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Version finale

35e législature, 1re session
(29 novembre 1994 au 13 mars 1996)

Le jeudi 4 mai 1995 - Vol. 34 N° 39

Consultations particulières sur la justice administrative


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Table des matières

Auditions

Mémoire déposé

Document déposé

Conclusions


Intervenants
M. Sylvain Simard, président
M. Guy Lelièvre, président suppléant
M. Normand Jutras, président suppléant
M. Paul Bégin
Mme Marie Malavoy
M. Thomas J. Mulcair
M. Robert Perreault
*Mme Monique Bérubé, AGIDD – SMQ
*M. Mario Bousquet, idem
*M. Paul Morin, idem
*M. Mario Lortie, idem
*M. Alain Fortin, FCPASQ
*Mme Claude Cousineau, idem
*M. Daniel Jacoby, PC
*M. Laurent Pellerin, UPA
*M. Michel C. Lord, idem
*Mme Liane Flibotte, ATTAQ
*M. Roch Lafrance, idem
*M. Roderick A. Macdonald, Faculté de droit de l'Université McGill
*M. Richard Janda, idem
*Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats


(Dix heures six minutes)

Le Président (M. Simard): La séance est ouverte. Le mandat de cette commission, vous le savez, est de poursuivre ses consultations particulières et tenir des auditions publiques sur la justice administrative. M. le secrétaire, veuillez annoncer les remplacements.

Le Secrétaire: Il n'y a pas de remplacement, M. le Président.

Le Président (M. Simard): Merci. Alors, nous allons lire l'ordre du jour. Aujourd'hui, il y a quelques... Est-ce que les modifications sont indiquées là-dessus? Peut-être pas, mais on en fera part au bon moment. Donc, nous avons une journée importante d'auditions. L'ordre du jour proposé est le suivant: de 10 heures à 11 heures, l'Association des groupes d'intervention en défense de droits – Santé mentale du Québec, que je salue déjà; de 11 heures à midi, le Front commun des personnes assistées sociales du Québec; suspension jusqu'à 15 heures; de 15 heures à 16 heures, Protecteur du citoyen – on aura enfin réussi à établir un rendez-vous avec le Protecteur du citoyen; je finissais par douter qu'il existât! – de 16 heures à 17 heures, l'Union des producteurs agricoles; de 17 heures à 18 heures, l'Assemblée des travailleurs et travailleuses accidenté-e-s du Québec; suspension à 18 heures; reprise à 20 heures. Et là il y a des modifications. La Ligue des droits et libertés ne sera pas présente. Le secrétaire s'est assuré, et je l'en remercie, que le professeur Macdonald, de McGill, qui devait venir à 21 heures avec la Faculté de droit de l'Université McGill, sera là à 20 heures. Et nous attendons une confirmation de la présence ou non de l'Association des chiropraticiens du Québec; si on n'a pas de confirmation dans les prochaines heures, évidemment, on considérera qu'ils ne sont pas à l'ordre du jour et nous terminerons nos travaux à 21 heures, à ce moment-là. Est-ce que l'ordre du jour est adopté?

Des voix: Oui.


Auditions


Mémoire déposé

Le Président (M. Simard): Merci. Alors, nous passons à nos auditions. Nous écoutons donc aujourd'hui, en débutant ce matin... Oui, avant de commencer, je vais déposer, et je veux vous en informer, puisqu'ils ne seront pas ici, M. le ministre, le mémoire de la Ligue des droits et libertés, de façon à ce qu'il soit officiellement dans les dossiers de la commission. Alors, nous écoutons maintenant l'Association des groupes d'intervention en défense de droits – Santé mentale du Québec. Nous avons avec nous Mme Monique Bérubé, la présidente, qui va nous présenter ceux qui l'accompagnent, pour fin d'enregistrement, et à qui je vais ensuite céder la parole. Mme Bérubé.

Mme Bérubé (Monique): À ma gauche, il y a Mario Lortie; à ma droite, Mario Bousquet et Paul Morin.

Le Président (M. Simard): Bon. Alors, vous connaissez les règles. Vous avez 20 minutes à une demi-heure ou moins, selon ce que vous souhaitez, pour nous présenter l'essentiel de votre mémoire, et, ensuite, c'est un dialogue; et le parti ministériel – le ministre, évidemment, a préséance – et l'opposition dialogueront avec vous de façon à vous demander d'expliquer certains aspects de votre mémoire. Alors, nous vous écoutons.


Association des groupes d'intervention en défense de droits – Santé mentale du Québec (AGIDD – SMQ)

Mme Bérubé (Monique): Merci. L'Association des groupes d'intervention en défense de droits – Santé mentale du Québec, regroupant 41 groupes répartis dans la quasi-totalité des régions sociosanitaires du Québec, a tenu à s'associer aux présents travaux de la commission des institutions afin de faire entendre une voix rarement prise en considération, celle des personnes psychiatrisées.

(10 h 10)

Nos commentaires ayant trait au rapport intitulé «Une justice administrative pour le citoyen» visent un objectif fondamental, qui rejoint d'ailleurs l'une des deux priorités des auteurs du rapport: la protection des droits des citoyens. Notre objet spécifique d'analyse réfère aux pratiques d'un tribunal administratif qui a le pouvoir de statuer sur la dangerosité civile d'une personne, la Division de la protection du malade mental de la Commission des affaires sociales. Ce tribunal administratif spécialisé entend, en vertu de l'article 30 de la Loi sur la protection du malade mental, les demandes logées par les personnes non satisfaites des décisions prises à leur sujet. Depuis 1975, cet organisme a rendu plus de 1 400 décisions.

Les assesseurs, deux psychiatres et un ou une avocate, détiennent donc une importante responsabilité: ils décident du maintien ou de la levée de la garde obligatoire d'une personne internée contre son gré en milieu psychiatrique. Tout le processus d'internement involontaire est d'ailleurs qualifié d'exceptionnel par le législateur puisqu'il constitue une dérogation à l'article 1 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec: «Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu'à la sûreté, à l'intégrité et à la liberté de sa personne.»

La personne en garde obligatoire perd donc sa liberté, et ce, pour une durée indéterminée. Comme le dit Claude Albert Colliard: «Parmi les libertés publiques, il n'en est pas de plus importante, de plus essentielle que la liberté dite individuelle. Elle s'analyse, très simplement, comme l'état de l'homme qui n'est ni arrêté ni détenu, qui jouit donc de la possibilité d'aller et venir.» Conséquemment, le devoir d'agir équitablement et en toute impartialité revêt une importance capitale pour la destinée de la personne hospitalisée involontairement. L'article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne nous dit: «Toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu'il s'agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation portée contre elle.»

L'essentiel de notre argumentation consistera justement à démontrer que la personne psychiatrisée ne bénéficie pas de ce droit fondamental lorsqu'elle exerce son droit à un recours devant la Division de la protection du malade mental de la Commission des affaires sociales. En effet, composé majoritairement de psychiatres, ce tribunal administratif, par déformation professionnelle des médecins, ne nous apparaît pas remplir les exigences d'impartialité telles que stipulées dans la Charte des droits et libertés de la personne. Pour ce faire, nous présenterons dans notre première section les grandes lignes du principe d'impartialité. Par la suite, l'analyse des règles de procédure de ce tribunal administratif et de ses méthodes de fonctionnement constituera la base de notre démonstration. Des témoignages de personnes psychiatrisées et les observations et commentaires des conseillers et conseillères en défense des droits nous ont été très utiles dans la rédaction de cette section.

Également, nous avons pu bénéficier des données et analyses préliminaires d'une recherche subventionnée par le Conseil québécois de la recherche sociale: «Définitions et opérationalisations des critères de dangerosité civile: Une étude des décisions de la Commission des affaires sociales, 1975-1992», (Cohen, Ménard, Morin, 1995). Ces données et analyses proviennent de l'analyse de 62 rapports d'audiences. «Ces rapports furent choisis en fonction d'un seul critère: la présence de commentaires portant sur les limites de la Loi sur la protection du malade mental détectés lors de l'analyse quantitative précédente. Aucun des autres 312 rapports de notre corpus ne contenait de tels commentaires sur la loi et sur les limites de son application.»

Ces 62 décisions sont atypiques, d'une autre manière, en ce sens qu'elles se distinguent du corpus complet par le fait que 58, soit 93 % d'entre elles, se terminent par une levée de cure fermée. En effet, du 1er avril 1978 au 31 mars 1993, sur 1 488 demandes de levée de cure fermée, 69,1 % ont été maintenues par la Commission. Trois questions sont à la base de ce projet de recherche. Comment s'opérationnalise juridiquement cette notion de dangerosité? Comment l'instance psychiatrique détermine la présence ou l'absence de dangerosité? Quels sont les facteurs associés à cette détermination qui puissent permettre de lever ou de maintenir une cure fermée?

La démonstration de la partialité de la Division de la protection du malade mental reposera aussi sur les recherches en ce qui a trait à la nécessité d'une expertise particulière en regard du pronostic de dangerosité en matière civile. En effet, les psychiatres n'apparaissent pas plus aptes que l'homme de la rue à prédire qu'une personne est dangereuse. Nous verrons d'ailleurs que les législateurs des autres provinces canadiennes ont pris acte de cet état de fait.

L'AGIDD-SMQ estime donc qu'en toute justice pour les personnes psychiatrisées le législateur doit prendre les mesures adéquates afin de corriger la partialité actuelle de la Division de la protection du malade mental. Cela exige notamment qu'un seul psychiatre siège comme assesseur à ce tribunal administratif. Le temps est arrivé de briser le monopole de l'expertise.

M. Bousquet (Mario): De l'impartialité. Comme l'a précisé le rapport du groupe de travail sur certaines questions relatives à l'administration de la justice, depuis l'adoption de l'article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne, les tribunaux ont eu à préciser les principes fondamentaux en cause. «La notion d'impartialité connote une absence de préjugé réel ou apparent et désigne un état d'esprit ou une attitude du tribunal vis-à-vis des points en litige et des parties dans une instance donnée.»

«L'impartialité d'un décideur est donc évaluée selon la perception à laquelle en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique.»

Dans un arrêt récent, le juge Vaillancourt de la Cour supérieure, dans la cause 2747-3174, Québec inc... la Régie des permis d'alcool du Québec, a clairement statué que l'exigence de l'impartialité ne peut être amoindrie pour des tribunaux jugeant des matières administratives. «On ne transige pas avec l'impartialité, qui ne saurait être modulée ou à la baisse. D'un décideur, qu'il s'agisse d'un tribunal judiciaire ou quasi judiciaire, on ne saurait accepter qu'il soit presque impartial.»

Au niveau du respect des droits des personnes psychiatrisées en matière d'internement civil, cette exigence d'impartialité a substantiellement modifié le processus judiciaire. En effet, avec la réforme du Code civil, le juge n'avait pas à se prononcer sur l'état mental de la personne, mais devait vérifier uniquement si toutes les exigences de la loi avaient été remplies. Dans ses «Commentaires...», la Commission des droits de la personne, s'appuyant sur les règles de justice naturelle et sur la Charte des droits et libertés de la personne, suggérait notamment qu'une audition ait lieu devant un tribunal impartial qui ne soit pas un tribunal administratif.

La réforme y a donné suite, puisque, selon les «Commentaires du ministre de la Justice»: «L'examen psychiatrique et la garde obligatoire d'une personne dans un établissement de santé contre son gré constituent une exception très importante aux principes d'inviolabilité et de la liberté des personnes. Il était donc primordial d'intégrer cette exception au Code civil pour en limiter l'occurrence et s'assurer qu'une personne ne puisse être privée de sa liberté sans une décision d'un tribunal prise après consultation d'experts et audition de la personne concernée.» Ce progrès dans la généralisation de l'exigence d'impartialité n'a cependant pas atteint la Division de la protection du malade mental.

Le fonctionnement de la Division de la protection du malade mental. Tant au niveau de la forme que du contenu, nous démontrerons la déformation professionnelle des psychiatres. Même la tenue des archives de la Division de la protection du malade mental laisse à désirer et nous apparaît révélatrice de la manifestation de partialité.

Au regard de la forme, nous tenons d'emblée à souligner une situation potentielle de conflits d'intérêts concernant le travail des assesseurs psychiatres. Ceux-ci sont régulièrement appelés à tenir des auditions en des établissements hospitaliers où ils exercent eux-mêmes. Par exemple, deux psychiatres assesseurs, dans la région de Montréal, praticiens à l'hôpital Charles-Lemoyne, font souvent équipe lors d'auditions dans ce même centre hospitalier. En réunion d'équipe, lors de discussions de cas ou tout simplement lors de rencontres informelles avec leurs collègues, il existe plusieurs possibilités pour ceux-ci d'être contaminés.

En ce qui a trait au déroulement proprement dit, les témoignages recueillis sont à l'effet que l'aspect informel mis de l'avant par les assesseurs pour mettre tout le monde à l'aise lors de l'audition a plutôt pour effet de les rendre maîtres du jeu. Récemment, par exemple, les assesseurs ont littéralement pris le contrôle du jeu procédurier lors de la déposition des témoins, interrogeant successivement le psychiatre traitant puis la personne psychiatrisée sans laisser d'espace d'intervention à l'avocat. Nous ne prétendons pas que cet exemple est généralisé, mais notre point est le suivant: toute cette procédure est aléatoire et peut facilement glisser vers l'arbitraire.

(10 h 20)

Ainsi, pourquoi les questions «confrontantes» des assesseurs sont-elles toujours destinées à la personne psychiatrisée et non pas au psychiatre traitant? En matière de preuve, la Division de la protection du malade mental peut considérer des ouï-dire qui seraient difficilement admissibles devant la cour de justice. Par exemple, un psychiatre traitant pourra rapporter aux assesseurs: La mère m'a dit qu'il a dit ça. N'importe quelle question est acceptée, et on n'hésitera pas à remonter des années en arrière pour démontrer les antécédents dangereux de la personne. Parfois, en l'absence du médecin traitant, c'est un confrère qui vient présenter le dossier; même s'il n'a pas participé à l'évaluation, son témoignage est malgré tout accepté.

L'analyse des décisions dans le cadre de la recherche subventionnée par le CQRS semble indiquer que le caractère informel de l'audition a déteint sur la tenue des archives publiques de la CAS. «Les documents sont rédigés selon une chronologie éclatée et fragmentée. En premier lieu est mentionnée la date de l'audience, par après, les éléments descriptifs portent sur le passé de la personne dans la partie où l'on énonce les faits. Par la suite, on rapporte les notes de l'examen, on revient au passé, on note les témoignages des personnes qui portent sur la cure actuelle ou encore en revenant sur le passé. Parfois, la CAS rapporte des comportements de personnes en cure pendant l'audience puis elle continue en retournant encore au passé.»

Des 62 dossiers analysés, la date de la requête de la personne psychiatrisée, afin que sa cure soit levée, est absente dans la moitié des rapports. «...cet exercice nous montre qu'il est difficile, voire impossible, d'exercer un contrôle de travail de la CAS quant à l'application de certains articles de la loi sur la production des événements légaux en cours lors des mises en cures fermées». À ce niveau, nous estimons donc que de sérieuses réserves doivent être émises en regard du mode de fonctionnement de ce tribunal administratif.

Quant au fond, le travail des assesseurs consiste à statuer sur la présence ou non d'une dangerosité chez la personne internée contre son gré. Nullement définie dans le Code civil ni dans la Loi sur la protection du malade mental, le législateur a simplement établi un lien entre la maladie mentale et la dangerosité. Ainsi, l'article 29 du Code civil stipule que «le rapport du médecin doit porter, notamment, sur la nécessité d'une garde en établissement si la personne représente un danger pour elle-même ou pour autrui en raison de son état mental...» De façon concordante, l'article 11 de la Loi sur la protection du malade mental est souvent cité dans la partie décisionnelle du rapport d'audience: «Une personne ne peut être admise en cure fermée à moins que son état mental ne soit susceptible de mettre en danger la santé ou la sécurité de cette personne ou la santé ou la sécurité d'autrui.»

M. Morin (Paul): L'absence de définition légale précise de la notion de dangerosité rend d'autant plus cruciale l'analyse de la pratique des assesseurs. «En face de l'impossibilité de définir de façon rigoureuse la maladie mentale et les critères qui justifient la cure fermée, nous nous retrouvons dans un système où la jurisprudence de la Commission pose les jalons susceptibles de guider tous ceux qui ont à décider de l'internement d'un malade mental.»

Les témoignages recueillis questionnent ces jalons. Nous considérons, en premier lieu, que le recours à la Commission des affaires sociales n'est pas considéré comme un droit par le personnel traitant. La personne psychiatrisée vit donc un stress en présentant une telle demande, et ceci n'est pas pris en considération par les assesseurs. En effet, le personnel considère généralement que l'exercice de ce recours nuit à la relation thérapeutique et s'inscrit dans un comportement revendicateur de type pathologique. Elle pourra donc être traitée de façon différente dans les jours précédant l'audition. Avant cette audition, si la personne est agitée, on n'hésitera pas à augmenter la dose de médication, ce qui pourrait entraîner de graves conséquences pour la personne puisqu'elle aurait alors de la difficulté à faire valoir son opinion.

La tendance des assesseurs psychiatres est de voir, d'abord et avant tout, la personne comme une maladie et non pas comme un citoyen qui exerce un droit. Ceux-ci, par déformation professionnelle, font leur propre évaluation psychiatrique de la dangerosité de la personne. Ils ne prennent pas en considération le contexte institutionnel qui peut expliquer les frustrations de certaines personnes psychiatrisées et les comportements qui en découlent. Comme, par exemple, lorsque vous vous présentez volontairement à l'hôpital et que l'on vous y maintient par la suite contre votre gré. La présomption de folie dangereuse s'applique au comportement de ces individus. Le dossier médical devient alors un dossier d'accusation. Les moindres petites choses sont interprétées comme des symptômes. Demander un crayon, une tablette de papier pour préparer son dossier pourrait être présenté dans le dossier comme un délire d'écriture. De plus, les personnes n'ont pas accès à leur dossier médical, ce qui rend d'autant difficile leur présentation.

Les questions posées par les assesseurs se situent généralement autour des axes suivants: collaboration au traitement, médication, autocritique, suivi psychiatrique, événements agressifs impliquant la personne. Un témoignage du psychiatre traitant constitue la pierre angulaire de l'audition. Celle-ci commence toujours par sa déposition. À tel point qu'un conseiller a été témoin de l'incident suivant: un psychiatre n'avait pas vu son patient depuis un mois et demi; à la demande de la Commission, il a fait sur le champ une évaluation psychiatrique, en pleine audition. La garde obligatoire a été maintenue.

Entre collègues, la crédibilité de la personne psychiatrisée ne fait tout simplement pas le poids face à l'expertise psychiatrique. La déformation professionnelle des psychiatres assesseurs est telle qu'en 1993 l'un d'entre eux a envoyé de la documentation médicale sur la maniaco-dépression à l'avocat de la personne psychiatrisée, et ce, alors que la cause était pendante. Un assesseur psychiatre se fait d'ailleurs une spécialité de changer de rôle – mais, en fait, en change-t-il vraiment? – une fois l'audition terminée. Mais, dans les secondes qui suivent, alors même que tout le monde est présent, d'assesseur à psychiatre traitant: Ce n'est pas de votre faute, c'est génétique, suivez les conseils de votre médecin, ça va bien aller. Ou encore: Vous êtes un malade, un grand malade, suivez les conseils de votre médecin, prenez votre médication. Comment voulez-vous que la personne psychiatrisée s'y retrouve dans une telle confusion de rôles? Tout cela nous semble des manifestations évidentes de partialité.

Les données préliminaires de la recherche semblent confirmer ces témoignages. Ainsi, les rapports d'audience indiquent clairement l'importance de l'aspect collaborationniste dans les relations de la personne en regard avec son médecin traitant: «Après avoir entendu les médecins traitants – et je cite – la Commission conclut que la thérapie semble progresser très lentement depuis quelque temps. Il est à se demander si le requérant apporte sa collaboration au traitement. Il collaborerait à la fois juste et pas assez, de telle sorte qu'il laisse son thérapeute dans l'expectative quant à poser un jugement sur sa collaboration ou sa non-collaboration.»

La médication occupant une place centrale dans le traitement psychiatrique, la recherche a également constaté les préoccupations de ces assesseurs à ce niveau. Une décision citée in extenso par la Commission des affaires sociales y rappelle «de façon claire et précise la nécessité de se conformer aux traitements et recommandations de son psychiatre traitant».

Et la décision. Avant de rendre sa décision, la Commission rappelle à la requérante qu'il y va de son plus grand bien de suivre les traitements suggérés par son médecin traitant et qu'elle se conforme à ses recommandations. L'article 11 de la Loi sur la protection du malade mental énonce ce qui suit: «Une personne ne peut être admise en cure fermée à moins que son état mental ne soit susceptible de mettre en danger la santé ou la sécurité de cette personne ou la santé et la sécurité d'autrui.»

«Considérant que l'article 11 de la Loi sur la protection du malade mental énonce qu'une personne peut être mise en cure fermée lorsque son état mental présente un danger pour sa santé ou sa sécurité ou la santé et la sécurité d'autrui; considérant une amélioration notable dans l'état de santé de la requérante, particulièrement depuis qu'elle prend des injections de Haldol LA.; considérant l'orientation qu'elle veut donner à sa vie, particulièrement au cours des prochaines semaines en ce qui a trait au traitement qu'elle doit recevoir; considérant que son enfant nouveau-né est sous la juridiction de la protection de la jeunesse; par ces motifs, la Commission accueille la requête et la cure fermée de cette dernière est levée.»

M. Lortie (Mario): En ce qui a trait au suivi de la personne par le centre hospitalier, une fois sa garde obligatoire levée, les assesseurs insistent également sur ce point. Ils vont même jusqu'à suggérer à la personne de demeurer hospitalisée en cure libre advenant la levée de la garde. «Il s'est dit prêt à accepter quelques jours additionnels d'hospitalisation en cure libre pour un meilleur contrôle de sa médication; il est aussi prêt à continuer un suivi en externe et à prendre les médicaments nécessaires.»

Quelle est la marge de manoeuvre véritable de la personne? Adhère-t-elle librement à cette demande? «Face à des psychiatres qui ont le pouvoir de témoigner de son état mental et face à d'autres psychiatres, membres majoritaires d'une commission qui détient le pouvoir de décider de lever ou de maintenir la cure fermée (selon les règles prescrites, les témoignages et les rapports d'examen produits à l'audience), la personne peut-elle s'opposer aux désirs de son médecin traitant?»

Finalement, la recherche a aussi identifié la question de l'autocritique comme élément d'argumentation fondamental et régulier dans la décision du tribunal administratif. «Après avoir rencontré le déclarant et recueilli l'opinion de ses deux médecins traitants, la Commission est d'avis que l'état actuel du déclarant ne justifie pas la prolongation de la cure fermée. L'état du déclarant s'est, depuis sa mise en cure fermée, amélioré sur le plan de l'autocritique. Il est conscient de son besoin de traitements psychiatriques et désire continuer à recevoir ces traitements de son médecin traitant. Il admet le bien-fondé de sa mise en cure fermée du 9 août 1983. Son état physique s'est amélioré.» Cette admission par la personne hospitalisée de son état mental et d'un nécessaire besoin de traitements fait en sorte que la personne se perçoit telle que son psychiatre l'a d'abord perçue. «On demande au sujet de se déterminer lui-même, tel qu'il l'a été par le psychiatre traitant.»

Il existe donc une réelle concordance entre les témoignages recueillis par l'AGIDD et les données préliminaires de recherche. La synthèse de la lecture des rapports d'audience selon une lecture temporelle n'en est que d'autant plus pertinente: «...nous pouvons remarquer qu'une préoccupation pour la vérification du respect des procédures pour la mise en cure fermée va en diminuant dans la description des rapports. Par contre, l'on voit s'installer progressivement une jurisprudence fondée sur des commentaires de l'article 11. Certains articles s'inventent avec le temps, comme celui de l'immédiateté, et permettent des discussions cas par cas et contribuent à des variations d'interprétation sur un temps limite. [...] La loi est citée, interprétée, commentée, répétée, mais l'exercice se fait librement et sans aucune rigueur intellectuelle et, dans la majorité des cas, elle nous apparaît comme un artifice.»

(10 h 30)

Du questionnement de l'expertise psychiatrique en matière de dangerosité. Au début des années quatre-vingt, le rapport gouvernemental «Orientations proposées pour une révision de la Loi sur la protection du malade mental» reconnaissait que «démonstration a été faite de l'incapacité du psychiatre à prédire la dangerosité». Pourtant, le Québec est la seule province au Canada où les psychiatres sont majoritaires sur un tel tribunal administratif spécialisé. Habituellement, la composition est la suivante: un avocat, un psychiatre et une personne qui n'est ni médecin ni avocat. En Colombie-Britannique, l'une des trois personnes est même une personne choisie par la personne psychiatrisée. Celle-ci ne peut toutefois être membre de sa famille.

Un rapport d'étude sur les législations de santé mentale en Europe – Angleterre, Écosse, Espagne, France, Italie – s'interrogeant sur les définitions de la dangerosité, a repris, en synthèse, dans sa conclusion, le résumé d'une importante recherche:

«L'étude de Montandon et Harding porte, dans un premier temps, sur les définitions de la dangerosité données dans 43 pays. Ils ont essayé de vérifier la fiabilité de prédiction et de prise de décision concernant la dangerosité par des psychiatres, des professions sociales, des hommes de loi, des policiers, cela dans six pays. Les résultats sont édifiants: Pour 193 observateurs et 16 cas soumis à leur cotation, la dangerosité n'est évaluée avec un degré suffisant que dans 25 % des cas; la comparaison des évaluations de dangerosité entre les psychiatres et les non-psychiatres ne montre pas de différence significative; les psychiatres attribuent un plus haut degré de dangerosité que la moyenne des observateurs.»

La prédiction de la dangerosité apparaît donc clairement comme une expertise pour le moins incertaine. Il existe d'ailleurs un consensus dans la littérature scientifique juridique sur la difficulté de définir les critères de dangerosité. Conséquemment, le législateur québécois doit en prendre acte et agir de sorte que les personnes psychiatrisées ne soient pas discriminées suite à la déformation professionnelle des assesseurs psychiatres de la Division de protection du malade mental.

Mme Bérubé (Monique): L'AGIDD – SMQ recommande au législateur de modifier la composition de la Division de protection du malade mental. Un psychiatre, un avocat et une personne du public – autre que médecin, avocat et conseiller en droits – constitueraient les assesseurs de ce tribunal administratif. Le ministre responsable choisirait parmi une liste de noms soumise par notre association.

Nous demandons également que la personne psychiatrisée puisse avoir le droit d'être représentée et défendue par la personne de son choix devant ce tribunal administratif, comme cela est possible actuellement pour une autre personne qui se fait entendre par la CSST. Présentement, les personnes psychiatrisées ont beaucoup de difficultés à obtenir une représentation adéquate de la part d'avocats. Peu s'y intéressent et connaissent ce champ de pratique. Les avocats ont même parfois de la difficulté à comprendre leur mandat.

Nous nous opposons à l'intégration de la Commission d'examen à la Division de protection du malade mental telle que suggérée par le rapport du Groupe de travail. En ce qui a trait à l'expertise de cette Division, nous pensons avoir démontré qu'elle est partiale et que, à ce titre, elle a besoin d'être consolidée avant que l'on pense à élargir ses responsabilités. De plus, on ne peut prétendre que les pouvoirs sont les mêmes; la Commission d'examen a un pouvoir d'intervention auprès de la personne de loin supérieur à celui de la Division. La personne est en effet sous sa responsabilité légale en vertu du Code criminel, alors que la personne en garde obligatoire est sous la responsabilité de l'établissement, de par la Loi sur la protection du malade mental.

Le droit à la liberté ne peut tolérer quelque apparence de partialité; les personnes psychiatrisées méritent mieux que le sort qui leur est présentement réservé par la Commission des affaires sociales. L'AGIDD – SMQ espère donc que le principe fondamental d'impartialité exprimé dans la Charte des droits et libertés de la personne s'appliquera bientôt dans le cadre de travail de la Division de protection du malade mental.

Le Président (M. Simard): Merci, Mme la présidente. Alors, je vais inviter le ministre à faire ses commentaires et à poser ses questions maintenant.

M. Bégin: Je voudrais vous remercier infiniment pour ce mémoire parce que vous allez carrément de front sur un sujet qui vous préoccupe et qui vous concerne, on le sent, et qui doit nous concerner tous, et vous questionnez directement, sans flagornerie ou quoi que ce soit. Vous allez directement au but, et je pense que, juste ça, c'est un témoignage qui méritait d'être entendu par cette commission.

Vous n'avez pas oublié, en faisant, je dirais, entre guillemets, attaque, que l'objectif de la rencontre était de voir quelle était la place que devait jouer le rapport Garant, ou ce que propose le rapport Garant dans le système des tribunaux administratifs. Dans votre conclusion, vous replacez, vous donnez, en tout cas, votre position à cet égard, et, encore une fois, je vous remercie là-dessus.

En entendant ça, j'avoue honnêtement avoir eu certains frissons parce que... Je ne veux pas douter de ce que vous dites, mais si ce que vous dites est exact, ça pose un gros problème qui est au-delà de celui de la structure ou du fonctionnement. Mais, ce qu'on regarde comme situation, je vous le dis, là, je ne questionne pas la véracité de ce que vous dites, mais c'est tellement dur que j'ai un peu de misère à l'accepter. Et ça nous indique qu'il va falloir peut-être prendre des décisions autres que simplement entendre ce qu'on vient de dire aujourd'hui.

Ce que vous questionnez fondamentalement, c'est le rôle des psychiatres dans la Commission des affaires sociales. Est-ce que c'est une division spécifique... Je ne connais pas particulièrement... C'est une division de la Commission? Elle siège toujours à ce titre-là à cette Commission-là? O.K. Donc, vous questionnez sérieusement cette Commission-là et vous dites: Ce n'est pas les bonnes personnes qui sont là. Vous le dites carrément à la fin. Vous allez plus loin, vous dites même: C'est un peu de l'autoprotection que les gens se font – c'est comme ça que je l'ai compris, en tout cas – de la part des psychiatres. Je vous vois opiner de la tête. Donc, c'est exact. Alors...

M. Bousquet (Mario): Oui, effectivement. De l'autojustification entre le traitement et la dangerosité, et entre confrères, dans un cas particulier.

M. Bégin: C'est ça. Oui. Donc, vous dites qu'il n'y a pas cette indépendance et vous semblez questionner le fait que les psychiatres ne sont pas nécessairement les bonnes personnes pour déterminer si, oui ou non, une personne est dangereuse ou si elle doit être remise en liberté. Je ne peux pas vous questionner sur cet aspect-là. Mais vous semblez croire qu'on devrait quand même continuer à garder ça comme étant une division particulière, avec un changement quant à la composition. Est-ce que ça remet en question, cette position-là, le fait qu'elle pourrait être, cette Division, intégrée au tribunal administratif? Vous semblez dire que non, mais j'aimerais comprendre pourquoi. S'il y a une division qui est plus formalisée, en termes de procédure, plus régulière, et dont la composition serait variée... Est-ce que vous questionnez encore sa présence comme étant une division de la Division des affaires sociales, qui serait elle-même, dans le tribunal administratif, une des six divisions proposées par le rapport?

M. Morin (Paul): Ce n'est pas quelque chose sur lequel, franchement, on s'est vraiment très arrêté, en termes de structure. Nous, notre point concerne vraiment la question de la liberté et est vraiment une question de fond, non pas une question de structure administrative. Dans le fond, je vous dirais: peu importe, pour nous, la structure administrative. Nous, ce qu'on dit, c'est qu'il y a un vice de fond. La question de base: Comment se fait-il que le Québec soit la seule province qui a une majorité de psychiatres sur un tel tribunal? On parle de la liberté des individus. Et, vous comme moi, on peut aussi se ramasser devant ces gens-là. Je veux dire, ça touche tout le monde, la question de la santé mentale ou de la maladie mentale, si on veut parler, mais tout le monde peut y passer. Et on parle de la liberté des individus. Ça fait que nous, ce qu'on dit, c'est: On est prêt à reconnaître une expertise aux psychiatres, mais le problème qui est, c'est qu'il y en a deux sur trois. Et il faut voir aussi comment ça se passe, parce que l'avocat – je ne veux pas dénigrer le travail des avocats – fait de la figuration là-dedans. L'avocat préside, mais les deux psychiatres sont là. Ça fait que, eux autres, c'est eux qui font les règles du jeu. Et il faut voir comment ça se passe, comme on le décrit dans le document.

Nous, ce qu'on dit, c'est, comme il n'y a pas de «scientificité» par rapport à la prédiction de la dangerosité, nous nommons donc une personne du public, comme ça se passe ailleurs. Et je vous invite à réfléchir. En Colombie-Britannique, la troisième personne, c'est une personne nommée par la personne elle-même. On est allé jusque-là. Donc, en ce sens-là, pourquoi continuer à avoir deux psychiatres? D'ailleurs, un de leurs collègues – il faut croire que ça fait des petits dans le milieu – le Dr Lazure, on lui a envoyé le mémoire. Et le Dr Lazure nous a confirmé par lettre que, à prime abord, il trouvait notre suggestion extrêmement intéressante et ne voyait pas pourquoi il n'y aurait pas une personne du public qui remplacerait le deuxième psychiatre sur ce tribunal-là.

