une sorte de dialogue de sourds autour de cet article 45 qui, comme vous l'avez bien dit à la page 5 de votre mémoire, ne touche pas directement la sous-traitance, mais c'est l'interprétation que les tribunaux en ont faite. Vous nous dites: Il faut exclure finalement la sous-traitance de l'article 45 de façon à donner plus de latitude aux entreprises de créer de l'emploi. Et, de l'autre côté, nous avons les représentants syndicaux qui nous disent: Il se fait déjà beaucoup de sous-traitance dans le milieu de l'entreprise et il ne faut pas faire exprès pour l'encourager. Est-ce qu'il y a un juste milieu?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Taillon.

M. Taillon (Gilles): Je vous dirais, il se fait de la sous-traitance actuellement, bien sûr, avec l'encadrement législatif que nous avons, mais il ne s'en fait pas au rythme où on pourrait en faire, ce qui permettrait de créer davantage d'entreprises et d'emplois. Il s'en fait moins que dans les juridictions voisines, et il est absolument nécessaire pour le développement de l'économie de demain de donner souplesse à la création d'entreprises via les fonctions de sous-traitance.

Nous avons ici quelqu'un de la nouvelle économie, un entrepreneur, qui peut vous en parler de façon concrète, de l'importance de la sous-traitance dans son secteur d'activité, qui est l'aérospatial.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. Demers.

M. Demers (Gilles): Mme la Présidente, bonjour.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Très rapidement, s'il vous plaît, le temps est pratiquement terminé.

M. Demers (Gilles): Le secteur aérospatial présentement connaît un soubresaut important, et nous croyons que le secteur de la sous-traitance doit absolument être maintenu à un niveau maximum. On voit que notre industrie a de la difficulté à compétitionner avec certains pays étrangers, que ce soit la France ou le Brésil, et ainsi de suite. Pour arriver à cet équilibre, si vous voulez, les sous-traitants doivent absolument être là. Les sous-traitants souvent ont une marge de manoeuvre un peu plus importante que les grandes entreprises et donc peuvent développer des technologies ou des pratiques beaucoup plus efficaces qui peuvent aider justement les grandes entreprises. Et c'est le rôle des sous-traitants de se diriger dans cette direction-là. Lorsqu'on parlait un petit peu plus tôt des travailleurs autonomes, il faut comprendre que les travailleurs autonomes qui viennent travailler pour nous, les sous-traitants, ce sont des gens qui ont été cherché de l'expertise ici et là et, au fil des temps ou au fil des années, ces gens-là arrivent avec des idées différentes, des idées beaucoup plus innovatrices, ils nous apportent cette... comment je pourrais dire donc, cette viabilité-là pour être capables de trouver d'autres concepts. Une petite entreprise ne peut pas malheureusement engager des gens et les exploiter pour aller chercher des nouvelles idées, des nouvelles technologies, si vous voulez, et les sous-traitants sont là pour ça, les travailleurs autonomes sont là pour ça.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, merci, monsieur...

M. Taillon (Gilles): Alors, je vous dirais, à la question...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): ...malheureusement c'est terminé. M. Taillon, à moins qu'il y ait un consentement pour que monsieur...

M. Taillon (Gilles): Une phrase, une petite phrase pour répondre à la question de la députée de La Pinière. Nous avons l'impression... elle recherche l'équilibre, nous avons l'impression que ce que nous présentons comme compromis dans 45, c'est l'équilibre, c'est-à-dire que ça devrait dissiper les craintes de ceux qui pensent que 45 pourrait être utilisé à des fins de détruire le syndicat ou la convention. Mais il faut permettre le développement de la sous-traitance et, actuellement, quand il s'en fait, il y a souvent des coûts importants payés par l'entreprise pour réussir à négocier un contrat de sous-traitance à un prix qui réduit la productivité de l'entreprise au Québec. Et ça, il faut absolument corriger cela.

Merci, madame, je m'excuse d'avoir dépassé mon temps.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme Marchand, M. Taillon, messieurs, merci de votre participation à cette commission.

Je vais suspendre pour quelques instants afin de permettre à l'autre groupe de pouvoir venir prendre place.

(Suspension de la séance à 11 h 27)

 

(Reprise à 11 h 33)

Le Président (M. Lelièvre): Alors, la commission va reprendre ses travaux.

Document déposé

Avant d'inviter les représentants de la Fédération des travailleurs du Québec, je voudrais déposer les commentaires sur les aspects techniques du projet de loi n° 182 qui ont été antérieurement présentés par le Conseil du patronat. Donc, c'est une annexe au mémoire du Conseil du patronat.

Maintenant, en ce qui a trait à la présentation des représentants de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, j'inviterai son président, M. Massé, tout en vous souhaitant la bienvenue à tous devant cette commission, à présenter... ou à ce que chacun se présente à l'intérieur de votre groupe.

Fédération des travailleurs et
travailleuses du Québec (FTQ)

M. Massé (Henri): À ma droite, c'est M. Louis Bolduc, Syndicat du commerce, vice-président de la FTQ; Robert Guay, Syndicat des machinistes au Québec ? entre autres, le secteur de l'aérospatiale ? vice-président de la FTQ; Clément L'Heureux, le SCEP, le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, vice-président de la FTQ; René Roy, secrétaire général de la FTQ. À ma gauche: Jean-Pierre Néron, qui est un conseiller à la FTQ; Jocelyn Dupuis, qui est le directeur de la FTQ-Construction; et Pierre Dupuis, directeur du Syndicat canadien de la fonction publique et vice-président de la FTQ.

Le Président (M. Lelièvre): Merci beaucoup. Alors, je vous rappelle que, dans votre présentation, vous disposez d'un temps de 20 minutes, et, par la suite, il y aura une période d'échanges de 40 minutes réparties entre les deux formations politiques.

M. Massé (Henri): M. le Président, membres de la commission, Mme la ministre, je voudrais d'abord vous remercier, au nom de la FTQ, de nous laisser l'opportunité de faire nos représentations sur le Code du travail. On va essayer de faire notre présentation la plus brève possible. Notre mémoire est assez concis. Vous savez, ça fait plusieurs années que nous demandons une réforme du Code du travail, et je vous rappellerai que, lors des deux dernières élections, nous avions même obtenu des engagements des différents partis politiques à aller de l'avant sur la modernisation du Code du travail.

D'entrée de jeu, je voudrais vous dire qu'on ne demande pas la lune. On a eu de longs débats, à la FTQ. On a même tassé des demandes traditionnelles autour de la négociation sectorielle, un renforcissement de l'article 45 depuis le jugement de la commission scolaire de l'Outaouais. Et on a mis ça de côté parce que, bon, on a essayé d'être le plus pratique possible, le plus réaliste, et on se disait: Bon, il y a tout un débat dans la société, tous azimuts, sur la déréglementation. On ne voulait pas soulever un tollé de discussions dans les milieux patronaux. Bon. On se rend compte que ça n'a pas donné grand-chose de faire cet exercice-là. Mais, encore une fois, ce qu'on demande, c'est la modernisation du Code du travail, c'est une mise à jour. Et, si on comparait le Code du travail à une automobile, je pense qu'on peut dire qu'on a un bazou des années soixante qui tient encore la route, mais qui a de la misère à poigner ses courbes puis qui a de la misère à monter les côtes.

Qu'est-ce qu'on demande exactement dans cette réforme du Code là? D'abord, d'avoir des définitions conformes aux nouvelles réalités sosioéconomiques du monde du travail: une définition de «salariés». J'entendais tantôt tout le débat sur «travailleurs dépendants». Nous, on veut être clairs: on ne veut pas couvrir les travailleurs autonomes, ce n'est pas dans le Code du travail. Ce qu'on veut couvrir, c'est les salariés, c'est des travailleurs et des travailleuses qui devraient être couverts par les unités d'accréditation. Et, dans le fond, ce qu'on veut couvrir, c'est les faux autonomes.

Juste pour vous donner quelques exemples: Multi-Marques, une compagnie de camionnage, convention collective, les travailleurs ont des bonnes conditions de travail. Du jour au lendemain, la compagnie oblige les camionneurs à acheter leur camion, et ils deviennent des artisans. Plus de convention collective, plus de conditions de travail. On me dit d'ailleurs qu'il y en a 20 % qui viennent de faire faillite, là.

La commission scolaire Ville-Marie: la commission scolaire a décidé que les concierges seraient dorénavant des artisans ou des travailleurs indépendants. La commission scolaire a continué à fournir les moppes, les chaudières, puis les concierges ont continué à faire la même école, puis, aujourd'hui, ils n'ont pas de convention collective. Et on pense que ces facteurs-là, ce phénomène-là doivent être enrayés dans un code du travail moderne, ce qui est fait au code fédéral ou dans le code du travail d'autres provinces.

Même chose au niveau d'«employeur». Pour les fins fiscales ou autres, la notion d'«employeur» a changé de beaucoup dans les dernières années, et on voit souvent, dans une même entreprise, dans une épicerie ou dans un hôtel, six ou sept accréditations dépendant de l'activité que ces travailleurs-là ou ces travailleuses-là font alors que c'est toujours le même propriétaire, c'est toujours les mêmes intérêts économiques qui sont en arrière. Et c'est dans ce sens-là qu'on demandait aussi le concept d'«employeur unique» qu'on retrouve dans d'autres codes du travail au Canada.

Le deuxième objectif de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, c'était de dire: Lorsqu'on dépose une requête en accréditation, une demande en accréditation, on voudrait que ça opère, on voudrait que ça procède. À l'heure actuelle, on a des délais qui vont d'une couple d'années à six ou sept mois. Il y a des moyennes, il y a des cas qui sont extrêmement longs, et ça n'a aucun sens.

Il y a trois étapes dans le processus d'accréditation, il y a des possibilités de contestation à chacun de ces processus-là, si bien que ça entraîne de très longs délais, surtout quand un employeur est antisyndical. Heureusement que ce n'est pas l'ensemble des employeurs au Québec. Mais, quand un employeur décide de jouer la game, c'est très difficile d'être accrédité.

Je voudrais vous rappeler à ce moment-ci que, lorsque les employeurs au Québec ont réclamé l'allégement réglementaire ? pas dans le sens de faire sauter les règlements, mais enlever l'espèce de bureaucratie aiguë ? pour obtenir des permis de construction ou d'autres sortes de permis pour faire en sorte que l'économie roule, on s'est associé à ça, à la FTQ. On a même eu du monde qui a siégé sur le comité Lamer. On a fait des recommandations unanimes avec les employeurs au Québec. Et on voudrait vous dire à ce moment-ci que ce qui est bon pour Pitou devrait être bon pour Minou. Si c'est bon pour les employeurs, d'avoir des permis rapidement, il me semble que, quand on veut former un syndicat, c'est une procédure qui devrait être administrative et qui devrait être rapide.

n (11 h 40) n

Donc, il n'y a pas de droit nouveau. On parle de nouvelles réalités socioéconomiques, d'ajuster le Code à ces réalités-là. Et c'est pour ça, Mme la ministre, que nous devons vous dire à ce moment-ci que le projet de loi, il est inacceptable dans sa formule actuelle et, je dirais même, de façon incontournable si les modifications de l'article 46 sont maintenues.

Il y a une longue jurisprudence. Tantôt, on disait que ce n'était pas prévu au début, mais, moi, je pense que c'est prévu depuis le début. Il y a des jugements de tribunaux jusqu'à la Cour suprême, par-dessus jugements au niveau de l'article 45 et, là on voudrait balayer cette jurisprudence du revers de la main, d'un coup de baguette magique. Et, dans ce cadre-là, on dit que le projet de loi est imbuvable.

La Commission des relations de travail, nous saluons la Commission, la mise sur pied de la Commission. On pourra tantôt, au niveau des questions, répondre. On a des problèmes parce que c'est une commission à deux niveaux: au niveau des relations de travail, ensuite, au niveau d'une procédure de contestation. On a l'impression que c'est un mécanisme qui se veut plus administratif, moins juridique, mais, quand on le regarde dans sa forme actuelle, on a l'impression que ça va multiplier les complications juridiques et il faudrait retoucher ces articles-là.

Il y a les frais d'adhésion à 10 $ d'entrée, quand quelqu'un adhère à un syndicat, ça passe de 2 $ à 10 $, ça paraît peut-être simple, mais souvent on organise chez des travailleurs ou des travailleuses au salaire minimum... Bien, en tout cas, si je compare ça avec un avocat qui fait 300 $ de l'heure, s'il fallait qu'il paie 600 $ par année pour maintenir une association hypothétique qu'il n'aura peut-être jamais, je pense qu'il n'y a pas beaucoup de monde qui signerait. Donc, ça paraît simple, là, mais 10 $, il y a beaucoup de travailleurs qui auront de la difficulté avec ça.

Les conflits de longue durée, bon, au Québec, il y a très peu de conflits de longue durée. On a l'impression que le gouvernement ne devrait pas s'immiscer à ce moment-ci dans le processus de négociation et légiférer autour de cette question-là.

L'équité salariale, nous, à la FTQ, on aurait voulu que ça dépende du Tribunal du travail pour le voir dans un contexte de relations de travail. Maintenant, ça s'en va à la Cour du Québec et, là, on se demande si ça devrait être une section très spécialisée sur l'équité salariale à la Cour du Québec. Ça pourrait peut-être être même le Tribunal des droits de la personne, mais il faut se préoccuper de cette question-là parce qu'on l'avait vu, nous autres, dans un cadre de relations de travail, et ce n'est pas ça qui se passerait à ce moment-ci.

Je voudrais finir avec l'article 45 et, ensuite, je passerai la parole au secteur de la construction sur la question de l'intégration des commissaires de la construction dans la nouvelle Commission. Sur l'article 45, 46, nous, on s'oppose à toute modification qui fait perdre à 45 son caractère public, et c'est ce qui est prévu dans votre projet de loi. Et, encore une fois, on l'a dit sur la place publique et on le répète puis on l'a dit en privé, au Québec, ça sous-traite comme nulle part ailleurs au Canada, comme nulle part ailleurs au Canada.

Tantôt, j'entendais quelqu'un de l'aérospatiale parler de sous-traitance, c'est justement un sous-traitant. Et Robert Guay, qui est du Syndicat des machinistes, viendra vous dire tantôt qu'il y a plus de 50 % des activités qui sont sous-traitées à Canadair. Et, dans les villes, on a entendu souvent les villes parler de cette question-là, du 45, 46, ça sous-traite entre 50 %, 60 %, 75 % des activités dans les villes au Québec.

On a mis régulièrement le patronat depuis trois ou quatre ans au défi de nous apporter des cas ? parce qu'on a quand même discuté du Code du travail, des modifications au niveau du Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre ? précis, précis où l'article 45 avait fait en sorte d'empêcher la sous-traitance de s'implanter au Québec. On n'a eu aucun cas à date, aucun cas précis. Ce qu'on nous répond souvent: Bon, bien, c'est une espèce d'épée de Damoclès que les employeurs ont au-dessus de la tête, et, lorsqu'on sous-traite, on est obligé de discuter avec le monde qui est en place, on est obligé de discuter avec le syndicat. Je ferai remarquer à la commission bien humblement que n'importe lequel employeur intelligent qui s'apprête à donner une partie de ses activités en sous-traitance a intérêt à discuter avec les travailleurs puis les travailleuses qui sont en place s'il veut que la mobilisation demeure et que l'intérêt demeure et que l'entreprise continue à bien fonctionner.

Là-dessus, on a essayé... On a vu le discours patronal depuis quelques semaines, pour en pas dire quelques mois, essayer de mettre une corrélation entre le taux de syndicalisation, entre autres au Québec et le taux de chômage. Moi, je voudrais vous rappeler que, dans plusieurs pays, le taux de chômage est beaucoup plus élevé qu'au Québec et le taux de chômage est plus bas que dans certains autres pays. La Suède, par exemple, qui est syndiquée à 91 %, le taux de chômage est à 5,6 %, ce qui est un des taux les plus bas de l'Europe, la même chose pour l'Islande, la même chose pour le Danemark, la même chose pour le pays au côté de...

Une voix: La Finlande.

M. Massé (Henri): La Finlande même chose. Et on a d'autres pays par contre où les taux de chômage sont très élevés et le taux de syndicalisation très bas.

Et, moi, je voudrais vous rappeler qu'au Québec un exemple qui est frappant, c'est l'industrie du meuble. L'industrie du meuble est syndiqué à plus de 50 %. Il y a quelques années, dans le cadre de l'ALENA ou dans le cadre du libre-échange avec les États-Unis, on comptait ce secteur-là quasiment pour mort. Et il y avait des tarifs qui étaient de 15 % pour se protéger de la concurrence extérieure. Et depuis, dans ce secteur-là, avec un taux de syndicalisation de 50 %, on est passé d'une masse salariale de 226 millions à 442 millions dans les 10 dernières années, et ça, avec la collaboration du Syndicat qui s'est préoccupé des questions de formation de main-d'oeuvre, qui s'est préoccupé des questions de l'orientation des investissements, avec l'investissement massif du Fonds de solidarité dans quelques-unes de ces entreprises-là, dans ce secteur-là.

Et les entreprises qui ont le vent dans les voiles et qui sont dans les premiers de classe sont syndiquées. On n'a rien qu'à parler des Shermag, des Bestar, des Morigeau, Dorel, les Industries de la Rive-Sud, et j'en passe, entreprises qui sont syndiquées d'un bout à l'autre et qui, dans un secteur mou, où on était censé mourir au Québec, sont en train de relever le défi de façon extraordinaire. Et on pense qu'au-delà du taux de syndicalisation le comportement du mouvement syndical dans ces dossiers-là a été un des éléments majeurs pour relancer l'industrie. Mais ici je vais demander à Jocelyn Dupuis de parler des commissaires de la construction.

Le Président (M. Lelièvre): Alors, M. Dupuis.

M. Dupuis (Jocelyn): Bonjour, Mme la ministre, Mmes et MM. les députés. Juste pour vous spécifier que je viens au nom du Conseil conjoint, c'est l'association qui a fait que, la FTQ-construction et le Conseil provincial des métiers de la construction, on représente près de 75 % des travailleurs de l'industrie de la construction.

On a déposé... On a intégré au mémoire de la FTQ centrale les revendications concernant le transfert du Commissaire de l'industrie de la construction dans le cadre du travail. Le Conseil conjoint demande depuis des années que soit mis sur pied un tribunal de la construction. Cette demande a été justifiée sous la multiplication des instances ayant à intervenir dans le secteur industriel. La proposition qui nous est soumise, dans le projet de la loi n° 182, visant à limiter le nombre d'intervenants nous semble une piste intéressante, mais nécessite certains ajustements.

Plus particulièrement, le Conseil conjoint prétend que, dans la mise en oeuvre de la division des plaintes et recours de la Commission des relations de travail, on se doit de mettre en place une chambre administrative ou une division en construction. En effet, s'il est vrai que la justice administrative se veut une procédure plus rapide, plus simple et moins coûteuse pour rendre des décisions, il n'en demeure pas moins, pour reprendre une phrase célèbre, que le juge administratif est mieux formé et mieux renseigné sur le milieu où s'exerce sa compétence. Cette affirmation est vraie.

Nous sommes largement confortés dans notre position, puisque les décisions devant toucher l'industrie de la construction ne sont pas de même nature que celles découlant du cadre. Il s'agit d'un autre champ d'application et d'un autre champ professionnel. Il est donc nécessaire de connaître le secteur de la construction pour répondre aux exigences posées par les critères déterminés par la loi, par le droit administratif en pareilles matières.

Cette demande s'inscrit d'ailleurs dans la lignée de la Loi sur la justice administrative adoptée par la législature provinciale, le TAQ. Il y a déjà présentement les côtés économique, immobilier, social, territorial et environnemental. C'est le sens qu'on demande concernant le commissaire.

n (11 h 50) n

En second lieu, le Conseil conjoint propose deux modifications importantes visant à uniformiser nos droits du travail. Concurrent à la demande de la FTQ en regard de l'entrepreneur dépendant, nous croyons que des concordances deviennent nécessaires dans les lois du travail. La Loi sur les relations de travail de l'industrie de la construction se doit d'être amendée dans le sens proposé par le projet de loi n° 182 afin... avec l'actuel régime régissant les autonomes.

De plus, il y aurait lieu d'introduire des dispositions antibriseurs de grève dans notre secteur d'activité. Ces dispositions, largement calquées sur celles que l'on retrouve au Code, doivent introduites dans notre loi de manière à accorder les mêmes droits à l'ensemble des salariés. Ces modifications nous semblent nécessaires, d'autant plus que le gouvernement tente de lui-même d'uniformiser les régimes en déterminant un canal unique en matière de solution de conflits et d'adjudication.

En terminant, une modification doit être apportée au paragraphe 3° de l'article 134 de manière à exclure l'industrie de la construction s'il s'agit, selon nous, d'une disposition d'application qui s'inscrit dans le cadre du Code du travail, mais n'ayant pas de dispositions relatives à la reconnaissance syndicale. Il nous paraît fort important d'inscrire ce droit de manière générale en regard à la législation. Merci.

M. Massé (Henri): Je voudrais aussi rajouter...

Le Président (M. Lelièvre): M. Massé.

M. Massé (Henri): ...qu'aux articles 45 et 46 on s'oppose assez fermement aux pouvoirs accordés à la Commission de jouer dans les unités de négociations et les accréditations. Bon. Ça paraît bien, mais, en même temps, les accréditations au Québec, en Amérique du Nord, c'est accordé beaucoup plus sur la notion d'«établissement» que celle d'«entreprise». Et souvent, dans les entreprises, il y a plusieurs établissements.

À l'heure actuelle, pour fusionner les accréditations, s'il y a une fusion d'établissements, on doit démontrer qu'il y a une interrelation entre le personnel, que ça crée des problèmes avant qu'on fusionne les unités d'accréditation. Et là la Commission aurait le pouvoir de le faire sans qu'on ait cette démonstration-là. Bon. Je sais que ça part surtout du secteur hospitalier, mais, quand on regarde la notion même de l'«accréditation» au Québec dans nos grandes entreprises, moi, je pense que ça pourrait être bordélique si on allait dans ce sens-là. Donc, ça prendra... Il faut encadrer ce pouvoir-là au niveau de la Commission, pas le laisser entièrement libre comme il est présentement.

Le Président (M. Lelièvre): Est-ce que ça termine votre présentation?

M. Massé (Henri): Ça termine notre présentation.

Le Président (M. Lelièvre): Alors, je vous remercie. Alors, Mme la ministre.

Mme Lemieux: Merci, M. le Président. M. Massé, je vous salue. Bienvenue à cette commission. Je salue aussi les nombreuses personnes qui vous accompagnent.

D'abord, peut-être une question plus technique, mais importante au sujet du concept de «salarié». Vous dites, en gros, dans votre mémoire que le seul critère pour... D'abord, vous avez dit clairement, et dans le mémoire et dans votre présentation, que votre intention n'était pas de couvrir les travailleurs autonomes. Vous semblez clair là-dessus, et je partage cet objectif. Vous suggérez de ne retenir que le critère de la dépendance économique comme critère d'identification de l'entrepreneur dépendant et d'exclure les autres éléments que nous proposons.

Comment on va faire... Vous savez, dans la réalité du travail autonome, il y a toutes sortes de réalités. S'il n'y a que ce critère-là, comment on va distinguer des travailleurs autonomes qui ont des contrats, par exemple, à long terme? Ça arrive, un seul contrat sur plusieurs mois. Ce sont des travailleurs autonomes, mais il y a effectivement, pour une période, une certaine dépendance économique.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. Massé.

M. Massé (Henri): Jean-Pierre.

M. Néron (Jean-Pierre): Oui. C'est une difficulté qui a été abordée dans plusieurs législations. On essaie de travailler aussi également en santé et sécurité sur cette notion-là. Notre idée, c'est de dire que, si on maintient ces deux éléments-là: le contrôle et la direction, finalement, on risque de ne pas avoir grand monde. Ce qu'on essaie d'avoir, ce sont les gens qui finalement sont dans la dépendance économique, qui ont un seul employeur. Est-ce qu'il faut mettre... Là, vous parlez de notion de temps: quelqu'un qui va travailler pendant plusieurs mois, etc. Bon. Là, on ne l'a pas défini. On n'a pas défini, mais ce qu'on sait, c'est qu'on se dit: Si on maintient ce que la jurisprudence actuelle nous met comme contrôle et direction, on n'ira pas chercher grand monde. O.K.?

Alors, est-ce qu'il faut mettre un temps? Est-ce que la jurisprudence va développer des temps. Est-ce qu'elle va mettre un pourcentage en disant: Quand on travaille 75 % du temps chez le même employeur, est-ce qu'on tombe sous la dépendance économique? C'est des choses à regarder.

Mais, actuellement, on se dit: Vous avez visé... Vous avez fait une ouverture, sauf que vous avez maintenu des critères qui font que finalement la porte vient de se refermer tout de suite. C'est ça qu'on dit.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme la ministre.

Mme Lemieux: Avez-vous examiné la définition de l'Ontario? Si vous ne l'avez pas fait, je veux juste vous dire que, moi, je cherche les meilleures solutions pour couvrir les gens qu'on veut vraiment couvrir puis éviter de se retrouver dans une situation qu'on ne veut pas et que les travailleurs autonomes eux-mêmes ne veulent pas. Alors, si vous prenez la peine de regarder la définition de l'Ontario, je voulais juste vous dire que je suis en train de la regarder.

Sur 45 et 46, permettez-moi d'être un peu surprise du fait que nous avons introduit une possibilité que, lorsqu'il y a une négociation entre les parties, sur la suite des choses quant à la sous-traitance, cette négociation-là puisse être validée et qu'on puisse donc éviter une application un peu bête et mécanique de l'article 45. Les organisations syndicales, avec raison, sont des grandes défenderesses de la liberté de négociation, et on dit... Parce que, bon, vous le savez, il y a un certain nombre de conventions collectives qui contiennent, qui comportent des dispositions qui encadrent la sous-traitance. Évidemment, sur l'ensemble, il y a des dispositions assez classiques et assez simples. Il y en a d'autres où la mécanique est un peu plus précisée. Comment une organisation syndicale peut dire: On n'en veut pas, de cette liberté de négociation?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. Massé.

M. Massé (Henri): La pratique, chère madame. La pratique, chère madame. Il y a 1,6 % des conventions collectives au Québec qui empêchent la sous-traitance.

Mme Lemieux: Ça n'a pas de bon sens.

M. Massé (Henri): 50 % des conventions collectives qui n'ont aucune clause de sous-traitance, ça, ça a-tu du bon sens? Aucune. Et l'autre 40 %, l'employeur peut accorder de la sous-traitance si ça n'a pas pour effet de créer des mises à pied ou d'autre chose. Bon. Et on s'est accommodé de ça. Il y a l'article 45 qui est en parallèle. Mais vous savez fort bien, Mme la ministre ? vous êtes ministre du Travail ? que, dans la négociation collective, lorsqu'on arrive pour discuter puis négocier des clauses de sous-traitance, c'est quasiment des grèves à tout coup, puis après des grèves de deux, trois, quatre puis cinq puis six mois, on sort avec des virgules. Les employeurs, sur la question de la sous-traitance, sont très rigides dans les conventions collectives. Puis on ne dit pas ça pour dire des bêtises, on les comprend. On comprend. On ne comprend pas tout le temps, on négocie, mais il n'y a pas grand gain qui se fait dans la sous-traitance au niveau des conventions collectives.

L'article 45 du Code ne fait pas en sorte que l'employeur ne peut pas sous-traiter, encore une fois. Les employeurs peuvent sous-traiter, mais il reste quand même un minimum de mécanisme où le syndicat pourrait dire: Bien, écoute, ils viennent de donner une partie de nos activités à une autre entreprise, donc, il devrait y avoir reconnaissance de la convention collective ou autre. Mais, à ce moment-ci, là, il faut être très concret: laisser entrevoir qu'on peut s'entendre sur ces questions-là, à moins que vous vouliez avoir un paquet de grèves au Québec, ça sera ça, mais, nous autres, du côté syndical, on est réalistes là, on sait que jamais, jamais on pourrait sortir des dispositions dans nos conventions collectives qui laissent entendre... que vous laissez entendre dans votre discours, en disant: Ce n'est pas si compliqué que ça, dans les prochaines conventions, vous vous entendrez. Extrêmement difficile.

Et, encore une fois, moi, je pense qu'il y a 25 années de jurisprudence là-dedans, la Cour suprême à une couple de reprises, et je pense que la Cour suprême quand ils ont regardé ça, ils regardent les réalités socioéconomiques aussi. Encore une fois, ça sous-traite au Québec comme nulle part ailleurs, nulle part ailleurs, et on ne voit pas, à ce moment-ci, pourquoi venir nous flanquer ce débat-là dans les pattes. Je vous le dis là: Chez nous, c'est clair: à peu près dans tous les secteurs d'activités, le monde regarde aller la réforme du Code du travail puis ils disent: Mieux vaut pas de réforme qu'avoir une ouverture béante, un cratère béant au niveau de l'article 46 tel qu'on nous le suggère dans le projet de loi à ce moment-ci.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme la ministre.

n (12 heures) n

Mme Lemieux: Une dernière remarque. Vous dites: Non seulement on ne veut pas toucher à 45, mais vous proposez d'introduire la notion d'«employeur unique» comme ça existe dans d'autres juridictions canadiennes. Vous savez que ce n'est pas tous les cas, mais la notion d'«employeur unique» couvre un certain nombre de situations qui s'apparentent à la sous-traitance. C'est comme si vous vouliez qu'on rajoute une couche, qu'on superpose un autre moyen d'encadrer la sous-traitance. Vous ne trouvez pas qu'on en rajoute pas mal, là?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Roy.

M. Roy (René): Absolument pas. La notion de sous-traitance, c'est la notion d'employeur éclaté, ce n'est pas une question... Au fédéral, on travaille souvent avec la notion d'employeur unique, et on ne va pas chercher les sous-traitants avec une question d'employeur unique. Un employeur unique, c'est un employeur qui a une notion d'employeur lorsque l'employeur est éclaté dans plusieurs divisions, dans plusieurs secteurs. C'est là que ça s'applique, l'employeur unique, et ça ne s'applique pas à tous les jours, la notion d'employeur unique.

Mme Lemieux: Non, mais ça s'apparente dans certains cas à des situations de sous-traitance. Non?

M. Roy (René): Dans le cas de l'article que vous mettez dans le 46, vous nous obligez à part de ça à aller négocier à l'envers. Si on veut avoir la protection de l'article 45 du Code du travail québécois, on va être obligé d'enlever de nos conventions collectives les clauses de protection de la sous-traitance. Alors, c'est nous autres qui allons être sur les tables de négociation avec les employeurs pour enlever nos clauses de sous-traitance dans les conventions collectives pour avoir le droit au 45.

