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Version finale

36e législature, 1re session
(2 mars 1999 au 9 mars 2001)

Le mercredi 15 septembre 1999 - Vol. 36 N° 31

Consultation générale sur le projet de loi n° 47 - Loi concernant les conditions de travail dans certains secteurs de l'industrie du vêtement et modifiant la Loi sur les normes du travail


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Table des matières

Auditions

Remarques finales


Autres intervenants
Mme Denise Carrier-Perreault, présidente
M. Christos Sirros, vice-président
M. Robert Kieffer, président suppléant
M. Rémy Désilets
M. Guy Lelièvre
M. Stéphane Bédard
Mme Manon Blanchet
*M. François Vaudreuil, CSD
*M. Claude Faucher, idem
*M. Henri-Paul Roux, idem
*M. André Saint-Pierre, Comité paritaire de l'industrie de la chemise pour hommes
et garçons et du gant de cuir
*M. Jacques Frappier, Association des entrepreneurs en couture du Québec
*M. Jean-Luc Fortin, idem
*Mme Linda Gravel, idem
*Mme Carmen Lucia, idem
*M. Gilles Taillon, CPQ
*M. Jean Tremblay, idem
*Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats


(Neuf heures trente et une minutes)

Le Président (M. Sirros): Bonjour. Je vous rappelle que le mandat de la commission est de continuer la consultation générale et tenir des audiences publiques sur le projet de loi n° 47, Loi concernant les conditions de travail dans certains secteurs de l'industrie du vêtement et modifiant la Loi sur les normes du travail.

Est-ce qu'il y a des remplacements aujourd'hui, Mme la secrétaire?

La Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Després (Limoilou) remplacera Mme Normandeau (Bonaventure).

Le Président (M. Sirros): D'accord. Et nous allons débuter, je crois bien, avec la CSD, la Centrale des syndicats démocratiques. Je vous demanderais donc de vous présenter, d'identifier les gens qui vous accompagnent. Vous connaissez, je pense, les règles du jeu: 20 minutes de présentation, suivies d'une quarantaine de minutes divisées en deux entre les deux formations, ministérielle et opposition, pour des questions. Oui, M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Hier, j'avais mentionné, au début de la séance, que nous nous réservions la possibilité de demander la convocation et l'audition de la Commission des normes devant cette commission. Je réitère aujourd'hui que, même si nous ne le faisons pas maintenant, nous demandons à...

Le Président (M. Sirros): Comme on ne le fait pas maintenant, on pourrait peut-être commencer et...

M. Gobé: ...la demande pour une séance ultérieure.


Auditions

Le Président (M. Sirros): D'accord. On peut procéder, donc.


Centrale des syndicats démocratiques (CSD)

M. Vaudreuil (François): Merci, M. le Président. Donc, je voudrais vous présenter: à ma gauche, Mme Lise Lapointe, qui est secrétaire de la Fédération des syndicats du textile et du vêtement qui est affiliée à la CSD; Mme Gertrude Ouellette, qui est vice-présidente de la Fédération des syndicats du textile et du vêtement; Henri-Paul Roux, qui est conseiller syndical à la Fédération des syndicats du textile et du vêtement; Christian Beaudoin, qui est président de la Fédération des syndicats du textile et du vêtement affiliée à la CSD; mon confrère Claude Faucher, qui est vice-président du comité exécutif de la CSD; et je suis François Vaudreuil, président de la CSD.

Alors, je voudrais, dans un premier temps, vous remercier de l'invitation que vous nous avez soumise et de l'opportunité que vous nous faites de nous adresser à cette commission parlementaire sur le projet de loi n° 47.

Dans un premier temps, d'entrée de jeu, alors je voudrais vous indiquer que la CSD s'oppose catégoriquement à l'abolition des décrets de convention collective de l'industrie du vêtement et, par conséquent, au projet de loi n° 47 qui est actuellement présenté.

La présentation que je vais vous faire, elle se divise en quatre principales parties: la première, un historique de la Loi sur les décrets de convention collective; la seconde, la situation actuelle; le régime de relations de travail que nous souhaiterions; et les recommandations, enfin, de la CSD pour remplacer le projet de loi n° 47 et corriger les différents problèmes qui existent actuellement concernant les décrets de l'industrie du vêtement.

Avant d'échanger sur un sujet, il est toujours intéressant de se rappeler les motifs pour lesquels une loi a été adoptée dans un pays, dans une société, à un certain moment donné. Concernant la Loi des décrets de convention collective, elle a été adoptée en 1934, au moment où le Québec sortait de la crise de 1929 et vivait une situation fort difficile qui était caractérisée par des éléments comme la rareté de l'emploi, la précarité, la pauvreté. Le taux de chômage était excessivement élevé et les conditions de vie très difficiles.

Un peu partout dans la société au Québec, à ce moment-là, on cherchait donc des solutions pour sortir de la crise. Une des idées qui a été retenue pour aider la société à se sortir de la crise, c'est de permettre, par la Loi des décrets de convention collective, par son adoption en 1934, d'étendre à toutes les personnes qui travaillent dans un secteur d'activité ou dans une région donnée, de leur procurer les conditions de base qui étaient négociées entre des organisations syndicales et des organisations d'employeurs.

Cette loi avait comme avantage, au plan social, de permettre au plus grand nombre de salariés possible de bénéficier et de profiter des conditions de travail qui avaient été négociées entre les organisations syndicales et les organisations patronales. Au plan économique, ça limitait la concurrence déloyale entre les entreprises en faisant en sorte que la concurrence ne se fasse pas au détriment des travailleuses et des travailleurs, mais que ça se fasse sur d'autres éléments. Donc, les conditions de travail des travailleuses et des travailleurs devenaient les mêmes pour toutes les personnes de l'industrie visée.

Dans l'industrie du vêtement, le premier décret de convention collective remonte à 1935. C'est donc dire qu'aujourd'hui l'application de la Loi des décrets de convention collective dans le secteur du vêtement a un historique de 65 ans.

La Loi des décrets de convention collective s'est appliquée aussi dans plusieurs autres secteurs. Elle est vite devenue la loi qui a régi les relations de travail des industries qui étaient dites de concurrence, c'est-à-dire des industries où la concurrence est très forte en raison des petites unités et où les coûts de main-d'oeuvre représentent une forte proportion des coûts de production. Alors, ça a permis, dans l'industrie, d'établir un paritarisme, un lieu de concertation qui a assuré une paix industrielle dans ce secteur d'activité et permis aux travailleuses et travailleurs d'avoir des conditions de travail qui étaient nettement supérieures à ce qui est édicté par la Loi des normes du travail.

Maintenant, le deuxième volet: Quelle est la situation de l'industrie du vêtement aujourd'hui, en 1999, au Québec? Il est très important, au départ, de se rappeler qu'il s'agit de la plus importante industrie du secteur manufacturier en termes d'emplois. L'industrie du vêtement embauche environ 65 000 personnes et, fait intéressant, le Québec représente 56 % des activités de l'industrie du vêtement de tout le Canada. C'est donc dire que l'industrie ne se porte pas très mal. Les emplois sont occupés – et ça, c'est une caractéristique très importante aussi – par 75 % de femmes qui sont souvent monoparentales, souvent elles sont immigrantes et une sur deux n'a pas complété ses études secondaires, donc peu scolarisées. En 1998, il y avait 1 250 entreprises au Québec et 22 000 travailleuses et travailleurs qui étaient assujettis par la Loi des décrets de convention collective dans l'industrie du vêtement. Ces travailleuses et ces travailleurs ont un revenu annuel moyen entre 13 000 $ et 16 000 $ par année.

Pour atteindre un nombre d'emplois si élevé dans un marché qu'on dit excessivement compétitif en raison, notamment, de la mondialisation de l'économie, comment cette industrie a-t-elle fait pour maintenir un volume d'emplois aussi important? Bien, au cours des deux dernières décennies, il y a deux choses. La première, l'industrie a développé de nouveaux créneaux qui lui permettent de se tailler, sur les marchés avec lesquels elle compétitionne, une place très intéressante. Deuxième élément, c'est que l'industrie s'est restructurée profondément au cours des dernières décennies. Des usines où on retrouve de la conception, de la commercialisation et de la fabrication, il n'y en a pratiquement plus. L'industrie s'est décomposée en trois principales fonctions: une qui est la conception, l'autre qui est la commercialisation et l'autre qui sont les centres de production.

(9 h 40)

Donc, on a assisté, au cours des 20 dernières années, à l'éclatement des entreprises traditionnelles telles qu'on les connaissait. Et ça, ça a occasionné un recours toujours plus grand à la sous-traitance, de telle sorte que, entre 1980 et 1998, le rapport de manufacturiers et de sous-traitants qui était de un à un en 1980 est passé aujourd'hui à un pour quatre: les manufacturiers qui étaient au nombre de 499 en 1980 sont rendus 192; les sous-traitants qui étaient 441 sont devenus 842.

On a donc assisté à une éclosion de petites entreprises. Aujourd'hui, la majorité des entreprises du secteur du vêtement ont 10 salariés et moins. Elles sont coincées, ces entreprises-là, dans une situation d'hyperconcurrence. Ce sont aussi des entreprises qui sont excessivement volatiles. De 1989 à 1994, près d'une entreprise sur quatre fermait ses portes alors qu'on assistait, durant cette période, à sensiblement le même nombre de démarrages de nouvelles entreprises.

C'est donc dire que, dans une entreprise qui est caractérisée par des petites unités, qui sont volatiles, ça rend la syndicalisation excessivement difficile pour ne pas dire théorique. Le taux de syndicalisation dans l'industrie du vêtement est très bas. Chez les manufacturiers, il est de 16,4 %; chez les sous-traitants, de 9,5 %. Si on compare avec le secteur privé où la moyenne est de 27,6 %, on s'aperçoit que, chez les sous-traitants, la syndicalisation est pratiquement de trois fois moins importante que dans l'ensemble du secteur privé. Il y a des raisons à ça. C'est parce que notre loi, notre Code du travail n'est pas adapté et ne permet pas un véritable accès à la syndicalisation, ce qui fait que ces gens-là sont dans l'incapacité d'établir des rapports collectifs.

Et là nous arrivons au coeur même de notre argumentation. Quand on se retrouve dans une société démocratique, dans une société avancée, dans une société de droit où l'accès à des rapports collectifs est théorique, où les lois sont mésadaptées et que les gens sont confinés à des rapports individuels, ce qu'on fait, c'est qu'on dirige ces personnes-là directement vers la pauvreté. Parce que, avec la description que je vous ai faite de ce secteur d'activité là, laisser les gens à des rapports individuels, négocier sur une base individuelle avec leur employeur d'égal à égal, bien on sait que c'est toujours le plus égal des deux qui gagne et que c'est le moins égal qui perd. C'est-à-dire que de les laisser à des rapports individuels, les conditions vont se détériorer, et très rapidement, parce qu'il n'y a aucun rapport de force pour faire en sorte que les conditions s'améliorent.

Abolir la Loi sur les décrets de convention collective, c'est priver 22 000 personnes du droit de bénéficier des rapports collectifs. La Loi sur les décrets de convention collective, au cours des 65 dernières années, est devenue une forme de négociation multiétablissement dans le secteur du vêtement et ça a procuré des avantages incontestables aux travailleuses et aux travailleurs de cette industrie.

Aujourd'hui, vouloir priver ces gens des fruits de la négociation collective, ce qu'on fait, et c'est ça qui nous inquiète énormément à la CSD, c'est que, quand on pose un geste semblable, on prive des gens de bénéficier d'un droit fondamental. Comment une société qui se dit démocratique peut-elle prétendre ne pas permettre à 22 000 personnes de bénéficier des fruits des rapports collectifs? On a des glissements sociétaux très importants qui nous inquiètent au premier plan. Alors, ça, là-dessus, évidemment, on a beaucoup de difficultés avec ça parce que les conséquences vont être catastrophiques.

L'abolition des décrets, en plus de faire perdre le droit aux organisations syndicales qui sont représentatives de toutes les travailleuses et travailleurs qui sont assujettis, en plus de nous faire perdre le droit de décider, on nous propose plutôt de gagner peut-être le privilège d'être consultés. Vous comprendrez que, dans un fonctionnement démocratique, la CSD ne peut pas loger à cette enseigne.

Encore pire, on propose de le remplacer par un régime de forme étatique où l'État a la prétention d'être capable de se substituer aux parties et de déposséder ces mêmes parties de leurs droits de faire évoluer la situation. Et, quand on allègue qu'une des raisons pour lesquelles on fait ça c'est notre nouvel environnement compétitif, c'est de dire aux associations patronales, c'est de dire aux associations syndicales: Vous n'êtes pas assez intelligents pour trouver les solutions aux problèmes qui sont vécus par l'industrie. Sauf que les dernières années nous ont démontré que, même avec la Loi des décrets de convention collective dans l'industrie du vêtement, on a créé des emplois, on a, de façon très substantielle, accru nos exportations. Donc, on réussit dans ce secteur-là. Je ne dis pas que c'est parfait, je ne dis pas que le secteur n'a pas besoin d'une impulsion nouvelle, on pourra en discuter par la suite, mais il ne faut pas soustraire de l'application des rapports collectifs 22 000 personnes. On a l'impression qu'on essaie de passer le bébé avec l'eau du bain, puis ça, vous comprendrez qu'on ne peut pas accepter ça.

Le régime de relations de travail du vêtement depuis une soixante d'années a permis de civiliser les rapports. Il a été un lieu de coopération et de concertation. On ne le dira pas assez souvent. Et le projet de loi n° 47, pour nous, ça constitue aussi un ticket aller sans retour dans la déréglementation, où on laisse les gens négocier individuellement leurs conditions de travail. Or, l'effet domino que ça va avoir sur la réduction des conditions de travail des gens qui travaillent dans l'industrie, on ne peut pas accepter ça.

Et dernier point de la présentation sur lequel je voudrais intervenir, c'est sur le régime d'inspection. Là encore, on ne comprend pas comment le gouvernement peut décider de se substituer aux parties. On ne connaît pas, dans la société, au Québec, de régime de relations de travail de type sectoriel dans lequel les parties ne décident pas de l'inspection, dans lequel les parties ne décident pas de la philosophie et des moyens d'action qui devront exister dans le cadre d'inspection. Que ce soit dans l'industrie de la construction, ce sont les partenaires, les organisations syndicales, les organisations patronales qui le font. Dans tous les autres comités paritaires, ce sont les parties qui le font.

À mon avis, à l'avis de la CSD, c'est à contre-courant que le gouvernement s'approprie une telle responsabilité alors que tout partout on invite à la concertation et que tout partout on demande aux parties de se responsabiliser. Et un des derniers exemples qu'on a eus là-dessus, c'est la loi n° 46 dans l'industrie de la construction, quand la ministre de l'époque a dit: On n'interviendra plus lors des négociations. C'est fini, les décrets de convention collective. Dorénavant, les parties vont se responsabiliser et devront trouver des solutions à leurs problèmes. Ça s'est fait. Les gens sont capables de se prendre en charge. Nous, ce qu'on demande, c'est qu'on maintienne ce décret-là, qu'on fasse appel à l'intelligence des parties, à leur responsabilité pour trouver et développer un modèle qui va les représenter.

(9 h 50)

Donc, en termes de conclusion, premier élément, la CSD affirme la nécessité de maintenir l'extension juridique de manière à préserver les effets bénéfiques du régime pour les salariés et pour les PME. Deuxième élément, nous considérons comme antidémocratique et antisocial que le gouvernement prive des salariés d'un droit aussi fondamental que celui de bénéficier des fruits d'un régime de rapports collectifs de travail en s'appuyant uniquement sur les représentations d'un certain lobby patronal.

Si jamais nos arguments ne réussissent pas à vous convaincre, le gouvernement devrait avoir la décence sinon l'obligation d'ouvrir un débat public auprès des travailleuses et des travailleurs concernés afin de leur permettre de s'exprimer sur cet enjeu fondamental. Nous exigerions à ce moment la tenue d'un scrutin, qui pourrait être organisé par le BCGT, sur la question du maintien ou de l'abrogation des décrets de convention collective, avec une campagne préalable pour permettre aux différentes organisations de s'exprimer et d'expliquer les motifs à l'appui de leurs revendications. Alors, c'était l'essentiel de la présentation de la CSD.

Le Président (M. Sirros): Alors, je vous remercie beaucoup. On passera donc à la période des échanges, en commençant avec Mme la ministre.

Mme Lemieux: Merci, M. le Président. M. Vaudreuil. Je salue aussi vos collègues. Écoutez, il y a beaucoup de choses qui me dérangent dans votre présentation. D'abord, je voudrais être très, très au clair, et vous aurez compris ça, et je pense que vous avez aussi une responsabilité de bien être au clair sur cette information, nous maintenons un régime d'exception avec ce projet de loi là. Nous le faisons. C'est l'objectif avoué de ce projet de loi.

Deuxième chose, vous dites: C'est antidémocratique, antisocial de briser des rapports collectifs. Écoutez, on n'intervient pas au niveau des rapports collectifs. Il existe et il existera toujours les mécanismes que nous connaissons, notamment pour permettre la syndicalisation. Je pense que vous reconnaissez que c'est une industrie où il y a quand même des composantes qui rendent, à certaines occasions, la syndicalisation plus difficile, mais on n'intervient pas là-dessus.

Vous croyez que nous ne sommes pas intelligents pour trouver des solutions. Écoutez, hier j'ai fait une intervention, c'était en fin de journée et peut-être que j'étais fatiguée, mais j'ai appelé ça mon éditorial. Mais ce dossier-là, il ne date pas d'hier. Ça fait une bonne dizaine d'années que les fondements mêmes de ce régime-là sont questionnés et que les parties ne s'entendent pas. Vous dites que l'intervention étatique, c'est la catastrophe. Mais heureusement qu'il y a des interventions de l'État, M. Vaudreuil, les filets que nous nous sommes donnés: la Loi sur les normes du travail, la Loi sur la santé et la sécurité au travail. Je pourrais vous en donner des tonnes, d'exemples. On ne va quand même pas reprocher à l'État d'intervenir lorsqu'il y a ce constat-là qu'il y a un régime où les parties ne font plus ce qu'elles ont à faire. Heureusement qu'on essaie de forcer le jeu, de tirer la ligne et d'établir un filet pour les gens.

Évidemment, il y a beaucoup de choses sur lesquelles je voudrais revenir avec vous, mais il y en a deux, là, que je vais essayer de préciser avec vous. Vous dites: On veut garder les décrets tels quels, en gros. Il y a beaucoup d'intervenants... Et je suis un peu étonnée que vous ne reconnaissiez pas qu'il y avait quelque chose d'un peu vieillot qu'on a besoin de rafraîchir. Ne venez pas me dire aujourd'hui que les décrets étaient parfaits. Même des représentantes, par exemple, des groupes de femmes nous ont dit: Bien, on reconnaît qu'il fallait actualiser les décrets. Je veux dire, je pense qu'il y a un consensus qu'on avait besoin de moderniser ces instruments-là. Vous m'avez fait la démonstration à quel point l'industrie a changé. Il me semble qu'on devrait au moins reconnaître ça. Alors, ça, c'est un premier aspect sur lequel j'aimerais vous entendre.

L'autre aspect. Vous dites, dans votre mémoire, à la page 33: «Considérant que l'industrie du vêtement est une industrie de concurrence très vive où, en l'absence de réglementation...» D'abord, il n'y aura pas une absence de réglementation. Il n'y a pas d'absence de réglementation. On veut déterminer des normes sectorielles pour l'industrie du vêtement dans la Loi sur les normes du travail. Je n'appelle pas ça une absence de réglementation. Alors, vous dites: «En l'absence de réglementation, les salariées seraient soumises à l'arbitraire patronal le plus total, au règne des rapports individuels de travail où la négociation est impossible, où le contrat d'adhésion dominerait la scène.»

Ce n'est pas vrai, là, que les salariées seraient soumises à l'arbitraire patronal le plus total. On veut qu'un instrument qui est très important au Québec, qui s'appelle la Loi sur les normes du travail – c'est le filet de base de tous les travailleurs, quels qu'ils soient, où qu'ils soient – ce filet-là, il existe aussi pour les gens qui sont dans le secteur du vêtement. Alors, j'aimerais ça vous entendre aussi là-dessus.

Le Président (M. Sirros): Ça va?

Mme Lemieux: Oui.

Le Président (M. Sirros): M. Vaudreuil.

M. Vaudreuil (François): C'est bien. Bon. Je voudrais aussi répondre, Mme la ministre, à certains commentaires que vous avez apportés à votre préambule. Quand vous nous dites que vous êtes prêts, le gouvernement est prêt à maintenir un régime d'exception pour les travailleuses et travailleurs de l'industrie du vêtement, ce qu'on vous répondrait là-dessus, Mme Lemieux, c'est que les travailleuses et les travailleurs de l'industrie du vêtement et les organisations qui les représentent, la CSD en l'occurrence, ne sont pas ici pour demander un privilège quelconque; on est ici pour exiger que, dans notre société démocratique, la possibilité de pouvoir bénéficier des fruits des rapports collectifs puisse s'exercer.

On considère que c'est un droit fondamental dans une société démocratique et qu'il s'agit d'un glissement qui nous inquiète profondément que d'enlever cette réalité pour la remplacer par des règles étatiques où les organisations qui représentent les travailleuses et travailleurs perdraient leur pouvoir pour gagner le privilège de peut-être être consultées. Ça, on a des problèmes majeurs avec ça en termes de fonctionnement démocratique.

Quand vous parlez des mécanismes qui permettent la syndicalisation et que le gouvernement ne doit pas intervenir dans les rapports collectifs, ce qu'on prétend, c'est que, dans une société démocratique, le gouvernement doit donner un cadre législatif qui permet l'exercice de l'accès à la syndicalisation, qui procure les rapports collectifs et qui est beaucoup plus avantageux pour le monde. On est dans une situation dans le vêtement, et j'en ai fait la démonstration tantôt, où le taux de syndicalisation est très peu élevé en raison de la petite taille des unités, en raison de leur volatilité.

Et, quand vous dites que la loi ne date pas d'hier, que les fondements mêmes sont questionnés, il y a eu, depuis une décennie, un manque du pouvoir politique de transmettre aux employeurs un signal, à quelques exceptions près, il y a eu un manque du pouvoir politique de transmettre un signal clair que la Loi des décrets était là pour demeurer et que les employeurs, en conséquence, se devaient de négocier.

Ça, c'est un problème qu'on a. Ça fait 10 ans que ça dure, ça fait 10 ans que ça traîne. Je suis d'accord avec vous, Mme la ministre, je ne vous dis pas que cette loi-là est parfaite, je ne vous dis pas non plus qu'elle n'a pas besoin d'être modernisée. Oui, nous sommes d'accord avec sa modernisation, il y aurait des éléments à changer, mais ce n'est pas l'objet de cette commission parlementaire là, mais on convient qu'il y a des éléments qu'on pourrait changer. Bon.

(10 heures)

Alors, quand vous dites que de garder les décrets, c'est vieillot, que vous voulez rafraîchir, sur le principe, je suis entièrement d'accord avec vous. La CSD est d'accord avec cet énoncé. Oui, il faut rafraîchir, moderniser. On est d'accord avec ça. Mais là où on n'est pas d'accord, c'est que vous enlevez aux parties ce droit, vous leur enlevez ce rapport de force. Et trouvez-moi des employeurs au Québec, en 1999, qui vont soutenir ou qui vont encourager l'établissement de rapports collectifs. Et c'est pour ça que le Code du travail, entre autres, a été fait avec l'obligation aux employeurs de négocier de bonne foi.

Donc, deuxième élément. Quand vous dites: Pas d'absence de déréglementation, que l'intervention du gouvernement est importante, j'en suis, là, et on ne discute pas des mêmes choses. Je n'ai jamais dit que la CSD était en désaccord avec les éléments de protection sociale, avec des législations. Ce n'est pas ça, notre propos, absolument pas. Absolument pas. Au contraire, ce qu'on pense, c'est qu'on doit renforcer, moderniser les lois pour permettre un plus grand accès aux rapports collectifs aux travailleuses et aux travailleurs de notre société au Québec. Et là on veut soustraire des bénéfices des rapports collectifs 22 000 personnes. Mme la ministre, la CSD ne peut accepter une telle proposition.

Le Président (M. Sirros): Mme la ministre.

Mme Lemieux: Je vais y aller rapidement parce que je sais que mon collègue a des questions à poser.

Le Président (M. Sirros): Il y en a deux, en fait, Mme la ministre.

Mme Lemieux: Ah oui? Deux questions?

Le Président (M. Sirros): Deux députés ministériels.

Mme Lemieux: Ah! Alors, je vais me réserver pour la fin.

Le Président (M. Sirros): D'accord. M. le député de Maskinongé, à ce moment-là.

M. Désilets: J'aimerais savoir de votre part, M. Vaudreuil, comment justifier la lourdeur de l'industrie du vêtement avec les nombreux décrets. Quand on regarde l'ensemble du secteur industriel manufacturier, les règles générales habituellement, c'est la négociation et puis c'est les parties qui s'entendent. Qu'est-ce que ça veut dire que dans le vêtement on n'est pas capable d'en arriver au même résultat? Et de un. Deux: Comment justifier le peu de protection sociale que les employés ont aussi, même où il y a un syndicat?

Vous parlez dans votre mémoire qu'il y a un fonds de retraite, mais, moi, je ne vois pas ça dans le décret, qu'il y a un fonds de retraite à quelque part. S'il y a de l'argent, à quelle place que c'est? Les employés sont-ils au courant? Moi, je ne le savais pas. Ça fait que je veux avoir un peu plus d'informations là-dessus. Votre mémoire est muet aussi sur le travail au noir, dans le document. Comment donner plus de crédibilité également à l'organisme de consultation qui serait ce que la ministre nous propose? L'organisme de consultation, comment lui donner plus de crédibilité?

Je vais commencer juste par ça ... donner encore quelques informations...

M. Vaudreuil (François): Bon. Pourquoi il y a des différences dans l'industrie du vêtement, pourquoi le maintien des décrets est-il nécessaire?

J'ai essayé tantôt dans la présentation de vous indiquer qu'elle est caractérisée principalement par des petites unités où on a environ – et je vous donne des chiffres de mémoire – 60 %, et dans la dame ça peut aller jusqu'à 75 %, des entreprises qui ont 10 salariés et moins. Donc, ce sont de très petites entreprises qui sont prises dans des situations d'hypercompétition. Quand un sous-traitant a à effectuer une pièce de vêtement, la marge qu'il a au niveau du coût de son produit, c'est une question de cennes même si le produit peut se vendre 30 $, 40 $, 50 $; quand le produit est présenté à l'exposition de Toronto, à l'exposition de New York, pour être vendu, c'est une question de sous.

Donc, un marché hypercompétitif, des petites entreprises et la volatilité. Il n'y a pas un secteur d'activité dans le manufacturier qui est aussi volatile que dans l'industrie du vêtement. Puis une des raisons est fort simple, c'est que c'est très peu dispendieux de devenir sous-traitant dans l'industrie du vêtement. Vous pouvez vous procurer des équipements à des encans à des prix dérisoires et vous partir une petite entreprise avec quatre, cinq, six, sept, huit, 10 postes de travail. Ce qui fait en sorte qu'on assiste à une volatilité très grande des entreprises.

Et une des difficultés qu'on a au niveau syndical, c'est qu'on n'est pas capable d'organiser des syndicats dans ces entreprises-là en raison de la petitesse des entreprises, de la volatilité et de l'hyperconcurrence. Et, si vous signez une convention collective dans une telle entreprise, avec des conditions qui pourraient paraître à l'ensemble des gens avantageuses, bien, le sous-traitant, il va être obligé de fermer parce que les marges sont tellement minces que ça prend absolument une approche sectorielle. Donc, de ces caractéristiques-là, si on n'a pas une approche sectorielle, si on n'a pas une négociation collective multi-établissements, comme c'est le cas actuellement avec la loi des décrets de conventions collectives, on n'est pas capable d'y parvenir.

Bon. Concernant la rémunération, les conditions qui sont accordées à ces travailleuses et à ces travailleurs, il est vrai que le taux de salaire moyen au Québec, de mémoire, je crois que c'est 15,60 $ de l'heure dans le secteur manufacturier et que dans les décrets de convention collective il est beaucoup plus bas – bon, ça peut varier autour de 9 $, 10 $ de l'heure et huit et quelques dans certaines situations. Mais, ça, c'est une réalité, aussi, sectorielle. Je veux dire, vous allez avoir des salaires beaucoup plus avantageux, par exemple, dans l'aérospatial que vous allez en avoir dans le meuble, et vous allez avoir des salaires différents dans le meuble du vêtement.

Donc, c'est une réalité où les syndicats doivent s'ajuster en fonction de la compétition et de la concurrence, parce que c'est un secteur d'activité qui est aussi exposé à une très forte concurrence à l'extérieur du Québec. C'est évident qu'on ne peut pas compétitionner avec les pays en voie de développement. Nos principaux compétiteurs proviennent de l'Ouest du Québec, un peu du Nouveau-Brunswick, des États-Unis. Donc, c'est plus sur ce marché-là qu'on joue. Mais malgré tout ça on a développé des créneaux qui sont très importants au Québec et qui ont permis de consolider et de développer des emplois.

C'est sûr qu'on aimerait que les emplois soient plus de qualité, mais, quand vous négociez une convention collective avec une entreprise, vous devez tenir compte de la réalité du marché de l'entreprise. Et il y a beaucoup de choses qui ont changé à cet égard-là, et les syndicats dans les entreprises ont compris depuis plusieurs années qu'à cet égard ils devaient travailler sur l'organisation du travail pour permettre à l'entreprise de dégager des marges bénéficiaires et d'être capable après ça d'améliorer leurs conditions de travail.

Donc, c'est une situation très complexe. Et, nous, ce qu'on dit: Sans le maintien de ce régime de négociation, qui est un régime multi-établissements dans le fond et qui fait profiter à 22 000 personnes de conditions plus avantageuses, sans ça, ça va être la catastrophe. Et, même avec la meilleure volonté du monde qu'une ministre pourrait avoir aujourd'hui, il est indéniable qu'au cours des prochaines années il va y avoir des glissements vers le bas, et dans quelques années ces gens-là seront confinés à la loi des normes du travail.

Ça ne peut pas faire autrement. Parce que, quand on s'inscrit uniquement dans la logique de la loi marchande, ça ne peut pas faire autrement. Et la proposition qui est faite de remplacer le régime de négociation collectif par des normes sectorielles s'inscrit dans cette philosophie. Donc, à moyen et à long terme les travailleuses, les travailleurs de l'industrie du vêtement vont payer le prix de ce droit fondamental qu'on leur enlève aujourd'hui, qui est celui de bénéficier des avantages de la négociation collective.

Le Président (M. Sirros): Merci.

M. Vaudreuil (François): Concernant le travail au noir...

Le Président (M. Sirros): Excusez-moi, mais il faut faire rapidement parce que le temps achève de ce côté-ci, puis je sais qu'il y a des questions qui veulent être reposées par la ministre.

M. Vaudreuil (François): Concernant le travail au noir, il est évident que, dans tous les secteurs d'activité économiques, quand il y a une déréglementation... Prenez l'exemple de l'industrie de la rénovation dans la construction, qui a été déréglementée, il y a eu par la suite prolifération du travail au noir. Pourquoi? Parce qu'en l'absence de règles, c'est la logique marchande qui s'applique. Et la façon de s'en sortir, c'est de développer des stratégies individuelles. Et au nombre des stratégies individuelles on trouve toutes sortes de subterfuges pour passer à côté de toutes les règles, y compris l'évasion fiscale, pour être capable de s'en sortir.

(10 h 10)

Alors, c'est évident que, si on s'en va avec des normes sectorielles, notre opinion est à l'effet qu'il va y avoir intensification du travail au noir. On ne connaît pas de secteurs qui ont été déréglementés pour lesquels il n'y a pas eu prolifération du travail au noir.

Le Président (M. Sirros): Merci. Mme la ministre.

Mme Lemieux: Une dernière intervention. En fait, il y aurait beaucoup de choses à dire, mais je vous ai écouté avec beaucoup d'attention. Écoutez, moi, ma préoccupation à très, très court terme, c'est d'identifier des moyens et les éléments qui vont faire en sorte que nous arriverons à protéger le monde, à faire en sorte que les conditions de travail soient correctes, puis en donnant aussi du souffle à une industrie, parce qu'il y a un potentiel aussi de création d'emplois. J'ai parlé dans mes remarques préliminaires hier de l'équilibre qui m'habite, cette recherche d'équilibre entre la compétitivité et les conditions de travail, entre un régime en place depuis 60 ans puis les exigences d'une économie mondiale, l'équilibre entre l'intervention de l'État et le libre marché. C'est ça que je cherche à faire actuellement.

Vous, là, vous me parlez de rapport de force, de rapports collectifs, de pouvoir de négocier, c'est hyperpertinent, mais ce n'est pas la bonne place...

Une voix: Ce n'est pas la bonne?

Mme Lemieux: ...ce n'est pas l'objet de ce débat-ci. Je me sens, là, je suis en train de... Vous me projetez dans une éventuelle commission parlementaire, la réforme du Code. C'est légitime, les questions que vous posez, ce n'est pas ça, là, mais je dis: Là, actuellement on est en train d'identifier le comment et le quoi pour faire en sorte qu'on fasse ces deux-choses-là, à la fois être correct au niveau des conditions de travail, mais donner du souffle aussi à l'industrie.

Moi, je vous demande, là, dans les prochaines semaines... Vous pouvez garder cette ligne-là, vous opposer au projet de loi, c'est votre droit le plus strict. Mais vous avez une expérience, vous êtes sur le terrain, vous y êtes depuis longtemps, vous regroupez du monde, vous connaissez le milieu, pouvez-vous nous aider à bonifier ce projet de loi là? Je sais que je n'ai plus de temps, mais j'espère que vous allez nous aider à le bonifier.