Et je peux vous dire aussi que la recherche subventionnée par le CQRS continue. Hier, je parlais au chercheur principal, M. David Cohen, de l'École de service social de l'Université de Montréal. Il a fait une analyse quantitative par rapport à ce qu'on appelle la régression logistique. Et ce qui est sorti, le principal facteur, je vous le donne en mille, au niveau de la levée de la cure fermée, c'est la question de la région. Parce que, ce qu'il faut comprendre, c'est qu'au niveau de la Commission des affaires sociales il y a une section Québec pour l'est du Québec et une section Montréal pour toute cette partie-là. Donc, nous, on a eu accès à un échantillon divisé entre Québec et Montréal. Et ce qui est ressorti clairement, en termes de facteurs premiers, là – facteurs premiers – c'est la question de la région. Là-dessus, M. Mario Lortie pourra en parler, parce que M. Lortie a travaillé cinq ans au comité des usagers, ici, à Robert-Giffard et maintenant travaille en Montérégie. Donc, il a accompagné des personnes psychiatrisées au niveau de ces deux tribunaux-là, et lui aussi avait remarqué qu'à Québec les assesseurs de Québec étaient beaucoup plus libéraux, c'est-à-dire qu'ils levaient plus souvent la cure fermée qu'ils vont le faire en Montérégie.

(10 h 40)

Donc, en termes de partialité, là, le problème majeur, lorsqu'une recherche scientifique est capable de démontrer que le facteur premier pour lever une cure fermée, c'est, si on est assez chanceux pour être à Québec, qu'on a plus de chances de lever la cure que si on est en Montérégie ou à Montréal, il y a un problème de fond auquel, je pense, le législateur doit s'adresser.

M. Bégin: Je voulais vous demander la question: Quel était le résultat, ailleurs, d'une composition différente du bureau qui décide? Et vous me dites que c'est même au Québec qu'il y a déjà un effet, dépendamment du mode. Mais est-ce que, à l'extérieur, quand même, il y a une variation par rapport au traitement global qui est donné? Est-ce qu'on lève plus souvent ailleurs la cure qu'ici, ou... Parce que vous dites: Ailleurs, on procède différemment. Donc, je présume en quelque sorte que ça doit avoir un effet différent. Mais est-ce qu'il y en a un effectivement?

M. Morin (Paul): J'avoue que je n'ai pas grand-chose à dire là-dessus, là. Tout ce que je peux... Ce que j'en ai lu, c'est qu'il y a une plus grande apparence, là, d'impartialité. Est-ce qu'elles sont plus levées? Je ne saurais dire, je n'ai pas vu de recherche récente à cet effet-là. Ça, je ne le sais pas.

M. Bousquet (Mario): Ce qui est important, c'est que, même si la cure est levée, c'est la façon dont c'est fait. On l'a soumis, il y a des décisions, on lève la cure, mais il y a un discours. Compte tenu que la personne veut collaborer au traitement, compte tenu que la personne est prête à demeurer à l'hôpital, on lève la cure, mais, en fait, on vient de faire quoi là? Est-ce qu'on a vraiment analysé la dangerosité, cet aspect-là? Donc, on a même pris des décisions où la cure était levée. Donc, l'objectif n'est pas pour atteindre le plus de levées ou pas, c'est qu'il y ait plus de neutralité dans ça. Et ce qui est important aussi, on vous fait état, là, d'une situation de conflit d'intérêts, un grand conflit, un grave conflit à l'hôpital Charles-Lemoyne. J'ai moi-même été conseiller en défense de droits; j'ai fait une quinzaine d'auditions devant la Commission des affaires sociales au niveau de cures fermées, et, à 80 %, c'est deux médecins qui pratiquent à cet établissement-là qui entendent les auditions pour la levée de la cure. Ça n'a pas de bon sens, cette situation-là, quand tu es amené à décider. Et, même, des fois, on a entendu un des assesseurs dire aux médecins: Bien, ça ne fera pas plaisir à mon confrère. Alors, écoutez, là, c'est difficile, cette situation-là. C'est juste pour démontrer que l'état de la situation qu'on a démontrée n'est pas dramatisé, malheureusement, elle est vraiment réelle.

Le Président (M. Simard): Alors, plusieurs personnes ont manifesté l'intérêt de poser des questions. L'opposition est absente quelques minutes, mais eux aussi veulent vous interroger. Moi, ce qui me frappe à ce moment-ci, c'est que vous nous parlez du seul tribunal administratif dont les décisions peuvent amener à l'enfermement. Donc, vous comprenez toute l'importance qu'on y accorde et l'intérêt qu'on porte à votre témoignage. Mme la députée de Sherbrooke, s'il vous plaît.

Mme Malavoy: Moi aussi, j'ai suivi avec beaucoup d'intérêt ce que vous avez présenté. La question qui m'intrigue le plus, c'est de savoir quel type de personnes autres que psychiatres pourraient devenir assesseurs de ce tribunal administratif. Vous dites: Quelqu'un du public. Mais, à part la famille, qui est exclue, est-ce que c'est quelqu'un du public, comme ça, de façon générale, ou est-ce que vous souhaitez que cette personne, qui ne serait donc pas psychiatre – ça, j'ai bien compris – ait une autre compétence professionnelle reconnue ou ait une compétence au plan de l'expérience? Quelqu'un, par exemple, qui aurait, au sein d'associations de défense des droits, déjà fait ses classes, si je peux dire, et apporte la garantie que ce sera un coup d'oeil non pas uniquement amical, ce qui peut être bon, un coup d'oeil amical mais aussi un coup d'oeil de quelqu'un qui connaît un petit peu le domaine et qui peut représenter les intérêts de cette personne-là, mais de façon sérieuse?

M. Bousquet (Mario): Nous, ce qu'on dit à ce chapitre, c'est que la question de la dangerosité n'est pas une question d'experts. C'est-à-dire que je pense que tout le monde peut détecter si un geste est dangereux ou pas. Alors, on veut vraiment enlever la question d'experts dans la composition. Toute personne raisonnable est capable de savoir si une personne a fait un geste. C'est une question de fait et non une question d'experts. Alors, c'est pour ça que, nous, on ne veut pas non plus préciser et embarquer dans ce discours d'experts, parce que, jusqu'à maintenant on croyait, on a cru, on a dit que, bon, la dangerosité, ça appartenait aux psychiatres de dire si quelqu'un était dangereux ou pas et, nous, on dit: Non, je pense que tout commun des mortels peut savoir si une situation peut être dangereuse ou pas. Alors, comme une phrase célèbre: Est-ce que parler au frigidaire, c'est dangereux? Non. Mais est-ce que... Donc, on ne veut pas nommer des personnes à titre d'experts sur ce tribunal.

M. Morin (Paul): Mais j'ai bien aimé le terme que vous avez employé lorsque vous avez parlé de «compétence de l'expérience». Parce que la proposition de l'AGIDD, c'est de choisir des personnes, c'est de proposer une liste de noms au ministre. Donc, ces personnes-là que l'on proposerait, évidemment, c'est des gens qu'on peut qualifier comme étant dans la mouvance de la question de la défense des droits en santé mentale au Québec. Donc, effectivement, il y aurait une compétence de l'expérience. On ne proposera pas quelqu'un qu'on va ramasser au coin de la rue, évidemment. Je pense qu'il faut passer, encore une fois, de la compétence de l'expertise à une compétence de l'expérience. Je suis tout à fait d'accord.

Mme Malavoy: Merci.

Le Président (M. Simard): M. le député de Gaspé, s'il vous plaît.

M. Lelièvre: Je vous remercie, M. le Président. Je trouve que vos représentations, les remarques que vous faites dans votre mémoire sont très justes. Il y a une étape que je ne vois pas apparaître, c'est toute l'étape préliminaire qui se passe en institution, lorsque le psychiatre peut déterminer pour combien de temps on peut garder une personne privée de ses droits, au point de départ. Et, ça, c'est vraiment arbitraire.

J'ai déjà été confronté à des situations où, littéralement, la personne était sous médication, incapable de savoir où elle était rendue. Même, on la mettait en isolement et il fallait même revendiquer pour la voir. Le droit à l'avocat, c'est un droit fondamental, quand même.

Tout cet aspect-là, l'aspect initial qui initie tout le processus quasi judiciaire, vous n'en parlez pas là-dedans, puis ça me surprend un petit peu. Quand on commence au stade de l'hospitalisation, et là les médecins qui rentrent en ligne de compte, puis les auditions se font souvent avec les psychiatres quasiment dans le bureau du directeur général, puis on nous dit: Bien, écoute, regarde-la, cette personne-là, elle n'est pas capable de rien faire, elle n'est pas capable de s'exprimer, elle est complètement perdue. Puis là on ne sait pas depuis combien de temps elle est sous médication, combien de temps elle a dormi. Ça me préoccupe que vous ne démarriez pas au point de départ.

M. Bousquet (Mario): Ce n'est pas l'envie qui nous manque.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bousquet (Mario): Mais, en même temps, on trouvait que c'était peu pertinent pour l'objet. Compte tenu de la composition, on parlait plus du tribunal au niveau de la Division de la protection du malade mental. Mais, effectivement, ce que vous soulevez, c'est des situations... On a vu, on est témoins de situations abominables.

Mais ce qui pourrait être dit ici, c'est que, effectivement, une personne qui est en garde en établissement, déjà, pour faire valoir ses droits, c'est très difficile puisqu'elle ne peut pas circuler, elle ne peut pas sortir. Donc, ce n'est pas évident d'avoir recours à un avocat, d'avoir... Pour un peu renforcer le deuxième point de notre revendication, enfin, que la personne qui passe devant la Commission des affaires sociales pour une levée de garde d'un établissement devrait nommer la personne qui pourrait la représenter. Donc, nous, présentement, comme conseillers en défense de droits, on a un rôle passif, on ne fait qu'accompagner ou assister à la Commission, on n'a pas droit de parole à moins qu'on soit assignés comme témoins. Et l'avocat qui est nommé, qui connaît peu la situation, parce que, pour l'avocat, c'est difficile d'aller la voir au département de psychiatrie, préparer l'audition. Tout ça fait partie, là, de la transparence.

M. Morin (Paul): Ce qu'il faut comprendre aussi, parce que, bon, ce n'est pas évident, le travail qu'on fait est un travail très spécialisé, c'est que, nous, on n'a pas de mandat légal. On découle de la politique de la santé mentale et on n'est dans aucune loi. Par exemple, on a un cadre de référence. On dit qu'on a un mandat proactif. Mais, ce mandat proactif là, comme nous, en Montérégie, on a essayé de l'appliquer, c'est-à-dire qu'on a accès aux ordres de cour... Donc, lorsqu'on sait qu'une personne est en cure fermée, on s'est dit: Bon, bien, ça fait partie de notre boulot, pourquoi pas aller voir cette personne-là et puis lui demander: Est-ce qu'elle connaît ses droits, est-ce qu'elle veut qu'on l'aide? Mais, croyez-le ou non, il y a des hôpitaux qui nous ont bloqués en disant qu'on faisait de la sollicitation. Il y a des hôpitaux qui acceptent et il y a des hôpitaux qui refusent. Donc, on dit: Vous faites de la sollicitation. Et on nous bloque.

On n'a pas de mandat légal, on ne peut rien faire. Le ministère nous dit: Entendez-vous avec les établissements. Au Québec, on a créé des groupes comme nous qui sont subventionnés par le ministère, mais on n'a pas été jusqu'à la conclusion qui était de leur donner un mandat légal. Donc, par rapport aux abominations que vous dites, M. le député, si, comme ça a déjà été mentionné, on était automatiquement avisé qu'une personne est détenue contre son gré dans un établissement hospitalier et qu'on reçoive cette information-là et qu'on puisse aller la voir immédiatement au département, il n'arriverait peut-être pas les abominations. Mais, pour ça, ça prendrait un mandat légal, et on ne l'a pas, ce mandat légal là. Donc, on fait ce qu'on peut avec les moyens qu'on nous a donnés. Et, à l'heure actuelle, c'est strictement un cadre de référence qui découle du ministère de la Santé et des Services sociaux. On n'a pas de mandat légal. Donc, on critique, mais on pense que ça devrait aller beaucoup plus loin. Mais, ça, c'est un autre débat, là.

M. Lortie (Mario): J'aimerais peut-être ajouter un petit commentaire là-dessus. C'est que la partie préliminaire à l'audition, bon, toute l'avant-audition, la manière dont la personne va faire ses démarches pour vouloir se faire entendre, ça a un impact très important sur l'audition en tant que telle. Souvent, elle vit des difficultés, elle connaît maints obstacles de la part de son médecin et de la part du personnel autour, qui va, des fois, dissuader la personne de vouloir se faire entendre en lui disant: Écoute, tu devrais peut-être écouter ton médecin, tu devrais suivre ta médication, tu devrais d'abord prendre du repos, et tout le reste. Puis, même, ça va jusqu'à si la personne met un peu d'insistance à vouloir faire ces démarches puis, par exemple, veut téléphoner au collectif, parce que, des fois, on va même lui refuser le téléphone en lui disant: Écoute, de ce temps-ci, on te sent un peu agité, donc, il serait peut-être mieux pour toi de ne pas prendre contact trop souvent avec l'extérieur. Des fois, on prive même la personne du téléphone, de nous contacter.

(10 h 50)

Mais si la personne se fait le moindrement insistante pour vouloir faire ces démarches, c'est sûr qu'il va y avoir des conséquences dans le cadre du traitement, par exemple, dans le cadre de l'isolement, des contentions, elle pourra être davantage «médicamentée» parce qu'elle va vouloir revendiquer son droit. Et, lorsqu'elle sera à l'audition, ça aussi, ça va transparaître dans son rapport, que, les jours précédant l'audition, elle était dans un tel état qu'il serait peut-être nécessaire de continuer la cure fermée.

Et là la composition même vient influencer la décision, puisque, les deux assesseurs psychiatres, ce dont ils entendent parler, c'est un de leurs confrères dire que l'état pathologique, entre guillemets, de la personne, fait en sorte que la cure fermée devrait être continuée. Mais, en fin de compte, ce n'est pas l'état pathologique de la personne, c'est tout simplement le comportement qu'une personne a manifesté afin de se faire respecter, de vouloir exercer un droit.

Et la partie préliminaire a des conséquences même lors de l'audition en tant que telle, parce que, justement, à force d'insister à vouloir se faire entendre, la personne peut se retrouver dans un état, je dirais, un peu plus nerveux, un peu plus anxieux, plus stressé durant l'audition. Et, là, à qui elle va faire face? À deux psychiatres qui vont justement juger de cet état-là. Mais c'est quoi qui a causé l'état, en fin de compte? C'est tout simplement, justement, une personne qui aura voulu se faire entendre puis qu'on aura, peut-être, de diverses façons, essayé de l'en dissuader. Et ça...

Le Président (M. Simard): Je suis obligé de vous interrompre à ce moment-ci, parce que, évidemment, il y a la question de la pertinence de l'examen de la proposition qui nous retient aujourd'hui. Ça n'enlève absolument rien à l'intérêt capital de ce que vous dites. Je vais laisser la parole au député de Chomedey pour qu'il puisse, avant la fin de la période qui vous est impartie, poser ses questions.

M. Mulcair: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, Mme Bérubé, M. Lortie, M. Bousquet, M. Morin, bienvenue et merci beaucoup de nous avoir apporté les fruits de votre expérience dans ce domaine. Tout comme le ministre, je dois exprimer ma grande préoccupation face à l'analyse que vous venez de faire de cette situation.

La législation, partout au Canada et, d'ailleurs, à ma connaissance, partout en Amérique du Nord, est relativement similaire sur ces questions. Lorsqu'on décrit ce qui doit être visé en déterminant si une personne doit être gardée en cure fermée, c'est-à-dire si la personne représente un danger pour elle-même ou pour autrui, c'est similaire, c'est vraiment ce qu'on retrouve partout dans cette législation.

Vous apportez un élément important. Par contre, lorsque, par votre analyse comparative, vous nous expliquez qu'on serait la seule juridiction au Canada puis peut-être une des seules en Amérique du Nord à mettre une majorité de psychiatres pour décider ça, le témoignage, l'explication que vient de nous donner à l'instant M. Lortie, à mon sens, est une des choses les plus percutantes que j'aie jamais entendues sur ce sujet-là.

Justement, si la personne qui veut revendiquer les droits garantis à tout citoyen en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne... le fait même de les revendiquer va causer un problème, parce que, si on se les fait nier, bien, c'est un peu normal d'insister. Alors, si, vous et moi, on insiste, c'est normal, on est des gens qui revendiquent leurs droits qui sont garantis. Mais une personne qui a déjà été mise en cure fermée, bien, ça va juste compter comme des preuves additionnelles contre elle, alors que, au contraire, c'est peut-être une bonne indication que la personne voit clair.

Effectivement, le temps passe vite. Mais les questions posées de l'autre côté visaient vraiment les mêmes objets que moi. Mais je vais y aller directement au but et je vais vous poser une question simple sur la base de votre expérience. Est-ce que, clairement, pour vous, au Québec aujourd'hui, il y a des gens en cure fermée qui ne devraient pas y être mais qui y sont parce qu'il y a une majorité de psychiatres qui jugent?

M. Lortie (Mario): Moi, j'aimerais répondre, écoutez, par un simple commentaire. Lors d'une conclusion après audition, lors des conclusions, à un moment donné, un médecin a dit à la personne: Écoutez, on s'est rendu compte qu'il y avait eu une amélioration à votre état de santé. Ça va mieux depuis quelque temps, mais on pense que le traitement devrait se poursuivre parce que vous avez encore besoin d'aide. Et vous devriez écouter votre médecin traitant, et c'est pour ça qu'on maintient la cure fermée, pour que vous puissiez bénéficier un peu plus longuement de votre traitement.

Mais là il déborde carrément, parce que, je veux dire, c'est toute la question du consentement aux soins, et il n'est plus du tout dans la dangerosité, là. Oui, il y a des personnes qui se retrouvent maintenues en cure fermée alors qu'elles ne devraient pas y être. La réponse, elle est claire.

M. Mulcair: Maintenant, le temps, effectivement, file vite, et je me permettrais une dernière question. Vous faites une excellente description du problème. Par analogie avec la curatelle publique et privée, est-ce que ce serait peut-être opportun de songer carrément à confier cette compétence à la Cour supérieure plutôt qu'à un tribunal administratif afin de s'assurer de l'impartialité? On entendrait des preuves, on entendrait les deux côtés.

M. Bousquet (Mario): Le processus pour mettre quelqu'un en garde dans un établissement est déjà très judiciarisé. Les juges entendent maintenant. C'est eux qui décident de la garde dans un établissement, et si l'on doit aller en appel de la décision du juge, ça va être difficile, cette situation-là. Je pense que, déjà, pour la personne qui est hospitalisée, en garde dans un établissement, de rencontrer un peu dans un tribunal plus souple que des lieux austères, des lieux de tribunal... Dans le fond, ces personnes-là, elles n'ont rien fait. Elles n'ont pas commis d'acte. Il n'y a rien qui est reproché.

La seule chose, c'est qu'on pense qu'elles sont dangereuses pour elles ou pour les autres pour un moment donné. Elles ne sont pas accusées de voie de fait. Elles ne sont pas accusées de violence. Alors, déjà qu'on étiquette la dangerosité suffisamment comme ça, je ne pense pas qu'un tribunal, la cour ordinaire, viendrait régler le problème. Je pense... Je ne pense pas.

M. Morin (Paul): Très brièvement, là-dessus, s'il y avait un tribunal, ça voudrait dire que, nous, on ne pourrait pas représenter, donc, ce n'est pas dans ce que, nous, on souhaite. Encore une fois, nous, on aimerait que vous vous penchiez sur cette question-là, parce que ce qu'on dit dans le mémoire, et on l'a constaté, les avocats et les avocates ont extrêmement de difficultés à représenter les personnes devant la Commission des affaires sociales; les conseillers, ce que, nous, on appelle les conseillers en droits, ils ont une expertise à ce niveau-là. Nous, on est un organisme communautaire, et ça fait partie de leur job.

Donc, c'est aussi de l'argent de moins par rapport à l'État; ça coûterait moins cher si vous aviez des gens comme nous qui ne sont pas des avocats, parce qu'on n'a pas d'avocats, d'avocates qui travaillent dans nos organismes. On privilégie un autre type de travail. Bon, je ne dénigre pas du tout le travail des avocats, mais, au niveau de la représentation de cette clientèle-là, pourquoi ne pas élargir la possibilité de représenter?

Juste un dernier commentaire. Si jamais on voulait penser un tant soit peu à élargir... à ce qu'il n'y ait plus un tribunal administratif... C'est plus au ministre Bégin que je veux parler là-dessus. On va vous envoyer assez bientôt des commentaires de l'AGIDD au niveau de la façon dont ça fonctionne actuellement. Parce que ce qu'il faut comprendre, c'est que, depuis que le nouveau Code civil est en vigueur, il n'y a pas grand-chose de changé. La très grande majorité des gens à qui on fait une ordonnance d'examen clinique psychiatrique, elle n'est pas signifiée, n'est pas entendue par les juges.

Ça, les chiffres sont très parlants. On a des chiffres de Montérégie, de Montréal et de l'Outaouais. La dispense de signification est à peu près automatiquement donnée par les juges, comme elle l'était auparavant. Et, au niveau des ordonnances de garde obligatoire, la très grande majorité est accordée par le juge parce que les psychiatres ne viennent même pas témoigner; l'avocat de l'hôpital arrive, a monté la preuve, c'est deux expertises psychiatriques et c'est la présomption de folie qui s'accorde. Le juge accorde quasi automatiquement, dans 98 % des cas, la garde obligatoire.

Donc, il y aurait aussi une réflexion sur un débat, mais il y aurait aussi une réflexion qui devrait être faite sur est-ce que, effectivement, la réforme du Code civil a rempli son mandat par rapport à des garanties procédurales par rapport aux personnes psychiatrisées? C'est un système qui coûte très cher, et c'est loin d'être évident qu'à l'heure actuelle il est performant. Loin d'être évident. C'est une autre recherche.

Le Président (M. Simard): Madame, messieurs, merci pour non seulement la qualité de votre mémoire, mais aussi pour votre témoignage. M. le ministre veut certainement ajouter un dernier mot.

M. Bégin: Je vous remercie sincèrement de ce que vous venez d'apporter comme témoignage, et j'attends avec impatience ce que vous venez de m'annoncer et qui m'a également surpris. Merci.

Le Président (M. Simard): Merci beaucoup. Nous suspendons pour deux minutes.

(Suspension de la séance à 11 heures)

(Reprise à 11 h 6)

Le Président (M. Simard): À l'ordre, s'il vous plaît! Nous reprenons nos travaux. Nous allons écouter maintenant M. Alain Fortin, qui représente aujourd'hui le Front commun des personnes assistées sociales. Il devait être accompagné, mais, comme il m'a dit, la personne est sans doute perdue dans la circulation entre Montréal et Québec. Elle pourra peut-être se joindre à nous pendant l'exposé. Alors, nous vous écoutons. Vous connaissez les règles. Vous nous présentez l'essentiel de votre mémoire, et le dialogue, ensuite, s'instaure entre vous et nous.


Front commun des personnes assistées sociales du Québec (FCPASQ)

M. Fortin (Alain): Je m'appelle Alain Fortin, du Front commun des personnes assistées sociales, comme monsieur l'a dit tout à l'heure. Je suis délégué au Front commun par mon association, c'est-à-dire l'Association pour la défense des droits sociaux du Québec métropolitain. Je vais lire quand même mon document, étant moi-même une personne assistée sociale, et vous m'impressionnez...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Fortin (Alain): Et presque tout est dit dans ça aussi.

La réforme proposée par le rapport Garant vise l'ensemble de la justice administrative. Pourtant, il est illusoire et non sans danger qu'une structure unique traite de la même façon des lois régulatrices et des lois de protection sociale. En effet, une partie importante du champ administratif dans lequel se trouve la Sécurité du revenu est une arène où s'affrontent l'administration et l'administré. Les décisions rendues sont de l'ordre du quasi judiciaire et exigent un traitement où l'agir équitablement ne suffit pas à la protection des droits des parties. Dans ce contexte, l'administré peut difficilement percevoir l'administration comme un partenaire dans sa recherche de stabilisation ou d'amélioration de sa situation socioprofessionnelle et financière.

Nous devons donc constater qu'une réforme de la structure qui n'est pas accompagnée d'une refonte ou, minimalement, d'ajustement du droit substantif ne peut avoir pour effet d'améliorer la qualité de la justice administrative. À notre avis, la réforme de la justice administrative doit être le moment privilégié pour consacrer la protection des droits socio-économiques des personnes et élaborer un nouveau cadre social. Tant que cette réflexion ne sera pas faite, toute réforme proposée ne sera qu'une recherche d'efficacité au détriment des acquis des administrés. Certainement, les administrés, pour nous autres, c'est les personnes assistées sociales aux prises avec les problèmes de l'administration.

Le Front commun des personnes assistées sociales du Québec compte, dans l'ensemble des régions du Québec, sous divers types de «membership», une quarantaine de groupes qui travaillent à la défense et à la promotion des droits des personnes assistées sociales. L'essentiel du travail du Front commun et des militants qui y oeuvrent consiste à briser l'isolement dans lequel vivent les personnes assistées sociales, à les regrouper afin qu'elles puissent, ensemble, faire respecter leurs droits et travailler ainsi à l'amélioration de leurs conditions de vie, à développer l'autonomie et l'initiative des personnes assistées sociales pour qu'elles puissent répondre à leurs besoins, à développer chez ces dernières un sentiment d'appartenance et de solidarité en vue de lutter contre les injustices et les préjugés dont elles sont victimes, à offrir aux personnes... Ma collègue vient d'arriver.

Le Président (M. Simard): Bonjour, madame. Pourriez-vous vous identifier, s'il vous plaît?

Mme Cousineau (Claude): Oui, je suis Claude Cousineau. Je viens pour le Front commun. Je m'excuse du retard, mais...

Le Président (M. Simard): Je vous en prie, on comprend très bien. Je vous invite à poursuivre, monsieur.

M. Fortin (Alain): Je poursuis. Alors, offrir aux personnes assistées sociales tous les moyens d'information, de formation, d'action et d'entraide qui aident à briser le cercle vicieux de la pauvreté, et ce, par des services d'accueil, d'accompagnement, de dépannage et de référence, c'est-à-dire le «cas-à-cas», pour les personnes assistées sociales éprouvant des problèmes avec leur bureau d'aide sociale, c'est-à-dire le Centre Travail-Québec. Plus spécifiquement, le service de défense des droits sociaux a comme but d'outiller les gens afin qu'ils puissent mieux se débrouiller devant l'appareil gouvernemental et face à la complexité des lois. Souvent, les gens qui vont en révision passent par les associations comme la nôtre.

(11 h 10)

En termes de services offerts, les groupes membres du Front commun aident, entre autres, à remplir tous les documents concernant l'aide sociale, c'est-à-dire demande d'aide sociale, renouvellement, preuve de résidence, contribution parentale, etc., répondent à toutes les demandes de renseignements sur la Loi sur la sécurité du revenu et son règlement, informent les personnes assistées sociales sur les programmes gouvernementaux existants, appuient les personnes assistées sociales dans leur démarche en révision et en appel qu'elles entreprennent suite à une décision qui ne respecte pas leurs droits. Il va sans dire que ces services sont confidentiels et, surtout, gratuits. Le «cas-à-cas» aide aussi la personne assistée sociale sur différents aspects de ses conditions de vie.

En termes d'activités, les groupes du Front commun organisent des rencontres d'information et des sessions de formation, entre autres, sur la Loi sur la sécurité du revenu, la réforme des programmes sociaux, etc. Une grande importance est accordée à l'expression des participants et à la création de liens de solidarité. L'objectif, en regard de la complexité des mesures sociales, est de développer l'autonomie et la capacité d'analyse des personnes assistées sociales pour qu'elles soient à même de s'orienter à travers le fonctionnement de plus en plus technocratique de notre société. En regard des principaux problèmes vécus par les personnes assistées sociales, l'objectif est de favoriser une prise de conscience individuelle et collective dans le but de susciter l'identification et la prise en charge des moyens de solution.

L'objectif poursuivi par le Front commun en est donc un de sensibilisation, de conscientisation et de mobilisation en ce qui a trait à l'amélioration des conditions de vie de l'ensemble des personnes assistées sociales du Québec. Mis sur pied par des personnes assistées sociales pour répondre d'abord et avant tout à leurs besoins, ces dernières, encore aujourd'hui les principaux acteurs au sein de l'organisme national, y trouvent un véhicule privilégié de prise en charge de leur problématique propre. Le non-respect des droits des personnes assistées sociales, le déni de leur dignité, leur exclusion sociale, les préjugés dont elles sont victimes, leur appauvrissement et leur isolement sont autant de problématiques qui ont motivé la création du Front commun des personnes assistées sociales du Québec et qui justifient, encore aujourd'hui, son existence.

Je vais passer la page.

Au sujet du rapport Garant. Une réforme qui, à première vue, semble structurelle cache l'ampleur des modifications substantielles que celle-ci apporte aux droits des administrés. Il est toujours dangereux de vouloir modifier la structure de la justice administrative sans l'accompagner d'une réflexion sur les enjeux et les valeurs sociales qui doivent être servis par la structure. Si cette réflexion a eu lieu, nous n'avons pas été conviés à en partager les prémisses et nous devons la déduire des choix que le groupe de travail présidé par M. Garant... en valorisant l'efficacité et la réduction des coûts.

Le domaine du droit administratif, vous le savez sans doute, englobe l'ensemble des relations entre l'État et ses citoyens. Ces relations sont d'ordres divers: régulateur, punitif ou protecteur, et, parfois, un amalgame de ces derniers. Si nous ne gardons pas à l'esprit ces différents types d'intervention de l'État, nous risquons d'avoir un guichet unique pour la totalité des services administratifs et que celui-ci ne réponde pas aux exigences que notre société s'est données en termes de protection du citoyen vis-à-vis de l'administration, et ce, en termes de procédure de preuve, principalement. Il est «questionnant» et même questionnable que la presque totalité du droit administratif se cache sous le droit civil à propos du fardeau de preuve.

Dans tous les litiges opposant l'administration, et en particulier où les enjeux... ou la supposée non-conformité du dossier ou, même, la faute de l'administré... il est enrageant que l'administration n'ait pas approuvé autre chose qu'une preuve semblable et où la règle de la preuve probante suffit à exclure l'administré des bénéfices de la loi ou d'en amoindrir la couverture.

Les réclamations en raison d'une supposée vie maritale en sont un exemple. Le ministère de la Sécurité du revenu, pour établir le bien-fondé de sa réclamation, n'accepte pas d'autres preuves que de démontrer des indices de cohabitation, de secours mutuel et de commune renommée. Cela suffit pour rendre probable une situation de vie maritale. D'autre part, il est invraisemblable que l'administration, encore maintenant, puisse gérer la preuve de façon occulte en ne transmettant pas à l'administré la totalité du dossier; l'administrateur décide sur la foi de pièces ou de témoignages ignorés par ce dernier.

Si nous prenons l'exemple de la vie maritale, le précepteur n'est pas mis au courant de la totalité des preuves incriminantes accumulées par le ministère. Il devient très difficile, dans cette situation, de présenter une défense probante. Elle se permet d'écarter les preuves produites et décide du dossier sans tenir compte des preuves admissibles produites par l'une ou l'autre des parties. Comment peut-on écarter les conclusions de médecins sans qu'il y ait de contre-expertise?

Il est inquiétant qu'aucune précaution n'entoure la prise de déclaration d'un administré. Il n'est pas rassurant de se dire que nous sommes en droit administratif, donc de nature civile, quand la demande d'intervention de l'administration est accusatoire et pénale. À ce titre, la Loi sur la Sécurité du revenu prévoit des sanctions pénales, aux articles 84 et suivants, et l'administration réfère des prestataires devant les tribunaux des sessions de la paix. Dans cette conjoncture, nous ne pouvons qu'être effrayés par les recommandations du Groupe de travail proposant que l'administration puisse rendre ses décisions en ajustant équitablement et non de manière judiciaire. Nous pensons aussi qu'il est utopique que les décideurs changent de mentalité en l'absence de normes d'intervention, alors qu'ils ne respectent pas nécessairement celles qui existent actuellement.

L'utilisation de formulaires, de prime abord, simplifie le traitement de dossiers tant par l'administration que par l'administré. Son utilisation massive et non réfléchie a l'effet contraire. En effet, si l'administration exige plus d'informations que ce que... par une sorte de formulaire, le formulaire SR-2100, pour faire droit à une quelconque demande d'un administré, deux conditions s'imposent: le formulaire doit être modifié et l'administration doit s'interroger sur son insatiabilité à collectionner de l'information sur les administrés.

Nous pouvons nous interroger sur la pertinence pour l'administration d'avoir autant d'informations si elle ne peut les utiliser en faveur de l'administré. Le cas d'un analphabète confronté à une multitude de décisions administratives et écrites est l'exemple type de la non-utilisation de l'information de la part de l'administration.

Sans vouloir verser dans l'excès contraire, nous nous demandons ce qu'est devenue la notion de service de l'administration à l'égard de la population. Le Protecteur du citoyen parle de «maladministration» pour qualifier l'administration actuelle. Il est donc opportun de réactualiser la revendication de la responsabilisation de l'administration. Il est équivoque qu'un fonctionnaire agissant pour le compte d'un ministère ne lie pas celui-ci selon les règles simples du mandat. Ultimement, cet état de choses peut porter à l'administré la totalité de la responsabilité de son dossier et de sa conformité. Nul n'est censé ignorer la loi, cet adage souvent utilisé écarte l'administré de situations... Bon. C'est une chose qui...

Au niveau du tribunal administratif, l'enjeu majeur de la réforme proposée, c'est la création du Tribunal administratif du Québec, qui rassemblerait la totalité des tribunaux spécialisés et prendrait dans son giron des champs de compétence dévolus actuellement à la Cour du Québec. L'étalon qui nous permet de mesurer l'efficacité et la qualité d'un tribunal de ce genre est l'actuelle Commission des affaires sociales. La CAS est composée de sept divisions, celles-ci ayant des commissaires, des assesseurs spécialisés dans le champ de leurs interventions. Force est de constater qu'il existe un va-et-vient des commissaires entre les divisions, et cela, au détriment possible de la spécialité du banc chez les gens de divisions autres que la leur, originalement.