Au code du travail fédéral, ils ont une protection contre la sous-traitance, puis ça n'a pas empêché les employeurs puis les gros employeurs du pays de bien vivre puis de sous-traiter énormément d'emplois.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, M. Massé.

M. Massé (Henri): Par «employeur unique», là... On va vous donner des exemples bien simples. L'Auberge des Seigneurs à Saint-Hyacinthe: la réception, c'est un employeur; les femmes de chambre, c'est un employeur; le restaurant, c'est un employeur; le bar, c'est un employeur. Il y a sept accréditations. Pourtant, ça appartient au même en haut. Une épicerie: le comptoir à fromages, un employeur; la charcuterie, un autre employeur. On en retrouve, de ça. On n'en retrouve pas tout le temps, mais on en retrouve. Quand un employeur décide de faire en sorte de bloquer la syndicalisation puis de créer toutes sortes d'entraves, il y a toutes sortes d'affaires dans ce sens-là. C'est surtout ces situations-là qu'on vise quand on parle d'employeur unique. Ce n'est pas de la sous-traitance, ça, c'est des employés à plein temps qui sont dans l'entreprise mais qui sont dans des employeurs différents parce que supposément la structure juridique de l'entreprise serait autre, alors qu'on sait que c'est un seul et même intérêt économique qui dirige l'entreprise, une seule et même personne morale.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, merci. M. le député de Mont-Royal.

M. Tranchemontagne: Merci, Mme la Présidente. M. Massé, ça me fait plaisir de vous saluer également, bienvenue à la commission.

Ma première série de questions, c'est sur la Commission elle-même. Vous ne dites pas un mot, par exemple, sur la composition de la Commission. On sait que dans le passé ces genres d'organismes ? puisque la Commission n'existe pas, on va parler de ce genre d'organismes ?on parlait à ce moment-là d'une tradition de paritarité, c'est-à-dire que les gens qui étaient nommés là, ils étaient nommés après consultation et des syndicats et des patrons. Alors, vous n'en parlez pas. Je ne sais pas si vous avez manifesté ou vous n'avez pas d'inquiétudes à ce sujet-là.

Et, deuxième question, qui est un peu dans le même sujet, c'est: La table de concertation, qu'est le Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre, qui se rapporte à la ministre, est complètement évacué du projet de loi, est-ce que vous avez une opinion à ce sujet-là?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. Massé.

M. Massé (Henri): Sur la Commission, effectivement nous la souhaitons paritaire.

M. Tranchemontagne: Pardon?

M. Massé (Henri): Nous la souhaitons paritaire. J'ai entendu le Conseil du patronat tantôt. Sur ces commentaires-là, on est fort à l'aise. On pense que c'est la meilleure façon de travailler. Par exemple, on sait que des fois il peut y avoir de la jurisprudence qui va dans un sens ou dans l'autre ou... Il y a des questions où je suis convaincu que, si les deux parties se mettaient d'accord, on est capable de mettre de l'ordre dans certaines questions, et tant mieux si les deux parties peuvent influencer ces débats-là. Donc, c'est clair, nous, on a toujours souhaité, même si on n'en a pas parlé dans notre mémoire, une commission paritaire.

Sur la question du CCTMO, le Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre, nous, on n'a pas l'impression que la Commission vient changer grand-chose là-dedans. Il me semble que ça continue comme d'habitude.

M. Tranchemontagne: O.K. Merci.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. le député de Mont-Royal.

M. Tranchemontagne: Merci. Dans un autre ordre d'idées, j'aimerais vous amener sur votre sujet dont vous parlez, du «nouveau salariat». Ce que vous voulez évitez, vous nous dites, ce sont les faux autonomes. J'en suis, je suis entièrement d'accord à éviter les faux autonomes. Il semblerait par contre que la définition que nous propose la ministre soit trop large, en tout cas au dire des patrons.

Ma question est: Est-ce que vous auriez objection à ce qu'on inscrive, par exemple, dans le Code ce qui serait à proscrire comme faux autonomes, autrement dit fonctionner non pas par une définition large et qui prêterait à confusion et à interprétation de la Commission mais une définition qui serait plus serrée, plus précise et qui serait plutôt par la négative, peut-être pour justement éviter ce que vous appelez des faux travailleurs autonomes, vous en avez donné, des exemples, d'ailleurs tantôt?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Massé.

M. Massé (Henri): Je ne le sais pas exactement comment circonscrire ça. Je pense que ça prendrait encore un bout de discussion entre les parties et le gouvernement. Je suis convaincu, moi, que sur cette réalité-là, si on part des phénomènes puis qu'on les cerne comme il faut, on devrait être capable de réécrire un article qui serait convenable.

Et je voudrais rappeler à la commission, ce n'est pas juste au niveau du Code du travail qu'on a le même débat puis les mêmes problèmes; on a les mêmes problèmes au niveau de la Commission de santé et sécurité au travail, parce qu'un travailleur autonome ou un salarié, ça ne cotise pas de la même façon, l'employeur a des responsabilités. À l'heure actuelle, il y a des faux autonomes qui sont obligés de payer leur cotisation à la CSST et payer la cotisation de l'employeur, alors que c'est l'employeur qui devrait payer. Au niveau du ministère du Revenu, je pense que ce n'est pas si clair que ça. Donc, c'est un concept qui mérite d'être fouillé. Moi, je n'ai pas de solution à prime abord, quand vous dites «par exception au lieu de», je ne sais pas, mais je pense qu'on est capable de circonscrire ce phénomène-là mieux que ça.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, M. le député de Mont-Royal.

M. Tranchemontagne: Merci, madame. Le but de mon intervention est d'essayer de rapprocher deux parties qui voient les choses passablement différemment. Vous mentionnez, toujours sur le travailleur autonome, que vous voudriez que ça soit strictement une dépendance économique qui soit le critère de définition pour ce que vous appelez un travailleur autonome. Puis je ne parle pas des faux, là, je parle dans le sens plus large du travailleur autonome. Par contre, la jurisprudence actuellement, dans le cadre du Code actuel, a établi un certain nombre de critères qui dépassent uniquement le caractère économique. Pourquoi voulez-vous abandonner les critères qui sont utilisés actuellement pour déterminer qui est ou n'est pas un travailleur autonome?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. Néron.

M. Néron (Jean-Pierre): Oui. Bien, ce qu'on cherche à faire, peut-être qu'il faut continuer à travailler et à regarder différentes définitions. On sait qu'on a des situations où beaucoup de travailleurs sont obligés de devenir des faux autonomes, hein. On a parlé tout à l'heure de Weston, on aurait pu parler des entreprises Humpty Dumpty où des gens faisaient finalement... C'est toujours à peu près le même «pattern» ? on a Natrel ? ce sont toutes des entreprises qui finalement avaient des travailleurs qui étaient syndiqués, etc., qui faisaient la distribution de produits, et d'un seul coup ces gens-là sont qualifiés de travailleurs autonomes. Alors, comment on va circonscrire ça pour empêcher ce genre de choses là?

Pour nous, notre définition, c'est de dire qu'on devrait garder un caractère de dépendance économique. Alors, on pense qu'on va l'atteindre d'une manière beaucoup plus adéquate que là. C'est vrai que la jurisprudence a développé certains concepts et qu'on a reconnu ces gens-là comme des travailleurs... finalement des salariés, mais après des longs débats juridiques et des longues contestations. Et ce qu'on essaie de faire dans ce projet de loi, enfin ce qu'on souhaiterait, c'est de dire: Mettons fin à tous ces débats-là, ayons quelque chose de simple et reconnaissons rapidement à ces gens-là le droit d'être des salariés. Ça ne veut pas dire qu'ils vont être finalement syndiqués, mais, au moins, on va reconnaître qu'ils sont des salariés. Ce serait le premier... La première démarche, pour être syndiqué, il faut d'abord être un salarié. Alors, ça, ces gens-là sont exclus.

M. Massé (Henri): C'est M. L'Heureux qui compléterait la réponse.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, M. L'Heureux.

M. L'Heureux (Clément): Sur la notion d'entrepreneur dépendant, je vous donne l'exemple de la forêt, hein. Le côté économique, c'est le côté principal, c'est celui-là qu'il faut regarder. Si vous regarder en forêt... Puis je voudrais rappeler à Mme la ministre aussi que, dans le projet de loi, on ne voit pas encore d'uniformité avec la Loi de la forêt avec le Code du travail. Je pense que ça devrait venir. On s'attend à ce qu'il y ait ce rapprochement-là des lois.

Mais, si vous regardez en forêt, les gens qui ont des sous-contrats avec les entreprises qui détiennent les CAAF, le seul fait qui les unit, la seule réalité qui les unit, c'est le côté économique. Alors, c'est pour ça qu'on en vient avec ce côté-là, c'est le seul qui les unit ensemble. Puis cette notion-là, d'entrepreneur dépendant, c'est ça qui fait qu'on peut les reconnaître à ce moment-là avec les vrais propriétaires des CAAF.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, M. le député de Mont-Royal.

M. Tranchemontagne: Merci. Admettez-vous par contre, que, en se limitant à ce seul et unique critère, à ce moment-là on puisse aboutir, par exemple ? vous l'avez soulevé ? à des cas où vous avez quelqu'un qui serait défini comme un salarié mais qui serait vraiment un entrepreneur, dans le sens qu'il y aurait un investissement énorme, qu'il y aurait des employés qui se rapportent à lui, qui travaillent pour lui, etc.? Ce n'est pas... Ça n'apparaît pas suffisant, non?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. L'Heureux.

M. L'Heureux (Clément): Surtout pas. Écoutez, c'est très clair, hein, dans la définition. Je pense que, lorsque tu arrives dans une définition, après ça tu vas plus loin puis tu cadres ta définition.

n (12 h 10) n

Dans l'exemple que je vous donne, un entrepreneur forestier a des employés, c'est vrai, mais ces employés-là dépendent aussi économiquement de l'entreprise première, il ne faut quand même pas l'oublier.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Ça va?

M. Tranchemontagne: Non.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, M. le député de Mont-Royal.

M. Tranchemontagne: Je veux juste poursuivre, excusez-moi. Je voudrais juste poursuivre votre raisonnement. Dans la mesure... C'est très relatif, la dépendance économique. Qui n'est pas dépendant économiquement finalement à la fin de la journée, là? Alors, je ne sais pas si vous me suivez, mais c'est très difficile de trouver quelqu'un qui est un entrepreneur puis qui n'est pas finalement dépendant de quelqu'un d'autre. Moi, je me rappelle de mon ancienne entreprise, par exemple, je veux dire, un agent était dépendant de l'entreprise primaire. Est-ce qu'à ce moment-là il répondrait à la définition d'un salarié?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. L'Heureux.

M. L'Heureux (Clément): Écoutez, je pense qu'il faut revenir à ce que M. Massé vous a dit tantôt. Ce qu'on vise, c'est vraiment les vrais travailleurs autonomes, et ce sont les exemples qui sont là. Il faut mettre cette définition-là dans ce contexte-là, c'est ça qu'on dit, c'est vers ça qu'on veut aller.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, ça va, M. le député? Oui, Mme la députée, un instant, là, je vais faire par alternance. Alors, M. le député de Drummond.

M. Jutras: Oui. Continuant relativement à l'entrepreneur dépendant, moi, je suis plutôt d'accord qu'effectivement c'est au législateur à intervenir pour clarifier des critères et non pas laisser ça selon la jurisprudence, parce que, même si effectivement, après un long débat jurisprudentiel, il semble y avoir des balises qui sont établies, maintenant, on le sait, la jurisprudence peut toujours évoluer, il peut y avoir un revirement de situation, puis là le bal recommence, comme on dit.

Mais, par contre, effectivement, moi, je trouve que la proposition que vous nous faites est beaucoup trop large, et on pourrait se retrouver à ne pas régler le vrai problème qu'on veut régler, des faux travailleurs autonomes. Et tantôt il y a une proposition qui nous a été faite de dire: Bien, rajoutez donc les critères de... celui de chance de profit ou de risque de perte. Qu'est-ce que vous dites de cette solution-là? Puis j'aurais une autre question.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Massé.

M. Massé (Henri): Moi, je ne peux pas embarquer dans toute la mécanique ce matin. Ce qu'on vous dit: Il y a une définition de salarié dans le Code. C'est quoi, un salarié? C'est quelqu'un qui rentre travailler pour un salaire et dont l'employeur a un pouvoir disciplinaire sur lui de faire ou de ne pas faire. Bon. Quand on parle du travailleur dépendant, ce n'est pas désincarné de la définition de salarié du Code, là. Ça va dans le même sens, mais il faut avoir une définition un peu plus large, parce que dans les dernières années, nous, on pense qu'en vertu du Code actuel on aurait dû reconnaître que les faux autonomes étaient des salariés, ce qu'on n'a pas fait dans bien des cas.

Donc, ce n'est pas une notion complètement séparée de la définition de salarié qui est dans le Code. Si un salarié, un travailleur autonome travaille pour la même entreprise, l'employeur... On va reprendre l'exemple du pain. Du jour au lendemain, les camionneurs sont devenus des travailleurs dépendants ou des artisans alors qu'ils continuaient toujours à faire exactement le même travail, à servir les mêmes dépanneurs, les mêmes épiceries, le même critère de qualité, ils pouvaient se faire suspendre par l'employeur puis ils pouvaient se faire même congédier par l'employeur, une vraie dépendance totale d'un bout à l'autre, y compris la dépendance économique. C'est dans cet ensemble-là, nous, qu'on dit que les travailleurs dépendants devraient être... les faux autonomes devraient être des salariés au sens du Code.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. le député de Drummond.

M. Jutras: Maintenant, dans un autre ordre d'idées, concernant la Commission des relations de travail qu'on veut mettre sur pied, bon, vous saluez la déjudiciarisation qui s'ensuivrait, entre autres au niveau de l'accréditation, et vous parlez du fait que, bon, les décisions de la CRT, il n'y aurait pas d'appel. Et ce que vous nous proposez plutôt, c'est de dire: Bien, pourquoi il n'y aurait pas plutôt un pouvoir de révision au sein de la CRT pour les cas d'erreurs de droit, ou en tout cas d'erreurs grossières, là, tout ça?

Moi, je vais vous dire, j'ai un peu de difficulté avec ça, parce qu'un organisme qui révise son propre organisme, là... Est-ce que vous ne seriez pas plutôt d'accord de dire: Bon, dans les cas d'erreurs de droit ou d'erreurs grossières, maintenons plutôt l'appel au tribunal d'appel plutôt que d'avoir une révision de l'organisme par le même organisme?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. Néron.

M. Néron (Jean-Pierre): Là, on est très à l'aise de dire: Il faut que la... Ce qu'on voulait, c'est qu'on veut éviter d'aller en Cour supérieure. On veut une commission, on ne veut pas de tribunal, etc., donc on veut concentrer tous ces pouvoirs à la Commission. Mais il faut aussi que, d'une manière accessible, cette Commission-là finalement les gens... Cette Commission-là peut faire des erreurs, et il faut que facilement elle puisse se corriger. Alors donc, il doit y avoir un mécanisme qui permet. Alors, ce n'est pas étranger, la Commission des lésions professionnelles peut aussi également se réviser.

Donc, toutes les commissions qui sont mises sur pied au travers le Canada ont le pouvoir de se réviser. Donc, ce qu'on fait, c'est qu'on le balise un peu plus là, etc., sur les erreurs de droit puis on veut s'assurer aussi que ce ne sont pas des appels déguisés. Donc, on l'a encadré. C'est juste ça.

M. Jutras: ...préféré cette solution-là à, par exemple, un appel devant le Tribunal du travail?

M. Néron (Jean-Pierre): Oui, oui, définitivement. On a aboli le Tribunal du travail. Donc, il ne faut pas répéter ces trois paliers-là qu'on a actuellement. On veut avoir une commission, mais cette commission-là doit pouvoir se réviser. C'est ça.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Merci. Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: Merci beaucoup, Mme la Présidente. M. Massé et Messieurs de la FTQ, merci pour l'éclairage que vous nous avez apporté. M. Massé, vous avez, à l'intérieur de la FTQ, je pense, un groupe qui travaille spécifiquement sur les travailleurs autonomes. Qu'est-ce que vous faites exactement? Est-ce que c'est de la recherche?

M. Massé (Henri): ...les travailleurs autonomes?

Mme Houda-Pepin: Oui.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. Massé. M. Roy. M. L'Heureux. M. Roy.

M. Roy (René): Oui, ça s'appelle l'Association des travailleurs autonomes, affiliée à la FTQ. Ça existe depuis quatre ans. C'est dans le SCEP. On offre différents services aux travailleurs autonomes, aux vrais travailleurs autonomes. Les travailleurs qui sont déclarés comme autonomes, ils peuvent avoir des services d'assurance collective, différents services à travers l'Association en payant leurs cotisations syndicales.

Mme Houda-Pepin: Cela m'amène à peut-être me poser une question, parce que je pense, M. Massé, que vous avez dit que vous n'étiez pas intéressé à couvrir les travailleurs autonomes. Pourquoi alors, à l'intérieur de la FTQ, vous dédiez des ressources pour justement travailler sur ce dossier-là?

M. Massé (Henri): Ah, là, vous ne nous poignerez pas, là. Par le Code.

Mme Houda-Pepin: Ah! O.K.

M. Massé (Henri): Par le Code.

Mme Houda-Pepin: D'accord.

M. Massé (Henri): On a beaucoup de travailleurs autonomes à la FTQ. On représente des notaires partout au Québec. On représente des agents d'assurance, des artistes. On travaille beaucoup. Mais ce qu'on dit puis on a toujours dit: Les vrais travailleurs de service autonomes, ce n'est pas dans le Code. On demande des lois habilitantes parce que dans certains cas effectivement il faut encadrer le droit d'exercice, leurs conditions de travail, puis leur laisser un certain pouvoir de négociation collective, qui est très différent des négociations des conventions collectives. Ce n'est pas nouveau, là, ça fait 20 ans qu'on travaille là-dessus, à la FTQ, et je dirais qu'on doit avoir un 25 000, 30 000 travailleurs ou travailleuses autonomes à la FTQ de toutes les professions imaginables.

Maintenant, ça, c'est un autre débat que celui du Code. On a travaillé, par exemple, avec les dossiers des taxis, dans d'autres dossiers où la notion de salarié n'existe pas. On pense que c'est d'autres projets de loi, si nécessaire, qui... D'ailleurs, on a déjà demandé à la ministre du Travail, au gouvernement, d'avoir une loi habilitante qui ferait en sorte que, quand des travailleurs et travailleuses autonomes majoritairement dans un secteur décident de s'organiser, ils ne soient pas obligés de prendre 10 ans à bâtir, d'un bout à l'autre, toute cette question-là puis demander au gouvernement d'intervenir. Ça existe dans d'autres pays, hein, je veux dire, en Europe, les femmes, celles qui font l'entretien dans les maisons privées, à domicile, puis tout ça, il y a des lois encadrantes, habilitantes, puis ça ne leur prend pas 10 ans avant d'être reconnues puis avoir un certain rapport de négociation. Mais ça, c'est en dehors du Code du travail.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: Merci, Mme la Présidente. Dans votre mémoire, vous insistez beaucoup sur les définitions des travailleurs et travailleuses de la forêt, les cadres, les travailleurs et travailleuses des agences de placement de main-d'oeuvre qui devraient être en tout cas dans le Code du travail, élargir ces définitions pour inclure ce type de travailleurs. Et vous dites aussi que, à défaut, cela rend impossible la syndicalisation de milliers de travailleurs et de travailleuses.

Outre la syndicalisation, qui légitimement est votre intérêt corporatif comme FTQ, quels sont les autres avantages pour les travailleurs que vous avez nommés ici, à la page 4 en particulier, d'être inclus dans le Code du travail? Outre la syndicalisation.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Massé.

M. Massé (Henri): C'est aux travailleurs de décider. Nous, on n'est pas ici pour vous parler de syndicalisation obligatoire, on n'est pas ici pour vous parler de syndicalisation forcée; on est ici pour vous dire: Il y a un Code du travail, les notions sont désuètes, elles ne sont pas assez larges, et, s'il y a des groupes de travailleurs dans la société qui sont vraiment dans le fond des salariés, qu'ils aient la chance de s'organiser. Point à la ligne.

n (12 h 20) n

Vous parliez tantôt des agences de placement. On a un phénomène nouveau dans certaines entreprises aujourd'hui, vous rentrez dans l'entreprise, il peut y avoir... il y a les salariés de l'entreprise, aux côtés il y a les salariés d'une agence de placement et, bon, tout le monde sont sur les mêmes machines, font exactement le même travail. Souvent, il y a même une interrelation entre ces travailleurs et ces travailleuses-là. Ils l'ont dit: C'est une agence de placement, bon, bien, tu sais... Ça fait que c'est des phénomènes... C'est aux travailleurs et aux travailleuses de décider quel intérêt ils voient dans le syndicalisme, Bon an, mal an, nous, à la FTQ, on mène des sondages, et il y a une majorité encore au Québec de travailleurs, qui sont non syndiqués, préféreraient se syndiquer. Et c'est à eux autres de décider.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: La notion des «faux travailleurs autonomes» qui vous préoccupe et pour laquelle d'ailleurs vous réclamez la modification du Code du travail, est-ce que vous avez eu l'occasion par des recherches, ou par des sondages, ou autrement, d'évaluer ce phénomène? Qu'est-ce qu'il représente? C'est quoi, la proportion des faux travailleurs autonomes par rapport aux vrais travailleurs autonomes? Est-ce que c'est un phénomène endémique qui est si important qu'il faille, le gouvernement et le législateur, l'encadrer, ou c'est un phénomène en émergence, ou sporadique? Je n'ai pas une idée précise vraiment de ce que ça représente.

Et, subséquemment, est-ce que la jurisprudence qui a déjà disposé de cette situation-là, des faux travailleurs autonomes, n'est pas suffisante à vos yeux et qu'il faille absolument encadrer ça dans une législation au sein du Code du travail?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, avant de vous donner la parole, je demanderais à tous ceux qui ont des appareils, des téléphones cellulaires de bien vouloir les fermer, s'il vous plaît. C'est la deuxième fois que ça se produit, alors à ce moment-ci je fais donc la demande, la mise au point. Alors, M. Massé.

M. Massé (Henri): Bon, est suffisante, on vous a donné trois ou quatre exemples où des travailleurs sont syndiqués, ont une convention collective, de bonnes conditions de travail et, du jour au lendemain, ne le sont plus. C'est réglé au fédéral, puis c'est réglé dans la plupart des provinces canadiennes. On se demande pourquoi au Québec on est en retard là-dessus.

Et à savoir combien il y a de faux autonomes dans l'ensemble des travailleurs et travailleuses autonomes au Québec, on ne le sait pas. Puis ce n'est parce qu'on n'a pas travaillé, là. Il y a eu des études de menées par le Conseil consultatif de travail et de la main-d'oeuvre, des études de menées par les universités, puis tout ça. On n'a jamais su exactement. Bon.

Est-ce que c'est un phénomène qui est en augmentation? À l'heure actuelle, non. À l'heure actuelle, quand on regarde la croissance des emplois au Québec, c'est majoritairement des emplois à temps complet, des emplois permanents. Mais, quand le taux de chômage, et M. Taillon du Conseil du patronat a répondu avec à-propos, quand le taux de chômage est élevé, bien c'est une mode qui est un peu plus là. Puis des travailleurs, des travailleuses qui prennent toutes sortes de méthodes des fois pour aller se créer une job.

Et ça, encore une fois, nous, là, on n'est pas contre le phénomène du travail autonome, mais le vrai travail autonome. Si quelqu'un travaille pour une entreprise puis dépend de l'employeur d'un bout à l'autre mais qu'on lui fout la définition d'«autonome»... Des fois, c'est des questions d'impôts, ça, il ne faudrait pas se le cacher aussi là, question d'impôts, là. Il y a beaucoup de noir à ce niveau-là. Des fois, c'est purement des questions fiscales qui peuvent intéresser du monde à aller dans ce sens-là. Ce n'est pas tout le temps ça.

Mais, encore une fois, je ne sais pas jusqu'à quel point le phénomène est important, mais, dans nos entreprises, on l'a vu de plus en plus dans les dernières années puis on pense que ça mérite d'être corrigé, comme ça a été corrigé ailleurs.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: Merci, Mme la Présidente. J'aurais pensé peut-être que vous avez des éléments d'information que, nous, on n'a pas qui pourraient nous permettre de mesurer l'ampleur du phénomène. Parce que, pour agir par législation, ça devrait en tout cas correspondre à une réalité assez importante. Donc, on est un peu sur la même longueur d'ondes: on ne sait pas qu'est-ce que ce phénomène-là représente réellement. Et vous estimez que les tribunaux, la jurisprudence ne peut pas nécessairement encadrer ce phénomène-là dans sa facture actuelle.

Sur l'article 45, j'ai posé la question aux gens du Conseil du patronat, vous me permettrez de vous poser la même question parce que je voudrais avoir votre réponse à vous. Ce que je comprends, moi, c'est que le patronat réclame plus de sous-traitance. Vous dites que la sous-traitance est déjà suffisamment développée, donc vous n'êtes pas contre la sous-traitance, en principe. Mais en même temps vous ne voulez pas que ça se développe. Et je me demande si, par législation, on peut arrêter un phénomène qui, par la réalité du marché du travail, par la réalité de la concurrence qui sévit dans le milieu du travail, est un phénomène qui va se poursuivre.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. Massé, rapidement. Le temps est presque écoulé.

M. Massé (Henri): On est conscient de ça, c'est un phénomène qui se poursuit. On avait de grandes entreprises où il y avait 2 000, 3 000 salariés. Aujourd'hui, il y en a 200, 300, et tout le tour, c'est de la sous-traitance, de la micro sous-traitance, et l'article 45 du Code du travail n'a pas empêché ça. Donc, vous posez mal votre question.

Le Conseil du patronat dit: Il ne faut pas qu'il y ait d'entrave à la sous-traitance. Et, nous, on pense qu'avec l'article 45 à l'heure actuelle ça n'empêche pas de sous-traiter. Ça peut empêcher d'avoir une certaine sous-traitance de «cheap labor» puis de s'organiser pour casser les syndicats ou de casser les conditions de travail d'un bout à l'autre, mais en même temps ça n'empêche pas de sous-traiter. Et c'est ça qu'on se tue à dire: Le Québec est une des provinces qui sous-traite le plus dans toutes les provinces canadiennes. Il y a un faux débat dans tout ça. Il y a un faux débat dans tout ça.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, merci. Malheureusement, c'est tout le temps... Oui, vous vouliez ajouter... Je pense que c'est possible que vous ajoutiez, rapidement, M. Dupuis.

M. Dupuis (Pierre): Merci. Ce qu'on trouve qui vient amender les règles du jeu, c'est tout l'article 46 qui est formulé. Il y a deux éléments dans l'article 46 sur lesquels il faut revenir. Mme la ministre tout à l'heure a posé la question concernant la négociation. Je suis un peu surpris d'entendre ses propos, parce que, pas plus tard que l'automne passé, on était ici puis on entendait avec beaucoup de réticence certains intervenants parler, exemple, des planchers d'emploi. Quand on instaure des planchers d'emploi dans un milieu, c'est justement pour se protéger, que nos emplois ne s'en aillent pas ailleurs. C'est un article où on se protège un peu de la sous-traitance. On sait qu'il y a de la réticence. Donc, il y a des réticences pour qu'on négocie ces articles-là et il y a de la réticence que l'article 45 s'applique comme tel. Donc, moi, je pense qu'il faut s'assurer que l'article 45 continue à jouer son rôle. Ce débat-là s'est fait beaucoup dans le secteur municipal, et on sait que dans le secteur municipal il y a beaucoup de sous-traitance. On essaie de la baliser, on essaie de la limiter mais d'une façon telle que les emplois qu'on a puissent être conservés.

L'autre élément aussi sur lequel je trouve qu'il faut revenir un peu, là, concernant l'article 46, c'est les éléments que vous avez proposés pour régler les difficultés qui existent. Je pense que M. Massé en a parlé tout à l'heure. Entre ce qui existe dans la pratique aujourd'hui puis ce que vous proposez aujourd'hui, c'est énorme comme pouvoirs que vous donnez aux commissaires, d'intervenir à partir des difficultés que peuvent avoir les employeurs.

Et, si je regarde dans le secteur de la santé, au niveau des employeurs on a reconnu depuis toujours la multitude d'accréditations pour toutes sortes de corps spécialisés. Aujourd'hui, on vit une espèce de pluralisme syndical dans l'univers de la santé et là on veut intervenir par l'article 46 pour éliminer ce pluralisme syndical là. Moi, je trouve ça inadmissible, parce que, si ça a été voulu comme ça par les législateurs, par les commissaires... Et là aujourd'hui les pouvoirs qu'on donne ici sont tels que le commissaire pourra intervenir dès qu'un employeur se lève la main pour dire: On a quelques difficultés parce qu'il y a trop de syndicats, quand dans le passé ils les ont encouragés.

Moi, je vous dis qu'on est là, qu'on a appris à vivre bon nombre ensemble et que la liberté de se syndiquer et le choix de son association, c'est reconnu comme principe de base dans le Code du travail, qu'il faut regarder ce principe-là. Et ce n'est pas nécessaire parce que déjà, je pense, au cours des dernières années, les commissaires du travail ont réglé bon nombre de conflits de juridiction qui pouvaient exister.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, merci, M. Dupuis. Il reste cinq minutes aux gens du parti ministériel. Alors, Mme la ministre.

Mme Lemieux: Permettez-moi une petite remarque parce que le dernier commentaire me fait bondir. Je m'excuse, mais je n'ai pas entendu de grands plaidoyers sur la pluralité syndicale dans le dossier municipal. Alors, je ne sais pas pourquoi je l'entends ce matin. On s'est donné une méthode dans le milieu municipal, qui a un effet sur cette question-là, de la pluralité. Là, on va faire attention, on ne peut pas sortir des arguments juste quand ça fait notre affaire.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Massé.

M. Massé (Henri): Ce n'est pas la même réalité. Écoutez...

Mme Lemieux: Oui, c'est la même réalité. Qu'est-ce qu'il dit, l'article 46? Il dit: Quand, dans un milieu de travail, pour toutes sortes de raisons, les choses ne sont pas agencées, que pour le même genre d'employé il y a trois, quatre unités d'accréditation, on va arrêter ça. C'est ça que ça dit, l'article 46. Et c'est exactement dans l'esprit de ce qu'on a fait dans la réforme municipale.