Bon, vous êtes sous cet angle d'attaque là, c'est correct, c'est votre droit le plus légitime, mais, là, il y a un train qui passe, puis on est en train d'essayer de déterminer des normes minimales qui vont coller à la réalité de ce secteur. Alors, le train, il est en train de passer, M. Vaudreuil; j'espère que vous allez le prendre, au nom des gens que vous représentez aussi, parce qu'il y aura une intervention de l'État.

Le Président (M. Sirros): Alors, M. Vaudreuil.

M. Vaudreuil (François): Oui. Écoutez, le train qui passe, Mme la ministre, c'est le train de la déréglementation et il n'y a pas de retour garanti, et on ne peut pas y aller. Et, quand vous dites que vous tentez d'identifier des moyens pour protéger le monde, c'est fort noble, c'est une grande idée.

Quand vous dites que vous tentez de chercher un équilibre, moi, je vous répondrais, Mme Lemieux, que dans le secteur privé les organisations syndicales, par le rapport de force qu'elles ont, sont parvenues à concilier le productivisme et l'humanisme. L'humanisme qui fait en sorte que les conditions de travail s'améliorent, qui fait en sorte que les gens peuvent travailler dans la dignité et dans le respect. Et d'enlever les bénéfices que procure la négociation collective... Parce que c'est ça que vous faites, vous enlevez un droit fondamental qui existe actuellement et vous le substituez à des normes étatiques. La CSD ne peut pas prendre ce train-là.

Et soyez assurée que nous avons consulté nos gens et que personnellement je me suis rendu à des assemblées – et d'ailleurs de personnes que vous connaissez, vous avez visité des usines qui sont affiliées à la CSD – et ces gens-là sont catégoriques, leur expérience a démontré que la seule façon de maintenir un niveau de vie qui est respectable, qui est en haut de la loi des normes, c'est en pouvant continuer de bénéficier des rapports collectifs. Laissez-nous donc ce droit-là qu'on a.

Pourquoi succomber à un certain lobby patronal et ne pas accepter de discuter de l'exercice de droits fondamentaux qu'on a actuellement dans la société démocratique? C'est la perte d'un droit démocratique. La CSD ne peut être à ce rendez-vous, la CSD ne peut prendre ce train, la CSD ne peut accepter des glissements de la sorte qui nous enlèvent des droits.

Le Président (M. Sirros): Merci, M. Vaudreuil. Alors, on passera avec, du côté de l'opposition, M. le député de LaFontaine pour un autre 20 minutes d'échange.

M. Gobé: Alors, merci, M. le Président. M. Vaudreuil, ainsi que vos collaborateurs et collaboratrices, c'est un plaisir de vous saluer à cette table. J'ai pris le temps de lire votre mémoire, même si vous ne l'avez pas lu complètement, étant donné la grosseur qu'il a, à cette commission. Je dois vous dire que tout d'abord la leçon d'histoire que nous y retrouvons au début est fort intéressante et a le mérite de ramener un peu les pendules à l'heure, hein? On sait d'où on part. Et j'ai toujours eu comme expérience dans la vie que, lorsque l'on sait où on part, on sait un peu mieux où on doit aller. Et j'ai l'impression qu'il y a ici des gens, autour de cette table, qui ne savent pas d'où ils viennent, et ils savent encore moins probablement où est-ce qu'ils s'en vont.

Et dans ce sens-là je crois que l'exercice que nous faisons en cette commission, et particulièrement avec vous ce matin ainsi que les autres partenaires, aura peut-être pour but d'éclairer un peu certaines personnes vers quels objectifs elles devraient aller pour remplir la tâche que nous avons comme élus d'être au service de la population, de l'économie, bien sûr, du développement, mais particulièrement d'avoir des idées de base qui guident nos actions basées sur la protection des citoyens, sur la qualité de vie, la compassion et tout ce qui fait qu'une société est agréable ou vivable pour les gens qui la composent. Vous faites bien de nous rappeler ça aussi.

Hier, Mme la ministre, et j'aimerais ça avoir votre opinion lorsque vous avez mentionné des arguments sur la perte de certains avantages, sur la négation de la négociation, sur l'étatisation du système, déposé un rapport: Analyse des impacts du projet de loi n° 47 . Dans ce rapport, juste un petit passage, on peut le lire, en commençant: «Mentionnons également que le projet de loi n° 47 élimine le régime de sécurité sociale présent dans les décrets pour homme et la chemise et le gant de cuir, car un tel domaine ne figure pas dans l'actuel champ d'application de la Loi sur les normes.»

Si je comprends bien, il y a un régime actuellement de sécurité sociale particulier qui existe pour les travailleuses et les travailleurs de ce domaine-là et qui disparaîtrait si on étatise, si on va dans le sens que la ministre veut aller. Est-ce que vous pourriez nous expliquer rapidement qu'est-ce que c'est les conséquences de ça, ou quelqu'un autour de vous?

M. Vaudreuil (François): Bien, écoutez, je pense que les conséquences de l'élimination de ces différents systèmes de sécurité... Je vais vous donner... Dans le fonds, il y en a qui prennent des allures d'horreur. Je vais vous expliquer tout simplement. Je vais vous donner un exemple. Dans la dame, il existe actuellement un fonds de vacances. Bon. Alors, évidemment, si le fonds de vacances n'est pas maintenu... Parce qu'en plus de nous priver d'un droit fondamental, les normes sectorielles, le grand risque qu'il y a, ce qui a été discuté à ce moment-ci, en dehors de la commission évidemment, c'est qu'on parle d'un nivellement par le bas. On n'irait probablement pas augmenter ceux qui ont le salaire le plus bas au salaire du plus haut. Donc, on va aller par un nivellement par le bas. Et on parle aussi d'une possibilité que le fonds de vacances soit éliminé. Ce fonds de vacances étant éliminé, il y a plusieurs personnes actuellement qui bénéficient de 6 % de vacances, c'est-à-dire trois semaines, et qui vont se retrouver confinées à quatre semaines de vacances. Il y en a beaucoup.

L'autre affaire qui est aussi...

Une voix: À deux semaines.

M. Vaudreuil (François): Hein? À deux semaines. Qu'est-ce que c'est que j'ai dit?

Une voix: Quatre.

M. Vaudreuil (François): Excusez. Pas quatre semaines, deux semaines.

Autre affaire aussi à propos du fonds de vacances, c'est que, compte tenu de la très grande volatilité des entreprises, quand on dit qu'il y a près d'une entreprise sur quatre qui ferme, bien, ce n'est pas pour rien que les parties ont négocié la mise en fiducie de ces argents-là. C'est pour protéger les argents des travailleuses et des travailleurs de cette industrie, de telle sorte que, si l'usine ferme, bien, on ne perdra pas tous les argents de vacances parce qu'ils vont avoir été versés au fur et à mesure. Donc, il y a plusieurs items qui vont diminuer considérablement les conditions de vie. Puis ça vous comprendrez que la CSD ne peut loger à cette enseigne.

M. Gobé: Y compris le régime de sécurité sociale qui disparaît...

M. Vaudreuil (François): Y compris.

M. Gobé: ...comme c'est mentionné dans le rapport aviseur de Mme la ministre, hein? On ne peut pas dire qu'on ne le sait pas, que c'est peut-être. C'est les gens qui ont reçu son mandat et dont elle a déposé elle-même le rapport hier, Marie Chartre, Direction générale des politiques, ministère de la Solidarité sociale, Secteur emploi.

(10 h 20)

On a parlé aussi beaucoup, M. Vaudreuil, de compétitivité, hein? C'est au nom de la compétitivité qu'on veut abolir les comités paritaires, les décrets, hein? C'est pour ça, là. Ce n'est pas pour rendre les travailleurs mieux servis, parce qu'on vient de se rendre compte que leurs avantages, leurs conditions de travail vont être touchées, vont être modifiées, que ça soit par la perte du fonds de vacances, par la perte du fonds de sécurité sociale et que ça soit aussi par la baisse des salaires. Parce que dans les mêmes rapports il est mentionné aussi qu'il était à prévoir que les entreprises appliqueront le salaire édicté par la Commission des normes. C'est dans le rapport même de la ministre, même si elle nous laisse entendre que, non, ça pourrait être plus élevé. Donc, c'est pour la compétitivité, ce n'est pas pour mieux traiter les employés. On comprend que c'est eux qui paient, on leur fait payer un prix.

Alors, maintenant j'ai regardé un peu plus loin dans le même rapport de la ministre et je me disais: Bien, alors, on doit avoir quelque chose de très intéressant pour faire payer ce prix-là à des travailleurs et travailleuses, hein, au niveau de la création d'emplois, au niveau de l'économie d'échelle. Et j'ai constaté que dans son même rapport on nous dit que les coûts salariaux sont trois fois moins élevés que les matières premières dans l'industrie, d'accord? Et on nous dit aussi que les changements dans les salaires et autres conditions de travail ne provoquent pas une onde de choc sur le niveau de l'emploi. Et, en effet, il y a des tableaux un peu plus loin qui nous disent qu'on parle de 267 emplois créés avec un salaire qui passerait à 8,10 $ de l'heure au lieu de 9,90 $. Et ce qu'ils disent aussi, c'est: Ainsi, si on réfère au scénario examiné par les employeurs et présenté dans leur document, ce serait davantage les investissements consacrés à accroître la production et les efforts pour accroître les exportations qui influenceraient sur le niveau d'emploi.

Alors, le rapport même de Mme la ministre nous démontre que, même si on pénalise les travailleurs, même si on coupe leur salaire, on coupe leurs fonds sociaux, sécurité sociale, on coupe leurs vacances, eh bien, ce n'est pas ça qui va rendre les entreprises plus compétitives mais que c'est d'autres raisons. Alors, est-ce que vous ne croyez pas qu'on devrait plutôt s'attaquer à ces raisons-là et trouver un autre cadre que ce projet de loi pour régler le problème de la non-compétitivité ou de la compétitivité à améliorer ou meilleure – parce qu'il y en a une – de nos entreprises?

M. Vaudreuil (François): Écoutez, l'industrie du vêtement du Québec en 1999 est compétitive. Le niveau d'exportation, le niveau d'emploi fait la démonstration hors de tout doute que le secteur est compétitif. Ce qui est sûr, c'est qu'il y a toujours lieu d'améliorer cette productivité et il faut travailler à l'améliorer. Et d'ailleurs la CSD à cet égard, lors du forum du vêtement qui avait eu lieu en 1992 – ça fait déjà sept ans; ce n'est pas la première fois qu'on parle de ces questions-là – voilà sept ans, en 1992, on s'était engagé sur une proposition qui était beaucoup plus englobante pour dynamiser l'ensemble du secteur, pour travailler sur les différents volets pour améliorer la compétitivité, pour améliorer la productivité.

Et vous savez aujourd'hui une des grandes caractéristiques des organisations syndicales dans ce monde hautement compétitif... On me demandait il y a quelque temps quelle était la différence entre les organisations syndicales d'aujourd'hui et de voilà 20 ans. Ma réponse a été la suivante: Voilà 20 ans, il y avait une contestation systématique de tout; aujourd'hui, les syndicats ont compris que les entreprises et les marchés dans lesquels ils oeuvrent, ils doivent travailler en partenariat avec l'entreprise parce que le maintien des emplois, le développement de la qualité et l'amélioration de la qualité de leur emploi dépend de la situation de l'entreprise dans des marchés où la concurrence s'est intensifiée.

Et ça là-dessus la CSD depuis sept ans a dit au gouvernement qu'elle était d'accord, on va s'investir pour travailler à l'amélioration de la compétitivité du secteur de l'industrie du vêtement. Mais pour nous il y a une prémisse fondamentale, c'est: Ne nous enlevez pas le droit fondamental de faire bénéficier des fruits de la négociation collective aux 22 000 personnes. Si vous remplissez cette condition-là, on va être un partenaire de choix et on va travailler énormément à l'amélioration de la productivité, parce qu'on sait qu'on va être capable de négocier les résultats de l'amélioration de cette productivité en termes d'emplois par la création de nouveaux emplois. Et par l'amélioration de la qualité des emplois qui sont là, il va être plus facile d'augmenter leurs salaires et leurs autres avantages.

M. Gobé: Monsieur, lorsque ce débat a commencé, au printemps, la première déclaration de la ministre avait été: On va abolir les décrets pour créer 8 000 emplois. Par la suite, on a eu toutes sortes d'autres sons de cloche. Aujourd'hui, elle nous dit, il y a quelques minutes à peine: On est ici pour déterminer des normes sectorielles, on est ici pour empêcher que les employés soient soumis à l'arbitraire patronal le plus total, il y a un train qui passe. Là, on n'est plus dans la création des 8 000 emplois, parce qu'elle s'est rendu compte que c'était très démagogique d'apporter le problème dans ce sens-là. Les 8 000 emplois d'ailleurs ont été créés, et un peu plus, selon Statistique Canada – on parle de 8 500 – sous l'emprise des décrets.

Sauf qu'on revient au point de départ où la demande patronale était l'abrogation totale des décrets. Pas de régime spécial, pas de normes sectorielles. Ils sont venus nous le dire hier, ils nous le disent dans d'autres mémoires qui vont être déposés aujourd'hui: Le projet de loi n'est pas acceptable pour la partie patronale dans sa forme actuelle. Peut-être pour le titre, Abrogation des décrets, oui, mais, là, ce n'est plus ça qu'elle nous dit de toute façon. Elle dit qu'on est là pour bonifier le projet de loi, bonifier les conditions des travailleurs.

En ce qui concerne les travailleurs, les associations de travailleurs, comme la FTQ, comme vous, comme les dames de la Barmish qui sont venues hier, et d'autres, le projet de loi n'est pas non plus acceptable. On en convient?

M. Vaudreuil (François): Oui.

M. Gobé: On est dans une impasse, là. Là, la ministre, elle a deux choix: Ou elle continue puis elle légifère avec sa majorité envers et contre toutes les parties, pour des raisons différentes, il est vrai, ou alors on trouve une autre solution. C'est quoi, votre solution que vous auriez à proposer, vous, si vous en aviez une à proposer, pour sortir de l'impasse puis agir dans le meilleur intérêt de ce secteur, le premier secteur manufacturier au Québec?

M. Vaudreuil (François): ...

Le Président (M. Sirros): J'ai cru aussi... D'accord. M. Vaudreuil. Mais M. Beaudoin voulait peut-être intervenir aussi. En tout cas, M. Vaudreuil.

M. Vaudreuil (François): Alors, les solutions pour sortir de l'impasse... On a énormément de difficultés, nous, avec le concept de perdre un droit fondamental d'une société démocratique. Si quelqu'un osait un jour dire: Je vais enlever le droit de vote à un certain groupe de personnes dans la société, mais je vais peut-être vous consulter puis on regardera dans un délai pour voir ce qu'on peut faire après. Comment voulez-vous négocier la perte d'un droit fondamental? C'est de ça qu'on parle. Comment pouvez-vous négocier la perte d'un droit fondamental? Ça ne se négocie pas.

Nous, on prétend que, dans une société démocratique, on doit maintenir le rapport collectif. Et la proposition qu'on fait, on dit au gouvernement: Si vous pensez qu'on n'est pas représentatif des travailleuses et des travailleurs, si vous pensez que les travailleuses et les travailleurs n'en veulent plus, de décrets, si vous ne nous croyez pas – on vous lance un défi – organisons un véritable exercice démocratique, organisons un scrutin où chaque travailleuse et travailleur aura à se prononcer. Et, si la majorité des travailleuses et des travailleurs, ce qu'on prétend, veulent maintenir les décrets de convention collective dans l'industrie du vêtement, bien, là, pour permettre cet exercice-là, le gouvernement aura un signal à transmettre aux employeurs. Parce que la compétitivité, c'est de la foutaise. On les a créés, les emplois, au cours des trois dernières années. On a exporté. Ça, là-dessus, ça va bien. Ça, c'est le premier volet.

Le deuxième, on est d'accord à s'investir dans un exercice pour renforcer ce secteur-là, travailler sur les volets de productivité, sur la technologie, sur l'image de l'industrie; il y a plein d'affaires qu'on peut faire pour améliorer ça. Prenez l'exemple de la campagne de vêtements propres qui s'est faite en Belgique, qui est une campagne qui a réussi énormément.

(10 h 30)

On peut bâtir des choses semblables au Québec avec les regroupements de consommateurs. Il y a un ensemble d'idées qu'on fait. Mais ce qu'on vous dit, c'est: Est-ce que ce gouvernement-là a perdu le sens du bien commun? Comment peut-on enlever des droits fondamentaux? On ne peut pas accepter ça. La balance, on va négocier, on va trouver des solutions. Vous allez vous apercevoir qu'on a des propositions novatrices. Et ça, on ne manque pas d'idées. Mais on ne peut pas négocier des droits fondamentaux. C'est ça, notre problème de fond.

M. Gobé: Alors, M. Vaudreuil...

M. Vaudreuil (François): Excusez, Claude aurait...

Le Président (M. Sirros): Il reste à peu près cinq minutes en tout. Alors, s'il y a peut-être un complément de réponse...

M. Faucher (Claude): Oui, peut-être, rapidement, si vous me le permettez. C'est toujours étonnant de voir qu'un gouvernement ou que le législateur prétend vouloir améliorer la compétitivité d'un secteur d'activité des entreprises et que pour le faire le seul moyen qu'il trouve, c'est de taper sur la tête du monde. Vous savez, c'est le monde qui vote pour un gouvernement; il me semble que la première préoccupation d'un gouvernement devrait être de savoir qu'est-ce qui est bon pour le monde et non pas qu'est-ce qui est uniquement bon pour les entreprises.

Plutôt que de voir la Loi sur les décrets de convention collective comme un mal, pourquoi on ne voit pas la Loi sur les décrets de convention collective dans l'industrie du vêtement comme étant un apport positif à l'industrie? Qu'est-ce qu'on veut comme industrie du vêtement? Est-ce qu'on veut des «jobineux» qui marchent à la va comme je te pousse ou si on veut des entreprises qui s'organisent?

Nous pensons, à la CSD, que le fait d'avoir des conditions de travail qui s'uniformisent dans le secteur d'activité, ça constitue un avantage pour les salariés et ça constitue une pression justifiée sur le monde patronal pour qu'il s'organise en entreprise et trouve des moyens innovateurs pour pouvoir compétitionner dans des créneaux spécifiques sur un marché intéressant et qui produisent quelque chose que le monde achète. Ça devrait donc être considéré comme un avantage plutôt que comme un inconvénient. Puis arrêtez donc de taper sur la tête du pauvre monde qui travaille dans des caves et puis voyez donc voir s'il n'y a pas d'autre chose à faire que de taper sur la tête de ce monde-là.

Le Président (M. Sirros): Merci, M. Faucher. Je vois M. le député de LaFontaine et M. Beaudoin qui essaient d'intervenir...

Une voix: M. Roux, Henri-Paul.

Le Président (M. Sirros): Oui, M. Beaudoin?

Une voix: M. Roux.

Le Président (M. Sirros): Roux, excusez-moi.

M. Roux (Henri-Paul): Henri-Paul Roux. Écoutez, M. le Président, Mme la ministre, mesdames et messieurs de la commission, ça fait 44 ans que j'oeuvre dans ce secteur-là, je pense qu'il n'y en a pas beaucoup qui ont plus que ça ici dans ce secteur-là. Alors, à partir de là je trouve déplorable certaines remarques qui ont été passées ce matin. Moi, je dois quand même vous ramener sur la surface dans quelque chose, là. Exemple, depuis 1993, on n'est plus capable d'avoir des amendements aux décrets. Pourquoi? Parce que quelqu'un à un moment donné est allé dire aux employeurs que possiblement, l'abrogation des décrets, ça viendrait.

Alors, j'ai des documents dans mon bureau depuis 1973 où on parle de modifications des décrets, d'abolition, de maintien. Je ne sais plus exactement où on s'en va. Il y a une chose qui est sûre et certaine, c'est que depuis 1993 puis 1994 on n'a pas amendé les décrets, et je dois vous dire qu'aujourd'hui on a appauvri le secteur. Ce que vous vouliez, ne vouliez pas, c'est des règles tragiques. À partir de là, depuis ce temps-là, je dois vous dire que certains et plusieurs, même, employeurs sont dans l'obligation de payer un peu plus cher que les taux de décrets. Pourquoi? Parce que les taux de décrets ne sont plus conformes à la réalité, ils ne sont plus capables d'avoir du personnel.

Alors, pourquoi on change si souvent de personnel? Ce n'est pas compliqué, c'est que les gens passent, juste passer, et continuent ailleurs. Ils retournent à l'école. Pourquoi? Pour simplement aller chercher un autre métier parce que dans le secteur l'avenir est moins. Mais à travers tout ça, avec les monoparentales, les familles reconstituées, les personnes qui sont obligées de travailler – la menace de perdre leur bien-être social ou quoi que ce soit – vont dans ce secteur-là.

Et je dois vous dire aussi qu'au niveau de la productivité depuis 1992 un effort constant a été fait. Alors, il ne faut plus en demander aux travailleuses plus que ça. La technologie commence à prendre place, nos employeurs vont à l'exportation. Moi, je dois vous dire une chose: Il ne manquerait pas grand-chose pour qu'on puisse continuer à fonctionner sans encore tout chambarder puis être dans l'insécurité pour les deux prochaines années.

Alors, moi, je vous le dis et je vous le répète, j'ai travaillé continuellement avec ces gens-là, je n'aurai probablement pas la chance de voir comment ça va finir parce qu'à un moment donné une carrière, ça se termine, mais ça serait déplorable de voir tous les efforts qu'on a faits depuis des années pour améliorer des choses et en arriver là. Alors, Mme la ministre, M. le Président, je vous demande de faire attention à ça.

Le Président (M. Sirros): Merci beaucoup. Je demanderais au député de LaFontaine d'être très bref. Il reste à peu près une minute, M. le député de LaFontaine, pour conclure cette présentation.

M. Gobé: Alors, M. Vaudreuil, hier le président de la FTQ, lorsqu'il est venu ici, a fait valoir lui aussi des points semblables et allant dans la même direction que ceux que vous venez de faire valoir. Il a constaté lui aussi qu'il y avait un blocage sur ... de la situation. Hier, j'en ai profité pour lui suggérer, lui demander s'il trouverait correct de prendre un moratoire sur le projet de loi, d'arrêter ce projet de loi là, d'écouter les dernières personnes qui vont venir aujourd'hui, qui ont été invitées, et de continuer de tenir en vigueur les décrets après la date du 31 décembre. Parce qu'on sait qu'ils s'arrêtent au mois de décembre, hein, mais, si une partie en fait la demande, selon la loi, l'article 2 de la loi, le gouvernement peut... toute partie peut demander à ce que les décrets soient continués, se mettre un espace dans le temps pendant lequel les intervenants du milieu de l'habillement s'attableraient pour regarder ensemble les irritants de l'industrie, selon un, selon d'autres, et revoir le cadre général de fonctionnement des décrets.

Il y a eu des hypothèses qui ont été avancées par Mme Françoise David, hier, qui étaient la fusion des quatre décrets. Il y a eu des études qui ont été faites par le ministère – je ne dis pas que c'est ça qu'il faut faire, mais qui étaient une des solutions – par des experts, qui amenaient aussi...

Le Président (M. Sirros): ...M. le député.

M. Gobé: ... M. le Président, c'est important, ce que j'ai à demander, là, qui...

Le Président (M. Sirros): Je sais, mais c'est aussi important de se maintenir à l'intérieur du temps que nous avons.

M. Gobé: ...demandaient aussi, qui proposaient selon cette solution. Est-ce que vous seriez en faveur de ça, donc, arrêter le projet de loi, continuer le système actuel pour l'instant, puis développer des nouvelles voies de consensus entre les parties pour dynamiser le secteur et sortir de cette situation où personne ne va rien gagner d'après ce que je peux voir, si elle continue à vouloir légiférer toute seule?

Le Président (M. Sirros): Merci. M. Vaudreuil, en conclusion.

M. Vaudreuil (François): Bien, écoutez, sans avoir consulté les gens, je vous dirais a priori qu'on ne serait pas fermé à une telle proposition. Cependant, on a beaucoup de réserves; et les réserves qu'on peut avoir, et le chat échaudé craint l'eau froide, il y a eu beaucoup de consultations qui ont été faites dans des formes parfois questionnables au cours des dernières années. Et, si l'exercice de la consultation n'arrivait pas avec des résultats rapides, si on n'avait pas de garanties de résultats rapides – puis à la CSD, on est prêt à s'investir intensément – et si ce n'est pas structuré de manière à nous conduire à des résultats consensuels rapides, évidemment ce qu'on demande, c'est le maintien des décrets.

S'il y a un exercice sérieux semblable, on est ouvert à un moratoire, mais il ne faudrait pas que ce dossier-là traîne, il faudrait que ça se règle rapidement. Puis, nous, on pense qu'en s'assoyant avec les associations d'employeurs, il y a du monde... La majorité des employeurs là-dedans, c'est des gens qui sont parlables, et on serait capable de bâtir quelque chose, parce que, eux aussi, ont intérêt à maintenir ce régime-là. Je veux dire, les petites unités, la concurrence, ça existe encore ces éléments-là, ce n'est pas disparu aujourd'hui.

Le Président (M. Sirros): Merci beaucoup. Avec ça, on va conclure et on va passer au prochain groupe, en vous remerciant pour votre présentation, qui est le Comité paritaire de l'industrie de la chemise pour hommes et garçons et du gant de cuir, à qui je demande de prendre place. On va suspendre deux secondes, le temps de permettre à ces changements de s'effectuer. Merci.

(Suspension de la séance à 10 h 38)

(Reprise à 10 h 43)

Le Président (M. Sirros): Alors, si on pouvait reprendre nos places, on pourrait recommencer nos travaux avec la présentation du Comité paritaire de l'industrie de la chemise pour hommes et garçons et du gant de cuir.

Je vous demanderais de vous présenter ainsi que ceux qui vous accompagnent. Je pense que vous connaissez les règles du jeu, alors on pourra sans plus tarder y aller tout de suite.


Comité paritaire de l'industrie de la chemise pour hommes et garçons et du gant de cuir

M. Saint-Pierre (André): Ça va, M. le Président. Tout d'abord, à ma droite, je voudrais vous présenter Me Daniel Dubuc, directeur général du Comité paritaire de l'industrie de la chemise et du gant de cuir; à ma gauche, M. Robert Bougie, représentant de la Fédération des syndicats du textile et du vêtement de la CSD; et moi-même, André Saint-Pierre, président de la Guilde des manufacturiers de chemises, président du conseil d'administration du Comité paritaire et également directeur général de la Chemise Perfection.

Premièrement, nous tenons à remercier l'honorable ministre du Travail et de l'Emploi, Mme Lemieux, le président et les membres de la commission parlementaire de l'opportunité qui nous est offerte de nous prononcer sur le projet de loi n° 47. Nous proposons à la commission de faire un résumé du mémoire, pour ensuite donner la parole aux autres représentants si le temps le permet. Si la commission parlementaire devait poser des questions d'ordre technique ou statistique lors de la période d'échanges, notre directeur général, Me Dubuc, pourra y répondre. D'ailleurs, j'invite personnellement Mme la ministre, après les délibérations, dans un avenir rapproché, à venir nous visiter à nos usines puis de voir exactement qu'est-ce que c'est la réalité. On est situé en Beauce, à seulement 1 h 30; alors, je pense que ça serait peut-être pertinent.

Depuis des décennies, le régime des décrets a été bénéfique aux employeurs et aux salariés des industries de la chemise et du gant de cuir en leur permettant de déterminer de façon consensuelle les conditions de travail justes et raisonnables dans leur secteur. En ce faisant, le régime a favorisé le maintien d'une paix industrielle, malgré les années de récession économique, les importations en pays de développement – je dois vous dire que dans notre secteur, la chemise pour hommes, on vit dans un secteur où est-ce que 90 % du marché canadien est accaparé par les importations, que ce soit les pays de l'Orient ou les pays d'Amérique latine – également le traité de libre-échange et le refus du ministère du Travail à donner suite aux requêtes et aux amendements des décrets des deux industries.

Depuis, la situation économique s'est améliorée à un point tel que les industries se sont repositionnées avantageusement. Ce régime particulier de travail a permis aussi de constituer un forum privilégié de concertation et de discussion qu'autrement les parties patronale et syndicale n'auraient pu s'offrir. Je pense que vous en avez l'exemple vivant ici ce matin.

Le régime des décrets ne peut être comparé à la Loi sur les normes du travail, qui fixe les conditions minimales de travail étatique, ou au Code du travail, qui laisse aux employeurs et aux salariés le soin de les déterminer eux-mêmes. Le régime des décrets est plutôt un mode mitoyen de régime de travail, qui consiste pour l'État à faire le sien le résultat de l'action libre des parties.

Malheureusement, le projet de Mme la ministre Lemieux, le projet de loi n° 47, propose de détruire cette action libre des partenaires sociaux ou des industries de la chemise et du gant de cuir, malgré la déclaration faite par le ministère et les ministres prédécesseurs de ne pas intervenir dans les secteurs où il y a une volonté de maintenir des décrets. Écoutez, chez nous, dans notre secteur, on s'entend bien, ça va bien, on est heureux dans ça, on a une paix; je pense que ça fait plusieurs années qu'on réussit à s'entendre, alors on se demande pourquoi... On nous dit qu'on n'a pas la volonté d'intervenir où est-ce qu'il n'y en a pas de problème, mais on vient intervenir directement chez nous. Cette volonté d'ailleurs fait l'unanimité autant chez les employeurs syndiqués que non syndiqués tous ici présents.

Les parties contractantes rejettent donc l'imposition temporaire ou permanente des conditions minimales de travail étatique qui par surcroît sont inconnues, mal définies et régressives. Aussi, elles ne peuvent accepter que ces conditions de travail soient administrées par un organisme, même aussi reconnu que la Commission des normes du travail, qui ne possède pas les outils nécessaires à les appliquer ou la connaissance adéquate dans le milieu.

On doit fournir au comité paritaire des rapports mensuels, c'est des outils de travail. En tant qu'employeur, chez nous ou chez bien des employeurs, ce n'est pas un problème, de fournir les rapports mensuels; ce n'est pas un problème, avec les systèmes informatiques qui existent, c'est facile. Alors, je pense que la Commission des normes n'a pas les outils actuellement pour être capable de prendre la relève des comités paritaires.

Le projet de loi n'est ni plus ni moins qu'une déréglementation et une régression progressive des conditions de travail des milliers de salariés, d'hommes et de femmes, de l'industrie du vêtement vers les normes minimales provinciales qui provoqueront l'appauvrissement et la démotivation des salariés qualifiés.

Écoutez, ce n'est pas compliqué, dans notre industrie, là, quand on veut survivre... On survit avec quoi, chez nous? On survit avec la main-d'oeuvre. On vend de la main-d'oeuvre. Ce n'est pas compliqué, ça, là. Si on s'en va s'attaquer à ces gens-là... Notre meilleur actif, c'est la main-d'oeuvre, puis ce qui nous sauve, en tout cas plus particulièrement chez nous, dans la Beauce, c'est la productivité de la main-d'oeuvre. Si on commence à créer des climats d'incertitude, comment on va faire? Notre dernier actif, il est là, c'est la productivité de nos employés, alors il ne faudra pas commencer à jouer dans ces choses-là.

Et aussi une autre chose au niveau de la main-d'oeuvre: on commence tranquillement à manquer de relève. Je n'ai pas besoin de vous faire de dessin. Bon, la dénatalité, les gens veulent de plus en plus être scolarisés, on a des problèmes à recruter de la nouvelle main-d'oeuvre. On se réveille à moyen terme avec une main-d'oeuvre qui est vieillissante et qu'on a de la difficulté à remplacer. Si on n'est pas capable d'offrir des conditions de travail raisonnables, comment on va faire pour les garder chez nous, ces gens-là? Conséquemment, une déréglementation amplifiera la pénurie de main-d'oeuvre, ouvrira la porte à des abus et à plus de travail au noir, tout en encourageant la concurrence déloyale.

Pas plus tard qu'au mois de juin il y a quelqu'un de Montréal qui m'appelait, un donneur de travail, qui me disait: Bien, aussitôt que ça va être déréglementé, bon, je pense que je vais peut-être commencer à regarder la possibilité d'ouvrir une usine, bon, puis de regarder, ça pourra peut-être être intéressant de commencer à fabriquer de la chemise. Je dois vous dire que, quand j'entends ces choses-là, je n'aime pas ça. Il nous reste, au Canada, 10 % de notre marché; la balance appartient aux importations. Puis, là, je suis en train de m'apercevoir qu'il y a peut-être des gens ici, au Québec, qui vont arriver puis qui vont venir gruger notre petit 10 % de marché qui nous reste. Je dois vous dire que je commence à ne pas aimer ça.

(10 h 50)

Cette seule suggestion, de fixer éventuellement un taux horaire minimal unique pour tous les métiers et sans échelle de salaire, est en soi la preuve que l'on vise une réduction préjudiciable des conditions de travail et dénote une incompréhension totale de la réalité et des vrais problèmes de l'industrie du vêtement que sont la formation, l'investissement technologique, la hausse de productivité, et non les salaires. Les problèmes ne sont certainement pas les rares cas de double assujettissement ou même la diversification de la production.

Quand on parle de double assujettissement, écoutez, ce n'est pas un vrai problème. Il y a des cas mineurs qui existent, mais, quand on regarde vraiment dans son ensemble c'est quoi, les problèmes de double assujettissement, il y a toujours moyen de s'entendre, il y a toujours moyen de collaborer pour arriver avec des choses intéressantes.