(11 h 20)

Il est donc ironique que la recommandation, suivant la profession de foi, concernant la spécialisation, la simplicité, la flexibilité, etc., rend possible les transferts d'une division à l'autre au gré des besoins. Concrètement, cela veut dire qu'un membre du tribunal affecté à la Division des affaires sociales entendra des litiges qui, actuellement, sont entendus par des bancs différents, mais, qui plus est, ce même individu pourra être amené à entendre des causes d'évaluation foncière, de protection du territoire ou de lésions professionnelles.

Essayons maintenant d'imaginer l'expertise des membres du Tribunal siégeant dans la division générale. Pour illustrer ce propos, imaginons un médecin omnipraticien à qui un hôpital exigerait qu'il fasse dans ses temps libres de la chirurgie plastique ou cardiaque. Le danger que le Tribunal administratif du Québec ne puisse répondre adéquatement aux attentes des administrés est commenté par la possible absence d'avocats dans les instances administratives. Le présent rapport Garant écarte, selon nous, la présence d'avocats devant la première instance, c'est-à-dire la révision, mais aussi, la réforme de l'aide juridique annoncée par le ministre de la Justice pourrait remettre en question la représentation par avocat devant les tribunaux administratifs. Les lois relevant de l'autorité du futur Tribunal administratif du Québec sont des lois complexes, et l'absence d'intervenants spécialisés risque d'amoindrir la qualité de la justice rendue et pourrait avoir pour conséquence d'augmenter la frustration des administrés.

Nous pensons qu'une réforme de la justice administrative doit être faite, et ce, de façon urgente, mais nous avons l'audace de penser que la structure est le dernier point à l'ordre du jour. En effet, la réflexion doit porter sur l'administration, ses points forts et ses carences dans sa capacité d'établir les liens entre l'État et la population, sur ses capacités de remplir son mandat de service. La réflexion doit porter sur l'escalade de la bureaucratie, sur les enjeux sociaux, la protection des citoyens, sur l'accessibilité à la justice, et ce, en lien avec l'inflation des textes législatifs et la supposée volonté de déjudiciarisation.

Lorsque cette réflexion sera faite, il y aura lieu de voir quelle structure pourra le mieux porter les valeurs et les choix sociaux que nous nous serons donnés. La réforme de la justice administrative doit tendre à refléter ce qu'a su si bien décrire Émile Zola lorsqu'il écrivait, et je cite: «Cette intuition que la légalité existe au plus profond de toute conscience humaine, même chez ceux qui ne lisent pas les textes juridiques, à condition qu'ils ne soient pas aveugles ni corrompus dans leur coeur ni insensibles à la souffrance d'autrui.» Donc, deux concepts sont, à notre avis, indispensables à une réforme de la justice administrative: la responsabilité de l'administration et la responsabilité de l'État.

La responsabilisation de l'administration doit être le pendant de l'actuelle responsabilité de l'administré. Ce dernier, pour faire valoir ses droits, doit avoir respecté méticuleusement ses devoirs et pallié aux faiblesses de l'administration. En effet, la personne assistée sociale est responsable de la conformité de son dossier, et ce, même en présence d'erreurs ou d'omissions de l'administration. Une mauvaise information de la part d'un fonctionnaire ne responsabilise pas le ministère quant aux conséquences de cette erreur. D'autre part, l'administration doit être sanctionnée pour son irrespect de ses devoirs, comme l'est actuellement l'administré.

La responsabilité de l'État se situe au niveau des principes sociaux qui doivent se refléter dans sa législation et, par conséquent, dans le traitement administratif de ses citoyens. Malgré les chartes, l'État québécois ne s'est pas créé l'obligation de veiller à la sécurité et au bien-être de la population. La couverture sociale varie au gré des exigences budgétaires et du discours politique du gouvernement en place. Les droits sociaux sont devenus des privilèges qui perpétuent une discrimination qui ne peut être tolérée dans une société moderne et démocratique. Les vocables ont changé, mais la réalité sous-jacente est la même. Les qualificatifs de «bon catholique» afin d'avoir droit à la charité religieuse ont été remplacés par «travailler à tout prix et toutes circonstances» afin d'avoir droit à la charité publique. Le terme «charité» fait appel à la mendicité du demandeur, et nous devons constater qu'il ne semble pas exagéré dans l'état du droit actuel.

Donc, la réforme de la justice administrative donne l'occasion de réfléchir sur la situation des droits des administrés et de s'interroger sur notre qualité de société démocratique, si nous permettons un recul important sur la protection des personnes économiquement défavorisées. Merci.

Le Président (M. Simard): Merci beaucoup, M. le représentant du Front commun des personnes assistées sociales. Alors, comme nous vous l'avons indiqué au début, maintenant, le ministre d'abord et, ensuite, les autres membres de cette commission vont dialoguer avec vous. Mme Cousineau, vous pourrez évidemment participer à ce débat. Et j'invite maintenant le député de... M. le ministre voulait d'abord intervenir.

M. Bégin: Peut-être une question. D'abord, je voudrais vous remercier pour votre mémoire. Vous nous avez dit tout à l'heure que vous étiez impressionné. Vous n'avez pas raison, vous avez «performé» de manière remarquable, et je vous en félicite.

Une question. Je prenais le résumé, je pense, de votre mémoire. À la page 8, quand vous parlez de la Commission des affaires sociales, vous semblez dire, un peu à l'encontre de ce qu'on entendait peut-être tout à l'heure, qu'il faudrait qu'il y ait une plus grande spécialisation, qu'il n'y ait pas possibilité qu'une personne puisse entendre des causes, par exemple, de la CAS ou de la CALP. Vous faites la distinction cependant avec également le Bureau d'évaluation foncière. Mais vous semblez dire qu'il faudrait absolument que les gens qui entendent des dossiers soient strictement en provenance du milieu de la CAS et non pas de l'autre segment de division. Est-ce que vous croyez que la composition des membres de la CAS comme telle, lorsqu'elle entend, est correcte ou bien devrait être modifiée, et pourquoi elle devrait être modifiée? Parce que vous y faites allusion, mais je n'arrive pas à saisir tout à fait bien, là, la portée de...

Mme Cousineau (Claude): La Commission des affaires sociales qui existe présentement a différentes divisions qui la séparent. Vous avez la division sur la sécurité du revenu, la Régie des rentes du Québec, etc. Présentement...

M. Bégin: Protection du malade mental.

Mme Cousineau (Claude): Oui, c'est ça. Il y en a sept, je pense, sept divisions différentes.

Présentement, les assesseurs sont rattachés à une division et, que je sache, que nous sachions, ils ne se déplacent pas d'une division à l'autre, sauf qu'on remarque, de façon récente, que des commissaires qui siégeaient, au départ, à la Régie des rentes ou dans une division ont transféré d'une division à l'autre.

On ne sera pas sectaire et on ne dira pas que quelqu'un embrasse la carrière de la division des allocations familiales à la Commission des affaires sociales sans espoir de modifications, sauf que la question qu'on se pose, parce que la proposition qui est inscrite dans le rapport Garant, ce n'est pas de dire que les gens puissent changer de carrière... Un avocat peut changer de carrière, à charge pour lui d'avoir perfectionné et d'être professionnellement compétent pour ce virage de carrière, sauf que le rapport Garant ouvre la porte à un ajustement du personnel d'une division à l'autre au gré des besoins et au gré, fort possiblement, des ressources et des demandes qui sont présentées devant une division.

On remarque déjà une difficulté pour des commissaires d'avoir à s'adapter très rapidement d'une division à l'autre, et nous sommes toujours dans le domaine, je dirais, des affaires sociales. Dans le futur Tribunal administratif du Québec, qui est largement plus étendu que simplement les lois sociales, la preuve, c'est que l'ensemble des divisions qui existent présentement à la Commission des affaires sociales va être une division du Tribunal administratif du Québec, la Division des affaires sociales. Mais, à ça, se sont jointes des divisions qui n'ont carrément rien à voir: l'expropriation, la protection du territoire; on peut penser aux responsabilités qui sont présentement celles de la Cour du Québec sur la commission d'accès à la justice, la loi d'accès à l'information. C'est des notions, je vous dirais, c'est un vieux préjugé de penser que parce qu'on est un avocat on connaît toutes les lois, et je pense que c'est aussi un vieux préjugé de penser que parce que vous êtes commissaire vous êtes nécessairement habile dans toutes les juridictions qu'on va vous proposer.

(11 h 30)

Et dans la mesure où le Tribunal administratif du Québec reste un tribunal administratif et, donc, dans la volonté, en tout cas, signifiée par le législateur de façon antérieure où on demande aux bancs qui siègent d'avoir une attention particulière aux parties qui ont à se présenter, parce que, même si, actuellement, il y a une représentation par avocat qui est permise, elle n'existe pas nécessairement... C'est important, effectivement, que le commissaire et l'assesseur soient minimalement, puis plus que minimalement... soient au courant du droit qu'il ont à trancher devant eux parce qu'ils sont aussi, je dirais, des intervenants importants dans la solution du litige qui leur est présenté. Ils ont... Si vous êtes capable de me faire une démonstration que la spécialisation d'un commissaire qui a fait une carrière ou, en tout cas, qui fait une carrière à la Commission des affaires sociales présentement sur la question de la loi de la sécurité du revenu va se sentir aussi habile pour aider et trancher un litige en expropriation, bien, on va trouver ça merveilleux, mais c'est la question qu'on a. Nous sommes loin d'être sûrs que cette spécialisation des tribunaux administratifs – parce que c'est la principale qualité qu'on reconnaît aux tribunaux administratifs – qu'elle ne va pas se perdre dans ce va-et-vient possible d'une division à l'autre.

M. Bégin: Je comprends ce que vous mentionnez. Vous faites état que, déjà, à la Commission des affaires sociales, il y a sept divisions. Par le Tribunal administratif, la division des affaires sociales serait un seul bloc par rapport à: division des lésions professionnelles, évaluation foncière, territoire et environnement et division générale.

Cependant, tout à l'heure, avant que vous n'arriviez, on entendait des gens qui parlaient en matière de santé mentale, de protection de la santé mentale, et ils faisaient une sortie virulente contre le fait qu'il y ait, sur le «board» qui décidait si oui ou non une personne devrait être conservée en cure fermée, la présence de deux psychiatres, qui sont des personnes, évidemment, dans cette matière, ultraspécialisées, et ils disaient: Il faudrait qu'on sorte de cette situation où on a, en quelque sorte, un conflit d'intérêts entre les psychiatres qui siègent à titre de membres d'un bureau et les collègues qui viennent devant eux. Donc, c'est un petit peu, si vous voulez, l'inverse de ce que vous prétendez. Un peu. Je sais bien que... Je ne veux pas faire d'analogie parfaite et pas dire ce que vous n'avez pas dit.

Par contre, ne croyez-vous pas que quelqu'un qui serait dans une division des affaires sociales – oubliez l'évaluation foncière, je ne pense pas que la recommandation 29 du rapport Garant aille dans le sens qu'on disait – est-ce que vous ne pensez pas qu'une personne qui a fait 10 ans d'adjudication ou 15 ans d'adjudication dans une division puisse – même si, au départ, il n'est pas un spécialiste d'une autre division qui serait encore dans les affaires sociales – dans un premier temps, être le second d'une division, apprendre graduellement la connaissance spécifique propre à une division et, graduellement, donc, changer de division?

Parce que je lis le rapport en disant: «...mais puisse à l'occasion être appelé à siéger dans une autre division, selon les besoins, ou même à y être transféré.» Moi, je comprends – écoutez, je peux me tromper – que quelqu'un peut vouloir dire: Moi, je suis tanné d'entendre les mêmes causes depuis 15 ans. Je suis démotivé. Je n'ai plus le goût d'entendre ça. Je suis bien obligé de gagner ma vie, je vais le faire si on m'y oblige, mais, bon Dieu, si j'avais la chance de changer, il me semble que... Est-ce que vous ne trouvez pas qu'il y a un argument de bon sens dans ça?

Mme Cousineau (Claude): Là-dessus, je vais répondre en ordre décroissant, c'est-à-dire à l'inverse. Je pense que, dans ma réponse, je n'étais peut-être pas assez claire, mais c'est clair qu'on ne veut pas absolument fermer un changement de carrière. De toute façon, on se ferait taper sur les doigts concernant la liberté de travail des gens, qui existe pour les commissaires comme pour toute autre personne au Québec. Mais, comme je précisais précédemment, c'est une chose d'envisager un changement de carrière. Tout le monde peut envisager un changement de carrière, avocats y compris, et commissaires y compris, qui sont habituellement des avocats de formation.

Sauf que c'est une chose d'envisager personnellement un changement de carrière – et peu importent les raisons: ça ne vous intéresse plus ou ça vous intéresse d'aller voir ailleurs – et de s'y préparer et de le faire graduellement... Je tiens à vous préciser que des bancs de deux commissaires, il y en a quand même relativement peu à la Commission des affaires sociales, à tout le moins, en division de la sécurité du revenu. Mais qu'ils se préparent pour faire un changement de carrière, on n'est pas fermés à ça. Ce avec quoi on n'est pas d'accord, c'est ce va-et-vient possible pour des raisons administratives, parce qu'il y a plus de dossiers à la Sécurité du revenu autour du mois de mai qu'autour du mois d'octobre, etc.

Parce que c'est une chose de vouloir changer de carrière. Il y a un intérêt, et intérêt égale habituellement au moins un minimum de curiosité, d'avoir fait ses devoirs avant d'être siégeant et décideur dans un dossier. C'est une autre paire de manches que de savoir qu'administrativement votre supérieur peut dire: Aujourd'hui, commissaire Albert, vous allez siéger dans... je ne sais pas quoi. O.K. C'est cette nuance qu'on apportait et que je tiens à repréciser.

Deuxièmement, sur la question des cures fermées, qui sont présentement, effectivement, décidées devant la Commission des affaires sociales, à savoir si elles sont maintenues ou si elles ne sont pas maintenues, je n'ai malheureusement pas entendu ce que le groupe avant a dit, mais ce qu'on en connaît, pour avoir des gens qui en font, de la défense de personnes devant la Commission des affaires sociales, il y a effectivement une difficulté quand les intervenants décideurs sont effectivement juge et partie. Parce que les assesseurs à la Commission des affaires sociales sur les cures fermées, ce sont des psychiatres, mais ce sont des psychiatres en exercice. D'accord? Quand même, il y a un souci de ne pas siéger dans un banc qui a son hôpital en jeu. Sauf que ce sont des psychiatres en exercice, premièrement. Donc, il faut peut-être faire cette nuance-là.

Et, deuxièmement, toute la question qui se pose, c'est que, dans le dossier des cures fermées, c'est, évidemment, éminemment une question de fait, mais il y a aussi des questions de droit. Et, là, humblement – et, là, je me mets peut-être les pieds dans les plats – je pense que, en termes de droit, ce n'est pas clarifié, un certain nombre de choses sur la question des cures fermées, ce qui, effectivement, peut rendre encore plus difficile ou, en tout cas, plus difficilement compréhensible l'analyse des faits qui est faite par les bancs devant la Commission des affaires sociales présentement.

Pour mémoire, une cure fermée, ce n'est pas supposé être une ordonnance de traitement. Comment se fait-il – c'est une question qui se pose dans ce milieu-là aussi – que les hôpitaux utilisent le maintien d'une cure fermée quand leur seul objectif, c'est de vérifier que la personne, le patient prenne ses médicaments? Il existe des ordonnances, elles ne sont pas utilisées. Je pense que, ça, ça fait aussi partie du portrait du malaise qui existe présentement dans la division des cures fermées. Je ne sais pas si je réponds à votre question.

M. Bégin: Ah oui! Très, très bien. C'est excellent.

Le Président (M. Simard): M. le député de Gaspé.

M. Lelièvre: Merci, M. le Président. Vous faites une démonstration très exhaustive de tout ce qu'on peut rencontrer dans le processus administratif du ministère de la Sécurité du revenu, et ce, pour toutes les décisions qui sont rendues sur tous les sujets qui sont couverts. Moi, ce qui m'intrigue un petit peu, c'est que vous faites une démonstration très négative du fonctionnement des bureaux de révision. Et, dans le mémoire, vous parlez à un moment donné, à la page 15 de la version initiale qui nous a été remise, que vous proposez même d'enregistrer sur bande magnétique ou de bénéficier d'un service de sténographie, les révisions, alors qu'on sait particulièrement que les révisions – vous le dites également – ne respectent pas les décisions de la Commission des affaires sociales, que l'administration, en première instance, ne respecte pas la jurisprudence de la Commission des affaires sociales.

Ne croyez-vous pas qu'il serait plus opportun de créer, en fin de compte, une espèce de tribunal administratif, l'équivalent de la Commission des affaires sociales ou quelque chose du genre, qui réglerait très rapidement l'audition de la cause, et ça serait une décision finale, comme on le rencontre à la Commission des affaires sociales? Parce que, la Commission des affaires sociales, en bout de compte, la révision administrative, c'est un processus supplémentaire qui retarde l'évolution du dossier et l'aboutissement. Alors, est-ce que vous seriez enclins à suggérer, par exemple, qu'on élimine totalement ça, cette étape-là de la révision, et qu'on aille directement aux vrais décideurs, qui, eux, vont être impartiaux?

Mme Cousineau (Claude): Je vous dirais: Vous posez la question qu'on se pose nous-mêmes depuis à peu près cinq ans, à savoir, la révision n'étant pas un tribunal judiciaire, est-ce qu'on ne devrait pas l'éliminer? Concrètement et «pratico-pratique», ce qu'on est obligés de faire comme constatation, c'est que, malgré tout, dans les demandes qui se présentent en révision, malgré ces carences, malgré ces faiblesses très claires, surtout dans certains dossiers, il y a quand même des dossiers qui se règlent – et, là, maintenant que l'exception de Montréal est réglée – dans des délais relativement corrects.

M. Lelièvre: Si on allait, par exemple, au niveau d'une révision administrative, uniquement au niveau, par exemple, d'un autre palier après l'agent, celui qui décide, qui détermine l'admissibilité du refus, ou l'exclusion, ou une coupure, une pénalité, etc., à ce moment-là, s'il y avait une révision administrative avec une accessibilité complète au dossier, à tous les documents, et si ça ne se fait pas, dans un délai de 30 jours, qu'on puisse aller directement, très rapidement au niveau régional avec une forme de décentralisation, et qu'on entende les causes plus rapidement, régler les dossiers de façon finale... Parce que j'en ai fait pendant 15 ans, des causes d'aide sociale à l'aide juridique, et...

Mme Cousineau (Claude): Oui, ce que vous proposez, ça pourrait effectivement être intéressant – là, je ne voudrais pas lier l'ensemble du Front commun là-dessus – sauf que, ce que je vous dirais, c'est que vous nous rajoutez une instance en disant, une révision administrative au niveau local – on va parler de CTQ, dans ce cas-ci – après un regard au niveau de la division régionale.

M. Lelièvre: C'est-à-dire, on élimine la révision.

(11 h 40)

Mme Cousineau (Claude): Vous éliminez la révision. Bon. Bien, la difficulté qui existe, c'est deux choses. C'est que, premièrement, la révision, je dirais, le retour, le recul critique sur les dossiers qui sont présentement en révision par la personne, le fonctionnaire qui a rendu la décision initiale, est supposé se faire de façon générale. En tout cas, à Montréal, c'est prévu, un retour critique sur le dossier avant même que la révision ait lieu. Effectivement, une fois de temps en temps, ça règle des dossiers. On s'interroge, on trouve très étonnant, n'est-ce pas, parce qu'on a fait l'exercice de ne pas aller faire notre demande de révision tout de suite mais d'attendre et d'étirer jusqu'au bout du délai, et on a réalisé qu'effectivement ce retour critique sur ce dossier-là n'arrivait que parce qu'on avait fait une demande de révision. O.K.? On a fait la démonstration. C'est peut-être un hasard que l'agent n'ait pas eu le temps dans les deux premiers mois, mais il a comme trouvé le temps entre le moment où on a fait la demande de révision... une semaine plus tard, il avait changé d'idée.

La difficulté d'enlever complètement le palier de révision, nonobstant le fait qu'effectivement c'est une étape qui règle des dossiers, qui est quand même relativement rapide, malgré toutes ses carences, c'est qu'en plus vous enlevez une étape aussi dans la défense des droits des dossiers. Par exemple, les dossiers de vie maritale, c'est très courant. Il est plutôt rare qu'une décision initiale soit renversée en révision, on est d'accord avec ça, mais n'empêche qu'on trouve intéressant d'y aller si ce n'est que parce qu'une fois de temps en temps on peut avoir des bribes d'information sur le contenu du dossier du ministère et que ça permet, effectivement, la préparation devant le tribunal administratif qui est la Commission des affaires sociales.

M. Lelièvre: Alors, à ce moment-là, il faudrait avoir une procédure administrative. Dans le fond, la révision vous permet juste, vous permet tout simplement d'aller chercher de l'information pour compléter un dossier, alors que l'administration s'assoit sur sa preuve jusqu'à la Commission des affaires sociales et, rendu à la Commission des affaires sociales, sort des documents, sort des témoins-surprises, et voici notre preuve, M. le Président, que nous avions au moment où nous avions décidé d'exclure cette personne de l'aide sociale ou de décider de lui réclamer 50 000 $ pour vie maritale, à la suite d'une lettre d'un voisin, par exemple.

Alors que si on l'avait déjà en révision ou on l'avait dès le départ, cette preuve-là, on éviterait des coûts à la société puis on saurait à quoi s'en tenir. On pourrait vérifier le bien-fondé de la décision de l'administration. Moi, je ne pense pas que c'est un problème de procédure comme un problème de transparence dans la prise des décisions par l'administration.

Mme Cousineau (Claude): Ah! Bien, ça, on parle d'occulte!

M. Lelièvre: Alors, si on avait, par exemple, un autre service, un service de conciliation plus rapide que la révision, qui permettrait justement cette accessibilité-là au dossier, si ça ne se règle pas dans un tribunal administratif style la CAS, pour ne pas dire la CAS, ça règlerait de façon définitive dans un délai relativement court... Parce qu'on peut attendre jusqu'à deux ans aussi. Vous parlez d'un an, mais on peut attendre jusqu'à deux ans, en région.

Mme Cousineau (Claude): À Montréal aussi.

M. Lelièvre: Deux ans et même trois ans, puis on est sur des réclamations très importantes pour des personnes qui sont démunies.

Le Président (M. Simard): M. le ministre.

M. Bégin: Écoutez, en vous entendant échanger sur la pertinence de conserver ou pas cette instance-là, est-ce qu'il n'y aurait pas lieu de penser à quelque chose qui ressemble à ce qu'il y a en matières criminelle et pénale, la divulgation de la preuve? Je ne suis pas un spécialiste de ces questions-là, mais j'ai entendu beaucoup de monde dire un peu ce que vous avez dit tantôt: de temps en temps, on apprend des bouts de preuve. Ça nous sert à obtenir la preuve qu'on n'a pas. Dans le fond, finalement, tout le monde semble croire que le vrai forum, il n'est pas là, mais ça peut de temps en temps être utile.

Est-ce qu'une procédure de divulgation de la preuve, de ce qu'il y a dans le dossier une fois que la décision est rendue, ne serait pas un mécanisme moins difficile, qui obligerait l'administration, évidemment, à dévoiler sa preuve, mais aussi à vivre avec la conséquence d'une certaine évidence qui apparaîtrait dans le dossier? Inversement à la personne concernée, qui va voir que, oh, voilà que... Mettons qu'un procureur qui accompagnerait une personne dit: Là, vraiment, on est devant une preuve qui va être fatale, à notre point de vue; je vous recommanderais, cher client, de ne pas aller plus loin puisque vous allez perdre votre temps et vous allez avoir un résultat négatif.

Écoutez, ce n'est vraiment pas «songé», comme on dit aujourd'hui, depuis longtemps, mais est-ce que – j'émets cette hypothèse-là – ça ne pourrait pas être utile?

Mme Cousineau (Claude): On n'écartera évidemment pas tout moyen qui permettrait effectivement une prise de décision plus transparente. Effectivement, c'est difficile d'avoir la divulgation de la preuve.

M. Bégin: Et plus rapide.

Mme Cousineau (Claude): Présentement, quand vous allez à la Commission des affaires sociales, il y a un dossier de la Commission qui est monté, et on a été mis au courant de certains dossiers où le ministère n'a pas jugé bon d'amener devant la Commission des affaires sociales la totalité du dossier. Ils font eux-mêmes leur sélection. On ne peut pas dire et on ne peut pas porter d'accusation qu'ils ont soustrait des preuves importantes, mais ça questionne sur la transparence de la décision, effectivement.

M. Bégin: Excusez, je vous interrompts une seconde. Vous savez que, dans le processus du dévoilement de la preuve, si une preuve n'a pas été dévoilée et qu'elle était disponible au moment où le dévoilement s'est fait, elle ne peut plus être utilisée ultérieurement devant le tribunal parce que, en fait, on a camouflé ou caché une preuve. Donc, l'administration serait obligée de dévoiler toute la preuve parce qu'elle ne pourrait plus l'utiliser plus tard.

Mme Cousineau (Claude): Oui. C'est un principe qui est intéressant, comme je vous dis. La question qu'on se pose, c'est qu'en révision... On a peut-être laissé sous-entendre qu'on venait juste chercher des bribes d'information; là, on va se remonter un peu dans votre estime et vous dire qu'on a aussi un rôle vis-à-vis du ministère, dans la mesure aussi où, s'il y a des avocats ou des organismes spécialisés accompagnant les prestataires, je suis désolée d'avoir à vous dire ce matin qu'une fois de temps en temps, en révision, on est obligés de dire au réviseur qui est devant nous: L'article 5 in fine de la loi devrait s'appliquer dans ce dossier-ci. Donc, il y a un échange aussi qui existe, qui permet effectivement...

Je ne sais pas si vous avez feuilleté la Loi sur la sécurité du revenu – en plus, il y a toutes les autres possibles et imaginables – mais 114 articles, avec autant d'articles de règlement, et on oublie les directives administratives, qui sont volumineuses, effectivement, je ne suis pas sûre que la totalité des fonctionnaires de la structure soient très au fait de toutes les subtilités que la loi prévoit, des fois, et qu'ils n'appliquent pas parce que ce n'est pas la règle générale.

Donc, c'est dans cette mesure-là et parce que, concrètement, on est obligés de remarquer qu'effectivement il y a des dossiers qui se règlent en révision et, deuxièmement, la question qu'on peut se poser aussi, c'est: Bon, dans quelle mesure le Tribunal administratif du Québec pourrait devenir plus rapide dans ses délais que l'actuelle Commission des affaires sociales?

Troisièmement, l'autre question qui se pose, je la situerais dans un contexte social, si vous me permettez. Présentement, il y a beaucoup de choses qui se disent; on est ici ce matin parce que c'est un des sujets de l'heure. Il y a la réforme de la Loi sur l'aide juridique qui est dans l'air, il y a eu des articles de journaux; on n'est pas au fait de savoir ce qu'elle va vouloir dire exactement.

Il y a la réforme de la sécurité du revenu qui était dans les journaux de cette semaine. Je pense n'apprendre rien à personne de dire que le climat social, présentement, est morose. Dans les bureaux locaux, non seulement ils ont des vitres pare-balles ou, en tout cas, des vitres blindées, mais, en plus, ils se sont rajoutés des accoudoirs pour empêcher les prestataires d'être proches des réceptionnistes. Dans certains bureaux, ils ont des boutons d'appel après leurs bureaux. On a l'impression qu'on parle de science-fiction, mais ça se passe à Montréal.

Les groupes, comme les avocats, sont des tampons à la frustration des administrateurs, parce que, comme groupes, comme avocats, quand quelqu'un nous dit: J'ai mon voyage! Je vais descendre lui mettre une claque dans la figure... Excusez-moi le langage, mais ils parlent encore plus «rough» que ça. Nous, on est là pour leur dire: Premièrement, quelqu'un qui est emprisonné n'est pas bénéficiaire de la sécurité du revenu; ce n'est peut-être pas un bon choix que tu fais. Ça, c'est la logique. Après, on dit: Il y a des recours qui existent, on va t'accompagner, on va te donner un coup de main, on va trouver un avocat qui va te donner un coup de main pour te défaire... ou te retrouver dans ces méandres-là.

Présentement, quand on fait la lecture de ce qui est proposé: d'enlever cet accompagnement-là, d'enlever, je dirais, le premier palier où le prestataire peut se plaindre du traitement qui lui est fait dans son dossier, l'enlever pour le remplacer par le tribunal administratif... mais ne jouons pas sur les mots, on sait ce que ça veut dire: le tribunal administratif égale CAS en plus gros. Donc, on enlève un palier de décision. Je ne suis pas sûre que les prestataires, déjà très, très étirés au niveau de la frustration qu'ils ressentent présentement sur le traitement qui leur est fait dans leur dossier, vont l'accepter de façon très sereine. On est vraiment rendus à ce niveau-là de notre questionnement, de dire: Retirer le processus de révision présentement, ne plus permettre à des avocats d'accompagner les gens ou à des groupes de défense de pouvoir les accompagner dans leur démarche, je ne suis pas sûre que ça ne devient pas dangereux socialement, parce que les administrés le comprennent comme: On nous enlève quelque chose encore. Je ne suis pas sûre qu'ils voient nécessairement, je dirais, le pendant, à côté, de dire qu'ils se font rajouter quelque chose dans la protection de leurs droits. Présentement, ils le prennent comme un recul.

(11 h 50)

Le Président (M. Lelièvre): Le temps file. Je vais permettre à M. le député de Chomedey de vous poser quelques questions.

M. Mulcair: Merci beaucoup, M. le Président. Mais, dans le droit fil des remarques qui étaient en train d'être faites, j'aimerais référer à la page 9 du mémoire du groupe. Il y a là une phrase qui parle justement de ce dont vous venez de parler. C'est écrit que «Bien qu'un(e) avocat(e) représente aussi la personne assistée sociale lors de l'audition de la révision, nous tenons à ce qu'on respecte à l'avenir le droit de parole de nos militant(e)s qui assurent à cette occasion le service d'accompagnement, et que le Comité de révision de Québec les laisse intervenir en la matière, sans entrave d'aucune sorte.» Pouvez-vous nous expliquer ces entraves, s'il vous plaît, qui existent à l'heure actuelle? Est-ce qu'il y en a? Je présume, à la lecture du texte, que vous dites qu'il y en a.

Mme Cousineau (Claude): Oui. Je vous dirais que la présence des groupes de défense des droits qui accompagnent un prestataire est moins clairement définie, malgré qu'on ait prévu comme principe qu'un prestataire pouvait être accompagné par la personne de son choix dans le processus de révision et dans son processus administratif en général. Sachez que dès qu'il est question d'une enquête, de rencontrer des enquêteurs, on refuse l'accès à cette personne-là, il faut qu'ils se battent très longtemps et, une fois de temps en temps, ils ne gagnent pas, ils sont obligés d'y aller seuls, malgré qu'ils aient demandé d'être accompagnés.

Le statut des groupes qui défendent les droits n'est pas clairement défini. Un avocat, ça va déjà un petit peu mieux, il a quelques balises judiciaires pour encadrer son intervention. Et nous sommes obligés de constater que, là, ça dépend, et c'est très conséquent à l'humeur et à l'attitude de la personne qui fait la révision ou du comité qui siège dans le dossier pour décider non seulement de la présence, mais de la capacité d'intervention d'un intervenant, d'un groupe populaire qui accompagne une personne.

M. Mulcair: Bien, ce que vous dites là nous inquiète beaucoup, du moins de ce côté-ci de la salle, parce qu'effectivement ce droit d'être accompagné est inscrit, et on a justement pris la peine, au terme de ces diverses lois, de s'assurer que ce n'était pas un monopole des avocats. On savait très bien qu'il y avait des groupes sociaux qui étaient là pour aider les gens. En tout cas, j'aimerais bien, si vous avez des cas concrets de cette nature-là... peut-être que ce serait opportun que vous puissiez nous les signaler sur une base individuelle, et je me ferai un devoir d'y donner suite.

Mme Cousineau (Claude): Je ne pense pas me tromper de vous dire que les groupes, en tout cas, de la région de Montréal – et M. Fortin pourrait me préciser si ça se fait à Québec – toutes les fois qu'on entend parler d'une personne qui s'est retrouvée confrontée à deux enquêteurs, selon la Loi sur la sécurité du revenu, à qui on a refusé que sa mère, que n'importe qui qui l'accompagnait puisse entrer dans la salle avec elle, nous leur avons toujours suggéré de porter plainte ou, en tout cas, de dénoncer cette situation au Protecteur du citoyen.

M. Mulcair: Ah oui, d'accord.

Mme Cousineau (Claude): Vous pourrez peut-être retrouver de ces traces-là dans ses rapports annuels, effectivement.

M. Mulcair: On va avoir mieux que ça, on va avoir le Protecteur du citoyen avec nous cet après-midi et on va pouvoir justement poursuivre la discussion.

Dernier point là-dessus. Différentes idées flottent dans les médias de ce temps-ci sur la couverture par l'aide juridique de ces questions-là. Est-ce que votre groupe a élaboré une position là-dessus? Est-ce que vous avez exprimé vos préoccupations à cet égard-là?

Mme Cousineau (Claude): Évidemment, je ne nierai pas, n'est-ce pas, que cette annonce-là... surtout qu'on venait de lire le rapport Garant, qui laissait ouverte la porte, effectivement, à une révision plus, je dirais, interne, donc sans présence d'avocat. Nous pensions que la réforme de l'aide juridique suivrait la réforme des tribunaux administratifs. J'ai l'impression que ça a été un grand bol d'eau chaude dans une petite basse-cour de minous, de chats. C'est un grand chat parce que... Et nous sommes en train de nous poser la question, premièrement.

Bon, évidemment, en termes très concrets, les groupes de défense sont associés étroitement à des avocats qui travaillent dans ce domaine-là. Ne rêvons pas, les avocats, je ne pense pas qu'ils vont faire ça bénévolement bien, bien longtemps; eux vont faire un changement de carrière. Donc, nous, en termes de ressources spécialisées, on vient de se fermer une porte.