M. Massé (Henri): Mais ça va plus loin que ça.

Mme Lemieux: Et c'est exactement dans l'esprit de ce qu'on a fait dans la réforme municipale.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Massé.

n (12 h 30) n

M. Massé (Henri): Mais c'est ce qu'on vous a soulevé ce matin, ça va plus loin que ça. Si on fusionne des établissements, si on fusionne, par exemple, un hôpital, un CLSC, un centre d'accueil pour personnes âgées alors qu'il n'y a pas d'interrelation de personnel, là on pourrait dire: Parce qu'il y a un établissement, dorénavant le commissaire va fusionner ça automatique. Nous, on ne dit pas qu'il ne peut pas fusionner ça. On dit: Effectivement, s'il y a de l'interrelation entre les personnels de ces trois institutions-là, le commissaire pourra agir, encadrer ça. Dans ce sens-là, on n'a pas de problème à régler les questions de relations de travail, mais faut-il encore au départ qu'il y ait un problème. Et c'est ce qu'on vous soulève.

On a le même problème dans le privé. On fusionnerait... On prendrait Abitibi-Price, qui a, je ne sais pas, 10 établissements au Québec ou sept ou huit établissements au Québec et qui déciderait un jour ou l'autre: Moi, je pense que dorénavant, c'est juste une entreprise, c'est juste un établissement alors qu'il n'y a pas d'interrelation de personnel, on se ramasserait avec un joyeux problème. Mais, s'il y a des problèmes de répartition du personnel puis d'interrelation... Mais il faudrait que ce soit encadré, ça ne l'est pas dans votre projet de loi.

Mme Lemieux: Là, on dit la même chose, pas le reste.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): D'accord. Alors, M. le...

M. Massé (Henri): Ça va? Vous avez bondi pour rien, Mme la ministre.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Lemieux: Non, non, pas pour rien.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. le député de Maskinongé, vous m'aviez demandé la parole. Alors, il reste trois minutes. Si vous faites rapidement, vous allez être correct.

M. Désilets: Ah, ça va. Moi, ça me va.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Ça va?

M. Désilets: Oui.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, c'est complété. Donc, messieurs, merci de votre présentation et de votre participation à cette commission. Je vais donc suspendre les travaux jusqu'à 14 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 32)

 

(Reprise à 14 h 3)

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, la commission de l'économie et du travail va donc poursuivre les auditions publiques sur le projet de loi n° 182, Loi modifiant le Code du travail, instituant la Commission des relations du travail et modifiant d'autres dispositions législatives.

Le prochain groupe que nous rencontrons, c'est la Confédération des syndicats nationaux. M. Laviolette, messieurs, bienvenue à cette commission. Je pense que vous êtes un habitué. Alors, vous savez que vous avez 20 minutes pour nous présenter votre mémoire, que, par la suite, il y aura période d'échanges. Et, avant de présenter votre mémoire, M. Laviolette, si vous voulez présenter aussi les personnes qui vous accompagnent.

Confédération des syndicats nationaux (CSN)

M. Laviolette (Marc): Merci, Mme la Présidente. À ma gauche, Clément Gaumont, qui est adjoint à l'exécutif de la CSN; à ma droite, Roger Valois, qui est vice-président à l'exécutif de la CSN; et François Lamoureux, qui est coordonnateur du service juridique à la CSN.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Merci. Vous pouvez procéder.

M. Laviolette (Marc): Merci. D'abord, je voudrais remercier les membres de la commission d'accueillir la CSN. Je me suis permis de vous préparer un petit résumé de notre mémoire, que je vais vous lire, pour qu'on puisse avoir le maximum de temps pour débattre ensemble des positions de la CSN sur la réforme du Code.

Nous voulons tout d'abord vous signifier que la CSN est d'accord avec la mise sur pied d'une commission des relations de travail qui aura pour effet, croyons-nous, de réduire le recours aux tribunaux et d'inciter les parties à régler elles-mêmes leurs problèmes. Nous réclamons un tel organisme depuis plus de 20 ans. La CSN croit aussi qu'il est sage d'avoir institué une CRT avec deux divisions afin de préserver le caractère d'étanchéité entre le juridique et l'administratif ou le politique. Cette façon de procéder permet aussi que l'ensemble des relations de travail soit traité à un endroit et non pas de façon éparpillée.

Par ailleurs, la CSN recommande que le mandat des commissaires de la CRT soit renouvelé aux 10 ans afin de garantir un minimum d'indépendance judiciaire. La CSN espère que la future Commission exercera les pouvoirs qui lui sont conférés. Quand on lit le Code actuel, les agents et commissaires ont d'énormes pouvoirs, mais ils ne les exercent pas. Il s'agit là d'une question de culture d'organisation qui doit être modifiée, d'où l'importance aussi que le Code énonce clairement, à son article 1, qu'il favorise l'exercice du droit d'association.

D'ailleurs, la Cour d'appel du Québec, dans l'arrêt Natrel, une décision qui date de l'an dernier, affirme: «Il ne faut pas oublier que le droit à la syndicalisation est un droit fondamental de la personne et qu'en cas de doute il vaut mieux en assurer la promotion que la négation.»

Ceci étant dit, au-delà de la création d'une commission des relations de travail, comme il en existe dans toutes les provinces canadiennes et dont le rapport Beaudry parlait déjà dans les années quatre-vingt, peu de louanges sont à faire au projet de loi. Sur la durée maximale des conventions de longue durée et sur la période de changement d'allégeance, dans une telle situation, il n'y a rien. Pourtant, la période maximale de changement d'allégeance au Québec est de 78 mois, alors que, dans la plus conservatrice des provinces, l'Ontario, elle se situe à 35 mois. Aucune raison ne justifie, même si nous sommes une société distincte, d'être à ce point hors normes.

De plus, le projet de loi introduit de nouveaux reculs comme celui de renvoyer les plaintes sur l'équité salariale à la très conservatrice Cour du Québec, ce qui n'a rien de rassurant pour les hommes et les femmes. La Cour du Québec, rappelons-le, n'a aucune expertise en matière d'équité et de relations de travail. La rémunération et les systèmes de classification d'emploi ne sont sûrement pas les points forts d'une cour qui traite principalement de petites créances et des vols à l'étalage. C'est pourquoi nous proposons d'en référer au Tribunal des droits de la personne.

Dans le projet de loi, on ne retrouve rien non plus sur la négociation regroupée ni sur le regroupement de travailleurs autonomes, comme les pigistes à titre d'exemple. Par ailleurs, on y veut permettre, en vertu de l'article 41, la révocation des accréditations estimées inopérantes ou encore, à l'article 58.2, imposer des votes forcés comme si les syndicats n'étaient pas des organisations démocratiques.

Ce qui est plus grave à notre avis, c'est l'absence de dispositions sur l'employeur unique, où le Québec traîne de la patte là aussi de façon honteuse par rapport aux autres provinces canadiennes. En effet, le Code canadien du travail de même que la quasi-totalité des codes du travail applicables dans les autres provinces canadiennes permettent une déclaration d'employeur unique. Il est rarement possible au Québec de faire reconnaître comme employeur unique deux ou plusieurs personnes physiques ou morales exploitant ensemble une entreprise. L'absence de législation à ce sujet posera d'autant plus de problèmes lors de transferts de juridiction que deux employeurs reconnus employeur unique au fédéral seront traités différemment au Québec. Bref, au Québec, contrairement au reste du Canada, il est extrêmement facile pour les entreprises de contourner le Code du travail par un jeu de compagnies musicales ou encore d'utiliser des marionnettes censées gérer l'entreprise, celle-ci ne servant en fait souvent qu'à masquer l'identité du véritable employeur.

Aussi, formulé comme il est, l'amendement sur l'entrepreneur dépendant sera source de multiples interprétations et débats juridiques. En spécifiant notamment que celui qui fournit un service doit le faire dans un cadre et selon les méthodes et moyens que le donneur d'ouvrage détermine, on exige à la fois une subordination juridique et une subordination économique. On exige ici plus qu'au fédéral, plus qu'à la jurisprudence ou encore plus que pour les professionnels salariés, qui sont souvent syndiqués et qui contrôlent à la fois les méthodes et les moyens de dispenser leurs services.

n(14 h 10)n

À l'égard des cartes de membre, le mouvement syndical n'a jamais revendiqué une hausse des frais d'adhésion de 2 $ à 10 $, comme le propose le projet de loi. Nous trouvons cette hausse tout à fait déraisonnable, car elle constitue rien de moins qu'un ticket modérateur. Le Québec se situerait à ce niveau bien au-dessus de ce que l'on retrouve ailleurs. En Ontario, il n'y a pas de frais alors qu'au Nouveau-Brunswick, notre autre voisin, les frais sont de 1 $.

Pour un bas salarié au salaire minimum qui a à peine connu une hausse de 0,10 $ de l'heure ces dernières années, cela représente l'équivalent net de près de deux heures de travail. Pour un jeune de McDo, c'est plus cher que deux trios.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Laviolette (Marc): Bien, il faut comparer les affaires avec les comparables, n'est-ce pas? Ha, ha, ha!

Par ailleurs, modifier l'article 46 pour faciliter la gestion de la main-d'oeuvre au détriment de l'exercice du droit d'association nous est inacceptable. On voit poindre tous les débats juridiques qu'entraînera l'obligation pour la Commission de régler toute difficulté de la façon la plus appropriée en vue de faciliter la gestion de la main-d'oeuvre. L'article nous inquiète d'autant plus qu'il permet de révoquer une accréditation, de vérifier le caractère représentatif, de choisir par scrutin la convention sans nécessairement choisir l'accréditation. Un employeur pourrait favoriser indûment une association par rapport à une autre.

Il y a plus. Au lieu de répondre légitimement aux revendications de la CSN et des autres centrales pour redonner à l'article 45 les attributs qu'il avait avant le jugement CSRO de la Cour suprême, on vient, par le dernier paragraphe de l'article 46, balayer du revers de la main ce que les tribunaux ont jusqu'ici décidé en regard de la sous-traitance.

En effet, c'est bien de cela qu'il est question lorsqu'on introduit, à l'article 46, des modifications qui affaiblissent considérablement l'article 45. Les accréditations, leur portée et, finalement, l'application de l'article 45 dans les cas de sous-traitance deviennent maintenant matières à négociation en vertu des dispositions de l'article 46, car, du moment où il y aurait une clause concernant la sous-traitance, la Commission pourrait ainsi décider que la protection accordée par l'article 45 ne s'applique plus. Une vaste campagne d'épuration pourrait s'ensuivre. Un employeur pourrait systématiquement, lors de prise de la retraite, ne plus afficher de poste, donner l'ouvrage à une sous-traitance et, à terme, se débarrasser du syndicat. Un autre pourrait, en vertu de la clause qu'on retrouve habituellement dans les conventions collectives, donner de l'ouvrage à la sous-traitance sans faire de mises à pied ou sans que cela ait pour effet d'empêcher le rappel au travail de salariés. Pas de griefs possibles, pas de 45 qui s'applique. Un peu plus tard, lors de mises à pied, on ne pourra réclamer les postes et l'ouvrage, l'accréditation aura été purgée. Ce qui est devant nous doit être réfuté. À terme, c'est la mort lente mais assurée du syndicalisme québécois. Ce matin, certains ont réclamé plus de flexibilité, invoquant la compétition mondiale. Cet argument ne tient pas la route. En effet, selon une étude réalisée, en septembre 1999, par la firme indépendante KPMG et amplement citée par Investissement-Québec, les coûts de la main-d'oeuvre, incluant salaires, traitements et avantages sociaux, sont inférieurs au Québec en comparaison avec l'Ontario et les États-Unis, et cela, même si le taux de syndicalisation est plus élevé et que certaines lois du travail assurent une meilleure protection de l'emploi. L'étude KPMG nous révèle aussi que les coûts moyens au Québec sont de 2,1 % inférieurs à la moyenne canadienne, de 9,7 % moins élevés qu'aux États-Unis et de 4,7 % inférieurs à ceux du Royaume-Uni, qui affiche le meilleur indice de compétitivité en Europe.

De plus, la flexibilité voulue dans les entreprises est possible sans déréglementer les lois. L'article 45, je le rappelle, n'interdit pas la sous-traitance. Ce que veulent les employeurs, c'est engranger plus de profits en ayant moins cher pour leurs coûts de main-d'oeuvre. Aucun pays n'a intérêt à miser sur des salaires peu élevés pour assurer sa croissance économique. Au contraire, les bas salaires découragent la consommation et les investissements, la croissance de la productivité et, en bout de piste, la création d'emplois.

Mieux, la croissance des salaires stimule la croissance de la consommation et de l'économie. Les bons salaires signifient aussi de meilleurs services publics. Un employé syndiqué à temps complet gagne en moyenne au Canada 3,44 $ de plus l'heure qu'une personne non syndiquée. Vouloir décourager la syndicalisation et libéraliser la sous-traitance afin d'avoir une main-d'oeuvre à bon marché, c'est desservir le Québec et desservir l'emploi. D'ailleurs, je pense que le champion de cette thèse s'appelait Maurice Duplessis. Il aimait ça, lui, vendre le Québec à pas cher.

Hormis les modifications de 1977 qui ont pacifié les rapports collectifs, le déséquilibre de notre législation du travail en regard de ce qui existe ailleurs au Canada est désolant. Ce déséquilibre demeure. Nous trouvons gênant de nous comparer aux autres provinces, alors que le Québec devait être plus à l'avant-garde, semblable à toute société qui se donne les outils nécessaires à sa réalisation et à l'exercice démocratique de ses droits. Car, avec l'adoption de la loi n° 182, nous serions toujours orphelins d'un article sur l'employeur unique, article qui existe presque partout ailleurs au Canada; nous aurions une carte de membre 10 fois plus chère que la province voisine la plus riche; nous serions aux prises avec une notion de «travailleur dépendant» plus restrictive que celle qui existe ailleurs; nous aurions toujours une période maximale de changement d'allégeance de 43 mois de plus que le maximum des autres provinces canadiennes; nous assumerions de nouveaux reculs importants sur les articles 45 et 46; nous devrions faire face à de nouvelles façons de révoquer des accréditations à de nouveaux intervenants conservateurs quant à l'application de la Loi sur l'équité salariale, et tout cela en troquant une mise à niveau pour doter le Québec d'une CRT comme cela existe partout ailleurs. Non, merci.

Ce projet de loi devrait s'en tenir à une réforme moins ambitieuse. Il devrait uniquement mettre de l'avant une définition cohérente de l'entrepreneur dépendant et une commission des relations de travail plutôt que de s'attaquer au mouvement syndical, aux travailleuses et aux travailleurs ainsi qu'à leurs conditions de travail. Voilà!

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, merci, M. Laviolette. Alors, Mme la ministre, pour commencer la période d'échanges.

Mme Lemieux: Alors, merci, Mme la Présidente. M. Laviolette, bienvenue à cette commission, ainsi qu'aux gens qui vous accompagnent.

Je voudrais aborder essentiellement deux sujets. Le premier, c'est au sujet du geste qu'une personne doit poser pour signifier son adhésion à un nouveau syndicat. Jusqu'à maintenant, ce geste-là, en plus de signer, d'apposer son consentement, était aussi de verser 2 $. Nous proposons que ce montant soit porté à 10 $. J'ai cru comprendre, parce que j'ai eu plusieurs conversations avec plusieurs intervenants, que cet élément créait un peu de remous, vous allez même jusqu'à parler d'un ticket modérateur. Vous nous dites que l'Ontario n'a pas de frais. C'est vrai, mais l'Ontario impose un vote dès qu'il y a une requête en accréditation pour vérifier donc cet engagement à adhérer à un syndicat.

Alors, là, je vais vous demander de choisir vos batailles. Parce que, moi, je pense que c'est un geste important pour une personne de signifier clairement qu'elle désire adhérer à ce projet de créer un syndicat dans une organisation de travail. Ce n'est pas banal. Ce n'est pas la fin du monde, on en convient, mais, quand même, il faut le signifier, cet engagement-là.

Alors, là, vous donnez l'exemple de l'Ontario, mais il y a des bouts que vous oubliez. Par ailleurs, je ne pense pas que ça soit excessif. Je vous rappellerais que, dans les années soixante ? j'ai fait sortir les chiffres; d'ailleurs, j'ai appris quelque chose de fort intéressant ? le salaire minimum ? en 1964 ? était différent selon que nous soyons un salarié de la région de Montréal ou des autres régions du Québec. J'ai appris ça récemment. Donc, il était, en 1964, de 0,70 $ l'heure pour les salariés de Montréal et de 0,64 $ l'heure pour les salariés des autres régions du Québec. À 0,70 $ l'heure, ça voulait donc dire que, pour pouvoir payer cette cotisation de 2 $, il fallait donc travailler 2,9 heures. En 2001, avec une cotisation de 10 $, prenant pour acquis qu'on veut s'adresser aux plus faibles salariés, donc à 7 $ de l'heure, ça prendra 1,4 heure. Alors, je ne pense pas que ce soit excessif. Je pense que c'est un ajustement qui fait en sorte que cet engagement-là, il a la valeur de maintenant. Première remarque. Est-ce que je dis tout de suite la deuxième?

M. Laviolette (Marc): Ah! comme vous voulez, une ou deux. De toute façon, vous allez avoir une ou deux réponses.

n(14 h 20)n

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Laviolette (Marc): Vous avez le choix. Ha, ha, ha!

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Mme la ministre.

Mme Lemieux: L'autre élément, c'est évidemment autour de 45, 46. D'abord, je constate dans votre mémoire, à la page 9, la section qui s'appelle Une réforme qui n'est pas pour le mieux. Vous n'avez pas dû travailler longtemps avec des communicateurs pour trouver ce titre. Enfin...

M. Laviolette (Marc): Ça dépend du point de vue où on se situe.

Mme Lemieux: C'est ça. Bon. Vous êtes très, très, très sévère. C'est votre droit le plus strict. Vous faites la liste de choses qu'il n'y aurait pas ou qu'il n'y aurait plus après l'adoption de la loi n° 182. Je veux quand même me permettre... Il faut aussi regarder ce qu'on a. On a l'article 45, qui est unique au Canada, il faut se le dire. Il y a des dispositions différentes qui ont des effets plus ou moins équivalents dans le reste des juridictions, mais il reste qu'il y a là une particularité du Québec. Le droit de grève, il est encadré et quelquefois exclu dans plusieurs juridictions, alors qu'ici on est assez clair là-dessus, avec un certain encadrement au niveau des services essentiels. Nous avons des dispositions antibriseurs de grève, nous avons le précompte syndical. Ça ne court pas les rues, ça, dans le reste du Canada, le précompte syndical. Nous avons une loi sur l'équité salariale, etc.

Moi, je veux bien que vous soyez pessimiste et sombre par rapport aux résultats suivant l'adoption du projet de loi n° 182, mais il faut aussi regarder ce qu'on a. Et je terminerais un peu là-dessus en vous disant que non seulement vous n'ouvrez aucune porte sur les pistes que nous avons envisagées à l'article 46, mais vous insistez beaucoup sur le concept d'«employeur unique». Moi, je comprends que ce concept-là règle des problèmes qui sont réels, j'en conviens, qu'il couvre même, en certains cas, des situations assimilables à la sous-traitance. Alors, vous ne voulez rien bouger là-dessus puis vous voulez rajouter une couche qui s'appelle la «déclaration d'employeur unique». Là, à un moment donné, ce n'est pas simple, garder des équilibres.

Moi, je suis très claire sur l'importance que le Code a dans une société comme la nôtre. J'ai dit, dans mes remarques introductives, que, de plus en plus, dans les instances et les instruments internationaux, on véhicule avec beaucoup de force cette idée de liberté de négociation, liberté de syndicalisation, c'est un enjeu majeur dans l'économie dans laquelle nous sommes. Mais là, on ne peut pas juste ajouter des couches.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, ça va? M. Laviolette.

M. Laviolette (Marc): Oui. Bon, deux choses. D'abord, sur l'engagement, lorsque les gens veulent se syndiquer, ils signent une carte. Bien entendu, leur engagement est là, ils paient un 2 $. Mais ce n'est pas la cotisation syndicale, ça, c'est pour signer ta carte. Les gens, lorsqu'on est majoritaire, décident de la hauteur de la cotisation syndicale qu'ils auront à payer. L'esprit du 2 $, c'était, là, parce que, dans le temps, quand on faisait signer des cartes, ce n'était pas tout le monde ? parce que ça fait un petit bout de temps que ça existe, le droit de syndicalisation ? qui savait écrire, ça fait que l'engagement se mesurait aussi par le 2 $. Moi, je ne comprends pas pourquoi on monte ça à 10 $, alors que les travailleurs eux-mêmes... Parce que le droit à la syndicalisation, ça appartient aux travailleurs, ça, pas au patronat.

D'ailleurs, le Code du travail, son objet, c'est de permettre de réaliser un droit fondamental prévu aux chartes qui s'appelle le droit d'association. Et tout le discours que j'entends, d'ailleurs, sur les sous-contrats... En 1872, les syndicats étaient illégaux parce que c'étaient des coalitions dans le but d'empêcher le libre commerce, et tout le discours qu'on entend idéologique sur les sous-contrats, là, bien, ça équivaut à dire ça aujourd'hui. Ça, on en a un peu ras le pompon d'entendre ces discours-là, parce que, quand on regarde les faits économiques, c'est le contraire que ça dit: le revenu per capita au Québec est le 16e au monde. Pour du monde qui empêche l'économie de se développer, il me semble qu'on n'est pas si pire. Pour des citoyens qui ont la moitié d'un État, la moitié d'un pays, on se développe pas pire. Ça fait que, quand il y en aura tout un, je suppose qu'on va monter dans l'échelle. Mais le Code du travail, c'est pour permettre à un droit fondamental de se matérialiser.

Ce qu'on affirme, c'est que la tentative de mise à niveau par la CRT, on l'appuie, c'est une bonne chose. Ça va permettre l'accès plus rapide à la syndicalisation. Mais qu'est-ce que ça donne d'avoir un accès plus rapide à la syndicalisation si on se fait vider nos accréditations par l'article 46 tel qu'il est inscrit là?

Nos membres, c'est des gens qui sont syndiqués, puis on dit: Oui, on veut syndiquer du monde, mais on ne veut pas perdre nos syndicats non plus. Et, sur l'employeur unique, ce n'est pas des sous-contrats, ça, l'employeur unique, c'est des fictions juridiques que les employeurs utilisent pour contourner et vider les accréditations. Un employeur unique, là, c'est un employeur... Bon, on a connu des conflits comme dans le Crowne Plaza à Montréal qui a duré trois, quatre ans parce qu'il y avait eu soi-disant changement d'entreprise, mais c'était le même employeur.

J'écoutais la FTQ ce matin qui expliquait ? le confrère Massé expliquait ça assez bien ? que, quand, dans un même magasin, tu as différentes compagnies, bien, c'est toutes le même employeur. Un employeur qui se sous-contracte à lui-même, je veux dire, pour dans le fond détruire les conditions de travail et empêcher le droit à la syndicalisation, je pense que ce n'est pas admissible, ça. C'est pour ça qu'on dit: C'est présent dans l'ensemble des codes au Canada et on devrait se mettre à niveau là-dessus. Parce que la situation objective aujourd'hui, c'est qu'un travailleur québécois qui est sous le code fédéral, sauf pour la loi antiscab, est mieux protégé qu'un travailleur québécois sous le code tel qu'on veut l'amender. Ça, c'est un fait de la vie.

L'autre argument, c'est que, entre autres, les employeurs uniques qui sont reconnus au fédéral ? si on prend encore l'employeur unique ? s'il y a un transfert au provincial puis on ne l'a pas dans le code provincial, on échappe ces accréditations-là? On sait qu'on ne le peut pas et c'est pour ça qu'on demande qu'on soit mis à niveau là-dessus. Et on va les échapper, ces transferts-là.

Mme Lemieux: M. Laviolette...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, Mme la ministre.

Mme Lemieux: ...une dernière remarque avant de passer la parole à mes collègues. Vous avez souvent évoqué une mise à niveau du Code du travail par rapport à ceux des autres juridictions canadiennes. Vous donnez l'exemple de l'employeur unique. Je vais vous prendre au mot. On doit reconnaître que l'article 45 nous est particulier. Je ne dis pas que c'est mauvais ou que c'est bon; ça fait partie de notre histoire. J'ai tenté d'essayer de trouver des aménagements qui faisaient en sorte qu'on puisse vivre correctement avec cet héritage-là, mais je vais un peu vous confronter: cette mise à niveau là, elle ne peut pas juste marcher d'un bord. Pourquoi? Par rapport au fait qu'il y a des nouveaux phénomènes dans l'économie et que ça nous entraîne à vivre avec d'autres considérations, votre position, c'est: 45 ne bouge pas d'une virgule. On n'est pas à niveau à ce niveau-là.

Moi, je suis prête à ce qu'on vive avec certaines spécificités au Québec. On en a d'autres puis ça fait partie de notre bagage. Mais il me semble que, collectivement, on doit faire l'effort de se parler clairement, d'examiner un certain nombre de problématiques qui sont vécues ces années-ci. Il y a deux aspects dans l'article 46, vous le savez, mais je reviens sur le premier là où vous décriez le fait que, lorsqu'il y a des regroupements d'établissements, on ne puisse pas faire ça de manière ordonnée. En 1960, là, on n'envisageait pas ça, des regroupements d'établissements, notamment dans les systèmes public, parapublic comme maintenant; le Code anticipe mal cette situation-là. Et vous savez pertinemment qu'il s'agit actuellement de situations qui n'ont aucun bon sens, où c'est le fouillis total, et pour les mêmes salariés qui font la même job, il peut y avoir quatre unités d'accréditation différentes. Vous savez que ça n'a pas de bon sens.

Alors, la mise à niveau, elle ne peut pas marcher juste d'un bord. Puis, moi, je rame comme une damnée pour essayer de faire évoluer cet exercice du droit du travail au Québec. Je n'accepte pas, par exemple, qu'on me dise que le fait qu'on a un taux de syndicalisation plus élevé, c'est ça qui freine l'économie du Québec. Je n'accepte pas ces arguments-là. Mais, en contrepartie, il me semble qu'on devrait convenir que, collectivement, on a une corvée à faire. On a besoin de faire un certain nombre d'ajustements sans que ce soit le drame national.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. Laviolette.

n(14 h 30)n

M. Laviolette (Marc): Oui, je vais répondre brièvement. Je vais passer la parole au vice-président Valois après. Si, oui, il y a un problème du trop grand nombre d'accréditations dans le secteur public, s'il y a un problème dans le secteur public, on va le régler, comme on l'a réglé dans les commissions scolaires, comme on l'a réglé dans les municipalités. Qu'on passe une loi spécifique qui va régler ces problèmes-là. Mais, si c'est dans le Code, ça s'applique à tout le monde.

Et, sur l'article 45 comme tel, qu'on me prouve que ça nuit à l'économie du Québec, on va être ouvert. Mais ce que j'entends, c'est un discours idéologique qui date de 1872, alors que ça ne se matérialise pas dans l'économie du Québec. Ça fait que, là-dessus, on n'est pas capable de faire preuve d'ouverture parce que ça n'a aucun fondement économique, cette argumentation-là, aucun. Ça fait qu'on veut bien, mais ce n'est pas vrai. Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise? Il y a du monde qui font de l'idéologie, ils ne font pas des relations de travail. M. Valois.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. Valois.

M. Valois (Roger): Merci, Mme la Présidente. Mme la ministre, juste pour vous rassurer, au niveau des jeux de mots que vous avez peut-être vus à la page 9, avec les libéraux, on disait que ce n'était pas le paradis non plus, hein, ça fait que...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Valois (Roger): Ça fait que le Code du travail a toujours été... On avait mis ça sur la table. Le Code du travail a toujours été... Je n'ai jamais vu une loi aussi difficile à changer dans ce pays-là. Quand vient le temps de voter des lois spéciales, vous avez une force de trouvailles indescriptible. Ça prend 24 heures, puis là il ne manque rien. Puis on le sait, nous autres, qu'il ne manque rien, on a assez payé pour ça.

Vous avez raison sur le 45, mais, moi, je veux qu'il soit mieux. Je veux qu'il soit comme avant que ? 1, 2, 3, 4, 5, 6 ? la Cour suprême mette les pattes dedans le 22 décembre 1988, avec le juge Beetz. Je veux juste qu'il revienne comme avant; il était tellement beau. La Cour suprême, on l'a dit, ça a été dit par votre gouvernement, par Duplessis, par d'autres avant, ça penche toujours sur le même bord. Mais ça devient pesant, à la longue, à supporter. La Cour suprême, si elle n'avait pas touché au 45 comme elle l'a fait, on ne parlerait pas de ça aujourd'hui.

Le problème, vous le savez, on vous l'a expliqué, il y a des endroits au Québec qui sont inatteignables syndicalement, qu'on ne pourra pas syndiquer. Puis ils savent la recette. C'est arrivé ? je vous en donnait des exemples quand on était plus en privé, je vais le faire en public ? concernant Alma, le Méridien à Montréal, qu'on a arraché par la force du bras ? un employeur unique aurait tout réglé ça ? concernant...

Il y a un truc au Québec: une bâtisse, des gestionnaires, on embauche des sous-traitants puis, à cette heure, ils disent; Syndiquez-moi, essayez-vous. On dit: Mme la ministre, il faut corriger ça. On n'est pas capable de syndiquer le monde qui veut se syndiquer. Change de sous-traitant de nuit, ce n'est pas couvert, on recommence à zéro, c'est ça qui se passe. Ce n'est pas bien, bien compliqué, il faut replacer ça.

Pour ce qui est du 2 $, 10 $, moi, j'étais un praticien, j'ai été sur le terrain. J'ai syndiqué du monde dans ma vie; il n'y aurait pas assez de place dans le parlement pour tous les rentrer. J'ai vu la peur que le monde a de signer une carte. Puis, en plus, je vais leur demander 10 $! Un chausson aux pommes, avec ça? Ça ne marchera pas. C'est un ticket modérateur. Le 2 $, on sait que, des fois, il faut le leur arracher, mais, des fois, ils ne l'ont pas même pour payer. C'est impensable dans la tête, icitte, des législateurs puis de ceux qui vous parlent, hein, c'est impensable de penser qu'au Québec il y a du monde qui n'a pas 2 $ dans ses poches. Au salaire minimum, aïe! qu'est-ce qu'ils font? Ils s'administrent mal, je suppose. Comme disait Marie-Antoinette: S'ils n'ont pas de pain, donnez-leur des gâteaux. Ça ne marche pas comme ça. C'est trop cher, 10 $. C'est un ticket modérateur. Le monde a peur de se syndiquer, c'est la folie.