L'adoption du projet de loi n° 47 signifiera-t-elle que la prochaine étape de l'allégement réglementaire sera à même de remettre en question la Loi sur les normes du travail? Il est à parier que cela est fort possible dans les circonstances. Encore une fois, la solution ne réside pas dans la diminution des salaires mais plutôt dans une rationalisation de la réglementation. En tant qu'employeurs on a à vivre toutes sortes de contraintes qui sont quand même intéressantes pour nos gens, que ce soit la Loi sur la santé et sécurité au travail, que ce soit sur l'équité salariale, sur la formation, mais à un moment donné, quand on vient jouer trop dans nos plates-bandes... on est là pour faire des affaires, mais on n'a plus le temps de faire des affaires, il faut toujours s'occuper des choses gouvernementales dans lesquelles on a beaucoup de difficulté à vivre.

Qui plus est, aucune étude d'impact du projet de loi n'a été effectuée afin d'en évaluer les conséquences et les effets sur les entreprises et la main-d'oeuvre. Aucune consultation générale des salariés non syndiqués et des employeurs non regroupés du vêtement n'a été tenue afin de connaître objectivement leurs opinions. Je parle avec beaucoup d'employeurs au niveau provincial, et plus particulièrement dans ma région, puis je m'aperçois que ce n'est peut-être pas unanime l'affaire, là, autant pour les employeurs que pour les employés, la déréglementation qui nous est proposée.

Nous réclamons donc dans l'intérêt général une telle étude et consultation avant que la commission parlementaire ne prenne une décision finale. Cependant, pour ce faire il y aurait lieu que tout le contenu réglementaire suggéré soit défini et connu de tous. Bon, on nous dit que, oui, pendant une période de deux ans, bon, il y a certaines conditions qui vont être maintenues, mais des gros points d'interrogation... on ne peut pas souscrire au projet parce qu'on ne sait pas ce qu'il va y avoir après deux ans.

Je peux comprendre qu'il y aura une consultation, qu'il y aura un paquet d'audiences et de réunions à ce propos-là, mais il reste qu'actuellement on nous demande notre opinion sur quelque chose qu'on ne connaît pas.

Nous aimerions souligner à la commission parlementaire que les industries de la chemise et du gant de cuir ont été entraînées contre leur gré dans un processus de déréglementation qu'elles ne désirent pas et d'autres secteurs du vêtement réclament plutôt les leurs.

En conclusion, les parties patronales et syndicales s'objectent au projet de loi n° 47 et demandent à la commission parlementaire de l'économie et du travail: le retrait ou la suspension du projet de loi n° 47; le maintien de leurs décrets respectifs; une étude d'impact et par la suite la tenue d'une consultation générale des salariés non syndiqués et employeurs non regroupés en associations; de nouvelles auditions à la commission parlementaire sur les résultats obtenus.

Et d'emblée elles se disent toujours prête à discuter de l'amélioration de la réglementation et de la fusion progressive de tous les décrets. Bon, la fusion progressive, il en a été question pendant plusieurs années puis on croit, chez nous, Comité paritaire de l'industrie de la chemise, que c'est un sujet qui n'a peut-être pas été approché puis étudié à fond. Je pense que, si tout le monde y mettait un peu de volonté, il y aurait peut-être moyen de faire quelque chose.

Fusion, si elle était réalisée depuis, aurait vraisemblablement réglé de façon civilisée et ordonnée les problèmes décriés par le patronat et apaisé les craintes des salariés. La fusion aurait procuré ainsi les avantages suivants: uniformisation immédiate des clauses normatives de travail, telles que celles reliées aux heures de travail, jours fériés ou périodes de vacances; uniformisation progressive des salaires et rationalisation des diverses classes de métiers.

C'est bien clair qu'on réalise aujourd'hui que le régime de décrets, il a besoin de dépoussiérage important, on l'admet, ça, puis on le voit. Même, nous autres, en tant qu'employeurs il y a des contraintes administratives qui sont difficiles à vivre, puis il y a un ménage à faire. Mais je pense qu'on n'est pas obligé de tout bousculer puis de tout tirer à la poubelle parce qu'il y a un dépoussiérage à faire.

L'arbitrage prévu à l'article 11 de la Loi sur les décrets de convention collective basé sur l'application du critère de l'activité prépondérante dans l'entreprise – quand on parle ici de l'élimination progressive des rares cas de double assujettissement; l'opportunité de diversifier la production pour les entreprises en mesure de le faire; une meilleure représentativité des parties patronale, syndicale et des tiers de l'industrie du vêtement – je vous ramène toujours en vous disant ce que la fusion vous aurait procuré; une protection maintenue des salariés; un meilleur contrôle du travail au noir – puis ça je pense que le travail au noir, là, il ne faut pas se le cacher, il faut s'enlever la tête dans le sable, il faut voir ce qui se passe, s'il y a des millions, voire des milliards de dollars que le gouvernement pourrait aller chercher, c'est peut-être là; la simplification, uniformisation et rationalisation de la bureaucratie et de l'administration des décrets par la fusion des divers comités paritaires.

En terminant, les parties patronale et syndicale de l'industrie de la chemise et du gant de cuir assure l'honorable ministre du Travail et de l'Emploi, Mme Lemieux, et les membres de la commission parlementaire de leur collaboration, qui leur est déjà acquise. Notre collaboration, on vous l'offre. On est prêt à faire des démarches, on est prêt à travailler avec vous autres; tout ce qu'on demande, à l'occasion, c'est d'être invité. On a été ignoré en tant que comité paritaire ou en tant qu'association à plusieurs reprises depuis plusieurs années; alors, on voudrait avoir notre place au soleil, nous autres aussi.

Avant de terminer, je voudrais vous parler un petit peu du cas particulier de l'entreprise chez nous. Je vais changer mon chapeau de président du Conseil du comité paritaire de l'industrie de la chemise pour mettre mon chapeau de celui de directeur général d'une entreprise.

La Chemise Perfection, on est situé à Courcelles et à Saint-Gédéon, en Beauce. On est en affaires depuis plus de 52 ans puis on a au-delà de 450 employés actuellement. Comme je vous l'expliquais tantôt, malgré le fait que les importations accaparent plus de 90 % de notre marché, du marché canadien dans le secteur de la chemise, nous produisons tout de même 40 000 unités par semaine, dont 60 % va directement à l'importation. Bon, il faut être imaginatif, il faut trouver des niches particulières; il y a un paquet de choses qu'on peut faire, mais il ne faut pas se cacher non plus le taux de change, il nous avantage grandement. Bon. O.K., c'est bien beau. On a été beau, on a été fin, on a été fort, mais le taux de change, là, il nous a aidé.

Qu'est-ce qui fait qu'on puisse maintenir cette cadence malgré la compétition internationale? C'est la qualité puis la productivité de nos employés. Quand l'Américain nous demande une livraison rapide, on est capable de répondre pas mal mieux que les Américains sont capables de le faire ou pas mal mieux que les importations venant des pays de l'Orient sont capables de le faire. Ça, c'est par la qualité de la main-d'oeuvre.

Quand on dit à nos employés: Bien, voici, il vient de nous rentrer une commande de 25 000 chemises puis on a quatre semaines pour la faire, tout le monde embarque puis tout le monde la fait. Mais, si on fout le bordel puis on enlève la paix sociale dans nos industries, je me demande comment on va être capable de réussir ces choses-là. Le seul point de compétitivité qu'on peut avoir, c'est le service puis la qualité de nos produits. Alors, écoutez, là, les conditions salariales, on va les maintenir comme elles sont là, puis il faudrait peut-être les bonifier pour être capable de garder notre main-d'oeuvre à long terme puis d'en recruter de la nouvelle.

Quand je dis bonifier, là, il faut faire attention. Je ne vous dis pas de garrocher des augmentations de salaire à gauche puis à droite comme ça. On a une moyenne de salaires payés, chez nous, d'environ 12 $ de l'heure, puis ce n'est pas parce que j'ai décidé de payer plus cher que les autres. C'est parce qu'on a organisé nos systèmes de production pour que les employés puissent atteindre ces niveaux de salaires là en augmentant la productivité. Alors, c'est là que ça devient intéressant pour eux autres de venir travailler.

On sait déjà que des gens de l'industrie n'attendent que la déréglementation pour se lancer à nos trousses de façon déloyale, et ce, au détriment de la main-d'oeuvre, les gens que nous engagerons, et finalement au détriment de la main-d'oeuvre chez nous, la Chemise Perfection. Ce n'est pas compliqué, ça, là, là. On va déplacer des jobs. On n'en créera pas des milliers, là, on va en déplacer, des jobs. On va prendre des emplois qui sont tout de même de qualité raisonnable chez nous puis on va les remplacer par des emplois qui vont être de qualité inférieure.

Écoutez, chez nous, on vit la paix sociale, au Comité paritaire de l'industrie de la chemise, on aimerait bien que ça continue. Puis on est prêt à collaborer pour du dépoussiérage et de l'amélioration. Sur ce, je cède la parole à M. Bougie. Merci de votre attention.

Le Président (M. Sirros): Alors, merci beaucoup. On passera peut-être tout de suite à la période de questions, du côté ministériel, avec Mme la ministre, pour une période de 20 min.

Mme Lemieux: M. Saint-Pierre, ainsi que vos collègues, merci de votre présentation extrêmement concrète. J'apprécie beaucoup. Je vous signale – vous dites: Il n'y a pas d'étude d'impact – que, hier, en introduisant cette commission, j'ai déposé une analyse des impacts. Évidemment, on essaie... C'est difficile à mesurer, mais on a travaillé autour d'un certain nombre d'hypothèses. Alors, ça, je vous invite à en prendre connaissance et à nous revenir là-dessus au besoin.

(11 heures)

Il y a deux choses qui m'intéressent suite à votre présentation. La première, c'est que vous dites finalement – je le redis dans mes mots à moi: Les décrets, ça permet de gérer la concurrence. Vous êtes un entrepreneur, j'imagine que vous croyez minimalement au libre marché, je suis un peu étonnée de votre perspective par rapport à ça. J'aimerais ça vous réentendre là-dessus.

L'autre chose, je vois bien que vous n'êtes pas tout à fait confortable avec le projet de loi. Je vous inviterais quand même à bien l'examiner, parce que, je l'ai dit hier, ce qu'on vise à faire, c'est d'établir un certain nombre de normes sectorielles qu'on inscrirait dans la Loi sur les normes du travail, et des normes évidemment qui seront différentes, donc supérieures – jusqu'à quel point? on va le voir – par rapport aux normes minimales du travail. Donc, on choisit de maintenir, dans un certain sens, un régime d'exception pour ce secteur-là. Alors, il faut être bien au clair par rapport à ça.

Vous dites dans votre mémoire que, bon... même si vous ne sautez pas de joie par rapport au projet de loi, vous faites quand même quelques commentaires sur ce qui est envisagé. Vous dites à un moment donné: Quelle que soit la réglementation envisagée par le ministère du Travail, elle devra être appliquée de façon efficace afin d'atteindre deux objectifs, soit le respect des conditions de travail et la prévention des abus. Je vous suis parfaitement là-dedans. Et j'aimerais ça vous réentendre là-dessus, parce que vous savez que le choix qu'on fait, c'est de donner un mandat à la Commission des normes du travail pour développer un programme et des interventions spécifiques dans le secteur du vêtement. Et vous avez l'expérience aussi d'un comité paritaire.

Vous savez, on a une chance extraordinaire parce qu'on met à la disposition de ce secteur-là une organisation, une infrastructure. On part à partir de l'expérience qui existe déjà bien sûr, on sait qu'on va transférer les inspecteurs, on ne part pas de rien, et on jumelle cette expertise-là à une infrastructure déjà existante et une commission aussi qui est très claire à ce sujet-là, que surveiller dans ce secteur-là, c'est beaucoup plus que se rendre dans une entreprise puis inspecter des registres. Ce n'est pas négligeable quand je dis ça. Je veux vous comprendre, ce n'est pas du tout péjoratif.

Mais c'est plus que ça, un programme de surveillance. C'est être proactif avec les employeurs. Il y a toutes sortes d'exemples. Par exemple, la Commission des normes, ces dernières années, a fait des interventions très, très soutenues dans le secteur de la restauration et de l'hôtellerie, un secteur où il y a des caractéristiques un petit peu similaires: faible salaire, travail au noir, etc. Et elle a réussi à faire des interventions, par exemple la dernière année, dans plus de 1 000 établissements.

Et je pense qu'il y a moyen de développer un programme, une stratégie d'intervention où il y a à la fois de l'aide qui est apportée aux entreprises et à la fois un traitement des plaintes qui est extrêmement rapide, à la fois la possibilité d'inspecter sans qu'il n'y ait de plainte et à la possibilité de développer des séminaires, des moments, des outils d'information, parce qu'on se rend compte que les gens dans ce secteur-là ne connaissent pas bien leurs droits.

Alors, tout ça pour dire que j'aimerais ça vous entendre sur quand vous dites: Il faut que ça soit appliqué, cette réglementation, de manière efficace afin d'atteindre deux objectifs: le respect des conditions de travail et la prévention des abus. J'aimerais ça que vous nous indiquiez un peu les ingrédients. On a une chance devant nous d'en monter un, bon programme de surveillance, d'inspection, de prévention. C'est quoi, les ingrédients indispensables?

M. Saint-Pierre (André): Oui. Merci, Mme Lemieux. Pour répondre un peu à vos questions, vous m'avez parlé de gérer la concurrence. On parle de concurrence, on parle de compétition entre entrepreneurs ou que ce soit avec des pays étrangers ou les États-Unis. Ça, ça en est un, type de concurrence, ça. Oui, il faut être meilleurs au niveau du prix, de la qualité, du service, et tout ce qu'on voudra. Mais j'en ai une autre concurrence à gérer, moi, chez nous, dans la Beauce, c'est la concurrence de la main-d'oeuvre aussi.

C'est un problème majeur, ça. On ne le vit peut-être pas en région urbaine comme à Montréal, mais je peux vous dire, chez nous, on est à peu près 950 de population dans mon petit village. Je n'ai pas besoin de vous dire que les gens, je les ai à peu près tous qui travaillent chez nous. On a une ambiance de travail extraordinaire. C'est mon voisin, c'est mon beau-frère, c'est ma belle-soeur, c'est mon oncle, c'est ma femme, c'est mon meilleur chum avec qui je vais jouer au hockey le mercredi soir.

On a un problème sérieux, nous autres, c'est de gérer la concurrence de la main-d'oeuvre entre entreprises locales. S'il y a quelqu'un qui décide demain matin de commencer à jouer dans les conditions de travail, je vais vous dire que je commence à avoir des problèmes à trouver des gens pour remplacer ma main-d'oeuvre vieillissante. Quand je vois des entreprises dans d'autres secteurs, que ce soit le granite, le bois, l'acier ou ces choses-là, qui ont quand même, dans certains secteurs, des conditions de travail respectables, puis que je vois mes gens s'en aller là parce qu'on n'est pas capable d'offrir des... Parce que la concurrence déloyale qui va nous être menée va peut-être forcer à réviser certaines choses, à prendre des décisions drastiques; je dois vous dire que ce n'est pas intéressant.

Mme Lemieux: Je veux juste poser une petite sous-question là-dessus, là, je ne veux pas prendre trop de temps. Dans le fond, vous me dites: Si ces normes sectorielles qui comprennent des taux horaires... Notamment notre taux horaire, s'il est trop bas – c'est ça que vous dites – s'il est trop bas, ça vous crée un problème de pénurie de main-d'oeuvre.

M. Saint-Pierre (André): Ça crée un problème d'autonomie de main-d'oeuvre parce que je sais qu'il y a quelqu'un à quelque part au Québec qui va l'utiliser, ce taux bas là, puis qui va venir jouer dans mon marché. C'est là, mon problème. Une autre chose aussi. Vous parlez de maintien des choses actuelles, mais je dois vous dire que dans votre projet de loi, juste au niveau du taux de vacances, vous y allez avec le taux de vacances du décret du vêtement pour hommes alors que le Comité paritaire de l'industrie de la chemise est plus élevé que ça. Je veux dire, déjà là au départ, ce n'est pas un maintien intégral des conditions de travail qu'on a actuellement. Moi, chez nous, dans mon usine, je dois vous dire que je n'aurai pas de problème à respecter ces choses-là, mais où est-ce que je vais commencer à avoir un problème, c'est quand quelqu'un va venir me mener une concurrence avec ces taux-là. Là, je peux avoir des problèmes.

Mme Lemieux: Puis vous ne voulez pas me parler un petit peu, comment la surveillance, c'est quoi, les ingrédients pour vraiment développer des interventions pertinentes de surveillance de respect des lois, etc.

M. Saint-Pierre (André): Ecoutez, il y a déjà un système qui existe, puis je pense qu'il a besoin d'améliorations effectivement. Même le ministère du Revenu de votre gouvernement n'a pas été capable de faire des systèmes d'inspection plausibles pour contrer le travail au noir. Alors, je pense qu'il va peut-être falloir s'asseoir ensemble puis trouver une solution à ce problème-là.

Mme Lemieux: O.K.

Le Président (M. Sirros): Ça va?

Mme Lemieux: Oui.

Le Président (M. Sirros): M. le député Gaspé.

M. Lelièvre: Merci, M. le Président. Au cours de la journée d'hier – je sais que vous étiez représentés ici, en tout cas, le Comité paritaire, vous étiez présents – on a entendu les employés de Barmish nous dire que, même avec le Comité paritaire, il y avait des abus, il y avait des difficultés à faire respecter leurs conditions de travail. Dans votre présentation, ce matin, vous disiez que l'abolition des décrets allait ouvrir la porte à des abus. J'aimerais ça avoir plus d'explications là-dessus. Vous comprenez que nous ne sommes pas familiers avec tous les détails du fonctionnement quotidien des usines puis de l'application des décrets, en tout cas comme parlementaires. Alors, c'est important de savoir de vous, quand vous affirmez une chose comme ça, qu'est-ce qui en est exactement?

M. Saint-Pierre (André): Écoutez. Des abus, il y en a partout. Dans tous les secteurs que ce soit... n'importe lequel secteur industriel, il y en a des abus, il ne faut pas se le cacher.

Chez nous, si je commence à jouer cette game-là – excusez-moi l'expression – si je commence à jouer dans ce sens-là, je viens de me tirer dans le pied. Mais il y a toujours quelqu'un à quelque part qui va profiter de la situation pour abuser de ces gens-là puis venir nous mener une concurrence déloyale. Puis actuellement je pense qu'il y a un bout de chemin à faire que le ministère ne fait pas. On vient tout chambarder dans un système qui fonctionne peut-être à 75 %. D'accord, il y a un 25 % à corriger; on peut s'asseoir, on peut le corriger, puis on peut s'enligner. Mais, quand je parle de cas d'abus, je ne parle pas en mon nom personnel, parce que, si je commence à faire cela, je viens de me tirer dans le pied, ce n'est pas compliqué.

M. Lelièvre: Mais ce n'est pas l'objet de ma question, je vous parle de l'industrie en général. J'aimerais ça avoir quelques exemples, là. Est-ce que c'est au niveau du salaire? Est-ce que c'est au niveau des vacances, des congés de maladie, des absences pour des raisons familiales?

M. Saint-Pierre (André): Ecoutez, ça peut être à peu près n'importe quoi. Premièrement...

M. Lelièvre: La rémunération.

(11 h 10)

M. Saint-Pierre (André): ...le cas d'abus qu'on va avoir le premier, c'est au niveau du salaire. Ça, ce n'est pas compliqué, là, au niveau des heures de travail. Moi, chez nous, on a investi des millions de dollars en équipement, on travaille 36 heures et demie/ semaine. Le gars à côté qui pourra en travailler 40, je pense qu'il y a un gain de productivité important. Ça peut être sur les heures de travail. Ça peut être sur les taux de vacances. Déjà là, au taux de vacances, dans le projet de loi de la ministre, le taux de vacances est plus bas que notre taux à nous autres. Le prochain qui se partira dans mon secteur, il n'appliquera pas le taux de vacances que j'ai actuellement, il va appliquer le taux qui est dans le projet de loi. C'est ces choses-là.

M. Lelièvre: Il nous reste encore du temps, M. le Président?

Le Président (M. Sirros): Il reste encore quelques minutes.

M. Lelièvre: Donc, je vais les réserver pour la fin.

Le Président (M. Sirros): Bon, d'accord. M. le député de Maskinongé.

M. Désilets: Non, ça va.

Le Président (M. Sirros): Ça va. Mme la ministre? M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Merci, M. le Président. Oui, vous avez raison... Bonjour messieurs, d'abord. Mme la ministre avait raison lorsqu'elle vous a dit qu'elle a déposé une analyse d'impact, mais je vous encourage à la lire, et ça répondra à vos question. Et, si elle-même l'a lu, à sa place je retirerais le projet de loi tout de suite sans aller plus loin, parce que cette analyse d'impact vient nous faire la démonstration que l'abolition des décrets ne réglerait en rien du tout les problèmes ou les situations qui peuvent nuire à la compétitivité ou qui pourraient nuire à la compétitivité de l'industrie. Au contraire, elle nous indique qu'il y aura des problèmes importants pour les travailleurs; je vous ai cité un paragraphe. «Par contre, il ne faut pas passer sous silence les effets que pourraient subir notamment les travailleurs non syndiqués des quatre secteurs assujettis, qui risquent de voir une certaine détérioration de leurs conditions de travail et une diminution plus ou moins marquée de leurs revenus de travail.» C'est juste pour les travailleurs, ça.

Maintenant, si on parle de la compétitivité, le fait que ces conditions de travail baissent, que les travailleurs paient le prix de l'opération de la ministre, on s'attendrait à ce que de l'autre côté au moins il y ait un gain positif dû à cela et découlant de cette situation. Et je continue. «Comme les changements dans les salaires et autres conditions de travail ne semblent pas provoquer une onde de choc sur le niveau de l'emploi dans l'industrie de l'habillement – il y a des tableaux qui expliquent tout ça à l'intérieur; onde de choc ça veut dire, ça ne provoque pas un très grand mouvement – et il faut regarder ailleurs pour débusquer les variables qui influent sur l'emploi – donc qui ferait en sorte qu'il se crée plus d'emplois, d'accord, dans ce domaine-là, et on sait que ça nous en a créé beaucoup depuis quelques années. Ainsi, si l'on se réfère au scénario examiné par les employeurs et présenté dans leur document intitulé Repositionnement de l'industrie québécoise de l'habillement – Horizon 2000: création de 8 000 emplois , ce serait – la recherche, l'auteur continue – davantage les investissements consacrés à accroître la production et les efforts pour accroître les exportations qui influenceraient sur le niveau de l'emploi.»

On parle d'investissements, on ne parle pas de coupures du personnel, là, pour accroître la production et les efforts pour accroître les exportations. Je crois que ça rejoint ce que vous dites ça aussi. Les salaires, ça, ce n'est pas ça qui nous dérange. Si on investi comme vous le dites des centaines de milliers de dollars d'équipement, vous avez des gains de productivité qui vous permettent de compétitionner dans du moyen de gamme et du haut de gamme, qui est le créneau de l'industrie québécoise. Elle l'a eu, vous l'avez le rapport d'impact. Est-ce que vous suggéreriez qu'elle l'applique, à la lumière de ce que je viens de vous lire?

M. Saint-Pierre (André): Écoutez, on n'en a pas reçu copie, malheureusement. C'est un petit peu malheureux que ce document ne nous ait pas été déposé.

M. Gobé: C'est un organisme public, il peut vous être disposé tout de suite...

M. Saint-Pierre (André): Oui.

M. Gobé: ...avec le consentement de la présidente et du secrétariat, parce qu'il a été déposé hier en cette commission.

Le Président (M. Sirros): On m'indique qu'il y a des copies supplémentaires disponibles. Alors, je vais demander à un page de vous en envoyer une.

M. Saint-Pierre (André): Il est excessivement difficile pour nous autres de commenter ce rapport étant donné qu'on n'a pas eu l'occasion d'en prendre connaissance. Effectivement, si je me fie aux déclarations de M. le député, bien, écoutez, je pense que ça va de soi.

M. Gobé: Avez-vous une copie pour lui? Bien, vous n'aurez peut-être pas le temps de le lire, là, dans notre 15 minutes.

M. Saint-Pierre (André): Non, pas vraiment.

Le Président (M. Sirros): Ça risque d'être difficile effectivement.

M. Gobé: Mais peut-être que vous aurez l'occasion plus tard de le regarder. La ministre disait aussi: Vous n'êtes peut-être pas tout à fait favorable au projet. Est-ce que c'est le vocable qu'on peut employer dans votre cas ou vous n'êtes pas pour le projet?

M. Saint-Pierre (André): On n'est pas pour le projet du tout. Écoutez, ce n'est pas compliqué, on est conscient qu'il y a des réaménagements majeurs à faire au niveau de la loi des décrets puis des conventions collectives. Bon, ça, il n'y a pas à se le cacher. Que ce soit au niveau des employés que ce soit au niveau des employeurs, je pense que tout le monde est d'accord. Mais il est un peu bizarre que, pour des raisons tout à fait différentes, toutes les parties soient contre le projet de loi. Je pense qu'à un moment donné il faut réaliser quelque chose à quelque part. Il y a un problème. Il faut se rasseoir. Il faut refaire nos devoirs ensemble, puis on va essayer de trouver une solution qui est acceptable pour tous.

M. Gobé: Vous avez certainement entendu, vous étiez en arrière, là, la proposition que je faisais ce matin à M. Vaudreuil, président de la CSD, que je faisais hier – la suggestion, proposition, comme on voudra – à M. Henri Massé de la FTQ, à laquelle il répondait oui, à l'effet: Est-ce que, une fois que ce soir nous aurons fini d'écouter tous les intervenants qui se sont déplacés... En tout cas on a lu les mémoires, on les a... On connaît les positions de tous et chacun; le résultat, la conclusion va être la même que nous faisons, que vous faites à juste titre: personne, pour des raisons différentes, il est vrai, n'est favorable à ce projet de loi là tel qu'il est présenté par la ministre, les gens y voyant des problèmes pour eux dans leur industrie, d'autres, c'est parce que ça va baisser les conditions de travail.

Enfin, je ne ferai pas la nomenclature, on l'a faite depuis hier. Est-ce que, donc, à ce moment-là vous aussi vous penseriez qu'on devrait laisser les décrets continuer ou les remettre en vigueur pour un certain nombre de temps et profiter de cette période-là pour rapidement créer avec des gens de l'industrie, des travailleurs – quand je dis l'industrie, c'est les gens qui sont dedans, c'est vous, là, entre autres – et dégager des voies plus en accord avec un consensus de tous les gens qu'il y a là-dedans afin de retrouver l'unité? Parce que, si on légifère comme elle veut le faire là, elle va légiférer unilatéralement, hein? C'est elle qui décide, là, qu'elle a le bon droit puis que les patrons, eux autres, ils n'ont pas raison, on va leur mettre des normes.

Les travailleurs, vous autres, on va baisser vos salaires, c'est moi, le ministre, qui décide ça. Puis il n'y a personne qui va être content. On le sait, dans les relations de travail, c'est comme ça que ça marche, quand le climat n'est pas un climat de satisfaction puis de bonne cohabitation ou coopération dans une industrie ou dans une entreprise, eh bien, ça ne fonctionne pas bien. Alors, c'est ça qui va arriver dans toute l'industrie. On est dans une situation où, si elle légifère, tout le monde est mécontent. Et ce n'est peut-être pas d'après moi la meilleure solution, d'aller créer un autre 8 000 emplois pour les trois prochaines années vu qu'on en a créé 8 000 depuis les trois dernières, hein? Peut-être on pourrait en créer un autre 8 000, mais pour le faire, ça va prendre de l'unité, ça va prendre, il me semble, collaboration. Est-ce que vous seriez en faveur de ça, vous, de participer à ça?

M. Saint-Pierre (André): Tout à fait en faveur. Puis je suis convaincu qu'il y a des gens qui vont venir vous dire aujourd'hui ou qui vous ont dit hier que, bon, ces choses-là avaient déjà été faites. Comme on l'a mentionné un peu plus tôt, effectivement ça a été fait, mais je pense que ça a été fait à moitié. Je pense qu'il faudrait s'asseoir, puis je pense qu'il y a une volonté de toutes les parties pour le faire. Il faudrait vraiment s'asseoir ensemble puis le faire de façon correcte. On n'a pas été au fond des choses lors des choses précédentes qui se sont passées. Alors, effectivement je pense que, nous autres, on est prêt à mettre l'épaule à la roue dans ce sens-là puis aller de l'avant avec quelque chose du genre.

M. Gobé: Je suis content de voir qu'il semble un début de... pas de consensus, mais les gens se rendent compte... C'est tous des gens qui sont là pour l'intérêt de tout le monde, hein, ils ne sont pas pour être dogmatiques. Vous avez évoqué aussi, et c'est dans cet ordre-là, une fusion progressive des quatre décrets. Vous n'êtes pas sans savoir – si vous ne le saviez pas, je l'ai mentionné – il y a un comité d'experts du ministère qui s'est penché et qui a pondu un rapport. On me dit qu'il y en a eu d'autres que je n'ai pas eus. Moi, il y a quelqu'un qui m'a envoyé celui-là; je suis bien content de l'avoir eu. Mais les intervenants hier soir, après on est sorti de la salle, me disaient: M. Gobé, vous parlez d'un, mais il y en a peut-être un ou deux autres qui auraient été sortis dans ce sens-là, puis ça a été mis sur une tablette.

Est-ce que vous trouvez normal, vous, qu'un rapport fait par des experts dans un domaine aussi important que celui-là, en 1996, alors que tout le monde dit que la situation est difficile puis qu'on doit agir d'urgence, qu'on ait laissé traîner ça sur une tablette et qu'aujourd'hui, là, on arrive avec quelque chose de complètement différent qui ne fait l'unanimité avec personne?

M. Saint-Pierre (André): Bien, écoutez, si on l'avait regardé de façon positive, dans ce sens-là, et qu'on l'avait sorti de façon également positive, on ne serait sûrement pas assis ici aujourd'hui. Je pense que c'est clair.

M. Gobé: Écoutez, je vous remercie. Je pourrais vous poser plein de questions sur toutes sortes de choses, mais l'ensemble des intervenants ont répondu. Je crois que vous avez répondu à l'essentiel. Je crois que votre message a été bien compris. Et en ce qui nous concerne, nous, de l'opposition, nous prenons vos remarques comme quelque chose de positif et une direction vers laquelle nous allons probablement essayer de rallier le plus de gens possible pour aller de l'avant. Je vous remercie beaucoup, vous et vos collaborateurs.

M. Saint-Pierre (André): Merci.

Le Président (M. Sirros): Merci beaucoup. Alors, je vous fais remarquer tout simplement que, si les questions sont épuisées à ce stade-ci, on pourrait rattraper tout le temps perdu en passant tout de suite à l'autre groupe, en vous remerciant vivement pour votre présentation qui a permis aux deux côtés d'éclairer certaines questions. Merci.

J'invite l'Association des entrepreneurs en couture du Québec à bien vouloir prendre place. Et, pendant que ça se fait, je vais suspendre pour cinq minutes, pas plus.

(Suspension de la séance à 11 h 20)

(Reprise à 11 h 26)

Le Président (M. Sirros): Si vous voulez prendre place. On va terminer la partie de ce matin avec l'Association des entrepreneurs en couture du Québec, et je vous demande de vous présenter et ceux qui vous accompagnent. Je pense que les règles sont claires pour tout le monde. Alors, on pourra y aller directement.


Association des entrepreneurs en couture du Québec

M. Frappier (Jacques): Eh bien, les gens qui m'accompagnent, c'est Jean-Luc Fortin, vice-président, à ma droite; Mme Carmen Lucia, qui est la secrétaire-trésorière, à ma gauche; et Mme Linda Gravel, qui est la coordonnatrice et directrice générale de l'Association, à ma gauche immédiate.

Le Président (M. Sirros): Merci.

M. Frappier (Jacques): Et je suis le président, mon nom est Jacques Frappier. Mon entreprise est Technofil. L'Association des entrepreneurs en couture du Québec vous remercie de l'accueillir à cette commission parlementaire de l'économie et du travail concernant le projet de loi n° 47. Nous profitons de la tribune qui nous est offerte pour faire valoir notre point de vue sur le nouveau projet de loi et les objectifs qui motivent nos interventions, dont, entre autres, le maintien et la création d'emplois durables et de qualité au sein de l'industrie du vêtement. L'Association, rappelons-le, est un organisme à but non lucratif qui regroupe 180 entreprises de fabrication qui sont représentatives de l'ensemble de l'industrie de la confection. Situés aux quatre coins du Québec, nos membres se spécialisent dans la fabrication de vêtements pour hommes, femmes et enfants.

Au cours des huit dernières années, l'AECQ a maintes fois fait connaître sa position quant à la Loi sur les décrets de convention collective. Le projet de loi n° 47 répond à coup sûr à l'une de ses nombreuses revendications, soit l'abolition des décrets de l'industrie du vêtement. Tous nos partenaires patronaux, que vous avez d'ailleurs eu l'occasion d'entendre hier, ont tous sans l'ombre d'un doute prôné l'abolition des décrets. Cependant, même si nous avons accueilli avec beaucoup de satisfaction l'abolition des décrets, le projet de loi n° 47 comporte des éléments très préoccupants que nous vous exposerons tout au long de cette présentation.

Avant de passer la parole à M. Fortin, qui va vous dresser un profil de l'industrie, j'espère que vous me permettriez de faire un petit commentaire de ce qui s'est dit hier. J'aimerais ouvrir une parenthèse – et c'est vraiment personnel, ce n'est pas au nom de l'Association – et c'est quant à l'histoire d'horreur de la présentation du collectif des femmes immigrantes. Si une ou des situations comme celle décrite existent réellement, agissez, agissez directement. N'attendez personne, c'est inconcevable. Si vous ne voulez pas être accusés de laxisme, agissez.