La seconde chose, la seconde question qu'on se pose, c'est dans le climat de la paix sociale. Dans quelle mesure – et c'est un petit peu ce que je disais tout à l'heure – le retrait du bénéfice à un avocat devant certaines juridictions ou dans certaines questions où les dossiers, les litiges qui sont là touchent les personnes... Nous ne sommes pas sûrs que ça va être accepté très sereinement, et nous sommes présentement en réflexion sur ce sujet-là.

M. Mulcair: Alors, merci beaucoup, Mme Cousineau, M. Fortin, pour ce témoignage de votre expérience dans ce domaine-là. Et je remercie également vos autres collaborateurs au Front commun des personnes assistées sociales, ça nous a aidés beaucoup dans nos délibérations.

Le Président (M. Lelièvre): Alors, je vous remercie beaucoup d'être venus, et la commission suspend ses travaux jusqu'à 15 heures, ici.

(Suspension de la séance à 11 h 56)

(Reprise à 15 h 22)

Le Président (M. Simard): À l'ordre, s'il vous plaît. Nous poursuivons nos audiences particulières de la commission des institutions avec le mandat de poursuivre nos consultations et tenir des audiences publiques sur la justice administrative.

Nous écouterons en premier lieu cet après-midi le Protecteur du citoyen. Je me fais un plaisir, au nom de la commission, de souhaiter la bienvenue à M. Daniel Jacoby et de l'inviter à nous présenter ceux qui l'accompagnent. Vous connaissez trop les règles du jeu pour que je vous les rappelle.


Protecteur du citoyen (PC)

M. Jacoby (Daniel): Merci, M. le Président. Ça me fait plaisir de pouvoir m'associer aux discussions sur la réforme de la justice administrative, c'est un sujet qui, selon moi, mérite un jour d'être réglé d'une manière ou d'une autre, parce que ça fait trop longtemps que nous connaissons, tant les citoyens que les juristes et les administrateurs, les défauts, les lacunes de la justice administrative.

Dans cette optique, je considère que le rapport Garant apporte une contribution positive, en ce sens qu'il réussit à mettre en relief les incohérences et les lacunes tout en décrivant très bien les processus qui régissent la justice administrative prise au sens large du mot.

Les objectifs du rapport Garant, c'est de faire des propositions qui favoriseraient une justice administrative de qualité qui réponde aux attentes et aux besoins des justiciables, d'où la distinction qui est faite, dans le rapport Garant, entre la fonction administrative et la fonction dite juridictionnelle. À cet égard, le rapport Garant met en relief la confusion qui existe souvent entre les décisions de type administratif et les décisions de type quasi judiciaire.

Par ailleurs, le rapport Garant met l'accent sur la nécessité d'organiser, particulièrement dans les secteurs à grand volume de l'administration, des mécanismes de révision ou de reconsidération internes. Selon moi, c'est aussi une proposition qui est constructive, parce que je suis de ceux qui pensent que les ministères et organismes doivent être pleinement imputables et, à ce titre, je pense que ce sont eux les premiers qui doivent corriger leurs erreurs ou les injustices qui ont pu être commises par des décisions de première ligne. Alors, je pense que, là aussi, il y a une approche qui est constructive d'avoir un niveau de réexamen interne.

Et, enfin, un troisième niveau, celui que l'on appelle juridictionnel, où, enfin, le citoyen ou les parties, le cas échéant, vont se retrouver devant un arbitre, au sens large du mot, qui n'a été associé ni de près ni de loin aux décisions prises par l'organisme ou le ministère. Et c'est là, véritablement, qu'on peut parler de justice administrative, au sens étroit du mot, à partir du moment où un citoyen a épuisé ses recours à l'intérieur de l'organisation gouvernementale. Il est évident qu'un jour ou l'autre il a le goût et il veut être entendu par quelqu'un qui n'a pas participé directement ou indirectement à la décision.

(15 h 30)

Le modèle proposé, les objectifs du rapport Garant sont fort constructifs, fort louables, mais, cependant, je dirais que sur certains plans, on propose un modèle qui, finalement, essaye de ramener la justice administrative à des proportions, voyez-vous, dites horizontales, des solutions mur à mur, et je m'explique. Il est évident que quand on recherche, comme le fait le rapport Garant, une façon de simplifier et d'accélérer notamment les procédures, il est évident qu'au niveau des décisions de première ligne, lorsque nous avons des débats contradictoires, ça peut paraître lourd, ça peut paraître onéreux. Mais, d'un autre côté, la question qu'il faut se poser: Au niveau des premières lignes de décision, dans certaines circonstances, n'est-il pas nécessaire d'entendre les différentes parties intéressées? Je pense notamment à certains secteurs de régulation économique ou sociale, quand il s'agit de délivrance ou d'octroi de permis, ou de retrait de permis, ou de privilèges, pour moi, ça serait extrêmement difficile, par exemple, pour les régisseurs de la régie des alcools ou encore la Commission des transports de rendre une décision de qualité s'ils n'étaient pas à même de vérifier les faits qui donnent lieu à une plainte et, éventuellement, à un retrait de permis. Je pense notamment à toute la question de la tranquillité publique, lorsque les citoyens d'un quartier vont se plaindre qu'un propriétaire de bar permet la musique jusqu'à des heures indues et que ça nuit à la tranquillité publique. Tout ça, ce sont des questions de fait. Et je pense que pour faire apparaître la vérité, il m'apparaît, en tout cas, que le débat contradictoire est nettement supérieur à un processus d'enquête, beaucoup plus fermé, où les parties ne sont pas nécessairement mises en présence les unes des autres, où on se fie aux déclarations des unes et des autres sans pouvoir interroger, permettre l'interrogatoire, le contre-interrogatoire. Ce que je dis, c'est autant je favorise l'approche du rapport Garant, je pense qu'il ne faudrait pas systématiquement éliminer le débat contradictoire au premier niveau. Je pense que, au-delà des questions juridiques, parce que, la réforme des tribunaux administratifs, c'est loin d'être une question purement juridique, il faut regarder aussi, d'une manière très pointue, l'impact d'une décision comme celle-là que de vouloir, dans une vingtaine d'organismes, supprimer le débat contradictoire et remplacer ça par des règles d'équité procédurale. Je pense qu'il y aurait une étude de faisabilité qui devrait être faite dans plusieurs cas où je me questionne, et je pense que je ne suis pas le seul à me questionner. Évidemment, dans cette optique-là, ma position, c'est de dire: Soyons prudents quand il s'agit de vouloir mettre en oeuvre ou implanter certaines des propositions du rapport du Groupe de travail.

Au niveau maintenant du tribunal d'appel, je suis de ceux qui, de plus en plus, favorisent les regroupements, les intégrations et les mises en commun des services. Je pense qu'une meilleure intégration des différentes instances d'appel de nos tribunaux administratifs non seulement permettrait plus facilement au justiciable et à ceux qui le représentent de s'y retrouver, de connaître moins de variations et de diversités dans les règles de l'utilisation ou de l'administration des règles de preuve ou de procédure, mais, aussi, je crois beaucoup à la synergie des organisations, en ce sens que l'expérience acquise dans ce domaine peut profiter à d'autres domaines. Je pense donc qu'on doit viser cet objectif de regroupement, sauf qu'un tel regroupement est susceptible, s'il n'est pas fait avec beaucoup – encore – d'études de faisabilité, de nous amener à la création d'une bureaucratie extrêmement complexe et extrêmement lourde, si la justice administrative se limite à regrouper des tribunaux existants. Je pense qu'il y a beaucoup de travail de base à faire avant de penser que le seul regroupement pourrait améliorer la qualité de la justice administrative. C'est pour ça que, là aussi, je dis que, tout en partageant l'objectif du rapport Garant, il faudra faire preuve de prudence dans les regroupements parce qu'on peut craindre la naissance d'une bureaucratie qui desservirait, finalement, les intérêts de la justice. Mais je comprends, parce que c'est un réflexe des juristes, même si je paie ma cotisation au Barreau.

Je suis un peu étonné de voir, sans l'être vraiment, qu'on surjudiciarise, d'une certaine manière, en proposant la création d'un recours devant la Cour d'appel du Québec. C'est un peu étonnant pour moi. Parce que je peux comprendre qu'on ait une approche comme ça dans les provinces de «common law», et c'est un peu la situation qui prévaut dans les provinces de «common law», parce que la connaissance que j'ai des tribunaux administratifs dans les provinces de «common law», c'est qu'ils font beaucoup de «rubber-stamping», comme dirait Bossuet, ils avalisent très souvent les décisions de l'administration. Ce ne sont pas des tribunaux administratifs en général qui ont l'approche client, qui sont plutôt, je ne dirais pas au service de l'administration, mais c'est toute une culture, une approche différente. Et que dans les provinces anglaises on ait pensé que c'était nécessaire pour la protection des justiciables et des administrés devant l'appareil d'État d'inscrire des recours au niveau des cours d'appel, mais je ne pense pas que ce soit la situation qui prévale au Québec. Au Québec, on a, probablement pour des raisons historiques et sociologiques que j'ignore, là, développé quand même des tribunaux administratifs, avec les années, qui, d'une manière générale, font preuve de transparence, font preuve d'impartialité et rendent généralement une justice de qualité malgré tous les défauts qu'on peut connaître.

Alors, ça m'apparaît une vision plus académique que pratique de vouloir nécessairement, en plus des recours en évocation devant la Cour supérieure, y ajouter un palier d'appel. Parce que ça m'étonne aussi, d'autant plus que la Cour suprême du Canada, malgré toutes les nuances qui sont apportées ici et là dans les décisions, reconnaît que les tribunaux administratifs sont des grands garçons, en ce sens qu'on leur laisse une très grande marge de manoeuvre dans le cadre de leur compétence, et on interviendra, dans la mesure du possible, que s'il y a des erreurs manifestement déraisonnables ou excès de compétence. On reconnaît la spécificité de la justice administrative, ce ne sont pas les mêmes enjeux, ce n'est pas la même dynamique que la justice judiciaire parce que, règle générale, en justice administrative, les clients qui sont là sont l'appareil de l'État, d'un côté, et le citoyen, client de l'État.

Alors, je ne suis pas d'accord d'ajouter un palier d'appel à la Cour d'appel, même si c'est sur permission et sur des questions de droit. Je pense que les tribunaux supérieurs, à date, y compris la Cour supérieure, reconnaissent la nécessité d'accorder une autonomie, une marge de manoeuvre assez grande aux décisions des tribunaux administratifs.

Pour conclure, je dirais que pour améliorer la qualité de la justice administrative, il ne suffit pas de travailler sur des processus. Il faut fondamentalement revenir aux choses élémentaires, aux choses de base. On doit parler de justice administrative en rapport avec les décisions qui sont prises par l'administration. Et ce que je peux constater à l'échelle gouvernementale, c'est que les décisions de première ligne, dépendant des secteurs d'activité, ne sont pas de qualité égale. Il est des secteurs où des agents de première ligne ont une excellente formation et, par surcroît, ont une certaine discrétion dans l'application des normes, alors que, dans d'autres secteurs, j'ai plutôt l'impression que les agents de première ligne appliquent des recettes et n'ont pas même la possibilité d'utiliser leur jugement dans des cas particuliers. Ce qui fait que c'est inégal à l'échelle gouvernementale, ça dépend des programmes gouvernementaux. Je pense qu'un gros effort devrait être mis dans une action plus globale sur l'amélioration des mécanismes de première ligne.

Le Président (M. Simard): M. le ministre. Auparavant, M. le ministre, permettez-moi de demander à M. le Protecteur du citoyen, M. Jacoby, d'identifier les personnes qui l'accompagnent.

M. Jacoby (Daniel): Alors, Me Jacques Meunier, qui est l'adjoint du Protecteur du citoyen, et Me Patrick Robardet, qui est directeur des affaires juridiques.

Le Président (M. Simard): Merci. M. le ministre.

M. Bégin: Bonjour, M. Jacoby. Je vous remercie infiniment pour votre mémoire très fouillé, très détaillé. Je ne voudrais surtout pas penser qu'on va pouvoir traiter de chacun des points que vous soulevez. Mais j'aimerais peut-être vous interroger sur deux recommandations, l'une qui m'a étonné un peu, peut-être que je la comprends mal, et l'autre pour vous demander d'expliciter.

(15 h 40)

La première se retrouve à la recommandation 16, à la page 22. Dans une première partie, vous dites: «Que soient regroupés les appels administratifs de manière progressive et par affinité de secteur au sein d'un tribunal général en matière administrative, le Tribunal administratif du Québec...». Jusque là, ça va très bien. Vous mettez une nuance de progression dans le temps, et je ne vois pas de problème là-dessus. Mais la dernière partie de la proposition «...mais que soient également maintenus ou constitués d'autres tribunaux administratifs, selon les besoins et les affinités de secteurs.» Je vous avoue que, compte tenu de l'ensemble de la proposition du rapport Garant, j'ai été étonné de cette remarque. Peut-être que je ne la comprends pas. Pourriez-vous expliciter un petit peu, voir quel est votre rationnel derrière cette position?

M. Jacoby (Daniel): Dans un sens, il y a deux choses dans cette phrase. D'un côté, le rapport Garant reconnaît que certains tribunaux administratifs ne devaient pas être intégrés dans le nouveau Tribunal, notamment la Commission de la fonction publique et la Commission d'accès. Cet élément de phrase ne fait que confirmer aussi mon accord sur le fait qu'il faut quand même... Il y a des raisons suffisantes pour ne pas les regrouper. Puis il faut laisser aussi... Je me dis qu'il faut qu'une réforme soit marquée au point de la souplesse. Et on pourrait penser qu'éventuellement de nouvelles... Il ne faudrait pas nécessairement penser qu'un seul tribunal administratif pourrait nécessairement regrouper tous les champs ou les secteurs d'intervention que le gouvernement pourrait développer dans des programmes nouveaux.

Alors, ce que je veux dire par là, c'est que même si on crée, à l'intérieur, si on propose, à l'intérieur du tribunal administratif d'appel, une division générale, cette division générale, je ne voudrais pas qu'elle devienne un fourre-tout, non plus. Donc, il faudrait que la réforme n'arrête pas dans le temps la possibilité de créer de nouveaux tribunaux administratifs, le cas échéant, mais l'objectif étant de les regrouper le plus possible. En fait, c'était simplement dans cet objectif. Je n'ai pas d'exemple particulier, là, pour cette partie-là.

M. Bégin: Je vous demandais cette question puisque certains qui se sont présentés devant nous ont suggéré peut-être... par exemple, l'application du rapport Durand, qui prévoit, en matière d'emploi, une formule différente. Et je me demandais s'il y avait un lien intellectuel entre ces deux façons de voir, parce que des gens proposeraient ou aimeraient qu'on ait un volet tout à fait particulier pour le domaine des relations de travail et de l'emploi qui soit différent, et ils s'inspirent en cela en particulier du rapport qui est connu sous le nom de rapport Durand. Je me demandais s'il y avait un lien entre ce que vous voyez là, ce qu'on voit dans la proposition 16, et une proposition de cette nature. C'est pour ça que je vous demandais: Pourquoi cette proposition? Non pas en vertu de ça, mais pour d'autres volets. Est-ce qu'on ne crée pas une ouverture à quelque chose qui ressemble à ce qu'on a connu depuis 25 ans et qu'amène le rapport Garant, c'est-à-dire l'obligation de réfléchir à quatre ou cinq fois, dans des grands rapports, pour, peut-être, faire une nouvelle réforme des tribunaux administratifs?

M. Jacoby (Daniel): M. le ministre, je ne référerai pas au rapport Durand. Je connais le rapport Durand, et le rapport Durand a été rédigé avant que soit connu le rapport Garant. J'avais pris connaissance de ce rapport, et, évidemment, il n'était pas question, à l'époque, de la réforme.

Moi, je n'ai aucun problème à voir intégrées, au niveau du futur tribunal administratif d'appel, les questions d'accidents du travail. C'est très pointu, là. Ce n'est pas les relations de travail en général, c'est les accidents du travail. Et on est en matière... Vous savez, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, c'est une loi d'indemnisation, une loi de réparation, une loi de réadaptation aussi, et ça a beaucoup, beaucoup d'affinités, par exemple, avec tout le régime d'indemnisation et de réadaptation de la Société de l'assurance-automobile. Je ne vois pas pourquoi ça ne pourrait pas être intégré au sein d'un même tribunal, donc peut-être dans des divisions différentes. D'autant plus que j'ai toujours dit qu'il fallait rechercher plus d'uniformisation entre le régime de compensation en matière d'accidents du travail et le régime de compensation en matière de circulation routière parce qu'il y a des différences de régime. Alors, ce n'est pas dans cet esprit-là, c'est simplement une soupape, point. Je n'ai pas d'objection à une intégration de...

M. Bégin: Merci. Peut-être que mes collègues pourront revenir, mais j'aimerais peut-être changer de sujet et référer aux recommandations 28, 29 et 30, que l'on retrouve à la page 24, qui me semblent former un trio, qui vont ensemble. Donc, que la structure des tribunaux soit telle qu'ils représentent des entités indépendantes de l'exécutif, c'est un principe général, j'imagine. Le deuxième, que le mode de sélection et de nomination des membres des tribunaux favorise leur indépendance et leur impartialité et, finalement, que les membres des tribunaux administratifs soient inamovibles, sauf pour cause, mais à l'intérieur d'un système qui favorise la mobilité volontaire d'un secteur à l'autre. Il y a plusieurs éléments, mais qui ont trait au statut des membres des tribunaux administratifs. Je vous avoue que je me serais peut-être attendu à une élaboration plus grande sur la recommandation 29 concernant le mode de nomination et le mode de renouvellement des mandats, à moins que dans «inamovibles», vous ayez le concept de la permanence sans renouvellement une fois nommé. J'aimerais vous entendre à cet égard.

M. Jacoby (Daniel): Oui. Bien, pour ce qui est du mode de sélection et de nomination des membres des tribunaux administratifs, moi, je prenais pour acquis – en tout cas, dans les lectures que j'avais pu faire et les interventions que j'avais pu faire à l'époque – que le rapport Ouellette apportait, selon moi, une solution valable en termes de sélection et de nomination, avec certainement une plus grande apparence d'indépendance que ça ne l'est actuellement. Et, dans le fond, ce n'est pas nouveau, j'ai déjà appuyé le rapport Ouellette sur cette question-là.

Je pense donc qu'on devrait, à tout le moins en matière de tribunaux administratifs, avoir le même régime de sélection et de nomination, même s'il n'est pas parfait, que pour les tribunaux judiciaires.

Pour ce qui est, maintenant, du statut, de la durée des mandats, bien, ça, vous savez, là-dessus, ce n'est pas une question qui, pour moi, est très simple, parce qu'on peut constater qu'un des grands problèmes, finalement, que l'on vit quand on compare la justice administrative et la justice judiciaire, quand il s'agit du statut et des mandats et de la durée des mandats des membres, j'ai l'impression qu'on vit un peu les séquelles, là, les séquelles que... Évidemment, la justice judiciaire existe depuis fort longtemps, la justice administrative depuis peu. Il faut dire que, historiquement parlant, la justice administrative a été perçue et conçue, même conçue et perçue, comme le prolongement de l'exécutif et que les façons de faire de l'exécutif au niveau de la nomination des hauts fonctionnaires, ça a déteint dans le mode de nomination des tribunaux administratifs. Je pense qu'on est très en retard là-dedans, parce que je me dis que si on veut avoir une justice de qualité, une justice crédible, il faudrait... Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas mettre les membres des tribunaux administratifs sur le même pied que les membres des tribunaux judiciaires, en termes de mandat. Je ne parle pas des autres choses comme les conditions de travail ou des choses comme ça. Mais je dis que, dans le fond, qu'est-ce qui fait que... Si un membre d'un tribunal administratif est compétent, je ne vois pas pourquoi, en vertu de quel principe l'État pourrait théoriquement ne pas renouveler son mandat. On est en matière de justice administrative, on n'est pas en matière de bureaucratie. Je pense que, comme pour les juges judiciaires, les membres des tribunaux administratifs devraient être nommés durant bonne conduite.

Par ailleurs, étant donné la diversité des secteurs et aussi du fait que c'est des secteurs très pointus, très souvent, il est nécessaire de favoriser la mobilité des membres des tribunaux administratifs, à tout le moins sur une base volontaire, comme on le fait d'ailleurs dans la Loi sur les tribunaux judiciaires.

Moi, j'ai eu personnellement connaissance de situations, de personnes qui, depuis x années, devenaient les spécialistes de tel ou tel article de telle loi et qui auraient bien aimé pouvoir changer de division.

M. Bégin: Changer d'article. Ha, ha, ha!

M. Jacoby (Daniel): Changer d'article. Et je pense que si ça se fait sur une base volontaire, il n'y aurait pas de problème. Il ne faudrait pas que ça se fasse sur une base coercitive non plus parce que ça pourrait affecter l'indépendance et l'autonomie des membres.

(15 h 50)

Vous savez, le système actuel, il est rempli de vices, selon moi. On importe tout de l'exécutif pour les tribunaux administratifs. Par exemple, on a importé de l'exécutif des emplois supérieurs, des clauses de résiliation, des avis de six mois. Ça, on peut très bien le comprendre au niveau de l'organisation administrative du gouvernement, mais c'est difficile à comprendre au niveau de la justice administrative. Parce qu'il faut bien penser qu'il faut être vraiment au-dessus de tout soupçon pour que, quand on a dans les mains 25 ou 30 décisions à rendre et qui impliquent, d'un côté, le gouvernement ou les services publics, et de l'autre, des citoyens, de se faire envoyer son avis de renouvellement six mois d'avance, je dis qu'il faut être fort pour ne pas avoir une seule pensée de dire: Tiens, je pourrais peut-être en profiter pour saler le gouvernement. Je trouve que c'est malsain, des règles comme ça. Quand je disais tout à l'heure qu'on importe des pratiques pour les emplois supérieurs, comme sous-ministre ou dirigeant d'organisme, à la justice administrative, ce n'est pas du tout la même dynamique. Parce que, au moins, quand on envoie un avis de non-renouvellement à un sous-ministre, ou des choses comme ça, il a encore un boss, pour un temps en tout cas. Tandis que le juge administratif, en principe, d'après ce que dit la jurisprudence, et tout ça, il n'a pas tellement de boss. Alors, je dis qu'il faut être fort pour vivre ces importations des emplois supérieurs au niveau de la justice administrative.

Je trouve que, ce que l'on critique aussi, ce que, bien sûr, beaucoup de gens critiquent, il ne faut pas se le cacher, de temps à autre, on a vraiment l'impression de décisions de type purement politique. Et je pense que ce n'est pas une façon de redorer le blason ou d'améliorer la perception que l'on peut avoir de la justice administrative, à tort ou à raison, mais ce sont très souvent les apparences qui comptent, les perceptions. Je ne vois pas... Si on y croit, à cette justice administrative, je pense qu'on devrait faire un pas de plus et avoir quelque chose qui ressemble beaucoup au mandat des juges judiciaires, indépendamment de toute autre question de rémunération et de conditions de travail.

D'ailleurs, vous savez, je pense aussi qu'on importe tout de l'exécutif. L'évaluation des membres des tribunaux administratifs, les classements. Une des qualités de la justice... Pourquoi y a-t-il parité de traitement entre les juges judiciaires? Ce n'est pas le fruit du hasard. Ça aussi, c'est un ingrédient de l'indépendance, l'égalité de traitement automatique prévue par la loi. On a importé, au niveau des membres des tribunaux administratifs, à peu près des règles identiques suivant la méthode administrative Hay pour évaluer les postes et ainsi de suite. Comme si la grosseur de l'organisation ou la grosseur de l'organisation du tribunal ou le type de loi... La méthode Hay n'est pas faite pour la justice administrative, elle est faite pour l'administration. Ce qui fait qu'on a des disparités de traitement absolument, je trouve, inacceptables et qui mettent des gens dans des positions, finalement, de se comparer les uns les autres, de quémander, de profiter des renominations pour essayer de se faire changer de classement, et ainsi de suite. Ça n'a pas de sens, quand on parle de justice, qu'on ait des systèmes comme ça. Je pense qu'on a beaucoup trop été influencé, et on en vit les séquelles, par ce qui se passait au niveau des emplois supérieurs de l'administration.

Le Président (M. Simard): Merci. Je vais passer la parole au député de Chomedey. Mais je reviendrai à ma droite pour d'autres questions ensuite puisque nous pourrons poursuivre le dialogue jusqu'à 16 h 15, en fonction des retards de départ.

M. Mulcair: Merci, M. le Président. Alors, M. Jacoby, M. Meunier, M. Robardet, bienvenue et merci beaucoup pour tout votre travail, l'attention que vous avez apportée aux questions posées par cette commission. Ça va sans doute nous aider énormément dans nos délibérations, parce que votre vaste expérience avec les problèmes qui sont reliés aux tribunaux dont il est question va sans doute pouvoir enrichir les décisions, justement, que le ministre sera appelé à prendre et la législation qui sera, par la suite, étudiée sans doute devant cette commission.

M. Jacoby, vous avez dit tout à l'heure, vous avez fait, me semble-t-il, une distinction entre les provinces de «common law» et les provinces anglaises, parce que vous avez parlé des deux. Je pense que ce que vous vouliez dire, c'est qu'il y a effectivement neuf provinces de «common law», dont trois disent le droit de «common law» en langue française et en langue anglaise. Pour avoir eu l'immense plaisir de faire les 8 000 pages des lois et règlements du Manitoba, de les réviser pour le compte du Procureur général de cette province, je ne pouvais pas m'empêcher de vous rappeler qu'il y a effectivement trois provinces de «common law» qui disent le droit en français et en anglais.

Mais, plus sérieusement, à propos de votre commentaire à cet égard, vous êtes une personne... Vous avez travaillé, depuis les années soixante-dix, sur des questions complexes qui concernent justement la manière de préparer les lois, la manière de les concevoir. Depuis de nombreuses années, vous avez même publié beaucoup sur ce sujet. Effectivement, on vit dans un pays où on a deux systèmes juridiques, un héritage de notre histoire, mais aussi, donc, on profite, on tire profit de notre héritage qui vient de deux grands systèmes de droit: le droit civil issu du code Napoléon, notamment en France, et la «common law» issue du droit d'Angleterre. Est-ce que les changements de notre manière de concevoir notre législation et les institutions qui en sont issues, à votre sens, ont pu évoluer autant au cours des 20 dernières années, à tel point que le fait qu'on se fie à la «common law», à cette manière de faire qui est issue justement des décisions des «appeal cases» d'Angleterre, peuvent se plaider aussi bien sur une évocation devant la Cour supérieure du Québec? Parce que, en matière de droit public, c'est la «common law» qui s'applique autant au Québec que dans les autres provinces. Est-ce que, à votre sens, c'est une partie de la problématique qu'on devrait être en train d'analyser, cette influence, c'est-à-dire que nous avons tenté d'adapter notre législation à une manière de faire qui soit plus civiliste? Vous en avez longuement fait état dans vos écrits. À votre sens, même si on est dans un Parlement de type britannique et devant une commission parlementaire typiquement britannique, cette partie de notre droit, qui est le droit administratif, cette manière d'analyser ces causes issues du droit d'Angleterre, est-ce qu'il y a peut-être une adaptation qui doit se faire nécessairement vis-à-vis de nos propres institutions vu l'évolution que vous avez souvent constatée dans vos écrits?

M. Jacoby (Daniel): Ce n'est pas une question simple, ça.

M. Mulcair: Non, mais c'est vous qui me les avez apprises, ces questions-là. Alors, je me permettais de vous les lancer ici aujourd'hui.

M. Jacoby (Daniel): Non, je pense que nous vivons ici, au Québec, des situations qu'on vit partout à travers le monde. J'étais il y a quelque temps à l'île Maurice, où on a du droit civil et du droit de «common law». C'est sûr qu'on est certainement influencé, étant aux confins de plusieurs traditions juridiques, mais comme on est influencé en droit comme on l'est dans d'autres matières ou dans d'autres domaines, je pense que, à date, on a concilié l'approche – je dis bien concilié – d'une certaine manière au niveau de la rédaction des lois et peut-être l'approche civiliste et l'approche de la «common law». Mais c'est difficile de porter des jugements comme ça.

Il est certain que notre droit administratif est beaucoup plus influencé par la «common law». Mais si vous me parlez de rédaction des lois, je pense qu'on utilise, au niveau de la rédaction des lois, plutôt la rédaction généralement de type européen civiliste, quoique même le Code civil a évolué énormément. Si je regarde le nouveau Code civil par rapport à l'ancien Code civil, on est allé beaucoup plus dans le détail, on est allé beaucoup plus d'une manière empirique aussi. On a codifié. Il faut dire que ce n'étaient pas les mêmes enjeux qu'en 1866 ou 1867, quand on a fait le Code civil du Bas-Canada. C'est sûr qu'on vit des influences. Est-ce que c'est un facteur? La question que vous me posez, parce que j'ai un peu de difficulté, est-ce que c'est un facteur d'amélioration de la qualité de la justice?

M. Mulcair: Vous savez, votre présentation et celle, je dirais, de Roderick Macdonald, de l'Université McGill, sont celles qui tiennent le plus compte de ces facteurs, un peu plus – ce qui est sans doute un anglicisme – académiques, un peu plus abstraits. Dans votre cas, c'est basé sur une immense expérience auprès de ces tribunaux, directement. Alors, je tentais, avec cette question, juste de voir si ça pouvait être un facteur de considération dans nos travaux. Pas plus que ça.

(16 heures)

Si on veut revenir peut-être un peu plus proche de votre série de recommandations, je me permets de vous citer très brièvement le mémoire qui a été présenté à la commission des institutions ce matin même par un groupe de travail, le Front commun des personnes assistées sociales du Québec, et je vous cite une partie de leur présentation. Ils ont dit: «Bien qu'une avocate ou avocat représente aussi la personne assistée sociale lors de l'audition de la révision, nous tenons à ce qu'on respecte à l'avenir le droit de parole de nos militantes et militants qui assurent à cette occasion le service d'accompagnement, et que le Comité de révision du Québec les laisse intervenir en la matière, sans entrave d'aucune sorte.» Lorsque nous leur avons demandé de s'expliquer un peu sur cette question-là, ils nous ont dit que, très souvent, ils avaient eu l'occasion de rapporter ces cas auprès du Protecteur du citoyen.

Alors, est-ce que vous pouvez nous dire si c'est une problématique qui existe souvent, c'est-à-dire que les gens avec des problèmes en matière d'aide sociale se font refuser le droit de se faire accompagner par une personne autre qu'un avocat?

M. Jacoby (Daniel): Je ne peux pas dire que c'est une problématique, en tout cas pas à notre niveau. On a quelques plaintes, mais c'est vraiment marginal, et ça varie, hein! Il faut faire très attention à la généralisation dans des secteurs comme la sécurité du revenu, où tout est régionalisé: les agents de première ligne, les bureaux de révision et ainsi de suite. Alors, il y a des problématiques qu'on peut vivre dans certaines régions et qu'on ne vit pas dans d'autres.

Il est certain que nous avons à l'occasion des plaintes de comportement, tant au niveau des agents d'aide sociale que des agents réviseurs, mais ce n'est pas – en tout cas, il faudrait que je regarde d'une manière plus détaillée nos dossiers – pire ou moins pire là qu'ailleurs, en termes d'attitude, de comportement ou de représentation. Mais il faut dire que... Vous savez, c'est un problème. Le problème, c'est que, quand on a à prendre une décision et qu'on est réviseur, qu'on est membre d'un tribunal administratif, on a malheureusement, je dois dire, parfois la tendance à vouloir se comporter comme la justice judiciaire traditionnelle et on a beaucoup d'exigences qui sont démesurées, selon moi. C'est vrai autant au niveau de certains bureaux de révision qu'au niveau de certains tribunaux administratifs.

M. Mulcair: O.K. La question, ensuite, c'est: Est-ce que, à votre sens, lors de toute réforme de l'aide juridique, il faut tenir compte, justement, du droit des gens d'être représentés devant ces instances-là, que ce soit représentation exclusive d'avocat ou autrement? Avez-vous un avis là-dessus à nous donner?

M. Jacoby (Daniel): Moi, je pense que, au niveau de l'aide juridique, il faut continuer à permettre l'aide juridique devant ces instances-là, particulièrement quand on parle de ces secteurs où les personnes sont terriblement démunies. Et c'est une situation qui, dans les prochaines années, ne risque pas... enfin, ça risque de ne pas s'améliorer tellement, compte tenu de l'ensemble de la conjoncture économique mondiale, et tout ça. Moi, je pense, quand je regarde, par exemple, l'ensemble des dossiers qui nous sont soumis au niveau de la sécurité du revenu, parce que les bénéficiaires de la sécurité du revenu, parfois, exercent des recours devant le Protecteur du citoyen, parfois devant les bureaux de révision, ou même, très souvent, nous référons des dossiers devant les bureaux de révision, plus de la moitié des dossiers sont référés au bureau de plaintes ou au bureau de révision, parce que, par exemple... Bon.

Mais ce qu'on peut constater, c'est que ce sont... Vous savez, on a une clientèle, un bassin de clientèle qui est très peu scolarisée, quoiqu'il y ait de plus en plus de personnes diplômées qui sont sur l'aide sociale, mais, ça, ça fait partie de la conjoncture, et des gens peu informés, des gens qui ont peur de parler, des gens, quand on regarde ça sur un plan comportemental, qui souffrent dans leur dignité et qui ont besoin d'être représentés, dans bien des cas, parce que, évidemment, que ce soit devant les bureaux de révision ou devant les commissions ou les tribunaux d'appel, je pense qu'une des grandes problématiques que l'on vit, au Québec comme ailleurs, c'est qu'il n'y a pas nécessairement d'adéquation entre les moyens mis à la disposition des citoyens et leur condition économique, et je pense qu'il est absolument nécessaire de maintenir l'aide juridique au niveau des bureaux de révision.