On vous dit: Mettons une CRT en place. Les commissaires ont des pouvoirs; ils ne les exercent pas. Il faut mettre une CRT qui a des pouvoirs, arrêter d'aller en appel par-dessus appel, se retrouver en Cour suprême parce qu'on veut se syndiquer. On dit: Mme la ministre, la CRT, le 46, là, il me semble qu'il est trop généreux pour ce que vous avez voulu lui faire dire. Il est trop généreux. Soyez moins généreuse sur le 46. Il y a un consensus du patronat puis des syndicats. Retirez-le. C'est rare qu'il y a un consensus du patronat puis du syndicat. Retirez-le, ce n'est pas bien, bien compliqué.

Nous autres, on vous le dit, l'employeur unique, oui, c'est ça que ça prend pour empêcher tous les jeux que le président expliquait tantôt, comme on a réussi au Méridien, parce que ça s'appelait Desjardins, autrement, on n'aurait pas réussi. Trois ans avec M. Rosenberg, hein.

Puis là les municipalités, elles se tapent sur les cuisses, hein. Avec le 46 qu'il y a sur la table, les nouvelles municipalités, là, elles se tapent sur les cuisses. Elles vont pouvoir donner des sous-contrats, puis le commissaire va dire: Il y a des clauses dans la convention collective qui empêchent la bonne gestion du travail, on va enlever ces clauses-là. Tu sais? Bien, ça, là, c'est dangereux pour la syndicalisation du monde, hein. On l'a peut-être vu d'avance, mais c'est l'impression qu'on a quand on le lit. Ça fait que, là-dessus, moi... De toute façon, l'augmentation du 2 $ à 10 $, c'est pour nous autres? Ça va venir dans nos caisses? On n'en a pas besoin. On n'a pas besoin de ça, là. On veut syndiquer le monde, on ne veut pas le... Ça fait une augmentation... Le trésorier, il trouve... Il y a trop de monde qui va refuser de nous le payer. Puis, quand ils ne le payent pas, la carte n'est pas bonne.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Merci, M. Valois. M. le député de Mont-Royal.

M. Tranchemontagne: Merci, Mme la Présidente. M. Laviolette, moi aussi, je voudrais vous souhaiter la bienvenue au nom de mes collègues et en mon nom personnel, ainsi qu'à vos collègues qui vous accompagnent aujourd'hui.

Ma première question aurait trait au travailleur dépendant. À la page 10 de votre document, vous dites que, le travailleur dépendant, la définition au Québec est «plus réceptive que ce qui existe ailleurs» ? je présume, au Canada ou en Amérique du Nord. Je vous avoue que je ne comprends pas puis que j'ai beaucoup de misère à vous suivre dans ce commentaire. Est-ce que vous pourriez m'aider à comprendre votre commentaire? Parce que, à mon sens, la définition de «travailleur dépendant» ailleurs qu'au Québec est beaucoup plus restrictive.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Laviolette.

M. Laviolette (Marc): Oui. Nous, la définition de «travailleur dépendant», ce qu'on aimerait avoir, c'est... On n'a pas de problème avec le caractère de prouver la dépendance économique, mais là où on a un problème, c'est que, pour être considéré comme travailleur dépendant, il faut aussi que tu fasses le travail que le donneur d'ouvrage te donne selon les méthodes et la façon qu'il te dit de faire. Et ça, c'est beaucoup trop restrictif, parce que, je veux dire, les...

Le meilleur exemple, c'est les professionnels. Les professionnels, plusieurs sont des salariés au sens du Code du travail. Et un professionnel, ça a toute son indépendance sur la manière et la façon ? ça a une autonomie professionnelle ? dont il fait son travail. Donc, les professionnels sont reconnus comme des salariés, au sens du Code, puis les travailleurs dépendants, on est encore plus restrictif avec eux-autres, ça fait qu'on n'a pas à... Pour ce qui est de la dépendance économique, ça nous va, mais, sur la façon de faire le travail selon les méthodes que l'employeur t'ordonne, on pense qu'on ne va rien chercher là. Au contraire, ça va compliquer les affaires, puis ça, ça va judiciariser encore plus le processus de reconnaissance, premièrement.

Deuxièmement, cette méthode-là étant plus restrictive qu'au Canada, qu'arrivera-t-il avec les travailleurs dépendants qui sont reconnus au Canada et qui transfèrent au Québec? On ne les reconnaîtra plus au Québec parce qu'il va falloir faire une preuve de plus? Ça ne fonctionne pas, ça. Donc, il faut se mettre en phase avec ce qui est reconnu. Puis ils n'ont pas de problème avec ça au Canada, avec cette définition-là. Et là ça me fait un peu particulier de venir plaider le Canada à l'Assemblée nationale, mais, en tous cas, là-dessus, ils l'ont, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. le député de Mont-Royal.

M. Tranchemontagne: Merci, Mme la Présidente. J'aimerais vraiment comprendre, parce que les travailleurs dépendants... Ce matin, quand on a parlé avec M. Massé, votre confrère de la FTQ, il parlait, lui, il focussait sur les faux autonomes. Il y a une différence à faire entre des travailleurs autonomes et des faux autonomes. Il donnait des exemples. Par exemple, des gens qui ont des routes ou qui travaillaient sur des routes, on les a obligés à acheter la route, etc. Je comprends ça. Des faux autonomes, ça devrait être restreint.

Mais, vous, quand vous parlez seulement de dépendance économique, vous dépassez, à mon point de vue, les définitions qu'on donne ailleurs du travailleur autonome dépendant, ailleurs au Canada, alors que, lui, il parlait strictement... Ou enfin, ce que j'en comprenais, en tout cas, il parlait des faux autonomes, c'est-à-dire de ceux qui sont artificiellement poussés vers une autonomie qu'ils ne désirent même pas, souvent.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. Laviolette.

M. Laviolette (Marc): Peut-être brièvement. Je vais passer la parole, après, à Clément. Quand on parle, notre expression de «faux autonomes», dans le fond, ce qu'on veut dire, c'est les travailleurs dépendants tels que j'en parle. Parce que souvent les employeurs, ils ont dit: Tu vas être travailleur autonome, tu vas être ton propre maître, tu vas avoir ton camion. J'entendais ce matin les exemples classiques, entre autres, de Weston, puis tout ça. C'est ce genre d'affaires là qu'on veut empêcher. Mais, avec la restriction supplémentaire qu'on donne, on complique les affaires. Mais je demanderais à Clément de...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Gaumont.

n(14 h 40)n

M. Gaumont (Clément): Au niveau du Code fédéral, il y a une définition très claire. Pour la CSN, cette définition-là qui est dans le Code fédéral, où il n'y a pas la notion de dépendance juridique ? je pourrais qualifier ça comme ça... C'est très clair dans le Code fédéral, c'est «dépendance économique». Ça nous satisfait. Mais, au-delà de ça, je vous dirais que la CSN, même si vous ne voyez derrière ça que la syndicalisation de travailleurs qui sont de faux autonomes, qui sont des travailleurs salariés, nous, on n'est pas contre que les travailleurs autonomes se syndiquent. C'est un droit. S'ils veulent se syndiquer, pourquoi ils n'auraient pas le droit d'exercer ce droit-là? Moi, je n'ai aucune objection à ça. On a, à la CSN, des pigistes, à titre d'exemple, qui font des luttes puis qui essaient de se faire reconnaître. Il y a beaucoup de travailleurs autonomes comme tels. Et, s'il leur était permis de pouvoir se syndiquer, oui, pourquoi pas? Il n'y a pas de problème là. À notre avis, il doit y avoir, en tout cas, une définition comme au fédéral tout au plus et qui n'a pas les notions de contrôle selon les méthodes et les moyens, comme dans la définition québécoise.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Laviolette, vous vouliez ajouter quelque chose?

M. Laviolette (Marc): Oui, je vais demander à François Lamoureux, peut-être qu'il pourrait éclairer la commission.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. Lamoureux.

M. Lamoureux (François): Alors, juste pour ajouter, M. Tranchemontagne, la définition qui est prévue au Code canadien dit: «La personne qui exécute, qu'elle soit employée ou non en vertu d'un contrat de travail, un ouvrage ou des services pour le compte d'une autre personne selon des modalités telles qu'elle est placée sous la dépendance économique de cette dernière et dans l'obligation d'accomplir des tâches pour elle.»

Alors, par rapport à cette disposition-là, il y a déjà eu plusieurs décisions qui ont été rendues par le Conseil canadien qui sont venues bien préciser ces notions. Évidemment, le Conseil canadien a bien indiqué qu'il y avait beaucoup d'encre qui avait coulé pour essayer finalement d'éclaircir un peu l'ombrage qu'il y avait sur la notion d'entrepreneur dépendant, et c'est pourquoi le législateur avait mis l'accent sur la dépendance économique, pour faire en sorte de voir, pour déterminer s'il y avait un contrôle économique de l'exploitation ou de l'activité, et que le genre de contrôle qu'on voulait exprimer au niveau économique, on disait que ce n'était pas uniquement du point de vue juridique, mais qu'il s'agissait plutôt de définir une notion beaucoup plus étendue ayant trait au contrôle continu de l'exploitation et de déterminer quand, comment les activités sont opérées, de sorte qu'il y a déjà une jurisprudence, des balises bien établies sur la notion d'entrepreneur dépendant à cet article-là, ce qui ferait en sorte de placer des balises beaucoup plus précises, avec la définition, au lieu de la définition qui est proposée actuellement.

Oui, potentiellement, vous n'avez qu'à lire l'article. Nous l'avons lu déjà, celui qui est proposé actuellement: «Une personne qui réalise un ouvrage matériel ou intellectuel pour une autre personne ou lui fournit un service dans un cadre et selon les méthodes et les moyens que cette autre personne détermine.» Alors, il y a place déjà, dans l'interprétation de cet article, à de débats juridiques à venir, on pense, pour un bon bout de temps, et il faudrait éclaircir et préciser peut-être, comme il est prévu au Code canadien.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. le député de Mont-Royal.

M. Tranchemontagne: Merci de votre réponse. J'aimerais quand même revenir. Dans l'état actuel des choses, avec le Code que nous possédons dans le moment, il y a une jurisprudence qui a été établie et qui, pour déterminer la dépendance ou la non-dépendance, excède juste la dépendance économique. Qu'est-ce que vous voyez là-dedans qui n'est pas correct? Puisque justement on parle: Si, par exemple, l'employeur dicte quoi faire, comment faire, quand le faire, etc., il n'y a définitivement pas indépendance de la part de la personne qu'on appelle le travailleur autonome. Mais c'est allé plus loin, il y a la notion de profit ou de possibilité de profit ou de risque de perte qui est amenée aussi actuellement dans la réalité des faits. Et, moi, contrairement à vous, je pensais qu'au contraire le Code allait trop élargir et trop laisser place à une interprétation, alors qu'aujourd'hui il est possible de se défendre avec le Code actuel, compte tenu de la jurisprudence que l'on connaît.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Laviolette.

M. Laviolette (Marc): Je vais demander à François...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Lamoureux.

M. Laviolette (Marc): M. Lamoureux, voilà. Excusez.

M. Lamoureux (François): Simplement pour préciser, M. Tranchemontagne. Évidemment, nous sommes en face de situations ? il y a des situations qui ont été expliquées ce matin, dans Multi-Marques ? dans certaines circonstances, où effectivement on fait en sorte que des personnes finalement deviennent, si on peut dire, propriétaires d'une certaine business, entre guillemets, et qu'elles doivent assumer certaines charges, mais, essentiellement, le débat ? essentiellement ? est autour de cette dépendance économique là, à savoir si finalement quelqu'un dont le travail, dont les routes, la distribution des routes dépend...

Entre autres, il y a une cause assez importante qu'on a mentionnée tantôt, qui a été rendue dans Natrel, qui faisait justement état... où la Cour d'appel dit: Votre notion, la notion de salarié, elle est très difficilement cernable, et il faut que le législateur finalement puisse intervenir, et, nous, on va lui donner l'interprétation la plus libérale, qui tend au droit d'association. C'est ce que la Cour d'appel nous a dit, en disant: Cette dépendance économique ? à laquelle les distributeurs étaient liés avec Natrel ? bien finalement ce n'est pas compliqué, dans la vie. Est-ce que Natrel pouvait dire à ses distributeurs: Est-ce qu'on peut vous retirer le contrat? Est-ce qu'on peut contrôler votre business? Si on peut vous la retirer, eh bien, finalement il va y avoir un contrôle ou une dépendance économique. Et c'est dans ce sens-là qu'on tente, je pense, qu'on suggère, si possible, d'arriver à une définition qui pourrait être plus collée à la nouvelle réalité du travail des années 2000.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. le député de Mont-Royal. Ça va pour l'instant? Alors, M. le député de Gaspé, vous auriez le temps. Très rapidement, directement à la question et une réponse tout aussi courte. Il reste deux minutes à votre formation politique.

M. Lelièvre: À la page 4 de l'annexe de votre mémoire, vous parlez des travailleurs forestiers. Dans la loi actuelle et dans le projet de loi, on exclut les camionneurs, le transport routier. Mais j'essaie de voir le lien au niveau, par exemple, des gens qui font l'aménagement forestier. Lorsqu'on est détenteur du CAF, on a des obligations, c'est vrai. Sauf qu'au niveau des opérations forestières dans le passé, certaines entreprises étaient propriétaires de la machinerie, avaient des gens à salaire. Maintenant, il y a eu comme une espèce de sous-traitance qui s'est installée, il y a eu des travailleurs autonomes avec des équipes. Là, j'essaie de comprendre, la nouvelle définition. Dans le fond, c'est qu'au niveau... Dès que quelqu'un est détenteur d'un CAF, automatiquement, ce que vous souhaitez dans la modification, c'est que l'ensemble des employés qui sont affectés aux opérations forestières deviennent syndicables. C'est exact? C'est ça, la bonne vision des choses?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Monsieur...

M. Gaumont (Clément): Gaumont.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Gaumont.

M. Gaumont (Clément): Oui. Essentiellement, ce qu'on demande à cet article-là... C'est qu'il y a eu un rapport, le rapport Bernier ? pas du camionnage, mais le rapport Bernier, je pense ? sur toute l'application de l'article 45 ? d'ailleurs, ça vient des suites de ça ? en forêt. Et ce qu'on demande, c'est qu'il y ait harmonisation entre les deux lois, la Loi sur les forêts et le Code du travail. C'était ces recommandations que d'ailleurs la FTQ reprenait ce matin. Alors, comme il semble y avoir consensus de l'ensemble des parties là-dessus, autant patronale, je pense, que syndicale, je pense que ça ne pose pas de problème. Je ne sais pas trop pourquoi, il y a peut-être eu une question de temps pour l'inclure dans le projet de loi. Mais tout simplement ce qu'on demande, c'est que ce que recommandait le rapport soit inclus au niveau des définitions.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, merci. Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: Merci beaucoup, Mme la Présidente. Alors, messieurs de la CSN, merci. Le débat, depuis ce matin, tourne autour de la notion de «faux travailleur autonome». Parce que les vrais travailleurs autonomes, semble-t-il, ne posent pas de problème. Et on ne serait pas là en train de discuter de ce projet de loi n° 182 si on référait à cette réalité-là. J'ai, ce matin, demandé à vos collègues de la FTQ s'ils avaient des données ou s'ils avaient des indications au niveau de la recherche, qualitatives ou quantitatives, concernant le phénomène des faux travailleurs autonomes. Est-ce que la CSN... Je sais que vous avez un service de recherche très, très, très bien pourvu. Est-ce que, par hasard, vous auriez des données ou des indications sur ce que représente ce phénomène-là des faux travailleurs autonomes?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Laviolette.

M. Laviolette (Marc): Oui. D'abord, comme mes confrères de la... Je vous remercie pour les qualificatifs du service de la recherche de la CSN. Mais ce qu'on sait, dans le fond, c'est qu'il y a à peu près un demi-million de travailleurs autonomes au Québec. Combien il y en a de faux? Je ne le sais pas. Nous, on a plutôt une approche empirique là-dessus, c'est-à-dire, au fur et à mesure où on rencontre ce type de problème là, bien, à ce moment-là, on revendique le droit à la syndicalisation. Ce serait plus simple si c'était déjà prévu dans le Code, et à ce moment-là on se sauverait d'un débat. Et il faut voir...

n(14 h 50)n

Il faut que la commission comprenne qu'il s'agit ici de faire la promotion d'un droit fondamental. Et, quand on amène des changements, on ne doit pas réfléchir en termes: C'est-u un gros problème ou si c'est un petit problème? Ceux qui ont le droit de se syndiquer doivent avoir le droit de se syndiquer. Et les faux travailleurs autonomes, ce n'est pas le mouvement syndical qui les a inventés, c'est le patronat, pour enlever un droit ou contourner un droit à la syndicalisation. Parce que, malheureusement, il y a du monde qui est payé juste pour penser comment est-ce qu'il pourrait faire en sorte que les syndicats aient moins d'influence au Québec. C'est ridicule. J'aimerais bien dire qu'en 2001 ce droit-là... C'est encore un droit qui se pratique dans la clandestinité, ça fait que... Donc, pour moi, qu'il y en ait 2000, qu'il y en ait 10, qu'il y en ait 100, c'est des gens qui ont droit à la syndicalisation, et on doit leur permettre ce droit-là.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: Oui, Mme la Présidente. Justement, sur ce point-là, moi, pour avoir participé à ce fameux forum dont j'ai parlé ce matin, sur les travailleurs autonomes, il y avait d'ailleurs des représentants de la CSN qui étaient là comme personnes-ressources, et ils se sont fait dire par les travailleurs autonomes qui ont participé à ce forum qu'ils ne voulaient pas se syndiquer, qu'ils ne voulaient pas se retrouver dans un carcan, législatif ou autre, et qu'ils voulaient garder leur propre autonomie.

Est-ce qu'il n'y a pas, à vos yeux, une contradiction entre le discours que vous tenez devant nous et ailleurs à l'effet qu'il faut que ces gens-là puissent se syndiquer... Bien que vous parliez d'un droit. Et ça, là-dessus, je vous suis. Toute personne qui veut... Le droit d'association, c'est un droit fondamental. Mais, puisqu'on parle des travailleurs autonomes, pourquoi vouloir les syndiquer quand ces gens-là veulent précisément garder leur autonomie?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Valois.

M. Valois (Roger): Écoutez, nous, on demande le droit de les syndiquer, on ne veut pas les obliger à le faire. Le Conseil du patronat se casse la tête depuis des siècles à nous dire que le monde ne veut pas se syndiquer. Mais, s'ils ne veulent pas se syndiquer, passez des lois pour leur permettre de le faire. S'ils ne veulent pas, ils ne voudront pas plus. On ne veut pas les obliger, nous. On dit: Mettez la possibilité. Une fois que la possibilité va être là... On a syndiqué, nous autres, des autonomes, là, c'était quasiment des... Des homéopathes, c'est leur clientèle. Le rapport de force qu'ils ont pour négocier, c'est avec eux autres mêmes, hein. On a syndiqué les acupuncteurs. Bien, les acupuncteurs, il faut croire qu'à un moment donné ils n'avaient plus la piqûre de la CSN, ils sont partis.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Valois (Roger): Bien oui! Ils sont venus chez nous, on a fait un lobby pour leur donner une corporation professionnelle, puis, une fois qu'ils l'ont eue, ils sont partis. Il y a du monde qui a dit: Ils vous ont eus. Ils ne nous ont pas eus. Ils ne nous ont pas eus. Quand ils ont été tannés, ils sont partis.

À un moment donné, il y a des avocats qui sont venus nous voir, ils voulaient syndiquer les avocats de la planète. On a accepté, on a fait un bout avec eux autres. On a plafonné à 400. À un moment donné, on a dit: Bien, ça ne marche pas, votre affaire. Les notaires sont venus nous voir, ils ont dit: On pourrait-u se syndiquer? Oui, on va vous regrouper, pas vous syndiquer, on va vous regrouper. Ça n'a pas marché. Ils sont partis. Ils n'ont pas conclu.

On ne veut pas les obliger, On dit: S'il n'y a personne qui veut, pourquoi qu'on ne mettrait pas une loi pour leur dire qu'ils peuvent? S'ils ne veulent pas, ils ne veulent pas. S'ils ne peuvent pas, ils ne peuvent pas. Là, ils ne peuvent pas parce qu'ils ne sont pas reconnus.

C'est comme les cadres au Québec, hein. En France, il y a la Confédération des cadres, ils sont syndiqués. Au Québec, il y a les syndicats, il y a des associations pour bien du monde, sauf que les cadres, quand ils veulent se syndiquer, ne sont pas couverts par le Code du travail. Ça, c'est un autre débat qu'on va faire. Les cadres, ils ne peuvent pas se syndiquer. Ils peuvent le faire, mais, s'il arrive un congédiement, ils ne peuvent pas invoquer qu'il y a un congédiement pour activité syndicale, ce n'est pas couvert dedans. On a syndiqué des cadres quand même dans les municipalités parce qu'on avait un rapport de force politique pour venir à bout de convaincre. Mais, au niveau des industries, des cadres, des contremaîtres, puis tout ça, là, ils ne viennent pas nous approcher, hein. À l'usine chez nous, ils ont commencé. Ils faisaient des visites avec les cadres de l'usine, ils faisaient des visites avec les autres usines au niveau de la Montérégie. Une fois, dans l'autobus, ils ont parlé d'un syndicat de cadres. Les voyages ont été finis. Bien, c'est parce que, de toute façon...

Pour vous rassurer, on ne veut pas les obliger, pas du tout, on veut leur permettre de le faire au niveau légal. Il faut le mettre dans le Code. S'ils veulent s'en servir... Ça, c'est comme les syndiqués, il y en a qui ne le sont pas, ils ne le seront jamais puis ils ne veulent pas se syndiquer, donc... Mais ils peuvent le faire, à la cachette, mais ils peuvent le faire.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: J'ai terminé, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Vous auriez terminé?

Mme Houda-Pepin: Oui. Merci.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Est-ce qu'il y a d'autres questions? Alors, à moins qu'il y ait un consentement pour que le député de Drummond puisse poser une question...

M. Jutras: Je pensais qu'il nous restait du temps...

Une voix: Non, non.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Pardon?

Mme Houda-Pepin: Je pense qu'il ne reste pas de temps de l'autre côté.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Non, il n'en reste pas du côté de... C'est pour ça que je demandais s'il y avait consentement. Alors, ça va?

Alors, dans ce cas, M. Laviolette, M. Valois, M. Gaumont, M. Lamoureux, merci de votre participation à cette commission. Je vais suspendre les travaux pour quelques instants.

(Suspension de la séance à 14 h 55)

 

(Reprise à 14 h 57)

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, la commission va donc poursuivre ses travaux. J'inviterais les membres de l'Association canadienne des restaurateurs et des services alimentaires à bien vouloir prendre place.

Alors, messieurs, bonjour, bienvenue à cette commission. La personne qui est responsable, je crois que c'est M. Dumoulin. Oui? Alors, M. Dumoulin, vous avez 20 minutes pour nous présenter votre mémoire. Avant de le faire, j'aimerais que vous nous présentiez les personnes qui vous accompagnent.

Association canadienne des restaurateurs et
des services alimentaires 
? Groupe consultatif
du Québec, Affaires gouvernementales

M. Dumoulin (Jacques): D'accord. Alors, Me Claude Le Corre, que vous avez peut-être eu l'occasion ou...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): On l'a vu ce matin.

M. Dumoulin (Jacques): Vous le connaissez de ce matin. Et M. Michael Ferrabee, de l'Association canadienne des restaurateurs. Alors, mon nom est effectivement Jacques Dumoulin. Bonjour, Mme la ministre, MM. et Mme les députés. Je n'aurais pas dû arriver avant, parce que c'est impressionnant un peu. Je suis plus à l'aise avec du personnel dans un restaurant que... Quoique ça ferait un très beau restaurant, ici. Ha, ha, ha!

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, n'est-ce pas?

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Dumoulin (Jacques): Alors, je suis un propriétaire indépendant, détenteur d'une franchise des Rôtisseries Saint-Hubert. Le point de vue que vous allez avoir, probablement, ça va être un peu plus au ras les pâquerettes, parce que, effectivement, ce n'est pas des grands débats de société, mais c'est pour essayer de vous transmettre les conséquences ou les impacts que je vois et que l'on voit à première vue à la lecture de la loi pour l'entreprise de la restauration.

Je suis membre du conseil d'administration de l'Association canadienne des restaurateurs. J'ai été désigné comme volontaire aujourd'hui pour vous présenter ce point de vue là. Il est évident qu'on a pris connaissance du mémoire du Conseil du patronat et, dans les grandes lignes, on en endosse les préoccupations. Je suis également membre de l'Association des restaurateurs du Québec, laquelle appuie également les représentations faites par le Conseil du patronat. Puis elle a soumis une lettre qui accompagne le document présenté par le Conseil. J'ai également eu l'occasion de discuter de cette présentation avec les gens de l'ARQ, et ils appuient nos représentations.

n(15 heures)n

À titre de membre du conseil d'administration de l'Association canadienne des restaurateurs depuis trois ans, ça m'a vraiment donné l'occasion de prendre connaissance de la perspective canadienne, je pense que ça nous ouvre les yeux sur qu'est-ce qui se passe dans les autres provinces et les relations entre le gouvernement et les différentes associations de restaurateurs, et de voir les impacts des diverses interventions gouvernementales sur notre industrie.

Les grandes particularités de notre industrie, finalement. C'est que c'est une industrie qui n'a aucune barrière à l'entrée, c'est une industrie qui est déjà très réglementée, de plus en plus une industrie qui exige des investissements importants. Aujourd'hui, mettre sur pied un restaurant, ce n'est pas juste de mettre une pancarte dans la porte, mais c'est de faire des investissements importants pour rencontrer toutes les exigences de la loi en matière d'hygiène et de salubrité, de la Loi sur le tabac, et pour créer des environnements qui vont attirer les clients, parce que le but, effectivement, c'est de faire des ventes.

Par contre, au cours des dernières années, la rentabilité est marginale. On parle ? les derniers chiffres connus, là ? de 4,8 % de profits avant impôts. Alors, une autre particularité de notre industrie, bien, évidemment, c'est qu'on a des coûts de salaires, des coûts de main-d'oeuvre qui sont très élevés comparés au secteur manufacturier. C'est typiquement 30 % de nos ventes qui vont aux coûts de salaires. Alors, on peut imaginer que toute intervention gouvernementale qui affecte le poste des coûts de main-d'oeuvre a un impact majeur sur la rentabilité déjà très précaire de notre industrie.

Alors, la raison pour laquelle on a présenté ce mémoire au nom du Groupe consultatif du Québec et de la CRFA, c'est que nous sommes très préoccupés par l'orientation que prend cette nouvelle loi. Personnellement, elle me semble biaisée en faveur de la syndicalisation, favorise les activités et la croissance des syndicats et vient ajouter un autre facteur d'incertitude qu'il nous faudra prendre en considération au moment de faire des investissements pour développer nos entreprises puis créer des emplois. Ce qu'on semble comprendre de ça, c'est que les autorités législatives et de réglementation québécoises semblent convaincues que les syndicats du Québec ont besoin de munitions supplémentaires dans leur lutte herculéenne contre l'entreprise. On assiste à un genre de combat entre David et Goliath. Et, quand j'étais assis en arrière tout à l'heure, je peux vous dire que je ne me sentais pas Goliath. Alors, je crois que le gouvernement se range du côté de Goliath, que sont les syndicats québécois, face aux petits entrepreneurs comme moi et comme la grande majorité de mes collègues restaurateurs du Québec.

Je suis directement impliqué à l'Institut de la restauration depuis plus de 20 ans en tant que restaurateur indépendant, franchisé, franchiseur, dirigeant de chaînes canadiennes, américaines, européennes. Je dois vous dire que je suis très fier de notre industrie au Québec, mais je suis aussi inquiet face à l'avenir et aux répercussions que cette loi aura sur l'industrie. Il faut comprendre que 75 % des restaurants du Québec sont des petites entreprises. On peut parler de PME, mais de TTE, des tites, tites entreprises. Puis, comme la plupart des franchisés, ma situation se compare en tous points à celle des restaurateurs indépendants en ce qui concerne l'impact de la loi proposée. Comme la majorité des PME, on n'a pas de service de ressources humaines à l'interne, on n'a pas de personnel administratif ou juridique. Nous sommes des entrepreneurs qui investissent souvent toutes leurs économies puis de très nombreuses heures, de longues heures pour gagner notre vie en offrant des services alimentaires aux Québécois.

Le message véhiculé par le projet de loi n° 182, c'est qu'il n'est pas important pour le gouvernement du Québec de maintenir un climat propice au développement des affaires, encore une fois dans la perspective d'une petite entreprise. Je crois que cette loi fera du tort en raison du message qu'elle envoie aux entreprises québécoises existantes ainsi qu'à celles de l'extérieur du Québec. Pourquoi, à mon avis, ce projet de loi est-il dommageable? Premièrement, parce qu'il ne fait rien pour s'assurer que les employés ont exercé leur libre choix; deuxièmement, parce qu'il amène un degré trop élevé d'intervention de l'État dans le processus de négociation syndicale; puis, troisièmement, parce qu'il fait indéniablement basculer la balance des pouvoirs en relations de travail en faveur des syndicats, qui ne comprennent pas toujours les particularités de l'industrie de la restauration.

Je ne suis pas, malgré ces propos, antisyndicat. Je comprends et j'apprécie le rôle des syndicats, puis je reconnais sûrement le droit des employés de choisir s'ils veulent ou non l'intervention d'un tiers pour négocier leurs conditions de travail. Par contre, je suis d'avis aussi, par expérience, que le syndicalisme n'est pas la seule solution à de bonnes relations de travail dans notre industrie. Il est encore plus facile d'arriver à des rapports harmonieux avec nos employés sans tiers intervenant. Il faut que le syndicalisme soit accessible si les employés le veulent véritablement. Il faut cependant s'assurer que cela résulte d'un choix libre exercé par la majorité des employés. Dans une industrie dont le succès est largement le résultat de la qualité du service à la clientèle, d'une ambiance chaleureuse et animée puis d'un contrôle des coûts très serré, il est très difficile de connaître le succès sans avoir des employés motivés et qui oeuvrent dans un bon climat de travail.