C'est aussi un élément de plus qui vous prouve l'inutilité des décrets et des comités conjoints. Est-ce que vous croyez que maintenir les décrets corrigerait les situations décrites? Je vous invite franchement à y réfléchir. Ces images négatives ne contribuent qu'à entraver le développement de l'industrie, le recrutement de notre main-d'oeuvre et à masquer la réalité à vos yeux. C'est ma parenthèse. Je vais céder maintenant la parole à M. Fortin, qui va vous dresser un profil de l'industrie.

Le Président (M. Sirros): D'accord. M. Fortin.

(11 h 30)

M. Fortin (Jean-Luc): Mme Lemieux, membres du comité, bonjour. Jean-Luc Fortin, je suis président de cinq entreprises regroupées et situées en région de l'Estrie et Montréal, vice-président de l'Association des contracteurs en couture.

L'industrie du vêtement, selon les gens, nous apparaît un secteur souvent qualifié de secteur mou, quand je dis certaines gens, vulnérable et en voie de disparition. Heureusement, nous avons su taire ces rumeurs en demeurant l'employeur n° 1 au Québec avec ses 47 000 emplois en 1996, selon les statistiques, dont 39 948 étaient affectés à la production. L'industrie du vêtement, et plus précisément l'industrie de la fabrication, réside dans son savoir-faire technologique, sa capacité de s'adapter rapidement aux fluctuations du marché, son innovation et sa spécialisation dans les créneaux d'exportation. Il ne faut oublier qu'au cours des prochaines années l'industrie du vêtement devra s'adapter aux accords de l'Organisation mondiale du commerce.

Concernant le vêtement, depuis 1995 les barrières tarifaires sont à la baisse. Tous les quotas d'importation disparaîtront graduellement jusqu'en 2005. Alors, compte tenu du contexte auquel devra faire face l'industrie du vêtement et des nouveaux défis à relever d'ici 2005, l'abolition des décrets arrive à point pour redonner à cette industrie toute la flexibilité dont elle aura besoin.

Il y a des choses qui, en termes d'entrepreneur, j'aimerais rajouter personnellement. Je suis en entreprise depuis 1972, qui est en opération. Je vis dans des régions éloignées des grands centres. J'ai une entreprise dans laquelle, dans le secteur où j'adhère, environ 60 % d'employabilité se fait dans ma région, comme mon prédécesseur l'a mentionné tout à l'heure, des populations de 850 à 1 000. Alors, je ne vous cache pas que, quand tu engages 100 personnes dans ta localité, comme on l'expliquait si bien, père, frère, soeur, mon oncle, ma tante, ça travaille pour toi.

Au niveau de l'organisation que j'ai, j'ai bâti au niveau d'avoir de la flexibilité à l'intérieur de mon réseau, d'avoir des gens polyvalents. Au niveau de la main-d'oeuvre, on a beaucoup de difficulté à en recruter, il n'y en a pas. On a une dénatalité. Dans chaque localité, il y a une usine de confection. Toutes les usines qu'on peut voir dans ma région, ce sont toutes des bonnes structures, des bonnes organisations. Il n'y a personne qu'on peut dire qui est mal à l'aise. Sauf que les lacunes que je rencontre, c'est d'être capable d'amener mes gens à une flexibilité, puis, là, j'ai une rigidité par rapport à des lois et des décrets qui me régissent par rapport aux qualités de travail de la personne par rapport au métier qu'elle a.

Alors, quand on parle de mobilité, on parle de flexibilité, on parle de gens qui peuvent faire diverses opérations, travailler sur diverses machineries. Et puis on ne travaille pas uniquement dans un produit spécialisé; on travaille dans une panoplie de produits tels que le vêtement plein air, le maillot de bain et aussi le sous-vêtement. Et dans tout ça j'ai à faire face à différents décrets, ce qui amène une certaine lacune à l'intérieur du fonctionnement. Alors, on m'empêche d'avoir la certaine mobilité par rapport aux lois et règlements que je dois être... imposer à l'intérieur de mon organisation.

Alors, pour ce qui est de mon organisation, c'est ça, j'aimerais céder la parole à Mme Linda Gravel, directrice de l'Association, qui vous parlera des réalités du régime actuel des décrets et de nos commentaires sur le projet de loi n° 47.

Le Président (M. Sirros): Alors, merci. Mme Gravel.

Mme Gravel (Linda): Oui. Alors, maintenant, on va parler du projet de loi n° 47. Tout d'abord, on a déjà commencé à vous le mentionner, oui, on adhère à l'abolition des décrets dans l'industrie du vêtement, parce qu'au Québec, sur le marché actuel, on est la seule province qui s'entête à maintenir un système réglementaire pour une minorité de travailleurs.

Dans l'industrie du vêtement, cette minorité se traduit par à peu près 21 000 travailleurs sur un total de 53 300 emplois qui sont créés par l'industrie du vêtement. Alors, dans notre industrie, c'est vraiment une minorité qui est régie actuellement par les décrets, et, si on décortique notre 21 700 emplois, au départ, régis par décrets, on va se rendre compte que le deux tiers de ces emplois sont syndiqués. Alors, le problème aujourd'hui serait peut-être de l'ordre d'environ 7 000 travailleurs qui demain matin seraient assujettis pendant une période de deux ans à un autre cadre réglementaire. Selon nous, on lui en donne peut-être trop, d'importance, aujourd'hui.

La petite partie dont je viens de vous parler est soumise à la Loi des décrets qui est vieille de 65 ans. Ainsi, l'industrie du vêtement dans son ensemble, selon le type de produits qu'elle fabriquera, comme M. Fortin vous a imagé un peu tantôt, devra respecter les conditions de travail soit du décret du vêtement pour hommes, soit du décret du vêtement pour dames, soit du décret de la chemise pour hommes et garçons, soit du décret du gant de cuir, soit à l'un ou l'autre de ces décrets ou finalement elle n'aura qu'à respecter les lois les plus récentes que vous avez votées en Assemblée nationale, qui répondent adéquatement à nos travailleurs d'aujourd'hui.

Oui, c'est vrai, il est grandement temps qu'on allège cette partie, cette minorité de l'industrie d'un système réglementaire qu'on juge désuet, qui nuit à sa compétitivité et à son développement et aussi à sa croissance. Et en plus on juge que le système des décrets actuels est discriminatoire pour ces travailleurs – on vous en parlera un petit peu plus tard.

Si on affirme que les décrets sont désuets, c'est parce que l'objectif légitime recherché par cette loi-là au départ est aujourd'hui largement couvert par nos lois, on n'a qu'à penser à la Loi sur la santé et la sécurité au travail, la Loi sur l'équité salariale, la loi sur la formation de la main-d'oeuvre, la Loi sur les normes du travail, le Code du travail, qui, selon nous, assument largement les protections aujourd'hui et adéquatement nos travailleurs. On est bien loin de l'employé vulnérable qu'on avait dans les années trente.

Les décrets nuisent aussi à la compétitivité des entreprises. À l'époque des années trente, on voulait empêcher la concurrence déloyale par l'application des décrets. C'est peut-être vrai dans les secteurs d'activité qui font face à une compétition régionale, mais Dieu sait que c'est loin d'être le cas dans notre secteur manufacturier.

Vous n'êtes sûrement pas sans savoir que les accords commerciaux et internationaux nous amènent à nous comparer avec une compétition qui n'est pas locale mais internationale. Mon compétiteur, ce n'est pas juste mon voisin d'à côté, c'est celui des provinces voisines et c'est celui du monde entier. On le voit d'ailleurs par la progression des importations qui accaparent aujourd'hui 50 % du marché canadien. Je dois me comparer à mes compétiteurs pour rester en affaires. Je dois aussi être capable de m'adapter rapidement aux conditions et aux fluctuations du marché.

Les entreprises qui progressent et qui se développent aujourd'hui sont celles qui jouissent d'une grande souplesse d'opération, qui n'ont aucune contrainte réglementaire et auxquelles on n'impose aucune bureaucratie que l'on juge inutile, qui se traduit par des coûts additionnels. Dans un contexte qui est aussi compétitif que le nôtre, l'employeur ne peut pas attendre que la réglementation s'ajuste à son marché. C'est connu, c'est l'objectif de la loi; ce n'est pas de supporter le développement industriel, c'est de l'assujettir et c'est de le contraindre.

La loi se contente d'être réactive; nous, on doit être proactif. On doit s'ajuster. Et la loi s'ajuste souvent à notre réalité avec un décalage de plusieurs mois, et même des fois plusieurs années à notre contexte socioéconomique. La loi n'est pas là pour prévoir ou favoriser ces changements-là, ce n'est pas son but, alors que nous, c'est notre raison d'être.

Oui, les décrets ont un impact direct sur la croissance de l'industrie du vêtement. Selon les statistiques, les entreprises qui ne sont pas assujetties aux décrets se développent plus vite que celles qui sont assujetties à cette réglementation. Au cours des deux dernières années, l'industrie du vêtement affichait une croissance de 6 200 emplois. Les entreprises qui n'étaient pas assujetties aux décrets ont affiché une plus forte croissance d'emploi avec une augmentation de 16,67 % tandis que leurs confrères assujettis aux décrets tiraient de l'arrière avec une croissance de 8 %. Alors, nous, on avance que, oui, les décrets freinent la création d'emplois, on l'a démontré, et les emplois se développent deux fois plus vite dans les secteurs non assujettis que ceux assujettis.

Finalement, on appuie également l'abolition des décrets prévue au projet de loi n° 47 parce qu'on veut rétablir une politique salariale qui va être plus juste et plus équitable pour les travailleurs, et plus principalement pour les milliers de travailleuses. Il ne faut pas oublier, et vous le savez sûrement, que l'industrie du vêtement, c'est 69 % des emplois qui sont occupés par des femmes.

(11 h 40)

Pour nous, il est essentiel de s'harmoniser avec la Loi sur l'équité salariale qui, même si elle a fait l'objet d'un vif débat au Québec, a été votée par l'Assemblée nationale, et elle est là pour rester. D'ici le 21 novembre de l'an 2001, l'entrepreneur devra s'y conformer. Avec les décrets actuels, les classifications et la façon qu'on a décidé de rémunérer les postes de travail, il serait très difficile, dans le cadre de l'équité salariale, d'essayer de justifier les écarts salariaux qui existent. Entre autres, quand une opératrice pour mon entreprise va fabriquer un vêtement assujetti et demain matin fabriquera un vêtement non assujetti, je lui offrirai un salaire différent et j'aurai, dans le cadre de la loi, dans le cadre de l'équité salariale, à justifier ces écarts salariaux. Ce qui, selon nous, est impensable.

On pourrait aussi penser à tous les écarts salariaux qui existent dans les multiples catégories d'emplois que les décrets ont bien voulu nous imposer à travers les années. Les politiques salariales qui sont imposées par la loi des décrets vivront un grand chambardement dès l'an 2001; elles n'auront plus aucune portée légale lorsque, dans mon entreprise, je déciderai d'appliquer l'équité salariale.

Si on passe maintenant aux mesures transitoires qui sont prévues dans le projet de loi n° 47, oui, la période de deux ans est nécessaire, oui, elle est essentielle pour l'industrie du vêtement pour que ce secteur se défasse d'une réglementation qu'il respecte depuis 65 ans. Il faut que l'abolition des décrets s'effectue graduellement, il faut qu'elle se fasse sainement pour permettre aux deux parties, non pas seulement aux salariés, mais également aux employeurs, de s'ajuster. Le projet, tel que présenté par le projet de loi n° 47, assure aux travailleurs le maintien de certains de leurs acquis suite à l'abolition de leurs décrets. Alors, on verra un niveau de salaire horaire, un horaire de travail, des congés annuels et les jours fériés qui seront gelés pour une période de deux ans; on ne vivra pas de chambardements au niveau de leurs conditions de travail actuelles.

Le comité de transition qui est prévu dans le projet de loi n° 47, dont l'Association souhaite faire partie, sera composé en nombre égal de représentants patronaux et syndicaux. Sa fonction pendant ces deux années consistera uniquement à soutenir l'industrie, ses salariés, ses employeurs, dans la démarche de déréglementation, à les informer également. Il n'est pas question de maintenir un cadre réglementaire au-delà de ces deux années, un cadre réglementaire à deux vitesses. À partir de l'an 2002, on veut que l'industrie du vêtement, cette petite minorité qui continue d'être régie par des décrets très lourds, en revienne à un régime général des relations de travail, comme la majorité des employeurs du Québec.

Si par contre, parce qu'il est difficile pour nous qui ne détenons pas la vérité absolue de savoir où on en sera rendu d'ici deux ans, on décidait qu'on devrait prolonger la période de transition, il faudrait déterminer un temps défini, et le comité de transition aurait le mandat de définir l'établissement de ces nouvelles conditions de travail.

Maintenant, on va aborder un sujet qui nous a tenus à coeur aussi dans le projet de loi n° 47, c'est le déficit au fonds de vacances de l'industrie du vêtement pour dames, qui s'élèverait peut-être à peu près à 3 100 000 $. On veut que les mesures prévues au projet de loi n° 47 soient évidemment révisées. Pour un déficit qui a pris plus de 16 ans à se creuser, on nous demande, en l'espace de quatre mois, de rembourser la totalité de ce déficit. Pour une entreprise moyenne qui a une masse salariale de 1 000 000 $, ça représenterait une dépense supplémentaire nette de 17 000 $, ce que l'on trouve inacceptable. On est aujourd'hui en questionnement, en se demandant: Est-ce que c'est légitime et juridiquement acceptable de demander à ces employeurs de rembourser un déficit pour lequel ils ne sont pas responsables?

Aussi, on se préoccupe, dans le projet de loi n° 47, que la Commission des normes du travail nous impose une cotisation, à l'industrie du vêtement, de l'ordre de 0,20 %; c'est une augmentation de 250 % par rapport à tout ce que les autres employeurs paient en ce moment à la Commission des normes du travail. Même si les nouveaux arrivants d'un secteur d'activité comme le vêtement – on parle de 20 000 travailleurs... Il ne faut pas oublier que de ces 20 000 travailleurs là, les deux tiers sont déjà syndiqués. Donc, ça ne devrait pas nécessiter une bureaucratie trop difficile pour la Commission des normes. Avec un taux de 0,08 % comme il est actuellement, la Commission des normes gérerait un budget supplémentaire de 300 000 $ pour s'occuper d'environ 7 000 travailleurs, ce qui nous semble, à notre avis, très suffisant.

Depuis les 65 dernières années, on a soumis une partie de l'industrie à un cadre réglementaire particulier, bien entendu, et contraignant. Il serait grandement temps qu'on le soumette aux mêmes conditions que le marché et arrêter de faire de cette partie-là une règle d'exception. En procédant à l'abolition des décrets et aux ajustements que nous avons proposés, le gouvernement du Québec viendrait enfin appuyer le développement de notre industrie, le développement qui passe par l'exportation de nos produits et services, aux États-Unis entre autres. On peut chiffrer qu'en 1996 nos exportations étaient de l'ordre de 1 000 000 000 $ aux États-Unis; c'est une croissance, par rapport à 1992, de 346 %.

C'est sûr que c'est impressionnant comme performance, mais ce n'est pas suffisant pour combler les besoins de notre industrie qui fonctionne en ce moment à peu près à 72 % de sa capacité de production, ce qui nous prive, au Québec, d'un potentiel de 17 000 emplois. On veut aller chercher ce potentiel d'emplois là, de 17 000. Notre expansion, on y croit, passe par l'exportation, notre savoir-faire québécois. L'Association des entrepreneurs en couture du Québec d'ailleurs s'est engagée dans cette démarche. On est appuyé également par plusieurs paliers gouvernementaux.

On concentre une partie de nos énergies en ce moment à promouvoir nos membres sur le marché américain. Concrètement, ce que ça veut dire: on est à finaliser notre site Internet, on a pensé à une campagne publicitaire dans des magazines spécialisés, comme le Bobbin Magazine aux États-Unis, et notre présence est attendue à la fin de septembre au Bobbin America comme exposant où on sera sur place pour parler de nos entrepreneurs et de ce qu'ils ont à offrir. Ce qu'ils ont à offrir, c'est une main-d'oeuvre spécialisée, une technologie de pointe, une qualité hors pair et des courts délais de livraison.

Sur le marché à l'exportation, on ne veut pas se faire remarquer parce qu'on est gouverné par un système réglementaire si unique, complexe et désuet, mais parce qu'on est les meilleurs et on croit qu'on est les meilleurs. Ce qu'on veut, c'est poursuivre notre pénétration des marchés internationaux en créant des emplois permanents et de qualité pour participer au développement économique de tout le Québec. Alors, voilà.

Le Président (M. Sirros): Merci beaucoup. Alors, Mme la ministre.

Mme Lemieux: Merci, M. le Président. M. Frappier, M. Fortin, Mme Lucia, Mme Gravel. D'abord, une première remarque, M. Frappier. J'apprécie beaucoup votre intervention d'ouverture. J'ai entendu aussi la même intervention hier en cette Chambre. S'il s'agit de généralités, évidemment on n'a pas beaucoup de prise, mais, s'il y a là des situations concrètes, il y a lieu d'intervenir, c'est très clair à mon esprit. Mais j'apprécie que vous ayez le souci de le faire.

J'imagine que vous avez dû suivre passablement les débats des dernières heures. Vous avez dû comprendre que nous sommes à la recherche d'un équilibre, d'un équilibre délicat à trouver, difficile à trouver, entre la compétitivité et des conditions de travail correctes, entre un régime en place depuis 60 ans et l'émergence d'une nouvelle économie et de règles du jeu pas mal plus féroces, entre l'intervention de l'État, parce que je pense que l'État a un rôle à jouer, et le libre marché. Hein, c'est ça, qu'on essaie de trouver.

Vous avez dû certainement remarquer que ces derniers jours... En fait, ce qui est beaucoup exprimé actuellement, par rapport à l'industrie notamment, puis j'aimerais vous réentendre là-dessus, plusieurs ont avancé qu'il y avait un potentiel d'emplois et de nouveaux emplois dans le secteur, je pense que la démonstration que l'industrie du vêtement est en train de se trouver une niche sur la scène mondiale commence à être claire, hein? On commence à être assez performant dans le moyen de gamme, haute de gamme, bon. En tout cas, tu sais, vraiment... Tout le monde a eu peur des effets du libre-échange, mais finalement l'industrie commence à trouver son espace ici, au Québec, et c'est heureux.

Mais, donc, le scepticisme qui est exprimé de la part de plusieurs intervenants, c'est justement ce potentiel de création de nos emplois. En fait, plusieurs disent: Voyons donc, voir s'ils vont créer autant d'emplois! Vont-ils vraiment le faire? Ont-ils la volonté, la capacité? Certains nous disent: Il y en avait, des décrets, puis il y en a eu, des nouveaux emplois. Vous voyez le genre d'interventions. Alors, il y a beaucoup de scepticisme autour de ça.

Et l'autre préoccupation qui est exprimée, que je vous relance, c'est cette crainte de créer des emplois mais des emplois de très piètre qualité. Et ça, vous allez comprendre qu'il y a... Un emploi, c'est un emploi, mais est-ce qu'on va ériger en système la création d'emplois de piètre qualité? Il y a des gens qui posent la question. J'aimerais ça vous entendre là-dessus.

Et en ce sens-là un des éléments qui ressort assez clairement des préoccupations qui nous ont été exprimées, c'est cette crainte que, s'il n'y a pas un certain nombre de règles du jeu, même si elles sont rafraîchies – je pense que les gens conviennent qu'il faut rafraîchir les règles du jeu – c'est une pression, on s'en va vers une pression à la baisse sur les salaires, entre autres. C'est ça, qui nous est exprimé. Ce qui nous est exprimé, c'est que l'industrie cherche des manières de baisser vers le bas les conditions salariales. Alors, j'aimerais voir comment vous réagissez à ces préoccupations.

M. Fortin (Jean-Luc): Je prends la parole.

Le Président (M. Sirros): Alors, M. Fortin, oui.

(11 h 50)

M. Fortin (Jean-Luc): Comment peut-on baisser des salaires, donner des conditions indécentes quand on travaille à rehausser l'image, à vouloir créer davantage d'emplois, puis aller chercher des gens pour venir travailler dans notre secteur quand tu donnes des conditions défavorables? Quand tu sais que dans les autres secteurs d'activité où est-ce qu'il y a un taux horaire acceptable, puis, nous, dans notre secteur d'activité, on se mettrait à baisser les salaires, puis, là, on veut faire du recrutement, c'est inconcevable à penser.

Alors, qu'est-ce qu'on veut, c'est d'attirer des jeunes à venir dans notre secteur. Aujourd'hui, notre moyenne d'âge à l'intérieur des organisations est vieillissante. Dans mon groupe, elle est rendue à 40 ans, et il y a 10 ans passés, j'étais à 33 ans. J'ai besoin de recycler, j'ai besoin d'avoir une jeune main-d'oeuvre qui vient chez nous. Si on les soupait, pensez-vous que les jeunes aujourd'hui, avec l'intelligence qu'ils ont, ils vont adhérer dans le secteur en leur donnant des conditions non favorables? C'est insensé.

Alors, moi, ce que je me dis, il faut emmener des conditions favorables avec lesquelles, avec ton organisation, tu vas essayer de trouver des solutions pertinentes. J'aime le secteur auquel j'adhère, puis les gens qui travaillent pour notre organisation, c'est ce qu'ils aiment aussi, mais comment faire pour les emmener? Alors, ce n'est pas en mettant des conditions défavorables, comme notre président le mentionnait tout à l'heure, comme il se mentionnait dans le contexte, voyons donc. Alors, on ne peut pas arriver avec des mauvaises conditions.

Mme Lemieux: M. Fortin, si je peux me permettre, si pour vous ça vous apparaît clair, vous faites un plaidoyer qui vient du coeur...

M. Fortin (Jean-Luc): Des tripes.

Mme Lemieux: Je vous comprends, je sais ce que c'est, l'authenticité, il y a un coût à payer à l'authenticité, mais enfin, c'est une autre question. Si c'est si clair que, vous, vous cherchez une main-d'oeuvre qualifiée qui a le goût de travailler là, qui a le goût d'intégrer ces nouvelles technologies puis d'être sur le marché puis d'être dans la course, c'est donc que vous êtes vraiment enligné à ce que vous ayez des conditions de travail légèrement supérieures, il faut que vous attiriez ce monde-là, hein, à travailler chez vous?

M. Fortin (Jean-Luc): Définitivement.

Mme Lemieux: Pourquoi c'est un problème de le mettre, ce filet-là, dans une loi et de rassurer les gens? Pourquoi c'est impossible à faire?

M. Fortin (Jean-Luc: Pourquoi? C'est ce qu'on essaye de comprendre: Pourquoi qu'il y a tant de décrets, tant de divergences, tant de choses auxquelles, depuis des années, on essaie d'amener à des positions concrètes d'entente? Et puis là on s'aperçoit que de tous bords, de tous côtés ça se tiraille. C'est pour ça qu'on en arrive aujourd'hui à repartir soit sur une autre forme, une autre façon de faire.

Mme Lemieux: C'est ce qu'on vous propose de faire.

M. Fortin (Jean-Luc): Bien, c'est ce qu'on est ici pour essayer. On ne veut pas travailler contre les choses qui vont être émises; on veut travailler ensemble pour la prospérité, la viabilité, à ce que le secteur soit encore là puis qu'il soit reconnu davantage.

Mais il ne faut pas oublier qu'on est à la mondialisation des affaires. Puis provincialement... Et ici, au Québec, c'est une chose, mais à l'extérieur, les autres provinces, elles n'ont pas ces choses-là, aussi.

M. Frappier (Jacques): J'aimerais ajouter une chose. Est-ce que vous croyez que l'équité salariale n'aura pas une incidence sur nos salaires?

Le Président (M. Sirros): M. Frappier, allez-y. C'était juste pour vous identifier au Journal des débats . M. Frappier, allez-y.

M. Frappier (Jacques): Formalité. Est-ce que croyez que l'équité salariale n'aura pas une incidence sur nos salaires? Et je ne croirais pas que ça soit une incidence à la baisse. Si je me fie à ce que j'ai entendu, je ne pourrais pas vous citer la source de la statistique, mais, quand on parle d'équité salariale où la prédominance est féminine, on parle entre 2 % et 7 %, je pense, de hausse salariale. Est-ce que je me trompe?

Mme Lemieux: Non.

M. Frappier (Jacques): Entre 2 % et 7 % d'ajustement.

Mme Lemieux: Non, je vous écoute, ne vous inquiétez pas.

M. Frappier (Jacques): Donc, c'est une autre chose, un autre élément, aussi, qui vient peser dans la balance des décrets.

Le Président (M. Sirros): Oui, Mme Gravel.

Mme Gravel (Linda): Moi, j'aimerais peut-être qu'on m'éclaircisse quand on parle des emplois de piètre qualité. Je pense qu'ici, au Québec, qu'est-ce qu'on qualifie d'emplois de piètre qualité, à notre avis, il n'y en a pas. Ceux qui sont, bon, à teneur très haute technologie ont eu d'énormes coupures ces derniers temps. L'aérospatiale y passe également. Alors, j'aimerais qu'on m'explique qu'est-ce qui est, pour notre gouvernement actuel, avec un taux de chômage qui n'est pas très enviable, qualifié de piètre qualité?

Le Président (M. Sirros): D'accord.

Mme Lemieux: Moi, je vous reflète des préoccupations que j'ai entendues, là.

Mme Gravel (Linda): Mais un emploi de piètre qualité, c'est ce qu'on paye en dessous des normes du travail actuelles. C'est un emploi qui serait moins bien payé par rapport à quel élément de comparaison?

Je pense que ce qu'il faut comprendre, puis peut-être qu'on n'insistera jamais assez, on parle de décrets dans l'industrie du vêtement, ce n'est pas l'ensemble de l'industrie du vêtement. Comment se fait-il que les joueurs qui s'opposent à l'abolition des décrets actuellement n'ont jamais, pendant ces 65 dernières années, été chercher les 35 000 emplois qui ne sont pas régis par décrets? Comment ça se fait que ces 35 000 emplois là semblent être prospères, semblent fournir des conditions qui sont acceptables par les employés – on n'a pas vu de manifestation nous prouvant le contraire – et qu'on s'arrête à 20 000 travailleurs dont les deux tiers sont syndiqués? Où est la problématique? Et c'est ce qu'on a de la difficulté à comprendre. Pourquoi ce secteur régi par décret ne serait pas meilleur que l'autre secteur de l'industrie du vêtement qui n'a jamais été régi par décret?

Il faut comprendre que l'industrie de la confection, notre secteur à nous, vit de sa main-d'oeuvre. 75 % de ses coûts, c'est les salaires, c'est la main-d'oeuvre. Si on n'est pas capable de se fier sur une main-d'oeuvre qui est qualifiée, si on n'est pas capable de la former pour la rendre productive, pour l'intégrer dans son milieu de travail, on va être hors marché. On dépend de notre main-d'oeuvre. Alors, c'est à nous de lui fournir les conditions gagnantes pour qu'elle soit attirée à venir vers mon industrie.

On parle de problème d'image. On en a vu, des problèmes d'image, hier, aussi. On véhicule des stéréotypes qui datent peut-être de 65 années. On est là, nous, pour soutenir, en tant qu'association, des entreprises qui sont prospères. On est entouré d'entreprises prospères. Celles qui se cachent dans le fond des sous-sol, eh bien, avec toutes les lois qui nous gouvernent, il doit y avoir un ministère quelque part qui va mettre le doigt dessus. On pense au ministère du Revenu avec qui on collabore pour essayer de trouver ces fraudeurs-là, des fraudes fiscales qu'on évalue à plusieurs millions de dollars.

Alors, je pense qu'on démontre notre bien-fondé. On démontre aussi notre implication à développer une industrie qui est prospère. C'est une industrie manufacturière. On aura toujours besoin de deux mains pour opérer une machine. On est loin de la paire de ciseaux puis de la machine à pédale du temps. On a investi, à peu près en six ans, 375 000 000 $. Ce n'est pas juste en fil puis en aiguilles, c'est en technologies. On entre des technologies en usine qui valent deux fois les Mercedes qu'on peut conduire.

Alors, oui, on est une industrie qui est prospère. On a besoin d'un coup de main. On veut démontrer aussi notre professionnalisme à gérer nos ressources humaines et non pas à se les faire imposer et avoir à vivre avec ensuite dans notre contexte actuel de marché.

Le Président (M. Sirros): Oui, Mme Lucia, en vous rappelant qu'il reste à peu près 10 minutes d'intervention du côté ministériel. Tout est pris à l'intérieur de la même enveloppe. Alors, Mme Lucia.

Mme Lucia (Carmen): C'est ça. Je ne vais pas être très longue. C'est seulement un commentaire. Je veux seulement souligner que dans l'industrie du vêtement comment ça se fait qu'on a un taux horaire que, les employeurs, il faut qu'ils respectent puis dans tous les autres métiers qui ne sont pas régis par un décret il n'y a pas de taux horaire?

Puis je trouve qu'un taux horaire fixe, ça enlève l'initiative aussi de notre main-d'oeuvre de s'améliorer. Parce qu'au temps qu'il arrive un certain plateau dans leur salaire, ils ne veulent plus rien améliorer ou apprendre. Ils sont confortables dans qu'est-ce qu'ils font puis avec le salaire qu'ils gagnent.

Moi, je pense que le taux horaire, il ne faut pas avoir peur, parce qu'une main-d'oeuvre qualifiée ils savent quel prix elle mérite, puis un employeur, il va payer le prix que l'employé mérite pour garder son employé. Alors, c'est ça, moi, je pense, qu'il ne faut pas oublier.

Le Président (M. Sirros): Merci. M. le député de Chicoutimi.

M. Bédard: Simplement, je ne veux pas revenir sur tout ce que vous avez dit, je vous dirais au départ que chaque emploi, moi évidemment et je pense que pour nous tous ici, est un emploi qui... c'est important effectivement.

Il reste que dans cette industrie-là ce que, nous, on a constaté – même, j'imagine que la ministre l'avait constaté avant, mais – on a eu l'occasion de le voir lors de cette commission, il reste qu'il y a, disons, un esprit un peu de vulnérabilité qui existe. On sent, au niveau des employés – on a eu quelques témoignages aussi avec les gens du Comité paritaire – que l'État doit demeurer présent.

Ce que je voudrais savoir... il y a deux items que j'aimerais aborder. Tout d'abord, vous êtes en faveur d'une totale déréglementation et vous voyez actuellement que le gouvernement, bon, propose une solution qui est mitoyenne, qui n'est pas celle que vous nous représentez mais qui est quand même un élément de déréglementation.

(12 heures)

J'aimerais seulement vous entendre sur le fait: Est-ce que, pour vous, il y a un intérêt par rapport à ce qui est proposé actuellement et la formule qui existe, la formule des quatre décrets que vous avez actuellement, et celle que nous proposons à l'intérieur du projet de loi? Est-ce que vous voyez un intérêt, vous? Est-ce que vous sentez que c'est un pas en avant? Est-ce que vous sentez aussi que ça rend la chose moins complexe et moins désuète? Parce qu'on a entendu tout le monde, du côté syndical et patronal, nous dire: Bon, la formule, le système actuel est totalement désuet. Alors, est-ce que, vous, ça vous semble moins complexe et moins désuet, très pratiquement?

La deuxième, c'est concernant un des éléments dont vous avez traité dans le cadre de votre mémoire concernant le déficit du fonds de vacances. On sait qu'il y a un problème évidemment, il y a des sommes qui sont dues actuellement. Et pendant des années le taux de cotisation était inférieur à ce qui était versé, ce qui a amené le déficit qu'on connaît actuellement. Et je comprends votre dynamique ou votre argumentation relativement aux entreprises. Bon, il y avait 900 entreprises, il y en a 38. Est-ce que celles qui restent finalement actuellement sont prises pour tout payer?

Mais il demeure quand même qu'il faut le payer. Et qui va le payer? Dans votre mémoire, vous finissez en disant, bon: Qui devrait payer ces choses-là? À l'ensemble des employeurs du secteur du vêtement pour dames qui n'ont fait que se plier à la Loi des décrets des conventions collectives? Ou à l'État – et là avec un point d'interrogation.

Et moi ça me surprend un petit peu. Je comprends qu'il y a un déficit, je comprends qu'il est élevé et je comprends que pour vous c'est une charge financière. Mais est-ce que vous êtes d'accord avec le fait effectivement que vous avez une part à payer dessus? Peut-être que c'est trop rapide, le délai dans lequel... mais est-ce qu'on s'entend sur le fait que vos entreprises devront payer une bonne part de ce déficit-là? Alors, c'est mes deux questions.

Le Président (M. Sirros): Oui, M. Frappier.

M. Frappier (Jacques): J'aimerais d'abord m'attaquer à la deuxième partie, le déficit. Aucune des entreprises, ou à peu près, existantes aujourd'hui n'a contribué au déficit. Comme Linda le disait, le déficit s'est créé sur plusieurs années. Aucun des entrepreneurs en couture n'avait accès, n'était sur les tables de négociation, d'aucune sorte. On nous imposerait quand même la pénalité? Et en finalité, c'est que les rapports qui étaient générés par les comités conjoints, les inspecteurs, aboutissaient aussi sur les tables gouvernementales, et les personnes qui voyaient ces rapports-là n'ont jamais réagi au déficit qui s'accumulait d'année en année. Est-ce qu'on doit mettre sur le dos des entrepreneurs les montants déficitaires d'aujourd'hui? On n'avait pas voix au chapitre.

M. Bédard: Excusez-moi, mais vous avez quand même eu un taux de cotisation qui était moins élevé que normalement vous auriez dû avoir pendant cette période-là.