M. Mulcair: Merci. Une dernière question. Vous mentionnez, à la page 26, que, selon vous, les décisions devraient être finales et sans appel. C'est votre recommandation 32, à la page 26. Je dois vous donner mes propres préjugés: j'ai tendance à être d'accord avec cette recommandation-là, pour des raisons qui sont sorties assez clairement d'un ensemble de présentations qui ont été faites devant cette commission. Mais, à mon sens, «it begs the question» à l'égard de la qualité de la première décision.

Vous n'en parlez pas trop là-dedans, mais, sur la base de votre expérience, est-ce que vous partagez l'avis de ceux et celles qui sont venus ici et qui nous ont dit: Si on fait une réforme, il faut se concentrer là-dessus? Je vous donnerais même le terme employé par Mme Gosselin, la présidente du Syndicat de la fonction publique. Elle nous a dit que, trop souvent, la décision de premier niveau est considérée comme un terrain de pratique. Personne ne prend ça au sérieux, et on parle surtout de révision. Est-ce que, dans votre expérience... Je sais que vous y avez déjà fait allusion dans vos rapports, mais, pour le bénéfice de cette commission dans nos travaux, est-ce que c'est quelque chose sur lequel on devrait mettre beaucoup d'emphase?

M. Jacoby (Daniel): Oui, je pense que, quand on parle de réforme de la justice administrative, il faut prendre l'ensemble du processus, de son début jusqu'à la fin, parce que, si on le prend strictement par le jeu des structures, on ne réglera pas les problèmes de fond. Et je pense que les problèmes de fond sont très variables d'un secteur de l'administration à l'autre.

Il y a des organisations ou des programmes gouvernementaux où les agents de première ligne sont très bien formés, reçoivent une formation permanente où ils ont une certaine marge de discrétion pour qu'ils puissent utiliser leur jugement. On ne leur enlève pas le jugement dans le livre de recettes. D'autres sont mieux organisés, d'autres sont moins bien organisés, mais, ça, ça varie suivant les programmes gouvernementaux. Et, moi, je pense qu'il faut certainement...

D'ailleurs, je le disais dans le dernier rapport annuel, il faut faire un effort considérable pour l'amélioration de la qualité des décisions de première ligne. On sait très bien que ces décisions de première ligne, puis c'est assez... Moi, ici, j'ai des statistiques pour vous montrer comment ces décisions de première ligne peuvent être infirmées ou confirmées par les bureaux de révision. Si je prends, par exemple, la sécurité du revenu, eh bien, je les ai région par région. Et c'est assez drôle, comme statistique, parce que, par exemple pour la région de Montréal métro, dans 28 % des cas, les bureaux de révision Montréal métro-Laval, accueillent la demande du client. À la ville de Montréal, c'est 17 %. Par contre, si je vais dans d'autres régions. Je vais, par exemple, en Gaspésie, c'est 22 %, et ainsi de suite. Est-ce qu'on peut dire, quand on regarde tous ces chiffres...

Je les ai aussi pour la Régie des rentes, je les ai pour la sécurité routière, pour la SAAQ, pour la CSST. Ce que l'on peut constater, c'est que, dans certains secteurs, les bureaux de révision infirment plus, proportionnellement, de décisions de première ligne – les bureaux de révision interne – dépendant des secteurs. Et, ça, c'est un indicateur parmi d'autres qu'il y a peut-être place à amélioration au niveau des décisions de première ligne.

Alors, je pense que vous avez certainement toutes ces informations-là, mais, c'est sûr, c'est un indicateur, ça. Ce n'est pas le seul indicateur, mais si un bureau de révision renverse 40 % des décisions de première ligne, c'est parce qu'il y a un problème au niveau de la première ligne. Si on renverse en moyenne 15 % ou 20 %, bien, il n'y a peut-être pas trop de problèmes.

M. Mulcair: Merci d'avoir partagé ces chiffres avec nous. Puis, effectivement, peut-être encore une fois sur la base de votre expérience, vous pourriez éventuellement aider à l'élaboration de ce genre d'indicateurs de performance pour pouvoir, justement, repérer les troubles avant qu'ils ne s'aggravent, et je sais que ç'a été une de vos préoccupations depuis le début de votre premier mandat. C'est d'avoir ce genre d'approche globale plutôt que curative. Encore une fois, merci d'avoir partagé avec nous le fruit de cette vaste expérience.

Le Président (M. Simard): M. le ministre voudrait intervenir une dernière fois.

M. Bégin: Oui. J'aurais une dernière question à vos poser, M. Jacoby, dans le temps qui nous est imparti. Nous avons entendu plusieurs intervenants nous dire: Les bureaux de révision paritaires, on devrait les enlever. D'autres nous ont dit: Au contraire, on devrait les garder parce qu'on y apprend souvent une preuve qui va nous servir devant le tribunal d'appel. D'autres nous ont dit aussi que ces bureaux de révision paritaires constituaient souvent des délais additionnels dans le processus pour arriver à une décision finale, et qu'on sait déjà que le temps est important, du début à la fin d'un procédé.

Qu'est-ce que vous penseriez d'introduire un concept qui ressemble à celui qu'on connaît en matières criminelle et pénale depuis quelques années, celui du dévoilement de la preuve après la décision administrative? En fait, ouvrir le dossier d'administration complètement pour que l'administré puisse en prendre connaissance après la décision et juger si, oui ou non, au lieu peut-être d'aller devant un bureau de révision paritaire, il ira directement en appel, ou bien, si la preuve constituée dans le dossier est tellement claire que, définitivement, même assisté d'un avocat, il conclurait au fait qu'il n'ira pas en appel. Qu'est-ce que vous penseriez d'un processus semblable?

(16 h 10)

M. Jacoby (Daniel): Je n'ai pas réfléchi, mais, à première vue, je serais assez favorable, parce que l'expérience montre effectivement, comme vous le dites, qu'à l'occasion, je dirais même très souvent, ça dépend. Mais le bureau de révision paritaire sert de lieu de répétition, comme un terrain de jeu, et je pense que ce n'est pas... Il y a ça... Mais je pense que la communication de la preuve, ça serait certainement une chose qui pourrait civiliser les règles du jeu, un peu comme en pénal, en criminel. Je pense que ce serait une bonne chose, à première vue.

M. Bégin: Et on sait qu'on ne peut pas apporter devant la cour ou devant le tribunal une preuve nouvelle ou une preuve qui aurait été normalement au dossier et qu'on n'avait pas dévoilée. Donc, ça oblige l'administration vraiment à être vraiment ouverte dans son approche.

M. Jacoby (Daniel): Ah! absolument. D'ailleurs, dans mon dernier rapport annuel, j'ai tout un chapitre sur la transparence. Je dis clairement qu'il faut considérer le secret comme l'exception. L'administration doit être transparente et, au niveau de la justice administrative, doit l'être encore peut-être plus, à mon point de vue, parce qu'on touche à des droits.

M. Bégin: Merci.

Le Président (M. Simard): M. le Protecteur du citoyen, vous avez fait allusion dans les dernières secondes à votre rapport annuel. Je veux, à ce sujet, vous assurer que l'intérêt de la commission de vous entendre sur votre rapport est toujours aussi vif. Nous allons avec vous tenter au cours des prochaines semaines, si M. le ministre de la Justice nous laisse quelques instants de repos, de vous rencontrer, de vous écouter, de discuter avec vous et de relancer peut-être l'intérêt, à ce moment-ci de l'année, pour votre rapport, qui reste de plus en plus d'actualité.

Je remercie Me Meunier, Me Robardet et vous-même, et, au nom de toute la commission, nous aurons le plaisir de vous revoir, je l'espère, bientôt.

M. Jacoby (Daniel): Merci.

(Consultation)

Le Président (M. Simard): J'appelle les représentants de l'Union des producteurs agricoles à bien vouloir prendre place. Je vais évidemment saluer M. Pellerin, que nous connaissons déjà, qui est son président, qui se fera un plaisir, j'imagine, de nous présenter ceux qui l'accompagnent ou celui qui l'accompagne, selon le cas.

Vous connaissez les règles: un exposé d'environ 20 minutes, à la suite duquel nous échangerons de part et d'autre avec vous.


Union des producteurs agricoles (UPA)

M. Pellerin (Laurent): Alors, je vais présenter la personne qui est avec moi. C'est Michel Lord, qui est conseiller juridique à l'Union des producteurs agricoles.

Quelques mots sur l'UPA, qui nous sommes, organisation qui représente l'ensemble des producteurs agricoles du Québec depuis au-delà de 70 ans, qui a construit des relations syndicales, bien sûr, avec le milieu, mais aussi des relations sociales et économiques avec tout le milieu qui nous entoure. L'UPA confédère aujourd'hui 36 fédérations et groupes spécialisés, dont 16 fédérations régionales qui couvrent le territoire du Québec au complet et 20 groupes spécialisés, des plus grosses productions qu'on connaît au Québec, production laitière, aux plus petites et dernières nées, production en serre, production de lapins. Les producteurs agricoles ensemble, c'est 11 500 000 000 $ que nous avons tous d'investis sur nos fermes, c'est à peu près 4 000 000 000 $ de produits agricoles que nous mettons en marché chaque année.

Peut-être d'abord, avant d'entrer en matière, un salut à la levée de l'article 30.37, ce qu'on revendiquait depuis un certain temps. Vous aviserez les gens concernés que c'est avec grande satisfaction, grand plaisir que nous avons reçu cette levée temporaire jusqu'à temps que le cadastre officiel du Québec soit tout revu. C'est une demande qui datait d'un certain temps et qui a été remplie.

D'abord, en ce qui concerne l'UPA, les tribunaux administratifs qui nous touchent de près, ce sont, en premier lieu, la Régie des marchés agricoles, en deuxième lieu, la Commission de protection du territoire agricole et son tribunal d'appel et, de façon moins fréquente, le BREF, Bureau de révision de l'évaluation foncière, les commissions municipales, la Régie des assurances agricoles, mais de façon beaucoup moins significative. Alors, certains des commentaires qu'on va faire – je vous les pondérerai au fur et à mesure – s'adressent pour chacune de ces instances-là.

De façon générale, l'UPA se dit assez favorable au regroupement et à la réforme annoncés. Le regroupement nous apparaît être une idée fort intéressante, à certaines conditions. Pour nous, il n'y a pas de doute sur la grande importance de la justice administrative. Pour nous, c'est ce qu'on appelle, dans notre langage, la vraie justice: une justice abordable, proche des gens, concrète, directe, courte aussi – par opposition à l'autre justice qui est réputée être plus longue – abordable aussi financièrement.

Nous avons un premier commentaire en ce qui concerne les nominations. Il nous apparaît que, trop souvent, les nominations concernent des personnes qui ne sont pas vraiment spécialisées dans les tribunaux où elles ont à oeuvrer. Donc, une surveillance accrue, ou des recommandations devraient être faites sur les critères de sélection, toujours en prenant pour acquis que ces tribunaux administratifs là, en tout cas ceux qui nous concernent, doivent rester, malgré leur regroupement, des tribunaux spécialisés. Donc, des personnes spécialisées ou connaissantes des secteurs devraient être nommées.

Si on s'adresse particulièrement à la Régie des marchés agricoles, il nous apparaît que ce tribunal-là devrait conserver ses pouvoirs de réglementation, ses pouvoirs d'enquête et d'inspection, de même que ses pouvoirs de décision. On verrait assez mal la séparation de ces différents pouvoirs-là dans différentes instances. Pour la Régie des marchés agricoles, à cause du processus qui est suivi pour amener des décisions de la Régie – processus de préparation, de consultation des instances, des gens autant de la transformation que de la production, des mandats d'assemblées annuelles de groupes de producteurs – il nous faut conserver la procédure actuelle sans appel, sans quoi tout le processus consultatif préparatoire deviendrait tout à fait inutile et sans valeur. Donc, décisions de la Régie des marchés agricoles finales et applicables immédiatement, sans quoi ce ne sera plus de la justice administrative avec les qualités qu'on veut lui conférer, c'est-à-dire rapide et peu coûteuse.

(16 h 20)

Malheureusement trop souvent, encore aujourd'hui, il arrive des causes qui sont portées en appel et qui deviennent des causes très coûteuses, mais elles vont en appel dans le processus légal, normal, ordinaire, et, ça, nous avons peu de contestations à cet égard. C'est un dernier recours qui doit être maintenu pour tout ce qui se passe dans notre société.

En ce qui concerne des commentaires que j'entendais tantôt sur l'appel dans certains autres tribunaux, entre autres à la Commission de protection du territoire agricole, il y a un mécanisme de tribunal d'appel qui existe présentement. Malheureusement, dans certains cas, il se produit ce qu'on craint souvent, c'est-à-dire que le tribunal de deuxième instance devient le véritable champ de bataille, alors que la première instance n'a été trop souvent qu'un champ de pratique, de telle sorte que, maintenant, on voit se développer dans le monde agricole des pseudo-experts qui s'annoncent disponibles à n'importe qui qui veut profiter de leur expertise pour des fins de deuxième instance à la Commission de protection du territoire agricole. On déplore cet état de fait. Ça ne veut pas dire, par contre, qu'il n'y a pas lieu de conserver ce tribunal d'appel. Je pense que, s'il était modulé pour faire en sorte qu'on n'y apporte pas de nouveaux dossiers, de nouveaux éléments ou de nouveaux arguments, c'est quelque chose qu'on pourrait considérer comme valable.

Nous revendiquons aussi, dans ces tribunaux administratifs, la possibilité, pour toutes les personnes qui se présentent, d'être assistées d'une personne de leur choix autre que les avocats traditionnels, pour encore pouvoir conserver les qualités qu'on veut donner à cette justice administrative, c'est-à-dire accessibilité, simplicité. Trop souvent dans les dernières années, on a vu, autant à la Régie des marchés agricoles qu'au Tribunal d'appel de la Commission de protection du territoire agricole, un processus qui ressemble de plus en plus au processus judiciaire normal. Alors, nous déplorons cet état de fait et nous voulons revenir à une simplification de cette justice administrative.

On vous a probablement remis notre mémoire, que j'évite de relire mot à mot parce que vous en avez probablement fait la lecture, mais, essentiellement, ce sont les six, sept commentaires qu'on voulait vous émettre par rapport à notre position, ou nos positions, sur la réforme du droit administratif.

Le Président (M. Simard): Je vous remercie, M. Pellerin. J'apprécie votre clarté et votre brièveté. M. le ministre.

M. Bégin: Merci pour votre mémoire. Vous me soulevez plusieurs belles questions, et je suis content qu'on puisse avoir plus de temps pour échanger. Par exemple, une question sur votre commentaire initial concernant les félicitations à transmettre. Je voudrais savoir spécifiquement à quoi vous référez, de manière à les transmettre à qui de droit.

M. Pellerin (Laurent): Modifications du Code civil, les articles 3036 et 3037 concernant les mesures à prendre pour les ventes de terre ou de lot.

M. Bégin: Vous référez au projet de loi 67?

Une voix: Oui, oui.

M. Pellerin (Laurent): C'est ça.

M. Bégin: Alors, je les mets sur ma tête, c'est moi qui l'ai proposé.

M. Pellerin (Laurent): Félicitations en direct, donc.

M. Bégin: Ha, ha, ha! Je ne les cherchais pas, mais, vraiment, je suis particulièrement...

M. Pellerin (Laurent): C'est exactement ça. J'étais certain que c'était lui.

M. Bégin: Je pensais que c'était en agriculture.

M. Pellerin (Laurent): On ne sait pas trop comment ça se vivait dans les villes, mais je peux vous assurer que, dans nos campagnes, dans nos rangs, c'était un problème très important et qui pouvait occasionner des frais de mesurage de plusieurs dizaines de milliers de dollars.

M. Bégin: O.K. C'est bien ça.

M. Pellerin (Laurent): Donc, je pense que votre décision est tout à fait juste et raisonnable.

M. Bégin: Vous avez, je vous le dis tout de suite, trois questions qui m'intéressent beaucoup. À la page 10 – et je vais les énoncer puis on y reviendra par la suite, si vous me permettez – vous soulevez, à la toute dernière ligne, «la division du territoire et de l'environnement peut-être, une division spécialisée en matière économique à tout le moins»... J'aimerais qu'on revienne là-dessus après. Deuxièmement, vous parlez que la Régie des marchés agricoles conserve trois aspects: régulation – règlement – enquête et décision. Je vais revenir sur cette question-là.

Et, troisièmement, la nomination, et je vais commencer par ça, de personnes pas assez spécialisées. Je comprends que vous trouvez que des personnes qui sont nommées sur des bureaux ou des tribunaux administratifs qui vous concernent, dans le milieu agricole, ne connaissent pas suffisamment ce milieu-là. Est-ce que c'est ça? Bon. Nous avons entendu ce matin des gens qui nous mentionnaient quelque chose qui était un peu à l'inverse de ça. Ils faisaient grief de ce que, dans un tribunal, il y avait deux personnes qui étaient vraiment spécialisées dans le domaine et une tierce personne, qui était plutôt un avocat qui était neutre, et les gens se disaient que ça n'avait pas de sens parce que c'était finalement un échange entre les deux spécialistes qui étaient là, et le spécialiste de l'autre côté, et il n'y avait plus cette distance qu'il fallait avoir pour prendre une décision.

Alors, pourriez-vous m'expliquer, dans votre domaine, c'est quoi exactement, le manque de spécialité que vous reprochez à des membres des différents tribunaux administratifs qui vous concernent?

M. Pellerin (Laurent): Prenons un exemple avec la Commission de protection du territoire agricole. Il nous apparaît que quelqu'un qui a vécu dans le milieu agricole, qui a une certaine connaissance de la topographie de la campagne agricole québécoise, de la Gaspésie par rapport à l'Abitibi, du Lac-Saint-Jean par rapport à Saint-Hyacinthe, peut devenir ce qu'on appelle, dans notre langage, un spécialiste, alors que quelqu'un qui a passé sa vie au centre-ville de Montréal a probablement plus de difficultés à comprendre les raisons qui sont soulevées lorsqu'on parle de protection d'une terre par rapport à une autre. Alors, la spécialisation ne va pas, pour nous, à quelqu'un qui a nécessairement fait...

Le Président (M. Simard): Le député de Mercier, opine, hein, il semble d'accord avec ça.

Une voix: Pas tout à fait.

M. Bégin: Il n'est pas d'accord.

M. Pellerin (Laurent): Il est tout à fait d'accord?

M. Perreault: Non, tout à fait d'accord. Je pense que le dernier territoire agricole protégé à Montréal était Boscoville, et c'est terminé.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Perreault: Je n'ai pas de compétence dans ce secteur, je ne vise pas y aller.

M. Pellerin (Laurent): À Montréal, on a tout le secteur de ville de Laval qui subit des pressions épouvantables du milieu du développement, spéculation...

Une voix: On a juste à parler de Vachon et Saint-Hubert.

M. Pellerin (Laurent): Oui.

M. Bégin: On a un député de Laval ici.

Le Président (M. Simard): Un député libéral, il sait de quoi nous parlons.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Mulcair: On n'est pas au pouvoir, on ne peut pas exercer des pressions.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bégin: Plus, plus.

M. Mulcair: Toutes les pressions viennent de l'autre bord, évidemment, ils sont quatre sur cinq.

M. Bégin: M. Pellerin, peut-être que ma question, vous vous sentirez à l'aise de la laisser à votre conseilleur juridique parce qu'elle est plutôt technique qu'autre chose, mais, quand même. Vous avez dit: Nous voudrions que la Régie des marchés agricoles continue à avoir les trois volets dont j'ai parlé tout à l'heure. Il y a, devant la Cour suprême du Canada, une décision, une cause qui va être éventuellement plaidée et où on aura jugement, qui pose le problème de savoir si un même organisme ou un même tribunal peut être à la fois l'enquêteur et la partie décidante entre des tiers, parce qu'il y aurait, à ce moment-là, conflit d'intérêts entre la personne qui enquête, qui fait une recommandation, et la personne qui est assise sur le banc, éventuellement, et qui décide en fonction de ces enquêtes-là.

Pouvez-vous nous dire de quelle façon ça se vit? Et pourquoi faut-il absolument qu'on ait un même organisme qui aurait cette multifonctionnalité plutôt que d'avoir, je ne sais pas, moi, deux ou trois organismes qui rencontreraient chacune des fonctions? Serait-il possible de l'expliquer? Parce qu'on risque d'avoir cette question-là très rapidement à trancher. Si la Cour suprême décidait, par exemple, qu'on ne peut pas retrouver dans un même organisme à la fois l'enquête, la décision et la réglementation, bien, ce que vous venez de dire, au-delà de toute volonté politique que nous pourrions avoir, nous empêcherait de le faire.

M. Lord (Michel C.): Évidemment, nous avons beaucoup confiance dans la décision à intervenir de la part de la Cour suprême dans les dossiers concernant la Régie des permis d'alcool, évidemment...

M. Bégin: Le bar La Petite Maison.

M. Lord (Michel C.): ...qui devrait être rendue d'ici quelques mois. Nous, on pense que les régies... Les régies, comme vous le savez, ont toujours combiné des pouvoirs de réglementation, d'adjudication et d'arbitrage et, en plus, elles ont des pouvoirs. Nous, on pense qu'il faut absolument que ça fonctionne de même, la réglementation, parce que c'est eux qui connaissent vraiment le secteur en cause. Ils ont l'habitude, ils ont des relations avec les partenaires. Le pouvoir décisionnel, également, c'est lié, et les pouvoirs d'inspection, parce que, s'il n'y a pas de pouvoirs d'inspection, ça ne fonctionnera pas.

M. Bégin: Donc, vous concevez mal que ça puisse être trois fonctions exercées séparément. Mais est-ce que c'est par habitude ou bien par nécessité que c'est comme ça? Parce que, à la régie des alcools, ça n'a pas toujours été tout à fait comme ça.

M. Lord (Michel C.): À la Régie des permis d'alcool...

M. Bégin: C'était un peu ça, mais...

M. Lord (Michel C.): Oui. Je m'excuse.

M. Bégin: Allez-y, allez-y.

(16 h 30)

M. Lord (Michel C.): Évidemment, le pouvoir qu'on retirerait à la Régie des permis d'alcool, ce qui est en cause, c'est un petit pouvoir seulement. Nous, ce qui nous inquiète, à la Régie des marchés agricoles, c'est qu'on ne sait pas quels pouvoirs seraient retirés à la Régie. Par exemple, s'il fallait qu'on lui retire tout son pouvoir d'arbitrage, et c'est peut-être là le pouvoir central de la Régie des marchés agricoles, on fait quoi? Je ne le sais pas. Et peut-on concevoir deux organismes différents, un travaillant à la réglementation et faisant l'inspection et un autre qui aurait à faire l'arbitrage de dossiers sans la connaissance du milieu? Je ne le sais pas.

M. Pellerin (Laurent): Je pense que, pour ajouter peut-être à cette réponse, si on avait, sur une même question problématique, à s'adresser à trois instances ou à trois tables différentes pour régler un problème, je ne suis pas sûr qu'on remplirait le premier objectif. Un des premiers objectifs de la justice administrative, c'est quelque chose de rapide, de souple et d'abordable pour les simples gens. Or, quand on a fait tout un processus, là, de consultation, comme je le disais tantôt, avec des dizaines de milliers de producteurs sur des modifications réglementaires à la Régie des marchés agricoles et qu'il faudrait revenir, parce que ces décisions-là n'ont pas été suivies, à une autre instance pour aller faire inspecter à savoir si la décision s'applique ou ne s'applique pas et, après ça, aller à une autre instance pour faire arbitrer le fait qu'elle s'applique ou ne s'applique pas, on rembarque dans un dédale, là, aussi long, aussi pénible que ce qu'on veut éviter. Je pense que ça va contre l'idée de la spécialisation, le fait de séparer tout ça.

M. Bégin: Oui, je comprends, mais vous comprenez que ma préoccupation n'est pas... Je ne préjuge de rien. Je n'ai pas d'opinion. Je ne veux pas en émettre. Je veux simplement voir comment on pourrait vivre dans une situation différente si jamais les tribunaux supérieurs nous disaient que ce n'est pas possible.

Dernière question, et, là-dessus, je dois vous avouer que le résultat de notre consultation n'a pas été très, très profitable, en ce sens que très peu de commentaires ont été émis, et c'est pour ça que j'étais content de voir votre proposition. C'est une division spécialisée en matière économique. Moi, je pense à la Commission des valeurs mobilières, à la Commission des transports, à l'Inspecteur général des institutions financières, et je me dis que, dans ce domaine, on est peut-être dans un lieu différent de ce qu'on retrouve en matière d'adjudication des affaires sociales ou en matière d'accidents de travail ou des choses semblables. Parce que, souvent, il y a un élément de rapidité et d'efficacité, là, immédiates. On ne peut pas attendre. Le marché international n'attendra pas six mois qu'on prenne une décision. Il faut agir, bon. Mais, par contre, il faut trancher un litige.

De quelle manière voyez-vous cet aspect d'une division économique? Qu'est-ce qui vous a amenés à proposer ça? Vous êtes les seuls, à ma connaissance, je peux me tromper, mais je pense que vous êtes les seuls à voir proposé ça.

M. Lord (Michel C.): Évidemment, notre premier choix serait que les appels sur des questions agricoles relèvent d'une division qu'on dit un peu spécialisée en matière agricole, celle que vous appelez maintenant du territoire et de l'environnement. Déjà, cette section-là va traiter des appels en matière environnementale qui nous concernent largement et des questions concernant la protection du territoire agricole. Or, notre premier choix serait que les questions découlant de la loi sur la mise en marché et de la loi sur les producteurs et d'autres lois aillent à cette division-là. Mais si ce n'est pas le cas, si ce n'est pas possible pour vous, on dit, bien, évidemment, le nom donné à la dernière division, là, qui est la division générale, ça a insulté un peu mes patrons.

M. Bégin: Ha, ha, ha!

M. Lord (Michel C.): Évidemment, l'agriculture, c'est une question importante, les plans conjoints, tout ça, et là on dit: Bon, on confie ça à une division générale qui, elle, est supposée s'occuper de délivrer des permis. Ça, ça a choqué un peu les représentants de l'Union.

M. Bégin: Bien, voilà, si vous soulevez le problème, là, la question d'émission de permis se passait à la Commission des valeurs mobilières, entre autres, et l'Inspecteur général des institutions financières. C'est de la même dynamique que celle que vous venez de me soulever là.

M. Lord (Michel C.): Oui.

M. Bégin: Donc, vous pensez qu'il faudrait, compte tenu de ces caractères-là, peut-être soit mettre ça dans une nouvelle division additionnelle à celles qui sont prévues ou les séparer un peu partout de ce qui est échelonné dans les autres divisions et les regrouper dans une nouvelle?

M. Lord (Michel C.): Non, il est vrai, je pense, que les décisions qui seraient entendues par la division générale, plusieurs, là, seraient d'organismes dont on peut dire qu'ils sont importants: les valeurs mobilières, la Commission des transports, bon, etc. Alors, est-ce qu'il faut tout simplement changer le nom de cette division-là ou...

M. Bégin: En ajouter une nouvelle.

M. Lord (Michel C.): ...en faire une nouvelle? Je ne sais pas. Mais, évidemment, M. Pellerin l'a indiqué tantôt...

M. Pellerin (Laurent): Les permis de transformation qui sont gérés par la Régie des marchés agricoles, c'est sûr que ça s'appelle des permis, mais je ne vois pas que ça soit la même chose qu'un permis donné à un contracteur dans le marché de le construction, là. Un permis de transformation de produits agricoles, il y a la réponse aux normes sanitaires, il y a l'approvisionnement en produits qui est habituellement assez bien conventionné entre les producteurs et les usines de transformation. Alors, si l'organisme n'a pas un lien direct avec l'organisme qui régit la mise en marché des produits agricoles, on risque de se trouver dans des décisions qui seront contradictoires.

Quelque part, là, il faut qu'il y ait quelqu'un qui en étudie l'impact économique. Ce n'est pas juste une délivrance de permis. Il faut étudier l'impact économique de ces choses-là. Ailleurs, il y a besoin...

M. Bégin: C'est un autre domaine d'affaires.

M. Pellerin (Laurent): ...de décisions rapides: retrait d'un produit du marché. On n'a pas le temps d'attendre les instances de Pierre, Jean, Jacques; il faut que ça se décide rapidement.

L'apparition de nouveaux produits sur le marché qui n'étaient pas réglementés hier. Quelqu'un va demander un permis. Mais qui a l'expertise de dire que ce nouveau produit-là répond aux normes? Alors, ça ne peut pas être un tribunal général qui décide de ces parties-là. Et je vous rappelle ce que je vous disais en introduction, les produits agricoles que nous mettons en marché chaque année, c'est 4 000 000 000 $. Alors, il y a sûrement de la place à avoir un bras de tribunal qui se spécialise dans ces questions agricoles là.

M. Bégin: Ha, ha, ha! Je vous comprends.

Le Président (M. Jutras): Est-ce que vous avez terminé, M. le ministre?

M. Bégin: Oui, oui.

Le Président (M. Jutras): Alors, M. le député de Chomedey.

M. Mulcair: Merci beaucoup, M. le Président. Il me fait plaisir justement de souhaiter la bienvenue aux représentants de l'Union des producteurs agricoles. Ma première question concerne une remarque que vous avez faite dans vos propres remarques d'introduction. Vous avez mentionné qu'il existait malheureusement, selon vous, une panoplie de pseudo-experts qui s'offrent, tout ça. C'est une question qui a été abordée à plusieurs reprises ici, la question de savoir qui peut représenter les citoyens devant les diverses instances administratives. Avez-vous une pensée là-dessus? Est-ce que, par exemple, dans votre expérience dans le domaine agricole, il est parfois utile que ça puisse être des personnes autres que des avocats, des gens effectivement qui développent une certaine expertise, qui accompagnent et qui représentent? Est-ce que votre expérience est à cet effet-là?

M. Pellerin (Laurent): Exactement. Dans chacune de nos fédérations régionales à la grandeur du territoire québécois, on a des gens qui se spécialisent dans l'occupation du territoire.

M. Mulcair: Pas nécessairement des avocats, bien entendu.

M. Pellerin (Laurent): Non.

M. Mulcair: Tout sauf? Ha, ha, ha!

M. Pellerin (Laurent): Je pense qu'il n'y a aucun de ces gens-là qui sont des avocats, ils sont plutôt des aménagistes, des gens qui ont une formation en utilisation du territoire.

M. Mulcair: O.K.

M. Pellerin (Laurent): Et qui peuvent être d'un grand support aux personnes qui se présentent devant le tribunal d'appel ou la Commission en première instance, qui sont loin, oui, d'être des avocats.

M. Mulcair: Mais c'est intéressant, parce que votre remarque était assez critique. Vous vous êtes sans doute basé sur l'expérience, l'exemple de personnes qui se vantent d'être des experts et offrent leurs services. Vous savez, quand l'État accorde un monopole de titre ou d'exercice de pratique à un corps professionnel, c'est censé être dans le seul but d'assurer la protection du public. Donc, il y a quand même un exercice de jugement qui doit être posé, j'imagine, dans ces questions-là, parce que, d'un côté, et je vous suis bien et beaucoup de gens sont venus nous dire la même chose, oui, ça peut être des personnes autres que des avocats qui ont cette expertise-là et se présentent. Mais, sur la base de votre mot de caution au début, d'avertissement, est-ce que, nous, on serait avisés de faire attention de ne pas donner ça «at large», de soupeser, par exemple, le caractère, le degré de difficulté des différentes questions qui doivent être décidées?

M. Pellerin (Laurent): Oui, la réponse à votre question est oui, ça pourrait être dosé. Ma première remarque sur l'utilisation de pseudo-experts se faisait surtout en fonction de la répétition de certaines causes en première et en deuxième instances. Il y a des gens qui se sont spécialisés à dire: Si vous perdez une cause en première instance, venez nous voir, on est bien bons pour la deuxième, nous autres.

M. Mulcair: Ha, ha, ha!

M. Pellerin (Laurent): Alors, il y a un marché qui s'est développé pour ça, et on le déplore un peu. Ce n'est pas à ce type d'experts là auquel on se réfère quand on dit que les gens appelés devant les tribunaux administratifs pourraient être accompagnés de personnes pour les assister, personnes de leur choix. Mais, ça, c'est un peu différent comme appel.

Je pense qu'il faut ajouter que ce qu'on veut éviter, c'est que le processus devienne un autre processus complètement de procédures, un processus judiciaire. Et les avocats, habituellement, sont assez bons pour argumenter et provoquer qu'un tribunal administratif n'en soit plus un assez rapidement. On a vu ça.

M. Mulcair: Ça, c'est un autre point que vous avez soulevé, et on est très sensible à cette préoccupation, puis on vous écoutait bien tout à l'heure quand vous l'avez formulée pour la première fois, cette remarque. Est-ce que je dénature votre propos si je résume en disant que vous craignez que la création de ce grand tribunal en matière administrative pour le Québec, plutôt que de rationaliser les dépenses, pourrait même engendrer des coûts supplémentaires pour l'État si on ne fait pas attention à ne pas créer un monstre bureaucratique? Est-ce que c'est vraiment la mise en garde que vous êtes en train de nous donner, de faire attention?

(16 h 40)

M. Pellerin (Laurent): Sûrement qu'il y a une précaution. Pour nous, il faut que ça demeure, même si c'est regroupé ensemble – il y a des économies possibles, j'imagine, si c'est regroupé ensemble...

M. Mulcair: Oui.

M. Pellerin (Laurent): ...au niveau de la documentation, au niveau du secrétariat, de la réception des causes. Je ne sais pas, je ne connais pas tout le processus, mais il y a sûrement des économies possibles, sauf que, si ça devient tellement fourre-tout que toutes les causes sont entendues par un tribunal très général, bien, il faudra reprendre quelque part parce qu'il y aura insatisfaction. Alors, on doublera le processus ou on ira plus souvent devant les grands tribunaux. Alors, il faut que ces instances-là, même regroupées, demeurent un tant soit peu spécialisées, en tout cas, pour le secteur qui nous concerne, qu'on soit capable de s'adresser à des gens qui rendent une décision éclairée en première instance et qu'on n'ait pas à revenir en deuxième instance à tout bout de champ.