Le syndicalisme amène souvent dans notre industrie une série de règles puis les confrontations inévitables lors des renouvellements de conventions collectives lesquelles ne sont pas en harmonie avec la nécessité d'avoir un environnement souple et décontracté, l'aspect le plus attrayant de la restauration, et que cette souplesse qu'elle offre aux employés, la camaraderie, voire le travail d'équipe qu'elle encourage... Les règles syndicales imposent souvent un milieu de travail plus strict dans lequel les employés ne se retrouvent pas. Les emplois à temps partiel, les horaires flexibles, les absences de dernière minute pour raison d'études ou d'examens, les ententes entre employés pour se faire remplacer, le taux de roulement élevé typique à l'industrie, et combien d'autres, exigent une flexibilité au niveau des gestionnaires qui s'accommode très mal des règles strictes qu'amène la syndicalisation.

Au Québec, l'industrie des services alimentaires représente un chiffre d'affaires de 7 milliards de dollars puis elle fournit des emplois à plus de 205 000 Québécois. Malgré la période économique très favorable que nous traversons au Québec depuis les dernières années, l'industrie de la restauration connaît des résultats financiers très marginaux. Les résultats sont multiples. Soulignons d'abord que le secteur de la restauration au Québec doit composer avec des taxes à l'emploi les plus élevées au Canada. On a, en fait, 40 % de plus de charges sociales que la deuxième province, qui est Terre-Neuve, je crois. La restauration au Québec affiche la rentabilité la plus faible au Canada, eh oui, derrière Terre-Neuve, puis le ratio le plus élevé de faillite par habitant. Une étude menée par KPMG pour le compte de l'ARQ a démontré que l'industrie a subi une baisse de 45 % des investissements en 1999 par rapport à 1998; ceci est dû dans une large mesure au fait que le Québec a les lois du travail les plus restrictives au Canada.

Vous verrez à la lumière du mémoire que l'industrie a de nombreuses préoccupations que je ne ferai que résumer brièvement aujourd'hui dans ma présentation. Je terminerai aussi avec quelques réflexions sur l'impact que l'ensemble de ces changements auront sur moi en tant que petit propriétaire d'une entreprise au Québec.

Alors, le mémoire présente des préoccupations bien réelles de l'industrie à l'égard de cette nouvelle super commission, qui détient des pouvoirs très étendus et sans droit d'appel. Nous sommes très préoccupés par le degré de pouvoirs qui sera concentré dans les mains de personnes non élues qui n'ont pas de comptes à rendre à personne. Cette commission, qui aura pour effet de faire augmenter les interventions de nature juridique, nous forcera à avoir recours encore plus souvent à des avocats spécialistes en relations de travail ? puis j'espère que je ne serai pas parmi les heureux élus parce que mon budget des trois prochaines années a été attribué à la rencontre d'aujourd'hui.

Bien que le gouvernement maintienne que les parties négociantes demeureront libres de déterminer leur avenir, cette super commission se voit octroyer davantage de contrôle dans le domaine de la résolution de conflits. Il sera difficile à cet organisme de comprendre pleinement les réalités opérationnelles de l'industrie de la restauration, en plus de celles de toutes les autres industries du Québec, et elle ne pourra sûrement pas être tenue responsable si ses décisions représentent une menace à la survie de l'entreprise.

L'ensemble des modifications proposées par la loi n° 182 favorise nettement une approche gouvernementale favorable à la syndicalisation et quiconque voudra embaucher du personnel devra prendre cela en considération. Il faut comprendre que de très nombreux emplois en restauration s'adressent à des étudiants, à des sans-emploi, à des prestataires de l'aide sociale. Ces emplois sont accessibles à des gens qui n'ont souvent aucune expérience de travail et peu de formation académique ou professionnelle. Cela exige des restaurateurs des efforts importants de formation.

n(15 h 10)n

Nous croyons aussi que les modifications apportées au processus d'accréditation favorisent indûment la syndicalisation. L'élargissement du bassin des employés syndicables pour inclure les prestataires de services dépendants aura aussi pour effet d'encourager la syndicalisation et imposer à l'employeur un lourd fardeau administrateur et financier, alors que, ça a été mentionné tout à l'heure, la notion de risques, de pertes et profits permettait adéquatement de traiter les cas problèmes.

Les modifications aux dispositions de la loi touchant les faillites auront des répercussions directes sur la restauration au Québec, peut-être à un degré plus élevé que dans d'autres secteurs. L'une des clés du succès ? je pense que tous ceux qui ont touché à la restauration... ? on parle toujours que ce qui est le plus important, c'est l'emplacement, la localisation. Alors, les modifications aux clauses de la faillite signifient essentiellement qu'une convention collective mal négociée demeurera en vigueur même après une faillite. Ceci pourrait sûrement signifier la mort ou le non-intérêt de nombreux sites puis les rendre inaccessibles à l'industrie. C'est un précédent dangereux ainsi qu'une mauvaise politique. Permettez-moi de vous donner un exemple. Si un restaurant de fine cuisine japonaise fait faillite et que le locataire ou la personne qui veut acheter l'immeuble se lance ensuite dans un restaurant de fine cuisine italienne, la composition puis les compétences du personnel des deux établissements ne seront définitivement pas les mêmes. Le projet de loi n° 182 aura pour effet de rendre très problématique l'ouverture d'un restaurant s'il n'est pas identique au concept qui a échoué et, bien entendu, à condition que le nouveau restaurant soit en mesure de prendre en charge la convention collective déjà en place.

Les articles 45 et 46 de la nouvelle loi sont très difficiles à comprendre, même nos éminents conseillers n'ont pas réussi à nous rassurer sur le caractère dangereux et imprévisible de ces dispositions. Selon notre compréhension, ces dispositions enchâssent encore davantage les droits des syndicats sur les sous-traitants et permettent aux employés, une fois syndiqués, de magasiner pour trouver une meilleure aubaine, tout en plaçant encore d'énormes nouveaux pouvoirs dans les mains de cette super commission qui n'est responsable envers personne. Dans le cas des services alimentaires ? c'est là, je pense, où c'est le plus criant ? c'est qu'effectivement, si, dans son entreprise, il y a une cafétéria puis qu'il y a déjà un syndicat en place, bien, l'entreprise qui oeuvre dans le domaine des cafétérias puis qui a 20 cafétérias dans 20 espaces différents, bien, à 20 conventions collectives à gérer, ce n'est pas très, très facile.

Un autre exemple qui démontre le déséquilibre causé par les modifications de la loi est la modification par laquelle l'accréditation doit être décidée dans les 60 jours de son dépôt. Par contre, il n'est pas fait mention du processus de révocation, et je pense que, si on voulait réellement créer un équilibre, on s'assurerait que le processus se déroule dans les deux sens.

Il n'est pas non plus question d'un vote à scrutin secret pour l'accréditation. Le vote secret est l'un des tenants les plus fondamentaux dans notre démocratie occidentale, et pourtant les modifications ne proposent pas l'intégration de ce mécanisme dans la nouvelle loi. Les méthodes de coercition et d'intimidation utilisées au dernier siècle ont délibérément été remplacées par un mécanisme de scrutin secret dans notre système démocratique.

Je pense que le message à la base, qu'il faut vraiment s'assurer, en ce qui concerne notre industrie, du libre choix des employés puis réduire les coûts pour les petits entrepreneurs, parce que c'est évident que prendre des avocats puis aller se défendre pendant longtemps, on n'a tout simplement pas les moyens de faire ça... Il y a peut-être certaines grandes chaînes qui ont des contentieux puis des budgets, puis qui ont des avocats internes, puis tout ça, mais ce n'est pas le cas pour 75 % des entreprises en restauration du Québec.

Et les dispositions qui, en Ontario, nous semblent, en tout cas, nous... donneraient vraiment l'occasion de jouer tous les deux sur le même parcours, c'est que, à chaque fois qu'il y a une demande d'accréditation, il y ait un vote secret tenu auprès des employés dans les sept jours d'une requête en accréditation. Et c'est comme ça que ça se passe en Ontario et, comme ça, bien, ça donne vraiment le temps... S'il y a une représentation, bien, le restaurateur vit avec, mais là, à un moment donné, d'être convaincu à l'interne que le nombre de cartes ou le nombre de personnes n'est pas celui qui est représenté ou ça n'a pas un caractère représentatif, puis, après ça, essayer d'aller à la cour pour se battre, encore une fois, les petits entrepreneurs n'ont pas les moyens de faire ça.

Enfin, je veux parler des répercussions que tout ceci a sur moi en tant qu'entrepreneur et des effets que cela va avoir sur les petites entreprises dans mon secteur. Le projet de loi n° 182 crée un régime qui compliquera encore davantage un système déjà très compliqué au Québec. Mon intention, lorsque je me suis lancé dans la restauration, était de me constituer un gagne-pain dans un domaine que je savais hautement concurrentiel, en servant le public. Ça a nécessité des investissements importants. Et je crois que mon travail constitue une contribution sociale importante, je fournis des emplois à 75 personnes, et, tel que mentionné plus tôt, notre industrie en fournit à plus de 200 000 personnes. Compte tenu des attributs des bénéficiaires de ces emplois et de ceux des petites entreprises que nous sommes, nous vous soumettons respectueusement de ne pas aggraver notre fardeau social et financier.

Ce projet de loi va me forcer à consacrer encore plus de temps à répondre à des conditions et règlements imposés par le gouvernement. Cela va sans doute augmenter mes frais d'avocats, et, comme je l'ai mentionné tout à l'heure, mon budget des trois prochaines années est défoncé. Ça va m'éloigner encore plus de ma principale responsabilité qui est d'exploiter une petite entreprise solvable au Québec. Si la loi n° 182 est adoptée telle que déposée, j'aurai encore moins de temps pour bâtir mon entreprise, moins de possibilités d'expansion et donc de création d'emplois, et je devrai consacrer plus de temps à traiter de questions de relations de travail.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): En conclusion, s'il vous plaît...

M. Dumoulin (Jacques): Je crois qu'il ne faut pas perdre de vue la nécessité de créer un équilibre entre les employeurs et les employés et d'adopter une législation qui soit ? j'ai cherché la traduction, mais je ne l'ai pas trouvée ? en informatique «user-friendly», accessible et facile à comprendre. Il est primordial que tout changement aux lois du travail assure la plus grande démocratie syndicale possible. D'autres juridictions canadiennes se sont rendu compte que des règlements excessifs et rigides nuisaient à l'éthique commerciale, faisaient échec à la croissance économique et freinaient le dynamisme et la prospérité de la collectivité. Malheureusement, les modifications proposées sont à sens unique et favorisent les syndicats aux dépens de la petite entreprise. Les syndicats disposent déjà de ressources et de pouvoirs considérables contre lesquels les petits entrepreneurs ne peuvent lutter sans avoir des conditions équivalentes.

Je suis heureux du temps alloué, je vous remercie beaucoup de m'avoir écouté. Et il ne faudrait pas perdre trop de temps parce que, là, mon comité sur l'équité salariale siège actuellement, le comité sur la prévention des lésions corporelles se rencontre dans une heure, il faut que je passe la soirée à remplir les formulaires qui justifient le 1 % des revenus dépensés en formation, j'ai au moins cinq, six heures à passer cette semaine à remplir des formulaires de déclaration de pourboires, je gère déjà le dossier de la TPS et de la TVQ pour le compte du gouvernement, et gratuitement, et puis, s'il me reste un peu de temps, j'aimerais bien ça voir s'il n'y aurait pas un ou deux clients à servir pendant que les employés siègent sur les comités.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): C'est à peu près tout le temps que vous aviez pour terminer votre mémoire. Je présume que vous avez terminé.

M. Dumoulin (Jacques): Oui.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, on va vous retenir encore un petit peu parce qu'on va passer à la période d'échanges. Alors, Mme la ministre.

Mme Lemieux: Alors, merci, M. Dumoulin. Je salue aussi les gens qui vous accompagnent. Je vais être bien honnête avec vous, je vous ai suivi jusqu'à la fin, mais, à la fin... Écoutez, on vit en société et, oui, il y a des choses que vous devez moins aimer dans ce que vous faites. Mais une société, ça a des règles du jeu, ça doit s'occuper des personnes aussi. Et ce qui me trouble dans votre présentation, M. Dumoulin, c'est... Bon, visiblement, vous n'êtes pas un volontaire heureux, hein. Vous étiez un volontaire, vous êtes... mais vous n'êtes pas un volontaire heureux. Vous ne le serez peut-être pas plus en partant. Mais, en fait, vous dites essentiellement: On est dans une industrie très réglementée, une industrie qui doit beaucoup investir, une bonne portion de ses coûts concernent les coûts de main-d'oeuvre ? évidemment, c'est du service que vous vendez; vous vendez évidemment aussi des produits, mais vous vendez aussi du service ? une rentabilité qui est marginale, une rentabilité la plus faible au Canada, il y a eu des baisses d'investissements. Je ne veux pas être sarcastique, là, mais je suis obligée un peu de reprendre ça au vol, de la manière dont vous avez conclu. Et ce que j'entends là, c'est que tout ça est de la faute des syndicats, là.

M. Dumoulin (Jacques): Absolument pas.

Mme Lemieux: Bien non...

M. Dumoulin (Jacques): Ce n'est pas les syndicats qui ont passé les lois...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): À l'ordre! M. Dumoulin.

n(15 h 20)n

M. Dumoulin (Jacques): ...sur l'équité salariale, les lois sur les pourboires, les lois sur toutes les choses de gestion. Ce n'est pas les syndicats qui ont affaire avec ça. Ce que je dis, c'est que, par contre, on doit tout faire pour avoir une loi qui ne force pas les petits entrepreneurs à avoir besoin de se faire représenter par avocat, d'être pris avec beaucoup d'interventions gouvernementales, et qui doivent se défendre, et, tout ça, c'est à des coûts. Les grandes entreprises, encore une fois, ont des budgets pour ça, elles ont des personnes à l'interne pour ça, mais nous, encore une fois, c'est très difficile simplement d'être rentables. On n'a pas les moyens d'aller répondre... Encore une fois, le fardeau administratif pour les PME est tellement très important que, s'il y a d'autres interventions gouvernementales qui ont pour effet de faciliter la syndicalisation, dans les cas où, encore une fois, ce n'est pas nécessairement la meilleure solution, dans les cas où l'entrepreneur ne réussit vraiment pas à communiquer avec son personnel et a des pratiques qui sont questionnables, bien, que ça arrive, mais que ce soit, encore une fois, d'une façon où pour ceux pour qui c'est marginal ou autre, ou la situation n'est pas aussi claire, bien, qu'ils ne soient pas pris avec une situation puis simplement parce qu'ils n'ont pas les moyens de se défendre. C'est juste ça.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme la ministre.

Mme Lemieux: Vous dites... peut-être vous devriez renégocier vos tarifs avec vos avocats parce qu'il y a certaines... Moi, ça me désole, parce que vous avez certaines interprétations des dispositions qui ne sont pas justes, qui ne sont pas vraies, et là je pense que ça a pour effet d'amplifier un peu le problème. Par exemple, à la page 5 de votre mémoire, vous dites: «Ainsi, un restaurateur qui aurait recours à une entreprise de livraison, dont il serait le principal client, pourrait se voir déclarer l'employeur du propriétaire...» Bon. Là, vous avez des interprétations qui vont dans toutes les directions.

Un code du travail comme d'autres lois doivent déterminer les règles du jeu, il y a des choses à moderniser, il faut éviter de se créer des problèmes là où il n'y en a pas, j'en conviens. À partir du moment où vous dites: Il y a peut-être d'autres solutions que la syndicalisation, moi, je veux bien, sauf que... à moins de dire aux gens: Vous n'avez plus le droit de le faire, c'est un droit qui est reconnu, qui est reconnu ici, qui est reconnu dans toutes les conventions internationales, on ne peut pas utiliser ce droit-là juste quand ça fait notre affaire. Alors, je suis vraiment embêtée par votre intervention parce que je trouve que vous en mettez épais sur le dos de la syndicalisation.

Je sais que, dans votre organisation, vous avez eu des histoires plus douloureuses, puis ça, j'en conviens tout à fait, et ça a des effets qui durent dans le temps. Ça, je peux reconnaître ça. Ce n'est pas toujours drôle, ça, j'en conviens. Puis la bêtise humaine, elle se répartit bien dans l'humanité, hein, ça, j'en conviens tout à fait. C'est pour ça qu'on va avoir des règles du jeu le plus clair possible. Mais vous en mettez large. Moi, ça m'inquiète un peu que vous ayez cette perception-là.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Dumoulin.

M. Dumoulin (Jacques): Encore une fois, elle est partagée par beaucoup de... encore une fois, on parle de PME. La question de la livraison tout à l'heure... Chez moi, je peux vous donner un exemple très pratique, je donne la livraison en sous-traitance et je me vois très mal négocier avec... le concessionnaire, il pourrait devenir un entrepreneur salarié, le travailleur dépendant, et puis je me vois mal négocier avec lui ses conditions de travail quand, finalement, c'est lui qui embauche ses sept ou huit chauffeurs livreurs, c'est lui qui... Mais il a une dépendance économique, dans le sens qu'il travaille surtout pour moi, la grande majorité de ses revenus viennent de mon entreprise, et il y a des normes à respecter effectivement, et ses chauffeurs doivent avoir un manteau, puis doivent être propres, puis ils doivent descendre avec un sac thermique, etc. Donc, il y a des... Et c'est loin d'être clair avec ça qu'il pourrait ne pas être considéré comme un travailleur dépendant puis là deviendrait syndiqué. Je n'ai pas les moyens puis je n'ai pas le temps de négocier avec lui ses conditions de travail. Il y a un contrat, il y a une rémunération en fonction du travail qu'il fait, et la situation actuelle de la loi fait que... Effectivement, on parlait tout à l'heure de la notion de risques, de profits et pertes; dans le contexte actuel, probablement qu'il ne pourrait pas se syndiquer, alors qu'avec les propositions proposées, ma compréhension, c'est qu'il pourrait se syndiquer. Je ne sais pas si...

Mme Lemieux: Mais, M. Dumoulin...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, Mme la ministre.

Mme Lemieux: Je vais terminer là-dessus. Écoutez, on ne peut pas dire: Je n'ai pas le temps de m'en occuper, puis développer toutes sortes d'astuces pour se départir d'un certain nombre de responsabilités, puis dire, après ça: Je n'ai pas le temps de m'en occuper. Il y a quelque chose de très difficile dans votre raisonnement. Vous avez nommé tantôt ? je ne veux pas vous entraîner sur ce terrain-là ? la situation des cafétérias. Moi, on m'a exposé des points de vue aussi du point de vue des salariés, du monde qui travaille pas tellement cher de l'heure; qu'est-ce que je réponds, moi, aux gens, devant toutes ces astuces pour ? passez-moi l'expression anglaise ? «bypasser» des choses de base? Moi, je comprends que vous êtes des entrepreneurs, des plus petits entrepreneurs, que vous n'avez pas toujours, je conviens de ça, de directeur de ressources humaines puis tout le kit pour vous permettre de gérer ça correctement, mais on fait face aussi à des petits salariés qui gagnent leur vie puis qui voient passer toutes sortes de nouvelles astuces pour contourner toutes sortes d'affaires. Il faut qu'on leur réponde quelque chose aussi à ces gens-là.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Dumoulin.

M. Dumoulin (Jacques): Quel droit ça enlèverait aux petits salariés de se syndiquer s'il y avait un vote secret et s'il y avait une décision prise dans les sept jours?

Mme Lemieux: Ça, c'est une autre affaire.

M. Dumoulin (Jacques): Ça n'enlèverait aucun droit aux petits salariés, puis, encore une fois, ça, je pense que je l'ai... C'est vrai que je lisais, le ton, et tout ça... Je ne suis pas pour sortir les arguments en ma défaveur, là. Mais c'est bien évident qu'on veut simplement, pour les petits entrepreneurs, jouer sur un terrain d'égalité. On fait face à des syndicats qui sont très gros et très puissants par rapport à nous; bien, donnez-nous juste des instruments qui fassent que la loi nous permette de nous défendre, d'être un peu sur un pied d'égalité quand on veut se défendre. C'est ça, l'essence du message, ce n'est pas de dire qu'on est contre les syndicats. Mais donnez-nous au moins la chance d'être sur un pied d'égalité. C'est juste ça... c'est plus ça qui devrait ressortir comme message.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme la ministre.

Mme Lemieux: Ça va pour l'instant.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. le député de Mont-Royal.

M. Tranchemontagne: Merci, Mme la Présidente. M. Dumoulin, à mon tour de vous souhaiter la bienvenue. Merci d'être ici, ça nous fait bien plaisir de vous avoir, parce que ça nous amène à une réalité, une réalité très vraie de ce qui se passe dans la vraie vie des PME. Je trouve ça intéressant et rafraîchissant, ce que vous nous apportez comme commentaires. Personnellement, je crois que le propriétaire d'une PME ? corrigez-moi si je me trompe ? doit focusser son attention sur l'essentiel du mandat de son entreprise, c'est-à-dire préparer des repas puis satisfaire sa clientèle, etc. Je trouve que, quand on parle de l'entrepreneur dépendant et qu'on réfère à la nouvelle définition, vous avez entièrement raison quand vous interprétez le nouveau Code ou les nouvelles dispositions du Code qui diraient que votre livreur deviendrait à toutes fins pratiques un salarié. À mon point de vue, il est dépendant totalement de vous ? si vous fermez vos portes demain matin, il n'a plus rien ? à 100 %, il ne travaille que pour vous. Alors, je ne sais pas qu'est-ce qu'il faudrait dire à la ministre pour la convaincre que le restaurateur que vous êtes est traumatisé ? au moins, en tout cas, au moins traumatisé ? et, peut-être, risque de souffrir énormément du fait que, par exemple, une activité qui est accessoire ? essentielle, mais accessoire ? au but de votre entreprise se trouverait à être déclarée comme un employé, et, à ce moment-là, vous devriez avoir un contrat avec, etc., avec tout ce que ça peut impliquer comme responsabilités et exigences.

Alors, ce n'est pas vraiment une question, c'est plus un commentaire, un commentaire qui se veut un partage de votre problème, parce que je réalise fondamentalement que vous n'êtes pas la seule petite et moyenne entreprise qui est prise dans un tel carcan ou qui serait prise dans un tel carcan. Il faut absolument que le Code du travail ou le nouveau Code du travail... Si la ministre tient absolument à déterminer ce que c'est qu'un travailleur indépendant ou un faux travailleur indépendant, bien, concentrons-nous là-dessus, et, comme on le disait ce matin, il faudrait peut-être le définir très, très, très ciblé, parce qu'il y en a, des cas d'abus, il y en a, des cas d'abus, mais ce sont des cas d'exception, à mon point de vue, beaucoup plus que des cas de généralité. La question qu'on doit se poser, c'est: Est-ce vraiment nécessaire de faire une loi pour traiter de cas d'abus et d'exception? Moi, j'en doute. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je pense que je le sais.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. Dumoulin.

M. Dumoulin (Jacques): Moi, je suis d'accord. Puis on a un autre secteur aussi; de plus en plus, c'est les services d'entretien. Pour rencontrer les normes gouvernementales, qui vont être encore plus sévères prochainement ? et c'est une bonne chose au niveau hygiène et salubrité ? on est obligé, de plus en plus, d'avoir des services d'entretien, des experts qui viennent entretenir le restaurant et faire des choses au niveau... produits d'entretien et autres, et ça, je n'ai pas les employés pour faire ça.

n(15 h 30)n

Vous savez, quand on parle de petits salariés dans la restauration, bien, je vais prendre mon exemple. Notre exemple à nous... J'ai 75 employés, mais ? récemment, je viens de finir les T4 ? j'ai fait 184 T4 cette année. Et je peux vous assurer que ce n'est pas tous des employés que, moi, j'ai congédiés. Ce sont des employés qui viennent, qui travaillent pour l'été, qui retournent à l'école au mois de septembre; d'autres, au contraire, qui décident de prendre trois mois puis de retourner à l'école au mois de janvier; des mères de famille qui, l'été, veulent rester avec leurs enfants, parce que, quand l'école est finie, elles préfèrent... elles ne travaillent pas l'été, etc.

Alors, encore une fois, cette réalité-là d'avoir... Puis les employés de service, ce n'est pas nécessairement des petits salariés, c'est des petits salariés au niveau de salaire minimum, mais avec les pourboires, là, ça fait des gens qui gagnent leur vie, je pense, très bien. Et, en cuisine, la bonne situation économique actuellement, pour vous dire, elle est bonne dans d'autres secteurs, mais, chez nous, ça veut dire que c'est encore plus difficile de recruter parce qu'il y a tellement d'emplois disponibles dans d'autres domaines que les gens ne viennent pas chez nous. Et je n'ai pas un seul employé au salaire minimum, si ce n'est les tout nouveaux employés qui sont là pendant trois mois parce qu'au bout de trois mois, s'ils n'ont pas d'augmentation, ils s'en vont ailleurs. Alors, actuellement là, il y a une vraiment pénurie d'employés dans le domaine de la restauration, encore une fois, dans une période qui est supposée être économiquement bonne; elle n'est pas bonne pour nous autres.

Et les coûts d'énergie, exemple, qui viennent nous frapper là: mon compte d'énergie est monté de 5 000 $ à 9 400 $ le mois dernier. Alors, quand on parle d'une rentabilité précaire, croyez-le, que ce n'est pas exagéré. On a fait d'ailleurs toutes les représentations en ce sens-là auprès du ministère des Finances dans le cadre de la loi sur les pourboires pour effectivement une étude de cas PMG qu'on a commandée pour l'occasion. Et, encore une fois, s'il vous plaît, n'ajoutez pas à notre fardeau financier, on n'a pas de place.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. le député de Mont-Royal.

M. Tranchemontagne: Merci, Mme la Présidente. J'aimerais revenir à votre... À la page 2 de votre mémoire, vous parlez d'interventionnisme de l'État, et je suis surpris de ne pas vous avoir entendu vous exprimer par exemple sur l'article 117 du nouveau Code où on dit, par exemple, que «le président de la Commission ou le vice-président [...] du soutien aux relations de travail agit seul au nom de la Commission pour rendre toute décision à caractère administratif, notamment...» ? et c'est ce qui m'inquiète et ce sur quoi je voudrais vous entendre parler: le président de la Commission donc pourrait désigner en tout temps, et je souligne les mots «en tout temps», «une personne pour favoriser l'établissement ou le maintien de relations harmonieuses entre un employeur et ses salariés ou l'association qui les représente».

Alors, si je comprends bien ça, ça voudrait dire que si vous n'avez pas des relations ou si quelqu'un juge que vous n'avez pas des relations harmonieuses, il pourrait décider d'intervenir dans votre propre commerce. Est-ce que c'est ça que vous comprenez, vous aussi? Est-ce que c'est ça que vous comprenez également?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. Dumoulin.

M. Dumoulin (Jacques): Oui, J'aimerais que Me Le Corre passe quelques commentaires là-dessus. J'aurais des commentaires peut-être empiriques à faire après.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Ça va. Alors, Me Le Corre.

M. Le Corre (Claude): La remarque de l'Association est plus globale et générale que ça, mais, si on veut prendre cet aspect spécifique, effectivement, l'article 117, quand on le lit littéralement pour l'instant, la Commission peut intervenir même dans une entreprise non syndiquée. C'est pour vérifier s'il y a des «relations harmonieuses entre un employeur et ses salariés ou l'association». Est-ce qu'on peut viser le monde non syndiqué avec ça? C'est une possibilité dans ce texte-là. C'est également une possibilité d'intervention en tout temps. Ce qu'il y a différent pour nous, c'est ce sur quoi l'Association proteste et est consciente, c'est que cette nouvelle approche avec les pratiques déloyales et tout l'ensemble va faire en sorte que le ministère du Travail, contrairement au BCGT, qui n'est pas du tout présent dans le monde quotidien des relations de travail de l'entreprise, va faire en sorte qu'une commission peut être présente à plusieurs étapes et, sinon constamment, quand on lit ce texte littéralement, dans les relations de travail d'une entreprise.

Le message que voulait vous envoyer l'Association, c'est: Arrêtez de nous encadrer, nous envoyer de choses où on doit se défendre, parce que, d'un côté, si une CRT intervient dans les relations de travail du restaurant de Jacques et qu'il y a un syndicat dans le portrait, que ce soit la CSN ou la FTQ, ils vont avoir des conseillers techniques, ils vont avoir des avocats, un service de recherche, ils vont avoir tout ce qu'il faut pour se défendre, lui nécessairement va avoir besoin d'aller se chercher des appuis puis des experts pour faire face à cette intervention de l'État qui est quand même professionnelle, lui, ce n'est pas un professionnel de ce type de relation de travail, on ne voit que des coûts.

Pensez aux pratiques déloyales, il y a une possibilité de 14, 15 plaintes de plus de pratiques déloyales contre les employeurs. Pour la PME, c'est catastrophique, là. Ils vont me voir beaucoup trop souvent. C'est comme le dentiste, on ne souhaite pas me voir si souvent que ça dans l'entreprise. Ils vont avoir besoin de conseillers tout le temps parce que les syndicats en ont, des experts. C'est ce déséquilibre que l'Association reproche. Alors qu'il y a des solutions simples et on dirait que personne ne veut les entendre.

La simplicité est toujours moins chère. Le vote de cinq à sept jours, par exemple, après le dépôt d'une requête en accréditation, il n'y a pas d'intervention d'experts: sept jours après, c'est fini. Il y a le deuxième volet majeur, ça convainc la PME, qui est toujours convaincue: Il s'est passé quelque chose, ce n'est peut-être pas vrai qu'ils sont majoritaires, je veux le savoir vraiment. Bien, un vote au scrutin secret sous surveillance du gouvernement, ça va donner cette certitude à l'employeur que, bon, il a peut-être mal géré ses communications, mais, maintenant, il faut qu'il s'assoit avec un syndicat, si c'est le choix réel de ses travailleurs. Tout ça déjudiciarise, puis on dirait que personne ne veut entendre quand on parle d'un vote après sept jours, surtout pas les syndicats. Pourtant, c'est les premiers à crier à la démocratie.

Alors, pourquoi on ne prend pas des solutions simples au lieu d'instituer des commissions énormes et bureaucratiques pour accélérer l'accréditation, faire du poids sur les PME, quand il y a des solutions faciles comme le vote? C'est ça, le sens de l'intervention de l'Association.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. Dumoulin, vous vouliez ajouter?

M. Dumoulin (Jacques): ...moi-même. Ha, ha, ha!

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. le député de Mont-Royal, vous avez d'autres questions?

