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Version finale

39e législature, 2e session
(23 février 2011 au 1 août 2012)

Le jeudi 8 décembre 2011 - Vol. 42 N° 56

Mandat d'initiative - Entendre M. Pierre Marc Johnson, négociateur en chef pour le Québec dans le cadre des négociations concernant l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne


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Table des matières

Journal des débats

(Quinze heures neuf minutes)

Le Président (M. Drainville): Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Je constate que nous avons le quorum. Je déclare donc la séance de la Commission des institutions ouverte. Il y aura un peu de bruit, là, pour les deux prochaines minutes, mais ça me donnera le temps de vous résumer le mandat et vous résumer également les temps de parole. Ce qui est important, c'est que le silence se fasse lorsque M. Johnson prendra la parole. Alors, je demande d'abord à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.

Le mandat de la commission, il est de procéder à l'audition de M. le premier ministre, Pierre Marc Johnson, négociateur en chef pour le Québec dans le cadre des négociations concernant l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne.

Je salue M. le premier ministre, M. Johnson, on est honorés de vous avoir parmi nous aujourd'hui.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

**(15 h 10)**

La Secrétaire: Oui, M. le Président. Mme Beaudoin (Mirabel) est remplacée par M. Marceau (Rousseau); Mme Hivon (Joliette) par M. Kotto (Bourget); et Mme Roy (Lotbinière) par M. Bonnardel (Shefford).

Le Président (M. Drainville): Alors, la séance va débuter donc par une présentation de M. Johnson, puis nous procéderons à une période d'échange avec les membres de la commission. Pour la période d'échange, le temps sera réparti également entre le groupe parlementaire formant le gouvernement et les députés d'opposition. Le gouvernement disposera d'un temps de parole de 80 minutes; l'opposition officielle, d'un temps de parole de 53 minutes; le deuxième groupe d'opposition, d'un temps de parole de 13 minutes; les députés de Rosemont, Borduas et Crémazie disposeront chacun de 3 min 25 s; et, en séance de travail, il a été convenu de permettre au député de Mercier de participer à l'audition, et il disposera donc de 3 min 25 s aussi.

Je vous rappelle que les blocs incluent questions et réponses. Je vous invite donc, lors de la période d'échange, à poser des questions brèves, et en espérant que M. Johnson pourra nous donner des réponses qui seront tout aussi brèves. Je vais accorder une très, très grande importance au respect des enveloppes de temps parce que, dès qu'il y a dépassement, ça grignote le temps des autres. Alors, je vais être intraitable là-dessus, je vous préviens d'avance, je vais devoir interrompre dès que le temps sera écoulé.

Puisque nous avons débuté nos travaux à 15 h 5, j'aimerais savoir s'il y a consentement pour nous permettre de poursuivre nos travaux un peu au-delà de l'heure prévue, soit jusqu'à 18 h 5. Est-ce qu'il y a consentement? Consentement. M. le premier ministre est pris avec beaucoup de contraintes de temps, alors on ne pourra pas dépasser 18 h 5, on me l'a déjà signifié.

Alors, sans plus tarder, M. Johnson -- merci encore d'être là -- je vous invite à nous présenter les gens qui nous accompagnent et à procéder avec votre présentation. La parole est à vous.

Exposé de M. Pierre Marc Johnson

M. Johnson (Pierre Marc): Merci, M. le Président. Merci de cette invitation, à vous et aux députés de toutes les formations. À ma droite, M. Patrick Muzzi, qui est le directeur de la politique commerciale du MDEIE; à ma gauche, Me Véronique Bastien, une collègue et consoeur, et qui est avec moi dans ce dossier maintenant depuis plus d'un an et demi et qui gère l'information, y compris les téléphones des journalistes.

M. le Président, je vous remercie de me permettre de pouvoir exposer un peu l'état de situation de la négociation de cet accord entre le Canada et l'Union européenne, à laquelle le Québec participe d'une façon plus qu'active depuis maintenant plus de deux ans.

J'ai déjà eu l'occasion de faire une première présentation, devant à peu près les mêmes députés, je crois, il y a maintenant près d'un an et demi. Je suis en mesure d'abord de répéter un certain nombre de choses pour les cadrer et, deuxièmement, d'insister sur d'autres dimensions, étant conscient que c'est la période de questions, dans le fond, et les réponses qu'on me laissera y donner, compte tenu du temps imparti, qui permettront d'approfondir les choses.

D'abord un rappel rapidement. Vous voyez sur cet écran un certain nombre de données qui sont assez fondamentales et qui nous font comprendre que, pour l'Union européenne, nous sommes leur quatrième investisseur en importance; nous sommes la troisième destination en importance de leurs investissements; nous sommes les 11e partenaires commerciaux de l'Europe, bien après les États-Unis, la Chine, la Russie, le Brésil et l'Inde. Pour le Canada, cependant, pour nous, l'Europe, c'est le deuxième investisseur en importance sur notre territoire après les États-Unis, le deuxième partenaire commercial en importance après les États-Unis et un partenaire stratégique en innovation, en science et en technologie.

On voit, sur cette deuxième courbe, qu'à toutes fins pratiques nos exportations vers les États-Unis ont diminué. Nous sommes à peu près au niveau où nous étions en 1996, en chiffres absolus. Après être passés à un sommet, en 2000, de 63 milliards, nous sommes maintenant à environ 40 milliards d'exportations vers les États-Unis, pendant que, du côté européen, nous avons augmenté nos exportations sur les cinq dernières années, bien qu'il y ait eu un certain plafonnement, comme vous le voyez sur cette courbe. L'effet de l'ouverture de l'ALENA est donc plutôt terminé. L'augmentation, cependant, de nos exportations vers l'Europe à ceci d'intéressant, c'est que c'est un marché de 500 millions de personnes, très riche; deuxièmement, ce que nous y exportons est en très bonne partie de haute ou de très haute technologie: près de 76 % des biens que nous exportons en Europe sont de haute ou de très haute technologie. Ce qui veut dire que la valeur ajoutée et la qualité des emplois qui y sont reliés sont d'une très grande importance pour l'économie du Québec et ses citoyens.

Pourquoi négocier avec l'Europe? D'abord parce que nous partageons des éléments d'histoire, il va de soi, avec l'Europe, mais aussi parce que nous avons des institutions qui s'inspirent de choses qui se font en Europe. Je penserai ici au régime parlementaire dans lequel nous oeuvrons ou le Code civil que nous avons. Nous partageons surtout des valeurs avec le monde européen. Ces valeurs sont basées sur la démocratie, la liberté, l'État de droit et une conscience que l'État, en tant que représentation collective de ce que nous sommes, a une responsabilité en termes de partage de la richesse. Nous partageons aussi avec l'Europe une volonté d'innovation constante et nous partageons finalement un certain nombre de défis avec les Européens que nous ne partageons pas avec nos voisins du Sud, qui sont si importants pour nous. Et c'est d'abord et avant tout le défi démographique: il y a un vieillissement de la population au Québec et au Canada, il y a un vieillissement important de la population en Europe, ce qu'on ne retrouve pas aux États-Unis.

Deuxièmement, de bien voir comment cela influencera les politiques publiques sur les années à venir. Ce sont des enjeux de très long terme qui justifient des efforts de coopération et de collaboration avec l'Europe. Suivant. Ça va.

Une voix: ...

M. Johnson (Pierre Marc): Pardon?

Le Président (M. Drainville): Continuez, ça va très bien.

M. Johnson (Pierre Marc): Ça va? Merci. Le rôle du Québec dans cette négociation provient d'abord du dynamisme qu'a déployé le gouvernement du Québec pour obtenir que cette négociation soit enclenchée, notamment parce que le premier ministre du Québec s'est rendu à Davos, et a fait de nombreuses rencontres en Europe, et, il faut bien le dire, a profité d'une certaine complicité avec le gouvernement français pour amener cette décision de l'Union européenne de demander à sa commission de procéder à une négociation avec le Canada.

Ce qu'il y a de particulier dans cette négociation, c'est la présence des provinces, pour la première fois, dans une telle négociation. L'Accord de libre-échange avec les Américains et ensuite l'ALENA, incluant le Mexique et les Américains, se sont négociés sans une participation institutionnalisée des provinces. Cette négociation, elle, se fait avec cette participation, en tenant compte évidemment du partage des pouvoirs des provinces. Et, s'il y a des questions là-dessus, il me fera plaisir de répondre quant au comment cela se déroule. Suivant. Voilà.

Le Québec a, dans cette négociation, ce qu'on appelle, dans le langage des négociations internationales, des intérêts offensifs et des intérêts défensifs. Ses intérêts offensifs sont d'abord et avant tout de pénétrer ce marché très riche de 500 millions de consommateurs par l'élimination des tarifs sur les produits que nous exportons, par l'adoption de règles d'origine qui permettent qu'un produit exempté de tarif soit bel et bien considéré comme canadien, même si de fait il a des composantes qui ne sont pas canadiennes -- et c'est le cas de beaucoup de choses, notamment des produits alimentaires qui contiennent du sucre, alors qu'il ne se fait plus de sucre ni au Québec ni au Canada, à l'exception d'une sucrerie en Alberta. Donc, ce que nous exportons, dans le secteur alimentaire, contient du sucre qui, par définition, doit venir de l'extérieur du Canada. Il faut donc, ces règles d'origine, qu'elles soient modifiées et qu'elles soient le plus souples possible pour tenir compte de l'intégration nord-américaine de l'économie québécoise.

Finalement, l'élimination ou, en pratique surtout, l'atténuation des barrières non tarifaires qu'on retrouve dans ce que certains parfois appellent la forteresse Europe. Et nous recherchons aussi une réciprocité raisonnable sur le plan des marchés publics et nous avons d'autres intérêts de grande importance: la mobilité des travailleurs, c'est-à-dire leur entrée temporaire et la facilitation de leur entrée temporaire sur le territoire européen, mais aussi la reconnaissance des qualifications d'un certain nombre de nos professionnels, l'attraction de l'investissement direct européen. Pourquoi? Parce qu'avec 13 fois plus de population l'Europe a au Canada un portefeuille d'investissements qui est légèrement plus élevé que le portefeuille d'investissements canadien en Europe. Donc, avec 35 millions d'habitants au Canada, on a à peu près 142 milliards de stocks en Europe, et les Européens ont ici à peu près 163 milliards. C'est un déséquilibre réel sur le plan des flux des capitaux, et, en principe, nous devrions souhaiter que cette entente mène vers une accélération des investissements européens en territoires québécois et canadien.

**(15 h 20)**

Finalement, il faut resserrer les partenariats dans un certain nombre de secteurs et la coopération, notamment dans le secteur de la science et de l'innovation. Suivant. Ces secteurs de coopération impliquent aussi le développement durable, le travail, l'environnement, la coopération réglementaire. Donc, une source, on le sait, de ces obstacles à la liberté de commerce est souvent dans la réglementation. Il ne s'agit pas de s'imaginer qu'on va harmoniser la réglementation québécoise, canadienne et européenne, mais on peut penser que la coopération réglementaire permettra graduellement, sans pouvoir autant qu'elle soit totalement harmonisée ou même synthétisée... qu'elle permette une plus grande fluidité des biens et aussi un plus grand passage... une facilitation du passage des personnes.

Finalement, il y aura, dans le cadre de cette entente, une entente de nature plus politique, une sorte de négociation parallèle qui se déroule à la négociation commerciale et qui implique surtout des enjeux qui relèvent de la sécurité nationale ou de la politique étrangère canadienne, en termes de dissémination des armes nucléaires, et d'une série de mesures reliées notamment à la lutte antiterroriste. Suivant.

Voilà où nous en sommes. À ce stade, neuf séances plénières de négociation ont eu lieu, la dernière ayant eu lieu à Ottawa au mois d'octobre. Nous avons une séance de rencontres -- au pluriel -- qui est prévue au mois de janvier et au début de février avec les autorités européennes qui seront présentes, c'est-à-dire les négociateurs, pardon, européens qui seront présents. Et finalement nous aurons une rencontre... Nous savons qu'il y a en ce moment une rencontre, qui se termine aujourd'hui, entre les autorités fédérales et les représentants européens pour préparer la prochaine séance.

Il y aura éventuellement un Canada... un sommet Canada-Union européenne qui prendra acte éventuellement des accords dont auront convenu, d'une part, les négociateurs, mais aussi celles et ceux, au niveau du pouvoir politique, qui devront trancher dans les derniers enjeux les plus importants, comme cela se fait normalement dans ce type de négociations.

Permettez-moi d'ailleurs de rappeler que, sur la question de l'exemption culturelle avec les États-Unis, cela avait fait l'objet d'une négociation de toute dernière minute, dont M. Baker, l'ancien secrétaire d'État, disait, dans sa biographie, récemment qu'il ne comprenait toujours pas pourquoi, alors que, nous, je pense qu'on comprend très bien pourquoi. Mais, cela dit, il faut des interventions politiques sur certains sujets dans ce type de négociations, à la toute fin, et on peut s'attendre à ce que ça se passe dans cette négociation comme dans les autres.

Les offres ont été déposées au mois de juillet en matière de tarifs et de marchés publics. Au mois d'octobre, nous avons assisté à l'échange des offres en matière de services, de services financiers et d'investissements. Et, en fin de parcours, il restera, comme je le disais tout à l'heure, les enjeux les plus sensibles.

Les tarifs, les règles d'origine et les obstacles techniques au commerce, brièvement un rappel. Les tarifs canadiens sur les produits provenant d'Europe, enfin, ou d'ailleurs et qui ne font pas l'objet de l'entente libre-échange avec les Américains ou avec d'autres pays sont des tarifs qui sont en général deux fois moins élevés que les tarifs européens sur nos biens. Et il faut tout de suite comprendre que, pour nous, il y a un avantage offensif à l'abolition des tarifs, la différence étant de l'ordre du simple au double dans certains cas et même beaucoup plus que ça dans d'autres.

Deuxièmement, les règles d'origine, je l'ai évoqué tout à l'heure, doivent s'assouplir pour les fins d'intégrer la réalité, dans le fond, de notre secteur manufacturier, qui est très intégré, en termes nord-américains.

Et finalement les obstacles techniques au commerce donneront lieu à deux séries de considérations, une première série reliée à l'accréditation des produits. Je m'explique. Quelqu'un qui, en Beauce, fabrique une pharmacie murale en plastique et en verre doit obtenir l'accréditation de son produit pour pénétrer le marché américain... le marché européen, pardon. Pourquoi? Pour... au nom de quoi? Au nom de la sécurité du public, au nom de la sécurité de l'environnement. En ce moment, cela condamne nos industriels à devoir se rendre en Europe, passer à travers des processus qui sont très longs et qui sont très onéreux. Il faut comprendre que la réglementation européenne et la réglementation canadienne et les standards sont souvent très différents, nous étant essentiellement enlignés sur les pratiques nord-américaines, les Européens, sur leurs pratiques. Et souvent, dans de nombreux secteurs, c'est très différent.

Un des enjeux, c'est de faciliter la reconnaissance pour les entreprises de la conformité de leurs produits à la réglementation européenne en pouvant faire cet exercice ici même plutôt que d'être obligés, en Europe, de le faire. Et nous avons des organisations qui sont absolument habilitées à accorder des certifications, même en vertu de la réglementation ou des standards européens. Et nous souhaitons que des percées soient faites dans cette direction.

Deuxièmement, je le disais tout à l'heure, l'ensemble des obstacles techniques au commerce qui, eux, seront soumis, pourront faire l'objet de coopération, d'identification de priorités et parfois même de mécanismes qui permettent à des représentants d'ici de siéger, à différents titres, sur des comités qui élaborent ces standards ou ces réglementations en Europe.

En matière de services. En matière de services, c'est une dynamique extrêmement importante de cette négociation qui en fait une négociation qui va au-delà de l'ALENA, en plus des questions de coopération que j'ai soulevées tout à l'heure. Pourquoi? Parce que nous constatons d'abord que l'économie européenne comme l'économie canadienne sont des économies qui, en plus traditionnellement d'avoir des secteurs manufacturiers ou de richesses naturelles, de ressources naturelles, comme dans le cas du Canada et du Québec, très fortes... sont des pays qui ont une tendance à développer les services à vitesse grand V. Il faut souhaiter maintenant que les services puissent être rendus par des entreprises de part et d'autre de l'Atlantique, à partir d'ici vers l'Europe. Et nous avons là un marché absolument phénoménal qui intéresse déjà des gens qui sont dans des secteurs aussi variés que l'arpentage, l'informatique, les questions de design, la publicité, etc.

Deuxièmement, l'investissement. Je l'ai évoqué tout à l'heure, le stock des investissements européens au Canada est très bas, compte tenu de la population européenne et compte tenu de nos stocks d'investissements en Europe. Et il faut souhaiter que cette entente facilite ces investissements mais aussi que... et prenons pour acquis qu'à la fois le secteur privé et les gouvernements se prépareront à faciliter ce mouvement de capitaux qui favorisera de part et d'autre de la création de richesse et la prospérité.

La mobilité de la main-d'oeuvre est elle-même liée à cette question des services et des investissements, puisque, si nous vendons des produits pour lesquels on fait des services après vente en Europe, il est utile d'avoir des gens qui s'y rendent pour faire ce service. Ou, si nous vendons carrément des services techniques, comme c'est le cas dans de nombreux endroits, dans de nombreux secteurs de l'économie technologique, il faut s'assurer que les gens ont une plus grande mobilité.

Ça veut dire quoi en pratique? Ça veut dire qu'on souhaite que les permis de séjour temporaire soient facilités et qu'à la limite l'Europe accorde aux gens qui viennent du Québec et du Canada ce que nous accordons ici aux Européens, notamment à l'égard des séjours des conjoints, conjointes, notamment sur la période et la durée de l'émission des visas et la période et la durée, évidemment, où les gens peuvent être présents en Europe. Suivant.

Les marchés publics. Alors, les marchés publics, qu'est-ce que c'est? Les marchés publics, ce sont les approvisionnements de l'État ou les approvisionnements des organes de l'État. Dans le cas du Canada, c'est, en gros, 127 milliards. Si on prend la dimension qui est purement...