M. Mulcair: Justement, c'est le fait d'entendre des gens comme vous, issus de différents milieux, avec votre expérience avec les tribunaux avec lesquels vous faites affaire et vos membres, régulièrement, qui va nous aider tellement dans notre réflexion. Je vous remercie beaucoup pour vos observations et vos réponses non seulement basées sur une vaste expérience, mais empreintes de beaucoup de bon sens. Merci beaucoup.

Le Président (M. Jutras): Avant que vous quittiez, moi, j'aurais peut-être une question. Est-ce que vous avez une question, M. le ministre? Vous nous avez parlé, concernant les décideurs, peut-être d'avoir des gens qui seraient déjà quelque peu spécialisés dans le domaine de l'agriculture, dans le domaine de la production agricole, mais est-ce que vous vous êtes penchés sur la question du mode de nomination de ces gens-là, du terme durant lequel ils agiraient et le renouvellement? Est-ce que vous vous êtes penchés sur ces questions-là?

M. Pellerin (Laurent): On n'est pas allés très, très loin dans notre penchant sur cette question-là parce qu'on sait très bien qu'il y a une espèce de chasse gardée politique pour ces nominations dans plusieurs cas, et c'est assez difficile d'intervenir, mais on apprécierait, à l'occasion, être consultés sur ces nominations, sur un certain nombre de ces nominations, à la limite, là, peut-être pas sur 100 %, mais je pense que, si on avait un mot à dire sur ces nominations-là, on apprécierait beaucoup. On ne refuserait pas un tel privilège.

Le Président (M. Jutras): Ça va. Alors, il n'y a pas d'autres questions.

M. Bégin: Je voudrais remercier les gens de l'UPA. Vraiment, ça a été une contribution remarquée, et je l'apprécie beaucoup, particulièrement l'aspect que vous avez soulevé, que personne d'autre n'avait soulevé, la question des divisions spécialisées en matière économique. Je pense que ça mérite d'être creusé, et si vous avez d'autres réflexions là-dessus, si vous pensez que c'est important, j'apprécierais que vous nous transmettiez d'autres commentaires plus complets à cet égard-là. Je vous remercie infiniment.

Le Président (M. Jutras): Alors, merci M. Pellerin, merci Me Lord. Est-ce que l'Assemblée des travailleurs et travailleuses accidenté-e-s du Québec est ici? Suspension de cinq minutes.

(Suspension de la séance à 16 h 43)

(Reprise à 16 h 49)

Le Président (M. Jutras): On va commencer immédiatement. Nous accueillons les représentants de l'Assemblée des travailleurs et travailleuses accidenté-e-s du Québec. Alors, bienvenue à la commission des institutions, qui procède à des consultations particulières sur la justice administrative. Alors, je vous demanderais, pour les fins de l'enregistrement, de vous identifier, madame, et de présenter la personne qui vous accompagne.

Mme Flibotte (Liane): Je suis Liane Flibotte, et la personne qui m'accompagne s'appelle Roch Lafrance.

(16 h 50)

Le Président (M. Jutras): Alors, on vous demande donc de présenter votre mémoire, au plus 20 minutes, et, par la suite, il y aura des interventions du côté ministériel et, après, des interventions du côté de l'opposition.


Assemblée des travailleurs et travailleuses accidenté-e-s du Québec (ATTAQ)

Mme Flibotte (Liane): Alors, on tente de faire ça le plus rapidement possible. M. le Président, l'Assemblée des travailleurs et travailleuses accidenté-e-s du Québec existe depuis 1981 et regroupe 11 associations de victimes de lésions professionnelles. Ces personnes sont évidemment hautement intéressées par la réforme de la justice administrative. En effet, elles sont aux prises avec la CSST, et on sait que la CSST est un des organismes administratifs du Québec qui font souvent l'objet de critiques sévères. On ne se surprendra donc pas de notre participation à la présente commission.

On estime par ailleurs qu'il est fort étrange que le groupe de travail qui a produit le rapport Garant ne se soit pas penché sur le cas spécifique de la CSST. Nous aurions souhaité connaître la position de ce groupe sur ce cas spécifique qui nous semble présenter des caractéristiques particulières qu'on va avoir l'occasion d'aborder dans notre mémoire.

Les victimes d'accidents et de maladies du travail attendent depuis longtemps une réforme de la justice administrative. On doit cependant souligner que la démarche qui a été entreprise nous apparaît présenter un caractère peu accessible. Évidemment, le rapport Garant présente un intérêt certain, mais je pense qu'il faut reconnaître que ce n'est peut-être pas le document le plus facilement accessible aux citoyens et aux citoyennes, qui sont pourtant les premières personnes intéressées par une éventuelle réforme. On accepte cependant de bon gré l'invitation que vous nous avez lancée.

Alors, d'entrée de jeu, on désire souligner que, même si on est d'accord avec la préoccupation d'harmonisation qui se dégage du rapport Garant, on estime qu'il faut reconnaître que les différentes lois qu'elle concerne et les différents organismes qu'elle concerne également ne sont pas identiques. Dans ce sens, il nous apparaît primordial de faire des distinctions qui s'imposent dans le but d'éviter qu'un souci d'harmonisation se transforme en une pratique d'uniformisation qui pourrait entraîner une dénaturation de certaines tranches du droit administratif.

Quand on pense au droit administratif, on pense spontanément à un type de droit qui régit les rapports entre les administrés et les organismes d'État chargés de l'application des lois, donc à un type de droit qui règle des rapports bilatéraux où il y a, d'un côté, l'État et, de l'autre côté, le citoyen ou la citoyenne. Le règlement de relation bilatérale est habituellement le mandat du droit administratif, mais ce n'est pas toujours le cas. La CSST est un bon exemple d'un de ces cas particuliers, et il nous semble important ici d'exposer sommairement son fonctionnement et d'aborder certaines caractéristiques qui lui sont spécifiques, parce que cet organisme-là se distingue à plusieurs égards de l'ensemble des organismes administratifs québécois.

Contrairement à ce qu'on retrouve dans l'ensemble des organismes administratifs québécois, le régime d'indemnisation des victimes d'accidents et de maladies du travail ne compte pas deux, mais trois parties. Alors, la justice administrative dans ce secteur-là règle les relations entre l'administration et deux administrés: l'employeur et la victime. Alors, toutes les combinaisons de relations sont possibles dans ce triangle des Bermudes où disparaissent nos droits. On va donc régler des litiges qui opposent l'administration à un des administrés, des litiges entre les deux administrés ou des litiges qui concernent les trois parties intéressées.

Cette situation-là s'explique en partie par l'origine du régime d'indemnisation, évidemment. Or, contrairement à la presque totalité des autres lois qu'on peut retrouver au Québec et qu'on qualifie de lois sociales, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles origine, elle, de la responsabilité civile. Alors, on sait que, jusqu'à l'avènement du régime collectif d'indemnisation, les victimes de lésions professionnelles devaient poursuivre devant les tribunaux de droit commun leur employeur, en responsabilité civile, pour réclamer des dommages et intérêts.

En 1931, une entente est intervenue dans ce secteur-là. Les employeurs ont accepté d'être reconnus responsables du risque professionnel imputable aux conditions de travail et les travailleuses et travailleurs ont abandonné leur droit de les poursuivre. À ce moment-là, on a créé ce qui s'appelait à l'époque la Commission des accidents de travail, qui était l'organisme responsable du premier régime collectif d'indemnisation.

On a confié à la CAT ce qu'on pourrait appeler un double mandat. Alors, le premier volet de ce mandat-là consistait en la formation d'une mutuelle d'assurance patronale. À cet effet-là, la CAT devait cotiser, faire la cueillette et gérer les fonds des employeurs qui allaient créer le fonds d'indemnisation. Le deuxième volet de son mandat était, bien sûr, celui qui voulait que la CAT indemnise les travailleurs et les travailleuses victimes de lésions professionnelles, selon les termes de la loi. Dans ce sens-là, la CAT a un peu remplacé les tribunaux de droit commun à cette époque-là.

Quand on a créé la CSST, en 1979, on a tout simplement transféré ce double mandat au nouvel organisme créé. Alors, en tant qu'assureur collectif des employeurs, on ne saurait pas se surprendre du fait que la CSST ne protège pas toujours les droits des travailleuses et des travailleurs et qu'elle décide de leurs droits en fonction des intérêts de la caisse. On peut néanmoins, et on pense que c'est capital, s'en indigner.

Un autre élément caractéristique de la CSST, c'est que les cotisants à son fonds d'indemnisation sont une partie intéressée aux litiges, ce qui n'est pas le cas dans d'autres régimes d'indemnisation, celui de la SAAQ par exemple. Les employeurs ont toujours tenté de justifier cette situation-là par le fait qu'ils contribuent au fonds d'indemnisation. On peut se demander si on aurait l'idée de reconnaître à tous les citoyens et à toutes les citoyennes du Québec le droit d'intervenir devant la SAAQ, qui décide du dossier d'une victime d'accident de la route, au nom qu'on cotise tous et toutes à ce régime-là. Je pense qu'on reconnaîtrait assez facilement que ce serait assez farfelu, mais les employeurs jouissent, eux, de ce droit-là en matière d'indemnisation de victimes de lésions professionnelles.

On ne saurait aborder convenablement la question de la CSST devant vous sans traiter du processus décisionnel sur les questions médicales qui a cours à la CSST et qui est unique en son genre. Ce processus est incontournable, à notre avis, parce qu'il constitue probablement la source la plus importante de judiciarisation au sein du régime d'indemnisation des victimes d'accidents et de maladies du travail. L'entrée en vigueur de la LATMP, en 1985, a instauré une nouvelle procédure d'évaluation médicale. La loi a identifié, à ce moment-là, les questions qui devaient être considérées de nature strictement médicale. Alors, il s'agit du diagnostic, de la date de consolidation, des soins et traitements, de l'atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.

Alors, en principe, la CSST, sur ces questions, est liée à l'opinion du médecin traitant et doit rendre une décision qui lui est conforme, sauf, et c'est là que le bât blesse, s'il y a une contestation de cette opinion par l'employeur ou par la CSST elle-même. Alors, on voit que la loi accorde des pouvoirs de contestation médicale étendus à la CSST et aux employeurs, et, sans entrer dans les détails et les subtilités de cette mécanique de contestation médicale, on va essayer d'en définir les paramètres les plus importants.

Alors, pour contester toute question médicale à toutes les étapes d'un dossier, la CSST et l'employeur peuvent exiger qu'une victime se soumette à l'examen du médecin de leur choix, duquel un rapport sera obtenu. Une fois cette démarche-là complétée, le dossier est acheminé au Bureau d'évaluation médicale afin qu'un des membres du BEM, comme on l'appelle communément, rende un avis sur ce dossier spécifique. Cet avis est acheminé à la CSST, et la CSST devient alors liée par cet avis et déliée de l'opinion du médecin traitant et doit rendre une décision qui est conforme à l'avis du membre du BEM. Alors, on peut constater dans ce cas-ci que, bien que la CSST rende la décision sur les questions médicales, elle est dans les faits, cette décision-là, prise par le membre du Bureau d'évaluation médicale. Ces pouvoirs de contestation médicale sont donc, à notre avis, une source importante de judiciarisation en plus d'être à l'origine de plusieurs drames humains. On n'a qu'à penser aux femmes qui ont perdu leur enfant parce que la CSST a refusé d'appliquer, en matière de retrait préventif, les recommandations de leur médecin, ou aux nombreuses victimes d'accidents et de maladies du travail qui vivent des ruptures familiales, qui sombrent dans la dépression sévère, pour réaliser que ce dernier processus-là ne peut plus durer et qu'il doit être revu en profondeur.

Quand on examine le cas de la CSST, il faut se demander un peu aussi comment cette Commission-là prend ses décisions. Alors, il faut savoir que la CSST, dans le cas d'une victime d'accident et de maladie du travail, n'aura pas qu'une seule décision à rendre. Alors, comme il s'agit de dossiers complexes, qui présentent souvent de nombreux rebondissements et qui peuvent s'échelonner sur plusieurs années, dans les cas de lésions très sévères, l'administration va avoir à statuer à plusieurs occasions sur différents aspects du dossier. On peut penser à l'admissibilité de la réclamation, aux questions médicales, aux questions de réadaptation, au droit de retour au travail, bon, etc. La CSST doit rendre ces décisions-là suivant l'équité, d'après le mérite et la justice du cas. L'obligation d'agir équitablement est donc déjà prévue pour l'organisme qui nous occupe.

Cependant, on est obligé de constater que cette seule obligation-là ne suffit pas pour régler tous les problèmes. On doit cependant dire que les problèmes qu'on rencontre avec les décisions de première instance n'originent pas principalement, bien que ce soit secondairement le cas à l'occasion, de la mauvaise volonté personnelle ou de l'incompétence des agents ou des agentes de cette Commission-là. En effet, la discrétion de ces fonctionnaires est très limitée; les directives internes de la Commission, certaines dispositions de la loi et l'utilisation que fait la CSST de son bureau médical anéantissent pratiquement toute autonomie décisionnelle chez les agents et les agentes. Il faut aussi savoir que la CSST peut reconsidérer sa propre décision dans les 90 jours pour corriger toute erreur. Il faut cependant ici souligner que la reconsidération de la décision n'est pas faite par la personne qui a rendu la décision initiale mais bien par une personne différente.

Suite aux décisions de première instance, qu'elles soient vraiment de première instance ou reconsidérées, presque toutes les décisions rendues par la CSST sont contestables devant le Bureau de révision paritaire. Les décisions du Bureau de révision paritaire sont rendues par un banc de trois personnes où on trouve un fonctionnaire de la CSST, un représentant du monde syndical et un représentant du monde patronal. Ces trois personnes-là vont devoir rendre une décision ensemble, que ce soit de façon unanime ou majoritaire, mais cette décision-là va être rendue par les trois membres, et ces personnes-là peuvent aussi être assistées d'un assesseur dans les cas où c'est jugé utile. Il faut cependant noter que l'assesseur, ici, n'est pas partie à la décision du BRP.

(17 heures)

On sait que cette instance-là n'est pas à l'abri de toute critique – l'ATTAQ l'a d'ailleurs vertement critiquée à de nombreuses occasions – mais on ne peut pas nier quand même que ce tribunal-là présente une certaine utilité. Quand on sait que le Bureau de révision paritaire renverse 37 % des décisions devant lui, je pense qu'on peut dire que c'est quand même un tribunal qui présente un certain intérêt. Il faut aussi souligner que ce tribunal-là est peut-être une instance où la procédure est un peu plus souple, ce qui n'est pas sans intérêt quand on sait que presque 50 % des victimes de lésions professionnelles se présentent devant le tribunal sans être représentées.

Une fois que les décisions du Bureau de révision paritaire sont rendues, le principe veut que toutes les décisions rendues par le BRP puissent être portées en appel devant la CALP, la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles, par les parties ou par la CSST elle-même; il y a quelques exceptions à ça. La CALP, elle, a juridiction pour entendre des litiges qui ont pour objet des questions de fait, des questions de droit ou des questions mixtes de fait ou de droit, et, en plus, elle est un tribunal parfaitement indépendant de la Commission de la santé et de la sécurité du travail. Là aussi, la CALP rend des décisions qui sont rendues par un commissaire qui siège seul, bien qu'il puisse être assisté dans ses fonctions par un assesseur, mais, là aussi, l'assesseur ne sera pas partie à la décision.

En ce qui a trait à la conciliation, c'est quelque chose qui est présent à peu près à toutes les étapes d'un dossier de victime de lésions professionnelles où il peut y avoir un litige à régler. Bon, évidemment, ce type de méthode de résolution de conflit peut avoir une certaine utilité, mais il présente aussi plusieurs dangers. Les personnes qui oeuvrent dans ces mécanismes de conciliation, tant à la CSST qu'au BRP, ne sont régies par aucun code de déontologie ni aucune règle de pratique. On a donc vu régulièrement des conciliateurs et des conciliatrices exercer des pressions indues pour obtenir un désistement plutôt que pour jouer un véritable rôle d'intermédiaire entre les parties. Finalement, les projets spéciaux de conciliation qui ont été mis en branle par la CALP sont davantage menés par la CSST que par le tribunal.

Et, finalement, pour faire un tour rapide de comment fonctionne la CSST, mentionnons que les victimes d'accidents et de maladies du travail ont le droit d'être représentées par les personnes de leur choix devant les différentes instances, ce qui a donc permis aux organisations syndicales ou aux organisations comme celles qu'on regroupe de représenter les travailleurs et les travailleuses devant la CSST et les différentes instances.

M. Lafrance (Roch): Quant à la réforme de la justice administrative, c'est-à-dire qu'on a pris connaissance du rapport Garant et on a effectivement certaines recommandations à faire à la commission, ici. On va traiter de nos recommandations de façon distincte, dans le sens qu'on va traiter du rapport Garant, qui porte sur la justice administrative en général et, à la fin, on va aussi amener des recommandations plus spécifiques concernant l'indemnisation des accidentés du travail.

En matière de droit administratif général. Un des objectifs qui ressort clairement du rapport Garant est l'harmonisation des divers recours en matière de droit administratif. Nous souscrivons pleinement à cet objectif. Il faut effectivement faciliter l'accès des citoyennes et citoyens aux différents recours. Il est cependant nécessaire que cette harmonisation se fasse de façon respectueuse des principes en droit administratif.

Il est important, cependant, de ne pas confondre harmonisation et uniformisation. Une des caractéristiques de la justice administrative est de respecter la spécificité de chacun des domaines d'intervention de l'État avec ses citoyennes et citoyens, domaines qui sont d'une extrême diversité. Il est donc important de viser une certaine harmonisation en respectant les particularités des différents régimes.

Nous estimons aussi qu'il est souhaitable de tenter d'harmoniser les procédures au niveau des recours dans la mesure du possible. Chaque tribunal a actuellement ses exigences distinctes qui ne se justifient pas toujours. Il pourrait, par exemple, être plus simple et plus efficace d'avoir un seul formulaire de déclaration d'appel pour l'ensemble des matières administratives au Québec, avec un greffe par région. Ce sont des exemples.

La même chose peut être dite au niveau des délais d'appel. Dans la mesure du possible, ce délai devrait toujours être le même. Il devrait, de plus, être suffisamment long pour que les citoyennes et les citoyens soient en mesure de consulter des personnes compétentes pouvant les aider à prendre des décisions éclairées. À cet effet, nous évaluons qu'un délai de trois mois serait adéquat.

Finalement, cette harmonisation-là devrait être accompagnée d'un effort d'assouplissement des procédures en matière de hors délai, par exemple. Sur cette question, on voit de plus en plus des décisions des tribunaux administratifs qui sont plus restrictives que celles des tribunaux qui appliquent des décisions en droit civil, et, à notre avis, cette situation-là doit changer. On sait que plusieurs citoyennes et citoyens du Québec sont démunis face à la justice, qu'on pense aux personnes analphabètes, aux personnes qui s'expriment difficilement dans notre langue commune. Il faut donc tenter de rendre la justice plus souple afin qu'elle puisse répondre davantage à leurs besoins.

Concernant l'administration. Le rapport Garant nous paraît basé sur un postulat que nous ne pouvons partager, à savoir que l'administration est fondamentalement juste et neutre. Nous croyons, au contraire, que l'administration a ses intérêts propres et, par conséquent, qu'elle n'est pas neutre lorsqu'elle rend ses décisions. Nous sommes confrontés principalement à des problèmes d'intérêts des organismes et non à des problèmes de volonté et de compétence des agents décideurs. C'est à cause des intérêts propres de l'administration qu'il a fallu se donner des institutions telles le Protecteur du citoyen et les paliers d'appel en droit administratif.

De plus, il émane du rapport Garant une certaine volonté de libérer l'administration de ses administrés, et ce, tant à l'étape de la décision initiale qu'à celle de la révision. Et nous estimons qu'une réforme de la justice administrative doit absolument éviter de s'engager dans une telle voie. Il faut, au contraire, que les citoyennes et citoyens aient un plus grand accès à l'administration, qui doit être tenue d'écouter leurs arguments, même si ce n'est pas d'une façon formelle.

Au niveau de la décision initiale, on ne perdra pas de temps à la qualifier. Le rapport Garant a passé beaucoup de pages, une bonne partie de son document porte sur cette question-là, mais, nous, on appelle ça la décision initiale. Nous sommes essentiellement d'accord avec la recommandation voulant que l'administration, lorsqu'elle rend une décision en première instance, soit soumise à l'obligation d'agir équitablement. Il faut toutefois prévoir expressément que l'administré ait un accès absolu au dossier complet que l'administration possède à son sujet, et ce, en tout temps. L'administré doit pouvoir connaître les sources d'information que l'administration possède à son sujet afin d'être en mesure de les réfuter si nécessaire.

En matière de révision. Il nous semble inacceptable que l'on prévoie que la révision interne puisse être faite par la même personne qui a rendu la décision initiale. En effet, si on veut pouvoir atteindre, à tout le moins, une apparence de justice, il nous semble à propos que la décision soit révisée par une personne différente, compétente, expérimentée et connaissant la jurisprudence des tribunaux d'appel.

L'élément central du rapport Garant est sans doute la création d'un tribunal administratif général d'appel qui pourrait éventuellement regrouper les instances juridictionnelles d'appel de l'ordre administratif. Nous sommes d'accord avec la création d'un tel tribunal et nous n'avons rien contre, non plus, le projet de regrouper les instances d'appel au sein de la Commission des affaires sociales. Ce tribunal possède une expertise dans plusieurs des champs du droit administratif. Nous sommes aussi d'accord avec la recommandation de créer des divisions au sein de ce tribunal. Quant à la création d'une division des lésions professionnelles qui exercerait les attributions de la CALP, nous en traiterons au chapitre suivant. On a une partie qui traite spécifiquement de cette question-là.

(17 h 10)

Nous croyons que le Tribunal administratif du Québec, si c'est son nom, doit procéder de novo. Il doit entendre des appels invoquant des questions de fait ou de droit ou encore des questions mixtes de fait et de droit. Le rapport Garant laisse sous-entendre qu'il n'y a actuellement pas de loi qui laisse la possibilité d'en appeler d'une décision en invoquant seulement des questions de fait. Soulignons que la Commission des affaires sociales et la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles ont cette juridiction pour entendre les appels sur des questions de fait. Accepter la recommandation 21 du rapport Garant serait, pour les citoyennes et les citoyens et, en particulier, pour les victimes d'accidents et de maladies du travail, un recul important. En effet, une grande partie des litiges qui nous concernent portent exclusivement sur des questions de fait. Pensons, par exemple, à la survenance d'un événement imprévu et soudain, le risque particulier d'un travail, l'application d'une des présomptions de la loi.

De plus, le rapport Garant n'est pas limpide quant aux relations entre la révision et l'appel. La réforme, selon nous, doit prévoir expressément que les citoyennes et citoyens puissent avoir recours à la révision et à l'appel, successivement. En effet, on doit garantir aux citoyens et citoyennes que la décision administrative contestée pourra être examinée par une instance externe à l'administration qui l'a rendue.

En ce qui a trait à la nomination des commissaires, la recommandation 24 du rapport Garant nous inquiète au plus haut point. Elle prévoit que tous les tribunaux administratifs actuels ainsi que leurs membres seront intégrés au nouveau tribunal. Nous n'avons aucune objection à ce que les membres des tribunaux d'appel exerçant des fonctions juridictionnelles soient nommés au Tribunal administratif du Québec. En effet, nous sommes en mesure de présumer de la compétence de ces personnes puisqu'elles ont déjà été soumises à un processus de sélection qui devrait nous garantir leur compétence. Toutefois, cela n'est pas le cas de membres de plusieurs autres instances, telles celles de la révision, qui sont présidées par des fonctionnaires de l'administration. En ce sens, nous jugeons qu'il ne devrait pas y avoir de nomination automatique de ces personnes-là si on tente de fusionner un quelconque bureau de révision au Tribunal administratif du Québec. Bien que nous reconnaissions que certaines personnes – certaines d'entre elles – puissent éventuellement devenir commissaires, nous jugeons qu'elles devraient être soumises, individuellement, à un processus de sélection défini et personnel.

Quant à la mobilité des commissaires. La création de divisions au sein du Tribunal administratif du Québec vise à sauvegarder une des caractéristiques du droit administratif, soit celle de la spécialisation. Adopter le principe de la mobilité des commissaires irait, selon nous, à l'encontre de cette caractéristique que nous jugeons comme intouchable. Nous demandons donc que chaque commissaire soit assigné à une division et qu'il n'y ait pas de mobilité interdivision. Il est hors de question, pour nous, que le commissaire de ce nouveau tribunal puisse siéger dans plus d'une division à la fois, et nous ne voulons pas de commissaire généraliste ou semi-spécialiste. Nous sommes en mesure d'admettre, à titre exceptionnel et non pas à titre occasionnel, que des commissaires soient affectés à une autre division que la leur. Cela pourrait être pertinent dans le cas où un rôle est libéré ou dans le cas où un autre rôle est complètement engorgé. Il faudrait, cependant, prévoir des modalités bien précises visant ces situations, disons-le encore, exceptionnelles. Il serait nécessaire, entre autres, qu'on s'assure que les commissaires possèdent la compétence et l'expertise spécifiques au domaine visé et du fait que leur assignation soit à temps plein et pour une période déterminée.

Au niveau des assesseurs. Nous pensons que le Tribunal administratif du Québec doit prévoir la présence possible d'assesseurs, mais nous nous opposons, cependant, à ce que ces assesseurs soient partie à la décision. En effet, qu'ils jouent un rôle de conseil auprès des décideurs peut être utile tout en étant susceptible d'augmenter la qualité de la justice rendue. Cependant, le fait que les assesseurs soient partie à la décision ne fait qu'entraîner des délais de délibération plus longs en cas de désaccord, des problèmes organisationnels d'agencement d'agendas, de rédaction, d'amendement de décisions, etc.

Nous pensons aussi que cela pourrait nuire à la qualité de la justice rendue par le Tribunal. Par exemple, en matière de lésions professionnelles, une des notions juridiques fondamentales comme celle de la probabilité – la question des probabilités – a une définition fort différente en médecine ou en science. Un scientifique, un médecin, par exemple, doit déterminer la relation entre une lésion et le travail. Cette personne-là sera portée à exiger un degré de probabilité assimilable à la notion de certitude – chiffrons ça à 90 % des chances – alors que le ou la juriste exigera une probabilité juridique de 50 % plus un. Une telle différence, bien qu'elle soit légitime dans les domaines respectifs des experts, n'a pas sa place dans le cadre d'un tribunal qui a à juger selon des règles de droit.

Au niveau de la révision pour cause. Il nous semble que ce qui est visé par le Groupe de travail, le rapport Garant, par le biais de la révision pour cause est une certaine uniformisation de la jurisprudence. Et on retrouve ça en page 135 du rapport. Nous ne pensons pas que ce soit là le but de ce recours, qu'il ne faudrait pas dénaturer. De plus, le rapport Garant ouvre la porte à ce que le Tribunal puisse réviser pour cause ses décisions de sa propre initiative. Pour nous, c'est inadmissible. Les parties sont celles qui auront à subir les conséquences des décisions qui seront rendues par le Tribunal, et il est impératif que ce soit à elles que revienne le soin d'en demander la révision pour cause.

Le rapport recommande que les décisions du Tribunal administratif du Québec soient appelables devant la Cour d'appel du Québec sur des questions de droit et sur permission de cette Cour. Nous nous opposons vigoureusement à cette proposition-là. On doit réaliser que, si la Cour d'appel du Québec se voyait attribuer une telle compétence, on anéantirait, à toutes fins utiles, tous les principes qui sont à l'origine du droit administratif et qui ont guidé son développement. Comment peut-on justifier de donner à la Cour d'appel du Québec, un tribunal non spécialisé, le mandat de lire le droit en matière administrative? Il est renversant de lire une telle recommandation alors que les tribunaux supérieurs, dont la Cour suprême du Canada, ont indiqué à d'innombrables reprises que les tribunaux administratifs spécialisés étaient les mieux placés pour dire le droit dans les matières qui sont de leur compétence.

Qui aura les moyens de recourir à cette Cour, qui est la plus inaccessible du Québec? Ce ne sera pas les victimes d'accidents et de maladies du travail ni les citoyennes et citoyens ordinaires, mais plutôt les employeurs, les mieux nantis, ceux qui disposent de ressources leur permettant d'espérer pouvoir gruger un peu plus de nos droits. Les tribunaux spécialisés sont, à notre avis, les mieux placés pour décider de nos droits. Et les quelques erreurs manifestement déraisonnables qui pourraient éventuellement être commises par ces tribunaux peuvent, comme c'est le cas actuellement, être corrigées par le biais de l'évocation. Cela nous semble amplement suffisant, en plus d'être plus commode, moins coûteux, plus accessible, moins procédurier et de respecter les fondements du droit administratif.

Finalement, le rapport Garant nous semble remettre en question certaines compétences du Protecteur du citoyen et son rôle en matière de justice administrative. Nous ne pouvons souscrire à cette approche – et on espère qu'on se trompe – et, selon nous, si le Protecteur du citoyen doit voir une modification de ses pouvoirs, il devrait connaître une étendue de ceux-ci plutôt que leur rétrécissement.

Mme Flibotte (Liane): On va prendre encore quelques minutes, très rapidement, juste pour des points spécifiques sur la CSST comme telle, qu'on pourra discuter plus à fond au moment de la période de questions.

Alors, quand on parle de la réforme en matière d'indemnisation des accidents et de maladies du travail, on évalue qu'il est impératif que la réforme envisagée par le législateur québécois maintienne deux paliers d'appel compétents pour statuer sur les décisions rendues par la CSST. Tant que la Commission sera juge et partie et qu'elle disposera des pouvoirs de contestation qu'elle a actuellement, tant que les employeurs seront une partie intéressée au litige et qu'ils bénéficieront des pouvoirs qu'ils ont actuellement, tant que la force des parties en présence sera aussi manifestement inégale, tant que les travailleurs et travailleuses auront à livrer des batailles où le deux contre un est la règle et tant que la Commission en matière d'indemnisation interviendra exclusivement à la faveur des employeurs, on considère qu'on n'aura pas trop de deux paliers d'appel pour faire reconnaître et respecter nos droits. Le déséquilibre structurel et systémique qui distingue le régime d'indemnisation des victimes d'accidents et de maladies du travail est à notre avis suffisant pour justifier le statu quo dans ce secteur-là.

(17 h 20)

Au niveau du paritarisme. Depuis le début de l'application de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, l'ATTAQ a toujours été opposée au paritarisme. Alors, on était bien heureux de voir que le rapport Garant était en accord avec nous sur cette question-là. On souhaite que la composition paritaire des instances d'appel soit purement et simplement abandonnée. Après 10 ans d'expérience avec ce paritarisme-là, on est en mesure d'affirmer que le paritarisme ne contribue pas du tout à la qualité de la justice qui est rendue et, de plus, il crée des problèmes organisationnels et, évidemment, des coûts dont on peut douter de l'efficience et de l'efficacité. Alors, ce dont les citoyennes et les citoyens ont besoin, c'est des tribunaux compétents, indépendants, impartiaux et efficaces. Et, dans ce sens-là, le paritarisme ne nous semble pas encourager ni l'une ni l'autre de ces caractéristiques qu'on souhaite voir. On souhaite que les victimes d'accidents et de maladies du travail puissent continuer à être représentées par les personnes de leur choix et on ne souhaite pas l'instauration de la représentation obligatoire par avocat ou avocate devant le tribunal.

En ce qui a trait à la création de la division des lésions professionnelles, on est tout à fait d'accord avec la création de cette division-là. Cependant, on croit essentiel que le droit en matière d'accidents et de maladies du travail conserve ses caractéristiques propres. Alors, on a démontré longuement que ce régime-là n'était peut-être pas assimilable à l'ensemble du droit administratif en général et, à cause de cela, on pense que le maintien de deux paliers d'appel, comme on le disait, est essentiel. Alors, si le législateur juge qu'il est possible de maintenir les deux paliers d'appel en créant cette division-là, on n'a aucune objection et on se rendra devant cette division-là avec plaisir. Cependant, si le législateur évalue que le maintien de deux paliers d'appel rend non souhaitable la création de la division des lésions professionnelles, on est tout aussi disposé, dans ce cas-là, à continuer de se rendre devant la CALP.

Le Président (M. Jutras): Alors, on va procéder...

M. Bégin: Non. Il reste une petite chose, d'après ce que j'ai compris.

M. Lafrance (Roch): Une petite, une dernière intervention. Même si on se retrouve en matière de justice administrative et qu'on parle de droit, à notre avis, la question la plus importante, pour nous, pour régler les problèmes au niveau de la judiciarisation du régime qui touche les victimes d'accidents et de maladies du travail, c'est la question du processus d'évaluation médicale. Et on pense qu'il faut réviser entièrement ce processus-là. On comprendra donc facilement que le fait de changer le nom des tribunaux et de les regrouper dans un seul tribunal ne saura régler, à notre avis, les problèmes que vivent actuellement les travailleurs et les travailleuses en matière d'accidents de travail. Il faudrait donc, à notre avis, que les législateurs se décident, une fois pour toutes, à changer de fond en comble le processus d'évaluation médicale.

Et là je vais y aller très rapidement. On a quatre choses à demander là-dessus. La première, c'est que, à notre avis, il faut absolument que, dans la loi et dans les faits, on respecte le rapport et l'opinion du médecin traitant. Pour nous, c'est essentiel. Deuxièmement, il faut retirer les pouvoirs de contestation des employeurs en matière médicale. On ne parle pas au niveau de la décision de première instance, mais en matière médicale, on ne voit aucune justification à ce que les employeurs aient un droit de contestation quelconque. Troisièmement, on croit que le retrait des pouvoirs de la CSST en matière médicale est nécessaire. Et, quatrièmement, on juge important que le Bureau d'évaluation médicale soit aboli. Et, puisqu'il n'y aurait plus de contestation médicale des employeurs et de la CSST, on pourrait remplacer ça par un processus d'évaluation médicale plus respectueux des droits des victimes d'accidents et de maladies du travail. Si vous voulez poser des questions là-dessus, on aura des solutions à vous proposer.