M. Tranchemontagne: Oui, j'avais une autre question. Attendez un peu, je vous écoutais tellement sérieusement que j'ai perdu le fil. Les deux centrales syndicales qui sont venues nous parler ce matin et tantôt ont mentionné, pour ce qui est de la Commission comme telle... Je pense qu'ils ne sont pas nécessairement défavorables au concept de la Commission, sauf que, dans un cas, on a dit qu'on était inquiet du fait que la Commission ne sera pas nommée d'une façon paritaire, c'est-à-dire qu'on ne consultera pas les intervenants. Si je ne me trompe pas, vous n'avez pas fait d'intervention à ce sujet-là. Est-ce que vous êtes d'accord à ce que les nominations à cette nouvelle Commission soit décidée d'une façon paritaire, c'est-à-dire décidée ou enfin suggérée par le patronat, d'une part, et aussi les syndicats, d'autre part, plutôt que tout simplement nommée par le ministère?

M. Dumoulin (Jacques): C'est un cas, encore une fois, qui est très technique, et ça regrouperait, je pense, la demande ou l'imploration que je faisais tout à l'heure: Assurons-nous encore une fois que les jeux sont balancés. Je pense que c'est très, très important que l'employeur ne se sente pas défavorisé ou déjà menacé avant même de se rendre devant une autorité gouvernementale quelconque.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. le député de Mont-Royal.

M. Tranchemontagne: Je voudrais revenir à l'accréditation. Je comprends bien votre simplicité quand vous parlez de vote et j'en suis volontiers. Maintenant, pour ce qui est des personnes visées, quand je lisais le texte de loi ? si on prend le texte de loi puis qu'on oublie deux secondes votre proposition de faire un vote dans les sept jours qui suivent la demande d'accréditation ? comment, comme employeur, vous réagissez au fait qu'aujourd'hui c'est vous qui avez le devoir, si vous voulez, de déterminer la liste des employés visés ? je comprends que, dans un restaurant, c'est peut-être moins compliqué que dans une usine, là, mais quand même ? alors que, dans le nouveau texte proposé par la ministre, ce ne serait plus l'employeur qui aurait la responsabilité de déterminer la liste des employés visés par l'accréditation, mais ça serait à la Commission de déterminer cette liste des employés visés par l'accréditation? Comment vous réagissez comme employeur?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. Dumoulin.

M. Dumoulin (Jacques): Oui. Nous avons fait une représentation à cet effet-là dans le mémoire, à l'effet qu'effectivement on pense que ça peut être difficile pour la Commission, ou un agent, ou quelqu'un d'autre de dresser une liste. Puis on parle de personnel de gérance, d'assistants-gérants, de chefs d'équipe, de cadres, d'employés qui sont à la fois à la cuisine et à la fois au service à certaines heures, et tout ça. Ça serait effectivement un changement qui serait non souhaitable, là, que ça ne soit pas l'employeur qui dresse la liste.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. le député de Mont-Royal, ça va pour l'instant?

M. Tranchemontagne: Oui.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. le député de Maskinongé.

n(15 h 40)n

M. Désilets: Merci, Mme la Présidente. Pour ma part, c'est plus un commentaire que j'aurais qu'une question. Dans le document du Conseil du patronat qu'on a eu, dans son mémoire, à la conclusion, le Conseil dit: «Nos décideurs politiques ? ça s'adresse surtout à nous, là ? doivent dépasser le discours et poser des gestes concrets qui démontrent une compréhension intégrée de tous les enjeux, dans une vision élargie, avec, à la clé, la perspective immédiate d'accroissement de la richesse collective.»

Ils ne définissent pas, pour eux, ce que c'est, la richesse collective, mais, pour moi, une richesse collective, ce n'est pas nécessairement aussi monétaire, c'est plus large: le droit d'association, le droit de formation, la formation en entreprise, le droit d'être représenté, je pense aux fonds de retraite, je pense à l'assurance maladie, l'assurance médicaments; c'est tous des droits qui, collectivement, enrichissent l'ensemble de la communauté. Et, quand les gens arrivent à leur retraite, plus tard ou peu importe, c'est tous des avantages qui font que, collectivement, on devient plus riche. Ce n'est pas nécessairement juste monétaire, mais c'est des biens qui font que, globalement, c'est intéressant.

Puis, depuis que je vous entends, tantôt, je me demandais: Est-ce qu'il existe chez vous, au niveau de votre Association, des conseillers juridiques qui pourraient venir vous donner un coup de main lors de votre négociation avec vos propres employés, s'il faut? Un peu comme les syndicats peuvent se donner un coup de main à l'intérieur du même syndicat, mais chaque accréditation n'a pas nécessairement non plus un représentant, un juridique avec lui. Dépendant de la grosseur, la centrale ou la machine fait qu'ils peuvent être représentés d'une façon un peu plus, là, structurée. Mais je pense que la même chose peut se faire au niveau des associations d'employeurs pour diminuer les coûts, parce que l'objectif, c'est de diminuer les coûts, mais d'être capable aussi de négocier d'égal à égal, un peu comme vous le dites.

Mais, effectivement, de notre côté, au niveau gouvernemental, on est excessivement sensibles à vos demandes, au niveau, entre autres, de la paperasserie puis de la lourdeur administrative. Ça, c'est tous des questionnements avec lesquels on revient régulièrement; on en parle d'une façon constante dans nos rencontres. On veut essayer d'enlever ça. Mais, en même temps qu'on veut en enlever, on veut s'assurer que, des deux côtés, le Québec se développe d'une façon un peu plus égale. Plus il y a d'écart entre le haut et le bas, plus les risques de violence sont là aussi. C'est pour ça qu'on a un jeu d'essayer d'amoindrir ces efforts-là pour avoir un peu une paix sociale puis que tout le monde puisse en sortir gagnant.

Mais, en tout cas, si... En tout cas, moi, c'est le commentaire que je voulais vous donner. Mais, une information de votre part: si vous avez, là, un juridique que vous pouvez partager, un conseiller juridique au niveau de votre Association.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Dumoulin.

M. Dumoulin (Jacques): À date, je vous dirais que les autres associations, c'est des petites associations qui n'ont pas beaucoup de moyens. Les cotisations annuelles, c'est de l'ordre de 200 $ ou 250 $. Et, finalement, c'est une occasion d'avoir accès à des réductions au niveau des cartes de crédit, de certains coûts d'énergie, au niveau de l'essence, des choses comme ça, et d'être... Il y a un conseil d'administration qui fait des rencontres. C'est très difficile de mobiliser les gens quand il y a des rencontres.

Je me rappelle de l'ARQ à Québec, il y a deux ans, dans le cadre de la loi des pourboires ? où, là, c'était vraiment presque une question de survie pour l'industrie ? il y a à peu près 40 personnes qui sont venues, des petits entrepreneurs à travers le Québec qui ne comprennent pas toujours les enjeux. Et je pense que la situation se prête plus, encore une fois...

Quand on parle, tu sais, de richesse collective, vous parliez de droits, de fonds de pension, des choses comme ça, il faut presque considérer nos employés comme des travailleurs autonomes, parce que, tu sais ? comme je vous ai dit, j'ai fait 180 et quelques T4 cette semaine ? les gens viennent, partent. Quand ça fait leur affaire, ils ont besoin de travailler, ils savent qu'ils trouvent du travail facilement. On ne leur exige pas huit ans d'expérience puis trois diplômes universitaires. S'ils ont deux bras, deux jambes puis qu'ils ont un beau sourire, ils ont une job.

Donc, finalement, il y a très peu de gens qui font carrière au niveau des travailleurs de la restauration. C'est souvent un deuxième emploi, un emploi de support pour aider à arrondir les fins de mois. Et les employés souvent ne souhaitent pas... Moi, chez nous, j'ai deux employés qui sont un peu plus âgés, puis ils voulaient qu'on institue une assurance collective. Bien, on a un comité d'employés, puis j'ai dit: Passez-le au vote, puis, si vous avez la majorité, on va regarder qu'est-ce qu'on peut faire. Et ils n'ont pas réussi à intéresser la majorité parce que, la plupart de mes employés, ce sont des jeunes, ils sont sur le programme de leurs parents, puis tout ça. Ils ne voyaient la nécessité d'avoir un fonds de pension, puis tout ça. À 18 ans, les fonds de pension, c'est... Parce que l'âge moyen de mes employés, c'est 20,2 ans. Alors, parler de richesse collective, de fonds de pension, d'assurance collective, et tout ça, là, on leur rentre ça un petit peu de travers.

M. Désilets: O.K.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Ça va? Merci. Alors, puisqu'il n'y a pas d'autres questions, messieurs, on vous remercie de votre participation à cette commission et on va pouvoir vous laisser aller vaquer aux nombreuses autres tâches.

Je suspends donc les travaux pour une quinzaine de minutes.

(Suspension de la séance à 15 h 46)

 

(Reprise à 16 h 2)

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, nous allons donc poursuivre les audiences. Nous recevons l'Association des ingénieurs-conseils du Québec. Alors, j'aimerais que la personne responsable puisse s'identifier, nous identifier bien sûr, nous présenter les personnes qui l'accompagnent. Je vous rappelle que vous avez 20 minutes pour nous présenter votre mémoire et que, par la suite, nous passerons à la période d'échanges.

Association des ingénieurs-conseils
du Québec (AICQ)

Mme Desrochers (Johanne): Merci, Mme la Présidente. Mme la ministre, Mmes, MM. les députés de la commission. Tout d'abord, je me présente: Johanne Desrochers, présidente-directrice générale de l'Association des ingénieurs-conseils du Québec. À ma droite, M. Normand Brousseau, président du conseil de l'Association des ingénieurs-conseils du Québec et président du groupe HBA; à mon extrême gauche, Me Dominique Monet, associé principal de l'étude Fasken, Martineau, DuMoulin et, à ma gauche, M. Yves Létourneau, directeur de la recherche à l'Association .

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, je vous remercie, madame. Vous pouvez procéder.

Mme Desrochers (Johanne): Merci. Alors, comme vous le savez, le génie-conseil est une industrie qui fait, avec raison, la fierté des Québécois et de notre futur premier ministre d'ailleurs, puisque, dans notre répertoire, on y trouve un mot de M. Landry qui nous définit comme un grand symbole dont les membres sont teintés d'ingéniosité, d'audace dont le Québec a besoin pour relever avec succès les grands défis de l'économie globale.

Partout dans le monde, les ingénieurs-conseils du Québec s'illustrent par leur compétence, leurs réalisations souvent impressionnantes et leur sens des affaires. Le succès du Québec en génie-conseil se mesure notamment par le volume d'exportation. Environ la moitié des exportations canadiennes en services d'ingénierie dans le monde est réalisée par les firmes du Québec, soit deux fois plus que notre part de la population canadienne.

La reconnaissance internationale du savoir-faire et de l'expertise des firmes de génie-conseil du Québec entraîne des retombées positives sur l'ensemble de l'économie québécoise. Grâce au dynamisme de notre industrie, le Québec dispose d'un des bassins les plus intéressants et importants d'ingénieurs de toutes spécialités disponibles et aptes à réaliser une immense variété de projets ici et ailleurs.

Pour bien comprendre notre rôle dans l'économie et dans la société, il faut aussi comprendre comment, à la base, les services-conseils en ingénierie répondent à un besoin. L'industrie de génie-conseil existe pour procurer, de façon ponctuelle, les expertises techniques de haut niveau à des clients qui ne disposent pas de cette expertise à l'interne, que ce soit en qualité ou en quantité suffisante.

Le mot-clé ici est «ponctuel». L'ingénieur-conseil intervient presque toujours dans le cadre de projets qui ont une durée délimitée dans le temps. Le faire-faire dans le domaine des services professionnels en ingénierie ne consiste pas à reprendre une partie de l'entreprise du donneur d'ouvrage. L'ingénieur-conseil embauché pour concevoir une centrale d'électricité, par exemple, n'a pas pour but de produire cette électricité à la place de son client, celui qui est engagé pour faire les plans d'un garage municipal n'a pas évidemment pour but d'assurer les services de l'aqueduc et de voirie, de même que celui qui serait engagé pour faire les plans d'une usine d'avions n'aurait pas pour but de les construire à la place du client. Et il ne prend pas non plus la place d'ingénieur salarié affecté aux opérations courantes ou à la gestion des contrats en génie.

En pratique, le faire-faire a plusieurs avantages importants dans le domaine des services professionnels en ingénierie. D'abord, le risque d'affaires relié aux fluctuations de travail pour les experts est entièrement assumé par les firmes externes, qui peuvent d'ailleurs mieux l'absorber parce qu'elles travaillent pour plusieurs clients et sur plusieurs projets. Deuxièmement, la variété de projets dans lesquels les ingénieurs-conseils sont impliqués fait bénéficier les clients d'un plus large éventail de solutions technologiques. Et, troisièmement, le recours à des ingénieurs-conseils apporte, pour plusieurs raisons, une productivité élevée dans l'exécution des travaux.

Le recours au faire-faire entraîne souvent des réductions de coûts attribuable à une diminution des frais d'administration et à l'absence de coûts de contingence pour le donneur d'ouvrage, notamment en matière de gestion et de formation de la main-d'oeuvre. Toutefois, de tous les avantages du faire-faire, celui qu'on oublie le plus souvent ou dont on parle le moins est probablement aussi le plus évident: en recourant au faire-faire, et c'est particulièrement vrai dans le domaine des services professionnels en ingénierie, on crée un réseau d'entreprises dont la mission exclusive est de développer et de mettre en valeur commercialement l'expertise qu'elles développent. C'est ainsi que les firmes québécoises de génie-conseil se sont imposées sur la scène internationale avec une expertise de haut niveau, promue avec beaucoup d'énergie par des hommes et des femmes d'affaires dont le projet d'entreprise est axé entièrement sur la mise en valeur d'un savoir-faire utile à toute une variété de clients, ici et ailleurs.

Ce n'est pas la mission des ministères, ni celle des entreprises manufacturières ou de haute technologie, ni celle des municipalités de développer une expertise en génie et de la mettre en valeur commercialement. Cette mission, ce sont les firmes de génie-conseil qui l'assument, et celles du Québec le font avec brio. Vous aurez compris que le faire-faire est la condition sine qua non du succès de notre industrie. Le faire-faire dans le domaine des services professionnels en ingénierie répond non seulement à un besoin, mais s'est aussi révélé être une approche bénéfique pour l'économie québécoise tout entière.

Il est probable que nous n'aurions pas jugé bon de nous présenter devant vous si récemment certains événements n'étaient pas survenus pour nous rappeler que le faire-faire doit toujours être promu et défendu. En effet, pour la première fois depuis une quinzaine d'années, des firmes de génie-conseil ont fait l'objet de requêtes en vertu de l'article 45. Au total, une dizaine de firmes de génie-conseil et trois donneurs d'ouvrage, soit Hydro-Québec ainsi que les villes de Montréal et de Charlesbourg, sont visés par des requêtes en vertu de 45. Toutes ces requêtes ont été déposées au cours des derniers mois.

n(16 h 10)n

Face à ces faits nouveaux, on peut se demander si les choses ne sont pas en train de changer et si l'article 45 ne fait pas l'objet d'une interprétation trop large en pratique. En effet, comment peut-on expliquer que des contrats de services professionnels en ingénierie, qui répondent par définition à un besoin ponctuel, fassent l'objet de telles requêtes? Ce fait cache-t-il autre chose? Y a-t-il, derrière l'utilisation de ces dispositions, une volonté syndicale de remettre en question, à grande échelle, le faire-faire dans le domaine des services-conseils en ingénierie? Ce sont des questions légitimes, et cela nous inquiète.

Étant donné les bénéfices importants que le faire-faire a apportés à toute la société autant qu'aux donneurs d'ouvrage, cette situation équivaut, selon nous, à une dérive par rapport aux objectifs que poursuit l'article 45. En raison du caractère très temporaire, très spécialisé, très ponctuel des contrats de services professionnels en ingénierie, nous ne pensions pas faire l'objet de telles requêtes. Aujourd'hui que la chose devient réalité, il nous apparaît souhaitable que le législateur inverse sa logique en ce qui concerne les contrats de services professionnels en ingénierie en les soustrayant de l'application de l'article 45, quitte à ce que la Commission des relations du travail ait, dans certaines circonstances bien définies, le pouvoir de réprimer les abus s'il devait en survenir. Le fait de laisser la jurisprudence actuelle s'étendre à l'univers des contrats de services professionnels nous semblerait incongru, étant donné la nature même de ces contrats qui sont fondés sur le besoin, pour le donneur d'ouvrage, d'une expertise spécifique. Il s'agit de notre principale recommandation dans le mémoire.

Il serait dommage et potentiellement préjudiciable que l'interprétation très large de l'article 45 vienne créer une situation inusitée où les donneurs d'ouvrage prendraient en bonne partie la possibilité de confier des travaux à des ingénieurs-conseils, se privant ainsi d'une ressource externe jugée stratégique par plusieurs d'entre eux, sans compter le non-sens d'une telle situation sur le plan de la gestion même.

En théorie, il pourrait découler en effet de tout cela, à plus ou moins brève échéance, une restriction importante du faire-faire ou encore une situation passablement lourde à gérer pour les entreprises de génie-conseil. Peut-on imaginer une firme de génie-conseil où éventuellement les conditions de travail de chaque employé pourraient être régies par plusieurs conventions collectives changeant au gré des projets sur lesquels il serait appelé à oeuvrer? En ce qui concerne les difficultés de gestion découlant d'une situation où les firmes devraient appliquer, pour chaque professionnel, des conventions collectives différentes selon les contrats, aussi bien dire que cela relève de l'inapplicabilité, à moins de coûts très élevés pour les entreprises. Pour renforcer l'industrie québécoise du génie-conseil sur les marchés d'aujourd'hui, ce n'est pas d'une restriction du faire-faire dont nous avons besoin, mais plutôt d'une progression du faire-faire.

Un autre objet de préoccupation pour notre Association est la perspective de voir désormais la partie syndicale faire de la sous-traitance un enjeu central dans la renégociation des conventions collectives. Cette stratégie pourrait frapper sans distinction et avoir pour effet de resserrer la sous-traitance en général, dont le faire-faire dans le domaine des services professionnels. Il ne faudrait pas que la conséquence d'une réforme bien intentionnée soit que les conventions collectives du futur deviennent plus rigides qu'elles ne le sont déjà en matière de sous-traitance. Cette perspective nous incite encore plus à vous suggérer d'exclure les contrats de services professionnels de l'application de l'article 45.

Je souhaiterais maintenant céder la parole à M. Normand Brousseau, le président du conseil de l'Association.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Brousseau.

M. Brousseau (Normand): Mme la Présidente, Mme la ministre, Mmes, MM. les députés. Permettez-moi simplement d'ajouter quelques mots à ce que Mme Desrochers vient de dire. Notre succès à développer et à mettre en valeur l'expertise québécoise en génie s'est toujours appuyé sur la possibilité, pour les donneurs d'ouvrage, de stimuler le développement de cette expertise par l'octroi de contrats de services professionnels. En retour, les donneurs d'ouvrage trouvent chez nous des compétences de premier ordre, toujours à la fine pointe et disponibles sur demande. Ils trouvent aussi une productivité élevée dans l'exécution des travaux et des réductions de coûts, notamment parce que nous assumons des coûts de formation et de développement de la main-d'oeuvre et parce qu'une fois le projet terminé notre rémunération cesse.

Autre point important. Le fait que les firmes de génie-conseil soient présentes partout dans le monde crée une osmose entre les expertises d'ici et celles qui existent ailleurs. Cette osmose n'existerait pas si la mission centrale de nos entreprises n'était pas de développer et de mettre en valeur commercialement à l'échelle du monde toutes ces expertises.

La réforme que vous avez mise de l'avant nous donne l'occasion d'attirer votre attention sur un des impacts négatifs du Code du travail actuel. L'interprétation généreuse que lui ont donnée les tribunaux a peut-être transformé l'article 45 en une sorte de cheval de Troie qui, au fur et à mesure qu'on avance, sert peut-être davantage à réduire les activités de sous-traitance qu'à protéger les salariés contre les abus.

Au Québec, le faire-faire a donné naissance à une industrie de génie-conseil particulièrement forte et dynamique qui est aussi devenue un secteur stratégique de l'économie. La disponibilité d'une expertise solide et abondante en génie constitue un des éléments importants de la compétitivité de l'économie du Québec. En bout de ligne, c'est l'ensemble de la société québécoise qui a bénéficié du faire-faire en ingénierie. En un mot, dans notre domaine, l'expérience du faire-faire est plus que concluante.

Comme nous vous l'avons indiqué, la remise en question du faire-faire est peut-être ce qui se profile derrière les récentes requêtes en vertu de l'article 45. Nous aimerions penser le contraire, mais, si le passé est garant de l'avenir, les chances sont grandes pour que nous assistions dans les faits à une telle remise en question. Nous souhaitons donc, par conséquent, voir le gouvernement agir de manière à renforcer le faire-faire dans le domaine des services professionnels.

En terminant, voici quelques renseignements concernant l'AICQ. L'Association regroupe plus d'une centaine de firmes qui représentent ensemble environ 90 % de l'industrie québécoise du génie-conseil. Ensemble, ces firmes créent 12 000 emplois, et ceci au Québec seulement, et ont un chiffre d'affaires consolidé supérieur à 2 milliards de dollars. Je vous remercie de votre attention.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, ça met fin donc à votre présentation?

Mme Desrochers (Johanne): Oui, merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, je vous remercie. Nous allons passer à la période d'échanges. Mme la ministre.

Mme Lemieux: Merci, Mme la Présidente. Mme Desrochers, M. Brousseau. Je salue également les gens qui vous accompagnent. On s'était vu il y a quelques mois de cela à l'occasion de la commission qui étudiait le projet de loi sur la réorganisation municipale, où vous aviez amorcé ce type de préoccupation.

Écoutez, j'ai regardé votre mémoire. Bon, je sens beaucoup d'inquiétude de votre part. Je reconnais tout à fait la part extrêmement dynamique des services qui sont développés par les gens de votre secteur d'activité, les ingénieurs-conseils. C'est bien évident que c'est un plus dans la structure économique du Québec.

Maintenant, j'essaie de saisir, là, vos inquiétudes, parce que, bon, je comprends qu'il y a des requêtes à 45 qui ont été déposées qui vous inquiètent, que ? j'assumerai ces paroles ? vous trouvez peut-être même déplaisantes, c'est votre droit le plus légitime. Maintenant, il faut bien les saisir, ces inquiétudes-là. Il faut être capable d'anticiper et de départager: qu'est-ce qui est de l'ordre d'une stratégie éventuelle, de la réalité. Je ne connais pas... Vous allez comprendre que je ne vais pas commenter ces dossiers-là, mais ce n'est pas parce qu'il y a une requête à 45 que l'issue est déjà prédéterminée. Oui, ce n'est pas impossible qu'il y ait des éléments stratégiques derrière ça, mais, ça, là, c'est la vie, là, hein? Sinon, vous allez comprendre qu'on entre dans un régime où personne n'a de droit et où tout est téléguidé, et voilà! Bon, alors j'essaie de distinguer, là, les choses.

Je vous dirais ? puis peut-être que ça peut être le point de départ de notre discussion ? que vous parlez beaucoup du faire-faire, mais vous parlez aussi d'une expertise ? je reprends vos expressions ? de service très spécialisé, ponctuel, pour répondre à des besoins très précis et très techniques, très complexes. J'en ajoute un peu, mais c'est un peu comme ça que je décrirais votre travail. Or, pour que l'article 45 s'applique, il faut qu'il y ait une transmission, une concession de quelque chose. Il faut transmettre quelque chose. Or, par exemple, dans les cas où l'entreprise n'a pas l'expertise et elle a donc besoin d'aller la chercher à l'extérieur, je ne veux pas être trop brutale, mais il n'y en a pas, de problème. Non, mais... On va reprendre le formulation de 45, mais il faut transmettre quelque chose. Alors, tu sais, j'essaie de... Je comprends vos inquiétudes, mais...

n(16 h 20)n

Essayons ensemble un peu de distinguer les éléments objectifs de craintes que vous pouvez avoir, parce que je comprends aussi que vos préoccupations sont davantage par rapport au futur, mais, en même temps, vos commentaires ne sont pas beaucoup sur les dispositions qui sont proposées dans le projet de loi n° 182. Alors, essayons donc de démêler cela.

Mme Desrochers (Johanne): Avec plaisir. Ha, ha, ha!

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Mme Desrochers.

Mme Desrochers (Johanne): Oui. Merci. Bon, les craintes, je pense qu'elles sont fondées, quoique je vous accorderai que, effectivement, quand on regarde tout ça dans son ensemble, on a quand même eu des discussions, et il est certain que, dans quelques cas ou dans certains cas, ça peut être une stratégie. Bon, ça, je vous l'accorde, mais on ne peut pas prêter d'intentions à qui que ce soit. Alors, bon...

La réalité... Évidemment, ce n'est pas la première fois que l'on parle de faire-faire dans le domaine des services d'ingénierie. En 1987, je crois ? je dis toujours 1989, mais c'est 1987 ? il y a eu une grosse commission, une très importante commission parlementaire dans le cadre d'Hydro-Québec et la sous-traitance, à l'époque, une commission à laquelle on avait participé. D'ailleurs, le texte que l'on vous soumettait très humblement à la fin de notre mémoire, c'était déjà un texte qu'on avait soumis à l'époque pour essayer de trouver une façon qui nous accommoderait.

Donc, c'est un sujet qui a quand même été très présent, et ça s'explique par le fait qu'Hydro-Québec, qui a été un donneur d'ouvrage avec le génie-conseil, un partenaire très important qui a permis le développement d'une expertise qu'on peut maintenant exporter... Évidemment, chez Hydro, on le sait, il y a eu une baisse très importante des activités qui a fait que, là, en 1987, on a pu voir quelle était la vraie nature, si on veut, de la politique de faire-faire et quelles étaient les applications des conventions collectives à Hydro-Québec, et tout ça, ce qui voulait dire qu'on ne pensait pas, à cette époque-là, non plus que le génie-conseil, à cause des caractéristiques que l'on a énumérées, pouvait être assujetti, si l'on veut, ou être considéré comme étant de la sous-traitance, puisqu'on offrait, nous, des services professionnels à un moment donné dans le temps. Et force a été de constater que nous pouvions être touchés.

Alors, évidemment, 12 ans plus tard ou 14 ans plus tard, il est certain que, lorsqu'on voit nos membres recevoir des requêtes en 45, on se dit très bien que l'on peut être touché par... Puis, évidemment, c'est les tribunaux qui en décideront, mais on regarde également la jurisprudence et puis on pense qu'il y a lieu de s'inquiéter si les services professionnels d'ingénierie, à tout le moins... Je ne veux pas parler pour l'ensemble des intervenants dans les domaines professionnels, mais, pour les services professionnels d'ingénierie, on croit que ce seraient des contraintes majeures à ce que l'industrie continue de pouvoir se développer et exporter, enfin, ici et ailleurs.

Mme Lemieux: Ce que vous dites, Mme Desrochers, c'est que le strict fait que ces activités-là soient... On ne peut pas présumer des décisions qui vont être prises. Mais vous dites: Le strict fait que cette décision de donner à l'extérieur d'une entreprise des contrats pour recevoir des services spécialisés qui, en général, ne peuvent pas être développés et dispensés dans l'entreprise elle-même, le strict fait de savoir que cette entreprise sous-traitante ? appelons-la comme ça ? pourrait éventuellement être accréditée, c'est une catastrophe nationale? Expliquez-moi quel effet cela a-t-il.

Mme Desrochers (Johanne): Quel effet ça aurait si c'était le cas?

Mme Lemieux: Oui.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme Desrochers.

Mme Desrochers (Johanne): Merci. On a mentionné et évalué, je pense avec justesse, que, si, dans une entreprise, chaque employé était assujetti à huit conventions collectives, disons, pour huit projets différents sur lesquels ils travaillent, ça deviendrait ingérable, inapplicable. Ça représenterait des coûts énormes pour l'entreprise et, en bout de ligne, pour le client. Et, pour l'économie, en fait, ça a des impacts très importants. Ça, c'est dans l'applicabilité.

On me dira: Avec tous les systèmes de gestion informatisés, etc., aujourd'hui, c'est facile à faire, mais je pense que, dans la réalité, c'est tout de même une complication qu'on ne peut pas ignorer, et ça enlève, pour l'entreprise de génie-conseil, beaucoup de flexibilité, beaucoup de productivité probablement, puisque de travailler dans les conditions dans lesquelles on travaille versus avoir des employés syndiqués, et particulièrement s'ils sont syndiqués auprès de huit associations syndicales, ça devient vraiment très complexe.

Et il y a des éléments également... Peut-être que M. Monet pourrait ajouter à ma réponse, si vous le permettez ou le souhaitez.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. Monet.

M. Monet (Dominique): Oui, simplement pour... Nous sommes réconfortés évidemment du point de vue que vous avez exprimé, Mme la ministre. Nous aussi, on ne croit pas que l'article 45 puisse s'appliquer dans une situation où rien n'est concédé, sauf que, actuellement, je pense qu'on doit constater que, dans bien des décisions, c'est ce que les commissaires et le Tribunal du travail font, c'est-à-dire qu'on a plusieurs cas où ces instances décisionnelles là ont décidé qu'il suffisait qu'on confère une espèce de droit d'exploitation, là, où on donne un contrat à un autre pour exécuter un travail qui pourrait peut-être être exécuté par l'entreprise elle-même, et ça suffit, sans qu'il y ait de transfert de main-d'oeuvre ou qu'il y ait transfert d'éléments d'actif tangibles, pour entraîner l'application de l'article 45.

Donc, je pense que l'inquiétude, elle est là, et je pense que le risque que ces requêtes-là, sur 45, procèdent avec des décisions où on impose les conventions collectives et les accréditations aux firmes d'ingénieurs-conseils est bien réel.

Maintenant, il est possible, vous allez me dire, que la Cour suprême du Canada puisse décider un jour que c'était une erreur et que ça n'aurait jamais dû s'appliquer. Et on parlait de l'arrêt Bibeau ? vous avez sans doute beaucoup entendu parler de l'arrêt Bibeau ? il y a une chose qu'il faut se souvenir au sujet de l'arrêt Bibeau, c'est que, avant que la Cour suprême renverse les commissaires et les tribunaux, l'interprétation s'est appliquée pendant une quinzaine d'années, quand même.

Et ça m'amène à mon deuxième point qui est que ce n'est évidemment pas à tous les jours qu'on fait une réforme du Code du travail aussi majeure, aussi importante que ce que l'Assemblée se propose de faire, le gouvernement propose de faire aujourd'hui. Je pense qu'il y en a eu une en 1994 où on a changé les durées des conventions collectives, par exemple, en 1990 aussi. Mais ce n'est pas une loi à laquelle vous avez l'occasion de toucher à toutes les années. Donc, dans ce contexte-là, nous, on croit que c'est important que le gouvernement et que l'Assemblée se penchent sur cette question-là. En définitive, c'est au gouvernement du Québec de la décider, cette question-là, sans rentrer dans les cas spécifiques, les requêtes spécifiques qui sont actuellement pendantes et qui ont peut-être un élément stratégique. Mais je pense que c'est au gouvernement de prendre cette décision-là et de décider si, oui ou non, les contrats de services professionnels du type dont on discute, effectivement, c'est une situation où 45 s'applique ou non.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, Mme la ministre.