M. Frappier (Jacques): J'aimerais te répondre par: Est-ce qu'on va mettre sur le dos des anciens actuaires les déficits des fonds du Régime des rentes du Québec? Les actuaires avaient basé leur estimé sur une population croissante qui n'a pas eu lieu. On monte les cotisations aujourd'hui, mais on ne leur impute pas les... C'est un peu ce qu'on fait, on impute aux personnes qui n'ont rien à dire.

Le Président (M. Sirros): Mme Gravel.

Mme Gravel (Linda): Mais il y a peut-être un aspect qu'on oublie au niveau du déficit du fond de vacances. Ce dont on ne se rend pas compte, c'est qu'on a enlevé à l'employeur la responsabilité de gérer son propre fonds de vacances et de gérer ses propres intérêts. Si on regarde «est-ce qu'ils n'ont pas fait une économie d'échelle», la plupart des 900 entreprises aujourd'hui sont peut-être arrivées depuis 1989. Le fonds de vacances en 1989 chargeait 0,0775 % à l'employeur; si on m'avait laissé la jouissance de ce fonds de vacances là, j'aurais peut-être pu aller chercher mon 0,0025 % moi-même en tant qu'employeur. C'est cette partie-là qu'on oublie souvent. On nous l'a imposé.

Le déficit du fonds de vacances, on ne propose pas que l'État en supporte la totalité, mais ce qu'on pourrait... Peut-être juste terminer sur une petite note en disant: D'un côté, on a un décret qui est déficitaire de quelque 3 000 000 $, d'un autre côté, on a un comité paritaire qui fait un surplus de 1 000 000 $; le 1 000 000 $, on s'empresse de l'ensevelir dans les coffres de l'État et on nous laisse, une industrie qui n'était pas responsable à ce moment-là, un déficit de 3 000 000 $ et quelques qu'on nous demande de répartir sur une période de quatre mois alors que ça nous a pris 16 ans avant de le creuser.

M. Bédard: O.K. Ça durerait malheureusement plus que 10 minutes, le fait d'en discuter. Et sur ma première question, à l'effet que «Est-ce que pour vous c'est un pas en avant, est-ce que ça rend la chose moins complexe et moins désuète?», est-ce que vous y voyez un intérêt à l'exercice qui est proposé, ou plutôt au projet de loi?

Mme Gravel (Linda): L'exercice que vous nous proposez, on a de la misère peut-être à le cibler réellement. On parle de maintenir quoi? Des normes sectorielles pour l'ensemble d'une industrie, pénaliser une majorité de l'industrie pour une minorité...

M. Bédard: Oui, mais là, vous savez, on compare avec ce qui est fait actuellement. Là, vous, vous voyez votre situation idéale telle que, vous, vous la souhaitez, mais par rapport à la situation actuelle est-ce que vous y voyez quand même un avancement? Je comprends que vous voulez une totale déréglementation. Vous parlez de pénalisation; les autres nous parlent plutôt de protection. C'est pour ça que, nous, on a ajusté notre action face à ça.

Mais j'aimerais savoir: Par rapport à la situation actuelle, est-ce que vous y voyez un intérêt? Est-ce que ça rend la chose moins complexe? Parce qu'enlever les décrets, unifier ça, l'objectif en bout de ligne, c'est de dire: Bon, effectivement, c'était complexe et ce qui était représenté, on rend ça un petit moins complexe. Est-ce que ça l'est ou ça ne l'est pas?

M. Frappier (Jacques): Est-ce que je comprends bien votre question en disant que vous parlez de fusion des quatre décrets?

M. Bédard: Le fait d'avoir des normes sectorielles pour l'ensemble de l'industrie qui autrefois était régie par les quatre décrets et dans la forme que l'on connaît. Là, on sait que ce qui est proposé, c'est par rapport... il y a des secteurs, il y a des éléments très précis qui vont être dictés par le gouvernement pendant cette période-là et par la suite il y aura une intervention dont on ne connaît pas encore l'état parce qu'il y aura une période de deux ans de consultation pour voir qu'est-ce qui sera régi et qu'est-ce qui ne le sera pas. Vous, pour vous, est-ce que c'est un pas en avant? C'est ça que je vous demande.

M. Frappier (Jacques): Si on parle de prendre deux ans pour établir une norme sectorielle ou de participer à des décisions, on a un intérêt à ça. Mais, si on parle d'inscrire cette démarche-là dans un cadre réglementaire actuel, on oublie ça. Ce n'est pas le sens qu'on voudrait à la démarche.

Le Président (M. Sirros): Le temps est à peu près écoulé. Si c'est très rapide, on va permettre de compléter. On passera par la suite du côté de l'opposition. Alors, peut-être rapidement.

Mme Gravel (Linda): Votre question amène bien des sous-questions, mais vous avez commencé votre énoncé en disant... Bon, plusieurs des joueurs qui vous ont fait une présentation hier vous ont demandé: Est-ce que l'État reste présent dans le secteur du vêtement? Ne l'êtes-vous pas par la Loi sur l'équité salariale? Ne l'êtes-vous pas par la...

M. Bédard: Mais d'une façon plus présente.

Mme Gravel (Linda): Plus présente.

M. Bédard: D'une façon plus précise.

Mme Gravel (Linda): Plus précise. Alors...

M. Bédard: C'est le sens de leurs revendications.

Mme Gravel (Linda): O.K. O.K. Parce que, nous, en tant qu'employeurs, on trouve que vous êtes très présent dans notre vie, sur une base journalière.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Sirros): Merci. Alors, M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Merci, M. le Président. Alors, Mme Gravel, madame, messieurs, votre mémoire bien sûr représente la position traditionnelle à laquelle depuis hier nous avons été habitués par les représentants des entrepreneurs, l'Association qui est venue hier matin, avec M. Lapierre, nous avons eu hier soir la Chambre de commerce du Québec, maintenant vous faites valoir un point de déréglementation. Vous êtes des gens qui venez nous dire: Bon, l'industrie est surréglementée, on a besoin d'aller compétitionner à l'étranger – hein, le marché est de plus en plus mondial – et on a besoin de souplesse, on a besoin de polyvalence. C'est ça que vous nous dites.

En même temps, lorsqu'on vous questionne sur la possible baisse des conditions de travail ou de salaire de vos employés, comme M. Lapierre hier, vous nous dites – et M. Audet aussi dans une certaine mesure, hier, de la Chambre de commerce: Non, non, non, nous, il n'est pas question de... on n'a pas besoin de baisser les salaires pour être compétitifs; au contraire, on a besoin d'avoir des salaires intéressants pour attirer des travailleurs. C'est ça en gros, hein, si je comprends bien ce que vous nous dites? C'est ça que vous disiez tout à l'heure, non? Est-ce que j'ai bien compris ce que vous avez dit?

M. Fortin (Jean-Luc): Définitivement.

M. Gobé: Comment?

M. Fortin (Jean-Luc): Oui.

M. Gobé: Oui, d'accord. O.K. De l'autre côté maintenant, on se rend compte dans un rapport d'étude d'impact de la ministre – je ne sais pas si vous avez pu en avoir une copie depuis la séance des gens précédemment avec vous – on remarque, l'étude mentionne, je vais vous le lire, c'est rapide: «Comme les changements dans les salaires et autres conditions de travail ne semblent pas provoquer une onde de choc sur le niveau de l'emploi dans l'industrie de l'habillement – ça va un peu comme vous dites: On n'a pas besoin de baisser les salaires pour donner de la dynamique à cette industrie-là ou donner de la compétitivité, ou, si on le fait, ça a très peu d'impact, en tout cas c'est ce qui est écrit là-dedans – il faut regarder ailleurs pour débusquer les variables qui influent sur l'emploi. Ainsi, si l'on se réfère au scénario examiné par les employeurs et présenté dans leur document intitulé Repositionnement de l'industrie québécoise de l'habillement – Horizon 2000: création de 8 000 emplois – je pense que vous étiez dans ce mémoire-là – ça serait davantage les investissements consacrés à accroître la production et les efforts pour accroître les exportations qui influeraient sur le niveau de l'emploi.»

(12 h 10)

En d'autres termes, si je comprends bien, on semble dégager une réalité qui est que ce n'est pas en baissant les salaires qu'on va dynamiser ce secteur-là encore plus qu'il l'est mais les investissements et en accroissant les exportations. Pouvez-vous me dire en quoi le fait d'abolir les décrets va faire en sorte – vu qu'on ne touchera pas aux salaires, d'après ce que je peux voir – de vous faciliter les investissements et que ça va accroître les exportations? Parce qu'on ne touche pas aux salaires, c'est à peu près ça que vous disiez. Alors, j'aimerais savoir quelle est la partie des décrets qui vous empêche de faire de l'investissement et d'accroître les exportations.

Le Président (M. Sirros): Oui, M. Frappier.

M. Frappier (Jacques): Je vais reprendre un exemple que M. Veilleux utilisait il y a quelques années, je dirais une couple d'années. Quand un manufacturier outre-frontières vient te voir et te demande de coter un prix pour une paire de pantalons homme – dans mon secteur – je vais lui coter un prix. Et je me retourne de bord, il me demande aussi un pantalon pour dame: Ah, ça, je suis désolé, mais je suis obligé de te charger un prix différent, j'ai des salaires réglementés différents. Ce n'est pas croyable. Même si les opérations sont les mêmes. Poser un bouton sur un pantalon d'homme, poser un bouton sur un pantalon de dame, ce n'est pas le même salaire. C'est des choses aberrantes comme ça. C'est de la réglementation, on ne s'attaque pas nécessairement au salaire même. C'est l'ensemble de la réglementation qui dérange.

M. Gobé: Moi, je suis d'accord avec vous et je partage ce côté tout à fait ultra réglementation qu'on retrouve dans certains secteurs, même de l'administration gouvernementale, où quelqu'un pousse un balai, l'autre conduit la voiture qu'on voit à Montréal, des cols bleus. Il y en a un qui est en train de lire le journal dans la camionnette pendant que l'autre est en train de boucher un trou, puis il y en a un autre qui tient un petit drapeau. Peut-être que celui qui conduit la camionnette, qui attend que l'autre ait fini, pourrait tenir le petit drapeau, mais la convention collective qui est rigide fait en sorte que la délimitation des tâches empêche ça, et ça coûte très cher aux contribuables. Vous comprenez que je partage cette philosophie-là, puis je pense que l'ensemble des citoyens du Québec ont à peu près cette perception-là des fois de gaspillage de ... même de qualités humaines, par cette hyperréglementation. Puis ça demande d'être arrangé, ça.

Mais dans le cas ici, que nous parlons, nous, on parle de double assujettissement. Il y a des outils qui actuellement ont été mis en place pour empêcher cela. Premièrement, en 1996, on a quand même planché un peu sur les décrets et on avait adopté l'article 11.1 qui aurait permis de régler ces problèmes de double assujettissement. D'accord? Malheureusement, le gouvernement ne l'a pas promulgué. Il est dans la loi, mais il n'est pas en application. Donc, si le gouvernement avait mis en application l'article 11.1, aujourd'hui vous ne pourriez pas dire avec la même acuité que le double assujettissement vous crée des problèmes parce que vous auriez là un outil pour le régler, en partie au moins. D'accord?

Alors, force est de constater que ce n'est pas forcément à cause du décret comme tel que vous avez ce problème-là aujourd'hui, s'il existe chez vous. D'autres disent qu'il n'existe pas chez eux, qu'ils font juste des jeans, d'autres des pantalons. Mais je crois que des petites entreprises comme certaines peuvent avoir une polyvalence. Moi, je crois à ça.

J'ai l'impression que vous avez raison sur un point, c'est qu'on a laissé traîné ça depuis trop longtemps, on a agi un peu à la pièce à l'occasion, et qu'aujourd'hui, bien, on arrive avec encore, pour régler ce qu'on a laissé traîner, un canon puis on décide de tirer un grand coup, puis on tire à moitié en même temps pour chacun des côtés.

En ce qui concerne les négociations avec les comités paritaires, disons que l'article 11.1, ils n'ont pas mis adopté, mais, lorsque le comité paritaire négocie les conventions, est-ce que vous êtes invités à la table? Avez-vous été mandés pour vous asseoir avec eux, pour faire valoir un certain nombre de points? Parce qu'on parle de comité paritaire, moi, d'après moi, c'est le paritarisme: il doit y avoir les patrons puis les autres, les autres parties.

Des gens m'ont dit que vous aviez décliné l'offre, d'autres me disent non. Alors, vous, étiez-vous... Les représentants, avez-vous été invités? Ou avez-vous décliné l'offre? Ou étiez-vous intéressés à y aller? Je vous offre quelques voies, là.

Mme Frappier (Jacques): On a déjà été invité, même Linda a siégé déjà au comité paritaire, mais j'aimerais qu'elle vous réponde, c'est un petit peu avant mon temps de président.

M. Gobé: Non, mais je ne fais pas de personnalité là; je parle du comité comme tel, hein? Je ne parle pas de vous, bien sûr.

M. Frappier (Jacques): Oui. Écoutez, je pense qu'elle pourrait vous en parler une peu plus longuement que moi sur cette partie-là.

Mme Gravel (Linda): D'abord, si on regarde la Loi des décrets de convention collective, pour faire partie d'une négociation, il faut constituer une partie contractante, patronale ou syndicale. On ne représente pas d'entreprises syndiquées. Majoritairement, nos membres sont non syndiqués, mais on va prendre exemple du vêtement pour dames. On a siégé pendant plusieurs années – bien, plusieurs années, ça nous a paru long, ce n'est pas vrai – pendant quelque temps au comité paritaire du vêtement pour dames, mais ce n'était qu'à titre d'observateur.

Alors, quand on nous présente quelque chose qui est fait, qui est adopté, qui a été entériné par le ministère du Travail... On s'est déjà objecté en 1992. Écoutez, le dossier on le suit de près depuis 10 ans; il s'en est passé des choses en 10 ans. Et on arrivait, nous autres, toujours devant les contre-coups et puis on s'est objecté, on a fait des... on a participé à toutes les audiences publiques, on était celle qui contestait quand venait le temps des audiences publiques; on avait 45 jours, on s'empressait de le contester.

Alors, non, on n'a jamais fait partie des négociations, non, on n'avait pas l'entité pour faire partie des parties contractantes et à un certain point, quand on nous le propose huit ans en arrière, après huit ans de travail, non, on n'était plus intéressé, non, ce n'était plus le temps, oui, on était devant les faits accomplis. Alors, non, on n'avait plus d'intérêt à ce moment-là.

M. Gobé: Est-ce que vous croyez que, si vous aviez été partie prenante de l'évolution, un certain nombre des problèmes que vous évoquez, selon vous, à juste titre, auraient pu être évités ou être réglés?

Mme Gravel (Linda): Auraient pu être...

M. Gobé: Je dis bien un certain nombre, hein, ou l'ensemble. En tout cas.

Mme Gravel (Linda): Éviter, écoutez, on n'a jamais fait face à une loi qui était proactive. Alors, ça prend tellement de temps d'adopter ou de modifier un projet de loi que la minute qu'il arrive, il est désuet. On fait affaire avec une industrie, des entreprises qui sont saisonnières, qui changent deux puis trois puis quatre fois par année de style, de modèle, de tendance, de couleur. On ne peut pas se permettre d'attendre un an avant d'avoir des modifications.

Et il y a eu des modifications qui ont été apportées aux décrets après des années de travail de l'Association. On a vu des allégements au niveau de l'application des heures de travail, entre autres, où on voulait permettre à nos employés de finir le vendredi à midi. Ça ne venait pas de nous, ça venait de nos employés. On est partenaire avec eux. On essayait de le faire, le décret ne nous le permettait pas. Ça nous a pris deux ans avant de la gagner, cette clause-là. Mais à la minute qu'elle devient effective, on était déjà aux prises avec un autre problème, la production modulaire ou avec nos classifications de travail. On ne nous permettait pas de l'intégrer en usine. Alors, on règle un problème et puis il y en a trois autres qui surviennent, là.

M. Gobé: Et là à ce moment-là, Mme Gravel, ça m'amène à vous poser la question suivante: Est-ce que vous pensez que l'établissement de normes sectorielles gérées par l'État, comme c'est dans le projet de loi et comme la ministre s'y est engagée ce matin encore et hier à plusieurs reprises, d'établir des normes spéciales sectorielles pour votre industrie, est-ce que vous croyez que ces normes sectorielles, qui, là, vont être gérées par l'État, ça va être plus souple et plus rapide d'évolution? Croyez-vous ça?

Mme Gravel (Linda): Non, et c'est pour ça qu'on n'embarque pas...

M. Gobé: Alors, si je comprends bien, vous vous en maintenez à votre mémoire lorsque vous dites: «Il n'est nullement question de maintenir un cadre réglementaire à deux vitesses au-delà de ces années de transition. Dès l'an 2002, cette partie de l'industrie du vêtement sera soumise – vous voulez dire, là, devra être soumise, en tout cas, c'est ça que vous voulez dire probablement, hein, selon vous – comme la majorité des autres employeurs du Québec, à la Loi des normes du travail, et à un régime général des relations de travail.»

Pourriez-vous m'expliquer ce que vous voulez dire en disant ça? Régime général, est-ce que c'est le régime de base actuel ou c'est le régime spécial de la ministre pour votre industrie?

Mme Gravel (Linda): Non, non, c'est le régime que la majorité des employeurs a à respecter. Actuellement, on parle de la Loi des normes du travail, entre autres, on parle du Code du travail, on parle de...

M. Gobé: Est-ce que c'est très important pour vous, selon vous? Est-ce que c'est une condition gagnante de votre industrie?

Mme Gravel (Linda): De? D'abolir les décrets sans...

M. Gobé: Non, d'être soumis à la Loi sur les normes, au régime général, et non pas à un régime spécial.

Mme Gravel (Linda): Oui, je pense que oui. Je pense que oui parce que, de toute façon, si l'État intervient, on aimerait ça qu'il intervienne aussi pour nous aider à nous développer. On parle de nous imposer encore un taux horaire, bon, qu'on n'a même pas eu le temps de discuter, on nous arrive en commission parlementaire avec une solution qui apparaît selon plusieurs très intéressante, mais il faudrait prendre le temps de regarder cette solution-là. On parle toujours de l'industrie régie par décrets, là. Est-ce que c'est celle-là qu'on va continuer encore de régir puis encore de considérer si malhonnête, si...

M. Gobé: Donc, ce que vous voyez, c'est ce qui est en train de se produire en effet, c'est qu'on va transférer la réglementation du comité paritaire, avec – pour employer un euphémisme – armes et bagages mais surtout avec quelques employés, les inspecteurs, puis peut-être les employés de soutien de ces inspecteurs-là, à la Commission des normes, on va collecter chez vous un montant d'argent plus élevé que les autres employeurs. Hein, les autres employeurs paient 0,08 % sur leur masse pour financer les activités de la Commission des normes; dans votre cas, on va percevoir 0,2 %, 250 % plus cher. Alors, c'est ça qui se prépare, hein, dans le projet de loi, c'est ce que madame nous a confirmé ce matin.

À ce moment-là, donc, ça va être le projet de loi s'il passe tel quel. Êtes-vous en faveur de ce projet de loi là tel quel, tel qu'on le voit maintenant?

Mme Gravel (Linda): Mais non.

M. Gobé: D'accord. Je vous remercie de votre réponse.

Maintenant, vous, M. Frappier, vous êtes un peu le porte-parole des entrepreneurs, puis, moi, je respecte ça, les entrepreneurs, j'en ai beaucoup dans ma circonscription. J'ai beaucoup de travailleuses aussi dans ma circonscription, puis je les respecte aussi, puis je respecte les gens, les entrepreneurs comme les travailleurs, pour leur bon sens. C'est que tout le monde est conscient dans notre société, au Québec, que ce soit les entrepreneurs comme les travailleurs, que pour avoir un travail pour l'un, il faut qu'il y ait un entrepreneur pour l'autre, puis que pour que l'entrepreneur fonctionne, il faut qu'il vende ses produits, mais aussi il faut qu'il ait du bon personnel puis qu'il soit content puis que ça fonctionne le plus harmonieusement possible. Quand il y a de la chicane dans l'entreprise, eh bien, on ne fait pas des grosses productions bien fortes ou bien bonnes puis la qualité de production s'en ressent, puis des fois on perd le contrat. Si on perd le contrat, bien, on perd la job, on perd l'emploi. Tout le monde est conscient de ça.

(12 h 20)

On est dans un projet de loi actuellement qui ne vous satisfait pas, avec lequel... ce n'est pas ça que vous demandiez. Les travailleurs sont devant la même situation que vous pour des raisons différentes. Et là on a deux solutions aujourd'hui. Ou vous recommandez à Mme la ministre de continuer sur son projet de loi tel qu'il est, vous obtenez une partie qui s'appellera Abolition des décrets, ça, ça va être le titre de la loi, mais dans la réalité ce n'est pas ça parce que le décret, il va être reconduit par la fonction publique. Vous savez comment ça marche, en plus.

Ou alors on prend une autre solution: on demande à Mme la ministre de retirer son projet de loi, de suspendre le processus, de prendre une pause, une grande respiration, comme on dit, et d'aller convoquer les parties, dont vous, les intervenants majeurs de ce secteur de l'industrie qui s'appelle l'habillement, qui est le premier secteur manufacturier du Québec avec 66 780, aujourd'hui exactement, employés, travailleurs, et dans une période allouée, bien, vous vous asseyez ensemble et vous isolez les irritants – et il y en a – qu'il y a actuellement dans la manière de fonctionner, vous regardez la manière de reformuler, de réorganiser et d'assouplir, de modifier le cadre actuel qui régit une partie de votre industrie.

Et, quand c'est fait, de bonne volonté, parce que sinon tout le monde va se retrouver avec un projet de loi avec lequel il n'est pas d'accord, eh bien, à ce moment-là on agit par législation pour mettre ça légal et vous permettre de fonctionner. Ce qui permettrait d'après moi d'avoir un meilleur climat, parce que, vous, vous serez satisfaits, du moins il y aura un consensus minimal, les travailleurs aussi, et tout le monde pourra aller dans la même direction. Sans cela, bien, chacun va continuer... personne sera content puis tout le monde va tirer chacun de son bord, et j'imagine les résultats que ça peut créer.

Alors, ma question, c'est: Seriez-vous en faveur d'un tel processus puis d'une telle recommandation à Mme la ministre? Plusieurs autres que vous avant ont dit oui. Je sais que dans le milieu des travailleurs les gens sont assez intéressés; dans le milieu patronal, d'autres rencontres informelles qu'ici m'ont amené à penser que la proposition avait un peu de bon sens. Alors, je vous la pose bien honnêtement et sans chausse-trape, à vous, dans un but positif: On est dans une impasse; comment on en sort, de l'impasse? Est-ce qu'on peut, avec une solution comme celle-là?

M. Frappier (Jacques): Si je comprends bien vos questions, vous avez deux alternatives. Si vous me demandez de choisir une des deux alternatives, ça serait la deuxième. Mais je vous ferais quand même remarquer que ça fait 10 ans qu'on se consulte, donc les deux ans de transition, si on fait table rase des décrets, ça serait la limite pour arriver à établir un cadre satisfaisant pour l'industrie du vêtement.

M. Gobé: M. Frappier, moi, je lisais et je vous regardais, vous me semblez un homme qui est à la recherche de solutions, pas un dogmatique qui dit: La mode actuellement, c'est de couper, de déréglementer; on coupe pour couper, on déréglemente pour déréglementer. Vous me semblez une personne qui cherche des solutions pratiques, humaines et applicables pour son industrie.

M. Frappier (Jacques): Je vous ai mentionné faire table rase aussi des décrets. Je ne crois pas, moi, que c'est en gardant une réglementation qu'on va aider l'industrie à se développer. Posez-vous la question: Combien d'emplois les décrets ont créé? Est-ce que vous pouvez me répondre à ça?

M. Gobé: Sauf que là on est dans un dilemme différent, c'est qu'on n'est plus dans l'abolition des décrets, on est dans l'établissement, je vais vous citer la ministre, ce matin, au texte, j'ai trouvé ça intéressant de le prendre: «On est ici parce qu'on veut déterminer des normes sectorielles.» Elle a dit ça. Puis: «Embarquez dans le train qui passe», elle a dit ça aux gens avant vous.

Donc, la question ne se pose plus, là, si on fait table rase des décrets. La question qu'on a actuellement bien précisément, c'est: Est-ce qu'on adopte sa loi – dans notre cas, nous, on ne peut pas l'adopter – ou est-ce qu'on suggère positivement quelque chose pour sortir de cette impasse où, vous, vous n'êtes pas satisfaits et où les travailleurs ne sont pas satisfaits?

Maintenant, au plus, vous pouvez dire: Moi, je veux juste abroger les décrets, mais ce n'est pas ça qu'elle veut faire. Puis les autres peuvent dire: Non, je veux juste les garder, mais ce n'est pas ça qu'elle veut faire non plus. À un moment donné, il faut faire quelque chose, là. C'est ça, une commission parlementaire, ça sert à ce genre de débat et de proposition. Puis des fois, c'est l'opposition qui le fait sortir; on est là peut-être pour ça aussi.

Le Président (M. Sirros): En vous indiquant, monsieur...

M. Gobé: C'est dans le sens de ma question: Seriez-vous en faveur de participer, vous, à un processus comme celui-là?

Le Président (M. Sirros): En vous indiquant, M. Frappier, que ce serait le dernier mot, que votre réponse va terminer nos travaux. Donc, vous avez le dernier mot.

M. Gobé: ...

M. Frappier (Jacques): Écoutez, de faire partie du comité qui va établir toutes les règles en pensant qu'on nous donnerait le droit d'édicter les règles, c'est une alternative qui est pensable, pas nécessairement souhaitable mais qu'on peut s'asseoir et regarder. Mais de garder le cadre réglementaire actuel parallèle à ça en attendant, c'est de prolonger quelque chose qui ne fait pas l'affaire de personne.

M. Gobé: Au moins, sur le principe, vous êtes ouvert à participer à un processus comme celui-là?

M. Frappier (Jacques): De participer à l'établissement des règles, on souhaite être là et ne pas être seulement consultatif mais être aussi décisionnel.

M. Gobé: Tout à fait.

Le Président (M. Sirros): Merci beaucoup, M. Frappier. En remerciant tous ceux qui vous ont accompagné, ceux qui vous ont précédé de leurs témoignages et des questions des députés. Ceci met fin à nos travaux. Je suspends les travaux jusqu'à cet après-midi, 14 heures. Merci.

(Suspension de la séance à 12 h 28)

(Reprise à 14 h 16)

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): La commission de l'économie et du travail va donc reprendre ses travaux, tout en vous rappelant que le mandat est toujours celui de procéder à une consultation générale et de tenir des auditions publiques sur le projet de loi n° 47, Loi concernant les conditions de travail dans certains secteurs de l'industrie du vêtement et modifiant la Loi sur les normes du travail.

Alors, nous avons cet après-midi deux groupes à rencontrer. Je demanderais donc au prochain groupe, c'est-à-dire à Mme Lina St-Hilaire, qui est inspectrice au Comité paritaire du vêtement pour hommes, de bien vouloir s'installer.

Mme St-Hilaire, je voudrais vous souhaiter la bienvenue, bien sûr, et vous rappeler que vous avez droit à 20 minutes en fait pour présenter votre mémoire. Par la suite, chacun des membres, celui du gouvernement et de l'opposition officielle, a 20 minutes pour échanger avec vous. Alors, vous pouvez y aller, madame.


Mme Lina St-Hilaire

Mme St-Hilaire (Lina): Merci. Mme la ministre, Mme la Présidente et tous les autres, je me présente, Lina St-Hilaire. Je tiens à citer que le mémoire présenté est personnel et au nom des salariés de l'industrie du vêtement.

Je viens vous donner mon point de vue sur cette cause, le maintien de la loi des décrets. Cette cause, je l'ai à coeur ayant au fil des 14 dernières années été témoin de différentes injustices subies par les salariés, et dernièrement, depuis la présentation du projet de loi, constaté leurs inquiétudes de voir le peu de protection dont ils bénéficient s'effilocher. Et tout cela juste parce que l'union de plus de 60 ans des organismes dont la loi découle est en divorce. Seraient-ils les enfants d'un divorce qui vont encore une fois en souffrir?

Cette présentation est aussi suite à des sollicitations continuelles de ces salariés de me confier de faire en sorte de trouver un moyen de vous rejoindre pour vous communiquer leur désarroi, leurs inquiétudes, car, eux, n'ont pas le verbe, le temps, la possibilité ou le courage de le faire eux-mêmes.

Ils ont aussi, et avec raison, peur. Peur des représailles, de perdre leur emploi ou autre. Ils ne savent pas comment vous rejoindre. C'est en sorte un message d'appel à l'aide de leur part afin d'empêcher que leurs maigres conditions de travail se détériorent encore plus.

Comme on l'a dit, abolir les décrets dérange du monde. Oui, cela dérange les salariés, ceux qui s'occupent de faire respecter leurs droits, les unions, les comités paritaires. Cependant, on a oublié de dire: Abolir les décrets arrange du monde. Oui, cela arrange les employeurs qui eux pourraient enfin régner sans avoir rien à respecter. Ce serait en effet un allégement réglementaire qui leur permettrait de faire des profits supplémentaires au détriment des salaires des salariés en les diminuant directement ou indirectement.

(14 h 20)

D'après les dires, les compagnies non régies ou non syndiquées sont à la hausse; sûrement, mais à quelles conditions salariales et autres? Quelques employeurs seulement ont réalisé que le maintien du décret rend la compétition équitable dans l'industrie du vêtement, les employeurs ayant tous les mêmes bases à respecter. Il faut qu'ils paient des loyers, des salaires, des vacances, des fériés. Les maigres conditions de travail, les taux de base, n'ont pas changé depuis 1994. Les fériés et les vacances nuisent aux employeurs. Est-ce à dire qu'on ne veut plus aucune condition de travail?

Les faux obstacles qu'ils apportent, les contraintes, sont ridicules. Lorsqu'on dit que les rapports mensuels de salaire du comité paritaire occasionnent une série de paperasse, aujourd'hui avec l'informatique les grosses compagnies font parvenir des disquettes compatibles à notre système qui enregistre toutes les données. Les autres compagnies ont des copies de leurs paies effectuées sur un ordinateur et celles qui n'ont pas de copieur vont au coin de la rue faire des copies de leurs livres de paie.

Il y a aussi la production mixte. Encore un faux obstacle. En atelier avec production hommes et dames, une visite conjointe des deux comités paritaires détermine le pourcentage le plus élevé, et c'est la prépondérance qui assure juridiction. En atelier, avec production hommes et non assujettie, encore là un pourcentage peut être établi, et un composé sur les taux est accordé. Donc, un seul taux à payer. Ou encore, au choix de l'employeur, il peut se donner la peine de tenir le temps séparé sur chaque opération, chaque production, puis payer deux taux.

À ma connaissance, aucune permission de confection de tel ou tel vêtement n'a jamais été demandée. Les employeurs savent bien qu'ils peuvent faire la confection qu'ils veulent ou qu'ils peuvent faire, mais qu'ils doivent se conformer, tel que je l'ai mentionné précédemment. En fait, les manufacturiers de vêtements hommes sont spécialisés dans leur domaine et de façon générale ils ne veulent pas faire d'autres sortes de vêtements. Les vêtements propres pour hommes sont faits par des manufacturiers de vêtements pour hommes et puis ceux du jeans font du jeans. Ce sont surtout dans les petits ateliers qu'on peut rencontrer ces mini-problèmes.

Sachez que ces gens de métier effectuent un travail ingrat d'une durée de huit heures au moins par jour avec une pause-repas variant de une demi-heure à une heure, et souvent sans aucune pause, et ce, sous surveillance continuelle, constante et directe. Plusieurs employeurs n'accordent aucune marge d'erreur ou de ralentissement de production. Plusieurs employeurs usent d'intimidation: convocation dans leur bureau, cris, blasphèmes, hurlements. Ces salariés sont poussés au maximum de leur capacité afin d'accélérer la production.

J'en profite, M. Gobé, pour confirmer que ce que vous avez qualifié de musée d'horreur, les descriptions d'abus faites par Mmes David et Sainte-Marie, hier, sont véridiques et sans exagération. Oui, dans la majorité des ateliers, les salariés sont considérés comme des robots. Cependant, d'après mes constatations, aussi incroyable qu'il soit, ces attitudes des employeurs vis-à-vis des salariés sont en partie acceptées par les salariés. Elles font partie des règles du jeu, dont les peurs de perdre leur emploi les empêchent de s'y opposer ou de les mentionner.

Ce que je crois que les salariées n'acceptent pas, c'est qu'en plus de tolérer ces attitudes elles ne bénéficient d'aucune conditions salariales décentes ou de conditions de travail raisonnables pour leur permettre de vivre tout au moins au seuil de la pauvreté. Ces attitudes sont une raison de plus pour laquelle il est si important que des visites périodiques des inspecteurs soient effectuées. Ces visites intimident les employeurs et rassurent les salariés que tout au moins leurs classes d'opération sont respectées, que l'employeur tient des registres de paie, déduit des impôts, en fait minimise le travail au noir et les abus de tout genre.

L'industrie du vêtement est une industrie en compétition continuelle, une compétition très féroce, tellement que les minimums du décret sont devenus des maximums à respecter pour bien des employeurs. La preuve, certains contrats d'union l'an passé ont ajouté ces minimums, datant de 1994, à leurs conventions sans les hausser pour les années 1995, 1996, 1997 et 1998, où, dans ces conventions, il y avait eu des augmentations à chaque année. Croyez-vous que les patrons auraient accepté ces contrats s'il y avait eu hausse de ces taux garantie des mêmes opérations données à chaque année?