Le Président (M. Jutras): Alors, je vous remercie, Mme Flibotte et M. Lafrance. Est-ce que, du côté ministériel, M. le ministre, vous avez des questions à poser ou une intervention à faire?

M. Bégin: Oui. Alors, je voudrais d'abord vous remercier pour la qualité de votre travail et de votre présence ici aujourd'hui.

Il y a une question que vous avez soulevée qui m'apparaît particulièrement importante depuis deux jours, et vous avez frappé en plein dans le mille, à la page 15 de votre mémoire. Vous avez parlé de la qualité de la décision initiale en référant au rapport, mais vous avez surtout parlé que – et je lis les deux premières lignes – «il faut prévoir expressément que l'administré ait un accès absolu au dossier complet que l'administration possède à son sujet au moment de rendre sa décision et lors de la révision ou de l'appel».

J'ai posé à quelques intervenants qui vous ont précédé... Je ne sais pas si vous êtes familier avec le droit pénal et criminel, mais il est prévu que la couronne doit dévoiler, faire une divulgation de sa preuve. Et je posais la question suivante, et je vous la pose par la même occasion, en partant de cet énoncé que vous faites: Est-ce qu'il n'y aurait pas lieu, plutôt que d'avoir une instance qui est le Bureau de révision paritaire, par exemple, que, dans le x temps qui suit la décision qui ne fait pas notre affaire, il y ait divulgation de la preuve, du dossier? En fait, c'est ce que vous dites, qu'il y ait une divulgation complète du dossier dont l'administration dispose et que, éventuellement, je comprends que la personne, l'administré puisse dire: Bien, compte tenu de... je n'irai pas plus loin parce qu'il est clair que je ne pourrai pas gagner ou, inversement, dire: Avoir su que tel élément était au dossier et que je pourrai probablement, devant le tribunal, non pas le Bureau de révision paritaire, mais l'instance d'appel actuelle, dire, bien, voilà, j'ai une chance de gagner.

Est-ce que vous ne croyez pas, d'une part, que, un, ça permettrait une connaissance complète du dossier, comme vous l'énoncez; deux, que ça pourrait permettre d'éviter la présence du Bureau de révision paritaire, que plusieurs ont dénoncée, que d'autres ont défendue, mais plusieurs l'ont dénoncée? Là, je ne sais plus comment faire le partage entre ceux qui étaient d'un côté et ceux de l'autre, mais, quand même, ça se divise pas mal en deux. Alors, qu'est-ce que vous pensez de cette hypothèse qui rejoint, en fait, ce que vous avez ici, là?

M. Lafrance (Roch): Je veux vous souligner que ça existe déjà au niveau de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles. Il y a l'article 417 de la loi qui prévoit qu'il faut annoncer sa preuve trois mois après la déclaration d'appel. Ce que je peux vous dire, c'est que ça ne décourage pas ou ça n'encourage pas les parties à poursuivre ou à cesser. Habituellement, lorsqu'il y a un appel d'interjeté, ce n'est pas l'avis de 417 ou l'annonce de la preuve qui va faire changer quoi que ce soit. Les gens vont se rendre. S'ils ont contesté, ils vont se rendre.

Je veux vous souligner aussi que la Commission d'appel est très peu formelle sur cette question-là, et on traite de cette question comme une question de procédure. Je peux vous assurer qu'aux audiences de la Commission d'appel on voit de la nouvelle preuve régulièrement, là. Et, dans ce sens-là, qu'on le mette suite à la décision de première instance, pour nous, ça ne changera rien. Mais on tient à souligner que, oui, ce serait une bonne chose de le faire à l'étape du Bureau de révision. Je pense que c'est important de le dire, parce qu'on était là. Contrairement à ce que Me Jacoby a dit tout à l'heure, nous, on ne considère pas le Bureau de révision comme un simple terrain de jeux où les gens se pratiquent avant d'aller au vrai débat, c'est-à-dire à la Commission d'appel. Soulignons-le, 37 % des dossiers sont accueillis au Bureau de révision et le Bureau de révision règle près des deux tiers des dossiers qui sont présentés là, qui, s'il n'y avait plus de Bureau de révision, iraient à la CALP.

M. Bégin: Mais vous avez pris l'hypothèse que je soulevais comme si j'avais offert un véhicule, mais que je n'avais pas d'essence pour fonctionner. C'est bien sûr que, dans ce cas-là, on ne peut pas avoir le résultat escompté, mais en cour criminelle et pénale, il n'y a pas de possibilité ou de jeu, c'est ou vous l'avez dévoilée, et auquel cas vous allez pouvoir en faire la preuve, ou, si vous ne l'avez pas dévoilée, c'est bien de valeur, mais c'est non. Alors, je prends l'hypothèse qui est celle-là et non pas celle où on dit qu'on peut jouer avec la procédure et en faire une question accessoire. Je dis vraiment le processus qui fonctionnerait. Dans cette hypothèse-là, croyez-vous que ça obtiendrait le résultat escompté?

Mme Flibotte (Liane): Il faut quand même faire des distinctions quand on parle de ces principes-là qui sont appliqués en matières pénale ou criminelle et qu'on tente, entre autres, dans les cas de lésions professionnelles, de les appliquer. Moi, je pense qu'il faut faire attention. On sait, comme je le disais tantôt, que la Commission va avoir plusieurs décisions à rendre dans le dossier d'une victime de lésions professionnelles, et ces différentes décisions peuvent toucher différents aspects du dossier. Évidemment, ces dossiers-là, comme il arrive qu'ils se développent sur plusieurs années, voient de la preuve s'ajouter au fur et à mesure que l'investigation médicale permet un meilleur diagnostic, que des tests ont été faits, et tout ça. Donc, la preuve s'accumule aussi pendant la période d'attente qui va mener à l'audience devant la CALP.

(17 h 30)

Alors, dans ce sens-là, dans les cas de maladies du travail ou d'accidents du travail, de dire: On va geler la preuve à tel moment et on ne pourra pas l'amener plus tard, ça peut aussi présenter des difficultés, ce qui est peut-être moins présent en matière pénale ou criminelle. Mais, comme c'est des dossiers qui peuvent se développer, l'investigation médicale permet des diagnostics plus sûrs, et tout ça, je pense qu'il faut faire attention à appliquer ça d'une façon trop rapide, là. Il me semble y avoir des distinctions, au niveau des dossiers, auxquelles il faut faire attention.

M. Bégin: Je comprends, là. Je n'ai pas voulu donner toutes les explications, mais si vous avez, dès le point de départ, une telle divulgation, bien sûr que le dossier va être dans l'état où il est. Par contre, vous avez déjà la 417, qui est le trois mois avant l'audition prévue. Pour avoir pratiqué pendant 25 ans, je peux vous dire qu'il est arrivé que, quand on a pris le dossier au départ et quand on arrive pour le plaider, très fréquemment, on n'a pas la même position parce qu'on voit bien comment évoluent les choses. Et tout avocat qui a pratiqué longtemps sait qu'il y a beaucoup de dossiers qui se règlent, justement, dans les quelques jours qui précèdent parce qu'on voit mieux la situation qu'on ne la voyait au départ, de part et d'autre.

Donc, l'obligation de dévoiler trois mois avant, à nouveau, parce qu'il y a eu des preuves qui se sont ajoutées, mais est-ce que vous ne croyez pas que ça permet aux parties d'éviter un litige ou de plaider devant une instance inutilement, en faisant une telle divulgation, pas en jouant avec, là, mais en en faisant vraiment une obligation légale?

M. Lafrance (Roch): Ça pourrait effectivement éviter les litiges, mais, à notre avis, ça ne saurait cautionner la perte d'un droit d'appel, pour nous. O.K...

M. Bégin: Pas le droit d'appel, le Bureau de révision.

M. Lafrance (Roch): Je veux qu'on soit très clair là-dessus, là. Oui, on est d'accord pour que la preuve soit annoncée d'avance. Ça, c'est clair. On ne veut pas que les parties arrivent puis prennent la partie adverse par surprise. On est d'accord pour annoncer la preuve, il n'y a aucun problème. Mais on ne veut pas, cependant, à cause d'une nouvelle obligation de soumettre sa preuve, par exemple, trois mois avant l'audience, qu'on dise: Vous n'avez plus besoin de deux droits d'appel. Vous n'avez plus besoin de révision, là.

M. Bégin: Non, non, non. Mais là je pense que vous ne comprenez pas le processus. Les assesseurs. J'ai cru comprendre que la décision devait être prise ensemble, c'est-à-dire qu'ils soient présents en même temps pour prendre la décision. Est-ce que c'est une bonne compréhension, où vous avez dit prendre une décision ensemble, pour le membre du Bureau et les autres? «Ensemble» peut vouloir dire deux choses: ça peut vouloir dire que je vous envoie un texte que j'ai préparé – êtes-vous d'accord? – ou bien ça peut vouloir dire, aussi, on est ensemble présents, en même temps, à la même place. Qu'est-ce que c'est... De l'alternative, laquelle est la vraie dans ce que vous avez dit tout à l'heure, là?

Mme Flibotte (Liane): Au niveau du fonctionnement du Bureau de révision paritaire?

M. Bégin: Oui, c'est ça.

Mme Flibotte (Liane): Le fonctionnement, ça peut varier d'un banc à l'autre et d'une région à l'autre, mais, habituellement, ce qu'on voit, c'est: l'audience va avoir lieu, preuve et argumentation, tout ça, et, par la suite, il y aura une période de délibéré, avec les trois membres composant le Bureau de révision paritaire...

M. Bégin: Donc, ensemble.

Mme Flibotte (Liane): Donc, ensemble. Et, habituellement, ce sera le président ou la présidente du Bureau de révision paritaire qui fera la rédaction de la décision. Donc, évidemment, comme je le disais tantôt, cependant, le fait que la décision soit prise ensemble ne veut pas dire qu'elle doit être unanime, elle peut être majoritaire avec un membre dissident qui écrira une dissidence ou pas. Donc, alors, habituellement, ça fonctionne comme ça: une période de délibéré où les trois membres sont ensemble, discutent de la preuve et de l'argumentation à laquelle ils ont eu droit et vont rendre une décision majoritaire ou unanime.

M. Bégin: Quant au paritarisme, vous avez semblé être très, très, très fermes. Vous ne voyez vraiment pas d'avenir à ce moyen...

Mme Flibotte (Liane): C'est parce qu'on a vu...

M. Bégin: ...je ne sais pas comment l'appeler.

Mme Flibotte (Liane): ...son passé qu'on n'y voit pas d'avenir.

M. Bégin: O.K.

Mme Flibotte (Liane): Non, je pense vraiment que, depuis l'instauration de ce mécanisme-là, qui est coûteux, qui est difficilement «agençable», puis quand il y a des reports d'audition, des remises, des ajournements, ça devient assez complexe. Et, dans les faits, comme les personnes qui sont assises à côté du président ou de la présidente ont des intérêts spécifiques dans le dossier, habituellement, c'est la décision du président ou de la présidente qui va primer. Parce que, si la présidente a l'intention d'accorder les droits aux travailleurs et aux travailleuses, évidemment, la personne du côté syndical va l'encourager dans ce sens-là; et, si c'est plutôt l'inverse et que la présidence a la volonté d'aller du côté de l'employeur, le représentant du monde patronal va l'encourager dans ce sens-là. Alors, au fond, on se retrouve souvent avec la décision de la présidence et des gens, là, qu'il faut coordonner, agencement d'agendas, évidemment, avec les coûts que ça représente.

Le Président (M. Jutras): Alors, M. le député de Chomedey.

M. Mulcair: Merci, M. le Président. Alors, à mon tour, il me fait plaisir de souhaiter la bienvenue aux représentants de l'Assemblée des travailleurs et travailleuses accidenté-e-s du Québec. Je dois dire aussi, en partant, que, lorsque j'étais en pratique privée à Montréal, j'avais eu l'occasion d'avoir recours aux services d'un de vos organismes membres, c'est-à-dire l'UTAM. Et c'est tout à fait extraordinaire, le travail qu'ils faisaient à l'époque. Je ne connais pas leurs activités aujourd'hui, mais ils étaient là gratuitement, une ressource pour les gens qui étaient... des avocats, souvent, qui étaient là pour nous guider et nous dire si, justement, une cause était plausible et si ça valait la peine d'entreprendre des démarches au nom de ce client-là, sauvant ainsi, lorsque ce n'était pas le cas qu'il y avait une cause, des frais et à la personne et, évidemment, des frais et du temps à l'ensemble de l'administration de la justice.

Donc, on voit que vous êtes là... vous rencontrez un besoin, votre historique concernant les lois sur les accidents du travail était très intéressant, et je dois constater l'importance qu'ont accordée l'ensemble des intervenants qui sont venus ici pour discuter un sujet vaste et large qui est la réforme des tribunaux administratifs, qui couvre tout, allant des territoires agricoles jusqu'au ministère des Transports. Mais, pour citer un chiffre comme ça, je dirais qu'au moins les deux tiers des interventions que l'on a entendues jusqu'à date se sont concentrées sur les problèmes vécus au niveau des lésions professionnelles, des accidents de travail, pour le dire dans des termes plus usuels, CSST, etc.

Je m'inquiète du nombre de personnes qui y voient un gros problème, puis je m'inquiète d'autant plus lorsque des gens avec votre expérience et votre expertise viennent ici, dans une institution relativement solennelle comme celle-ci, pour nous dire qu'à leur point de vue... Et c'étaient vos termes exacts, vous avez dit que l'administration, à votre sens, n'est pas juste et neutre, l'administration avait, selon vous – encore une fois, c'étaient vos termes – ses intérêts propres. Vous l'avez dit en passant. On peut bien deviner ce que vous entendez par là. Mais j'aimerais vous donner l'occasion de l'expliciter, puis j'aimerais profiter de cette explication parce que, si c'est le cas, bien, peu importent les changements que l'on ferait par ailleurs, si c'est vrai, le problème de base demeurera. En anglais, on dit parfois en boutade: «We will only be changing the deck chairs on the Titanic.» Alors, vous nous direz donc, à ce moment-là, quelles sont les réalités qui sous-tendent cette affirmation que l'administration a ses intérêts propres, et peut-être qu'on pourrait s'en servir lors de nos délibérations et nos réflexions sur cette problématique.

M. Lafrance (Roch): Bien, évidemment, vous l'avez dit, la question de la CSST tracasse beaucoup de monde. On est effectivement dans un secteur où l'administration joue un rôle un peu spécial et très controversé. Nous, l'expérience qu'on a, vous le dites, nous, on travaille avec des victimes d'accidents et de maladies du travail, du monde ordinaire. Et ce qu'on remarque, c'est... C'est rare, ça arrive, là, mais c'est rare que les agents décideurs sont incompétents. C'est assez rare. Ça arrive, comme partout ailleurs, mais ce n'est pas notre principale critique. Ce qu'on remarque, cependant, c'est que ces agents-là doivent respecter une foule de directives, qu'ils ont très, très peu de discrétion lorsqu'ils rendent leur décision. Dans la pratique quotidienne, on voit énormément de gens qui nous arrivent, qui sont référés par des agents de la CSST qui disent à l'accidenté: Écoutez, je suis obligé de rendre la décision, mais ça n'a pas d'allure. Va voir l'UTAM, va voir le Comité des travailleurs et travailleuses accidenté-e-s de l'Estrie, va voir, bon... on regroupe une douzaine d'associations. Et une bonne partie de nos références proviennent de gens de la CSST qui disent: Bon, je trouve ça inqualifiable, la décision que je dois rendre, mais je suis obligé de la rendre.

(17 h 40)

Quand on dit que l'administration n'est pas neutre et juste, je veux juste donner un exemple qui concerne, naturellement, la CSST. Il y a une décision dans l'affaire Domtar qui a été rendue par la Cour d'appel du Québec et qui donnait raison à Domtar, qui touchait les 14 premiers jours d'indemnisation et ce que l'employeur doit payer si la personne est en vacances, bon. Cette décision-là, immédiatement, là, deux semaines après que la Cour d'appel du Québec a rendu une décision sur l'affaire Domtar, en tant qu'employeur, nous, au Comité, on a reçu, comme tous les employeurs, un petit carton dans notre avis de cotisation qui disait: Étant donné que la Cour d'appel du Québec vient de se prononcer, vous ne devez plus payer les deux premières semaines si le travailleur n'avait pas à travailler ou était en vacances ou, bon, etc., ce que la Cour d'appel disait avant même que le droit d'appel soit terminé. Et, comme de fait, le syndicat est allé en appel devant la Cour suprême du Canada. Donc, on a appliqué injustement une décision parce que ça faisait l'affaire de la CSST du point de vue financier, pendant environ un an, alors qu'il y avait un appel devant la Cour suprême qui attendait, et la Cour suprême a renversé la décision de la Cour d'appel.

Je ne sais pas s'ils y ont apporté des correctifs, mais je sais qu'un an et demi après que la Cour d'appel se soit prononcée la CSST n'avait pas encore fait parvenir aux employeurs de modifications quant aux deux premières semaines. Et, donc, les employeurs ont continué à appliquer la décision de la Cour d'appel, qui n'a jamais eu force de loi. C'est pour ça que je vous dis que, quand on voit des choses comme ça, on voit que l'État – dans ce cas-ci, on parle de l'État – ou l'administration n'a pas toujours... a des intérêts, et n'est pas nécessairement juste. C'est un exemple parmi tant d'autres, mais il y en a plusieurs.

M. Mulcair: C'est un excellent exemple et une excellente illustration de votre propos. Maintenant, plus spécifiquement concernant cette notion des directives, est-ce que c'est votre expérience que de telles directives viennent carrément contredire la législation telle qu'édictée par l'Assemblée nationale? Parce que, vous savez, même si je demeure sensible à votre affirmation que l'administration n'est pas juste et neutre, elle a ses intérêts propres, c'est quand même ma perception que, d'une manière générale, l'administration vise à rendre exécutoires les décisions du législateur, de l'Assemblée nationale, et, quand elle ne le fait pas, comme vous l'avez souligné, il y a des instances comme le Protecteur du citoyen pour venir dire: Aïe! Écoutez, là, ça a été voté comme ça, vous allez l'appliquer comme ça a été voté.

On peut ne pas être d'accord avec les lois telles qu'édictées, mais il va y avoir des gens qui se feront refuser parce qu'ils ne rencontrent pas les critères de la loi. Là où je vais venir me battre à vos côtés, c'est lorsque quelqu'un se ferait refuser non pas parce qu'il n'est pas indemnisable aux termes de la loi, mais il serait refusé parce qu'il y a eu une restriction administrative, bureaucratique, pour ces raisons-là. Avez-vous des cas spécifiques de directives – j'ai bien compris l'exemple de Domtar, je l'ai suivi, mais c'est une interprétation de la décision d'appliquer quelque chose en attendant un appel, et on pourrait toujours voir les cas dans cette instance-là, mais des directives – qui viennent, à votre sens, vraiment contredire une loi visant à indemniser? Avez-vous des exemples comme ça?

Mme Flibotte (Liane): Un des exemples qu'on pourrait prendre, bon, on sait que la loi prévoit, définit ce qu'est une lésion professionnelle, et, dans les lésions professionnelles, on intègre, entre autres, les rechutes, les récidives et les aggravations.

M. Mulcair: Exact.

Mme Flibotte (Liane): Alors, ces termes-là ne sont pas définis dans la loi, mais la jurisprudence, depuis 1985, a eu amplement le temps de définir ces concepts-là. Présentement, à la CSST, il y a une commission, et des centaines de travailleurs et de travailleuses reçoivent des décisions écrites, les «décisions-formulaires» déjà un peu faites d'avance qui disent: Monsieur, madame, nous ne pouvons accepter votre réclamation pour rechute puisqu'il n'y a pas d'aggravation de votre état. Mais, là, on n'en a jamais fait, de demande d'aggravation, nous, on a fait une demande pour rechute. Est-ce qu'on pourrait, s'il vous plaît, se prononcer sur la rechute? Mais la lettre type, présentement, est à cet effet-là, donc, les agents ont pour directive de refuser toute réclamation pour rechute s'il n'y a pas d'aggravation objective de l'état d'un travailleur ou d'une travailleuse. Ce qui n'est évidemment pas la définition qu'en donne la jurisprudence de la CALP et, maintenant, depuis quelques années, même celle des BRP.

M. Mulcair: Ce n'est pas non plus, donc, ce qui est requis aux termes de la loi?

Mme Flibotte (Liane): Non plus.

M. Mulcair: Excellent exemple. O.K. Je vous remercie beaucoup pour ça et pour votre participation aujourd'hui.

Le Président (M. Jutras): Alors, Mme Flibotte, M. Lafrance, nous vous remercions pour votre participation et nous vous disons à la prochaine.

Maintenant, messieurs et mesdames de la commission, monsieur... de McGill n'est pas arrivé, semble-t-il.

M. Mulcair: Non. De toute façon, le ministre avait un empêchement, il ne pouvait pas.

Le Président (M. Jutras): Alors, les travaux sont donc suspendus jusqu'à 20 heures.

(Suspension de la séance à 17 h 45)

(Reprise à 20 h 11)

Le Président (M. Simard): À l'ordre, s'il vous plaît! Nous reprenons nos travaux. Je vous rappelle le mandat de la commission, qui est de poursuivre ses consultations particulières et tenir des auditions publiques sur la justice administrative. Ce soir, nous avons comme invités, de la Faculté de droit de l'Université McGill, le professeur Roderick Macdonald, à qui nous souhaitons la bienvenue, et M. Richard Janda, qui est directeur du Centre des industries réglementées de McGill. Je ne sais pas si ça apparaît en français, sur votre porte, comme en anglais. Ha, ha, ha! Alors, nous sommes très heureux de vous recevoir.


Document déposé

Alors, vous connaissez un peu nos règles. Nous allons vous demander... Auparavant, j'aimerais en profiter pour poser un geste capital: déposer la lettre que nous avons reçue du Dr Claude Gélinas au nom de l'Association des chiropraticiens, l'Association et l'Ordre des chiropraticiens du Québec, qui devait se présenter et qui ne l'a pas fait. Je dépose cette lettre.

Professeur Macdonald, vous connaissez nos règles: il s'agit de nous faire une synthèse de votre mémoire. Vous disposez de 20 minutes, une demi-heure, et, ensuite, nous allons entamer le dialogue pour compléter l'heure. Alors, à vous la parole.


Faculté de droit de l'Université McGill

M. Macdonald (Roderick A.): M. le Président, M. le ministre, j'allais dire «membres», mais...

Des voix: Ha, ha, ha!

Une voix: Members?

Une voix: Membres?

M. Macdonald (Roderick A.): Oui, une «member» – ha, ha, ha! – de la commission. Ha, ha, ha! Merci de l'invitation à présenter notre mémoire ce soir. Nous ne répétons pas au long les observations qu'on a soumises dans le rapport, nous signalons plutôt deux aspects du rapport Garant que nous croyons particulièrement révélateurs de ces orientations et de nos difficultés avec ces orientations. Avant de ce faire, cependant, il faut féliciter le Groupe de travail pour son rapport. La rigueur de son analyse et la modération de ses recommandations sont à noter. Le rapport a bien énoncé la problématique, même si, à notre avis, il s'est trompé quant à ses conclusions. En effet, nos différences avec le rapport ne sont pas dues à la manière dont il a exécuté son mandat, elles proviennent plutôt du mandat lui-même. Le Groupe de travail a bien répondu à la question posée par l'ancien ministre Rémillard, mais nous croyons que ce n'est pas la bonne question. C'est quoi, au juste, la véritable problématique? C'est, pour nous, la qualité du fond et l'accessibilité de la justice administrative pour le citoyen.

Nous procédons de la façon suivante: Où sont les failles de l'accessibilité à la justice administrative actuellement? Et, deuxièmement, dans un deuxième temps, comment y pallier? À la première question, le rapport répond que l'accessibilité est foncièrement une affaire de procédure et de forme, une affaire d'équité procédurale et des institutions d'appel. Le droit, selon le rapport Garant, n'a pas vraiment grand-chose à dire quant à la prise de décisions administratives au premier niveau. De plus, selon le rapport Garant, il paraît que les véritables barrières à l'accessibilité à la justice et à la justice administrative sont les barrières objectives, les barrières de structures, les barrières de coûts, les barrières de délais et ne sont pas des barrières subjectives – est-ce qu'il y a un problème? non? O.K., parfait – c'est-à-dire les barrières de confiance dans le système ou les barrières de confiance de la population envers la justice administrative.

Notre groupe de travail sur l'accessibilité à la justice, qui a siégé entre 1989 et 1991, a découvert, d'après ces consultations publiques, que ce n'étaient pas les barrières objectives qui étaient les véritables barrières à une justice accessible, mais plutôt la perception subjective du citoyen et du justiciable.

À la deuxième question: «Comment y pallier?» le rapport propose une bifurcation des décisions judiciaires ou administratives en deux. Il y a, d'un côté, des décisions juridictionnelles ou quasi judiciaires et, de l'autre côté, des décisions purement administratives. Pour la première, le rapport propose une structure, une institutionnalisation de la justice judiciaire, y compris un droit d'appel absolu selon les normes ordinaires des appels juridiques. Pour la deuxième, le rapport propose une déjudiciarisation, sans plus dire. Dans notre mémoire, nous questionnons cette bifurcation. Nous prétendons, dans notre mémoire, que c'est une fausse dichotomie, si j'ose le dire. C'est une dichotomie qui arrive par la suite, et ce n'est pas une dichotomie analytique... Mes propres propos, ce soir, toucheront la première catégorie de décisions, des décisions juridictionnelles. Mon collègue, Richard Janda, va parler de la deuxième et, notamment, de la question de déjudiciarisation.

Quelles sont les recommandations touchant l'accessibilité en matière de décisions juridictionnelles? Le rapport propose, comme pièce centrale de sa structure, la création d'un tribunal d'appel administratif formé de cinq divisions spécialisées. Mais pourquoi? Est-ce que nous cherchons simplement une sorte de cohérence organisationnelle des décisions administratives? C'est quoi, le rationnel de cette proposition? Est-ce que c'est une sorte de cohérence formelle, une elegantia juris qui motive la commission? Ce n'est sûrement pas une elegantia fondamentale. En ce qui concerne le rapport, la plus grande faille à l'accessibilité à la justice, c'est une absence d'une structure d'appel rationnelle, cohérente et formelle.

La base sur laquelle on propose la répartition des divisions, c'est selon la matière. Mais laissez-moi poser quelques hypothèses. Pourquoi le seul fait qu'un immeuble est en question justifie le regroupement des appels de certains tribunaux administratifs? Pourquoi la question, c'est une question matérielle, immeuble au lieu de meuble? On aurait pu aussi suggérer un regroupement géographique – toutes les décisions de toutes les commissions siégeant en Gaspésie regroupées – ou bien on aurait pu suggérer un regroupement selon l'objectif de la législation ou même le ministère concerné: pour toutes les commissions de justice, il y a une commission d'appel, pour toutes les commissions de santé, une commission d'appel.

Le rapport ne donne point une justification du choix d'un critère matériel de regroupement. Il n'y en a pas, effectivement. Il n'y en a pas. Si c'est l'expertise qui est en question, il faut reconnaître que l'expertise des tribunaux administratifs, des membres, est constituée par la connaissance intime du fonctionnement du tribunal et du milieu, ce que je qualifie, dans le texte, comme la normativité implicite d'un tribunal. Ce n'est pas une expertise juridique ni même une expertise selon la matière technique. L'expertise qu'on cherche chez les membres des tribunaux administratifs, c'est une connaissance du fonctionnement du tribunal et du milieu sur lequel le tribunal est appelé à régler les questions.

(20 h 20)

Finalement, posons la question fondamentale: Est-ce que l'injustice administrative trouve ses origines dans les décisions où il y a une erreur de droit ou de compétence, de sorte qu'on peut corriger en appel? Est-ce que c'est ça, la source véritable des injustices administratives ou est-ce que c'est dans les petites erreurs qui sont souvent le fruit d'un décideur trop surchargé de travail ou d'une procédure qui met trop de pression sur les décideurs de premier lieu? Est-ce que l'accessibilité sera améliorée par un appel, un organisme qui est au-dessus de tous les tribunaux, ou par une meilleure décision initiale? C'est à ce niveau qu'il faut chercher une véritable accessibilité à la justice administrative.

Et mon collègue va maintenant parler de ces questions.

M. Janda (Richard): M. le ministre, membres, effectivement – ha, ha, ha! – de la commission, mes commentaires portent sur la déjudiciarisation – j'espère que je serai en mesure de dire ce mot-là à chaque fois – proposée par le Groupe de travail. Comme vous le savez, quelque 18 organismes administratifs n'auraient plus l'obligation d'agir à la manière d'un tribunal exerçant une compétence juridictionnelle, et cette obligation serait éliminée formellement. Celle-ci est une proposition en principe assez attirante, je l'avoue, prima facie, surtout pour un juriste de droit administratif comme moi qui favorise le développement des approches informelles quand elles répondent aux besoins des citoyens et quand elles effectuent le mandat des organismes qui les utilisent. Alors, d'être contre cette proposition de déjudiciarisation risque d'être conçu comme une attaque contre la flexibilité ou peut-être même une glorification des procédures formelles.

Pourtant, je suis contre la recommandation formulée par le groupe de travail à la fois parce que ce n'est pas une déjudiciarisation profonde et parce que c'est une tentative de déjudiciarisation qui n'est pas basée vraiment sur une étude des besoins concrets des citoyens qui utilisent les organismes administratifs en question ni même une étude sur comment améliorer la capacité institutionnelle de ces organismes d'effectuer leur propre mandat.

Je veux souligner, comme mon collègue Rod Macdonald l'a souligné, qu'en disant ça je n'attaque pas le Groupe de travail comme tel, parce qu'ils ont tout simplement répondu aux questions qui étaient posées. Il n'avaient pas à étudier en profondeur la nature des processus administratifs entrepris par les organismes en question. Mais ce que je veux discuter avec vous ce soir, c'est: Est-ce qu'on peut vraiment procéder avec la déjudiciarisation proposée sans avoir une meilleure idée au moins des conséquences pratiques, concrètes de cette déjudiciarisation et, j'aimerais ajouter, sans un concept clair de l'orientation de ces organismes et du comment ils devraient agir dans l'avenir?

Alors, mes propos sont divisés en deux. Je suis weberien pour... j'imagine – ha, ha, ha! – mais mes propos sont divisés en deux, c'est-à-dire: Quelle est la conception de déjudiciarisation offerte par le groupe de travail? et, deuxièmement, comment on peut concevoir une déjudiciarisation qui répondrait vraiment aux besoins des citoyens et aux mandats des organismes?

Alors, la déjudiciarisation proposée est caractérisée uniquement par une élimination formelle de l'obligation d'agir comme un tribunal exerçant une compétence juridictionnelle. Il n'y a aucune prétention, dans le rapport, de recaractériser le fonctionnement de ces organismes-là. On enlève une obligation tout simplement, on remplace cette obligation par quelque chose d'autre.

Si, par exemple, la Commission des valeurs mobilières du Québec n'a plus à se comporter trop formellement quand elle va émettre une ordonnance mettant fin à une transaction, va-t-elle, ou devrait-elle se comporter autrement dans l'avenir? Ou comment elle devrait se comporter? Le sous-entendu, si j'ai bien compris, du rapport est que la Commission des valeurs mobilières et tous les autres organismes visés auraient dorénavant la tâche de définir sa propre réorientation. C'est une grande délégation de la tâche de repenser son propre avenir.

Mais ce qu'on vous dit aujourd'hui, c'est qu'on manque l'occasion, ici, de se poser les questions: Quel serait vraiment le but de déjudiciarisation pour une Commission des valeurs mobilières ou pour les 17 autres organismes? Comment ils vont utiliser cette plus grande flexibilité et qu'est-ce que les citoyens auront à la place? La déjudiciarisation, finalement, n'est pas en soi nécessairement un bien ou un mal; on peut très bien imaginer que la déjudiciarisation peut vouloir dire une diminution de la participation publique, ou un plus grand manque de transparence, ou même la favorisation de certains groupes d'intérêt. Alors, il faut bien cerner quels sont les problèmes concrets qui donnent lieu à une nécessité de déjudiciarisation, et, sur ça, le rapport Garant laisse tout simplement la tâche aux organismes.

Ça m'amène à la deuxième question que je vous soulevais: Quelle sorte d'étude on devrait faire pour bien décider si la déjudiciarisation proposée va améliorer la situation des citoyens et l'effectivité, si vous voulez, des mandats en question? Je ne veux pas plaider pour plus d'études – ha, ha, ha! – je ne veux pas plaider pour plus de travail pour les professeurs aux facultés de droit, mais je veux...

M. Macdonald (Roderick A.): Mais tu plaides quand même. Ha, ha, ha!

M. Janda (Richard): Parce que je reconnais que c'est quand même la quatrième fois que les professeurs de droit essaient de faire ça, et j'imagine que...

M. Bégin: Vous avez eu votre part.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Janda (Richard): J'imagine, et avec raison, que l'Assemblée nationale en a marre. Mais il me semble que, si on veut effectuer une déjudiciarisation, au moins les organismes en question puissent eux-mêmes identifier à quelles fins et comment ils vont utiliser cette déjudiciarisation pour qu'on puisse être certain qu'il y a des besoins réels qui sont derrière la déjudiciarisation, que ce n'est pas, par exemple, juste un exercice d'appliquer des coupures. Et, en ce qui concerne les citoyens, il me semble que le manque d'identification du but de la déjudiciarisation met en question l'exercice lui-même.

(20 h 30)

Surtout dans une époque où les gouvernements cherchent à se réinventer et cherchent à mieux remplir leur propre mandat, il me semble que le rapport Garant fait abstraction du fonctionnement concret des organismes en question. Accepter les recommandations du rapport serait d'accepter un système formel avec une certaine élégance, mais ne serait pas vraiment de rencontrer la problématique de la justice administrative et de l'accessibilité à la justice. C'est pour ça que nous sommes peut-être un peu hésitants, mais quand même contre les recommandations telles que proposées.