Le Président (M. Drainville): M. Johnson, je vous invite à vous préparer à la conclusion, il vous reste deux minutes.

**(15 h 30)**

M. Johnson (Pierre Marc): Oui. Je vous remercie. Madame m'avait fait signe, elle m'avait même dit 1 min 30 s, merci de me donner 30 secondes.

Les marchés publics, au Canada et au Québec, occupent une place plus importantes que dans la plupart des autres pays, en termes de pourcentage du PIB. Et ces marchés publics sont une source tantôt de création de richesse pour ceux qui en bénéficient, sur le plan de la vente de leurs services ou de leurs biens aux institutions publiques, mais en même temps celles et ceux qui vendent des produits ou qui vendent des services à l'extérieur du Québec veulent aussi avoir accès aux marchés publics de l'étranger. Si les marchés publics du Canada sont si importants, dans cette négociation, pour les Européens, c'est que c'est la partie la plus intéressante pour eux que de pénétrer un univers connu qui est celui des États et des organismes publics; ce n'est pas 35 millions de consommateurs canadiens, qui ont leur place, leur valeur, mais, quand on compare ça à la Chine, à l'Inde ou ailleurs, on est un petit peu moins nombreux. Les marchés publics sont une chose plus facile à comprendre et à saisir. Et c'est d'une façon réciproque que nous souhaiterions que, dans un accord, nous ayons aussi un accès raisonnable aux marchés publics. Je dis «raisonnable» pourquoi? parce que je ne vois pas nécessairement une symétrie absolue, leurs marchés publics étant 10 fois plus grands que les nôtres.

Je termine, M. le Président, en disant qu'il y a aussi la question reliée à la culture. Je sais que des questions me seront posées là-dessus, il me fera un grand plaisir d'y répondre. Et, puisque mon temps est limité, je vous dirai que je continuerai mes développements à coups d'une minute ou 30 secondes, selon le temps qu'on me laissera à chaque question. Merci.

Discussion générale

Le Président (M. Drainville): Merci, M. Johnson. On commence dès maintenant un bloc de 20 minutes avec Mme la vice-présidente de cette commission et députée de Gatineau.

Mme Vallée: Merci, M. le Président. Alors, M. le premier ministre, dans un premier temps, je tiens à vous remercier de votre disponibilité, parce qu'il n'y a pas si longtemps que ce mandat a été confié à la Commission des institutions, et je crois que l'ensemble des membres, l'ensemble des parlementaires apprécient grandement cette disponibilité que vous partagez avec nous et le temps que vous prenez pour venir donner un compte rendu, brosser un état de la situation, une année après -- parce que c'est notre deuxième rencontre.

J'aimerais, avant d'entrer dans les dossiers plus précis, parce que je sais que, de part et d'autre, on a des intérêts particuliers, on a des dossiers particuliers dont on souhaite s'entretenir avec vous, mais j'aimerais, d'une façon générale, que vous puissiez peut-être préciser, pour le bénéfice des gens qui sont avec nous dans la salle cet après-midi, pour le bénéfice des gens qui nous écoutent, de quelle façon cet accord-là ou la négociation permet au Québec de se positionner dans cet accord-là.

Parce que vous avez mentionné en introduction qu'il y a une particularité dans cette négociation-là: contrairement à l'ALENA, les provinces sont autour de la table des négociations, les provinces participent à cette négociation-là. Et évidemment le Québec a des intérêts historiques, a des intérêts particuliers, et j'aimerais que vous puissiez nous expliquer un peu de quelle façon le Québec peut prendre part aux différents pourparlers et peut défendre ses particularités, ses intérêts, autour de la table de négociation, contrairement à ce qui a pu se produire lors des négociations de l'ALENA.

M. Johnson (Pierre Marc): Je vous remercie, Mme la députée de Gatineau. Je vous dirais d'abord... Parce que c'est le Québec qui a commencé cette négociation, c'est-à-dire qu'il a initié la décision, il a amené les conditions qui ont amené le gouvernement fédéral à prendre la décision de procéder à cette négociation, par le lobby que le Québec a fait en Europe, par les interventions directes du premier ministre du Québec, d'un certain nombre de ministres, des fonctionnaires et responsables des bureaux du Québec en Europe, et donc un rôle de leadership dans l'ouverture.

Deux, dans la définition de la vision de cette entente, le Québec a poussé pour une vision qui en fasse un accord beaucoup plus large que simplement un accord en matière tarifaire, et touche d'autres dimensions économiques, et aussi d'autres dimensions que celles qui étaient économiques.

Par ailleurs, le Québec joue, dans cette négociation, un rôle dynamique. Je vous dirai que nous sommes en général la délégation la plus nombreuse, celle qui produit la documentation, je vous dirais, la plus étendue en même temps que la plus précise sur une série d'enjeux.

Et c'est un travail absolument remarquable qui est fait par les équipes du MRI... du MDEIE, dont vous voyez quelques-uns des représentants ici, avec la collaboration du MRI et la collaboration de non moins de 13 autres ministères, qui nous ont aidés à élaguer un certain nombre, à la fois, des objectifs que nous recherchions de façon très précise dans certains sujets, et évidemment des positions défensives du Québec sur un certain nombre d'enjeux.

Donc, ce leadership concret se manifeste par le fait que nous sommes extrêmement présents dans la délégation canadienne. Nous sommes présents aux tables dans les domaines de notre juridiction. Nous pouvons intervenir aussi dans des échanges avec le gouvernement fédéral, sur ses positions dans des domaines qui sont de sa juridiction mais qui sont de notre intérêt aussi, notamment les tarifs. On sait que ça nous intéresse dans certains secteurs plus que d'autres et que les intérêts ne sont pas toujours les mêmes, à travers le Canada, sur un certain nombre d'enjeux. Et nous avons une place, une voix au chapitre, et, je dois vous dire, qui en général est écoutée et entendue.

Finalement, j'ai eu l'occasion de rencontrer le négociateur en chef européen cinq fois en seul à seul, trois ou quatre autres fois en compagnie du négociateur fédéral ou de collègues des autres provinces, ainsi que de m'entretenir de façon systématique avec les représentants des autres provinces et du gouvernement fédéral à tous les niveaux, y compris au niveau ministériel.

Le Président (M. Drainville): M. le député de Portneuf. Ah! Mme la députée de Gatineau? Oui.

Mme Vallée: Bien, en fait, oui, j'avais une petite question complémentaire, parce que je sais aussi que ce sera l'objet de questionnement, puis je préfère qu'on l'aborde directement.

Je sais, M. le premier ministre, qu'il y a des éléments qui ne peuvent être rendus publics, au niveau de la négociation, et certains ont déploré le manque d'information, certains collègues de cette Assemblée ont déploré le manque d'information. Ça a malheureusement fait couler aussi un peu d'encre dans les médias. Mais on est en pourparlers de négociation, c'est déjà quand même assez exceptionnel que vous soyez présent et que vous participiez à l'exercice auquel on se livre cet après-midi. C'est assez exceptionnel que, cet exercice-là, on en est à sa deuxième séance en un an. J'aimerais qu'on puisse peut-être également expliquer certains éléments plus délicats et certaines restrictions que vous pourriez avoir cet après-midi dans la divulgation d'information.

**(15 h 40)**

M. Johnson (Pierre Marc): Je vous remercie de cette question, Mme la députée de Gatineau. Vous allez vous rendre compte, au fur et à mesure des questions, de là où je ne réponds pas, et pour des raisons de l'intérêt de cette négociation, hein? On se comprend qu'une négociation, même avec nos amis européens, avec qui nous avons toutes sortes d'atomes crochus, ce n'est pas une séance de bienfaisance. C'est une négociation commerciale, et il y a d'énormes intérêts qui sont en cause de part et d'autre, et un certain nombre de ces intérêts-là, pour pouvoir être, je dirais, protégés d'un bout à l'autre de la négociation, doivent être tenus au secret.

C'est d'ailleurs le choix qu'ont fait les 27 pays de l'Union européenne et l'ensemble des provinces et du gouvernement fédéral. L'Union européenne... la Commission européenne ne veut pas que les textes soient rendus publics, les pays d'Europe non plus -- les membres -- et, du côté canadien, pour le Québec, nous sommes dans une situation nouvelle, comme pour les autres provinces, où nous sommes consultés. Nous avons accès à la documentation secrète du gouvernement fédéral sur un certain nombre de dossiers extrêmement délicats, et qui impliquent l'intérêt public, et qui, s'ils étaient rendus publics, pourraient créer des mouvements de spéculation. Il faut comprendre qu'il y a une raison au secret, hein, une raison au secret quand l'État fait une négociation. Cette raison, c'est de protéger l'ensemble des intérêts des collectivités qui sont en cause, pour s'assurer que des gens ne partent pas avec des informations privilégiées et se mettent à en tirer un avantage, notamment un avantage spéculatif sur des marchés qui parfois peuvent être volatils.

Cela dit, j'ai procédé à de... non seulement moi, mais le ministère, nous avons procédé à de nombreuses consultations. Nous avons vu non moins de 100 personnes et groupes au cours de cette négociation, au Québec, et qui ont des intérêts de toutes sortes: dans le monde culturel; dans le monde industriel; dans le secteur de l'aluminium; dans le secteur du bois, des produits cosmétiques, des chaussures, du textile, des jeux vidéo, de l'aérospatial, des pâtes et papiers, des vins et spiritueux, de l'industrie pharmaceutique; les universités, l'industrie bioalimentaire; l'UPA -- que j'ai rencontrée à quatre reprises -- les groupes syndicaux; les ordres professionnels, que j'ai rencontrés également, les ordres professionnels, parmi lesquels ceux qui s'intéressent à cette question de la reconnaissance des qualifications; le monde de l'édition, de façon spécifique dans le monde de la culture en particulier; et des entreprises québécoises exportatrices de toutes sortes.

Et, en ce sens-là, oui, il y a eu des consultations, il y a une ouverture. Je n'ai pas refusé de rendez-vous autrement que ceux qui m'apparaissaient incompatibles avec les fonctions ou qui ne m'apparaissaient pas utiles, compte tenu de l'état du dossier. Donc, oui, on travaille dans la discrétion, mais, par définition, c'est ça, une négociation commerciale.

Le Président (M. Drainville): M. le député de Portneuf.

M. Matte: Merci, M. le Président. Bien, il me fait plaisir de vous souhaiter la bienvenue, et je vous remercie pour votre disponibilité. Lors de la dernière campagne électorale, M. Harper s'était engagé à protéger la gestion de l'offre en agriculture. M. Charest a déjà aussi pris un engagement, que c'était non négociable. Il y a plus d'un an, vous avez affirmé, M. Johnson, que la gestion de l'offre en agriculture n'était pas menacée dans la négociation. Est-ce que, 12 mois plus tard, vous maintenez votre affirmation?

M. Johnson (Pierre Marc): Oui, et je vous dirais: Plus que jamais, dans la mesure où j'ai entendu et le premier ministre Harper et le ministre Fast prendre des engagements à cet égard. D'abord, rapidement, pour celles et ceux qui seraient moins familiers avec la gestion de l'offre, on a choisi, au Québec comme dans à peu près une dizaine d'autres juridictions dans le monde, de soutenir la vie rurale et le monde agricole non pas par des subventions, bien qu'il y en ait quelques-unes, toutes acceptables aux yeux de l'OMC, mais par un système de gestion de l'offre qui consiste essentiellement à garantir au producteur qu'il aura un prix donné pour une quantité donnée de son produit et que ce prix-là sera payé par les transformateurs.

Donc, on transforme le lait en fromage, on transforme les oeufs en toutes sortes de produits secondaires et on transforme le poulet et la dinde en toutes sortes de produits bioalimentaires. Pour qu'un système comme ça fonctionne, il faut des barrières tarifaires autour, sinon ça ne fonctionnerait pas, hein? On négocie ça, puis soudainement ça se met à rentrer à pleins camions, du Sud ou bien non par l'Atlantique; on ne peut pas tenir le système. Donc, il faut maintenir ce système tarifaire: c'est ça, la logique.

Les Européens... Les gens de la Commission européenne, au début de cette négociation, ont parlé de l'agriculture, sachant que c'est le gorille de 800 livres dans le milieu de la pièce. Et, à l'occasion d'une rencontre tout à fait informelle chez le délégué du Québec, où il y avait un ensemble de négociateurs invités, j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec le délégué européen et lui demander s'ils avaient l'intention d'abolir l'ensemble des subventions à l'agriculture en Europe. Il a souri, et j'ai l'impression que ça a clos le débat pour un certain temps. Je demeure convaincu à ce stade, compte tenu des engagements du gouvernement fédéral, qu'il ne modifiera pas les tarifs d'une façon qui mettrait en péril le régime de gestion de l'offre.

Le Président (M. Drainville): M. le député de Portneuf.

M. Matte: Vous savez, M. Johnson, que, dans mon comté, dans Portneuf, l'agriculture, c'est important, il y a plusieurs agriculteurs. Puis, est-ce que je dois comprendre qu'ils n'ont plus à s'inquiéter, à ce moment-là, dans le sens que les produits laitiers et la volaille, les oeufs, à ce moment-là, ne seront pas affectés? On va pouvoir continuer, puis que ça leur assure, là... parce que j'ai vraiment besoin de rassurer les gens, les agriculteurs de mon comté.

M. Johnson (Pierre Marc): Alors, c'est la position que le gouvernement du Québec défend. C'est celle dont j'ai eu l'occasion de m'entretenir plusieurs fois avec les représentants de l'UPA et des fédérations concernées. C'est la position que j'ai transmise au gouvernement fédéral, à différents niveaux, et à ce stade c'est entre les mains du gouvernement canadien, qui a pris des engagements publics à cet effet. Je dirais cependant aux agriculteurs de Portneuf et d'ailleurs d'être vigilants jusqu'à la fin.

Le Président (M. Drainville): M. le député de Portneuf.

M. Matte: Aussi, une autre question connexe qui touche, là, les indications géographiques, ou l'appellation contrôlée. J'ai un fromager dans mon comté qui produit des fromages: du brie, du camembert. Puis on le sait que... je pense que, dans la négociation, actuellement, on veut protéger les produits, là, géographiques. À ce moment-là, est-ce que ça va changer, pour mon fromager dans mon comté, là, une façon de faire? Autrement dit, il produit, là, du camembert. Est-ce qu'il va... il devra changer son appellation? Est-ce qu'il va pouvoir continuer? En quoi cette négociation-là peut menacer la production de son fromage?

M. Johnson (Pierre Marc): Ça s'appelle la question des appellations géographiques. L'Europe a toujours été assez cohérente, à l'OMC, à l'Organisation mondiale du commerce, comme dans d'autres négociations, quant à sa volonté de protéger les appellations.

On comprendra que, si on fait un brie de Meaux ici, peut-être que quelqu'un à Meaux dirait: Bien, ce n'est pas un brie de Meaux puisqu'il n'a pas été fait à Meaux. C'est ça, le concept d'appellation géographique. Il y a de nombreux exemples; il y en avait même 3 000 au début de cette négociation, une liste qui a été considérablement réduite et qui est ramenée à moins de 200 à ce stade, et la négociation n'est pas terminée.

Il y a toutes sortes de façons de se protéger à cet égard et de protéger celles et ceux qui sont déjà dans des marchés avec un nom et qui ont investi sur le plan du marketing, en étant conscient cependant que, si vous portez le même nom qu'une entreprise qui, elle, a pris 40 ans à faire sa marque ailleurs dans le monde, vous profitez de ses efforts et ses investissements de marque. Donc, on peut comprendre les préoccupations légitimes des Européens là-dessus.

Mais, pour vous rassurer, je peux vous dire que, dans le cas de la mozzarella, ce n'est pas une demande de l'Europe, et Dieu merci, parce qu'il y en a pour plus d'un milliard, au Canada, par année, qui rentre dans toutes sortes de produits, y compris les pizzas que vous êtes obligés de manger tard le soir dans vos travaux. Je peux vous dire donc que ce sujet que vous évoquez à l'égard du camembert, du brie, de la mozzarella, en principe, il n'y aurait pas de problème dans la mesure où ce n'est pas un camembert, un brie ou une mozzarella qui prétend être d'un village italien ou français qui, lui, a fait sa marque autour de ça.

M. Matte: Donc, je voudrais bien m'assurer que j'ai bien compris. Le brie qui se fait à Saint-Raymond, dans Portneuf, s'il maintient juste le nom «brie», il n'y a pas de problème?

M. Johnson (Pierre Marc): Est-ce que c'est un brie de Saint-Raymond ou un brie de Meaux?

M. Matte: Non. C'est un brie de...

M. Johnson (Pierre Marc): Si c'est un brie de Saint-Raymond, il devrait se sentir assez à l'aise.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Matte: C'est beau. Je comprends que vous me donnez la bénédiction, le député de... Merci. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Drainville): Merci, M. le député de Portneuf. Alors, il reste deux minutes à ce bloc de la partie gouvernementale. Est-ce que vous souhaitez que je le reporte sur l'autre bloc, tout à l'heure, pour permettre la fluidité des échanges? C'est très bien. Merci. On va entreprendre tout de suite le bloc de l'opposition officielle avec le député de Lac-Saint-Jean.

M. Cloutier: Merci, M. le Président. Alors, à mon tour, M. Johnson, de vous souhaiter la bienvenue à l'Assemblée nationale, de même que Mme Bastien et M. Muzzi, qu'on a eu la chance, cette semaine, de rencontrer en briefing technique.

Alors, d'entrée de jeu, M. Johnson, bien je dois vous dire que le travail de l'opposition officielle est particulièrement difficile dans le contexte actuel: vous savez qu'on n'a pas accès aux textes, vous savez qu'on essaie de trouver les éléments les plus problématiques du mieux qu'on peut. Il y a eu quelques études de publiées, mais, elles aussi, ces études faisaient référence soit à des documents qui avaient été rendus publics, je dirais, de façon non officielle... Bref, le travail de l'opposition, dans le contexte actuel, est difficile.