Mme Lemieux: Alors, M. Monet, écoutez, je veux bien, là. Bien sûr que c'est au gouvernement à prendre ces décisions-là quand l'opportunité se présente, mais il faut prendre ce genre de décisions-là à partir d'éléments de réalité. Je comprends les craintes que vous avez. Je comprends que vous avez des causes pendantes qui sont troublantes. Mais, en même temps, vous me proposez... Puis là, j'ai mon équipe, là, puis on est un peu décontenancé, on se dit: Coudon, on vit-u sur la même planète? Vous imaginez des scénarios de, par exemple, une entreprise d'ingénierie-conseil qui se retrouve avec huit accréditations, tout ça. Là, à un moment donné... C'est parce que c'est des scénarios de fin du monde, là. Un instant, là!

Une voix: ...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Un instant, s'il vous plaît!

n(16 h 30)n

Mme Lemieux: Il faut transmettre quelque chose, parce que, sur le fond, si une entreprise transmet réellement les activités, bien, il y a un problème de vouloir contourner toutes sortes de lois, là. Là, on a un vrai problème. Mais, quand on ne transmet rien, on fait appel à de l'expertise spécialisée, bien, là, c'est autre chose. Mais, si c'est une astuce, ah, bien, là, un instant, il va falloir se parler. Mais je n'ai pas beaucoup de prise sur ce que vous me dites.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Mme Desrochers.

Mme Desrochers (Johanne): Oui. Je pense que peut-être même que M. Brousseau pourrait donner des exemples concrets. La sous-traitance, il y a une chose qui est certaine ? en tout cas, ça semblait faire l'unanimité des chefs syndicaux puis du patronat ? il semble que la sous-traitance va devenir l'enjeu majeur lorsqu'il y aura des négociations de conventions collectives. Pour nous, qui travaillons dans les entreprises ou des municipalités où il y a des syndicats d'ingénieurs, avec lesquels d'ailleurs on collabore, puisque les employés de nos membres travaillent très souvent en complémentarité... C'est un travail d'équipe, multidisciplinaire et c'est très souvent complémentaire, alors on travaille pour des clients où il y a des syndicats d'ingénieurs ou de techniciens. On est très conscients que, lors des négociations... Je reprends Hydro-Québec parce que c'est peut-être le cas le plus connu de tout le monde. Il est certain que, chez Hydro-Québec, il y a des concessions qui ont dû être faites lors des négociations pour en venir à une entente, et déjà ça touchait beaucoup la sous-traitance. Donc, ils ont encadré, si on veut, les conditions dans lesquelles pourrait s'effectuer cette sous-traitance-là.

Ça, c'est une chose de le voir comme ça, puis c'est normal, il y a une négociation, puis on n'a rien à... Vraiment, ça ne nous concerne, pour ainsi dire, pas. Sauf que, lorsque ces clauses-là de sous-traitance ou cet enjeu-là, si on veut, de sous-traitance devient une menace pour une industrie, comme c'est le cas pour le génie-conseil... Parce que le développement de l'industrie du génie-conseil puis son rayonnement, c'est basé sur le fait qu'à une époque, depuis que le génie-conseil existe évidemment ? dans ce cas, peut-être plus dans le temps où on a développé le Québec ? et encore aujourd'hui, les entreprises et les municipalités, peu importe le donneur d'ouvrage, ont fait affaire, ont fait faire à l'externe. C'est ça qui a permis de développer des expertises. Et aujourd'hui il y a une industrie...

Alors, il y a deux industries. Il y a Hydro-Québec ? je vous donne ça en exemple, Hydro-Québec, mais en tout cas ? et il y a l'industrie, donc, du génie-conseil qui existe. Et, nous, si on y voit des menaces, eh bien, c'est sous l'hypothèse que c'est pour prévenir, mais on pense que c'est réellement, pas une menace, mais des contraintes qui pourraient venir s'ajouter et empêcher le génie-conseil de continuer de se développer.

Alors, on l'a mentionné dans le mémoire, Mme Lemieux, c'est un travail de sensibilisation que l'on fait auprès de vous, et, de par votre réaction, je comprends que ça ne semble pas évident, là, que ce n'est peut-être pas une réalité... On ne peut pas vous dire: Il y a eu 15 cas où effectivement les firmes sont maintenant accréditées, où les employés des firmes sont accrédités au syndicat de la ville de Montréal en partie, au syndicat de la ville de Charlesbourg en partie puis au syndicat d'Hydro-Québec en partie, mais c'est une possibilité qui est là. Et évidemment on ne veut surtout pas se retrouver dans une situation comme ça. Ça nous enlèverait beaucoup de nos avantages concurrentiels face aux firmes d'ingénierie extérieures, d'ailleurs au Québec.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, Mme la ministre.

Mme Lemieux: N'étant pas insensible, Mme Desrochers, je vais vous proposer peut-être ? on pourra se parler après ? une rencontre pratique avec des gens du ministère parce que je veux bien anticiper cette réalité-là. À partir du moment où on a les deux pieds dans la réalité, alors, moi, je suis prête à ce qu'on examine un certain nombre de choses.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme Desrochers.

Mme Desrochers (Johanne): Merci beaucoup. J'accepte évidemment avec plaisir, avec beaucoup d'intérêt que l'on travaille avec vos gens sur cette question. Il m'apparaît très important de... En vous demandant une exclusion, on savait que ce ne serait peut-être pas nécessairement très populaire. Alors, votre réaction d'au moins vouloir regarder ce qu'il en est dans la pratique est très appréciée, et je vous en remercie.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. le député de Mont-Royal.

M. Tranchemontagne: Merci, Mme la Présidente. Mme Desrochers, M. Brousseau, bienvenue, et bienvenue, messieurs, aussi à la commission. Je partage évidemment vos inquiétudes en ce qui a trait à la sous-traitance. Évidemment, votre industrie, vous nous le dites, s'est développée grâce justement à la sous-traitance, et c'est là que vous avez pu développer votre expertise. Et peut-être, contrairement à ce que la ministre peut penser, je ne pense pas qu'on peut présumer dans tous les cas que, la sous-traitance de services professionnels, dans tous les cas, rien ne sera concédé. Il arrive sûrement des cas en pratique où il y a de la concession de la part de l'entreprise au sous-traitant. Alors donc, mon premier commentaire est pour vous dire que je partage vos inquiétudes.

Par contre, je suis un petit peu surpris par votre conclusion, si je l'ai bien comprise, puisque vous semblez dire que vous demandez une exclusion de l'article 45 pour ce qui est des contrats de services professionnels. Comment pouvez-vous en arriver à une telle conclusion? Et pour quelles raisons votre industrie jouirait d'un tel privilège par rapport à toute autre industrie dont on pourrait faire la liste ici?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme Desrochers.

Mme Desrochers (Johanne): Merci, M. Tranchemontagne. Merci, Mme la Présidente. Bon. Tout d'abord, lorsqu'on demande cette exclusion, je tiens à préciser qu'on la demande pour les services professionnels d'ingénierie. Pour nous, c'est implicite, mais je le précise. Dans ma présentation, je l'ai précisé justement parce que c'était peut-être un manque au niveau du mémoire.

Les principales caractéristiques, si vous voulez, sur lesquelles on se base pour demander ça, c'est qu'on considère que notre industrie, elle est basée sur le faire-faire, donc c'est intrinsèque à nous; que les professionnels qui composent notre industrie sont régis par des ordres professionnels. Je reviens au caractère très important de l'aspect ponctuel, une intervention ponctuelle de la part de nos membres dans le temps. Le donneur d'ordre embauche les firmes d'ingénierie pour un travail donné à l'intérieur... C'est un contrat, donc, de services professionnels, et ça a un début et une fin toujours. Il y a également l'aspect de l'exportation. Et ça, ça donne à notre profession, si vous voulez, un caractère plus d'industrie. Il y a très peu de services professionnels qui, au Québec, représentent une industrie exportable comme le génie-conseil la représente et l'a représentée.

Alors, ces différentes caractéristiques, si vous voulez, nous ont amenés à nous dire et à demander qu'au fond on soit exclus, qu'on ne soit pas considérés comme... lorsqu'on parle de la sous-traitance en général, appliquée à toutes sortes de domaines. Alors, c'est ce qui a été à la base, si vous voulez, de notre recommandation,

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. le député de Mont-Royal.

M. Tranchemontagne: Merci. Si vous vous mettez dans la position maintenant du donneur d'ouvrage, c'est-à-dire Hydro, par exemple, pour prendre un cas bien précis, c'est quoi la distinction pour Hydro entre un cas ponctuel, comme vous dites, et puis un cas qui est moins ponctuel ou qui peut être ponctuel mais à tous les trois, quatre ans, ou des choses comme ça? C'est quoi qui fait la différence? On arrive à des jugements qui sont particulièrement subjectifs.

n(16 h 40)n

Comprenez-moi bien, je ne suis pas contre la sous-traitance, je voudrais bien que vous le compreniez, je suis pour la sous-traitance, mais je suis pour la sous-traitance pour tout le monde, pas juste pour un groupe privilégié. Et je comprends que votre industrie est une industrie, d'abord, premièrement, et que c'est une industrie qui s'est développée, comme je vous le disais tantôt, grâce à la sous-traitance justement, et c'est ça qui vous a permis de développer une expertise. Je n'ai rien contre le fait que vous puissiez avoir la possibilité de sous-traiter. Ce à quoi je m'objecte, c'est le fait que vous vouliez le restreindre à la sous-traitance de services professionnels d'ingénierie, comme vous avez si bien dit. Selon moi, si je me place du côté du donneur d'ouvrage, c'est quoi, la distinction? Elle est beaucoup moins claire que quand on se place de votre point de vue, si je prends, par exemple, l'exemple d'Hydro, pour en prendre un, qui est probablement un cas très pratique et précis.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme Desrochers.

Mme Desrochers (Johanne): Merci. Pour répondre à cette question, je vais, dans deux petits instants, demander peut-être à M. Brousseau, qui est président donc du Conseil et président d'une firme d'ingénierie, qui travaille d'ailleurs avec Hydro-Québec, de vous donner des cas peut-être le plus concrets possible de la réalité. On va essayer de revenir un petit peu dans le concret et la réalité de tous les jours de nos firmes.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Brousseau.

M. Brousseau (Normand): Merci. Dans un premier temps, les mandats que nous avons, surtout avec Hydro-Québec, comme vous disiez tantôt, M. Tranchemontagne, ces mandats-là sont des mandats de services professionnels octroyés à des consultants. On ne fait pas mention dans ces contrats-là de sous-traitance. La seule place où on parle de sous-traitance, c'est qu'on nous interdit, en tant que consultants, de sous-traiter des parties de ces ouvrages à des tierces parties sans autorisation d'Hydro-Québec. C'est la seule place où on parle de sous-traitance.

Nous sommes des consultants avec des garanties professionnelles, c'est-à-dire que nous devons fournir une assurance responsabilité professionnelle en plus d'une responsabilité civile générale. C'est ce qui nous distingue de tous les autres types de catégories que nous pouvons appeler sous-traitants. Eux, ils sont simplement, disons... Ils ont à fournir les cautions d'exécution, des choses semblables. Nous, ce n'est pas le cas, nous sommes tenus par des contrats de services professionnels.

Mme Desrochers (Johanne): Je veux peut-être...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, Mme Desrochers.

Une voix: ...

Mme Desrochers (Johanne): Oui, je vais peut-être continuer là-dessus. Le donneur d'ouvrage, lorsqu'il a des projets, il a à son emploi, à la base ? le donneur d'ouvrage averti, là, comme c'est le cas d'Hydro-Québec ou de plusieurs municipalités ou entreprises manufacturières, ou le ministère des Transports, c'est un autre exemple... Ce se sont ce qu'on appelle des donneurs d'ouvrage ou des clients avertis. Ce sont la majorité des donneurs d'ouvrage avec lesquels nos membres travaillent. Donc, déjà, à leur emploi, ils ont des ingénieurs, des techniciens qui font différents aspects nécessaires avant la réalisation de travaux, d'abord tous les aspects de planification des besoins de l'entreprise, quelquefois la conception. Bon, enfin. Donc, il y a un certain type de travail qui est fait par les ingénieurs du donneur d'ouvrage.

Le donneur d'ouvrage, toutefois, au cours d'une période de 10 ans, il y a certains types de travaux qui seront réalisés une fois, une fois sur cinq ans ou une fois à tous les cinq ans ou, bon, etc., et il doit, dans ses prévisions, sa planification et sa gestion interne, décider s'il aura besoin d'un tel type d'expertise de façon continue. Par exemple, je ne sais pas, moi, la gestion de projets d'ingénierie, bien, il est clair que, généralement, une place comme Hydro-Québec, ils ont besoin de gens pour faire ça à l'année puis pour les 10 ans et 20 ans à venir. Donc, ce n'est pas un type de mandat qu'ils vont donner à l'extérieur, quoique, quelquefois, s'il y a un pic dans les travaux, on pourra faire appel à l'extérieur. Mais, à la base, ils vont probablement décider, eux, d'avoir à l'interne l'expertise en ingénierie pour gérer les projets.

Le donneur d'ouvrage va faire appel à l'externe pour venir combler un besoin spécifique, une expertise particulière qui lui coûterait d'abord trop cher à garder les cinq ans où il n'en aurait pas besoin, entre les deux fois où il réalise tel type de projet, et ainsi de suite. Bon, alors, pour le donneur d'ouvrage, c'est une décision d'abord qui lui revient, c'est une décision de gestion, c'est une décision qui est économique très souvent. Et ça va varier évidemment d'un à l'autre, mais c'est... Je ne sais pas si ça répond à votre question ou si...

M. Tranchemontagne: Deux sous-questions qui me viennent à l'esprit. D'abord, ne croyez-vous pas que n'importe quel donneur d'ouvrage a les mêmes objectifs, etc., de réduire ses coûts, de fonctionner d'une façon plus efficace et de concurrencer mieux sa concurrence, au même titre que n'importe quel donneur d'ouvrage dans votre domaine? Ça, c'est ma première question.

La deuxième, c'est: De quel droit vous voulez imposer à Hydro-Québec de permettre la sous-traitance dans un cas ? l'ingénierie, toujours, là ? et, dans un autre cas, vous ne lui permettriez pas, sous prétexte que c'est un emploi ou une fonction qui se retrouve là plus tous les jours que plutôt ponctuellement, à tous les 10 ans, ou cinq ans, ou deux ans?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme Desrochers.

Mme Desrochers (Johanne): Merci. À votre première question, la réponse était oui. À la deuxième, on ne demande pas à Hydro ou à quelque client que ce soit d'exclure tous les autres. Nous, écoutez, on vous sensibilise sur une réalité de ce que l'on connaît et on ne pourrait pas prétendre parler au nom de qui que ce soit d'autre que du génie-conseil. Alors, ça, je pense que c'est important de le mentionner et de le préciser. Il ne s'agit pas pour nous de vouloir exclure qui que ce soit d'autre de la sous-traitance.

Puis Hydro, bon, pour prendre ces décisions, je pense qu'ils ont toutes les capacités de le faire sans que, nous, on intervienne. C'est certain que, nous, on pense, en tout cas, qu'on offre un service qui, dans certains cas, peut être plus efficace, peut être plus productif parce que nos gens sont, je ne sais pas... Je prends Hydro, puis ça pourrait être dans les municipalités.

On va changer, pour l'occasion. Dans les municipalités, si nos experts travaillent dans, je ne sais pas, moi, une dizaine de municipalités, il y a bien des chances qu'au bout du dixième client municipal, pour le même genre de problème, ils soient plus efficaces que l'ingénieur qui serait à l'embauche, à l'emploi de la municipalité, qui est excellent dans le travail qu'il fait normalement mais qui n'a pas l'expertise qu'un autre a développée par expérience et par le fait que... Nous, dans le génie-conseil, c'est sûr, on se spécialise exprès pour ça. Alors, c'est ce que je pourrais vous répondre. Je ne sais pas si quelqu'un veut ajouter à ça.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Ça va? Alors, M. le député de Mont-Royal, est-ce que vous aviez d'autres...

M. Tranchemontagne: Pas moi.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Pas pour l'instant? M. le député de Drummond, tout en vous signalant qu'il reste à peine deux minutes à votre formation politique. Donc, très rapidement, s'il vous plaît.

M. Jutras: Je comprends votre inquiétude, là, surtout que, depuis quelques mois, vous avez reçu des requêtes en vertu de l'article 45, certains de vos membres ont reçu des requêtes en vertu de l'article 45. Mais, à l'instar de ce disait Mme la ministre il y a quelques minutes, le dépôt d'une requête en vertu de l'article 45 ne crée pas le droit, là... On verra l'issue de ces affaires, mais par ailleurs je vois que vous avez à vivre avec ça, à engager des avocats pour vous défendre, etc.

J'ai deux questions. Ma première: Les exemples que vous nous donnez, municipalité de Charlesbourg, Hydro-Québec, tout ça, je comprends de ce que vous nous dites qu'aucune de ces affaires n'a encore connu son issue, ce n'est pas terminé. C'est bien ça?

Mme Desrochers (Johanne): Oui. Ça a été reporté, en fait, dans le cas des municipalités, en attendant que les fusions soient complétées et, dans le cas d'Hydro-Québec, parce que ce n'était pas encore prêt à être entendu.

M. Jutras: Et je comprends aussi, de vos représentations, que finalement ce n'est pas tellement du projet de loi n° 182, des dispositions du projet de loi n° 182 comme telles que vous êtes inquiets, mais c'est surtout de l'interprétation jurisprudentielle qui a été élaborée au cours des dernières années, et vous vous dites: Bien là, nous, on craint cette interprétation-là, puis peut-être que, même, elle viendra nous rejoindre. C'est ça?

Mme Desrochers (Johanne): Oui, c'est exact.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme Desrochers. Alors, oui, rapidement.

Mme Desrochers (Johanne): Il nous semble qu'il y a effectivement un lien très plausible à faire de ces deux... Et je pense que Me Monet voudrait ajouter quelque chose.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Me Monet, rapidement.

n(16 h 50)n

M. Monet (Dominique): Merci. C'est que les syndicats viennent maintenant chercher ce secteur d'activité là, M. le député, alors qu'avant ça ne les intéressait pas. Alors, pour nous, quoique je sais que, théoriquement, on ne peut pas présumer de l'issue de ces décisions, je suis d'accord avec vous, dans notre esprit, c'est assez clair, au niveau des tribunaux administratifs, qu'est-ce qui va être décidé. C'est que les syndicats ont décidé de venir chercher ça. Ils utilisent un outil qu'ils avaient à leur disposition avant. Effectivement, ce qu'on aimerait, c'est d'avoir des protections, parce que, quand les décisions vont sortir, ça va être en 2002, alors il n'y aura pas de commission parlementaire, là, on ne pourra pas vous faire des représentations puis vous demander de corriger le Code, de nous protéger dans le Code.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, voilà. Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: Merci beaucoup, Mme la Présidente. Alors, Mme Desrochers, messieurs de l'Association des ingénieurs-conseils du Québec, vous avez présenté un mémoire très intéressant. On peut ne pas être d'accord avec vos conclusions, mais force est de constater qu'il est bien étoffé. Vous avez fait le choix d'aborder une seule question, celle qui affecte davantage les membres de votre Association. Et vous avez eu déjà des échanges avec mes collègues, donc vous savez que ça nous pose un petit peu des problèmes pour savoir: Pourquoi faire une exception pour un nombre restreint de professionnels regroupés dans une centaine de firmes à travers le Québec, alors que la sous-traitance, c'est beaucoup plus vaste que ça?

Ce que j'ai bien aimé dans votre mémoire, c'est que vous avez un peu démystifié le phénomène de la sous-traitance. Parce que, très souvent, quand on parle de sous-traitance, c'est associé avec perte d'emploi, avec concurrence déloyale par rapport aux employés salariés, etc. Et là, en vous appuyant sur l'étude d'Alain Halley, de l'École des hautes études commerciales, vous nous démontrez que non seulement la sous-traitance ne produit pas ces effets, mais qu'en plus elle a permis à des petites et moyennes entreprises de se maintenir, voire de se développer dans une proportion assez significative. Et, de plus, le fait qu'on ait recours à la sous-traitance n'implique pas nécessairement une perte d'emplois dans une entreprise; au contraire, ça peut le stimuler. Alors, juste pour ça, ça valait le déplacement pour nous éclairer là-dessus.

Maintenant, je cherche à comprendre un peu qu'est-ce qui vous motive à faire la recommandation que vous avez faite de vouloir vous soustraire un peu du phénomène de la... du Code, du projet de loi n° 182. Alors, nous avons les professionnels du génie-conseil qui sont regroupés dans des firmes de génie-conseil. Ils sont comme des employés réguliers, mettons, ou à temps partiel, mais ils sont là dans des firmes. Ensuite, nous avons une autre catégorie qui travaille à titre de travailleurs autonomes. Ça se peut-u? Non?

Mme Desrochers (Johanne): Oui, il y a certains ingénieurs qui, effectivement...

Mme Houda-Pepin: Voilà. Donc, il y a des gens qui travaillent à titre de travailleurs autonomes. Et il y en a qui travaillent, je dirais, de façon quasi permanente chez les donneurs d'ouvrage comme Hydro-Québec. Donc, on a au moins trois catégories sinon plus. Lorsque vous demandez de vous soustraire, vous demandez la soustraction pour qui, pour quelle catégorie?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Mme Desrochers.

Mme Desrochers (Johanne): Merci. Pour les firmes d'ingénierie-conseil.

Mme Houda-Pepin: O.K. Donc, c'est encore un bassin beaucoup plus restreint par rapport à l'industrie au sens large comme telle.

Mme Desrochers (Johanne): J'en conviens, oui.

Mme Houda-Pepin: D'accord. C'est bien. Moi, je trouve que c'est assez éclairant. Comme je vous ai dit, on peut ne pas être d'accord avec votre conclusion, mais c'est un mémoire qui est très bien étoffé et qui nous instruit assez bien sur la question de la sous-traitance.

Vous avez également fait un lien entre la compétitivité et la sous-traitance, en disant: Si on nous empêche de recourir à la sous-traitance, on ne sera pas compétitifs. Est-ce qu'il y a des études qui supportent ça? Est-ce qu'il y a des analyses qui le démontrent ou est-ce que c'est une assertion qu'on fait sur la base d'une observation d'ordre général?

Mme Desrochers (Johanne): Je pense...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme Desrochers.

Mme Desrochers (Johanne): Merci. Excusez, j'oublie toujours. Ha, ha, ha!

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Pas de problème.

Mme Desrochers (Johanne): Je crois que l'histoire, en fait, l'historique de notre industrie démontre assez bien la flexibilité que l'on avait de pouvoir travailler pour différents donneurs d'ouvrage, je pense, d'être contraints à certains aspects qui auraient été, en fait, de leurs règles plus que des nôtres, de leurs règles de gestion, si on veut, plus que des nôtres, a bien démontré que ça a servi notre industrie de façon très positive dans le passé. Lorsque l'on dit que notre compétitivité pourrait être touchée, il est certain que, quand on regarde ce qui se passe dans l'industrie du génie-conseil ailleurs dans le monde, bien là on est obligé de constater qu'aucune firme avec qui on est en compétition n'a ce genre de...

Mme Houda-Pepin: De limitation.

M. Desrochers (Johanne): De limitation. Puis, quand on dit limitation, si on regarde les conditions de travail dans lesquelles oeuvre un ingénieur chez Hydro-Québec, par exemple, et les conditions de travail dans les firmes d'ingénierie d'un autre ingénieur, en termes de souplesse au niveau du temps de travail, temps supplémentaire, et on l'a déjà regardé, lorsqu'on veut par exemple exporter avec des ingénieurs qui voudraient absolument respecter toutes les règles reliées à leur convention collective, ça ne vaut plus la peine d'exporter, ce n'est plus rentable d'exporter, ce n'est pas compétitif c'est-à-dire, ce n'est pas... Donc, de toute façon, ce ne serait pas rentable. Alors, ça, il y a quelques exemples comme ça qui ont été identifiés clairement dans le passé. Alors, regardant ça, on n'a pas besoin d'attendre qu'il y en ait 200 exemples, on le sait que ce ne serait pas viable et, donc, pas compétitif pour nos entreprises, si tel était le cas.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, c'est malheureusement tout le temps dont on disposait. Mme Desrochers, messieurs, merci de votre participation à cette commission. Je vais suspendre les travaux pour quelques instants.

(Suspension de la séance à 16 h 57)

 

(Reprise à 16 h 59)

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Nous allons donc poursuivre avec le prochain groupe. Il s'agit de la Fédération des cégeps.

Documents déposés

Maintenant, pendant que nos invités prennent place, je voudrais bien sûr déposer l'allocution, en fait, les notes de l'allocution ainsi qu'une brochure concernant l'Association des ingénieurs-conseils du Québec pour qu'effectivement tous les membres de la commission puissent en recevoir copie.

n(17 heures)n

Alors, M. Boucher, je crois. C'est un plaisir de vous accueillir à cette commission. Je pense que vous connaissez vous aussi assez bien les règles, alors si vous voulez bien sûr nous présenter les gens qui vous accompagnent. Par la suite, vous aurez 20 minutes pour nous présenter votre mémoire, et il y aura une période d'échanges avec les membres de la commission.

Fédération des cégeps

M. Boucher (Gaëtan): Oui, bon après-midi, Mme la Présidente, Mme la ministre. Je m'excuse mais j'ai la grippe. Alors, vous allez entendre une voix...

Une voix: ...

M. Boucher (Gaëtan): Non, non, pas tout à fait, Mme la ministre.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Boucher (Gaëtan): Quand ce sera le cas, je vais vous avertir; mais ce n'est pas le cas.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Boucher (Gaëtan): Alors, je voudrais vous remercier de nous recevoir. Je vous présente les personnes qui m'accompagnent: Mme Nicole Laflamme, directrice des ressources humaines au cégep de Limoilou, et Me Arlette Berger, avocate et chef du contentieux à la Fédération des cégeps.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Maître? Pourriez-vous me répéter le nom, s'il vous plaît?

M. Boucher (Gaëtan): Arlette Berger.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Arlette Berger, merci. Vous pouvez poursuivre, M. Boucher.

M. Boucher (Gaëtan): Merci, Mme la Présidente. Alors, je vais commencer par vous tracer un portrait rapide du réseau collégial et de la Fédération des cégeps pour aborder le coeur de nos propos. Le réseau collégial gère un budget de 1,3 milliard, emploie 35 000 salariés, compte tout près, cette année, de 200 000 étudiants, soit en formation initiale, soit en formation continue. Nous sommes présents, vous le savez, sur tout le territoire du Québec, à travers 48 collèges publics, 23 centres collégiaux de transfert de technologie, et cinq écoles nationales.

Pour sa part, la Fédération a pour mission de promouvoir le développement de l'enseignement collégial et elle agit comme porte-parole officiel du réseau collégial public sur toutes les questions qui nous concernent. Évidemment, vous comprendrez pourquoi le projet de loi n° 182, qui a pour nous des incidences importantes sur l'organisation du travail dans les collèges, nous l'avons examiné avec beaucoup d'intérêt.

Par la passé, la Fédération a d'ailleurs déjà eu l'occasion de s'exprimer sur la nécessaire modernisation du Code du travail. Plus particulièrement en mai 2000, nous avons fait certaines recommandations à la ministre d'État à l'Emploi, Mme Lemieux, sur le projet de renouvellement du Code du travail. Nous y avons notamment souligné notre accord avec les principes directeurs qui sous-tendent les modifications devant être apportées au Code pour en faire un outil de travail moderne. Nous avons salué en particulier la volonté ministérielle de favoriser le libre exercice du droit d'association, la négociation libre et volontaire des conventions collectives de travail, la recherche d'une plus grande efficacité de la loi et le respect des usages du Québec en matière judiciaire.

Cependant, nous avions demandé à la ministre d'État d'exclure la sous-traitance de la portée de l'application de l'article 45 du Code du travail. Cela nous apparaissait nécessaire pour préserver un juste équilibre entre le respect des droits des travailleurs, la saine gestion des fonds publics et le maintien d'une offre de services de qualité aux étudiants et aux étudiantes du réseau collégial. C'est avec les mêmes préoccupations de maintien des services, de respect des droits des salariés. d'efficacité de gestion que nous tenons à réagir aujourd'hui à trois éléments du projet de loi qui concernent plus particulièrement les collèges, à savoir la création de la Commission des relations de travail, la question de la sous-traitance et l'élargissement de la notion de «salarié».

Sur la création de la Commission des relations de travail, nous estimons que les intentions du législateur, de chercher à alléger les pratiques des relations de travail et à établir des modes de règlement des litiges plus souples, plus rapides et moins coûteux, sont fort louables. Cependant, bien que nous partageons les objectifs poursuivis par le projet de loi, nous considérons que les pouvoirs confiés à la future Commission des relations de travail sont trop larges et qu'ils présentent des risques d'ingérence sérieux qui pourraient compromettre le fragile équilibre des relations de travail.

En effet, certains des pouvoirs décisionnels, qui seraient confiés à cette instance administrative, et notamment les pouvoirs d'ordonnance, sont actuellement exercés par le Bureau du Commissaire général du travail, le Tribunal du travail ou la Cour supérieure, ce qui constitue à notre point de vue une garantie d'indépendance du système judiciaire. Le fait de confier au même organisme des pouvoirs de deux natures ? un pouvoir administratif et un pouvoir judiciaire ? même s'ils sont en principe séparés en deux divisions de la Commission, laisse planer un doute sur l'impartialité du système. L'abolition du droit d'appel à une instance supérieure nous apparaît également questionnable. Il s'agit là en effet de la suppression d'un droit fondamental, aussi bien des employeurs que des salariés, que des syndicats. Par conséquent, nous recommandons de confier à la Commission des relations de travail tous les pouvoirs de nature administrative et à un organisme judiciaire indépendant les pouvoirs d'adjudication. De plus, le droit d'appel devrait être maintenu là où il existe actuellement.