Je pense que, à ce moment-là, on peut répondre à des questions.

Le Président (M. Simard): Merci beaucoup, et nous allons évidemment avoir pas mal de questions à vous poser. D'ailleurs, le président...

M. Bégin: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Simard): ...ne se gênera pas pour vous en poser. Petite anecdote en passant, c'est McGill: 4, Laval: 1, ce soir.

Une voix: Ah oui?

M. Janda (Richard): Ha, ha, ha!

Le Président (M. Simard): Alors, on sera en bonne compagnie.

M. Bégin: Au hockey ou au basket?

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Simard): M. le ministre, à vous la parole.

M. Bégin: Non, je vous laisse, M. le Président. Sachant votre patience et le peu d'opportunités que vous avez eues, moi, ce soir, je profiterais de l'occasion – c'est le dernier groupe qu'on rencontre – pour vous prêter la parole d'abord.

Le Président (M. Simard): Votre générosité m'impressionne.

M. Bégin: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Simard): Professeur Macdonald, vous privilégiez, dans votre mémoire, et c'est très clair même dans les interventions de M. Janda par rapport à la déjudiciarisation, une approche empirique par opposition à une schématisation, à une construction rationaliste, à une modélisation du fonctionnement de l'appareil administratif. La première question qu'on pourrait vous demander, c'est: Pourquoi? Pourquoi cette préférence? Et, deuxièmement, que serait une approche empirique? Quelles seraient les conditions pour qu'une approche empirique nous permette d'arriver à une meilleure compréhension du phénomène? Dans une heure, je vous arrête.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Macdonald (Roderick A.): Je me donne trois minutes.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bégin: Il était professeur d'université, le président. Il se méfie, hein?

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Macdonald (Roderick A.): Oui. Mais on a, comme professeurs, une déformation intellectuelle qui veut dire: Une fois la bouche ouverte, c'est 50 minutes.

Des voix: Ha, ha, ha!

Une voix: Là, c'est 20 minutes. C'est 20 minutes.

M. Bégin: Ha, ha, ha! C'est pire que les avocats, ça!

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Simard): Là, c'est 20 minutes. Allez.

M. Macdonald (Roderick A.): Je dirais ceci. Ce n'est pas qu'une certaine rationalisation n'est pas une bonne chose. Mais je pose la question suivante: Si l'objectif, c'est l'accessibilité à une justice administrative, d'où provient l'inaccessibilité? À mon esprit, ça provient du fait que chaque tribunal administratif a une logique propre à ce tribunal. Chaque tribunal administratif a une clientèle qui exige un certain service et un mandat législatif quelconque, et prétendre qu'une formule abstraite de législation dans un tribunal de, mettons, la Commission municipale du Québec et la Commission des valeurs mobilières... Si les trois mots clés sont identiques dans les mandats des deux commissions, est-ce que quelqu'un qui pratique le droit va dire que l'exercice de ce mandat est identique pour les deux commissions? Jamais. Il faut comprendre comment la commission comprend son mandat, comment elle exerce les pouvoirs délégués et quelles sont les attentes de la clientèle pour bien cerner la nature de l'inaccessibilité, s'il y en a, et il y a plein d'affirmations dans le rapport disant que cette inaccessibilité existe, d'où l'évidence, d'où la preuve. C'est pour ça...

Le Président (M. Simard): Donc, vous remettez...

M. Macdonald (Roderick A.): ...qu'on privilégie une approche à la fois empirique et ciblée vers chaque commission en question.

Le Président (M. Simard): Donc, vous mettez même en question ce qui était le point de départ de l'étude même et du rapport et des rapports antérieurs, Ouellet et autres, c'est-à-dire l'inaccessibilité. Pour vous, ça n'a pas été prouvé. Qu'est-ce qui vous permet de dire ça? Parce que ça semble un sentiment... Nous, on a entendu des gens, ici, très nombreux venir nous dire: C'est très difficile, l'accessibilité n'est pas évidente, on a des problèmes. Quelle est votre base, quel est votre propre empirisme par rapport à ça? Pourquoi nous dites-vous: Je remets en question l'existence même de cette inaccessibilité?

M. Macdonald (Roderick A.): Je crois que la meilleure réponse peut être donnée par mon collègue Janda, qui mène un projet de recherche depuis maintenant trois ans sur certaines structures administratives.

M. Janda (Richard): Je dirais que – j'imagine que nous sommes d'accord – ce n'est pas qu'on questionne l'inaccessibilité à la justice, on questionne le rapport entre une inaccessibilité et les structures formelles qui sont proposées. À un moment donné, je ne me souviens plus à quelle page du rapport, on voit l'énoncé: Si on peut éliminer les incohérences, les différences de procédures, etc., c'est clair que ça va faciliter l'accessibilité à la justice. C'est là qu'on ne voit pas de lien empirique.

Et, pour parler plutôt de ce que mon collègue Rod Macdonald a mentionné, dans mes études sur la sécurité du travail...

M. Macdonald (Roderick A.): Du revenu.

M. Janda (Richard): ...du revenu, excusez-moi, la sécurité du revenu, j'ai remarqué que l'effort d'appliquer des standards de plus en plus cohérents, entre guillemets, ne veut pas nécessairement dire une meilleure accessibilité à la sécurité du revenu. Au contraire, on voit que c'est souvent pour ce que j'appelle «administered of disentitlement», c'est-à-dire... d'enlever l'accessibilité... qu'on va créer des standards qui sont cohérents ou qui sont applicables d'une façon: oui ou non. Alors, je pense que, dans le texte qui a été préparé par Rod Macdonald, il identifie très bien ce qui est fondamental, c'est-à-dire bien cerner comment, en bon administrateur, dans la position de chaque organisme, on pourrait le mieux effectuer sa tâche. Et il n'y a aucun questionnement sur ça, il n'y a aucun questionnement sur comment rendre le rôle de chaque administrateur ou bien plus facile à remplir ou bien plus évident, plus transparent pour le citoyen.

Le Président (M. Simard): M. le député de Chomedey.

M. Mulcair: Merci, M. le Président. Alors, à mon tour, il me fait très plaisir d'accueillir des dignes représentants de mon alma mater. M. Macdonald, M. Janda, bienvenue et merci beaucoup d'avoir contribué à autant de contenu dans nos délibérations. Votre mémoire et votre présentation, ce soir, de par leur envergure, vont enrichir sans doute les travaux de cette commission et, je l'espère, influencer les décisions que le ministre aura à prendre dans un proche avenir sur ce sujet.

Je dois vous dire que, à la première lecture de votre mémoire, j'étais un peu surpris parce que, bon, comme, justement, des gens qui réfléchissent à ces problèmes-là, vous avez pris une approche qui secouait à ses fondements certaines des données de base, des vérités reçues de ceux qui travaillent dans ces domaines-là depuis de fort nombreuses années. M. Macdonald, pour avoir suivi votre travail qui a mené au Sommet de la Justice, je vois que non seulement vous avez réussi à saisir bon nombre des nuances, justement, des problématiques réelles qui existent en termes d'administration de la justice, mais vous réussissez toujours, avec une touche d'humour, à les rendre sous forme écrite, et je vous avoue que je pense que ce document va rester dans les annales de cette commission, et je m'engage d'ores et déjà à en envoyer une copie à plusieurs amis qui travaillent sur ces questions-là.

Je vous cite les termes exacts de votre mémoire. Vous dites qu'il n'y a pratiquement aucune donnée empirique qui vient étayer les recommandations du Groupe de travail. Je crois que vous avez raison là-dessus, il n'y a pas une étude exhaustive. Mais je pense que, même si ce n'est pas empirique, on peut néanmoins dire qu'il y a une certaine habitude ici, à Québec, là où les gens, justement, travaillent avec ces commissions-là tous les jours, de se rendre compte qu'il y a des problèmes. Mais le fait que vous mettez tout le monde au défi de prouver leurs suppositions, je pense, ouvre la porte à une bonne analyse future et à une réflexion nécessaire préalable.

Une question que je vous poserais d'emblée concerne un point que vous avez mentionné tout de suite lorsque vous avez commencé votre présentation. Vous avez parlé des décideurs de premier niveau. Je vais vous citer un terme qui m'a beaucoup plu, qui est venu de la présidente du syndicat des fonctionnaires du gouvernement du Québec, syndicat dont plusieurs membres sont des décideurs de première instance dans bon nombre d'organismes, et elle a dit la même chose que vous. Elle a dit que, à moins qu'on n'ait les ressources nécessaires pour rehausser, revaloriser leur travail, ça va continuer à être ce que c'est à l'heure actuelle. Elle a utilisé un terme assez coloré, elle a dit: Se présenter devant eux est considéré par plusieurs comme étant un terrain de pratique, «a proving ground». On s'essaie, mais ce n'est pas pris trop au sérieux.

Est-ce que le rapport Garant fait ressortir suffisamment, à votre sens, cette partie de la problématique ou est-ce qu'il faut encore que, nous, on s'y attarde davantage dans nos travaux?

(20 h 40)

M. Macdonald (Roderick A.): À mon sens, du tout.

M. Mulcair: Le rapport ne le fait pas du tout...

M. Macdonald (Roderick A.): Le rapport ne fait pas ressortir du tout cette problématique.

M. Mulcair: O.K.

M. Macdonald (Roderick A.): Est-ce que je peux répondre?

M. Mulcair: Oui, allez-y.

M. Macdonald (Roderick A.): Pour moi, la question de décideur de première ligne, c'est la suivante. Le jugement humain est précieux, et on ne peut pas exercer un jugement raisonnable si on est confronté à 1 000 causes par jour, ou 500 causes par jour. Et, quand on conçoit la justice administrative, il faut être capable d'envisager ces questions: Quelles sortes de décisions exige un jugement humain? Et quelles sortes de questions on peut traiter de façon, je dirais, bureaucratique, c'est-à-dire par l'application de normes qui ne se contestent pas?

S'il y avait un programme dans lequel il y avait 1 000 000 $ à dépenser, c'est l'habitude des juristes de prendre la position suivante: Je vais insister pour que mon client reçoive 20 000 $ au lieu de 18 000 $, même si ça coûte au gouvernement 100 000 $ pour le prouver.

Une voix: Ha, ha, ha!

M. Macdonald (Roderick A.): Ça, c'est l'attitude des juristes. Et, quand on fait le dessin des institutions administratives, il faut bien identifier quels sont les véritables problèmes qui exigent un jugement, qui laissent aux décideurs de première ligne la flexibilité et le temps de bien prendre les décisions, et ne pas forcer les décideurs à agir comme des machines. Ce n'est pas possible.

Et, quand on parle de recoupement, on parle d'entraînement, on parle de la formation permanente, on parle de valorisation de leur travail, on parle des conditions de travail; ça ne coûtera pas nécessairement un sou au gouvernement. Mais ce qu'il faut, c'est bien trancher quelles sortes de questions sont des questions qui méritent une certaine procédure et quelles sont les questions qui méritent qu'elles soient décidées par tel ou tel organisme, telle ou telle personne, telle ou telle structure. On peut parler en termes abstraits de ce qu'on cherche, mais prendre des décisions, ça prend une étude empirique d'une commission quelconque, d'un tribunal administratif, d'une commission administrative identifiée, et il faut dire c'est quoi, le mandat, combien on dépense actuellement sur cet aspect de notre mandat, s'il y a une autre façon plus rentable de gérer ça pour que des questions qui sont véritablement importantes puissent être décidées, et il faut le faire organisme par organisme. Il n'y a pas de solution globale miracle.

M. Mulcair: Une petite question pour vous sur, justement, cette question des structures. Même si on prend pour acquis, et, d'emblée, je suis d'accord avec votre affirmation comme quoi il n'y a pas de solution miracle... Mais il y a quand même des considérations qu'on va être appelés à mettre sous forme de législation et à rendre applicables.

Il y a quelques questions sur lesquelles il y a eu vraiment une nette différence de points de vue selon les intervenants, et je vais vous en nommer un ou deux tout de suite. Pour ce qui est des appels, des tribunaux, des instances de révision, il y en a plusieurs qui ont dit que le seul recours possible devrait être par voie d'évocation devant la Cour supérieure, parce que, comme ça, on valorise le travail de ces décideurs-là et on les confirme dans leur compétence. Il y en a d'autres – puis le rapport tendait à aller un petit peu plus dans ce sens-là – qui disaient: Bien, peut-être sur des questions de droit ou sur des questions mixtes de fait et de droit, on pourrait avoir même un appel jusqu'à la Cour d'appel.

Sans vouloir vous imposer le carcan d'un formalisme, est-ce que vous pourriez quand même nous donner votre point de vue global sur cette question-là? S'il en est. Peut-être que vous pensez encore une fois que ça devrait varier d'un endroit à un autre?

M. Macdonald (Roderick A.): Mais, également – ha, ha, ha! – il n'y a pas de réponse globale à ça. D'après certaines statistiques que j'ai vues, rassemblées aux États-Unis, l'incidence d'appels parmi des organismes administratifs aux États-Unis dépend fondamentalement de la nature de l'organisme. Il n'y a quasiment pas d'appels judiciaires des décisions de Securities and Exchange Commission».

M. Mulcair: O.K.

M. Macdonald (Roderick A.): La clientèle, elle a confiance dans les décisions de ça. Mais, chez certains autres, comme HUD et HEW, il y a des appels en masse. Donc, je dirais, même si on instaurait un système d'appels devant la Cour supérieure uniquement, ce n'est pas à prévoir que toutes les décisions vont être appelées au même rythme pour toutes les commissions; ça va dépendre. Et, souvent, c'est en améliorant la performance de la commission qu'on baisse les appels. On ne baisse jamais des appels stratégiques. Les avocats savent jouer avec le système, et il va y avoir toujours des appels stratégiques. Mais on peut baisser les appels qui sont fondés sur le manque de confiance.

M. Mulcair: D'accord. Et deuxième courte question pour vous, M. Macdonald. Il y a une autre question qui a été soulevée à de nombreuses reprises ici en ce qui concerne ce qu'il est convenu d'appeler le paritarisme. C'est une manière de faire qui existe notamment à la CSST, c'est-à-dire qu'on va avoir un président de séance et une personne nommée par le côté patronal, une autre par le côté syndical. Encore une fois, les avis ont été radicalement partagés, puis, même à l'intérieur des mêmes groupements, il y avait des syndicats qui étaient très en faveur, d'autres complètement contre, des associations de défense des droits, idem, partagées de la même manière. Une des seules choses que les gens pouvaient dire en bien de ce système de paritarisme, c'est qu'au moins ça tendait, ça visait à s'assurer que les deux côtés de la médaille étaient en présence lors du processus décisionnel, visant ainsi à rendre plus crédible, évidemment, le processus en soi. Pendant toutes nos délibérations, on a entendu de nombreux groupes arriver et nous dire: Écoutez, il faut rendre le processus de sélection, de nomination, de reconduction plus transparent, plus crédible.

Si cette question de paritarisme prenait le bord, comme moyen d'assurer ça, parce que c'est effectivement coûteux de mettre trois personnes et de les ramener à chaque fois, est-ce que, dans votre expérience et selon vos analyses... Et, notamment, ce que j'aimerais savoir, c'est si – vous venez de faire référence à certains exemples américains – dans votre expérience et vos analyses comparatives, il y a des modèles de sélection, de nomination, de reconduction dont on pourrait tirer profit ici, à votre sens, pour augmenter la transparence et la crédibilité.

M. Macdonald (Roderick A.): Sur le fond de votre question, mon collègue Janda va répondre, mais, sur le dernier point, j'aimerais dire une chose. D'après mon expérience, qui n'est pas grande, mais il y en a, de l'expérience, on ne peut jamais, dans la création des tribunaux administratifs, prétendre à un processus de nomination parallèle au processus de nomination des juges. Pour moi, c'est non seulement non souhaitable, mais c'est impossible politiquement. Nécessairement, les commissions sont créées pour des fins politiques; nécessairement, les individus nommés auront des connexions politiques parce qu'il y a une politique qui entoure ces commissions. Si on cherchait une justice abstraite, idéale, qu'on ait des juges. Mais si on cherche une justice administrative ou une politique quelconque menée par un gouvernement quelconque, nécessairement, les membres de la commission vont refléter dans une certaine manière cette politique, et, dans une démocratie, je ne vois aucune objection à cela.

M. Mulcair: D'accord.

M. Macdonald (Roderick A.): Moi, je ne suis pas un naïf professeur de droit qui croit que le monde est bâti autour d'un modèle judiciaire. C'est stupide.

M. Mulcair: Ha, ha, ha! Merci, M. Macdonald. Bien, je vais me permettre de diriger un peu la question, justement, à votre collègue Janda, en précisant peut-être non seulement ma pensée, mais en... I will lead the witness a litte bit if you do not mind.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Mulcair: Ce que...

M. Macdonald (Roderick A.): Je suis, je suis.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Mulcair: L'idée a été soulevée de ce côté, et il y a un modèle qui existe aux États-Unis, justement, même lorsqu'il s'agit d'une nomination qui tient compte des paramètres politiques que M. Macdonald vient de soulever, qui ferait en sorte qu'effectivement les décideurs, mais des deux côtés, pourraient au moins rencontrer, questionner, vérifier, valider les éventuelles nominations politiques, mais d'une manière, si on peut emprunter le terme, bipartite. Est-ce qu'à votre sens il y aurait un quelconque avantage à un tel système si on l'importait dans un système parlementaire britannique comme le nôtre?

M. Janda (Richard): Je crois que, si on regarde tous les organismes qui sont visés par le rapport Garant, encore une fois on aurait des réponses assez différentes selon le type d'organisme. Dans le cas, par exemple, je ne sais pas, de la Régie du gaz, il y a des intérêts très identifiables chez les producteurs, chez les distributeurs, etc., et le processus de nomination ne peut pas faire abstraction du type de personnes qui vont se retrouver devant la Régie. Dans le cas d'un tribunal de travail, encore une fois, dans un contexte où il y a une bifurcation assez claire entre les intérêts des employeurs et les intérêts des travailleurs, il me semble que c'est très difficile de faire abstraction de ça dans la réalité de la nomination. On peut imposer ou créer un système plus neutre, mais est-ce que ça serait reconnu ou légitimé par les intervenants devant la commission?

(20 h 50)

Alors, il me semble qu'il y a lieu, encore une fois – ha, ha, ha! – de regarder le problème concret devant chaque organisme et de consulter ceux qui se trouvent devant la commission pour voir quel type de mécanisme serait légitime ou serait acceptable. Mais une solution formelle, globale – c'est la même chose que le professeur Macdonald a soulignée avant – me semble irréaliste.

Le Président (M. Simard): Oui.

M. Macdonald (Roderick A.): Juste pour compléter la pensée, les structures formelles juridiques comme ça sont légitimes. Elles sont légitimes pour des juristes, mais non pas pour le citoyen. Et ce qu'on cherche, c'est la légitimité pour le citoyen. Et, nécessairement, le Barreau va dire... C'est clair, la position du Barreau: On veut un système qui est légitime à nos yeux. C'est bien évident.

Le Président (M. Simard): Je voudrais prendre, à ce moment-ci, un peu le professeur Macdonald à ses propres mots. Vous avez dit tout à l'heure que vous n'étiez pas de ceux qui croyaient que le monde extérieur était fait selon un plan juridique. Bien, je peux peut-être vous dire aussi que le monde extérieur, il est fait de réalité matérielle concrète. Et, lorsque le professeur Janda nous dit, et vous-même aussi: Le travail de première ligne est le plus important, puisque, s'il est bien fait, intelligemment, il y aura beaucoup moins d'appels, il y aura beaucoup plus de satisfaction, et que ça peut se jouer à ce niveau-là, mais le travail de première ligne, au-delà de la formation nécessaire des employés qui le font, il est un travail qui est un travail de tamisage des demandes dans des domaines qui sont souvent très coûteux.

La sécurité du revenu, ça implique des centaines de millions par année. S'il y a des normes, messieurs, ce n'est pas uniquement par goût qu'ont les législateurs ou les administrateurs de créer des normes, c'est parce qu'il faut endiguer la demande, faire en sorte qu'elle corresponde à la réalité des moyens de l'État. On peut bien dire qu'il faudrait uniquement des gens intelligents, ayant une marge de manoeuvre suffisante, sans règles trop encadrées, et là ce serait merveilleux, il n'y aurait pas d'appels, mais il n'y aurait plus d'argent dans les coffres publics depuis longtemps.

M. Macdonald (Roderick A.): Pour répondre à votre question, je vous suis à 100 %. Dans le rapport Garant, qu'est-ce qu'on a comme déjudiciarisation? Rien! On dit la formule magique «déjudiciarisation», mais ça consiste en quoi? On pose cette question. Pour nous, la façon de répondre à cette question, c'est de dire à une commission quelconque – commission de sécurité ou agent de sécurité sur le revenu – O.K., si la procédure était déjudiciarisée, que feriez-vous? C'est quoi, l'important, en termes de procédure? Taratatata. Et, après avoir cerné cette conception de l'affaire, il faut dire à monsieur: Écoutez, bel et bien, sauf que, l'enveloppe budgétaire, c'est x. Ce n'est pas infini. Étant donné que l'enveloppe budgétaire, c'est x, est-ce que vos procédures sont suffisantes pour remplir le mandat tel qu'énoncé dans la législation pour prendre compte de la réalité fiscale?

Je ne nie pas qu'il y ait des contraintes budgétaires et je ne veux pas que le client soit satisfait parce que le client a reçu tout ce qu'il a demandé. Ce n'est pas l'objectif. Mais il y a une étude formidable – malheureusement, ce n'est publié qu'en anglais – par un professeur à UCLA qui s'appelle «Why People Obey The Law». C'est le professeur Tom Tyler, et Tom Tyler a montré qu'il avait une grille d'analyse de 154 critères, et, selon lui, les citoyens sont satisfaits de la justice surtout pour des raisons comme les suivantes: On m'a valorisé comme citoyen même si je perds; on m'a écouté, pas en procédure formelle de justice; ma plainte fut traitée de sérieuse et non pas de frivole. C'est une étude absolument magnifique pour les gens qui songent à l'accessibilité à la justice administrative. Je vous la conseille.

Le Président (M. Simard): Merci. Une dernière remarque, peut-être, et le professeur Janda pourra revenir, mais c'est sur les nominations, pour m'accrocher à la question de mon collègue de Chomedey. Évidemment, ici, nous avons entendu un choeur, je pense, unanime nous demandant de dépolitiser les nominations, étant presque admis implicitement que politisation entraînait, disons, un éloignement des objectifs de compétence qui devraient être le point de départ d'une nomination. Je vous souligne que nous ne sommes pas ici devant des nominations à la Cour suprême des États-Unis ou du Canada, où un gouvernement, effectivement, plus libéral, dans le sens noble du terme, nommera des juges plus libéraux et un gouvernement plus conservateur nommera des juges plus restrictifs, et ça reflétera l'évolution d'une société. On connaît tout ça. Il ne s'agit pas de ça du tout, il s'agit de groupes de révision administratifs, de tribunaux de deuxième instance administratifs où on demande aux gens, essentiellement, de la compétence.

Mais vous dites que la compétence, dans le fond, ne s'exerce pas parce que les juristes ne font pas de vrai droit et que les experts ne font pas de véritable expertise, ne profitent pas vraiment de leur expérience, et qu'il y aurait une sorte de compétence sui generis dans chacun des tribunaux qui s'adapterait aux circonstances. Vous avez une approche très relativiste, disons, de la compétence des gens.

Êtes-vous bien conscient que, lorsqu'on parle de politisation des nominations, il s'agit de nommer des membres du parti pour fidélité à la cause et au parti et non pas, souvent, pour leur compétence initiale, et que ça peut être très dangereux? Enfin, c'est une hypothèse de départ, vous pouvez la nier, mais, pour arriver à ce que les citoyens aient confiance, qu'il y ait apparence de justice, est-ce qu'il ne serait pas mieux que les nominations échappent à cette logique?

M. Macdonald (Roderick A.): Je vais commencer, ensuite, Richard va continuer. Quand on parle de politique, il y a au moins trois niveaux de politique. Il y a grande politique qui veut dire: est-ce que vous êtes plutôt conservateur, est-ce que vous êtes plutôt libéral? Vous avez identifié cela. Le deuxième niveau de politique, c'est: à l'intérieur même des formations politiques formelles, est-ce que vous êtes membre de tel ou tel parti ou est-ce que vous soutenez tel ou tel parti? Est-ce que vous avez des croyances politiques de ce niveau? Troisième idée de politique, c'est la petite politique, la politique sale. Oui, il faut éviter les nominations politiques sales, mais prétendre que le deuxième et le troisième sont identiques, c'est faux.

D'après mon expérience, la prétention que la qualité des décideurs administratifs à Québec n'est pas bonne parce que c'est plein de petite politique sale, à ma connaissance, ce n'est pas vrai. Il se peut que peut-être une fois, deux fois, trois fois, je ne sais pas trop, il y en ait, des nominations comme ça, mais prétendre que le seul fait que c'est une nomination politique veut dire que c'est une nomination sale, c'est faux.

Le Président (M. Simard): Au niveau de la perception, si le justiciable perçoit qu'il est jugé par quelqu'un dont la principale compétence est d'avoir milité dans un parti politique, est-ce que vous ne trouvez pas qu'il y a une perte de crédibilité qui peut remettre en question l'efficacité du système?

(21 heures)

M. Macdonald (Roderick A.): J'accepte, mais je nie la façon dont vous...

Le Président (M. Simard): Ha, ha, ha!

M. Macdonald (Roderick A.): ...posez la question. Mais est-ce qu'il y a des nominations politiques où la seule compétence, c'est le fait d'avoir travaillé pour le parti x? À ma connaissance, non. Les partis politiques ont des milliers de «suppliquants»...

Le Président (M. Simard): Pas chez nous, hein, pas chez nous. Ha, ha, ha!

M. Macdonald (Roderick A.): ...qui cherchent des postes, et, sûrement, parmi ces milliers de «suppliquants», on peut trouver des gens compétents, et on le fait. On le fait! Et le seul fait que M. Untel ou Mme Unetelle soit péquiste, pour moi, O.K. – ou que ce soit un membre d'une autre formation politique – ça n'a rien à voir avec la compétence. Il y a une question de compétence et, ensuite, il y a le jugement politique. Parfait.

Le Président (M. Simard): C'est très intéressant. On peut être ou ne pas être d'accord, mais, enfin, c'est un point de vue d'une originalité évidente par rapport à...

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Simard): ...ce qu'on a entendu depuis quelques semaines. M. le ministre.


Conclusions

M. Bégin: Ah! J'aimerais simplement terminer, M. le Président. Je pense que les questions... Je voulais que vous puissiez, pour une dernière séance, poser à votre tour des questions. J'ai eu amplement l'occasion de le faire pendant les 28 auditions qui ont précédé celle-ci. On a entendu 28 groupes qui ont passé une heure avec nous à débattre de plusieurs questions de manière extrêmement intéressante, palpitante, puis, je dirais, surtout très contradictoire, parce que vous exprimez, encore une fois, un point de vue qui est tout à fait divergent de celui qu'on a entendu, et c'est ça, la beauté d'entendre beaucoup de groupes, c'est de ne pas avoir une seule et même version. Ce serait plate et ce ne serait pas très enrichissant. Le fait d'entendre différents points de vue, de regarder ça sous des angles différents, avec des nuances et des chocs différents, c'est la beauté de la chose.

Et j'aimerais profiter de cette dernière séance pour dire à quel point j'ai été intéressé par ce que j'ai entendu ici, à cette commission, et, ça, c'est de la part de chacun des groupes. À l'occasion, je me disais, avant de commencer: Bon, bien, je ne sais pas, j'ai l'impression que je n'apprendrai pas grand-chose. Et, finalement, c'était lorsque j'avais ce jugement-là que j'étais le plus frappé, parce qu'ils arrivaient toujours avec une personne, des idées, des points de vue qui ébranlaient les certitudes que je pouvais avoir précédemment, et j'ai trouvé ça extrêmement palpitant.

Moi, je voudrais remercier tous les groupes qui ont passé devant nous, y compris ceux qui sont devant nous présentement, pour la qualité du travail qu'ils ont fait. Les mémoires sont généreux, articulés, on sent qu'il y a eu un travail considérable de recherche et de présentation. Moi, j'en suis gré, du travail qu'ils ont fait. Je voudrais aussi remercier les gens qui ont participé à cette commission, depuis 28 heures, au moins, ensemble, les présidents; je vous remercie, M. le Président, de même que ceux qui vous ont à l'occasion et très occasionnellement remplacé.

Je voudrais remercier mon collègue d'en face, le député de Chomedey, qui a été présent constamment. Je le remercie, et ç'a été un plaisir de partager les heures qu'on a partagées ensemble. Je remercie également ceux qui vous ont accompagné de même que mes collègues, ici, qui ont été – sauf peut-être ce soir, on a une convention – présents tout au long de la démarche que nous avons suivie et qui ont posé aussi des questions extrêmement enrichissantes qui vont être d'un apport certain au moment de prendre des décisions concernant ce que nous avons entendu.

Je dois dire que, avant d'entamer cette série d'auditions, on avait déjà rencontré les 38 ou 40 organismes à mon ministère pendant une quarantaine de minutes chacun de manière à pouvoir leur permettre d'exprimer leur point de vue autrement que dans un forum qui est public et où on n'aurait pas pu dire autant ou aussi librement, peut-être, ce qu'ils pensaient d'eux-mêmes, ce qu'ils pensaient de leur passé et, surtout, de ce que devrait être leur avenir, parce qu'ils auraient été incapables de l'exprimer aussi ouvertement. Mais, par contre, on a tenté de contribuer en fournissant des questions, en posant des questions qui reflétaient leur point de vue. Je pense qu'ils ont été, à leur manière, extrêmement enrichissants pour les travaux de cette commission.

Enfin, je voudrais dire que j'espère qu'on sera en mesure de proposer quelque chose de très tangible et que nous ne serons plus placés dans l'obligation d'entendre une phrase: C'est la quatrième fois ou c'est la cinquième fois que je me présente...

Une voix: Ha, ha, ha!

M. Bégin: ...ici pour faire des recommandations, et j'espère que, après cette fois-ci, je n'aurai pas besoin de revenir une nième fois. Comme, hier, on a entendu quelqu'un qui, semble-t-il, avait ostensiblement accroché ses patins à l'égard de la réforme de la justice administrative en disant: Non, il n'y a rien à faire, ils ne veulent rien comprendre, je reste chez moi, et qui, provoqué par une déclaration qu'on a pu lire dans les journaux hier, s'est présenté devant nous et a laissé parler son coeur de manière remarquable et très enrichissante pour le groupe. Alors, j'espère qu'on n'aura plus besoin d'entendre ça, mais qu'on aura plutôt des gens qui viendront dire: Bon, bien, il y a cinq ans, ou il y a quatre ans, ou il y a 10 ans, il y a eu un groupe de travail qui a présenté quelque chose, ça s'est transformé en projet de loi. On a bien vécu, mais il serait temps qu'on fasse certains ajustements, qu'on apporte certaines modifications et que, là, on travaille à nouveau ensemble à modifier ce projet de loi.

Alors, merci à tout le monde, et j'espère être en mesure de répondre moi-même à ce que je viens de dire en fin de déclaration. Alors, merci, tout le monde.

Le Président (M. Simard): Merci, M. le ministre. M. le député de Chomedey.

M. Mulcair: Merci. Alors, très brièvement, à mon tour, il me fait plaisir d'abord de vous remercier, M. le Président, pour votre excellent travail tout au long de cette commission et pour votre approche tout à fait égalitaire dans la répartition du temps. Je tiens aussi à remercier le ministre. On s'est parlé au début de ce processus-là, et, même si, justement, certains dossiers sont plutôt de nature à provoquer des réactions partisanes, dans ce dossier-ci, je l'avais assuré de toute ma collaboration, et je le remercie pour ses bons mots qui me réconfortent dans le fait que j'ai réussi à rester fidèle à cet engagement.

Et quoi de mieux que de terminer avec une présentation qui vient bouleverser certaines idées reçues, chambarder certaines suppositions de base? Parce que, à chaque fois qu'on va passer à travers, qu'on va emprunter une nouvelle image, faire le tamisage de ce qui est passé devant nous, eh bien, ce sont des réflexions qui vont pouvoir justement aussi informer notre processus décisionnel.

Et je remercie encore une fois beaucoup M. Janda, M. Macdonald, de la Faculté de droit de l'Université McGill, d'avoir apporté autant d'éléments de réflexion à notre travail. Ils peuvent être assurés, de notre côté, que, malheureusement, on ne les laissera pas partir en paix. Ils ont ouvert eux-mêmes une boîte de Pandore et ils peuvent être sûrs que, du moins de notre côté, on va avoir sans doute des occasions de solliciter leur bienveillante collaboration et profiter de leur expérience dans d'autres occasions.

Merci encore, messieurs, d'être là ce soir.

Le Président (M. Simard): Alors, messieurs, je vais reprendre les mêmes mots que notre collègue de l'opposition: Vous avez fait une clôture de nos travaux tout à fait universitaire, c'est-à-dire en remettant en question tout l'équilibre de ce qui avait été savamment construit.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Simard): Je vous en félicite et vous remercie. Je remercie la commission. Enfin, c'est pour enregistrement surtout que je le dis, mais les travaux se sont déroulés dans un ordre et avec un souci d'efficacité tout à fait remarquables, et ç'a été extrêmement intéressant, cette série d'auditions. Maintenant, nous sommes, M. le ministre, dans l'attente d'un projet de loi qui sera, j'en suis certain, excellent, mais qui demandera certainement du travail, à partir de tout ce que vous avez entendu depuis quelques semaines.

Notre commission ayant accompli ses travaux, j'ajourne ces travaux sine die.

(Fin de la séance à 21 h 9)

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