Ceci dit, le Parti québécois a toujours été plutôt favorable aux accords de libre-échange. Ceci dit, on a une responsabilité de nous assurer, dans ce cas-ci particulièrement, qu'on a réponse à nos questions, parce qu'il y a plusieurs interrogations qui sont soulevées et qui sont importantes. Alors, j'ai l'intention de vous poser des questions relativement courtes parce que l'objectif que j'ai, c'est d'obtenir le plus de réponses possible afin de pouvoir, évidemment, soit de répondre à des enjeux qui nous apparaissent plus problématiques mais surtout aussi pour porter un jugement approprié sur l'accord qui est proposé.

D'abord, sur la gestion de l'offre, puisqu'on a abordé le sujet, pour mettre derrière nous cet enjeu, est-ce que, M. Johnson, vous nous assurez qu'on ne joue pas sur les mots? Nous, on a rencontré des représentants européens qui nous ont clairement dit que, pour eux, ils voulaient revoir les quotas. Alors, je comprends que le système de gestion de l'offre, en soi, pourra être maintenu, mais est-ce qu'en réalité vous pouvez nous donner la garantie que les quotas, eux, ne seront pas modifiés?

**(15 h 50)**

M. Johnson (Pierre Marc): Ce que je peux vous donner comme garantie, M. le député de Lac-Saint-Jean, c'est la garantie de ce que nous défendons comme position aux tables. Je ne peux pas vous donner la garantie de ce que sera le tarif ou même tout le système. C'est le gouvernement canadien qui va décider ça à partir de sa juridiction en matière tarifaire.

Cela dit, moi, je prends les engagements du gouvernement canadien pour ce qu'ils sont. Et j'écoute ce que le premier ministre du Canada dit. Et, le ministre responsable du Commerce extérieur du Canada, qui connaît très bien nos positions, il a dit qu'il ne remettrait pas en cause le régime de gestion de l'offre. Et voilà ce que je peux vous dire. Je ne peux pas aller au-delà de ça.

M. Cloutier: Je comprends. Notre compréhension à nous, c'est que, pour les Européens, l'enjeu, c'est les produits laitiers. Alors, ce qu'ils souhaitent, c'est de pouvoir exporter davantage de produits laitiers, et donc, par conséquent, augmenter les quotas. Il me semble que, si on joue dans les quotas, on joue nécessairement aussi dans la définition de la gestion de l'offre. Et, lorsqu'on nous garantit que la gestion de l'offre sera maintenue, il me semble qu'on devrait également nous garantir que les quotas seront maintenus tels qu'ils existent présentement. Est-ce que je comprends qu'on n'est pas à l'heure actuelle en mesure d'avoir cette confirmation-là?

M. Johnson (Pierre Marc): Je trouve intéressant que vous mentionniez que des personnes -- que vous n'avez pas identifiées, puis je ne vous demande pas de le faire -- en Europe vous ont dit que ce qu'ils recherchaient, c'était une augmentation de quotas. Alors, il y a deux choses à dire là-dessus. D'abord, il semble que la position européenne a évolué, si on vous a dit ça. Parce que la position européenne initiale, c'était de dire: On veut remettre en cause tout le système de gestion de l'offre au Canada. Donc, je pense qu'ils sont peut-être en train d'accepter qu'il ne sera pas remis en cause.

Deuxièmement, il faut être conscients qu'il y a des contingents. Il y a, dans le cas des fromages, 20 000 tonnes actuellement qui sont des contingents qui viennent de l'Europe. 66 % du contingent total, 13 472 tonnes, vient actuellement de l'Europe. Les fromages hors contingent sont taxés à 245 % pour les protéger, pour protéger nos producteurs.

Du côté du porc, il y a 82 000 tonnes de porc, au total, canadien qui se rend en Europe... non, de porc, au total, qui se rend en Europe, dont 4 624 tonnes seulement qui vient du Canada. Les tarifs hors contingent sont à 467 $ à 1 568 $ la tonne.

On voit bien ici que la protection du monde agricole passe par des approches souvent très différentes. Dans le cas de la gestion de l'offre, nous avons un système absolument, radicalement différent de celui des Européens, et parfois à travers des pratiques au niveau des tarifs ou des contingents où les gens ont trouvé historiquement des accommodements de part et d'autre. Je vous dis simplement que, quant à nous, nous défendons la position que j'ai évoquée tout à l'heure.

M. Cloutier: Est-ce que vous pouvez me garantir que les quotas ne seront pas...

M. Johnson (Pierre Marc): Je ne peux rien garantir, je vous l'ai évoqué, ce n'est pas nous qui décidons des tarifs.

M. Cloutier: Très bien, je vous remercie. Je vais aborder un autre sujet, concernant... qui sont liés aux investissements dans le Nord québécois. Vous n'êtes certainement pas sans savoir, pour avoir fait vous-même des déclarations publiques, qu'il y a d'importants investissements prévus dans le Nord québécois. Dans le chapitre de l'accord, il y aura un accord qui portera sur l'investissement, et il est fort à parier qu'on retrouvera une clause pour interdire les prescriptions de résultat. Les prescriptions de résultat sont des conditions établies par les gouvernements qui obligent les investisseurs, par exemple, à acheter localement, à transférer de la technologie dans le milieu local, à prendre des partenariats locaux ou à former des travailleurs locaux.

Alors, j'aimerais ça que vous me confirmiez que les prescriptions de résultat seront bel et bien des mesures qui seront présentes dans l'accord.

M. Johnson (Pierre Marc): Cette question a effectivement été évoquée dans la négociation, de part et d'autre, d'ailleurs. L'Europe a trouvé une pratique, au niveau de la communauté, d'interdire les prescriptions de résultat à l'intérieur même de la communauté. Cela dit, on se rend compte qu'en pratique il y a un certain nombre de façons de faire le tour des prescriptions de résultat qu'adoptent des États. Si on regarde, par exemple, dans le cas des marchés publics, pourquoi pensez-vous que Bombardier a des installations dans plus de 10 pays européens? En pratique, s'ils sont présents dans des pays européens, c'est qu'ils veulent répondre à des exigences européennes.

Oui, il est question de ça dans toutes les négociations qui touchent les échanges commerciaux. L'OMC en règle une forte partie, et le Québec se conforme aux normes de l'OMC et a accepté, à la fois dans l'ALENA et l'OMC, un certain nombre de restrictions, ce qui ne l'empêche pas d'avoir des pratiques, dans bien des cas, qui favorisent de l'emploi local ou de la recherche et du développement ou des choses qui permettent, dans le fond, d'avoir une approche, en termes de développement régional, qui donne des bénéfices autour de l'investissement à ceux qui sont près de l'investissement. Je ne peux pas vous en dire plus à ce stade-ci.

M. Cloutier: Par contre, vous me confirmez que c'est bel et bien un enjeu de discussion qui est sur la table présentement, donc il y a des clauses qui pourraient faire effectivement partie éventuellement d'un...

M. Johnson (Pierre Marc): Il y a des discussions sur tout, M. le député, tout.

M. Cloutier: Tout.

M. Johnson (Pierre Marc): Tout était sur la table, y compris la gestion de l'offre. Il y a des discussions sur tout, c'est comme ça qu'on a abordé cette négociation. Elle va finir avec moins sur la table, cela va de soi, que le tout.

M. Cloutier: Bien. Moi, ce que cherche à comprendre, M. le premier ministre, ce sont les répercussions sur le Québec. Et, dans un contexte où il y aura des investissements importants, où il y a un développement économique particulier concernant les mines... Je vais vous donner un cas. Mettons que le gouvernement du Québec décidait... ou obligeait les entreprises étrangères à venir investir chez nous, mais portant condition, par exemple, de collaborer avec des équipementiers québécois ou en les obligeant à embaucher une main-d'oeuvre locale, est-ce que vous pensez que ce type de mesure là serait conforme à l'accord en négociation présentement?

M. Johnson (Pierre Marc): Il y a déjà une partie de ces pratiques-là qui sont interdites par l'OMC et l'ALENA. Alors, il faut bien voir, hein, ce n'est pas aussi simple que ça en a l'air, là. Et ça a évolué beaucoup, là, sur le plan du droit du commerce depuis 25 ans. La tendance, c'est de réduire la capacité d'imposer de telles conditions, qui ne sont pas compatibles avec le fonctionnement normal de l'économie de marché. Pourquoi? Bien, parce que ça part d'un raisonnement de base qui est le suivant: Qui est responsable du développement économique? Alors, est-ce que c'est l'État ou est-ce que c'est les personnes et le capital?

Le monde dans lequel on fonctionne est un monde, maintenant, où on considère que l'initiative du développement est d'abord et avant tout celle du monde du capital, et des personnes, et des sociétés, et que le rôle de l'État est de protéger les citoyens, d'empêcher les abus et de voir au développement d'un certain nombre d'activités qu'il juge adéquat pour les collectivités. Si on ne retient pas ce principe-là, on est incapable de retenir la justification pour le Québec d'exporter 40 % de son PIB...

M. Cloutier: Mais il y a...

M. Johnson (Pierre Marc): ...parce qu'on exporte 40 % de notre PIB...

M. Cloutier: Oui. Très bien.

**(16 heures)**

M. Johnson (Pierre Marc): ...parce qu'il y a des centaines de milliers d'emplois au Québec qui dépendent de notre capacité d'exporter. Pour pouvoir exporter, bien il faut que les règles soient réciproques, dans la mesure du possible.

M. Cloutier: Ce que je comprends de ce que vous me dites, c'est que ce type de clause là, pour privilégier l'emploi local, pour privilégier les équipementiers québécois, par exemple pour le développement des mines, pourrait être perçu ou pourrait être interprété de façon contraire à l'accord. Je vais vous donner un exemple encore plus précis. À la page 43 du Plan Nord, on peut lire que, dans les priorités d'action en matière de logement social, le gouvernement indique que les programmes visant à fournir une main-d'oeuvre pour participer à la construction d'habitations devront favoriser explicitement les communautés locales et les communautés autochtones. Ça, c'est dans le Plan Nord. On dit clairement qu'on souhaite privilégier une communauté identifiée, comme les autochtones. Est-ce que ce type de clause là pourrait être contraire parce que justement perçu comme une prescription de résultat, élément qui est sur la table présentement?

M. Johnson (Pierre Marc): Ça va dépendre ultimement de comment sont rédigées ces clauses. Et, deuxièmement, ça va dépendre de comment on peut préserver pour le gouvernement canadien et les provinces la capacité d'intervenir. Je pense qu'à l'égard des communautés autochtones, c'est très clair qu'il sera facile de circonscrire la capacité des gouvernements d'agir en faveur des communautés autochtones, et je crois aussi qu'une partie de ce raisonnement peut s'appliquer aux communautés nordiques même si elles ne sont pas des communautés autochtones.

La prescription de résultat qui intéresse plus, je crois, les économistes traditionnels libéraux européens, c'est la prescription de résultat qui impose notamment des restrictions aux exportations et qui est une pratique courante dans certains États africains ou dans certains États asiatiques. Et je crois que, dans ce domaine comme dans d'autres, l'Union européenne cherche notamment à asseoir des précédents pour de futures négociations avec un certain nombre d'autres pays, notamment en matière d'interdiction aux exportations ou de restrictions quant aux exportations, qui sont considérées comme une prescription de résultat ou une contrainte qui est inacceptable aux yeux des investisseurs.

M. Cloutier: M. le premier ministre, je vais pousser davantage, je vais vous poser une question sur la transformation. Est-ce qu'on pourrait exiger, par exemple, qu'une compagnie minière transforme un pourcentage x sur le territoire québécois et y consacre un budget x pour s'assurer qu'il y a non seulement de l'exploitation, mais aussi de la transformation sur le territoire québécois? Est-ce que ça, ça peut être jugé contraire à l'accord américain?

M. Johnson (Pierre Marc): ...prix économique, ça, c'est une véritable restriction. Si on dit: Vous pouvez utiliser quelque chose, à condition de le transformer ici, alors qu'on ne le fait déjà pas... À moins qu'on décide de le mettre dans le système de réserve, dans l'accord, et ça, c'est possible aussi, mais on peut choisir, secteur par secteur, de faire des réserves pour permettre ce type d'intervention. Mais j'essaie de voir où vous voulez en venir quant au fonctionnement de l'économie, là, autour des restrictions. Est-ce que je dois bien comprendre que, pour vous, il faut que l'État puisse encadrer totalement l'activité d'investissement?

M. Cloutier: M. Johnson, l'objectif que j'ai aujourd'hui, c'est d'avoir accès à des réponses. Comme on n'a pas les documents, mon devoir à moi, c'est de vous poser des questions pour informer les Québécois; on portera le jugement approprié. Mais, comme je vous l'ai dit, d'entrée de jeu, le Parti québécois est plutôt favorable aux accords économiques, mais encore faut-il s'assurer que les répercussions soient bonnes pour les Québécois.

Je vais maintenant passer aux marchés publics. La section investissements est derrière nous. Or, vous l'avez dit d'entrée de jeu vous-même, l'ouverture sur les marchés publics est un enjeu fondamental pour les Européens. Alors, vous savez qu'une des questions en suspens, c'est certainement l'enjeu sur Hydro-Québec. Alors, je vous pose la question directement, là: Est-ce que, oui ou non, les contrats octroyés par Hydro-Québec sont soumis ou non... ou seront soumis ou non à l'accord?

M. Johnson (Pierre Marc): Je dois vous dire que les provinces, l'ensemble des provinces, avec le Québec, ont exprimé des réserves à l'ouverture des marchés publics de l'Hydro, et cela va probablement, aux yeux des Européens, réduire le niveau d'ambition de cet accord. La pratique existante, dans les «Hydro» au Canada et en particulier Hydro-Québec, que je connais, c'est une pratique où il y a beaucoup d'intrants européens, notamment au niveau des turbines. On parle ici, là, de centaines de millions par année d'achats faits en Europe, de centaines de millions, par année, de travaux spécialisés dans le secteur des services qui sont reliés à la construction, au transport et à la distribution d'un réseau hydroélectrique et dans d'autres secteurs électriques, notamment les éoliennes, les nouvelles énergies et le secteur nucléaire.

Je crois que ce que souhaitent les Européens, c'est de trouver un encadrement juridique qui leur permette de garder leur position. Et, jusqu'à maintenant, la position défendue par le Québec dans ce dossier a été de dire que nous considérions que ces marchés publics n'avaient pas à être ouverts... n'auraient pas à être ouverts dans cet accord, puisque la réalité, c'est que nous faisons déjà du commerce d'une façon très importante avec l'Europe à ce niveau.

M. Cloutier: Et qu'en plus Hydro-Québec... ou les contrats octroyés par Hydro-Québec ont également servi, comme vous le savez, comme politique de développement de l'économique québécoise pour favoriser, par exemple, les achats locaux ou des investissements dans certains secteurs d'activité. On peut penser que, dans l'accord, on y retrouvera la question des opérations de compensation... seront également des mesures présentes dans l'accord. On entend par «des opérations de compensation» des moyens utilisés par les gouvernements pour planifier le développement économique en privilégiant des politiques d'achat local par l'adoption de lois favorisant les entreprises ayant, par exemple, leur siège social sur le territoire.

Ce que j'essaie de savoir finalement, M. Johnson, c'est si ce type de disposition d'achat local par les institutions publiques, donc ces nouvelles institutions qui seraient soumises à l'accord, les commissions scolaires, les hôpitaux, les municipalités, etc., pourront continuer à inclure des clauses, par exemple, d'achat local.

M. Johnson (Pierre Marc): Encore une fois, c'est une affaire de nuance dans le vocabulaire, ce n'est pas tout blanc ou tout noir. Je vous dirai que, si je prends la description que vous faites des mesures de compensation... devait être retenue à 100 %, en pratique, là, on se retrouve, dans bien des cas, avec un fournisseur unique, avec l'effet que ça a sur les prix, et puis sur les prix que les contribuables paient pour avoir ce service ou ce bien.

On voit souvent les marchés publics comme étant une occasion de créer des emplois. On oublie parfois que ceux qui les créent sont les payeurs de taxes municipales, de taxes scolaires ou de taxes provinciales. Ultimement, est-ce qu'on a une vérité des prix quand on se retrouve avec des fournisseurs uniques? Oui, on crée des emplois à tel endroit. Est-ce qu'on a une vérité des prix pour le citoyen? Et notre économie devrait permettre de révéler quels sont ces prix. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas trouver des façons habiles, fines, intelligentes et justifiées de trouver un maximum d'impacts à certains endroits ou d'optimiser les impacts.

Mais l'ouverture des marchés publics, au Québec comme ailleurs, qu'est-ce qu'elle vise? Elle vise à donner des meilleurs prix aux institutions qui achètent, premier objectif; deuxième objectif: de rendre visibles ces prix; troisième objectif: de réduire les occasions de collusion entre les pouvoirs publics puis les pouvoirs privés. Et, cela dit, ce ne sont pas des mesures, même si elles étaient adoptées de façon générale et extrêmement radicale, ce qui ne sera pas le cas, ça ne veut pas dire que ça réglerait tous les problèmes. Mais il y est très clair que, quand on a une visibilité puis une transparence des prix, on donne une chance aux contribuables et puis on donne une chance à la transparence.

Le Président (M. Drainville): Et c'est ainsi que se termine ce bloc. Merci, tout le monde. On va maintenant retourner du côté de la partie gouvernementale avec le député de Jean-Lesage.

M. Drolet: Merci beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup, bonjour, M. le premier ministre, et votre équipe, merci d'être là. On sait que l'enjeu, en fait, de ce libre-échange, c'est les marchés publics, la culture, l'agriculture. Par contre, vous avez mentionné tantôt, dans votre présentation, l'importance aussi de la reconnaissance, naturellement, des travailleurs et des ordres professionnels, qui peuvent faire partie un peu du même genre de canevas qu'on en a fait, le gouvernement du Québec, avec la France. J'aimerais voir, avec ce niveau d'expérience là avec la France, quel est l'intérêt? Et comment se comporte ce genre de relation là, vu qu'à date il y a quand même pas mal de temps de fait? Et voir qu'est-ce que ça peut nous donner comme avantages, ici, pour cet accord-là?