Voici quelques exemples d'abus, le plus récent date de lundi, le 13 septembre. Un appel au bureau spécifie que la situation date de trois semaines, la salariée aurait été payée à la moitié de sa semaine de salaire. C'est une compagnie d'environ, mettons, 15 à 20 salariés peut-être, 23. Toutes les salariées sont dans le même cas; elles n'ont reçu que la moitié de leur semaine de salaire, que maintenant la compagnie les menace même de ne pas les payer si elles n'acceptent pas de faire de temps supplémentaire. On va s'en occuper.

Dernièrement aussi, une salariée confrontée devant moi, la propriétaire, la contremaîtresse, sur déclaration de travail effectué pour une période donnée. La salariée a été traitée de menteuse. Suite à mon enquête, la salariée prouve qu'elle a réellement travaillé, qu'il y a eu un faux rapport de la propriétaire. On a fait les ajustements; c'était dû et ça a été réclamé. C'est un cas qui a été réglé.

Un autre cas, les classements d'opération. Les compagnies classent les salariés sous une classe plus basse afin de les payer moins cher. Exemple, on peut classer... un presseur de finition dans la classe b est à 10,25 $; on le classera dans la classe c à 8,40 $ comme presseur sur une presse automatique au lieu d'un presseur de finition. Si on ne passe pas pour vérifier les faits, le salarié restera à son 8,40 $ parce que c'est le seul taux qu'on a au décret.

Il y a aussi la question des fermetures subites de compagnies, les faillites parfois louches, et ce, sans avoir payé deux, trois semaines de salaire et aucune indemnité de départ ou de vacances. Nous nous occupons des réclamations aux fournisseurs de la compagnie pour récupérer tout au moins les salaires dus, qu'est-ce qui revient aux salariés.

Il y a aussi le travail effectué les jours fériés ou pendant les vacances. Les employeurs exigent sous différentes menaces que le salarié travaille et veulent les rémunérer à taux régulier seulement. Les salariés souvent vont accepter, mais, lorsqu'on se présente en visite en atelier, ils nous approchent afin qu'on voie leur cas et qu'on s'en occupe. On a même vu des cas où les salariés ont été forcés à travailler la journée de la fête nationale de la Saint-Jean-Baptiste, et pas juste dans une compagnie.

Mme la ministre, tout au long des années, malgré le très peu que nous ayons dans la loi, maintes fois j'ai reçu des témoignages de gratitude, de remerciements verbaux et écrits pour l'application du décrets. C'est l'une des raisons pour lesquelles je me sens encore utile et que j'y crois toujours.

Mme la ministre, une partie du message est de vous demander d'empêcher que ces salariés soient de plus en plus abusés, et ce, par des visites continuelles, une surveillance constante de leur maigres droits et revenus, en exigeant des déclarations salariales constantes, des rapports mensuels, des visites en atelier. Vous dites qu'une décision sera prise sur une consultation qui devra être représentative. Non, la consultation n'est pas représentative, car les principaux intéressés ne sont que minoritairement représentés et consultés.

(14 h 30)

Dans l'industrie du vêtement, il y aurait 57 % de non régis; tous devraient être régis, car tous ont droit à des minimums. Par ce, la flexibilité de la confection serait encore moins touchée; s'il y avait fusion des décrets, tous seraient sur le même pied d'égalité.

Sachez que l'une de nos plus grosses compagnies paie les salariés 6,90 $, le salaire minimum de la province de Québec, à 23 % de ses salariés, c'est-à-dire que sans changement au salaire minimum en octobre 1999 ces salariés ne bougeront pas. Croyez-vous qu'avec l'abolition leurs conditions s'amélioreraient? Il y a déjà en place un système établi, et un système qui fonctionne, structuré, avec des améliorations à apporter, oui, mais à abolir, non. Une suggestion vous est apportée. Sortez le rapport de 1996 sur la fusion et révisez-le; il y aura sûrement une solution. Il y a toujours de la place à l'amélioration mais non pour la détérioration.

Une question à laquelle je n'ai pas entendu de réponse: Quels organismes représentatifs consulterez-vous pour effectuer les changements s'il y a lieu? Comme vous l'avez dit, Mme Lemieux, l'information, c'est le pouvoir. Maintenant que vous êtes informée, vous avez le pouvoir d'accorder à ces gens du peuple, ceux qui vous ont élue, le support, la protection salariale et des conditions de travail minimums afin qu'ils puissent vivre décemment de leur métier effectué.

Mme la ministre ainsi que vous tous merci de m'avoir écoutée. Je répondrai à vos questions au meilleur de ma connaissance.

Le Président (M. Kieffer): Alors, merci, Mme St-Hilaire. Vous connaissez les règles: chaque partie a 20 minutes. Nous allons commencer par la partie ministérielle et nous allons conclure avec l'opposition officielle. Alors, je cède la parole à Mme la ministre.

Mme Lemieux: Merci, M. le Président. Mme St-Hilaire, vous avez dit en introduction que c'est un mémoire que vous faites sur une base personnelle; je vous remercie de l'avoir fait. Je pense que vous le faites avec beaucoup d'émotion aussi; je peux comprendre ça.

Vous avez repris une phrase que j'ai dite hier et que je vais vous relancer: L'information, c'est le pouvoir. Ce qui m'attriste énormément, c'est de laisser croire, et que vous soyez presque sûre de ça, que les employeurs n'auraient plus rien à respecter. Mme St-Hilaire, vous savez parfaitement que ce n'est pas vrai, ce n'est pas vrai. Et ce n'est pas parce qu'on change certaines règles au niveau de l'encadrement de certaines conditions de travail...

Écoutez, même, là – je vais mettre une hypothèse au pire, Mme St-Hilaire – même s'il n'y avait plus de décrets et qu'il n'y avait même pas de normes sectorielles là où je veux aller, supposons qu'il n'y en a même plus, les employeurs seraient tenus de respecter un certain nombre de choses. Ils le sont actuellement; ils devront continuer à l'être. Les employeurs seront toujours tenus de respecter certaines lois d'ordre public, comme la Loi sur la santé et la sécurité, comme la loi minimale des normes du travail – bon, il y en a plusieurs.

Ce n'est pas vrai, ce n'est pas vrai, Mme St-Hilaire. Et ça m'attriste beaucoup de penser qu'il y a des gens qui pensent qu'à partir du moment où ce processus-là sera en cours et à terme, dans plus ou moins deux ans, qu'il n'y aura plus... Tout le monde a des obligations dans une société. Et ce n'est pas vrai. Et ce n'est pas vrai qu'on ne fait qu'abolir les comités paritaires puis qu'après ça il n'y a plus rien. Ce n'est pas vrai.

Et outre – outre, parce que je veux plus vous parler de ça – le fait qu'il nous faille établir des conditions de travail, c'est ce qu'on essaie de faire, qui correspondent assez bien à la réalité de ce milieu-là – et c'est le choix que je fais, je ne fais pas qu'abolir les comités paritaires – il y a un organisme, qui s'appelle la Commission des normes du travail, qui est là pour faire respecter la Loi sur les normes du travail, qui va tirer le meilleur de cette expérience des comités paritaires des dernières années, qui va mettre à la disposition de ce milieu-là sa propre expertise et qui devra développer un programme de surveillance complet – complet – pour ce secteur-là. Alors, je suis un peu déstabilisée, moi, que les gens véhiculent ça parce que ce n'est pas vrai. Et je pense que cette commission, elle est très utile.

J'ai posé souvent cette question-là, je sais que mes collègues en ont aussi à poser, des questions dans ce sens-là, sur quels devraient être les éléments de ce programme de surveillance, mais il y a une tonne de possibilités que nous offre la Commission des normes du travail. Il n'y a pas que de se rendre chez l'employeur; il y a d'être proactif, il y a d'apporter de l'aide à des employeurs pour que les choses se passent correctement. Ce n'est pas vrai que la Commission des normes marche juste à partir de plaintes. Ce n'est pas vrai. Elle peut faire des enquêtes sur ses propres bases. Moi, je mise beaucoup que nous allons améliorer, pas juste faire de la répression, punir, etc., nous allons améliorer le respect des normes du travail dans le secteur de l'industrie du vêtement. Moi, c'est le pari que je fais.

Maintenant, vous m'avez lancé une question; je vous la relance. Vous m'avez lancé la question: Quels organismes allez-vous consulter pour justement établir ces conditions de travail minimales dans le secteur du vêtement? Quels organismes allez-vous consulter, comment ferez-vous en sorte finalement que ce soit représentatif? Je vous relance la question: Qu'est-ce qui ferait en sorte, pour vous, que ce processus-là, de deux ans, là, soit représentatif? Qui doit être autour de cette table-là?

Le Président (M. Kieffer): Mme St-Hilaire.

Mme St-Hilaire (Lina): ...à votre réponse, là, ça serait, c'est certain, les patrons, il faudrait qu'ils fassent partie quand même des discussions, il y aurait les salariés, les principaux intéressés, et puis les unions, ceux qui les défendent, ceux qui s'occupent de leurs droits.

Mme Lemieux: Comment... Peut-être une toute petite question. On a un défi, parce que les salariées qui sont dans les entreprises syndiquées, elles ont une possibilité de représentation. Ça dépend des sous-secteurs dans l'industrie, mais ce n'est pas un secteur, l'industrie du vêtement, qui est ultrasyndiqué, on a le défi de rejoindre aussi les travailleurs et les travailleuses non syndiqués. Avez-vous des bonnes idées là-dessus?

Mme St-Hilaire (Lina): Certainement. Ils peuvent nommer des représentants...

Mme Lemieux: O.K.

Mme St-Hilaire (Lina): ...dans chaque atelier ou dans certains secteurs peut-être, comme dans la Beauce, ou dans certaines régions.

Mme Lemieux: Par région, par exemple.

Mme St-Hilaire (Lina): C'est ça.

Mme Lemieux: C'est une bonne piste.

Mme St-Hilaire (Lina): Des choses qui pourraient être apportées.

Mme Lemieux: Merci.

Le Président (M. Sirros): Vous avez terminé, Mme la ministre?

Mme Lemieux: Oui. J'étais en pleine réflexion.

Le Président (M. Sirros): Alors, je cède maintenant la parole à la députée de Crémazie.

Mme Blanchet: Merci, M. le Président. Mme St-Hilaire, la ministre vient d'aborder rapidement au niveau de la nouvelle politique de la Commission des normes au lendemain de l'abolition. On sait que la Commission a quand même déjà une idée comment elle va fonctionner; ils vont pouvoir fonctionner non seulement à partir de plaintes, mais, si eux jugent qu'ils doivent intervenir ou aller enquêter dans un endroit précis, on va le faire. Et aussi ils pourront cibler des secteurs plus particuliers, le vêtement, mais il y en a plein d'autres aussi.

(14 h 40)

Mais il ne faut pas oublier qu'on prévoit l'intégration des inspecteurs, de vos collègues aussi, ce sera peut-être vous aussi, justement à la nouvelle commission; alors, c'est une expertise qui va pouvoir se joindre à la Commission des normes. Mais pour vous comment vous verriez la meilleure forme d'inspection possible avec cette nouvelle façon de faire là de la Commission des normes pour justement qu'il n'y ait pas de bris entre ce qui se fait aujourd'hui, des différents cas que vous nous avez décrits tantôt, et la nouvelle façon de faire au lendemain de l'abolition des décrets?

Mme St-Hilaire (Lina): Qu'est-ce que je voulais dire, quand on disait qu'ils n'auront plus rien, pour eux ce ne sera pratiquement rien, les salariés, si on ne conserve pas la remise des rapports mensuels de salaires pour vérification si les salaires sont correctement payés, les fériés sont observés, les vacances.

Il faut qu'il y ait des rapports qui se fassent continuellement, parce que c'est un secteur que les jeunes n'approcheront pas, n'iront pas aux normes du travail, n'apporteront rien. Donc, il faut découvrir pratiquement par soi-même qu'est-ce qu'il y a qui ne va pas, dans quoi les salariés sont lésés dans leurs droits. Donc, ça prend des rapports mensuels, ça prend des études avant de se rendre dans les endroits pour, suite à ça, questionner les salariés sur les faits: Qu'est-ce qui s'est passé, comment ça se fait que leurs salaires ont baissé, pourquoi les fêtes n'ont pas été payées, appliquer la loi. Il faut que les gens aient confiance; il faut les visiter, il faut les voir. Sans ça, il n'y aura plus d'approche qui va se faire. Ça va se perdre en fumée puis...

Mme Blanchet: Si présentement, que ce soit vous ou de vos collègues, vous visitez des employés dans les entreprises, bon, bien, si, moi, je vous fais confiance, je vous approche, je vais vous raconter un problème que j'ai vécu dernièrement, mais après l'abolition des décrets, si c'est encore vous qui venez nous visiter, d'après moi je ne perdrai pas la confiance. Alors, pourquoi tout à coup il y aurait une autre peur?

Parce que vous disiez aussi, dans votre mémoire... On comprend qu'il y a des gens qui ont peur de parler sous peine de sanctions ou punitions quelconques, mais, si dans le fonds ce sont les mêmes inspecteurs ou à peu près, ce sont les mêmes gens qui viennent, il ne devrait pas y avoir de perte de confiance. Donc, ce lien-là devrait continuer... les informations devraient continuer à vous parvenir. Maintenant, ce sera la Commission des normes au lieu du Comité paritaire. Alors, pourquoi tout à coup il y aurait vraiment un nouveau monde, là? Pourtant, ça sera les mêmes gens.

Mme St-Hilaire (Lina): Parce que présentement vous le dites, que ça va se faire de cette façon-là, mais ce n'est écrit nulle part. C'est tout simplement dit que les inspecteurs ou ceux qui s'occupent du système d'inspection dans les ateliers vont être transférés aux normes du travail. Mais ça s'arrête là. On ne précise pas s'il y aura continuité d'inspection, continuité d'exiger des rapports des employeurs. Il n'y a rien de précis. Il n'y a rien d'écrit. Dans le projet de loi, vous ne dites rien de ça.

Mme Blanchet: En tout cas, moi, selon des notes que j'avais, pourtant... c'est quand même: Tout employeur qui est assujetti à la loi des normes a un minimum de renseignements à fournir. À moins que ça sera à préciser. On pourra regarder. Moi, je vous remercie.

Mme St-Hilaire (Lina): Merci.

Le Président (M. Kieffer): Alors, merci, Mme la députée de Crémazie. M. le député de Maskinongé.

M. Désilets: D'abord, je vous trouve courageuse.

Mme St-Hilaire (Lina): Merci.

M. Désilets: Ça fait combien de temps que vous travaillez pour...

Mme St-Hilaire (Lina): Ça fait 24 ans que je suis pour le Comité paritaire, 14 ans que je suis inspecteur.

M. Désilets: Puis cette expérience, vous parlez au nom de vos...

Mme St-Hilaire (Lina): Quatorze ans d'expérience.

M. Désilets: ...14 années d'expérience sur le terrain, de vécu. Vous étiez combien d'inspecteurs, voilà 14 ans?

Mme St-Hilaire (Lina): Sept, peut-être.

M. Désilets: Sept. Vous êtes combien maintenant?

Mme St-Hilaire (Lina): Quatre.

M. Désilets: Est-ce que la tâche a été simplifiée ou il y a eu une augmentation de tâche? Juste une question de...

Mme St-Hilaire (Lina): Il y a eu une augmentation de tâche, c'est certain. On a fait les visites un peu moins fréquentes peut-être, puis on n'a pas remplacé ceux qui ont quitté pour raison de... ils ont pris leur retraite ou... C'est tout.

M. Désilets: Les entreprises qui ne sont pas assujetties aux normes, vous n'avez aucun contrôle avec eux autres? Est-ce que vous avez un moyen de...

Mme St-Hilaire (Lina): Absolument pas.

M. Désilets: Absolument pas?

Mme St-Hilaire (Lina): Nous, il faut absolument qu'ils confectionnent le vêtement qui est décrit dans la loi du Comité paritaire. Il y a une description des vêtements. C'est des vêtements pour hommes et garçons et le vêtement jeans. Donc, ce ne sont exclusivement que ces vêtements-là, que les gens qui pratiquent sur ces vêtements-là, à la fabrication, qui sont régis sous le Comité paritaire.

M. Désilets: Donc, il y en a une grande partie qui vous échappe quand même?

Mme St-Hilaire (Lina): On dit qu'il y a 57 %.

M. Désilets: Ça va être tout. Je sais que mon collègue a une autre...

Le Président (M. Kieffer): ...M. le député de Gaspé.

M. Lelièvre: Merci, M. le Président. Bonjour, madame. J'aimerais savoir: Par année, une inspectrice ou un inspecteur peut traiter combien de cas problématiques?

Mme St-Hilaire (Lina): De cas problématiques?

M. Lelièvre: Oui. Bien, des cas que vous devez solutionner ou qu'il y a des plaintes ou que vous décelez des anomalies, des erreurs ou encore... des erreurs de bonne foi ou de mauvaise foi, là.

Mme St-Hilaire (Lina): Je dirais que c'est continuel. Je veux dire, moi, je...

M. Lelièvre: Quoi? Cinq cents, 1 000?

Mme St-Hilaire (Lina): Je ne pourrais pas vous donner de chiffres, franchement.

M. Lelièvre: Mais c'est tous les jours ou quoi?

Mme St-Hilaire (Lina): Pratiquement tous les jours on a un cas qui survient. Comme là, je suis certaine, moi, je ne suis pas rentrée au bureau, là, je vais en avoir, quelques cas, sur mon bureau.

M. Lelièvre: Et à partir du moment que vous avez complété une analyse d'un cas, recueilli les documents, vérifications, ça vous prend combien de temps à obtenir un règlement ou une correction de la part de l'employeur?

Mme St-Hilaire (Lina): De la part de l'employeur? Ça dépend des employeurs. Il y en a que juste sur un coup de téléphone ils vont régler tout de suite le litige, ça ne dure pas longtemps. Par contre, d'autres, il faut se rendre sur place faire une investigation, et puis on peut être un mois à fouiller puis à chercher. Puis par la suite il faut faire des facturations ou des réclamations. Et suite à ça ça passe en cour bien souvent, puis à ce moment-là les employeurs paient.

M. Lelièvre: Et quels types de recherche que vous faites? Vous dites: Il faut rechercher des choses.

Mme St-Hilaire (Lina): C'est quand même assez compliqué. Souvent, c'est du temps travaillé qu'il faut rechercher, les cartes de poinçon, pour avoir la preuve si le temps a réellement été travaillé. Suite à la découverte des cartes de poinçon en question, il faut vérifier au livre de paie si ce temps-là a été entré. Parce que souvent, nous, on ne l'a pas reçu, au Comité paritaire, parce qu'ils omettent d'envoyer leur rapport dans ces cas-là, parce qu'ils cachent bien des choses, donc ils n'envoient pas de rapport au Comité paritaire. Et suite à ça, bien, il faut prouver, avec la salariée, qu'elle a vraiment travaillé et puis qu'il y a des réclamations à faire. Et puis c'est des enquêtes. Et suite à ça la facturation se fait au bureau avec les livres de paie, les cartes de poinçon, et puis on établit combien l'employeur doit à la salariée et on fait une facturation puis là ça poursuit son cours plus loin. Il y a des suites qui se font avec les avocats, et tout.

M. Lelièvre: Moi, Mme la Présidente, ça complète mes interrogations.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Ça répond à vos questions. Alors, merci, Mme St-Hilaire. M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Merci, Mme la Présidente. Mme St-Hilaire, j'ai le plaisir de vous saluer à cette commission parlementaire. Votre témoignage est fort intéressant étant donné que c'est le témoignage d'une personne qui vit dans le milieu depuis, comme vous disiez, 25 ans bientôt et particulièrement comme inspectrice depuis 14 ans. Je crois qu'on peut penser que vous avez une perspective passée et présente assez pointue de ce milieu-là. Alors, je crois que je ... de votre témoignage à la lumière de ces qualifications.

Sur le futur, parce que là on parle du passé, on voit qu'on est en plein dans un processus de changement, le gouvernement a décidé de légiférer, d'abroger les décrets et d'édicter des normes sectorielles; comme la ministre le disait hier et ce matin, ici, en cette Chambre: Nous sommes à la recherche... nous sommes ici pour déterminer des conditions pour cette industrie, des conditions sectorielles.

À la lumière de toute votre expérience, vu qu'on ne pourra peut-être pas empêcher la ministre de légiférer et d'édicter ces conditions sectorielles, c'est quoi qu'il devrait y avoir dans les conditions sectorielles que la ministre... à part aller vérifier, son comité de surveillance, comme elle dit aux gens? Mais je ne pense pas que ça soit bien ça que les gens veulent comme consultation; ils veulent un peu plus que d'être un groupe témoin de matériels promotionnels de la Commission des normes. Je présume que le rôle que vous vouliez avoir est peut-être plus élaboré. Alors, ça serait quoi? Comment vous verriez ça, vous, ces normes sectorielles? Ça devrait commencer par quoi, les salaires, les conditions de travail, les horaires? Ça serait quoi, là?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme St-Hilaire.

Mme St-Hilaire (Lina): Vous voulez dire l'application...

(14 h 50)

M. Gobé: Mais pas l'application, la détermination. Vu qu'elle veut faire des normes différentes des... Il y a les normes minimales du travail, comme vous le savez, au Québec, qui existent pour tout le monde, le salaire minimum à 6,90 $, enfin les heures de travail, les jours fériés. Alors, Mme la ministre s'est engagée à faire des normes différentes dans son projet de loi, une fois qu'elle aura aboli le décret, pour, dit-elle, ne pas laisser les patrons – je n'ai plus le mot exact, mais enfin je peux le retrouver, j'avais lu ça ce matin... On va déterminer des normes sectorielles; ce qu'on veut, c'est que les employés ne soient pas soumis à l'arbitraire patronal le plus total. C'est ce qu'elle a dit. À partir de là, vu que la ministre semble craindre qu'il puisse avoir un arbitraire patronal, ça serait quoi, les normes que vous voudriez, vous, avec votre expérience de 25 ans et 14 ans comme inspecteur, qui soient absolument dans les normes qu'elle veut édicter.

Mme St-Hilaire (Lina): Il faut absolument conserver le fait que ça prend des rapports mensuels, des rapports de salaire, d'heures de travail. Il faut absolument conserver ce fait-là. Sans cela, on ne peut pas déterminer si les heures ont été respectées, si les salaires ont été respectés, si les fériés ont été observés, les vacances. Ça prend des rapports, peut-être pas à chaque mois mais au moins à chaque six mois, puis ça prend des preuves comme quoi les salariés ont vraiment travaillé ces heures-là, qu'ils ont eu ces gains-là. Suite à ça, il y a des inspections qui peuvent se faire pour vérifier si le tout est conforme et puis voir s'il n'y a pas autre chose qui ne fonctionne pas.

M. Gobé: Ça, c'est pour la vérification, d'accord...

Mme St-Hilaire (Lina): Oui.

M. Gobé: ...des heures travaillées. Maintenant, en ce qui concerne le travail comme tel, l'organisation du travail, est-ce qu'il y a des normes particulières que vous aimeriez voir, comme les pauses, comme, je ne sais pas...

Mme St-Hilaire (Lina): O.K.

M. Gobé: C'est vous l'inspectrice. Moi, j'ai...

Mme St-Hilaire (Lina): C'est certain que, moi, si j'y vais d'après ma loi, c'est 39 heures-semaine de travail. Par jour, c'est huit heures, du lundi au jeudi, et le vendredi, c'est sept heures. Il y a une heure de pause-café ou de pause-dîner, disons, qui devrait demeurer, c'est certain. Et puis les fériés, on ne peut pas diminuer le nombre de fériés qui sont déjà en place. C'est pratiquement ceux des normes du travail, à l'exception d'un qu'on ajoute, c'est le lundi de Pâques.

Et puis pour les vacances les salariés perdraient beaucoup s'ils se retrouvaient aux Normes du travail. Parce qu'avec la loi du Comité paritaire, c'est 4 % pendant trois ans, dans le vêtement pour hommes, et au bout de trois ans, c'est 6 %, en parlant des vacances de l'été, et à l'hiver, pour tous, dans l'industrie du vêtement pour hommes, ils ont un 2 % additionnel, tandis qu'aux normes ils n'ont que, après cinq ans de service, 6 %, ou bien l'équivalent de trois semaines de salaire.

M. Gobé: Donc, ça fait partie... Vous semblez nous indiquer que les normes devraient être sensiblement les mêmes que celles qu'il y a actuellement dans les décrets de convention.

Mme St-Hilaire (Lina): Sans ça, les salariés vont perdre terriblement le peu qu'ils ont. Ils n'ont pas énormément.

M. Gobé: Je vous ai lu ce matin la partie du rapport de Mme la ministre qui dit: «Il ne faut pas passer sous silence les effets que pourraient subir notamment les travailleurs non syndiqués des quatre secteurs, qui risquent de voir une certaine détérioration de leurs conditions de travail et une diminution plus ou moins marquée de leurs revenus de travail.» Donc, est-ce que vous êtes d'accord avec cette analyse du comité-conseil de la ministre, qu'il a écrite dans le rapport qu'elle a déposé, ou est-ce que vous pensez qu'il n'y aura pas d'impact sur les conditions de travail et les salaires? Comme les employeurs sont venus, nous ont dit: Non, nous, on n'a pas l'intention – je n'ai pas de raison de mettre en doute les paroles les gens – de baisser...

Mme St-Hilaire (Lina): Moi, je suis convaincue...

M. Gobé: ...les salaires, on n'a pas de l'intention de baisser les conditions de travail; ce qu'on veut, c'est empêcher le double assujettissement puis la paperasserie puis la trop grande rigidité qui nous empêchent d'avoir de la souplesse pour faire différentes productions. En gros, c'est ça qu'on nous a dit ce matin. Et les gens l'ont dit avec leurs tripes, parce qu'ils le vivent probablement.

Alors, comment expliquer que dans un rapport de la ministre, par ses fonctionnaires, on mette en garde contre l'appauvrissement, même la ministre, dans son mémoire au Conseil des ministres, parlait de 2 % de baisse de salaire, et les travailleurs et les patrons qui, eux, disent: Non, nous, on ne voit pas de problème avec ça?

Mme St-Hilaire (Lina): Moi, je suis certaine qu'il y aura des diminutions de salaire.

M. Gobé: Dans les vêtements pour hommes, femmes?

Mme St-Hilaire (Lina): Autant d'un côté que de l'autre.

M. Gobé: Autant d'un côté... Qu'est-ce qui amène votre argumentation?

Mme St-Hilaire (Lina): Présentement, il y a des taux minimums à respecter et non un seul taux, lorsque, disons, on établit un seul taux à respecter.

M. Gobé: Vous, vous êtes sur le terrain, vous allez dans les entreprises, vous connaissez comment ça fonctionne probablement, hein? Vous êtes bien au fait.

Un autre paragraphe du rapport de la ministre, des études d'impact, qui a été déposé et je vais vous en faire lecture, c'est une conclusion: «Comme les changements dans les salaires et autres conditions de travail ne semblent pas provoquer une onde de choc sur le niveau de l'emploi dans l'industrie de l'habillement – qu'ils disent, là, suite à l'étude, ils se rendent compte que ce n'est pas les salaires qui sont la partie importante du coût de production, c'est trois fois moins que la matière première, d'accord? – il faut regarder ailleurs pour débusquer les variables qui influencent sur l'emploi – ce qu'ils veulent dire là, c'est qu'il faut regarder ailleurs pour voir les choses, les changements à faire ou les améliorations ou les modifications qui ont un impact sur l'emploi.

«Ainsi, si on se réfère au scénario examiné par les employeurs et présenté dans leur document intitulé Repositionnement de l'industrie québécoise de l'habillement – Horizon 2000 , ce serait davantage – écoutez-moi bien, là – les investissements consacrés à accroître la production et les efforts pour accroître les exportations qui influeraient sur le niveau de l'emploi.»

Je ne sais pas si vous avez bien compris. Ce qu'ils veulent dire par là, c'est que ça serait davantage les investissements consacrés à accroître la production – on parlait probablement de technologie, de machinerie, d'investissement, donc dépenses d'argent – et les efforts pour accroître les exportations – on parlait de recherche de marchés extérieurs et d'accroissement de la production, bien sûr, productivité.

Alors, on nous dit que ce n'est pas forcément les salaires qui sont le problème, ça a un impact marginal, et qu'on devrait plutôt se pencher sur l'investissement dans la technologie et accroître les exportations. Est-ce que vous pensez, vous, que les décrets actuellement empêchent l'entrepreneur d'investir dans de la technologie et d'accroître ses exportations?

Mme St-Hilaire (Lina): Absolument pas parce que nos minimes taux de décret présentement n'ont nui à rien de ça, et puis les employeurs l'ont dit eux-mêmes, que les salaires, ce n'est pas ça qui bougerait, ils ne baisseraient pas les salaires. Donc, je ne vois pas pourquoi ça les empêcheraient d'aller en expansion.

M. Gobé: Alors, la question de fin, c'est: Pourquoi sommes-nous ici en train de vouloir abolir les décrets? Le salaire n'étant pas, selon ce que tout le monde reconnaît, à part l'étude de la ministre... même eux, ils disent, c'est marginal. En effet, les salaires ne devant pas baisser ou étant marginalement la cause de coûts, pourquoi sommes-nous ici pour abolir les décrets? Et pourquoi l'industrie et le gouvernement n'ont pas pris les moyens pour favoriser l'investissement dans ces entreprises-là et accroître les exportations? Pourquoi sommes-nous ici, alors? Ça sert à quoi d'être ici?

Mme St-Hilaire (Lina): Si nous sommes rendus ici, c'est parce que c'est les employeurs qui veulent enlever le peu de lois qu'ils ont à respecter vis-à-vis de leurs salariés, c'est tout. Sans ça, on ne serait pas ici.

M. Gobé: Oui, mais ils nous disent qu'ils ne baisseront pas les salaires.

Mme St-Hilaire (Lina): Oui, mais le dire, c'est une chose...

M. Gobé: Puis c'est marginal. L'étude de la ministre nous dit que c'est un coût marginal. Alors, qu'est-ce qu'ils vont gagner là-dedans? Qu'est-ce qu'il y a à gagner? Est-ce que l'organisation du travail est tellement rigide qu'elle empêche de fonctionner en dehors des coûts salariaux? Est-ce qu'on ne devrait pas changer l'organisation du travail? Ou les rapports entre les secteurs?

Mme St-Hilaire (Lina): Ça aiderait, c'est certain.

M. Gobé: Ça pourrait aider?

Mme St-Hilaire (Lina): Oui.

M. Gobé: Ça serait une suggestion...

Mme St-Hilaire (Lina): Qui serait à apporter.

M. Gobé: ...que vous pourriez faire?

Mme St-Hilaire (Lina): Oui.

M. Gobé: Écoutez, je pourrais vous poser beaucoup, beaucoup de questions là-dessus, mais... Vous, si le projet de loi est accepté, vous gardez votre job, vous allez être engagée par la Commission des normes, vous êtes inspecteur?

Mme St-Hilaire (Lina): C'est ce qu'on dit. Mais, je veux dire, ce n'est pas le principal du pourquoi je suis ici, moi. Je suis ici pour que les salariés conservent le petit peu de droits qu'ils ont présentement. Et, comme je dis, si on le reporte à un autre département, qu'on reporte tout ce qu'ils ont présentement avec eux.

(15 heures)

M. Gobé: D'accord. Si je comprends bien ce que vous dites, en terminant, c'est: O.K., si vous voulez faire votre projet, faites-le, mais, dans vos normes sectorielles, spéciales pour nous, amenez notre paquet à nous autres puis administrez-le par le gouvernement, au lieu de l'administrer par le Comité paritaire. C'est ça, là?

Mme St-Hilaire (Lina): Je ne dis pas de le faire, là...

M. Gobé: Non, non.

Mme St-Hilaire (Lina): ...mais je ne sais pas pourquoi on le...

M. Gobé: Que, s'ils veulent le faire, vous n'avez pas le choix, c'est que ça devrait se faire comme ça.

Mme St-Hilaire (Lina): C'est ça.

M. Gobé: Mais vous ne dites pas de le faire.

Mme St-Hilaire (Lina): Non.

M. Gobé: Écoutez, je vous remercie beaucoup de vous être déplacée. Je sais que ce n'est pas facile, des fois, pour les citoyens de venir ici rencontrer les députés. En plus, on a la grande salle. Alors, des fois, il y a des salles un peu plus conviviales. Je vous félicite. Vous avez très, très bien fait ça. C'est peut-être l'exemple de la contribution des simples citoyens – il n'y a pas de simples citoyens – des citoyens, pardon, en dehors des grandes organisations à la démocratie, et à l'avancement, et à la défense de leurs intérêts et de leurs idées. Ce n'est pas seulement dans les campagnes électorales, c'est pendant tout le temps lorsqu'on est concerné, ou que nos collègues, ou des groupes sont concernés par des changements avec lesquels on peut ne pas être d'accord ou pour lesquels on peut avoir des suggestions ou des modifications à faire valoir. Et il est à souhaiter que de plus en plus, dans le processus gouvernemental, les citoyens puissent avoir accès à ce genre d'exercice. Il est à souhaiter aussi que les gouvernements et les oppositions ne fassent pas simplement les écouter et en tiennent compte. Alors, je vous remercie.

Mme St-Hilaire (Lina): Merci.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, Mme St-Hilaire, écoutez, moi, j'aurais une question pour vous. C'est très rare que je me prévaux de ça parce que je sais que les membres de la commission généralement ont posé beaucoup de questions. Moi, je peux vous dire que depuis hier, madame, j'ai entendu beaucoup de choses. On nous dit qu'en fait ça fait 60 ans que les décrets existent. On nous parle aussi qu'il y a des comités paritaires pour défendre les travailleuses, et tout ça, et les travailleurs de cette industrie-là. Par ailleurs, on nous raconte, on est venu nous expliquer qu'il se passait des horreurs dans ce milieu-là aussi.