Sur la question maintenant de la sous-traitance. À plusieurs reprises, les collèges ont demandé des modifications à l'article 45 du Code du travail afin que cette disposition législative ne s'applique pas dans les cas de sous-traitance. En effet, l'interprétation faite par certains tribunaux de l'article 45 paraît déraisonnable et n'est pas conforme à l'intention initiale du législateur. Les tribunaux spécialisés n'ont pas suivi les enseignements de la Cour suprême du Canada ? l'arrêt Barbeau ? à cet égard et continuent d'appliquer l'article 45 du Code du travail aux cas de sous-traitance. Cela donne des résultats aussi surprenants que le transfert de l'accréditation et de la convention collective des employés chargés de la sécurité dans les cégeps vers une agence de sécurité.

Dans notre lettre adressée à la ministre d'État au Travail, le 23 mai 2000, nous soulignions alors que les dispositions de l'article 45 touchaient aussi des corporations à but non lucratif qui peuvent offrir certains services aux étudiants à moindre coût et qui sont souvent financés par d'autres sources que les subventions de l'État. Nous indiquions que, si la sous-traitance n'était pas exclue de l'article 45, l'intérêt des entreprises à faire affaire avec les collèges serait limité de beaucoup et que les cégeps pourraient difficilement continuer à offrir ces services. Par conséquent, nous demandions à Mme Lemieux d'exclure la sous-traitance de la portée de l'application de l'article 45 pour permettre aux établissements collégiaux de continuer à offrir ce type de services qui, s'ils sont auxiliaires, n'en sont pas moins précieux pour nos clientèles.

Nous sommes donc inquiets de voir que notre demande n'a pas été prise en compte dans le projet de loi. Nous tenons à rappeler que le recours à la sous-traitance par les collèges est limité à des secteurs d'activité très circonscrits, tels les services d'entretien et de sécurité, les services de cafétéria et certains services communautaires et aux entreprises. Ces services ne relèvent pas du tout de notre mission première qui est une mission de formation. Cependant, s'ils ne pouvaient plus recourir à la sous-traitance, les collèges n'auraient plus les moyens de les maintenir.

Par ailleurs, il faut aussi se rappeler que le collège privilégie une approche non judiciaire des relations de travail, ce qui se concrétise par des ententes conventionnées, négociées, en ce qui concerne la sous-traitance. Il faut en effet savoir que l'ensemble des conventions collectives de travail du réseau collégial comporte des dispositions encadrant le recours à la sous-traitance qui protègent le personnel en emploi du collège. À titre d'exemple, la convention collective des employés de soutien de la CSN, présents dans au moins 32 de nos collèges, prévoit, et je cite: «Le collège pourra donner du travail à forfait pour autant que cela n'occasionne pas de mises à pied et mises en disponibilité parmi le personnel régulier à l'emploi du collège, ni de réduction du nombre d'heures d'une personne salariée régulière travaillant dans le service concerné.»

La même convention collective prévoit que les parties nationales forment un comité pour étudier la question du travail à forfait en considérant la qualité des services, la qualité de vie au travail et les impératifs budgétaires. Nous retrouvons de semblables dispositions dans la convention des professionnels de la CSQ, anciennement la CEQ. Lorsqu'un collège prévoit avoir recours à la sous-traitance, il doit de plus consulter le comité des relations de travail avant l'octroi et le renouvellement d'un contrat à forfait. Cette approche ayant jusqu'à présent produit des résultats, de notre point de vue, satisfaisants, et ce, pour toutes les parties concernées, il ne nous semble y avoir aucune raison de ne pas la maintenir.

Quant aux modifications apportées à l'article 46 du Code du travail par l'article 31 du projet de loi au regard de la concession partielle d'une entreprise, cela obligera les parties patronale et syndicale à inclure, après l'entrée en vigueur du nouveau Code du travail, de nouvelles règles. Ces règles devront faire en sorte que les conventions collectives disposent des conséquences d'une telle concession sur l'emploi et les conditions de travail des salariés de l'employeur cédant pour éviter que l'employeur sous-traitant ne soit lié par l'accréditation. Cela, de notre point de vue, risque de modifier l'équilibre des relations entre les parties, et, faute d'entente, l'article 45 du Code du travail continuera de s'appliquer avec tous les inconvénients qu'il entraîne en ce qui concerne la sous-traitance.

n(17 h 10)n

De plus, le fait que la Commission des relations du travail, dans le cas d'une concession partielle d'entreprise, puisse ordonner un vote pour permettre aux salariés syndiqués d'une entreprise du secteur privé de choisir une convention collective applicable à l'ensemble de l'entreprise nous inquiète. En effet, cela reviendrait à autoriser ces employés à choisir entre la convention collective du secteur collégial alors qu'il s'agit d'une réalité de travail extrêmement différente. Nous craignons que ces entreprises refusent là encore de faire affaire avec les collèges devant les risques que cela pourrait représenter pour elles. C'est pourquoi les collèges considèrent que la sous-traitance doit continuer de relever de contrats collectifs de travail négociés et que par conséquent elle doit être exclue de l'application de l'article 45.

Sur enfin l'élargissement de la notion de «salarié». Par ailleurs, en élargissant la notion de «salarié» de manière à assimiler à un salarié «entrepreneur ou prestataire de services dépendant» ? et je citais le projet de loi n° 182 ? on risque, de notre point de vue, de restreindre la possibilité des collèges de recourir à des travailleurs autonomes. Les collèges engagent des travailleurs autonomes, notamment dans le secteur de la formation sur mesure et dans celui de la recherche effectuée dans les centres collégiaux de transfert et de technologie.

D'une part, en effet, les collèges ont développé une grande expertise dans les services de formation et de perfectionnement offerts aux entreprises. Or, étant donné la diversité de la demande de formation en entreprise et son aspect à la fois très ponctuel et hautement spécialisé, les collèges engagent au besoin des experts de contenus, généralement des travailleurs autonomes qui agissent comme formateurs.

D'autre part, les 23 centres collégiaux de transfert de technologie, qui exercent chacun dans un secteur clé de l'économie québécoise des activités de recherche appliquée, d'aide technique en entreprise et d'information, embauchent des travailleurs autonomes experts en transfert scientifique et technologique. Ces experts réalisent des recherches pour les entreprises dans certains domaines très spécialisés.

Bien qu'en accord avec les principes, les valeurs qu'ils sous-tendent et les modifications proposées, nous estimons que le législateur doit tenir compte de toutes les réalités du monde du travail, dont non seulement celles de l'évolution des caractéristiques de l'emploi, mais aussi celles de la nouvelle économie du savoir. Cette nouvelle économie entraîne de nouveaux besoins de formation, de perfectionnement et de recherche technologique pour les entreprises. Nous craignons que l'élargissement de la notion de «salarié», telle que proposée par l'article 1, ne permette plus aux collèges de recourir de façon ponctuelle à des travailleurs autonomes experts de contenu en formation et en recherche, ce qui mettrait en péril leur capacité de répondre aux besoins. Par conséquent, nous demandons le statu quo en ce qui concerne la notion de «salarié».

En conclusion, Mme la Présidente, nous estimons nécessaire la démarche de modernisation du Code du travail qui veut tenir compte des nouvelles dynamiques des relations de travail au Québec et nous en appuyons les grands principes directeurs. Cependant, nous maintenons qu'il faut trouver un équilibre entre l'obligation de gestion des fonds publics et de qualité des services et le respect des droits des salariés. Nous rappelons également que les collèges privilégient des relations de travail basées sur des ententes négociées à tous égards entre les parties. C'est pourquoi nous estimons que certaines modifications doivent être apportées au projet de loi, et je vous les rappelle. D'une part, nous demandons le maintien du droit d'appel et nous souhaitons que soient confiés à la Commission des relations du travail les pouvoirs administratifs et un organisme judiciaire indépendant des pouvoirs d'adjudication; d'autre part, nous recommandons que la sous-traitance soit exclue de la portée de l'article 45; et finalement nous recommandons le statu quo en ce qui concerne la notion de «salarié». Alors, je vous remercie de votre attention. Mme Laflamme, Me Berger et moi-même sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Vous avez terminé, M. Boucher?

M. Boucher (Gaëtan): Oui, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, merci. Mme la ministre pour la période d'échanges.

Mme Lemieux: Merci, Mme la Présidente. M. Boucher, bienvenue à cette commission. Je salue aussi les dames qui vous accompagnent. Un certain nombre de remarques sur votre mémoire. D'abord, sur la CRT. En fait, vous allez me permettre, à la page 5, de reprendre un peu vos propos parce que là j'ai l'impression qu'on additionne des couches d'intervention et qu'on n'améliore pas tellement notre sort. Alors, en plus du ministère ? parce qu'il restera toujours au gouvernement l'obligation d'avoir un lieu où se développent les politiques en matière de travail ? vous parlez donc d'une organisation CRT à caractère administratif, d'une CRT à caractère judiciaire, plus le droit d'appel, donc maintien du Tribunal du travail. Je ne vois pas en quoi on améliore notre vie là.

Le Président (M. Lelièvre): M. Boucher.

M. Boucher (Gaëtan): Me Berger complétera. Il y a toutes sortes de manières, Mme la ministre, d'améliorer notre vie, pour reprendre votre expression. Notre préoccupation, c'est de le faire dans le respect, je dirais, des individus. En fait, il y a deux préoccupations qui sont simples. On craint, et je pense que Me Berger pourra en témoigner, que cette mixité entre une organisation administrative, une organisation judiciaire, n'est pas transparente. Ça risque dans le fond... Et d'autres l'ont dit avant nous, vous avez entendu d'autres intervenants aujourd'hui, on n'est pas sûrs ? je vais reprendre une autre expression ? que cette forme de promiscuité soit à l'avantage des travailleurs et des entreprises, pour dire ça bien simplement.

Sur la question du droit d'appel, vous pouvez toujours me répondre: Voilà des gens qui peuvent toujours aller en révision judiciaire. On pense que la question de l'appel est un droit à quelque part fondamental. Et la Fédération des commissions scolaires... Vous pourriez le baliser, par exemple, pour éviter des abus. Cependant, vous comprendrez que de refuser à un travailleur salarié, congédié, un droit d'appel alors qu'il peut y avoir plusieurs centaines de milliers de dollars en jeu pour lui ? ou inversement ça peut être un cas d'entreprise ? on pense qu'il y a là quelque chose qui ne nous apparaît pas juste et raisonnable, pour reprendre une expression que j'aime beaucoup. Il y a ça, cet exemple-là; il y a un autre exemple que vous pourriez prendre, celui des petites créances. Vous pourriez dire: Bien, voilà, ça pourrait prêter à tous les abus.

Tout ce que je vous dis, c'est qu'il me semble que dans le premier cas, pour répondre à votre question, on cherche, je vous dirais ça assez simplement, à améliorer la vie des gens tout en respectant leurs droits. Et, parfois, la mixité, la promiscuité n'est pas nécessairement, en tout cas en toute apparence, garante de quelque chose qui soit juste et raisonnable. Et la question du droit d'appel, me semble-t-il, est quelque chose de fondamental dans notre système juridique.

Le Président (M. Lelièvre): Mme la ministre.

Mme Lemieux: Peut-être une remarque. En tout cas on pourra... De toute façon, on va entendre un certain nombre de commentaires sur la forme de cette instance de la Commission des relations de travail. Mais je vous rappellerais que la forme actuelle... par exemple, le Bureau du Commissaire général du travail est un organisme dit intrabudgétaire, il fait partie du portefeuille du ministère du Travail, il prend une tonne de décisions, il n'y a jamais personne qui a vu là un certain nombre de problèmes. Alors, je ne vois pas pourquoi une forme comme je la propose dans la CRT pourrait poser des problèmes, mais enfin on pourrait... Enfin, si vous avez d'autres remarques là-dessus... J'aborderais la question de la sous-traitance, madame...

M. Boucher (Gaëtan): Peut-être Me Berger...

Le Président (M. Lelièvre): M. Boucher.

M. Boucher (Gaëtan): Ou Me Berger, s'il vous plaît.

Le Président (M. Lelièvre): Ah! Mme Berger.

Mme Berger (Arlette): Alors, oui, ce qui apparaissait essentiel pour la Fédération des cégeps, c'est que ce ne soit pas le même organisme qui exerce à la fois des fonctions de médiation et d'adjudication. Pour nous, c'est deux vocations qui sont incompatibles. Maintenant, en ce qui concerne les pouvoirs de nature administrative, que ce soit la Commission des relations de travail ou que ce soit le ministère du Travail qui continue à assumer ces fonctions-là, pour nous l'organisme tel quel n'est pas important, c'est le principe qui est important: c'est que ce soit deux organismes différents. Comme l'a mentionné le CPQ cet avant-midi, le ministère du Travail pourrait continuer à s'occuper des décisions de nature administrative. Ce qui est important, c'est qu'il y ait un organisme judiciaire indépendant. À ce moment-là, que ce soit la Commission des relations de travail ou un autre organisme, ce qu'il faut avant tout préserver, c'est l'étanchéité qui est nécessaire, selon nous, à un procès juste et équitable.

n(17 h 20)n

Pour le droit d'appel, pour nous ? quand je dis «pour nous», c'est autant pour les employés, pour les syndicats que pour les entreprises ? c'est un droit fondamental, et les individus et les organismes doivent avoir la certitude que justice a été rendue. Et, comme on le sait, personne n'est à l'abri d'une décision qui n'est pas correcte, d'une décision incorrecte. Et je pense que c'est important de maintenir le droit d'appel pour les conséquences importantes que peuvent avoir les décisions qui sont rendues en application du Code du travail. Ces décisions-là peuvent représenter des sommes considérables, tant pour les employés et les syndicats que pour les entreprises. On peut comprendre, comme le mentionnait M. Boucher, que, quand il s'agit du cas des Petites créances, on n'a pas prévu de droit d'appel; on peut comprendre, les sommes en litige sont peu élevées et les conséquences sont quand même moins élevées.

Mais ici, on parle de décisions importantes. Et on peut aussi se poser la question suivante: Si on enlève le droit d'appel, on devine, on peut anticiper ce qui va se produire, c'est que les parties vont recourir à d'autres mécanismes qui sont la révision judiciaire, etc., et on va se retrouver encore devant d'autres décisions et d'autres délais. Alors, je pense que c'est préférable de maintenir un droit d'appel.

Le Président (M. Lelièvre): Merci, Mme Berger. Mme la ministre.

Mme Lemieux: O.K. Je vous rappellerai quand même que, sur certains droits individuels, actuellement, il n'y en a pas, de droit d'appel. Alors... Bon.

Je voudrais aborder la deuxième section de votre mémoire qui est très intéressante parce que vous dites... Vous faites un plaidoyer à l'effet d'exclure la sous-traitance de la portée de l'article 45, mais vous faites, dans les pages 6 et 7, un certain nombre de démonstrations d'ententes que vous avez eues. C'est ce que je comprends. Je voudrais bien comprendre ça. Vous avez eu toutes sortes d'ententes, toutes sortes de modalités qui ont été convenues avec vos travailleurs syndiqués avant de procéder à de la sous-traitance. En tout cas, c'est ce que je comprends du sens de votre mémoire, et vous concluez en donnant un certain nombre d'exemples, en disant, à la page 8: «C'est pourquoi les collèges considèrent que la sous-traitance doit continuer de relever de contrats collectifs de travail négocié.»

Je ne sais pas si vous avez lu l'article 46 que j'ai proposé mais c'est exactement ça, l'esprit. L'esprit est que, si les parties s'entendent sur des modalités de sous-traitance et que ça convient aux parties, vivons avec ces ententes-là. Et là je comprends que vous avez une certaine expérience. Je ne dis pas que ça a dû toujours être simple mais là ça fait partie de vos pratiques en matière de relations de travail. Alors, c'est un peu le chemin qu'on a choisi de proposer aux parties par rapport à l'application de l'article 45. J'aimerais ça vous entendre un peu plus sur cette question-là.

Le Président (M. Lelièvre): M. Boucher, Mme Laflamme?

M. Boucher (Gaëtan): Je vais laisser Mme Laflamme commencer.

Le Président (M. Lelièvre): Alors, Mme Laflamme.

Mme Laflamme (Nicole): Merci. Évidemment, on a, je pense, une bonne expertise dans le réseau collégial. Oui, effectivement nous avons plusieurs contrats de biens et de services. Oui, il est tout à fait juste de préciser qu'on a beaucoup d'ententes avec nos syndicats et que nos conventions collectives balisent bien ce secteur-là. On y faisait allusion, je crois, dans le mémoire. On a même parlé de la convention collective du personnel de soutien à la CSN qui est très claire: on ne peut pas diminuer, on ne peut pas faire en sorte de faire perdre du travail à de nos salariés. Au niveau de la convention du personnel professionnel, par exemple, il est même précisé que d'accorder un contrat ne peut faire en sorte qu'on diminue le nombre de postes chez cette catégorie.

Si nos conventions collectives prévoient des règles, des règles qui sont claires, si ces règles nous ont permis d'avoir certaines ententes avec nos syndicats, il demeure un fait, c'est que c'est basé sur la bonne foi des parties. Et très souvent ? il faut le dire ? en matière de relations de travail, quand des interlocuteurs changent, quand le climat change au sein d'une organisation, quand la situation économique change, quand, par exemple, le membership d'un syndicat diminue, évidemment dans de tels contextes certaines ententes peuvent être remises en question, compte tenu des dispositions actuelles de nos lois. C'est, pour nous, une raison suffisante pour que, si le recours à la sous-traitance ne constitue pas une concession partielle d'entreprise, bien, que ce soit exclu et nommément exclu. Et, pour nous, les garanties à l'article 46 ne sont pas suffisantes.

Le Président (M. Lelièvre): Alors, M. Boucher.

M. Boucher (Gaëtan): Alors, oui, justement, parce que, si effectivement nous avions ? et Me Berger va vous indiquer... ? si on avait cette lecture-là, Mme la ministre, de trouver en 46 des garanties pour nous permettre, je dirais, de pouvoir exercer le plein potentiel de nos conventions collectives, on vous aurait dit tout à fait autre chose mais, en tout cas, aujourd'hui, j'entends qu'il s'agit là de votre intention. Nous, on pense... Me Berger va vous expliquer en quoi, de ce point de vue là en tout cas, l'intention n'apparaît pas aussi manifeste que cela.

De fait, je terminerais en vous disant ? avant de céder la parole à Me Berger ? que, de notre point de vue, on souhaiterait dans le fond pouvoir jouer ? et je l'ai dit tout à l'heure dans la présentation ? à plein le jeu des conventions collectives, de pouvoir négocier, transiger et conclure, mais une fois conclues, transigées et signées, qu'on soit effectivement protégés. Donc, de le lier, de jouer le rapport entre les syndicats et le collège, je dirais, à plein. Mais, en tout cas, Me Berger va vous indiquer un certain nombre de choses par rapport à ça.

Le Président (M. Lelièvre): Mme Berger.

Mme Berger (Arlette): Oui. Alors, l'article 31 du projet de loi n° 182, qui modifie l'article 46, prévoit à son dernier alinéa... On dit: «Malgré le deuxième alinéa de l'article 45, la Commission peut aussi décider...» Alors, on voit que c'est un pouvoir discrétionnaire et qu'il n'y a pas d'assurance qu'à ce moment-là, s'il y a une entente, on va nécessairement appliquer l'entente. C'était notre première préoccupation.

Notre deuxième préoccupation vient du fait de l'article 222 qui nous dit que l'article 46.3 ne s'applique pas aux conventions présentement en vigueur. Alors, à ce moment-là, il faudra attendre aux prochaines conventions collectives pour renégocier des nouvelles règles, et vous comprendrez que les règles du jeu ayant été changées par ces nouvelles dispositions législatives, l'équilibre des forces n'est plus le même.

Par ailleurs, j'aimerais, en terminant, apporter une dernière précision à la suite des commentaires de Mme Laflamme. Mme Laflamme signalait que ces ententes-là présentement, elles sont conclues de bonne foi, mais l'expérience nous a démontré que, malgré la bonne foi, il y a eu des requêtes en vertu de l'article 45 présentées par les syndicats et la sous-traitance, et la concession partielle d'entreprises s'est appliquée malgré ces ententes de bonne foi. Et, vous le savez sans doute comme moi, l'article 45 est d'ordre public et on ne peut pas transiger. Et, malgré toutes les ententes qu'on a pu avoir, ça n'a pas empêché l'application de l'article 45.

Le Président (M. Lelièvre): Merci, Mme Berger. Je vais céder maintenant la parole au critique de l'opposition, M. le député de Mont-Royal.

M. Tranchemontagne: Merci. M. Boucher, bienvenue à la commission. Mesdames, bienvenue également à la commission. Quelques commentaires, d'entrée de jeu. D'abord, je voudrais vous remercier pour votre mémoire. Je voudrais également vous féliciter pour ce mémoire qui m'apparaît excellent, qui est clair, précis et sans ambiguïté, et qui va directement au coeur des problèmes soulevés par le projet de loi n° 182. Ça m'apparaît d'autant plus excellent que votre rapport vient de la Fédération des cégeps qui sont des organismes qui fonctionnent avec des fonds publics, et ça traduit chez vous en tout cas un souci de bien gérer les fonds publics qui sont mis à votre disposition. Alors, ça m'apparaît donc intéressant et important de souligner la qualité de votre rapport, d'autant plus qu'ici on ne fait pas affaire à une entreprise privée mais on fait affaire avec quelqu'un qui gère des fonds publics. Et c'est donc important, et je désirais absolument le souligner.

n(17 h 30)n

Je voudrais aussi, d'entrée de jeu, dire que je suis d'accord avec chacune des recommandations de votre rapport. Donc, vous me verrez vous poser peu de questions. Il y en a une sur laquelle j'aimerais revenir. On vient de parler des articles 46 et 222, commentaire avec lequel je suis d'accord. Vous n'avez pas eu la chance, je pense, un peu plus tôt aujourd'hui d'assister au mémoire de la CSN. Mais, ce matin, les patrons ? l'association patronale ? disaient qu'avec le 46, ils aimaient mieux ne rien avoir que d'avoir le 46, et les syndicats nous ont dit la même chose. Et ce qui est intéressant, c'est de lire le commentaire de M. Laviolette de la CSN après-midi, quand il parlait du 46. Il dit, et je le cite: «Si jamais cette disposition devenait loi, le mot d'ordre syndical sera de protéger les emplois, les conditions de travail et les accréditations en négociant une clause interdisant toute sous-traitance.» Alors, là, on a véritablement, dans la bouche de M. Laviolette, la preuve que l'article 46 est un article qui ne peut pas fonctionner, et à plus forte raison avec le 222, puisque vous devrez renégocier. Alors donc, tout ça pour dire tout simplement que je suis entièrement d'accord avec les récents échanges que vous venez d'avoir avec la ministre.

Deux questions simples et précises. Au niveau de la Commission, j'aimerais ça vous entendre sur l'érosion des pouvoirs de la ministre et du ministère. Vous avez parlé, par exemple, au niveau de la Commission... vous étiez inquiets des deux vocations ou de l'étanchéité ou du manque d'étanchéité essentiel entre les deux vocations et vous suggérez deux organismes. Nous, ce matin, on a parlé de l'érosion des pouvoirs du ministère, et de la ministre par conséquent, et aussi notre inquiétude au niveau de la Commission, c'est le caractère non paritaire des nominations à la Commission. Votre mémoire est tacite à ces deux sujets. J'aimerais ça vous entendre, si vous avez une opinion. Merci.

Le Président (M. Lelièvre): Alors, M. Boucher.

M. Boucher (Gaëtan): Évidemment, j'espérais, M. Tranchemontagne, que vous ne m'ameniez pas à commenter les déclarations du président de la CSN, je vous en sais gré. Je vais demander à Me Berger de répondre à vos deux questions sur la Commission des relations de travail.

Le Président (M. Lelièvre): Me Berger.

Mme Berger (Arlette): Oui. Alors, sur l'érosion des pouvoirs de la ministre, écoutez, il y a une mission importante au ministère, qui est une mission de médiation et de conciliation, et on trouvait ça important que ces pouvoirs relèvent de la ministre à cause de l'imputabilité ministérielle. Il est évident que si on confie à une instance bureaucratique des pouvoirs aussi importants, tout le problème de reddition de comptes devient différent et à ce moment-là la notion d'imputabilité n'est plus la même.

Le Président (M. Lelièvre): M. Boucher.

M. Boucher (Gaëtan): Si vous me permettez, votre deuxième question qui portait sur la parité?

M. Tranchemontagne: La deuxième question était... Votre rapport, en tout cas, si j'ai bien compris, ne parle pas du caractère paritaire qui existe aujourd'hui dans la nomination des gens de la Commission... La Commission n'existait pas, mais il semblerait que dans le projet de loi on ne parle pas de paritarité pour la nomination des membres de la Commission, de quelque division qu'ils soient.

Le Président (M. Lelièvre): Mme Berger.

Mme Berger (Arlette): Merci. Effectivement, ça nous causait un problème. On s'est beaucoup questionnés sur la composition de cette Commission, puisqu'on dit que les règles seront précisées par règlement, et c'était un de nos questionnements. Maintenant, on ne s'est pas penché comme organisme à savoir qui devait être consulté et de quelle façon devait être composée cette Commission. Je ne peux pas me prononcer sur l'avis de la Fédération, je ne la connais pas à cet effet.

Le Président (M. Lelièvre): M. le député de Mont-Royal, avez-vous d'autres questions?

M. Tranchemontagne: Non.

Le Président (M. Lelièvre): Est-ce qu'il y a d'autres membres de la commission qui ont d'autres questions, d'autres observations? Mme la ministre.

Mme Lemieux: Non, peut-être une remarque. Effectivement, il y a quelque chose d'intéressant dans votre mémoire, parce que vous intervenez ici à titre... appelons ça d'organisation dans le milieu de l'éducation, mais vous avez abordé ce mémoire-là sous l'angle de l'employeur que vous êtes. L'intérêt de votre mémoire, c'est de dire: Il est possible... Vous dites: On n'a peut-être pas tous les éléments de garantie qu'il faut dans l'article 46, mais il est possible de se parler assez franchement avec les représentants syndicaux pour pouvoir débloquer sur des alternatives intéressantes en matière de contrats par exemple à donner à l'extérieur. Alors, je pense que c'est l'intérêt de ce mémoire-ci.

Bon, vous dites que nos éléments, les garanties à 46, ne sont pas suffisants; on peut bien examiner ça. Mais, le simple petit fait que vous l'exposiez, pour moi, me donne un peu d'espoir, parce que généralement, dans les organisations patronales, cela à l'air inconcevable qu'on puisse systématiser et cristalliser cette idée qu'il puisse y avoir des ententes de ce type-là avec leurs syndiqués, et les syndicats ont un peu tendance à dire la même chose. C'est ça le grand paradoxe. Je pense que mes commentaire vont se limiter à ça pour l'instant.

Peut-être une dernière remarque. J'apprécie que le député de Mont-Royal fasse des liens entre différentes interventions, je pense qu'on a à gérer des angles qui sont complexes. Alors, il a fait des liens tout à l'heure qui étaient très justifiés, mais tant qu'à poser des questions difficiles, je pense qu'il faut les poser devant les intervenants lorsqu'ils sont devant nous, et si on veut bien continuer à travailler pour la suite des choses, je pense que ce sera préférable de s'entendre sur cette règle de conduite.

Le Président (M. Lelièvre): Merci, Mme la ministre. M. Boucher, vous aviez quelque chose à rajouter.

M. Boucher (Gaëtan): Bien, peut-être, si vous me permettez, dans la mesure où on est à la veille de clore. Je pense qu'il faut, sur la question de la sous-traitance... Et les députés l'ont bien souligné, nous gérons des fonds publics. Notre mission en est une essentiellement et exclusivement de formation. Il s'est révélé au fil des années où les collèges ont développé des services auxiliaires, que ce soient des arénas, des résidences, des agences de sécurité, des cafétérias et ainsi de suite, et évidemment, dans une période de restrictions budgétaires, ce qui est derrière ça, nos préoccupations, c'est de consacrer l'essentiel des fonds publics qui nous sont donnés, 1,3 milliard, pour dispenser des services de base, une mission de formation. Alors donc, c'est autour de ces réalités-là, c'est en gardant le cap sur cette réalité-là qu'on a cherché et on cherche toujours dans le fond des ententes avec nos vis-à-vis syndicaux pour faire faire par d'autres qui ont plus d'expertise, plus de know-how que nous, des services auxquels les étudiants, étudiantes tiennent, mais qui ne sont pas, je dirais, dans notre mission fondamentale.

Alors, nous, on pense que dans le rapport de négociation, il y a une voie, et il me semble, Mme la ministre, que cette voie-là, en tout cas, je ne sais pas comment elle pourrait se concrétiser dans l'article 46 ou autrement. Il me semble qu'il y a là une piste extrêmement importante et, dans mon entendement à moi, il est impensable que ces services auxiliaires, tels une cafétéria, soient déficitaires dans un collège, que le collège soit obligé d'enlever dans le fond d'autres postes budgétaires des argents pour combler le déficit en question. Ça dépasse, par les temps qui courent, là, tous les entendements possibles, et c'est ce pourquoi on cherche tant des solutions autres. Il me semble qu'il y a là une piste.

Une dernière remarque sur la question du droit d'appel. Je vous disais tout à l'heure, je vous le réitère, je pense que le législateur pourrait être sage en trouvant un accommodement. La Fédération des commissions scolaires en invoquait un, c'est-à-dire la permission d'en appeler. Il y a peut-être une porte ouverte, dans le fond, qui viendrait un peu baliser les décisions rendues par la Commission des relations de travail, me semble-t-il.

Le Président (M. Lelièvre): Alors, M. Boucher... M. le député de Mont-Royal, avez-vous quelque chose à rajouter? Oui? M. le député de Mont-Royal.

M. Tranchemontagne: Merci, M. le Président. M. Brousseau, j'espère que je ne vous ai pas mis mal à l'aise tantôt par ma question et par l'association que j'ai faite à une déclaration qu'on a entendue précédemment, je voulais tout simplement mettre en contradiction vraiment ce qu'on a entendu depuis le début de la journée et ce qu'on vient d'entendre de votre part. Et je pense que le véritable courage, M. Brousseau, aurait été probablement d'amender vraiment le Code du travail pour permettre justement la sous-traitance. Merci.

Le Président (M. Lelièvre): Alors, merci, M. le député de Mont-Royal. M. Boucher, Mme Laflamme, Mme Berger, la commission vous remercie.

Et, avant de suspendre nos travaux, je désire informer les membres de la commission que demain nous allons terminer à 11 h 30 parce qu'un groupe ne viendra pas. Les travaux sont ajournés à demain, mercredi le 28 février, à 9 h 30.

(Fin de la séance à 17 h 40)



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