**(16 h 10)**

M. Johnson (Pierre Marc): Sous l'angle particulier de?

M. Drolet: De la mobilité de la main-d'oeuvre.

M. Johnson (Pierre Marc): La mobilité de la main-d'oeuvre. D'abord, c'est un domaine de juridiction des provinces. Nous avons commencé, dans ce dossier, je dirais, à monter une côte abrupte où il fallait sensibiliser nos collègues des autres provinces à l'importance de ce facteur. Et quelques provinces, dont l'Alberta, la Colombie-Britannique et ensuite l'Ontario, ont emboîté le pas finalement, et de façon extrêmement constructive, et ont découvert dans cet accord France-Québec un modèle intéressant. Pourquoi? Parce qu'encore une fois, pour eux comme pour nous, on fait face à une pénurie de main-d'oeuvre dans les années qui viennent, et il faut faciliter, dans la mesure du possible, la mobilité des personnes notamment en reconnaissant leurs qualifications.

Cela dit, on est aux prises avec un enjeu qui, en Europe, est un peu plus compliqué parce qu'il ne relève pas que des États, il relève à la fois des États et de la Commission européenne. Pourquoi? Parce qu'il implique de la mobilité intraeuropéenne, et ça, ça relève de la commission, donc du gouvernement central, si on veut, alors que les autres questions relèvent des États membres, comme c'est le cas des provinces ici. Je vous dirai que je suis convaincu que cet accord contiendra des dispositions qui seront inspirées des principes de l'accord France-Québec.

M. Drolet: Parfait. Merci bien. C'est bien, c'est bien, dans mon cas.

Le Président (M. Drainville): Ça va, M. le député de Jean-Lesage? Merci. M. le député de Vimont.

M. Auclair: Merci, M. le Président. M. le premier ministre, à mon tour de vous saluer. Écoutez, un dossier qui est très important pour moi et, je pense, pour beaucoup de mes collègues et la population en général, c'est le coût des médicaments d'ordonnance. Ça fait l'objet de discussions. Moi, je suis un député de Laval, on a beaucoup de compagnies pharmaceutiques. On sait le rôle que le Québec a au niveau des pharmaceutiques, au niveau des médicaments de base, parce qu'on a posé des gestes, on protège déjà les brevets, et tout ça.

Mais on a entendu... Encore là, il y a beaucoup de monde qui écrivent, il y a beaucoup de ouï-dire, il y a beaucoup de choses qui se disent, qui sont répétées à gauche et à droite, entre autres sur l'impact que pourraient avoir justement les négociations sur le coût de nos ordonnances, le coût de nos médicaments. On a un système que les Québécois sont fiers, qu'on veut maintenir, et je pense que, vous, comme ancien premier ministre, c'est quelque chose également qui vous tient à coeur. C'est quoi qu'on peut s'attendre? À un impact... Parce qu'on parle, à certains endroits, de 785 millions de dollars de plus que ça coûterait aux contribuables québécois; en d'autres mots, ça pourrait mettre en péril la survie d'un régime comme le nôtre. C'est quoi, l'impact que vous voyez, vous, dans les négociations par rapport aux normes qui existent déjà en Europe versus les normes au Québec?

M. Johnson (Pierre Marc): Alors, cadrons un peu le débat. Il y a deux sortes de médicaments: les médicaments dits innovants, qui sont des molécules nouvelles et qui ont été mises au point par de la recherche et du développement, en général par de très grandes sociétés. Deuxièmement, il y a les médicaments qui sont dits génériques et qui sont en fait des copies de ces médicaments mais qui ne peuvent être faites qu'après avoir respecté des procédures de respect quant à la période où peuvent être rendues publiques les données de recherche, et, deuxièmement, le respect du brevet lui-même.

Les questions reliées aux brevets, que je viens d'évoquer, sont de juridiction fédérale, et c'est la loi fédérale qui décide de ces questions. Le gouvernement du Québec, au cours des années, a appuyé le monde de l'industrie innovante par différents programmes, encourageant la recherche et le développement, souhaitant vivement que les emplois de très haut niveau qui sont ainsi rendus disponibles permettent notamment à la grande région montréalaise d'en profiter, mais pas seulement à la région montréalaise, notamment aussi dans la région de Sherbrooke.

Cela dit, en bout de ligne, il y a toujours eu une tension entre le ministre des affaires sociales et le ministre du Développement économique sur ces questions. Le ministre des affaires sociales gère un système qui bouffe 43 % des revenus de l'État ou à peu près, les médicaments sont un instrument extrêmement important dans le système hospitalier, et, par ailleurs, le ministère de l'Industrie et du Commerce, historiquement, comme il s'appelait, lui voulait favoriser l'emploi des molécules innovantes.

L'étude que vous évoquez -- j'en ai pris connaissance, j'ai eu l'occasion de la voir commentée par des spécialistes -- est contestable à bien des égards quant à l'impact des coûts qu'elle évoque, mais elle soulève quand même une problématique qui est réelle et qui préoccupe des gens ici comme des gens ailleurs au Canada quant à son impact sur les coûts de santé.

Autre facteur dont il faut tenir compte, c'est l'évolution actuelle dans le secteur pharmaceutique. Il y a une plus grande... une concentration de plus en plus grande des très grands fabricants et des très grands innovants. Deuxièmement, la façon d'innover elle-même, sur le plan du modèle d'affaires, est en train de changer à cause de l'utilisation des technologies de l'information, où des parties de recherche se font aux quatre coins du monde et non plus seulement dans une ville donnée où on réunit les gens qui doivent se rencontrer tous les soirs. Et donc c'est une industrie en mouvance.

L'industrie pharmaceutique européenne a fait un lobby sûrement très efficace auprès de la commission, qui a revendiqué une amélioration des conditions de brevet actuelles qui sont consenties en vertu de la loi canadienne, et d'où le débat sur les coûts. Et je vous dirais que, oui, c'est un enjeu de négociation, puisque nous en avons entendu parler, et, oui, il y aura quelque part une décision de modifier ou non la Loi des brevets dans une direction ou l'autre dans les mois qui suivront cette négociation, par le gouvernement fédéral.

M. Auclair: Pour faire du pouce sur ce que vous venez de dire, au Québec, on a protégé les innovants pour une période de 15 ans. L'Ontario, elle, est beaucoup plus favorable aux génériques. Les représentations qui sont faites par les Européens, on s'entend que c'est les mêmes compagnies en bout de ligne, parce que les compagnies qui font du lobbyisme en Europe sont les mêmes compagnies qui développent et qui sont présentes sur notre territoire; qu'on parle de Sanofi-Aventis et autres, ce sont des compagnies qui sont chez nous.

Est-ce que le Québec... Vous l'avez dit, c'est en négociation, il y a des choses... il y a du «give and take» dans tout ça. Est-ce que le Québec, ayant déjà cette protection de 15 ans là, ne peut pas perdre un peu sa place au niveau économique? Parce que c'est un point important pour nous, parce que, nous, on a fait le choix des innovants, l'Ontario a fait le choix des génériques. Est-ce qu'à ce niveau-là nous pouvons... ou risquons-nous de perdre une place au niveau économique?

M. Johnson (Pierre Marc): O.K. D'abord, vous permettez une nuance. Le choix ontarien, je ne sais pas si c'est un choix, c'est l'évolution de l'industrie en Ontario qui a amené ça, mais essentiellement c'est 50-50. Alors, ils sont aux prises avec un dilemme un peu différent du nôtre. Et, ici, au Québec, il y a aussi des entreprises qui ne sont pas innovantes et qui sont dans le générique. Il faut être bien conscients de ça.

En bout de ligne, qu'est-ce qu'il faut voir là-dedans? C'est quoi, les objectifs? L'objectif, c'est de s'assurer qu'on a une qualité sur le plan des médicaments dont ont besoin les patients qui fréquentent notre système; deuxièmement, qu'on a un coût relativement raisonnable et que tout coût supplémentaire qu'est prêt à assumer l'État doit servir, à toutes fins pratiques, à un impact économique, qui est visible puis tangible, que sont des emplois dans certains secteurs. Ça, ce sont les objectifs du Québec et ce sont, en bonne partie aussi, les objectifs du reste du Canada.

Le gouvernement fédéral est parfaitement conscient aussi qu'il sera interpellé sur la dimension de la Loi des brevets par les Européens, et je crois qu'il est en train de préparer ses réponses à ces questions. Pour nous, je ne crois pas... À ma connaissance, la règle de 15 ans n'est pas remise en question par le ministère du Développement économique, qui, lui, garantit aux entreprises qu'à partir du moment où elles sont inscrites sur la liste des médicaments elles verront le plein remboursement de leurs médicaments au plein prix pour 15 ans. À ce que je sache, il n'y a pas de modification de cette politique au Québec.

M. Auclair: C'est beau, M. le Président.

Le Président (M. Drainville): M. le député de Vimont, on vous remercie. M. le député de Laurier-Dorion, maintenant.

**(16 h 20)**

M. Sklavounos: Merci, M. le Président. Bonjour à M. Johnson, merci d'être avec nous aujourd'hui pour répondre à nos questions, à nos préoccupations concernant cette négociation.

Parlons crise financière -- crise financière. Alors, lorsqu'on a décidé d'aller dans cette direction, vers l'Europe, notre deuxième partenaire commercial, c'était en quelque sorte pour réagir au fait qu'il y avait ralentissement aux États-Unis. On s'est dit: C'est une façon de diversifier un petit peu nos marchés, nos échanges. On regarde du côté de l'Europe: crise de la dette grecque, un sujet que je connais un petit peu plus que certains autres, bientôt italienne, risques de contagion, etc.

Lorsqu'on regarde les traités de libre-échange, c'est perçu... et c'est un garde-fou, si vous voulez, contre un élan qui pourrait devenir protectionniste. On l'a vu un petit peu au niveau des États-Unis avec «Buy America», le Congrès américain qui réagit de façon radicale, si vous voulez, si je peux employer cette expression-là, durant le temps des crises, évidemment; c'est des considérations électoralistes, c'est naturel, en quelque sorte.

Maintenant, si on est dans une situation où le négocie, l'accord, et l'accord est en place, on peut le considérer comme une façon... une protection contre ce type de protectionnisme. Mais, lorsque nous sommes en train de le négocier, parce que nous négocions en ce moment, et nous sommes en plein milieu de la crise, bien ça serait intéressant de savoir de vous... Parce que je suis convaincu que tout le monde dans la salle et les gens qui nous écoutent posent la même question: ils sont en train d'essayer de sauver les meubles en Europe, et, nous, on essaie d'ouvrir sur leur marché, essaie d'ouvrir sur notre marché... De votre point de vue, et, évidemment, on suit vos réponses depuis le début, il y a des choses que vous pouvez dire, des choses que vous ne pouvez pas dire, mais on est pas mal convaincus que cette crise affecte un petit peu le cours des négociations. Pouvez-vous nous expliquer un petit peu, nous parler un petit peu des conséquences envisageables de cette situation, le fait que vous négociez en pleine crise en Europe?

M. Johnson (Pierre Marc): Je vous remercie de poser cette question qui est sur les lèvres de beaucoup de gens. L'Europe passe en ce moment à travers un moment difficile sur le plan financier et budgétaire, pour un certain de nombre de pays, ce qui a d'ailleurs entraîné des troubles sociaux considérables, particulièrement en Grèce. Si vous me demandez si ça s'est traduit à la table? Non. Est-ce que ça va se traduire quelque part dans le processus? Ce n'est pas impossible, au moment où les hommes et les femmes politiques devront prendre la décision d'accepter ou pas une entente. Est-ce que ce sera un effet de distraction? C'est possible.

Cela dit, moi, je reviens aux choses fondamentales. Nous avons, au Canada, 0,5 % de la population du globe et nous sommes responsables de 2,5 % des échanges commerciaux du monde. Nous sommes une économie ouverte et qui doit le demeurer. Nous n'avons aucun intérêt à voir les sociétés avec qui nous commerçons se refermer sur elles-mêmes. Ce serait pour nous difficile, pour ne pas dire dramatique.

Deuxièmement, il faut être conscient que l'Europe, avec à peine 10 % -- mais c'est quand même beaucoup plus que nous -- de la population du globe, est responsable de près de 39 % des échanges commerciaux. Elle a aussi intérêt à ce que le reste du monde ne se referme pas. Ça, ce sont des faits économiques réels, durs, lourds, qui, je n'en disconviens pas, sont très loin parfois de la préoccupation politique passagère, idéologique ou partisane, des personnes. Mais ces faits lourds là, pour nous, c'est qu'il n'y a pas de réponse à notre progrès, à notre prospérité en se refermant. Et je crois que c'est aussi la réponse pour l'Europe. Ce sera peut-être difficile pour les hommes et les femmes politiques d'Europe, et même du Canada, que de le dire et le répéter à leurs concitoyens, mais je considère que, quant à moi, ce serait une bonne nouvelle pour la prospérité, pour le Québec, pour le Canada et pour l'Europe que nous concluions une telle entente qui réaffirme l'importance, la fluidité des biens, des personnes et des capitaux entre le continent européen, le Québec et le Canada.

M. Sklavounos: Si vous me permettez, M. Johnson, de revenir un petit peu sur le protectionnisme. Lorsqu'on voit des mouvements aux États-Unis, lorsqu'on voit des votes, la législation, et, je répète, le «Buy America» et d'autres de ce type-là, il y a plusieurs personnes qui se posent la question... On regarde du côté de l'ALENA, on dit: Ce n'était pas censé éviter ce type de situation, l'ALENA? Et je comprends, évidemment, vous êtes en train de négocier, quand même, mais on a l'exemple devant nous... Est-ce qu'on a appris quelque chose de l'ALENA et du fait qu'en quelque sorte quand ça va bien, ça va bien, là, tout le monde comprend ça; quand ça va bien, ça va bien, il n'y a pas de problème. Mais, quand ca va mal, et on nous parle de législations qui permettent, pour gagner une élection dans un État, ou dans un autre État ou ailleurs, de bloquer des marchés, comment est-ce qu'on répond? Qu'est-ce qu'on a appris de l'ALENA et du «Buy America» qu'on va essayer d'éviter avec cet accord? Parce que, honnêtement, là, c'est difficile à comprendre pour le commun des mortels. On se dit: Si c'est là pour protéger contre le protectionnisme, un traité de libre échange, mais on peut contourner si facilement en légiférant, des barrages... Qu'est-ce qu'on a appris qu'on va appliquer ou qu'on va essayer de ne pas éviter dans nos négociations avec les Européens?

M. Johnson (Pierre Marc): La première chose, M. le député, je crois, qu'on a apprise, c'est qu'il faut savoir diversifier ses exportations. Nous sommes extrêmement dépendants du marché américain. Et, quand il se referme, se contracte pour des raisons économiques ou des raisons politiques, dans le Congrès américain actuellement, il faut trouver des soupapes. Une des grandes soupapes que nous avons devant nous, c'est le marché le plus riche du monde qui est 500 millions d'Européens dont le revenu moyen est plus élevé que celui du Canada. Et cette négociation, les décisions, je dirais, des Américains, du Congrès américain depuis le début de la crise, en 2008, doivent nous confirmer qu'il faut absolument trouver des alternatives, non pas au marché américain, il est trop grand, il est trop près, nous sommes trop habitués, nous sommes trop interdépendants pour l'ignorer, mais il faut savoir augmenter nos territoires d'exportation. Et il y en a deux qui se présentent pour nous en ce moment, l'Europe et l'Asie.

Il est évident que, si on veut être un peuple commerçant comme nous le sommes, où près de la moitié de la richesse collective dépend de nos exportations, c'est un jeu difficile, parfois dangereux, et dans lequel on est obligés de se remettre en cause sur certains modèles traditionnels. Mais, moi, je pense que la prospérité des citoyens en dépend. Ce n'est pas vrai qu'en se contractant sur 8 millions d'habitants, en se refermant sur le plan de règles commerciales, ou même 35 millions, on va assurer la prospérité de nous, de nos enfants puis des générations à venir.

M. Sklavounos: Est-ce qu'il reste encore un petit peu de temps, M. le Président?

Le Président (M. Drainville): Il vous reste encore deux minutes.

M. Sklavounos: Deux minutes. Question très rapide: Est-ce que la Constitution européenne, la façon que c'est organisé, est-ce que ça comporte quand même des balises, qui ne sont pas présentes dans le modèle de l'ALENA à cause du fonctionnement des États-Unis, qui pourraient protéger contre un tel élan de protectionnisme à l'avenir? On parle de... une fois que c'est négocié et en place, est-ce que la Constitution européenne -- très rapidement, parce qu'il ne reste pas beaucoup de temps -- pourrait protéger?

M. Johnson (Pierre Marc): La Constitution européenne évolue. Je pense qu'il y a eu plus d'amendements constitutionnels en Europe en l'espace de 20 ans qu'il y en a eu en 150 ans dans l'histoire des États-Unis. Donc, ce n'est pas tellement sur le plan de la Constitution européenne, je pense, qu'il faut voir ça, mais sur le plan d'un accord international qui est un traité international qui peut faire l'objet, dans son système de résolution des conflits, de plaintes qui pourraient aller peut-être même ailleurs que dans des panels entre les Européens et nous, peut-être dans des panels tiers, y compris l'OMC. On verra quand on arrivera là.

Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise? L'Europe, ce n'est pas les États-Unis. Les États-Unis ont un mode de fonctionnement politique où le président des États-Unis peut donner toutes les assurances qu'il voudra à qui que ce soit, et, si ça ne touche pas les questions militaires, il n'a aucune garantie à offrir que le Congrès ne le contredira pas. Pourquoi? Parce qu'ils ont un régime de séparation des pouvoirs absolue, contrairement à nous.