Alors, je m'interrogeais beaucoup, moi, et je vous la pose. Je ne suis pas une spécialiste des comités paritaires, alors je me dis: Comment ça se fait que, si on a un système qui est supposé... qu'il faut garder parce que ça protège beaucoup les gens, comment ça se fait qu'il se passe encore autant de situations folles et d'horreurs comme on nous a racontées?

Autre question, c'est: Qu'est-ce que c'est les pouvoirs exactement d'un comité paritaire quand un comité paritaire se rend compte qu'il y a une difficulté majeure ou qu'il y a infraction? Je sais qu'ils peuvent fermer des entreprises dans certains cas, mais par ailleurs par rapport à des sanctions, à des amendes, qu'est-ce que c'est les pouvoirs réels d'un comité paritaire si on compare avec la Commission des normes du travail qui a, elle, des pouvoirs qui sont différents de ceux d'un comité paritaire? L'autonomie aussi d'un comité paritaire, parce qu'on parle aussi des gens qui travaillent dans l'industrie: il y a le patron, il y a les employés aussi; l'écart qu'il peut y avoir entre tous ces gens-là quand ils discutent ensemble et la possibilité d'être autonome. En fait, c'est des questions que je me pose compte tenu de ce que j'entends depuis deux jours.

Mme St-Hilaire (Lina): O.K. Concernant les horreurs, qu'on appelle, ou ce qui peut se produire en atelier, comme je l'ai dit, ça devient, autrement dit, presque du quotidien vis-à-vis les salariés. Au début, c'est certain que j'imagine que les gens doivent sursauter, que, comme moi-même, on n'en revient pas, mais, à la longue, ça s'intègre et puis on se dit: Au moins, j'ai un travail. Ça va. Puis ça devient que ce n'est pas vraiment de l'horreur, c'est tous les jours, là.

Et puis en ce qui a trait au comité paritaire, c'est certain que, s'il y a une compagnie qui fait faillite, que demain matin elle n'a pas payé trois semaines de salaires à ses employés, ou quatre semaines, peu importe, et puis pas de vacances, les salariés n'ont rien reçu au départ, à ce moment-là, nous avons des possibilités d'aller chercher leur dû aux fournisseurs de la compagnie, à ceux qui ont fourni du travail à celui qui faisait travailler ces gens-là. Et c'est par des procédures légales que nous allons chercher l'argent dû. Dans la plupart des cas, c'est de la façon qu'on procède: on fait des rapports et puis, par la suite, il y a des facturations qui sont établies pour les montants qui sont dus, qui n'ont pas été payés, tout dépendant de chaque cas, et puis on va en cour, et puis c'est payable comme ça.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Ce qui inquiète beaucoup, finalement, c'est l'obligation, en tout cas la possibilité des inspections, là. Par ailleurs, écoutez, je regarde ça, si la Commission des normes du travail avait cette obligation de faire des inspections, bien avec les inspecteurs qui s'y connaissent bien sûr, puisqu'on entend dire que c'est les inspecteurs du secteur, ces gens-là qui vont... En fait, ça va être les mêmes inspecteurs. S'il y avait une obligation de faire des inspections, est-ce que vous croyez que, par rapport à la Commission des normes du travail, il y aurait plus de pouvoirs que dans un comité paritaire actuellement, compte tenu des possibilités que la Commission des normes du travail a, les pouvoirs, là, si on veut?

Mme St-Hilaire (Lina): Je pourrais vous dire que je ne sais pas les possibilités qu'il y a aux normes du travail à ces points de vue là. Donc, je ne pourrais pas vous répondre si ça correspondrait à ce que, nous, nous pouvons avoir au Comité paritaire du vêtement pour hommes.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Autrement dit, ça serait bon qu'il y ait un petit peu d'informations qui circulent à cet effet-là.

Mme St-Hilaire (Lina): Oui.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Écoutez, madame, je vous remercie.

Mme St-Hilaire (Lina): C'est beau.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Je m'excuse auprès des membres de la commission. J'ai essayé de ne pas abuser, mais là je ne pouvais pas me retenir. Alors, Mme St-Hilaire, merci de votre présentation.

Je demanderais maintenant aux membres du Conseil du patronat du Québec de s'installer pour pouvoir nous présenter leur mémoire. Je vais donc suspendre quelques minutes, le temps que les gens s'installent.

(Suspension de la séance à 15 h 7)

(Reprise à 15 h 10)

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, la commission va reprendre ses travaux. S'il vous plaît, si vous voulez prendre place.

Nous accueillons donc le Conseil du patronat du Québec. Je voudrais vous rappeler que vous avez 20 minutes pour présenter votre mémoire et que, par la suite, chacun des groupes parlementaires a aussi 20 minutes pour pouvoir échanger avec vous. S'il vous plaît, M. le porte-parole... C'est M. Taillon, je crois?

M. Taillon (Gilles): C'est ça, madame.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, si vous voulez vous présenter, ainsi que les gens qui vous accompagnent.


Conseil du patronat du Québec (CPQ)

M. Taillon (Gilles): Oui. Alors, merci beaucoup, Mme la Présidente. Le CPQ remercie les membres de la commission de lui permettre de formuler ses commentaires à l'égard du projet de loi n° 47. Et je vais de ce pas répondre à votre invitation de présenter les gens qui m'accompagnent. À ma gauche, Me Louise Marchand, qui est la directrice des relations de travail au Conseil du patronat. C'est elle qui a travaillé avec les membres, les représentants de l'industrie, et qui a été à pied d'oeuvre pour préparer le mémoire qu'on vous présente. À ma droite, M. Jean Tremblay, qui est le vice-président exécutif de l'Association des industries de portes et fenêtres. Vous le savez, c'est une industrie qui n'est plus régie par des décrets. Donc, vous avez à ma droite un homme libre, libéré du joug des décrets.

Je ne ferai pas lecture exhaustive de notre document, je pense que vous l'avez lu. Je vais plutôt reprendre d'une façon très brève l'essentiel de nos arguments autour de cinq observations. Je vais faire ça rapidement et laisser quelques minutes à Jean pour témoigner un peu de l'expérience vécue dans son industrie et de ce qui en résulte quelques années après la libération.

En appui à l'industrie du vêtement, Mme la Présidente, le CPQ souhaite l'abolition des décrets dans ce secteur. Dans le contexte d'une concurrence féroce tant sur les marchés domestiques qu'à l'international, nous croyons que les dispositions trop rigides des décrets constituent un frein à l'expansion et étouffent tranquillement ce secteur. La question des coûts de main-d'oeuvre n'est pas que salaire, mais toutes les conditions qui permettent à l'industrie de s'ajuster, de s'adapter aux réalités du marché.

En comparaison avec les provinces limitrophes qui ne sont pas assujetties à des décrets, les mémoires de l'industrie ont bien fait ressortir une baisse dans la part des exportations au cours des dernières années, ce qui n'augure rien de bon pour la croissance dans ce secteur et pour la création d'emplois. L'industrie évalue de plus que 28 % de la capacité de production n'est pas réalisée et que des milliers d'emplois ne sont pas créés. Bref, notre première observation, c'est qu'il faut bouger. Le statu quo n'est plus acceptable.

Deuxième observation. Dans un contexte d'une nécessité de créer de l'emploi et de faire reculer le chômage, tout ce qui peut faire disparaître les rigidités dans les conventions collectives ou ce qui en tient lieu, notamment les décrets, donc toute opération qui vise à faire reculer cela est une opération vitale pour le Québec. Quand nos contrats de travail regorgent de clauses qui découragent le rendement et l'initiative, on crée du chômage. Le Sommet sur l'emploi l'a reconnu en 1996. On a créé le groupe Lemaire qui a réitéré, dans son premier rapport, l'obligation d'alléger la réglementation du travail. La situation du chômage parle d'elle-même, et nous pensons qu'il faut agir si on veut réduire un taux qui perdure autour de 10 % et qui est inacceptable.

Troisième observation. Nous appuyons la proposition du projet de loi qui prévoit une période transitoire de deux ans pour permettre d'organiser le changement tant pour les employeurs que pour les travailleurs. Donc, c'est un oui sans réserve aux dispositions transitoires qui sont souhaitées par les membres de l'industrie du vêtement.

Quatrième observation. Nous nous opposons cependant avec force à des propositions d'inclusion définitive des conditions de travail des décrets à la Loi sur les normes du travail. Nous pensons à cet égard que ce n'est pas un véritable allégement pour l'industrie. On recrée autrement ce qu'on veut abolir. Moins épais ne veut pas dire plus simple. On ne règle rien pour améliorer la compétitivité et faire du Québec un fer de lance dans cette industrie. On ouvre de plus la voie à l'effet pervers d'une négociation sectorielle sous l'effet de la sectorialisation des normes, ce qui est totalement inacceptable. Les exemples foisonnent d'ailleurs au Québec de l'efficacité de ce mode de négociation et des coûts que cela engendre. Nous n'encourageons certainement pas à recréer une telle situation et un tel piège dans une industrie comme celle du vêtement.

Nous avons entendu, au cours des derniers jours, les partisans du statu quo ou du maintien de normes sectorielles craindre pour la détérioration des conditions de travail des salariés advenant la fin du protectorat étatique. C'est une préoccupation en apparence noble et légitime, mais elle ne résiste pas à l'évolution prévisible des choses. Nous croyons au contraire, avec les membres de l'industrie, que le statu quo ou son équivalent – entendons «équivalent» comme le maintien des normes sectorielles – pourra protéger un certain temps certains travailleurs, mais pour combien de temps? Si l'industrie se sclérose à la camisole de force des décrets et des normes sectorielles, compte tenu de la concurrence externe, les emplois tomberont et la protection illusoire se transformera en pure perte. De plus, le Québec aura perdu la possibilité de créer de nouveaux emplois.

S'il n'y avait pas de filet de sécurité sociale que constitue la Loi sur les normes du travail, nous comprendrions que les salariés soient craintifs et souhaitent profiter d'un tel filet. Cependant, nous ne comprenons pas du tout pourquoi on demande un statut particulier qui marginaliserait ou singulariserait ces travailleurs par rapport à l'ensemble des travailleurs du Québec, à moins qu'on nous annonce que la Loi sur les normes sera modifiée pour correspondre à certains avantages qui sont proposés dans le projet de loi n° 47. On est sûr que ce n'est pas ça qui s'en vient.

Les partisans du statu quo – pour reprendre une analogie de notre sport national, sans aucune référence aux Capitals, le hockey – demandent au gouvernement de s'asseoir sur une légère avance que le Québec a peut-être dans cette industrie par rapport à l'adversaire et de jouer défensif. On connaît bien le résultat. L'adversaire profite de l'inertie pour prendre l'initiative et gagner le match. Mme la ministre qui pilotez ce dossier, les opposants vous demandent d'être le cerbère d'une équipe perdante. Je ne vous connais pas cette ambition.

Notre cinquième observation, qui est davantage une préoccupation et une inquiétude qu'une observation, que vous pourrez peut-être calmer en nous répondant tantôt, c'est quant au rôle de surveillance confié à la Commission des normes du travail en lieu et place des comités paritaires et de l'augmentation possible du nombre de fonctionnaires que laisse présager le libellé du projet de loi. Nous nous demandons: Combien cela va coûter? Pour combien de temps? Et vous comprendrez que notre préoccupation là-dessus est entière parce que c'est nous, les employeurs, qui payons entièrement la note. Alors, nous voulons avoir, dans le fond, comme attente, cinquième préoccupation, une idée un peu des coûts envisagés ou des impacts économiques de ce projet à court – donc pour la période transitoire – et à moyen terme, s'il s'appliquait tel que proposé.

Alors, voilà pour les arguments principaux du Conseil. Je demanderais à Jean Tremblay, qui a vécu une expérience de, je dirais, libération des décrets, de fin des décrets dans son industrie, de nous révéler un petit peu ce qui s'est passé, nous faire état de ça, mais surtout de nous dire comment ça va après coup. Je pense que ça serait très éclairant pour les parlementaires. Alors, trois ou quatre minutes, Jean.

(15 h 20)

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Tremblay.

M. Tremblay (Jean): Merci. Donc, en 1990, après 20 ans d'assujettissement, on a demandé d'être affranchi de ce qu'on avait confié au gouvernement, c'est-à-dire la surveillance des relations de travail, et qu'on voulait récupérer du fiduciaire ce qu'on lui avait confié, onze extensions.

Et ça m'amuse un peu, ça m'a amusé de retourner dans des notes, parce que j'entends tout ce que j'ai entendu durant toutes ces années, durant de nombreuses auditions: Les méchants patrons vont ramener tout le monde au salaire minimum. Il va se partir des entreprises partout. Ça va nous concurrencer. Les gros vont se faire manger. Ça va être épouvantable!

Bien, c'est drôle, ce n'est pas comme ça que ça a fini. À l'époque, on nous a proposé des mesures transitoires. J'en ai même oublié plusieurs. Mais on avait, au service des décrets, au bureau, à l'époque, du ministre, fait des calculs pour fixer un salaire moyen. Et, finalement, on s'est entendu – tout le monde n'était pas d'accord, mais le ministre de l'époque l'était, madame – pour prendre, des deux décrets qui nous assujettissaient, le salaire le plus bas et vivre avec ça pendant deux ans. Bon.

On peut présumer que, du 1er août 1997 au 1er août 1999, personne n'avait le droit de faire quoi que ce soit, mais je vous dis que le salaire ainsi fixé était à 8,90 $ au bois ouvré – juste pour expliquer qu'il y avait deux décrets – le salaire le plus bas au verre plat était à ce moment-là à 10,80 $ – et je me réfère à une note du service des décrets qui nous avait fait un beau tableau – et, en 1997, le taux de la convention collective qui était en vigueur et qui avait été renouvelé – parce qu'il y avait à l'époque un seul syndicat du côté du verre plat – était de 13,62 $. Une étude réalisée cet été par Raymond Major et Associés, qui n'a pas fait le tour de toute l'industrie, mais qui est un «benchmarking» d'une trentaine d'entreprises au Québec, donne comme point de repère: coût de la main-d'oeuvre de production, 15,01 $.

Alors, des Bonhommes Sept Heures, on a entendu parler de ça régulièrement, mais, c'est drôle, il n'y a rien qui s'est concrétisé. Il y a plus d'entreprises qu'il y en avait et l'exportation a augmenté – malheureusement, je n'ai pas le chiffre, je n'ai pas le document avec moi – de 6 % ou 8 %. Bon, vous allez me dire: La conjoncture. Eh oui, mais les entreprises ont embauché. Il y a plus de travailleurs aujourd'hui dans l'industrie des portes et fenêtres, et plusieurs milliers. On a des problèmes de formation partout, des problèmes de recrutement. Sur la route 20, vous passez, vous voyez, chez Donat Flamand, une banderole qui dit: Nous engageons. Puis, en face, c'est marqué: Nous engageons. Puis dans la Beauce. C'est partout comme ça, et c'est vrai aussi à Montréal.

J'ai lu votre document. Je trouve que vous y avez mis des mesures transitoires dangereuses. Maintenant, si les parties les acceptent, je n'ai pas à m'y opposer. Le président du Conseil du patronat, où je siège, dit: Bon, on est d'accord parce qu'eux sont d'accord. On va être d'accord, mais je trouve que, au niveau des pouvoirs que s'octroie la ministre ou le ministre, enfin, vous allez vous substituer aux parties et vous allez imposer des règles. Donc, d'un décret qui était négocié, ça va devenir un décret du gouvernement. J'ai beaucoup de misère avec ça. Et je ne comprends pas pourquoi on afflige les entreprises. Parce qu'on parle toujours des travailleurs, mais il faudrait peut-être un peu penser aux entreprises, parce que les centrales syndicales ne créent pas d'emplois. Les entreprises ont des employés, puis, quand il n'y a plus d'entreprises, bien il n'y a plus d'employés. Et je trouve qu'on a peur d'avoir peur d'avoir peur.

Maintenant, chez nous, il y a eu des restructurations, comme c'est normal qu'il y en ait. Il y en a eu aussi dans les représentations que les entreprises... On avait deux associations patronales, on en a déjà eu trois. En tout cas, chez nous, le membership a doublé et l'Association a plus que doublé ses services. Donc, les entreprises sont mieux servies. On a un comité sectoriel, puis on vit la même vie que tout le monde.

Alors, je ne comprends pas pourquoi il y a autant de mesures. Quand on ouvre les portes à quelqu'un qui sort d'Orsainville, on ne lui impose pas de venir déjeuner, dîner, souper, profiter du gymnase puis des autres activités du centre de détention. On dit: Tu es libre, tu t'en vas. Mais la liberté de ces gens-là va être très conditionnelle à beaucoup, beaucoup d'affaires, et ça m'apparaît un peu biaisé.

Maintenant, nous, on est très heureux. Les employés n'ont rien subi, sauf qu'ils ont un meilleur salaire ou des meilleurs salaires, plus de possibilités d'expansion. Les entreprises exportent. Donc, les entreprises sont plus saines puis les employés, j'imagine, sont beaucoup plus contents. En tout cas, ils sont plus sécures, ils sont dans de meilleures business qu'avant. Parce que brasser du papier, ça ne faisait pas vendre des fenêtres. Alors, je ne sais pas si ça fait vendre des vêtements.

M. Taillon (Gilles): Alors, Mme la Présidente, voilà pour notre présentation générale. Nous attendons vos questions.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, je vous remercie. Mme la ministre.

Mme Lemieux: Merci, Mme la Présidente. Écoutez, vous savez, la peur d'avoir peur, il y en a plusieurs qui ont ça. Hier, le député de Groulx faisait remarquer, et il a une expérience parlementaire plus longue que moi, à quel point ça faisait longtemps qu'il n'avait pas vu et qu'il n'avait pas constaté un fossé aussi grand. Enfin, il pourra en reparler.

Mais la peur d'avoir peur quand je vois, dans votre propre mémoire: «La survie de ces entreprises en dépend», écoutez, là, avec ou sans décret, il va en fermer et ouvrir d'autres, entreprises dans le secteur du vêtement. Je pense que vous avez compris que je veux faire avancer ce débat-là. Je ne supporte pas les clichés de personne. Ce matin, on a eu une discussion assez costaude avec la CSD. Et, si on veut avancer, il va falloir arrêter de se véhiculer, de se lancer ces clichés-là.

Alors, je veux un peu revenir là-dessus. Écoutez, vous nous introduisez... Votre mémoire est extrêmement intéressant, votre propos est intéressant, vos observations sont pertinentes. Mais ce qui est assez fascinant, ce matin la CSD m'a reproché de mettre en cause un droit fondamental de liberté d'association, de contrevenir au rapport de force normal qui peut s'installer dans une entreprise. Je leur ai dit: Écoutez, on n'est peut-être pas à la bonne commission parlementaire, là. On est en train de commencer la commission parlementaire sur la réforme du Code. Vous, vous me dites: «L'instauration de normes sectorielles ne peut qu'enclencher un mouvement menant irrémédiablement à la négociation sectorielle. Ça constitue une syndicalisation obligatoire qui soulève de sérieuses questions au titre véritable de choix démocratique de la représentation.»

En tout cas, je constate que les parties sont loin. M. Tremblay peut me reprocher qu'on accorde beaucoup de pouvoir au gouvernement dans ce dossier-là, mais ça fait 10 ans que ce dossier-là se discute. Il ne s'est rien passé et les gens ont désinvesti les lieux où ça devait se passer. Alors, à un moment donné, comme État, il faut prendre nos responsabilités. Je le constate. J'ai fait mon éditorial hier à un de vos collègues, Michel Audet, de la Chambre de commerce du Québec, en disant: Comment se fait-il qu'il faut toujours être au bout du rouleau pour que, là, tout d'un coup, les gens soient prêts à trouver des solutions? Alors, je suis un petit peu dans cet état d'esprit là quand je vois votre présentation.

Ceci étant dit, vous avez bien compris qu'un des enjeux, c'est peut-être des peurs. J'essaie de les cerner, de rassurer lorsqu'on a besoin de le faire, de mettre les choses en perspective. Vous avez parlé de préoccupations nobles. Vous savez, quand les gens ont une crainte que les salaires ne soient que poussés vers le bas, je ne peux pas ignorer non plus cette crainte-là. Et c'est ça, l'enjeu le plus fondamental quant au fait d'essayer d'établir des conditions de travail, c'est beaucoup autour du taux salarial que ça se pose. C'est plus que des préoccupations nobles. Je me dois d'entendre ces préoccupations-là et de m'assurer qu'on a ce qu'il faut pour ne pas envoyer des gens dans des situations catastrophiques. Je ne peux pas ignorer ça.

(15 h 30)

Alors, je vais reprendre, M. Taillon, votre analogie sur le hockey. Vous savez, Maurice Richard, il a joué sans beaucoup de protection. Avec le temps, on a appris qu'on avait intérêt à jouer au hockey intelligemment, à avoir un casque puis à avoir des règles du jeu. Alors, moi, je vous relance: Je pense qu'il faut assurer... il faut avoir des garde-fous, il faut avoir un cadre minimum. On se doit de rassurer, d'être au clair avec une population qui gagne sa vie à des conditions difficiles.

Ce n'est pas un travail simple. Je suis allée en entreprise, là. On n'est pas au moyen-âge, j'en conviens, mais ce n'est pas un travail facile. C'est un travail répétitif. On ne peut pas ignorer ça. Mais je vous relance la balle, vous offrez quoi, vous? Vous ne voulez pas d'intervention de l'État, vous dites que c'est des préoccupations nobles, mais qu'est-ce qu'il offre, le milieu? J'attends une réponse sur cette question-là, M. Taillon.

Comme vous m'avez lancé une question de mon côté, je vais y répondre. Pour ce qui est de l'inspection et surveillance, l'idée n'est pas de gonfler les mécanismes d'inspection et de surveillance, l'idée est de travailler à partir de ce qu'on a. On a deux choses: on a un bassin d'inspecteurs qui existe déjà dans les comités paritaires, alors on va travailler avec eux, on va les utiliser, on va les récupérer; puis on a une infrastructure qui s'appelle la Commission des normes du travail.

L'idée n'est pas de rajouter, rajouter, rajouter; l'idée est de tirer le meilleur de tout ça, de véritablement réunir les meilleures pratiques existantes à la fois à la Commission des normes, dans les comités paritaires, puis de développer un programme d'inspection et de surveillance, de s'assurer, donc, du respect des normes minimales du travail correctement, décemment, sans jouer nécessairement juste sur la répression un peu bébête, être proactif puis faire en sorte que l'industrie se comporte le plus respectueusement possible.

Alors, c'était donc au sujet des mesures qui concernent la surveillance et l'inspection. Mais je veux vous entendre: Vous offrez quoi, vous? Je leur dis quoi, moi, à ces gens-là?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Taillon.

M. Taillon (Gilles): Mme la Présidente, oui. Je vais répondre à quelques commentaires pour être sûr qu'on se comprend bien et je vais essayer de répondre à votre question.

D'abord, j'espère que vous nous avez bien compris. On vous a signalé que ce projet de loi là était un pas dans la bonne direction. Sur trois éléments, on vous a dit oui à l'abolition des décrets, oui aux mesures transitoires pendant deux ans; même si notre collègue a dit que c'est peut-être dangereux, on vous a dit oui, parce que l'industrie le souhaite. On vous a dit par contre non à des normes sectorielles permanentes. Donc, je pense que là-dessus on est assez clair et on est assez positif.

Notre inquiétude quant à la survie des entreprises tient à une statistique qui nous a inquiétés beaucoup, dans le mémoire des entreprises, c'est la diminution de la part dans les exportations de l'industrie québécoise par rapport aux entreprises manufacturières canadiennes dans ce secteur-là. Une part qui a baissé beaucoup au cours des dernières années, et ça, ça nous inquiète énormément.

Ce qu'on vous offre maintenant comme patronat, c'est de faire des affaires, de le faire dans un contexte où les gens assument leurs responsabilités, donc sont en mesure de négocier et de transiger avec leurs salariés librement, qui vont convenir de conditions qui correspondent à ce que le marché peut offrir et permet, pour la survie des entreprises, puis on vous offre de créer des emplois. Je pense que c'est ça que l'industrie offre au Québec, puis le gouvernement va en profiter en conséquence. C'est évident qu'il va y avoir des négociations dans un cadre normatif qu'on connaît au Québec, qui est celui du Code du travail et des autres lois qui régissent la négociation.

Maintenant, je ne voudrais pas qu'on se perde dans des analogies, en général, c'est pour bien faire comprendre le message, mais je vous dirais qu'à l'époque de Maurice Richard c'est vrai qu'il n'y avait pas de protection, mais à l'époque de Maurice Richard il n'y avait pas de loi sur les normes non plus, et on en a une maintenant. À part de celles sur l'équité salariale. Je pense que les salariés au Québec ont des mesures de protection à l'égard des lois du travail, qui sont bien supérieures à ce qu'on a ailleurs en Amérique du Nord.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Mme la ministre.

Mme Lemieux: Non, ça va. Je vais laisser mes collègues...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. le député de Groulx.

M. Kieffer: Merci, Mme la Présidente. Vous me voyez un peu pris entre deux types de discussion que j'aimerais avoir avec vous, une plus fondamentale et une plus spécifique quant à certains éléments de votre mémoire. Je vais essayer d'y aller sur le fondamental pour commencer, en essayant évidemment qu'il soit le plus court possible.

Je n'y crois pas, à l'épouvantail de la négociation sectorielle. Trouvez-moi d'autres arguments; parlez-moi d'efficacité, parlez-moi de productivité, parlez-moi de compétitivité sur le marché international, j'en suis.Lorsque vous me parlez de négociation sectorielle qui découlerait automatiquement ou presque de l'inclusion de normes sectorielles au niveau de la Loi sur les normes du travail, je n'y crois pas. Sinon, soyez assuré que les centrales syndicales auraient profité du fait que certains secteurs sont déjà normés à partir des comités paritaires et seraient allées chercher la totalité; elles auraient imposé, elles n'ont pas réussi à le faire. Hein? Il n'y a aucun des comités paritaires, aucun des décrets, aucun des secteurs couverts par les décrets qui étaient syndiqués complètement. Les centrales ont essayé. Je parlais à Henri Massé hier, qui me disait: On s'arrache les cheveux; on n'y arrivera jamais. Bon.

Le fossé dont je parlais hier et auquel la ministre a fait référence tantôt, il est profond. Je vous écoute, j'écoute les représentants des travailleurs et travailleuses, qu'ils soient individuels ou collectifs, je ne sens aucune volonté de part et d'autre de tenter d'en arriver à un compromis. Et ça, je l'ai dit aux autres groupes et je vous le redis: Oui, dans une société de plus en plus globalisée, nous devons tenir compte des paramètres qui sont fixés ailleurs qu'ici, au Québec. Nous devons évidemment développer des outils qui nous permettront de faire face à cette compétition-là. J'en suis, je vous l'ai dit tantôt.

Mais on a devant nous une histoire qui remonte à plus de 60 ans; ce n'est pas rien, ça, dans une société, surtout au niveau du cadre législatif qui règle les relations de travail dans une société. Ce n'est pas rien, ça. Et là vous nous arrivez et vous nous dites: On élimine du jour au lendemain les traditions qui sont longues, dans un secteur social qui est marginal, dans une certaine mesure, ou à tout le moins qui est sensible, très sensible – ce sont en général des femmes, très souvent immigrées, très souvent monoparentales. Ce n'est pas ce qu'il y a de plus fort, de plus costaud, là, c'est fragile comme secteur. Et, moi, je les comprends ces femmes-là quand elles m'arrivent puis elles nous disent: On a peur. On l'a entendu depuis deux jours: On a peur. Ça peut être irrationnel, mais c'est une réalité, hein?

Moi, je l'ai dit aux autres associations patronales, il serait peut-être temps, à titre d'association patronale, que vous informiez, entrepreniez des campagnes d'information et de sensibilisation auprès des travailleuses, principalement de ces secteurs-là, pour leur faire comprendre les orientations et ce qu'il y aurait de positif.

Ce que vous nous avez dit M. Tremblay au sujet du verre plat et du bois ouvré, je trouve ça très intéressant, moi. Et je suis certain qu'il n'y a personne dans la salle qui le savait ici. Puis je suis certain qu'il n'y a absolument personne chez les travailleuses et travailleurs du vêtement qui le savent, quels seraient les avantages de permettre une ouverture des règles qui dictent le travail, quels seraient les avantages pour l'ensemble des travailleurs et aussi pour le marché. Voilà mes commentaires, quant au fond; vous pourrez les commenter, évidemment.

Et là j'arrive à quelque chose de plus spécifique, votre période transitoire de deux ans. Et vous le dites: «Il serait – et là je vous cite – de toute évidence impossible de déterminer les conditions de travail de ces travailleurs sans période d'adaptation.» O.K.? Ça, c'est dans votre mémoire. Bon. Là, j'ai de la difficulté. Comment vous la concevez, cette période de deux ans, étant entendu qu'au départ vous refusez que par la suite il y ait des normes d'inscrites dans la Loi sur les normes du travail?

Et par ailleurs vous dites, dans ce passage-là: «Il serait de toute évidence impossible de déterminer les conditions de travail de ces travailleurs», mais vous n'avez pas à les déterminer si vous n'en voulez pas par la suite des normes. Alors, il y a quelque chose que je dois manquer quelque part, là. J'aimerais que vous m'expliquiez comment vous visualisez, comment vous voyez cette période de transition de deux ans qui permettrait d'inscrire quelque part dans les pratiques ce que pourrait être la vie après la fin des décrets. Merci.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Taillon.

(15 h 40)

M. Taillon (Gilles): Oui, Mme la Présidente. Je vais faire quelques observations générales et permettre à mes collègues d'y aller plus précisément. D'abord, la raison pour laquelle j'ai amené M. Tremblay, c'était justement pour vous informer de la situation, une situation qui allait bien. Donc, on a un exemple qui marche. Bravo! Quant à la négociation sectorielle, je dois vous dire qu'on avait des appréhensions, on vous l'a signalé, mais en entendant la CSD, ce matin, à ce qu'on m'a rapporté, nos appréhensions sont devenues certitudes, parce que la CSD est venue dire que ça lui prenait un encadrement sectoriel pour assurer une libre syndicalisation. Donc, on a dit, nous: On avait bien raison. Ça a renforcé notre croyance.

Quant au fossé profond, ça semble vous inquiéter. Je vous dis: Pas sûr qu'il faut être aussi inquiet. C'est un peu normal dans un contexte de relations de travail, parce qu'on est dans ce cadre-là, qu'il y ait un fossé quand les parties à la négociation ne sont pas les décideurs. En fait, on est en présence d'un tiers décideur ici, c'est le gouvernement qui décide ou de mettre des normes ou de les abolir. Donc, les parties ne pourront pas s'entendre, elles ne sont pas celles qui vont en arriver à des compromis puis à des arrangements. Et on pense que la période de deux ans, pour répondre généralement à votre question, va permettre sans doute davantage de rapprochement et faire disparaître les appréhensions, les craintes et les peurs. Mais dans un contexte de débat où la décision n'appartient pas à ceux qui négocient, elle vous appartient comme législateurs, ne vous surprenez pas qu'il y ait un fossé, les gens ne sont pas en maîtrise de la situation.

Alors, peut-être pour compléter, Jean, et ensuite Louise pour la partie du deux ans.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Tremblay.

M. Tremblay (Jean): Quand vous évoquez 60 ans de culture, de quatre, cinq décrets – puis, là, je fais comme vous un peu de philosophie, parce que je ne veux pas citer des chiffres où je ne serai pas à l'aise – quatre, cinq associations patronales, puis je ne sais pas combien de syndicats, c'est certain que ces gens-là, oui, se parlent, mais ça a tellement été sectorisé qu'il s'est développé des cultures différentes probablement de l'un à l'autre, et c'était la même chose chez nous. Les gens qui faisaient des fenêtres d'aluminium, il y a des gens à Montréal qui me disaient: C'est quoi, ça, Bonneville, ça fait des fenêtres de bois ça a l'air? Bien, Bonneville aujourd'hui ça fait 70 000 000 $ de chiffre d'affaires puis ça va faire 120 000 000 $ l'année prochaine. C'est le plus gros de loin, et de loin.

Il y avait des cultures complètement différentes, et les entreprises... Vous parlez de productivité, flexibilité, recherche de nouveaux marchés, on le sait, ce sont les clients qui déterminent la production, et ce faisant on s'astreint à de la productivité de plus en plus grande, parce qu'on veut aller exporter, parce qu'on n'est plus sur un marché régional. Et je suis convaincu que c'est la même chose dans le vêtement.

Donc, il faut en enlever plus... Quand vous dites... Vous devez opérer un changement de culture, puis vous dites: Il n'y a pas de compromis, il n'y a pas de consensus. C'est normal, il y avait cinq bocaux fermés. Puis là vous dites: On va ramasser presque tout pendant deux ans. Bon. Si c'est votre choix. Et vous dites, M. le député de Groulx: Dans deux ans, quand ça sera aboli, là on va repenser, puis vous pensez à des normes sectorielles. Moi, ce n'est pas comme ça que je le vois. Moi, la période transitoire, elle n'est pas préalable à l'abolition; c'est d'abord l'abolition puis après la mesure transitoire. Puis la mesure transitoire, c'est le corridor pour sortir de la prison, là.