Ici, une fois que le gouvernement prend une décision, on présume qu'il est au gouvernement parce qu'il y a la confiance de l'Assemblée nationale; s'il a la confiance de l'Assemblée nationale, il peut passer ses lois, donc le gouvernement se commet dans une direction où il pense qu'il peut faire adopter les lois. Aux États-Unis, c'est différent. Le président est d'un côté et le congrès est de l'autre, et le congrès peut voter des choses qui n'ont rien à voir avec ce que dit le président.

«Buy American», c'est un peu ça, c'est une situation où... de crise aux États-Unis, où le réflexe immédiat, c'est un réflexe protectionniste. Dans toutes les sociétés, y compris la nôtre, où il faut une forte dose de rationalité pour comprendre que, quand on est une économie commerçante et qu'on n'est pas que le terrain de jeu des autres, il faut s'assurer qu'on maintient les frontières ouvertes.

Je pense qu'en Europe l'application des règles sera différente qu'aux États-Unis. Et je le dis non pas à cause de la constitution ou des éléments constitutionnels européens, mais peut-être beaucoup plus à cause de la pratique qu'ils ont de l'utilisation de leurs tribunaux, d'une certaine ouverture. Et il faut se rappeler que c'est un continent commerçant, aussi.

**(16 h 30)**

Le Président (M. Drainville): Merci. Alors, nous entamons maintenant l'une de ces séquences plus périlleuses, M. Johnson. Alors, il y aura l'opposition officielle, par la suite le deuxième groupe d'opposition, et par la suite deux des quatre députés indépendants pourront poser leurs questions. Alors, M. le député de Bourget.

M. Kotto: Merci. Merci, M. le Président. M. Johnson, mes hommages. Si je vous ai bien compris, autour de la table, le Québec, par votre incarnation, a une participation plus qu'active. Alors, j'ai une assertion, c'est la suivante: Actuellement, le secteur de la culture ne fait l'objet d'aucune exception. Ce secteur est partie intégrante de l'accord, ce, en dépit du fait que les deux protagonistes aient été des défenseurs de la convention sur la diversité des expressions culturelles de l'UNESCO, et dans le but fondamental de protéger l'exception culturelle. Est-ce que je suis dans le vrai ou le faux?

M. Johnson (Pierre Marc): Alors, la position du Québec là-dessus a été affirmée, réaffirmée de façon radicale et claire: Nous tenons à ce que le domaine de la culture ne fasse pas l'objet de trocs commerciaux. Deuxièmement, nous tenons à ce que les gouvernements puissent appuyer, sans intervention de panels commerciaux, le monde de la culture en pouvant subventionner la culture, en pouvant protéger la culture, donc ne pas traiter la culture et le domaine culturel comme un objet de commerce.

Le gouvernement canadien épouse la même position, voilà le point de départ. En cours de route, on entend dire de façon informelle que les Européens, que la Commission européenne aura des choses à dire qui sont contraires à cette approche. Grand étonnement chez nous, puisque l'ensemble des États européens ont ratifié la convention de l'UNESCO en matière de diversité culturelle et qui tient compte de ce principe... de ces principes que je viens d'évoquer.

Cela dit, il y a eu peu d'échanges formels, parce que tout ce que nous connaissons aujourd'hui, c'est la position que, nous, nous avons. Et nous entendons que l'Europe a des velléités de préciser peut-être dans les textes cette exception. Mais on ne part de nulle part pour discuter, même pour discuter, là, de façon purement rationnelle, en ne présumant de rien. Il ne s'agit pas, nous, d'être tranchés dans une position qui se fait plaisir à elle-même parce qu'elle est radicale. Encore faut-il savoir écouter, mais on n'a rien à entendre en ce moment, et on n'a rien entendu jusqu'à maintenant.

M. Kotto: O.K. Dans un autre chapitre politique de ma courte expérience, j'ai eu, disons, le privilège de prendre la mesure de la distance qui séparait les conservateurs à Ottawa de l'objet culture, et leur, disons, approche ne m'a jamais rassuré.

Maintenant, quand viendra, peut-être, hypothétiquement, le moment de sacrifier la culture sur l'autel de cette négociation pour transiger, pour x ou y facteurs, est-ce que vous êtes en mesure de nous garantir que le Québec maintiendra sa position non négociable en faveur de l'exclusion des services audiovisuels et culturels, dans le cadre de ces négociations?

M. Johnson (Pierre Marc): Oui. On n'a pas de raison de changer, parce qu'on n'a rien devant nous qui propose quoi que ce soit à même nuancer ce qu'on a comme position. Alors, avant de répondre à votre question, il faudrait que je sache si on a besoin de nuancer ou pas la position, mais je n'ai rien qui, moi, me justifie de nuancer notre position. Donc, on est radical là-dessus, on a la position qui veut faire connaître un progrès à la convention de l'UNESCO. Nous avons une position qui veut protéger le monde de la culture et ses acteurs, et nous avons une position qui veut protéger la capacité d'intervention de l'État en matière de soutien à la culture et de protection de la culture. Je ne peux pas aller plus loin que ça. Deviner ce qu'il y a dans la tête des autres, c'est un peu difficile, qu'ils soient Européens ou Canadiens. Moi, je pars à partir des faits, des déclarations, des écrits.

J'ai cru constater qu'un certain nombre d'écrits, qu'on peut retrouver, du premier ministre Harper récemment ont semblé nuancer des positions antérieures. Notamment, il s'était déjà commis dans un discours inaugural, un discours du trône, à libéraliser le secteur des télécommunications, il y a quatre ans. Il n'en a rien fait. Et il a même dit à New York tout récemment qu'il fallait, en matière d'investissements, considérer que le Canada serait justifié de protéger certains secteurs, sans mentionner les télécommunications, ça va de soi. Mais on peut penser que ça peut peut-être aussi s'appliquer aux télécoms. Je ne le sais pas. Et, deuxièmement, je ne sais rien des appétits européens dans le secteur de la culture. Je peux deviner, je peux penser, je pourrais même croire que c'est purement tactique, pour nous forcer à une défense presque unique du dossier de la culture pendant qu'on négligerait d'autres intérêts. Notre position est claire, et le gouvernement canadien et les Européens la connaissent.

Le Président (M. Drainville): Très bien. Merci beaucoup, M. Johnson, M. le député de Bourget. Je cède maintenant la parole à M. le député de Shefford.

M. Bonnardel: Merci, M. le Président. M. le premier ministre Johnson, bienvenue. M. Muzzi, Mme Bastien.

Je veux approfondir et revenir sur la question de mon collègue sur la situation européenne. Je trouve, M. le premier ministre... Je vais vous parler aussi des États-Unis après, si on a le temps, mais vous connaissez la situation, les pays qu'on appelle les PIGS, le Portugal, la Grèce, l'Italie, des pays qui sont en situation de dette incroyable, face à des obligations de remboursement qu'ils ne peuvent faire; des banques françaises qui possèdent des titres de ces pays. Les Français, qui ont dit par sondage, je pense, la semaine passée, vouloir ravoir même le franc français.

M. le premier ministre, vous dites tantôt qu'on n'en a pas discuté, ou ce n'est pas sur la table. Je trouve particulier, parce que la situation européenne est assez inquiétante depuis presque un an, et même plus, déjà, hein, on parle de décote financière à toutes les semaines de banques, de pays, et vous dites ne pas en avoir discuté, ou ce n'est pas sur la table présentement. Est-ce qu'il y a un plan b? Est-ce qu'il y a un échéancier si, M. le premier ministre, l'Union européenne éclate dans les prochains six mois ou la prochaine année? Est-ce qu'il y a danger pour cette entente? J'imagine.

M. Johnson (Pierre Marc): Je vous remercie de cette question, M. le député de Shefford, qui vise à approfondir un peu la question précédente. Il faut bien comprendre que les gens que nous avons en face de nous, ce sont des fonctionnaires de la commission, ce ne sont pas des politiques. Je suis d'ailleurs, à la limite, le seul politique, entre guillemets, dans la mesure où j'ai eu une carrière politique, qui est autour de cette table. Le mandat de ces fonctionnaires de la Commission européenne est un mandat qui est restreint aux enjeux que j'ai décrits au tout début. Ils ne sont pas là pour avoir des conversations politiques, sauf peut-être dans les cocktails. Ça, c'est autre chose. Ils ont le droit. Mais ils sont très prudents. Ils sont comme chez nous, d'ailleurs, ils sont très prudents dans les cocktails.

Une voix: Ah oui?

M. Johnson (Pierre Marc): Oui.

Des voix: Ha, ha, ha!

**(16 h 40)**

M. Johnson (Pierre Marc): Alors donc, il faut regarder un peu de l'extérieur comme vous le faites, à partir de ce qui se passe, ce qu'on voit dans les nouvelles. On n'a pas d'accès privilégié à la réflexion politique à cette table. D'autres communications peuvent permettre ça, mais pas à cette table.

Deuxièmement, les fonctionnaires de la commission ont eu leur mandat en matière d'investissements au mois de septembre 2011, alors que, nous, on a l'ensemble de nos mandats depuis plus de un an, un an et demi. L'ensemble des mandats sont couverts, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y aura pas des modifications en cours de route, etc., comme ça arrive toujours dans ces négociations en fin de course, des nuances dans les mandats, mais ils ont eu leur mandat en matière d'investissements simplement au mois de septembre dernier. On peut comprendre pourquoi ils n'en parlent pas beaucoup.

Finalement, je n'ai pas à spéculer sur l'avenir de l'Union européenne. Bien sûr que, nous, on a besoin d'un interlocuteur si on veut qu'il y ait quelque chose qui marche. Donc, je ne suis pas de ceux qui pensent que l'Union européenne va éclater, et puis, si ça devait lui arriver, ce ne sera pas de notre faute, et on ne sera pas un élément causal de tout cela, c'est sûr. Mais on devrait en recueillir les résultats, cependant.

M. Bonnardel: M. le Président, est-ce que vous demanderez, de votre part -- vous êtes un ancien politicien, un premier ministre, à juste titre -- est-ce que vous allez demander des garanties? Parce que, bon, ça évolue rapidement. Vous connaissez bien la politique. Vous avez beau être devant des fonctionnaires, mais est-ce que vous allez demander de frapper un peu plus haut pour savoir exactement ce qui peut se passer dans trois mois, six mois ou même très rapidement, après les fêtes?

M. Johnson (Pierre Marc): Non. L'anticipation de ce qui va se passer dans trois mois ou six mois en Europe, je pense, ne relève pas nécessairement des hommes, des femmes politiques, j'irais plutôt vers les gens qui ont des boules de cristal et des jeux de cartes.

C'est complexe, les réactions individuelles des différents pays à la crise. L'évolution très rapide autour de la question de la dette dans les pays que vous avez énumérés est sûrement préoccupante. Et c'est pour ça, moi, que j'ai beaucoup d'admiration pour les fonctionnaires de la commission, qui ont maintenu la cadence, le rythme de cette négociation, qui est en voie d'accélération d'ailleurs quant aux enjeux, et en fin de course on verra.

Cela dit, quoi qu'il advienne, le marché de l'Union européenne telle qu'elle existe, et le marché des 27, demeure le marché le plus intéressant pour nos produits et nos services, et qu'il faudra... Et on n'a pas attendu la conclusion d'un accord qui n'est pas encore réglé pour commencer à exporter vers l'Europe. On le fait beaucoup déjà. Et il faut être conscients que souvent ces accords visent à figer dans un texte juridique qui donne des certitudes des pratiques qui existent déjà. Et une des vertus de cette négociation, c'est précisément de donner un niveau de certitude et de prévisibilité sur le plan des pratiques entre le Canada et l'Union européenne pour assurer celles et ceux qui prennent des risques d'investissement et qui prennent des investissements pour exporter ou importer qu'ils ont et qu'elles ont un cadre qui est stable.

M. Bonnardel: Merci.

Le Président (M. Drainville): Merci, M. le député de Shefford. Mme la députée de Rosemont.

Mme Beaudoin (Rosemont): Merci, M. le Président. M. Johnson, bonjour. Alors, étant donné que j'ai exactement 3 min 30 s pour questions et réponses incluses, je ne discuterai pas avec vous du type de mondialisation que personnellement, en tout cas, je favoriserais, par rapport à ce que vous avez dit tout à l'heure, et je ne vous parlerai pas de culture non plus, mais de ma frustration très grande de ne pas connaître les offres du Québec qui ont été déposées en juillet dernier.

Que les députés... qu'on n'ait pas l'ensemble du dossier, passe encore, mais il me semble que les offres du Québec... Et vous dites: Bien, les députés, dans nul pays, semble-t-il, n'ont été mis au courant des offres des différents gouvernements ou de la Commission européenne elle-même. Mais les députés du Parlement européen, eux, en tout cas, dans une commission du commerce international -- et j'ai un document ici, en anglais évidemment, parce qu'il y a 27 langues en Europe, mais on ne parle qu'anglais quand on négocie, ici comme là-bas -- mais, dans ce document, on dit bien, concernant un certain nombre de choses -- ça date de novembre: The member States received the canadian offer on... -- je ne sais pas quoi. The document was also sent to the Committee of the European Parliament.» Donc, ça veut dire qu'il y a quand même des députés qui ont le plaisir et la chance de savoir un peu ce qui se passe.

Mais, moi, ma question très précise, M. Johnson: Quand le Québec a déposé ses offres, en juillet dernier, est-ce qu'Hydro-Québec faisait partie de ces offres-là, concernant l'ouverture des marchés publics, en juillet dernier?

M. Johnson (Pierre Marc): La réponse, c'est non.

Mme Beaudoin (Rosemont): Bon. Alors, c'est extrêmement important...

M. Johnson (Pierre Marc): C'est pas mal, je vous ai laissé toutes vos minutes.

Mme Beaudoin (Rosemont): Oui. Parce que j'ai une deuxième question conséquemment, c'est très important. Donc, Hydro-Québec n'est pas... n'a pas été... c'est extrêmement important, ce que vous venez de nous dire.

Bombardier-Alstom, je veux savoir... Étant donné qu'il y a un an, quand on s'est rencontrés ici même, M. Johnson, c'était le jour où, imaginez-vous, en même temps qu'on votait la loi spéciale concernant, donc, l'entente de gré à gré entre Bombardier et Alstom. Je veux savoir si, à la suite de la négociation actuelle, il sera encore possible pour l'Assemblée nationale de voter ce type de loi spéciale protégeant des ententes de gré à gré, pour, disait-on à l'époque, le gouvernement disait à l'époque, créer des emplois, maintenir des emplois à La Pocatière?

Le Président (M. Drainville): En 30 secondes.

M. Johnson (Pierre Marc): La réponse, c'est que je ne peux pas vous répondre à ce stade-ci, parce que cet enjeu, qui est un des enjeux importants de la négociation, fait encore l'objet d'échanges.

Mme Beaudoin (Rosemont): Bien. Merci.

Le Président (M. Drainville): Merci, Mme la députée de Rosemont. Mme la députée de Crémazie.

Mme Lapointe: Merci, M. le Président. Je serai rapide, moi aussi. Merci d'être là, M. Johnson. Vous savez, ça représente des enjeux majeurs, cet accord de libre-échange, enfin, économique et commercial avec l'Europe. Ça représente des enjeux majeurs pour le développement économique du Québec, pour le développement de nos entreprises, particulièrement les PME, qui sont inquiètes, puis nos concitoyens. Il y a des grandes inquiétudes face au secret qui entoure ces négociations, puis je vous dirais aussi qu'il y a beaucoup de mécontentement dans la population.

C'est le premier ministre du Québec, c'est vrai, qui a initié... qui a initié, disons, cette ronde, ce nouvel accord, mais il n'en a plus le contrôle. Comme vous nous l'avez si bien dit plus tôt, finalement c'est le Canada qui a les deux mains sur le gouvernail. Et on sait que le Québec est à la table pour une raison bien simple, c'est que les Européens veulent avoir accès à nos marchés publics québécois, municipalités, commissions scolaires, etc. C'est plus de 30 millions de dollars. Et, si on parle des entreprises d'État... et vous venez de nous dire qu'Hydro-Québec n'avait pas été mis sur la table, j'espère qu'Hydro-Québec ne sera pas mis sur la table. Parce que tout à l'heure vous ne nous avez pas rassurés. Vous avez dit que les partenaires ont exprimé des réserves à l'égard d'Hydro-Québec et que peut-être ça va réduire leurs ambitions.

Alors, est-ce que vous pouvez rassurer les Québécois à l'égard des entreprises d'État, des marchés publics, là, des entreprises d'État?

M. Johnson (Pierre Marc): Merci, madame. On revient sur un sujet qu'on a déjà évoqué, mais je vais le reprendre avec un peu plus de précisions. Le total, au Canada, des marchés publics hors fédéral, donc les provinces, les territoires, c'est 127 milliards. Le Québec, là-dedans, a à peu près 28,5 milliards. Ça regroupe les ministères, les organismes, les sociétés d'État, les municipalités, le secteur de la santé et des services sociaux et l'éducation.

Hydro-Québec a, là-dedans, à peu près 2,5 milliards à 3 milliards. Donc, dans la mesure où nous ouvrons sur l'ensemble avant qu'on applique les seuils, on parle d'une offre qui tourne autour de 25 milliards et qui est intéressante, je crois. Ça ne veut pas dire que, du jour au lendemain, nos marchés publics, à toutes fins pratiques, vont être entre les mains des Européens, là, ce serait considéré qu'on est des incapables, à toutes fins pratiques, mais on va être en situation de concurrence dans ces marchés-là, c'est clair.

Et encore une fois, pourquoi? Parce que ce geste va nous assurer de sécuriser notre présence sur les marchés européens en échange d'un geste qui vise à ouvrir nos marchés publics, avec des exceptions. Deuxièmement, parce que la concurrence qui ressortira permettra que les payeurs d'impôt au Québec, quand leurs sociétés d'État, leurs commissions scolaires ou leurs hôpitaux font des achats, obtiennent les bénéfices de cette concurrence.

**(16 h 50)**

Le Président (M. Drainville): Et c'est là-dessus qu'on doit s'arrêter.

M. Johnson (Pierre Marc): Pardon. Oui, je vous en prie.

Le Président (M. Drainville): C'est très bien.

M. Johnson (Pierre Marc): Alors, j'ai terminé.

Le Président (M. Drainville): C'est très bien. Vous pourrez compléter peut-être au fil d'une autre question. Je vous remercie de votre collaboration. Mme la députée de Gatineau.

Mme Vallée: Merci. M. le premier ministre, depuis quelque temps, il y a eu plusieurs échanges, plusieurs préoccupations qui ont été mentionnés concernant l'eau. Parce que l'eau, au Québec, c'est une richesse collective, hein, on s'entend. Et puis d'ailleurs l'Assemblée nationale et les membres présents ici ont adopté la loi qui affirme le caractère collectif des ressources en eau, entre autres, et je pense que tous les membres autour de cette table se sont levés et ont appuyé cette loi-là du gouvernement.

Mais dernièrement il y a eu des grandes préoccupations au niveau de la possible privatisation des réseaux d'aqueduc, entre autres, des préoccupations sur la protection de cette ressource-là dans un contexte, évidemment, qu'on connaît, qui... Ici, on a, quoi, on a 500 000 plans d'eau au Québec. On a cette énorme richesse, et ce n'est pas une richesse qui est partagée partout. On fait l'envie de bien des gens un peu partout sur la planète. Alors, je vous pose une question -- j'espère que vous pouvez y répondre -- bien simplement, bien naïvement: Est-ce qu'on a raison de craindre cette privatisation-là des services municipaux, des services d'aqueduc?

M. Johnson (Pierre Marc): Tout en comprenant pourquoi on s'en préoccupe, je pourrai répondre très clairement à votre question que non, on n'a pas besoin de craindre. Pourquoi? La situation actuelle en matière d'acheminement de l'eau vers les personnes, au Québec, est régie par deux cadres: le cadre de la loi que vous avez adoptée autour des enjeux touchant l'eau et qui en font un bien public et, deuxièmement, le cadre municipal, qui est neutre à cet égard et permet aux municipalités, si elles le décident, dans une communauté donnée, d'impartir ou d'envoyer ailleurs leurs services d'aqueduc et d'égout pour les faire gérer, en partie ou en totalité, par d'autres que ses propres fonctionnaires. Ce droit, les municipalités l'ont aujourd'hui, et cet accord ne change rien. Il n'augmente pas cela, il ne le diminue pas, il est neutre à l'égard de cette question.

Donc, le débat, ce n'est pas autour du CETA qu'il faut le faire, ce n'est pas autour de ce projet d'accord qu'il faut le faire. Si des gens veulent faire le... Par exemple, les cols bleus de Montréal ont déjà fait cette bataille il y a plusieurs années, appuyés en cela par le professeur Lauzon et quelques autres de l'Université du Québec. Je me souviens de ça. Et c'est un débat qui est continu mais qui ultimement est une décision de la municipalité puis de la communauté, qui décide de faire ce qu'elle veut en termes d'acheminement de ce service aux citoyens. L'accord ne viendra rien changer.

La seule conséquence de l'accord quant à cela, c'est que, si une municipalité décide d'ouvrir son service à l'impartition au secteur privé, elle ne pourra pas dire à quelqu'un qui a déposé une soumission: Vous n'êtes pas admissible parce que vous êtes Européen. Vous êtes admissible si vous êtes Européen comme vous êtes admissible si vous êtes Québécois ou Canadien. C'est simple, c'est juste ça. Alors donc, non, on n'est pas dans l'eau dans cet accord.

Mme Vallée: Vous avez mentionné tout à l'heure, dans un autre ordre d'idées, vous avez parlé qu'un des buts de l'accord, c'était justement de fixer, de figer les pratiques qui existent déjà, pour rassurer les investisseurs, pour rassurer un peu tout le monde. Dans les pratiques qui existent déjà, il y a aussi nos pratiques et nos visions en matière d'environnement. Au Québec, on a quand même des préoccupations environnementales, je crois, qui sont probablement beaucoup plus fortes que celles mêmes de nos collègues canadiens... certains de nos collègues canadiens, et on a des préoccupations environnementales, aussi, peut-être différentes d'autres membres de l'Union européenne. Alors, comment assurer que nos pratiques actuelles seront respectées dans un éventuel accord?

M. Johnson (Pierre Marc): Vous avez raison de soulever cette question qui est importante, elle pourrait toucher... En fait, on pourrait faire un séminaire d'une journée là-dessus. Mais brièvement je vous dirais que l'environnement va faire l'objet d'un chapitre en lui-même et qui conclura en bonne partie sur la nécessité d'établir des régimes de coopération. Ces régimes de coopération visant les pratiques environnementales, favoriser les échanges en matière de technologies environnementales, etc., n'étant pas sujets au mode de règlement des différends de nature commerciale, ce chapitre sur la coopération, et l'Union européenne s'est marquée intéressée par les textes présentés par le Canada, qui avaient été largement inspirés par ceux que le Québec avaient produits. Deuxièmement, il y a un parti purement réglementaire.

Alors, on le sait, on gère l'environnement, on protège les citoyens à travers notamment de la réglementation, mais on sait aussi que cette réglementation parfois peut être utilisée pour des fins commerciales. On pourrait en donner des dizaines d'exemples. J'ai passé d'ailleurs une partie de ma vie universitaire à m'intéresser à ces questions. Et nous savons que, dans le cas de l'Europe, de temps en temps, notamment à travers le programme REACH, au nom de l'environnement, on a limité de façon importante l'accès à des biens qui n'étaient pas européens sur leurs marchés.

Alors, nous, on pose la question très franchement en matière de coopération réglementaire. Et ce qu'on cherche, c'est une voix au chapitre, c'est un endroit où on peut être entendus, et ce sont un certain nombre d'engagements, et nous travaillons, pour l'essentiel, sur le chapitre de coopération environnementale.

Mme Vallée: Merci.

Le Président (M. Drainville): M. le député de Vimont.

M. Auclair: Merci, M. le Président. Au niveau agricole, bon, vous avez bien répondu aux questions, aux interrogations, aux inquiétudes de mon collègue. C'est sûr que, bon, il reste certains... Comme vous dites, il faut demeurer vigilants. Ça, c'est bien pris en note.

Un autre... Un élément qui... Vous avez parlé de la réglementation. Moi, je regarde un peu les produits que nous avons chez nous, au Canada, au Québec. On utilise énormément d'OMG, c'est quelque chose quand même qui est présent dans beaucoup de produits. Les Européens ont des règles très strictes, ils ont vraiment des règles qui font en sorte que... J'essaie de voir, nos produits à nous, comment est-ce qu'ils pourraient traverser l'Atlantique, si on a ces règles-là qui sont là qui disent: Bien, ça fait partie de nos questions réglementaires.

Est-ce que vous pouvez nous donner un petit peu une idée, parce que je sais qu'ici, au Québec, on met l'emphase beaucoup sur le bio, mais c'est en croissance. On est loin des normes européennes. On est loin de ces habitudes-là. Comment est-ce que le Québec peut trouver son compte, si les Européens, avec leur réglementation puis autre chose qui peut nuire justement à l'entrée de nos produits...

M. Johnson (Pierre Marc): C'est un enjeu de cette négociation. C'est une préoccupation sur laquelle les Européens nous ont entendus longuement. Je ne sais pas s'ils nous ont attendus longuement, mais ils nous ont entendus longuement. L'exemple classique, qui est donné particulièrement par les producteurs de céréales de l'Ouest, c'est que vous pouvez avoir un cargo plein de blé ou d'une céréale donnée, si, à l'intérieur de ce cargo, il devait y avoir quelques grains qui sont des grains OGM, on peut interdire l'accès de ce cargo à un port européen. C'est vrai que ce sont des normes sévères, et c'est probablement un très bel exemple d'utilisation de l'argumentaire en matière de santé, ou de sécurité alimentaire, ou encore en matière d'environnement, pour adopter un comportement qui est en fait protectionniste.

La réponse à ça, vous diraient les économistes archilibéraux, c'est: Bien, écoutez, mettons fin à la réglementation. Il n'en est pas question. Il y a un rôle de réglementation pour la protection des citoyens qui doit être assumé par les autorités publiques dans les démocraties, et cela est fait. Il s'agit maintenant de trouver des lieux où on peut s'en parler, cas par cas, morceau par morceau, enjeu par enjeu, et où graduellement les engagements que peuvent prendre de part et d'autre le Canada et l'Union européenne permettront de trouver des réponses à certaines préoccupations particulières, mais pas à toutes.

**(17 heures)**

M. Auclair: Si on continue dans ce dossier-là, parce que ça peut... on peut étirer... Je vais même prendre les produits qui sont transformés, parce que, là, on parle... Bon, vous donnez l'exemple des OGM. Si on prend des produits transformés, encore là, il y a les règles de commerce qui vont s'appliquer et qui vont faire en sorte que toutes les négociations que vous êtes en train... dans lesquelles vous participez, on s'entend qu'on est toujours soumis à des règles internationales. Malgré les ententes qu'on va faire, qu'on espère qui vont se conclure, peut-être en 2012, selon ce que je lisais, là, dans vos diverses questions et interventions que vous avez faites, est-ce que cette réalité-là va faire en sorte, selon vous, selon ce qui est présenté, si c'est possible pour vous de nous le dire, que nos entreprises du Québec puissent également vendre ces produits... vendre nos produits?

Parce que, si, à l'interne, ils réutilisent des règlements internes, au niveau de la traçabilité et autres, qui font en sorte qu'on n'est pas capables de suivre, je comprends que le Québec peut... on va se rattraper peut-être deux, trois ans plus tard, mais là on va avoir perdu une bonne partie de marché, puis peut-être que nos marchés vont se faire envahir, aussi. C'est ça, les inquiétudes des gens, qu'ils nous posent, et c'est ça, l'inquiétude du marché. Donc, est-ce que, dans notre procédure... On dit 2012, on dit qu'on a des règles très strictes, est-ce qu'on va voir une étape qui va nous permettre à nous, à nos marchés, dans certains cas comme celui-là, de se rattraper, ou ça va être une entente qui va être globale, qui va affecter l'ensemble de l'oeuvre, dès que c'est signé?

M. Johnson (Pierre Marc): O.K. D'abord, rapidement, sur les OGM, j'y reviens, là, en voyant une note dans nos dossiers: la principale exportation du Québec en matière de céréales, c'est le soja, et il n'y a pas d'OGM dans le soja, donc on n'est pas touchés, en tout cas sur celle-là.

Deuxièmement, ce que vous évoquez, c'est, dans le fond, la mise en vigueur, puis... alors la mise en vigueur va prendre un certain temps. Une fois qu'on a conclu l'entente, elle va prévoir des calendriers, notamment en matière de tarifs, pour que les tarifs soient à zéro. Dans certains cas, c'est le jour de la mise en vigueur de l'entente, et, dans d'autres cas, ce sera plus long, comme ça a été le cas dans le cas de l'ALENA, on peut s'en douter.

Donc, il y a là, où stratégiquement l'adaptation est importante, une prise en compte de ces enjeux-là de part et d'autre, d'ailleurs. Nous sommes menaçants pour les Européens sur un certain nombre de produits, comme ils sont menaçants, entre guillemets, pour d'autres ou perçus comme l'étant ici. Donc, on peut prévoir qu'il y aura des périodes de transition et que ce n'est pas nécessairement du jour au lendemain que les choses vont s'imposer.

Donc, d'ici à la mise en vigueur de l'entente du CETA, si elle a lieu, nous serons dans une situation où ce qui existe actuellement va continuer. Donc, si, en ce moment, il y a quelqu'un, dans votre comté ou ailleurs, que vous connaissez qui exporte un produit donné du côté européen, il n'y a pas de raison pour laquelle il ne continuerait pas à le faire.

M. Auclair: Dans la même règle d'idées que ce qui peut limiter ou qui peut nuire un peu à notre compétitivité, les Européens, au niveau environnemental, aussi, sont, dans bien des domaines, très sévères, beaucoup plus sévères que nous le sommes. En tout cas, parmi les 27, il y en a qui seront nettement en avant de nous malgré qu'on fait beaucoup d'efforts. Est-ce que cette approche-là, environnementale, au niveau de différentes réglementations, peut également nuire à notre compétitivité et même nuire à certaines ententes ou la conclusion de certaines protections de dossiers?

Parce que, moi, je pense qu'on pourrait utiliser les mêmes arguments au niveau environnemental pour protéger des domaines, parce que les produits ne respecteraient pas tels, tels, tels critères. Est-ce que ça aussi, ça fait partie des dossiers qui sont sur la table? Est-ce que c'est des choses qui... Parce que, là, si on parle de Kyoto, qui est très à la mode, que le Canada sort de Kyoto, le Québec maintient ses cibles, est-ce que ça peut avoir des impacts dans l'ensemble des négociations?

M. Johnson (Pierre Marc): Pas sur la négociation proprement dite et sur les débats qui vont entourer l'adoption de l'accord éventuellement, une fois que ça va être dans l'arène politique, dans l'arène publique, un peu plus publique que ça, là. Ce que vous avez ici, c'est 1 000 pages, là, ce sont des articles de journaux, des transcriptions d'émissions, etc., et c'est déjà un peu dans le domaine public, on se comprend, mais ça va l'être beaucoup plus vers la fin. On peut s'attendre à ce que, du côté européen, au niveau du Parlement, des députés -- ils ne l'ont pas caché -- nous parlent de la chasse aux phoques, des émissions de gaz à effet de serre en Alberta, de l'utilisation de l'amiante, de l'île de Hans, qui est une île... qui est un rocher, en fait, de l'Arctique sur lequel le Canada et le Danemark ont des prétentions de souveraineté. Bon, on va entendre parler de tout ça, c'est sûr. Mais on se comprend que tout ça n'est pas contenu dans l'accord et que la solution à un certain nombre de ces enjeux réside dans d'autres négociations, d'autres accords ou d'autres forums.

Et je pense qu'on le verra, puis ça va être la tentation, je dirais, du discours politique à l'occasion et de la médiatisation devant l'acceptation ou le refus théorique de l'accord par les Parlements, on va entendre beaucoup parler de ces choses-là puis on va dire que tout ça, c'est dans le CETA, puis ce n'est pas dans le CETA, c'est aussi simple que ça. Et ça donne des bonnes tribunes, quand même.

Le Président (M. Drainville): M. le député de Jean-Lesage.

M. Drolet: Bien, juste pour le compléter, tout à l'heure, ma collègue... M. le premier ministre, vous avez... vous étiez rendu tantôt à parler des avantages sur le prix, le prix de la consommation. Parce que c'est quand même important pour le monde qui est... parce qu'on a plein d'enjeux qui sont au-dessus de... plein, des fois, de la capacité de la majorité des gens qui... On pense, puis vous en parlez depuis tantôt, mais la base, le terrain, et tout ça... On parle, tantôt, de transformation, on parlait des importances de nos entreprises locales, mais le consommateur, lui, le peuple, va-t-il avoir des avantages sur ça? Parce que vous étiez rendu là, vu qu'on vous a coupé dans le temps, par rapport aux prix, quand Mme Lapointe, ma collègue, vous a parlé.

M. Johnson (Pierre Marc): En théorie économique, l'augmentation de la concurrence par une offre diversifiée devant la demande donne des prix qui sont les prix que les gens sont prêts à payer, et la concurrence est celle qui permet, quand elle est véritable, de diminuer le prix. Et, en ce sens-là, notamment dans le cas des marchés publics, encore une fois, en bout de ligne, c'est vous, moi puis 4,5 millions de contribuables québécois, là, qui paient pour les services publics, à travers nos impôts, et on peut souhaiter, je pense, que chaque hôpital, chaque commission scolaire soit le plus efficace possible quand il achète des ordinateurs, des services d'entretien et tout ce qu'on voudra.

L'ouverture de ces marchés publics, à mon avis, aura deux effets: il aura l'effet non pas de permettre l'arrivée d'intérêts européens, ils sont déjà là... Ils sont déjà là, regardez autour de vous. Sur à peu près 1 500 entreprises de propriété étrangère, en ce moment, au Québec, il y en a plus de 691 qui sont européennes, et qui ont fait, lors du dernier trimestre... du premier trimestre, pardon, de 2011, 1,5 milliard d'investissements. Ils sont déjà là, et ils vont être de plus en plus nombreux, comme, nous, on va être de plus en plus nombreux à tenter de pénétrer les marchés européens dans plein de secteurs, pour qu'en fin de course on ait des véhicules récréatifs, de la chimie, du bois, du textile, du zinc, du magnésium, des produits de la pêche, des produits électroniques, du sirop d'érable et des bleuets qu'on puisse mettre sur le marché européen plus facilement, et qu'on puisse donner des services professionnels en architecture, en ingénierie, en arpentage, en gestion, en traduction, en consultation juridique, en comptabilité -- ça, c'est pour nous -- en comptabilité, en audit, en secteur immobilier, dans les services informatiques, l'information, les communications puis la recherche et le développement.

Et on est forts dans ces secteurs-là. On vient, si on conclut le CETA, d'asseoir comme il faut ce marché qui est en ce moment partiellement ouvert et qui nous sera de plus en plus ouvert. Je vous remercie.

Le Président (M. Drainville): Merci beaucoup. Alors, on enchaîne un bloc où on entendra quatre interventions: celle du député de Rousseau, suivie de celle du député de Shefford, suivie de celle du député de Borduas et du député de Mercier. M. le député de Rousseau.

**(17 h 10)**

M. Marceau: Merci. Bienvenue, M. le premier ministre. Bienvenue, M. Muzzi, Me Bastien. Pour qu'un accord de libre-échange soit signé, il faudra que les avantages dominent les inconvénients pour chacune des deux parties signataires au traité. Donc, pour le Canada, d'une part, et pour l'Union européenne, d'autre part. Mais on peut évidemment concevoir que les avantages dominent les inconvénients pour l'ensemble du Canada, mais pas pour le Québec. On peut concevoir que ce soit ainsi. Évidemment, ça pose la question du poids du Québec, de l'influence du Québec dans la négociation. Et vous savez comme moi que la Canada a changé depuis le début de la négociation.