Et laissez les gens, laissez-les aller, il sera toujours temps de revenir; laissez-les aller, il va se créer des alliances, ça va tout se restructurer, ça. Et, quand vous dites: Il y a très peu de syndicalisation, la CSD est venue nous dire: Bien, c'est normal et évident, les patrons d'une shop, qu'est-ce qu'ils font? Ils disent: Syndiquez-vous pas, de toute façon le gouvernement vous protège. Donc, comme législateurs, vous nuisez aux syndicats, vous nuisez à la syndicalisation. Là où elle devrait avoir lieu, s'il n'y avait pas de décrets, elle aurait lieu, elle serait instaurée, la syndicalisation, puis là où elle n'a pas lieu d'être, parce que c'est une entreprise familiale de 10 employés, bien, il n'y en a pas puis il n'y en aura pas, puis ce n'est pas plus grave que ça.

Mais c'est dans chaque boîte, une boîte de 10, une boîte de 100, une boîte à Montréal, une boîte à Amqui, une boîte à Saint-Jérôme, puis une autre à Sherbrooke, chacun décidera. Puis aujourd'hui, là, on en fait de la concertation patronale-syndicale. On exige trop de l'entreprise, des employés puis de tout le monde pour que ce monde-là ne se parle pas. Ne les empêchez pas, ne fermez pas les portes des corridors, laissez tout ça ouvert puis laissez-les se parler, puis vous verrez.

Et ça a été comme ça, chez nous. Ceux qui faisaient des fenêtres de bois font maintenant des fenêtres d'aluminium, des fenêtres de bois, ils ont impartis certaines choses, puis ils ont dit aux employés: Bien, regarde, dans le débitage, moi, je fais des fenêtres puis je vends des fenêtres, partez-vous en compagnie, je vais vous signer un contrat de cinq ans, installez-vous de l'autre bord de la rue.

Laissez le monde! Ils sont créatifs puis ils vont s'organiser, parce qu'ils veulent tous que ça marche. Tout le monde veut travailler puis personne ne va travailler à six piastres et je ne sais pas quoi – le salaire minimum, là...

M. Taillon (Gilles): ...et 90, encore.

M. Tremblay (Jean): Et 90. Bon. Chez nous, là, depuis le 1er août 1999, avez-vous entendu parler de grosses manifestations, d'usines en grève, fermées parce que le patron a dit: Tu ne gagnes plus 10 $, tu vas gagner 7 $? Bien voyons donc! Il arrivait à 7 $. Il disait: Eh la gang! puis, si on s'embarquait dans d'autre chose, je vais maintenir votre salaire, puis si ça marche, l'année prochaine, on augmente, puis on y va, puis on va aux États-Unis. Donnez-leur de la corde. Moi, c'est ça que je vous dis.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Écoutez...

M. Taillon (Gilles): Alors, je pense que M. Tremblay a bien expliqué dans le fond le processus, et, je pense, a bien répondu à la question...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Oui, alors on va...

M. Taillon (Gilles): ...on va permettre aux autres de poser des questions.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Bien, écoutez, si vous voulez on peut... parce que là, moi, je dois faire respecter quand même les limites et effectivement le temps qui était réservé au ministériel est terminé. Peut-être que l'opposition va revenir avec une question qui permettra de poursuivre.

M. Taillon (Gilles): Absolument.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. le député de LaFontaine.

M. Gobé: Alors, merci, Mme la Présidente. M. le président du Conseil du patronat, Mme Marchand, M. Tremblay, il fait plaisir de vous voir ici aujourd'hui et de vous saluer. Et on sait dans votre cas que vous ne manquez aucun des forums importants de l'évolution de la société québécoise pour venir faire valoir le point et la vision des entreprises du Québec. Tout le monde reconnaît ou conçoit le rôle important joué par le Conseil du patronat, année après année, dans notre société. Et, donc, c'est pour nous un plaisir et un honneur aussi de vous avoir aujourd'hui parmi nous.

J'ai lu votre mémoire. Bien sûr, je n'ai point été surpris par la teneur générale du mémoire, c'est en conformité avec la philosophie que vous développez depuis de nombreuses années, qui est celle d'une déréglementation, qui est celle de l'allégement administratif. Et d'autres propos que ceux qui y sont auraient certainement démontré un changement d'orientation de votre organisme pour le futur. Ce mémoire a l'avantage d'arriver le dernier, vous êtes les derniers qui passez devant nous, et de peut-être permettre d'avoir une petite rétrospective de ce qui s'est passé.

Qu'avons-nous entendu depuis deux jours? On a entendu des travailleuses, des associations patronales, des associations de travailleurs – syndicats, CSD, FTQ – des gens de comités paritaires, de simples citoyens aussi qui sont impliqués dans ce domaine-là, bien sûr. Alors, ce qu'on peut dégager aujourd'hui, c'est que les associations de travailleurs et les travailleurs ne veulent pas l'abrogation des décrets, ou du moins le projet de loi sous sa forme actuelle.

Ce qui ressort des associations patronales, c'est que vous êtes tous en faveur de l'abrogation des décrets, mais pas de la façon dont ça va se faire par la suite. Car en effet je n'ai vu aucun mémoire d'association patronale qui recommande le maintien de clauses ou de réglementations sectorielles ou de conditions de travail sectorielles, appelons-le comme on voudra, pour les travailleurs de cette industrie une fois passée la période de transition.

(15 h 50)

Moi, ce que j'aimerais savoir de vous, M. le président, c'est la chose suivante. Étant donné que Mme la ministre nous a fait savoir que son intention était de faire en sorte de légiférer, d'abolir les décrets et d'établir des normes sectorielles – des conditions de travail, pour que les gens comprennent bien, sectorielles spéciales – à l'industrie du secteur de l'habillement, ce à quoi vous vous opposez et que les autres associations patronales s'opposent, est-ce que dans ce contexte-là vous êtes en faveur à ce que les députés de l'Assemblée nationale adoptent le projet de loi quand même?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Taillon.

M. Taillon (Gilles): Alors, merci, Mme la Présidente. D'abord, je veux remercier M. Gobé de son accueil chaleureux. Ça fait plaisir. J'espère qu'étant le dernier nous aurons su vous convaincre.

Écoutez, je pense que c'est très clair pour nous. Ce que l'on souhaite, c'est l'abrogation des décrets dans ce secteur-là sans normes sectorielles permanentes. Et, si c'est maintenu tel quel, c'est évident pour nous qu'on ne souhaiterait pas une adoption de loi sur la base du projet actuel.

M. Gobé: Alors, là, vous rejoignez les autres associations patronales. L'Association des entrepreneurs en couture, ce matin, ont répondu, par la voix de M. Frappier, très clairement qu'eux non plus à ce moment-là n'y voyaient pas d'intérêt.

Nous sommes dans une situation un peu ubuesque, là, où on se retrouve avec les deux parties avec lesquelles on est sensé trouver un cadre harmonieux de collaboration et de vie commune dans une industrie très compétitive pour leur permettre de mieux fonctionner, de mieux se développer, d'aller conquérir des nouveaux marchés et d'augmenter leurs activités. Et ça, vous savez comme moi, vous êtes des experts en relations de travail puis dans les affaires – M. Tremblay en particulier – vous savez très bien que dans une entreprise, une industrie, le climat est très important, hein? C'est aussi important des fois que la qualification professionnelle. Parce que du climat de l'entreprise ou des relations entre les salariés et les entrepreneurs, les patrons, va dépendre la qualité de la production, la rapidité, la cadence, enfin tout ce qui fait qu'une commande peut être finie puis refusée parce qu'elle ne passe pas à la qualité, ou qu'elle peut se terminer trois jours après puis il y a une pénalité ou des choses comme ça.

Donc, normalement on penserait que, lorsque le gouvernement légifère pour réglementer ou pour déréglementer un secteur, il le fait afin d'établir l'harmonie et non pas d'établir la confrontation ou la déception. Et là on se retrouve dans une situation où, vous-mêmes, on vous impose un cadre de fonctionnement avec lequel vous n'êtes pas à l'aise, vous n'êtes pas d'accord pour fonctionner. Du moins, c'est les membres des associations de couture qui le disent, et vous-mêmes, vous le dites aussi. Et c'est un cadre aussi qu'on impose aux travailleurs où, eux, ne seront pas contents. Là, on a un problème.

Qu'est-ce qu'on fait? Est-ce qu'on laisse la ministre... on lui demande de continuer à légiférer, d'adopter le projet de loi puis vogue la galère, on verra dans deux ans? Puis là ça va être comme vous dites. Le fossé, il est là, la suspicion, l'inquiétude de tous les côtés, hein, les histoires d'horreur à droite, à gauche. On a vu ça dans d'autres secteurs.

Ou alors on fait quoi? Est-ce qu'on cherche une autre formule, une autre solution quelque part? On prend un pied de recul, deux mois, trois mois, quatre mois, on demande à la ministre de... De toute façon, le projet de loi ne sera pas appelé avant le mois d'octobre – on siège le 18 octobre – novembre, décembre, là. Est-ce qu'on ne profite pas de ces quelques mois pour essayer de trouver une solution quelque part? Je ne parle pas des gouvernements, là, je parle des intervenants. Parce que les gouvernements après tout, là, qu'est-ce qu'on connaît dans vos affaires, nous autres, là? Qu'est-ce qu'on connaît dans les affaires des manufacturiers? Qu'est-ce qu'on connaît dans les affaires des travailleurs?

Bon, on applique des réglementations. On a la prétention de faire le bonheur des gens, malgré eux, bien souvent, on se mêle de tout puis à la fin on finit qu'il faut réamender la loi plus tard parce qu'elle ne fonctionne pas puis un tel groupe dit: On n'avait pas vu ça, on ne savait pas, ça ne marche pas. Et on est l'État papa, l'État qui gère tout, qui considère que les citoyens et les entrepreneurs, les travailleurs ne sont pas assez matures ou ne sont pas assez majeurs pour décider de prendre leurs affaires en main.

J'ai eu l'occasion, hier et aujourd'hui encore, de discuter et de questionner aussi, entre autres, les présidents des centrales syndicales, entre autres M. Henri Massé, hier après-midi, et M. Vaudreuil, de la CSD. Et devant le constat qui arrivait, eux aussi disaient: Bien, on est on ne sait pas trop où.

Qu'est-ce qu'on fait? Est-ce qu'on ne devrait pas chercher au moins à trouver quelque chose, une solution entre vous, dans un délai assez rapide – pas dans cinq ans ou dans quatre ans, là – afin d'essayer de débloquer cette impasse? Les gens disaient: Oui, certainement, nous avons cette obligation de le faire maintenant, et on est intéressés à le faire. Ou alors: On a le projet de loi de la ministre qui ne nous convient pas, ou alors: On essaie de trouver quelque chose entre nous.

Alors, moi, je ne suggère rien à personne, je pose simplement la question suivante: Est-ce qu'on prend le projet tel qu'il est? Parce que Mme la ministre pense – et je ne blâme pas la ministre, je ne dis pas qu'elle fait des choses mauvaises, là – qu'elle doit amener des normes sectorielles pour protéger une partie des gens. Vous, vous n'en voulez pas, puis les gens pour qui elle veut amener les normes sectorielles, eux autres ne sont pas d'accord avec l'abolition des décrets de toute façon. Alors, on est dans cette situation-là.

Qu'est-ce que vous feriez, vous, M. le président du Conseil du patronat, qui généralement avez toujours eu des bonnes idées pour l'avancement du Québec dans les relations de travail et dans le développement économique?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. Taillon.

M. Taillon (Gilles): Oui. Je n'oserais jamais me prendre pour un législateur, là...

M. Gobé: On ne sait jamais ce que la vie nous réserve. Regardez madame, elle était au Conseil du statut de la femme, elle est rendue ministre du Travail.

M. Taillon (Gilles): Je ne voudrais pas vous citer, M. Gobé. Moi, je n'aurais pas osé dire ça, mais je dirais que la ligne dans le fond qu'on vous demande, c'est que, si vous n'y connaissez rien, mêlez-vous-en le moins possible. Dans le fond, c'est à peu près ça, la conclusion qu'on pourrait tirer. Dans le fond, on vous a donné quelques pistes: un projet qui abolit les décrets et qui laisse une période transitoire pour en arriver à réguler, je dirais, l'organisation de cette entreprise-là. Et, si jamais ça n'allait pas en cours de route, si la crainte et la chicane poignent, comme on dit au Québec, puis il n'y a plus rien de possible, un gouvernement a toujours le pouvoir de décréter, de légiférer, de revenir avec un projet spécial. Mais pourquoi mettre des conditions qui font en sorte qu'on veut tellement être paternaliste qu'on veut tout régler avant que les choses se fassent sur le terrain, dans l'entreprise? Puis on a des exemples de succès.

Alors, je pense que vous avez tout en main, vous avez la voie pour légiférer correctement. Si vous mettez des normes permanentes, je pense que vous faites une grave erreur.

M. Gobé: Et, si on y va quand même, si le gouvernement y va quand même, qu'est-ce qu'on fait?

M. Taillon (Gilles): Écoutez, on va vivre avec une situation qui va être à mon avis extrêmement pénible. Et, moi, je pense que ce qui va être en question, c'est toute la performance économique du Québec dans ce secteur-là. En fait, la crainte ou en tout cas ce qui nous motive au maximum, c'est de dire: On est en train, avec des normes trop contraignantes, d'empêcher cette industrie-là de progresser. Alors, la conséquence, si vous y allez avec un simulacre de décret dans la Loi sur les normes, puis etc., je pense, c'est qu'on risque d'avoir une situation économique dans ce secteur-là qui va être pénible. On n'améliorera pas la situation de l'emploi.

Maintenant, vous allez me dire: Est-ce que vous êtes capable de me le garantir? Non, c'est impossible. Si on avait la chance de faire comme en recherche fondamentale, d'expérimenter puis après ça revenir; ce n'est pas possible. On ne peut pas dire: On le fait puis on ne le fait pas, puis on regarde deux situations puis on va voir ce que ça donne. Ce n'est pas de même dans la vraie vie.

M. Gobé: Il y a quelque chose que j'ai... On a eu un peu de difficulté des fois à expliquer. Lorsque vos membres des associations d'entrepreneurs en construction viennent nous voir, ils nous déclarent – il y a M. Lapierre, hier, et M. Frappier, aujourd'hui – qu'il n'est aucunement question de baisser les conditions de travail ni les coûts salariaux des travailleurs après une abrogation des décrets, une abrogation, abolition des décrets. D'accord?

Dans le rapport de la ministre, rapport que Mme la ministre a déposé hier sur les études d'impact socioéconomique de son projet de loi, il est bien mentionné – je l'ai lu à quelques reprises, mais, je veux dire, je pourrais vous le relire – que, voyez-vous, les coûts du travail sont marginaux ou très peu importants, si on les faisait fluctuer quant à la création ou la perte d'emplois. On va même jusqu'à quantifier que les coûts des salaires, les coûts salariaux sont trois fois moins élevés – on parle de 18,3 % – que la valeur des matières premières.

(16 heures)

Ce qui amène la recherchiste, la chercheure qui a écrit ce document, à écrire: «Comme les changements dans les salaires et autres conditions de travail ne semblent pas provoquer une onde de choc sur le niveau de l'emploi dans l'industrie de l'habillement, il faut regarder ailleurs pour débusquer les variables qui influent sur l'emploi. Ainsi, si l'on se réfère aux scénarios examinés par les employeurs et présentés dans leur document intitulé Repositionnement de l'industrie québécoise de l'habillement – Horizon 2000: création de 8 000 emplois , ce serait davantage les investissements consacrés à accroître la production et les efforts pour accroître les exportations qui influeraient sur le niveau de l'emploi.»

Alors, ce que je crois comprendre, c'est que ce qu'on nous dit – et puis il va falloir qu'on regarde ça d'assez près, d'après moi – c'est que le problème actuellement dans... Il n'y a pas de problème. D'abord, elle a fait 300 % d'augmentation d'exportations depuis trois ans, si je me fie aux chiffres qui ont été déposés hier en cette commission, puis on a créé 8 500 emplois. On ne peut pas dire qu'ils ont un problème, là, hein. C'est les chiffres officiels, Statistique Canada: 8 500 emplois dans cette industrie depuis 1996, donc ce qui dépasse même la commande du mémoire Repositionnenement de l'industrie québécoise de l'habillement – Horizon 2000: création de 8 000 emplois , qui était en 1996, et là on est en 1999, puis on a 8 500.

Mais là n'est point mon point. Mon point, c'est: Pourquoi focusse-t-on tellement sur l'abrogation des décrets, qui a comme principal effet de toucher aux conditions salariales, comme certains le craignent, alors que les patrons disent non, mais que personne ne fait valoir que, pour créer un autre 8 000 emplois, eh bien, il faudrait consacrer davantage d'investissement pour accroître la production et aller faire des efforts supplémentaires pour accroître les exportations? On ne parle pas de ça, là.

Alors, moi, M. le président du Conseil du patronat, vous comprendrez que j'ai un peu de difficulté à comprendre que la simple opération d'abroger les décrets complètement et de laisser le champ libre serait la solution qui réglerait ou qui créerait – parce qu'il n'y a pas à le régler, il n'y a pas perte d'emplois, il y en a eu 8 500 de créés – un surplus d'emplois.

Mais je pense que, plutôt, il y a une conjoncture de différents facteurs, qui est celui peut-être de la rigidité de fonctionnement à l'intérieur du mécanisme du Comité paritaire, peut-être – j'aimerais ça vous entendre là-dessus – et aussi celui du sous-investissement et peut-être des efforts pour les exportations. Et je vous dirais que, dans une enquête de Statistique Canada, on reconnaît, entre autres, que le problème de cette industrie, c'est le manque de formation professionnelle – et ça, on sait qu'il y a beaucoup de roulement dans le personnel – donc difficulté de trouver du personnel qualifié, manque de formation professionnelle et manque d'investissement très important dans la technologie.

Alors, est-ce que vous ne croyez pas qu'il pourrait y avoir là d'autres pistes de solution que de regarder uniquement sur les coûts salariaux, entre autres, ou les conditions de travail des entreprises? Excusez-moi, j'ai été un peu long, là, mais...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Taillon.

M. Taillon (Gilles): J'allais dire, Mme la Présidente, méchant préambule à la question. Je crois comprendre, et je crois l'avoir dit, que, pour nous, il n'y a pas que le salarial qui explique une amélioration de la productivité. Dans la productivité, il y a les investissements, la technologie, il y a toute l'organisation du travail. Et il y a, dans les normes sectorielles, des conditions qui débordent le salarial. On pense que c'est quand tout ça est en jeu qu'on parvient à avoir une dynamisation de l'industrie.

Les comparaisons sur les situations d'amélioration, on dit oui, mais il faut les mettre en relation avec ce qui se fait à côté. Si on progresse de 3 % puis qu'ailleurs ils progressent de 6 %, on est en problème. C'est pour ça qu'on vous a parlé de notre inquiétude vis-à-vis les exportations. Mais on dit: Il est très important, si on veut qu'il y ait une organisation du travail qui soit productive, que le monde qui est dans l'entreprise s'entende sur les conditions pour s'adapter à une performance maximale. Si c'est décrété, puis s'il y a des normes sectorielles, puis si tout ça est prévu ailleurs, nous avons d'expérience d'énormes inquiétudes sur la performance de cette industrie-là. Puis on a d'autres exemples à côté qui nous démontrent que ça s'est fait puis ça a bien marché. Alors, voilà un peu dans quel sens nous réagissons à votre propos.

Quant à l'étude, évidemment, on ne l'a pas analysée. Donc, je ne peux pas la commenter. Est-ce que c'est vrai? Est-ce que c'est... On ne l'a pas analysée. On l'a vue, mais on ne l'a pas analysée. Et je vous dis: Nous, on comprend qu'il faut absolument, absolument donner de la latitude à cette industrie-là si on veut qu'elle performe. Arrêtons de surréglementer. De toute façon, la situation globale du chômage au Québec ne devrait pas nous inquiéter quant à une nouvelle approche dans le domaine des relations de travail, la situation du chômage qui, à mon avis, est assez dramatique.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. Tremblay.

M. Tremblay (Jean): Est-ce que je peux tenter une question, parce que ce serait... J'ai une hypothèse, si j'ai compris quelle était votre question. Combien est-ce qu'il y a de classifications dans tous les décrets du vêtement? Si on additionne les quatre, cinq décrets, on se ramasse dans combien de dizaines de classifications qui ont un salaire différent? Savez-vous ça?

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Comprenez-vous, en commission parlementaire, c'est plutôt les membres de la commission qui posent les questions aux invités qui sont nos experts, et disons que là-dessus... On est sur le temps...

M. Taillon (Gilles): Mme la Présidente, je vous rappelle que, moi, j'avais posé une question à la ministre. Je n'ai pas eu ma réponse.

Mme Lemieux: Je l'ai donnée.

Des voix: Ha, ha, ha!

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Là, on est sur la période de temps de l'opposition. Je ne voudrais surtout pas pénaliser l'opposition.

M. Gobé: Je présume, M. Tremblay, que vous faites allusion au double assujettissement d'un travail par rapport à un autre?

M. Tremblay (Jean): Non. Bon, évidemment, oui, par ricochet. Ce que j'imagine quand j'entends ce que vous avez donné comme chiffres, frein à l'investissement est beaucoup plus important, recherche de créneaux ou de niches est beaucoup plus importante que le taux de salaire dans l'intérêt des entreprises d'être beaucoup plus dynamiques. C'est ce que ça dit, en quelques mots?

M. Gobé: C'est les conclusions du rapport. C'est Statistique Canada qui, dans un rapport sur l'industrie du vêtement, section Québec – il y a tout un petit volume – concluent ça, eux autres aussi, oui.

M. Tremblay (Jean): Moi, si je regarde dans l'industrie des portes et fenêtres, pour parler de quelque chose que je connais – je termine, Mme la Présidente, si vous me donnez 15 secondes – chez nous, c'est 15 %, les salaires. Mais l'obligation d'avoir sur le plancher des gens à un salaire par rapport à un autre faisait en sorte qu'au lieu d'investir dans de la nouvelle machinerie on se retourne de bord, on traverse la rue, puis on dit à quelqu'un: Achète-la, toi, puis tu seras assujetti à un décret et non pas à trois, quatre, puis tu me la revendras pas cher, puis on va s'arranger. Ça empêche les entreprises, à cause de la flexibilité qui n'y est pas, de prendre de l'expansion, puis d'être plus dynamiques, puis de rechercher les nouveaux créneaux sur le marché américain ou ailleurs, je ne les connais pas.

M. Gobé: Peut-être, en terminant, dans cette industrie-là...

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): M. le député de LaFontaine, je suis désolée, mais, écoutez...

M. Gobé: J'aurais aimé... Bien, on va se le dire après, en dehors.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): ...voyez-vous, le temps est même dépassé. Alors, je regrette, moi, je dois m'en tenir à mon rôle de présidente.

M. Gobé: Mme la Présidente, nous allons être obéissants à vos directives.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. Taillon, M. Tremblay, Mme Marchand, merci de votre présentation. Cela met fin, en fait votre présentation met donc fin aux différentes rencontres que nous avons eues, aux échanges durant cette commission parlementaire. Nous en sommes présentement aux remarques finales. Alors, Mme la ministre, est-ce que vous avez des remarques à nous faire?

Mme Lemieux: Est-ce que je peux aller saluer les invités? Deux minutes.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Ah oui! Je pensais que les invités... Oui. On va suspendre, donc, quelques minutes.

(Suspension de la séance à 16 h 8)

(Reprise à 16 h 11)


Remarques finales

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, s'il vous plaît, nous allons reprendre, donc, les travaux pour mieux les terminer. Alors, nous en étions rendus aux remarques finales, si on veut. Alors, Mme la ministre, est-ce que vous avez des remarques finales à faire?


Mme Diane Lemieux

Mme Lemieux: Oui, quelques-unes, Mme la Présidente. D'abord, je pense que le constat, après ces deux jours d'audiences, est assez clair.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): À l'ordre, s'il vous plaît! Je m'excuse, là, on va essayer de garder...

Mme Lemieux: Alors, je disais donc que le constat, après ces deux jours d'audiences, est assez clair. Il est évident que le paritarisme qui est nécessaire au maintien et au développement des régimes de décrets dans le secteur du vêtement n'existe plus. Je pense que ça, il nous faut être clair là-dessus.

Il est évident aussi que les positions sont vraiment très opposées: les employeurs demandent l'abrogation pure et simple; les travailleurs qui se sont présentés ici ainsi que des syndicats demandent le maintien ou même le renforcement des décrets. Alors, il y a quand même un fossé qui se creuse entre les parties.

La révision, et je pense que c'est important de le dire, du régime de décrets a fait l'objet de toutes sortes de discussions depuis le début des années quatre-vingt-dix sans qu'aucun consensus ne se soit dégagé. Je pense qu'il est temps que nous sortions du statu quo. Le statu quo n'est pas acceptable à ce moment-ci de notre développement au Québec et de notre développement économique également. Alors, devant cet état de situation, le gouvernement a décidé d'intervenir dans ce secteur. C'est indispensable pour l'industrie, pour le développement de l'industrie, mais c'est aussi indispensable en lien avec le maintien des conditions de travail qui sont correctes.

J'ai parlé à plusieurs reprises de la recherche d'équilibre. Il est difficile à trouver, cet équilibre, mais il faut le trouver. Alors, le projet de loi n° 47 qui est présenté par le gouvernement tient compte de plusieurs préoccupations qui ont été exprimées par les intervenants de l'industrie. Je pense que, du côté des employeurs, il y a des allégements substantiels. On a des accords tout de même importants de la part des employeurs. Du côté des travailleurs, l'idée qu'il y ait des normes sectorielles spécifiques pour ce secteur rassure également.

Je suis également convaincue, parce que, vraiment, on a dit beaucoup de choses sur toute la question de la surveillance et des moyens qu'on se donne pour respecter les normes du travail, que la Commission des normes du travail va relever avec rigueur et efficacement ce défi et que, dans le fond, le mandat que la Commission dès maintenant doit commencer à examiner est d'élaborer un programme de surveillance qui va réunir les meilleures pratiques existant à la fois à la Commission des normes du travail, mais aussi dans les comités paritaires. Il nous faut profiter de cette expérience qui est accumulée dans ces deux organisations au fil des ans.

Alors, nous devrons tenir compte, donc, de ce qui a été dit ces deux derniers jours pour faire en sorte qu'un programme d'inspection et de surveillance tienne compte des particularités de l'industrie. Et ce programme de surveillance ne se développera pas en vase clos. Il y aura donc des propositions qui vont émerger, qui seront soumises et qui s'appuieront aussi sur l'expertise dans le milieu de la part des différentes composantes de l'industrie.

Alors, en terminant, je dirais simplement que je m'engage à continuer à travailler intensément pour faire en sorte que nous trouvions les meilleures solutions possible, mais soyez sûrs d'une chose, personne ne peut vivre avec le statu quo. Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, M. le député de LaFontaine.


M. Jean-Claude Gobé

M. Gobé: Alors, merci, Mme la Présidente. Alors, voici maintenant cette commission qui s'achève. La première constatation, et je l'ai mentionné à quelques reprises, c'est qu'on retrouve une unanimité de gens qui ne sont pas d'accord avec le projet de loi tel que présenté par la ministre.

Le patronat dénonce la façon de la ministre d'imposer des normes sectorielles particulières à partir d'un décret du gouvernement après la transition. C'est très clair, le président du Conseil du patronat l'a mentionné lui-même encore. Donc, il y a là unanimité. La ministre nous parle d'accords. Je ne vois pas quels sont les accords.

Nous avons aussi un consensus de la part des travailleurs et des organisations représentant les travailleurs à l'effet que, pour eux, le projet de loi n'est pas non plus acceptable, car ils considèrent que leur secteur, leurs conditions de travail vont être baissées. Les documents que nous avons eus, particulièrement le mémoire du Conseil des ministres signé par Mme la ministre et présenté par elle, ainsi que le rapport d'étude d'impact qu'elle a demandé au ministère de la Solidarité et qui nous a été transmis, prévoient tous des baisses dans leurs conditions de travail.

Il y a quand même des consensus qui se sont développés tout au long de ces audiences, en particulier la nécessité de réorganiser, de modifier les pratiques dans ce secteur. Certains ont parlé d'engineering, de dépoussiérage, de réorganisation, de modernisation, et c'est des mots qui ont tous certainement la même connotation, qui veulent dire: changement.

Malheureusement, ce n'est pas la ligne que la ministre prend. La ministre prend la ligne de l'intervention gouvernementale, la ligne qui fait que l'État se substitue aux gens et décide lui-même ce qui est bon ou ce qui n'est pas bon pour les citoyens, pour les travailleurs, pour les patrons. Et nous constatons que, cette fois-ci, avant même que nous l'ayons votée, les patrons et les travailleurs disent tous, chacun de leur bord: Ce n'est pas bon.

Nous aurions préféré que la ministre prenne le processus contraire, c'est-à-dire qu'elle travaille, qu'elle forme, qu'elle suscite une collaboration et une discussion avec les parties, dans un laps de temps court, afin de dégager un certain nombre de consensus quant à l'application par eux-mêmes et l'acceptation de l'organisation du travail dans leur industrie qui, je le rappelle, est la première industrie manufacturière au Québec. La ministre n'a pas daigné faire cela; elle a décidé là aussi qu'elle agissait par elle-même, unilatéralement. Nous regrettons cela. Nous pensons que ce n'est pas la façon d'établir de bonnes relations dans un secteur économique aussi important. Nous pensons que l'imposition à chacun des groupes de normes et d'obligations qui ne font pas leur affaire, sans leur consentement et sans qu'ils aient pu en discuter, ne peut que créer inquiétude et frustration alors que nous avons besoin, dans ce domaine-là, de gens qui sont dynamiques et qui regardent vers l'avenir.

Nous aurions souhaité que Mme la ministre profite du temps qu'il reste avant d'adopter ce projet-là ou même prenne quelques mois pour susciter cette rencontre, susciter cette opération. Même si elle ne l'a pas fait avant, elle aurait pu le faire maintenant. Nous le souhaitons toujours. Nous pensons toujours que la solution à l'impasse que nous avons devant nous maintenant réside dans la capacité des intervenants de se parler et de trouver eux-mêmes les solutions à ce qu'ils considèrent comme des irritants ou qu'ils considèrent comme des dangers à leurs conditions de travail, ce qui permettrait certainement d'établir un climat de confiance et un climat de bonne coopération. Alors, la ministre a encore le temps, cette commission n'est pas la commission finale, le projet de loi n'est pas encore adopté, elle a encore le temps, il reste quelques semaines, quelques mois.

Peut-être serait-il sage, avant d'arriver à la première lecture, en commission parlementaire, l'étude article par article, qu'un certain nombre d'efforts aient été faits pour essayer de réconcilier ce qui semble l'inconciliable. Le député de Groulx disait en effet qu'il n'avait jamais vu un fossé aussi large. Eh bien, notre devoir, comme politiciens, lorsqu'il y a un fossé entre les citoyens, bien c'est d'essayer de les rapprocher, hein, et de mettre des passerelles afin que les gens puissent se parler et puissent fonctionner ensemble, et non pas contribuer à l'élargir.

Mme la ministre disait qu'elle ne voulait pas de statu quo. Bien, actuellement, avec son projet de loi, nous sommes dans le statu quo. Les patrons ne veulent pas de normes sectorielles, ils veulent l'abrogation totale; les travailleurs, eux, ne veulent pas qu'on abolisse leurs décrets. Le statu quo, il est là, et ce n'est pas elle, en légiférant, qui le réglera. Il sera toujours dans leur tête, et les gens vivront avec, puisqu'on va leur imposer. On va leur dire: Tu n'es plus dans le statu quo parce que j'ai légiféré et j'ai décidé que vous n'y étiez plus. Bien, ce n'est pas comme ça que ça marche. Pour qu'on ne soit plus dans le statu quo, pour qu'on soit dans la collaboration, bien il faut que les gens acceptent eux-mêmes les conditions dans lesquelles ils vont devoir travailler, devoir fonctionner.

(16 h 20)

Je rappellerais à Mme la ministre que c'est un secteur économique qui est en pleine évolution. On a vu les chiffres, il a 300 % d'augmentation au niveau des exportations, 30 % de plus d'emplois, c'est 8 500 depuis deux ou trois ans, avant même toute intervention du législateur. C'est aussi un domaine où on trouve les travailleurs et les travailleuses, et surtout les travailleuses, parmi peut-être les plus vulnérables de notre société, celles et ceux qui sont à la limite de rester sur le marché du travail ou d'aller sur les programmes d'aide sociale. Nous devons, à ce titre-là, faire preuve autant de précaution envers eux et aussi autant d'attention envers les entrepreneurs pour qu'ils puissent aussi continuer à se développer.

Alors, voilà les remarques finales. Je regrette que nous n'ayons pas pu obtenir de consensus quant à l'organisation du travail dans ce secteur-là entre les partenaires, pas la ministre avec ses fonctionnaires – les fonctionnaires, je ne parle pas en mal de vous – ou avec ses attachés politiques. Je crois qu'il aurait été plus sage et plus productif pour le Québec que ça soit entre les partenaires ensemble et que nous ayons été, peut-être, ceux qui ont favorisé cela. Ce n'est pas le cas pour l'instant. En terminant, je souhaite que ça puisse le devenir dans les prochaines semaines ou les prochains mois, avant l'étude du projet de loi article par article.

Mesdames et messieurs, je tiens à vous remercier, chers collègues, du travail et de l'attention que vous avez donné à ce dossier-là. Pour nous, de l'opposition, ce fut fort agréable de travailler en votre compagnie pendant ces deux jours.

La Présidente (Mme Carrier-Perreault): Alors, merci, M. le député de LaFontaine. Est-ce que d'autres parlementaires veulent s'exprimer en remarques finales? C'est beau? Alors, écoutez, tout en sachant que nous nous retrouvons la semaine prochaine sur un autre dossier, puisque nous avons complété notre mandat, j'ajourne donc les travaux de la commission sine die.

(Fin de la séance à 16 h 22)


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