La négociation a été entreprise avec un gouvernement conservateur minoritaire avec un certain souci du Québec et a depuis été remplacé par un gouvernement majoritaire conservateur, lequel a démontré par de nombreux gestes que le souci du Québec avait disparu. Je me permets de vous rappeler la loi sur le traitement des jeunes contrevenants, le maintien du registre des armes à feu, les contrats de construction de navires, pour lesquels des chantiers maritimes québécois ont obtenu 0 $ sur 33 milliards, l'unilinguisme du Vérificateur général, l'unilinguisme de certains juges à la Cour suprême. Bref, je vous documente simplement le fait que, depuis le début de la négociation, le Canada a changé.

Et, je vous le répète, nos intérêts, ceux des autres provinces, ceux du gouvernement fédéral, qui, lui, se préoccupe de l'ensemble du Canada, nos intérêts, donc, ne coïncident pas nécessairement avec ceux des autres. Et, question très simple: quel mécanisme existe ou a été mis en place qui va permettre de s'assurer qu'un accord de libre-échange à l'avantage du Canada mais au désavantage du Québec ne soit pas signé, ne voie pas le jour?

M. Johnson (Pierre Marc): Bien, je pense que la réponse est politique, fondamentalement, elle n'est pas technique. La réponse, c'est le poids politique réel que le Québec est prêt à jouer. Et je crois qu'il est prêt à jouer un poids politique considérable, puisqu'il a initié cette négociation.

Deuxièmement, la qualité de la préparation, sur le plan des enjeux. Je vous assure que les gens qui m'entourent, du MDEIE, ont une capacité exceptionnelle, qui a été reconnue, d'ailleurs, hein? J'ai eu des confidences de certains fonctionnaires, que je ne peux pas nommer, de certains ministères à Ottawa, qui m'ont dit que les meilleurs papiers qu'ils n'ont jamais reçus, sur un certain nombre d'enjeux, c'étaient ceux qui venaient du Québec.

Je vous dirais que la qualité de la préparation, la capacité de faire les arbitrages où il faut qu'on les fasse, sur le plan technique, puis la rapidité d'exécution d'un certain nombre de stratégies au niveau politique sont les meilleurs gages qu'on puisse donner au succès de cette négociation pour les intérêts du Québec, qui sont déjà largement pris en compte.

Cela dit, est-ce qu'on peut gagner sur tout, tout, tout le temps, sur toute la ligne? Par définition, non; pas quand on négocie. Quand on négocie, il y a un donnant, donnant quelque part qui se fait, puis ce donnant, donnant, il s'exerce même à l'égard de nos partenaires du reste du Canada. Parce qu'on peut honnêtement se poser la question: est-ce que l'Union européenne aurait négocié avec le Québec ou l'Ontario seulement? Je ne pense pas. On a un peu de difficultés à amener l'Union européenne à s'intéresser à l'ensemble du Canada avec 35 millions d'habitants.

Donc, on est dans une situation où objectivement il faut trouver quelque part des accommodements sur un certain nombre d'enjeux. Et on y travaille très solidement et, je vous dirais, très loyalement, tout le monde autour de la table. On a réussi jusqu'à maintenant à parler d'une seule voix. C'est pour ça d'ailleurs que, sur certains sujets, les gens étaient silencieux.

Mais il faut s'assurer qu'on puisse parler d'une seule voix quand on fait des consensus. Et, un consensus, je vous le rappelle, ce n'est pas l'unanimité. Le consensus, c'est la décision, dans un groupe, pour l'ensemble des participants, de vivre avec le résultat de la décision. Et, théoriquement, un consensus de 20 personnes peut être exprimé par deux personnes, puis, si personne ne s'y objecte, vous avez un consensus. Enfin, ce n'est pas des choses que je vais expliquer à un collègue d'un parti politique.

Une voix: ...

Le Président (M. Drainville): ...une minute pour les questions et réponses.

M. Marceau: Bon, regardez: Est-ce qu'il existe un mécanisme formel, est-ce qu'il existe une façon de faire formelle qui a été mise en place dans l'éventualité où, à la fin de la négociation, vous constatez que l'accord ne satisfait pas le Québec, même s'il satisfait l'ensemble du Canada? Formellement, un mécanisme formel.

M. Johnson (Pierre Marc): Oui, bien, le mécanisme formel, c'est le consentement ou pas du gouvernement du Québec, et la traduction, dans des réunions, d'une présence et la manifestation de notre participation au consensus, c'est très clair. En fin de course, on pourrait dire: On n'en veut pas de l'entente. Mais je ne pense pas qu'on soit dans une position où, de fait, là, sur l'ensemble des enjeux, quand on aura fait le bilan des avantages et... je ne dirais pas des inconvénients, des contraintes d'une entente comme celle-là, je ne pense pas qu'on soit dans une situation où on la refusera.

Le Président (M. Drainville): Merci beaucoup, M. le député de Rousseau. Nous allons maintenant passer à M. le député de Shefford.

M. Bonnardel: Merci, M. le Président. M. le premier ministre, quelques questions en rafale. Rapidement, là, je regarde les documents que j'avais l'année passée, lorsque vous êtes venu la première fois. Il y a eu pas mal d'élections, autant au fédéral qu'au provincial. Question rapide: Les négociateurs, au fédéral, Steve Verheul, Ana Renart et ceux qui partagent la table du côté des provinces, est-ce qu'il y a eu pas mal de changements ou il y a de la stabilité sur la table de négociation?

M. Johnson (Pierre Marc): Merci. Au niveau de la direction de la table de négociation, c'est resté stable. Il y a eu quelques changements dans ce qui s'appelle, dans le vocabulaire, les «leads», c'est-à-dire ceux qui dirigent une table donnée. Il y en a eu trois qui ont quitté et qui ont été remplacés sur un total de 14.

M. Bonnardel: Ça fait que...

M. Johnson (Pierre Marc): Donc, je dirais que c'est relativement stable.

M. Bonnardel: O.K. Vous avez dit tantôt, sur une des diapos, certains chapitres sont presque fermés. Lesquels? Dans le cadre des négos. Vous avez sauté rapidement sur...

M. Johnson (Pierre Marc): C'est le mot «presque», hein, qui fait que c'est difficile à vous dire.

M. Bonnardel: Ils sont presque fermés. Alors, est-ce qu'on peut savoir où vous en êtes là-dessus?

M. Johnson (Pierre Marc): Non, mais je peux vous dire qu'il y a des chapitres puis il y a des sections de chapitres qui sont plus faciles que d'autres. Parce qu'on se comprend, là, tu sais, on ne se mord pas... on ne mord pas les crayons, là, à toutes les lignes, là.

Alors, en pratique, il y a plein de texte qui est du texte qui fait l'objet d'un consensus assez rapidement, de part et d'autre de la table, avec les Européens. Et il y a beaucoup de textes et la cadence s'est accélérée de façon remarquable, je dirais, depuis le mois de juillet dernier.

M. Bonnardel: Rapidement: M. Obama, à sa première élection, souhaitait, lui aussi, avoir un accord de libre-échange avec l'Union européenne. Il y a une élection présidentielle aux États-Unis l'année prochaine. Est-ce que, dans le cadre des négociations, rapidement, c'est un point de litige? Est-ce que les Européens souhaitent, eux aussi, partager ou peut-être amener aussi des négociations avec les États-Unis? Concrètement, est-ce que vous pensez qu'il y a une problématique, ou... c'est peut-être trop long à répondre, si...

M. Johnson (Pierre Marc): Non, mais rapidement je peux dire, je crois, moi, qu'un des intérêts stratégiques de l'Europe dans cette négociation, c'est d'avoir un pied dans les systèmes de réglementation, les approches canadiennes, le monde des affaires, la culture, et l'analyse qu'on fait de certains enjeux, qui est différente de l'Europe, parce que nous sommes Nord-Américains. Je pense que c'est un avantage pour eux de le faire.

Deux, conclure une entente avec le Canada, c'est sûrement un avantage stratégique pour eux à l'égard des États-Unis.

Et, trois, oui, en effet, le président Obama a évoqué ça en début de mandat. Ça ne s'est pas traduit jusqu'à maintenant, bien qu'en date du 29 novembre -- je pense que c'est moi qui l'ai, le communiqué -- à la table du 29 novembre, il y a un communiqué qui a été émis par la Commission européenne faisant état de l'intérêt des deux parties, américaine et européenne, à travers le TEC, qui est le Trade and Economic Commission, d'approfondir un certain nombre d'enjeux à un niveau très élevé. Qu'est-ce que c'est en pratique? Ça veut dire que les gens commencent à discuter de la possibilité de conclure des traités. On se comprend qu'ils ne sont pas en train d'en négocier un, là, mais ils sont en train de discuter de la possibilité de le faire. Et ça va donner lieu probablement aux mêmes types de démarches auxquelles on... qu'on a vues ici, puis que les Européens font en ce moment avec la Chine et ont fait avec d'autres.

M. Bonnardel: Dernière petite question rapide, peut-être?

Le Président (M. Drainville): Vous avez encore deux minutes.

M. Bonnardel: Ah, excellent. M. le premier ministre, l'année passée, certains documents qu'on avait pu obtenir de votre part, avec le contrat d'Heenan Blaikie que vous avez avec le gouvernement, il y avait des honoraires, l'année passée, de 463 000, selon le document, que j'ai, du 5 octobre. Cette année, selon ce que j'ai lu ce matin, vous étiez à 1,3 million d'honoraires facturés au...

Une voix: ...

**(17 h 20)**

M. Bonnardel: ...oui, pas milliard, million... facturés au gouvernement. Ma question est fort simple: Est-ce que vous avez la même équipe présentement que lors du début des négociations avec l'Europe...

M. Johnson (Pierre Marc): Oui, les variations...

M. Bonnardel: ...ou il y a eu des changements dans votre équipe ou...

M. Johnson (Pierre Marc): Ce n'est pas tellement le changement de l'équipe, bien qu'il y ait une personne qui soit venue seulement pour un dossier, qui était celui de la création d'un forum d'innovation entre le Québec et l'Europe, en collaboration avec l'Ontario, et qui est une personne qui est rentrée pour cette mission-là et qui a quitté par la suite. Le reste de l'équipe est composé de Me Bastien, qui m'accompagne ici aujourd'hui, de Me Paul Lalonde et de Me Woods, qui est un spécialiste, ancien haut fonctionnaire à Ottawa.

L'objet du contrat est essentiellement d'assurer la disponibilité du négociateur en chef; deuxièmement, de fournir une vigie au gouvernement d'un certain nombre de mouvements qui se passent dans le secteur du commerce extérieur, d'informations qu'on peut obtenir à travers des réseaux: ça, c'est une part du contrat. L'autre part du contrat, c'est le temps mis à la négociation et les dépenses qui viennent avec, que sont le transport en avion, les voyages à Ottawa, les voyages à Québec, les hôtels, les repas, le per diem.

M. Bonnardel: ...le gouvernement.

M. Johnson (Pierre Marc): Oui, l'ensemble est payé par le gouvernement, ce n'est pas le secteur privé qui paie ça. Et ça correspond à ce que vous allez trouver dans la plupart des cabinets spécialisés dans le secteur du commerce extérieur. Et je suis sûr que, si vous faisiez des comparaisons avec d'autres, vous verriez que c'est à peu près ça que ça coûte. Parce que, derrière chaque personne qui participe à cette négociation dans notre équipe, il y a d'autres personnes. C'est comme pour les députés, il y a derrière vous des gens, du soutien, etc. Il y en a chez nous aussi qui, sans être les personnes qui sont au feu, sur la première ligne, sont des gens qui sont en soutien.

M. Bonnardel: Je vous remercie de votre...

M. Johnson (Pierre Marc): Je vous en prie.

M. Bonnardel: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Drainville): Merci beaucoup, M. le député de Shefford. M. le député de Borduas.

M. Curzi: Merci, M. le Président. Bonjour, M. Johnson. Je veux revenir sur la culture. Vous savez, pendant sept ans, j'ai été le président de la coalition canadienne pour la diversité culturelle. À ce titre-là, une de nos bêtes noires, je dirais, ce que nous avons combattu, au tout début particulièrement, c'étaient les termes d'«exception culturelle» et d'«exemption culturelle», pour une raison très simple que vous connaissez sûrement, c'est que nous avons appris graduellement que certains principes de libéralisation des ententes de commerce, comme spécifiquement le traitement national, la clause de la nation la plus favorisée, faisaient en quelque sorte que cette exemption pouvait être contournée très aisément par l'application de ces principes-là. C'est ce qui a mené à la création de la Convention de la diversité culturelle qui, elle, est beaucoup plus large et défend réellement l'utilisation... ou contre l'application de ces principes-là à l'intérieur.

Alors, ma question, c'est: Est-ce que vous avez l'assurance, est-ce que le gouvernement du Québec, est-ce que le gouvernement du Canada sont prêts à faire du respect intégral de la Convention de la diversité culturelle un des éléments qui seraient intégrés à l'accord économique global et commercial, d'une part?

D'autre part, vous nous avez à la fois rassurés, affirmé clairement qu'il n'y aurait pas de négociation... il n'y a rien qui est dit de la part de l'Europe au sujet de la culture. Mais l'un va avec l'autre; s'il n'y a rien qui est dit et s'il n'y a pas une convention intégrée, donc potentiellement il pourrait y avoir des demandes sur les télécommunications ou sur le secteur de l'édition.

M. Johnson (Pierre Marc): J'ai combien de secondes?

Le Président (M. Drainville): Vous avez 1 min 30 s.

M. Johnson (Pierre Marc): 1 min 30 s. Une des choses que j'ai transmises aux négociateurs fédéraux et que j'ai évoquées aussi avec le négociateur européen, c'est qu'il serait intéressant que, pour la première fois, cette entente réfère, et ce serait la première entente, à la Convention de l'UNESCO.

Je dois vous dire que ça fait dresser les cheveux sur la tête des avocats qui font du droit du commerce en Europe, comme probablement dans certains coins à Ottawa, parce que ça pose toute la problématique qu'on appelle en anglais «paramountcy», ou prépondérance, en français -- le mot «prépondérance» étant moins précis que «paramountcy», qui est plus exigeant -- et qui est un débat qu'on a connu dans le secteur de l'environnement: dans quelle mesure est-ce qu'une convention en matière d'environnement a préséance sur des dispositions de nature commerciale? Et c'est un débat qui n'est pas fini puis qui alimente beaucoup de littérature juridique.

Cela dit, il n'en demeure pas moins que mon espoir, c'est de voir dans le préambule une évocation claire des préoccupations dont on parle. Et vous m'avez bien entendu.

M. Curzi: Une préoccupation claire, mais... En fait, ce qui est demandé par le milieu culturel, j'espère que ce l'est par l'actuel... c'est plus qu'une préoccupation, c'est une inscription sans équivoque de cette convention.

M. Johnson (Pierre Marc): Oui, mais... Je sais, mais on n'est pas seuls là-dedans, hein; en face de nous, il y a l'Europe, dont on ne connaît jusqu'à maintenant...

Le Président (M. Drainville): M. le député...

M. Johnson (Pierre Marc): ...que la résistance à notre position, et on a hâte d'entendre des manifestions de sympathie.

Cela dit, moi, je demeure optimiste qu'il va se passer quelque chose de ce côté-là. Pourquoi? Parce que, d'abord, le premier ministre du Québec, en point de presse avec le premier ministre de France, à deux reprises, a obtenu que le gouvernement français pousse vers cette vision. Et je crois que ça, c'est une bonne raison de penser qu'il pourrait se passer quelque chose.

Le Président (M. Drainville): Et je vous remercie.

M. Johnson (Pierre Marc): Merci.

Le Président (M. Drainville): Bravo, M. Johnson! Ça va très bien. M. le député de Laurier... Ah! Excusez-moi. Mon Dieu! M. le député de Mercier.

M. Khadir: Merci, M. le Président. Mme Bastien, M. Muzzi, M. Johnson, bienvenue. M. Johnson, votre rémunération de 1,4 million ne me cause aucun problème, si cette rémunération est pour une expertise aussi précieuse que la vôtre mais indépendante. Moi, je pense que c'est de l'argent bien placé; encore faut-il que cette expertise soit indépendante. Vous savez que, de mon point de vue, vous n'êtes pas en situation d'indépendance, vous êtes en situation de conflit d'intérêts en raison de vos relations d'affaires avec Heenan and Blaikie, et aussi dans le cas de Veolia, d'ailleurs une entreprise qui tue la concurrence avec certaines manoeuvres de collusion, comme on l'a connu ici, au Québec.

Maintenant, je ne vous poserai pas de question là-dessus, je vais tout simplement...

M. Johnson (Pierre Marc): Vous allez vous contenter, si je comprends bien, des affirmations gratuites.

M. Khadir: Non. Non, non, non. Je vais vous déposer une définition clinique de «conflit d'intérêts», définition qui émane...

M. Johnson (Pierre Marc): ...bien lue, j'espère.

M. Khadir: ...du Conseil de l'Europe. Oui.

M. Johnson (Pierre Marc): Vous l'avez bien lue?

M. Khadir: Oui, oui. Je vais vous... Est-ce que c'est moi qui pose la question ou c'est M. Johnson?

Le Président (M. Drainville): ...il reste 2 min 30 s, M. le député de Mercier.

M. Khadir: Très bien. Je vous soumets donc, à la commission et à vous, une définition clinique. Vous allez peut-être comprendre pourquoi, si on suit les définitions du Conseil de l'Europe, un citoyen, M. Hamel, de Québec, qui m'a écrit ce matin -- que je vais vous déposer sa lettre aussi -- président des aînés souverainistes, demande que vous ayez l'obligeance de vous retirer de ce dossier.

Mais, en attendant -- vous jugerez vous-même -- j'ai une question plus précise, pointue et une question générale. La question précise, c'est: Est-ce que vous êtes d'accord pour rendre disponible la liste de tous les lobbyistes que vous avez rencontrés, dans le domaine économique, industriel, commercial? Si ce n'est pas possible d'avoir toute la liste, est-ce que vous pouvez nous dire si vous avez rencontré des gens... en fait, des lobbyistes pour SNC-Lavalin, sa division nucléaire, des filiales de Power Corporation, actifs via Areva ou d'autres, dans le domaine, dans la filiale nucléaire ou des lobbyistes du secteur de gestion des déchets nucléaires? Ça, c'est la question pointue.

Maintenant, dans le dossier d'information que vous avez soumis, vous...

Le Président (M. Drainville): M. le député de Mercier, il va rester une minute pour la réponse, là.

M. Khadir: Très bien. Le libre-échange, vous dites que ça favorise la croissance et améliore le bien-être des participants. Or, depuis les dernières années, un prix Nobel d'économie, Joseph Stiglitz, dit le contraire, dit que c'est très mauvais pour les sociétés. Ici même, Yvan Allaire, tout récemment, dans un article récent dans Le Devoir, dit que c'est porteur de graves problèmes sociaux, que la déréglementation des marchés a conduit à la crise financière qu'on connaît actuellement.

Et ce n'est pas bon pour nos travailleurs. Quatre travailleurs sur cinq, depuis 25 ans qu'il y a l'ALENA, ont vu une baisse de leurs revenus et une stagnation du pouvoir d'achat de la classe moyenne. Alors, pourquoi voulez-vous que la nation québécoise, le peuple québécois accepte cette mauvaise médecine?

Le Président (M. Drainville): M. le député de Mercier, il n'y aura plus de temps pour votre réponse, et j'ai bien précisé les règles du jeu et en séance de travail et ici tout à l'heure, au début. Il reste 30 secondes pour la réponse, M. Johnson. Je vous laisse le soin de choisir sur quel aspect...

M. Johnson (Pierre Marc): Oh! vous savez, en 30 secondes, je pense qu'il est difficile de... il est difficile de...

M. Auclair: M. le Président, pour permettre à M. Johnson de répondre et réfuter les allégations de mon collègue, je n'ai aucun problème à ce qu'il y ait du temps du parti ministériel qui soit utilisé...

M. Johnson (Pierre Marc): ...je suis convaincu, M. le député, mais je pense...

Le Président (M. Drainville): Est-ce qu'il y a consentement des membres de cette...

M. Johnson (Pierre Marc): Non, M. le Président, si vous permettez, je ne demande pas que vous alliez au-delà de ça, je pense que la transformation de cette commission en tribunal du peuple, populiste et démagogique, n'est pas le lieu. Si le député de Mercier veut faire des accusations, qu'il les fasse de préférence en dehors du Parlement, puisqu'il devra assumer sa responsabilité.

Deuxièmement, je n'ai à dire, M. le Président, dans ces 30 secondes, que je respecte mon devoir de loyauté, d'intégrité, d'indépendance, de désintéressement, de diligence, de prudence et de confidentialité, comme l'exige le code de déontologie de ma profession.

**(17 h 30)**

Des voix: ...

Le Président (M. Drainville): Et je vais maintenant céder la parole au député de Laurier-Dorion.

M. Sklavounos: Merci, M. le Président. M. Johnson, vous avez employé deux expressions qui ne sont pas exactement des équivalents, là: «paramountcy» et «prépondérance». Mais je veux les aborder dans un autre contexte, je veux parler de nos obligations envers les États-Unis, et le jeu entre nos négociations actuelles avec l'Europe et nos obligations envers les États-Unis.

Et c'est pour ça que j'utilise «paramountcy», «prépondérance», dans le sens que j'aimerais savoir: Est-ce que, dans nos négociations avec les Européens, le Canada, les négociateurs se sont imposés certaines limitations en vue de respecter nos obligations envers notre premier partenaire économique qui sont les Américains? Est-ce qu'il y a un potentiel de contradiction entre les deux, un potentiel de concurrence, de compétition entre nos obligations envers les Américains? Est-ce que nous essayons de négocier avec les Européens des avantages, des désavantages, dans le but de situer ça dans une... avoir une vision globale de ce que nous sommes en train de faire? Parce qu'évidemment ce sont des obligations juridiques qui comportent une obligation, et je veux dire: Ça serait illogique de penser qu'à quelque part il n'y aurait pas certaines contradictions lorsqu'un certain terrain est occupé, dans un accord de libre-échange avec d'autres partenaires, et nous sommes en train de négocier avec un nouveau partenaire potentiel. Ça serait illogique de penser qu'à quelque part les cercles Venn ne se touchent pas?

M. Johnson (Pierre Marc): Je comprends votre préoccupation. Alors, vous parlez de ce qu'on appelle la nation la plus favorisée, qui est un principe qui est contenu dans des accords commerciaux.

Qu'est-ce que c'est que le principe de la nation la plus favorisée? C'est une disposition des textes, donc qui devient juridique dans le traité et qui dit que l'État signataire s'engage à donner à son partenaire le traitement de la nation la plus favorisée. Ce qui veut dire que, si nous avons signé, dans l'ALENA, des dispositions spécifiques dans lesquelles on a dit qu'on appliquerait la nation la plus favorisée et qu'on favorise l'Europe, on devra donc favoriser les Américains à cet égard. La même chose avec l'Europe. Nous demanderons à l'Europe... le Canada demande à l'Europe d'appliquer la nation la plus favorisée. Pourquoi? Parce que l'Europe va négocier avec de nombreux autres États dans les années qui viennent, et nous souhaitons bénéficier des mêmes privilèges, entre guillemets, que ce soit tantôt d'accès aux marchés, de droit d'exercer dans certains services, ou de tarifs là où il y en aurait encore. Donc, on veut s'assurer qu'on est dans les meilleures conditions possible pour l'avenir avec l'Europe. Donc, oui, cette analyse est faite, et elle est faite de façon très minutieuse au niveau de chacun des chapitres.

M. Sklavounos: Pour une personne qui n'est pas un expert et qui écoute... et quand on parle de la nation la plus favorisée ou de nations favorisées, combien de nations plus favorisées, favorisées on peut avoir en même temps...

M. Johnson (Pierre Marc): C'est bonne question.

M. Sklavounos: ...sans rentrer en contradiction? Je veux dire, c'est...

M. Johnson (Pierre Marc): Mais, dans le fond, ultimement le concept de la nation la plus favorisée est un concept qui amène les pays qui signent de nombreux accords bilatéraux à faire profiter tous les autres du contenu amélioré du dernier accord bilatéral. Et c'est pour ça qu'il y a toute une école de pensée qui pense que l'avenir, ce n'est pas dans des accords bilatéraux, ça devrait être à l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, qui, lui, est un accord multilatéral dont les ambitions sont souvent et généralement un peu moins hautes que les accords bilatéraux.

(Consultation)

M. Johnson (Pierre Marc): Et la nation... Je m'excuse, vous avez raison. J'ai parlé de tarifs, j'ai erré en parlant des tarifs. C'est dans le cas des services et de l'investissement que cela existe.

Maintenant, il y a aussi la possibilité d'utiliser des réserves. On peut avoir le principe de la nation la plus favorisée dans un secteur donné puis décider qu'on y met une réserve sur un objet spécifique. Donc, on se donne le droit de négocier avec un tiers en lui consentant un privilège et en ne le consentant pas au premier.

C'est assez compliqué, mais, en gros, c'est comme si vous disiez: J'invite mon voisin de gauche à utiliser mon tennis, et puis je l'invite aussi à prendre ma voiture une fois de temps en temps, et j'invite mon voisin de droite aussi de venir dans mon salon puis se servir un verre de jus d'orange. La nation la plus favorisée fait que vous allez donner le jus d'orange au premier si vous l'avez donné au troisième... au deuxième. Essentiellement, c'est un principe d'homogénéisation des activités de nature commerciale en matière de services et d'investissements.

M. Sklavounos: Est-ce que vous êtes en mesure de percevoir un changement... Je veux dire, je présume que les Américains, veux veux pas, suivent attentivement les négociations, surtout s'ils sont intéressés ou ont déjà exprimé et répété récemment leur intérêt afin de conclure une entente similaire avec les Européens. J'imagine qu'ils suivent attentivement ce qui se fait entre le Canada et l'Union européenne.

Est-ce que vous êtes en mesure de percevoir un changement d'attitude qui pourrait nous aider dans nos relations avec les Américains, vu que nous sommes en train d'explorer d'autres possibilités avec les Européens, ou qu'il y a possibilité qu'à un moment donné ils se fassent bumper, si vous voulez, si vous pardonnez cette expression-là, dans certains domaines, que ce soit avec des réserves ou... Est-ce que vous êtes en mesure de nous dire si cette ouverture vers les Européens risque de nous favoriser dans nos échanges avec les Américains, qui jouent des fois dur avec le Canada, surtout... Ça a été mentionné par mon collègue, j'ai fait du pouce sur sa question, il a fait du pouce sur la mienne plus tôt. Est-ce que c'est une façon pour nous de favoriser ou de renforcer notre position envers les Américains?

M. Johnson (Pierre Marc): Bon. Nos Américains... Les Américains sont nos partenaires les plus importants sur le plan commercial. Deuxièmement, nous partageons avec eux beaucoup plus que simplement leur espace économique. C'est une grande démocratie, c'est un pays où la règle de droit est importante. Et c'est aussi un pays avec lequel le Canada a toujours fait cause commune dans des enjeux fondamentaux, y compris au cours de deux guerres mondiales. Donc, notre relation avec les Américains est tissée de plusieurs centaines de traités, pas seulement de l'ALENA. Elle est faite aussi de 300 000 touristes québécois qui se rendent aux États-Unis tous les ans, comme il y a à peu près 300 000 Québécois qui se rendent en Europe tous les ans. Je ne sais pas si c'est les mêmes, ça veut dire qu'ils ont des longues vacances! Donc, le point de départ, c'est la relation particulière qu'on a avec les Américains. Il n'y a pas un pays qui a cette relation. Il y a un pays qui y aspire, c'est le Mexique, pour des raisons évidentes. Donc, on ne peut pas nier ça.

Deuxièmement, est-ce que les Américains s'intéressent à ce qu'on fait avec les Européens? Je dirais: Oui, du coin de l'oeil, au tout début en tout cas, peut-être un peu plus maintenant, dans la mesure où ils ont fini leur grand débat autour des réformes que l'administration Obama avait apportées et qui ont accaparé l'opinion publique pendant deux ans, notamment autour de la santé. Ils sont aux prises avec leur crise économique et financière, assez radicale, mais ils ont quand même, il faut le dire, probablement les meilleurs services diplomatiques au monde. En tout cas, moi, j'ai été à même de le constater dans mes voyages à travers le monde, et je suis sûr qu'ils savent exactement quel est l'intérêt que nous portons à cette négociation et qu'ils peuvent le décoder de la Colombie-Britannique à Terre-Neuve-et-Labrador, y compris pour le Québec.

Est-ce qu'ils voudront intervenir? Je ne pense pas. Ils n'ont pas à intervenir. Ils voudront être le mieux renseignés possible, et peut-être décideront-ils de s'inspirer de certaines des choses qu'on retrouvera dans l'accord du CETA, non pas pour reproduire la même chose avec l'Europe, parce que négocier un traité de libre-échange, pour les États-Unis, c'est pas mal plus compliqué qu'avec le Canada, notamment pour des raisons institutionnelles: qui donne les mandats, le rôle du Congrès, etc., mais sûrement de trouver dans nos échanges avec l'Europe des pistes qui pourraient les intéresser, et, je le souhaite, dans les domaines de coopération réglementaire, qui serait une façon de faciliter de plus en plus la mobilité des biens, des personnes et du capital entre les deux continents.

**(17 h 40)**

M. Sklavounos: Merci, M. Johnson.

Le Président (M. Drainville): Mme la députée de Gatineau.

Mme Vallée: Merci. M. Johnson, simplement, je ne peux pas faire autrement... Je n'aime pas revenir sur des incidents désagréables en commission parlementaire, je trouve qu'on accorde... c'est d'y accorder du temps, mais en même temps je ne peux pas faire autrement de m'excuser au nom des collègues autour de la table, parce que, sincèrement, le petit échange auquel on a eu droit tout à l'heure, ce n'était pas l'objectif de la commission parlementaire. J'apprécie énormément...

M. Khadir: M. le Président, est-ce que ces excuses peuvent m'exclure?

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Khadir: ...s'excuser au nom de tout le monde, moi, je voudrais m'exclure de ces excuses, si vous le permettez.

Le Président (M. Drainville): Oui.

M. Khadir: Je n'ai pas d'excuse à offrir pour une question très honnête que j'ai posée sur la définition du «conflit d'intérêts» et sur le lobbyisme.

Le Président (M. Drainville): M. le député de Mercier, je vous remercie. C'est Mme la députée de Gatineau qui a la parole.

Mme Vallée: Merci, M. le Président. Alors, ceci étant dit... M. le député de Mercier, je ne m'adresse pas à vous.

M. Khadir: Très bien.

Mme Vallée: Alors, simplement, je tiens à vous remercier. Le temps que vous avez pris, dans votre agenda chargé, pour venir rapidement répondre aux préoccupations des collègues parlementaires, pour moi, c'est très précieux et ça demande un certain respect.

Il y a des éléments qui ont été soulevés par notre collègue de Mercier tout à l'heure, par contre, qui peut-être permettent de faire un certain retour. Parce qu'évidemment des accords comme celui dont nous discutons depuis 15 heures, c'est des accords qui peuvent difficilement recevoir l'assentiment de toute une population. On a de la difficulté, avec certains projets de loi, à obtenir l'assentiment de toute une population, je peux juste imaginer, au niveau d'un accord aussi complexe, qui touche autant d'éléments... Évidemment, il y aura des préoccupations un peu de toutes parts qui vont être soulevées, entre autres, la préoccupation... ou plutôt l'argument à l'effet que ces accords-là, ces ententes-là sont nocifs pour les citoyens, que ce n'est pas dans le meilleur intérêt des Québécois, que ce n'est pas dans le meilleur intérêt des Canadiens d'entrer dans un accord de libre-échange avec l'Union européenne, que ce sont de méchants capitalistes... intérêts capitalistes qui sont derrière ça, et que le citoyen ordinaire n'y trouvera pas son compte.

Et j'aimerais -- parce que vous avez fait une introduction qui était fort intéressante mais qui était peut-être un peu succincte -- ...puis j'aimerais ça, M. Johnson, si vous pouviez peut-être rappeler un peu les avantages, ou simplement revenir sur les avantages pour les Québécois que nous sommes de participer, d'être à la table et d'entrer dans cet accord de libre-échange là. Évidemment -- puis ce n'est pas pour rien que vous avez été nommé là, c'est pour défendre les intérêts des Québécois -- mais il y a des avantages, sinon on n'investirait pas autant d'énergie dans un accord comme ça.

Le Président (M. Drainville): Et je tiens à vous dire, M. Johnson, qu'il vous reste, grosso modo, cinq minutes avec la partie gouvernementale. Alors, vous avez à peu près l'horizon, là, qui se trouve devant vous, là.

M. Johnson (Pierre Marc): D'abord, cette question, vous me permettrez d'y répondre au-delà de ce qui fait l'objet de mon mandat et d'y amener quelques opinions personnelles.

Le Québec a connu un essor exceptionnel sur le plan économique depuis 25 ans. L'État a dépensé des milliards à éduquer les gens, leur permettre d'avoir accès à un système d'éducation. Et je crois que la plupart des citoyens au Québec considèrent que leur bonheur, leur prospérité dépend d'abord et avant tout de l'exercice de leur liberté. Et, moi, je le vois à tous les jours. Et je vois des gens qui venaient de coins où c'était difficile, vivre, et qui vivent mieux. Je vois des gens qui ne veulent pas se faire dire quoi faire et qui choisissent de faire ce qu'ils et elles veulent faire, sur le plan de l'industrie, sur le plan de leur profession, sur le plan de l'investissement qu'ils sont prêts à faire dans un petit commerce, dans une petite entreprise. Ils prennent des risques. Ils recherchent la prospérité, ils n'attendent pas la réponse qui va venir de l'autre, l'autre, souvent, étant un autre collectif. Et je pense qu'il faut permettre aux gens d'aller chercher le maximum de ce que la liberté peut leur donner.

Deuxièmement, il faut s'assurer, à travers ça, qu'on redéfinit le rôle de l'État comme étant un rôle de protection des personnes, un rôle de protection de l'environnement, un rôle de susciter du dynamisme là où on pense que les conditions de l'innovation le permettent. Il faut que l'État joue son rôle de transfert de richesse, mais encore faut-il l'avoir, la richesse, si on veut en transférer.

Pour moi, l'ALENA, quand je regarde les chiffres, en dépit des résistances qu'il y avait -- les mêmes personnes qui aujourd'hui résistent à une entente avec l'Europe -- l'ALENA a porté ses fruits. Il a permis une plus grande prospérité pour les Québécoises puis les Québécois. Et je suis convaincu que cet accord avec l'Europe permettra d'augmenter cette prospérité. Voilà mon opinion personnelle.

Concrètement, ça se traduit comment? Ça traduit pour, encore une fois, des secteurs que j'ai nommés tout à l'heure qui sont les vecteurs clés de l'économie, de l'aluminium aux véhicules récréatifs, à la chimie, au bois, au textile, au zinc, aux pêches, à l'agriculture de façon générale, et au secteur des nouvelles technologies en même temps que dans le secteur des services, il s'agit de leur donner un plus grand marché. Il s'agit de permettre à tous ces citoyens qui ont le goût d'entreprendre, de risquer, d'aller rouler leur bosse en Europe puis d'avoir des conditions que ça va être plus facile d'exporter ou d'être présents en Europe, de faire des ententes, de développer aussi nos richesses naturelles avec des Européens. Pourquoi pas? On n'a pas le capital ici qu'il faut pour tout développer nous-mêmes. C'est aussi simple que ça, on n'a pas ces ressources-là au total. Donc, cette entente, pour moi, sa perspective, c'est celle de donner un élément de plus au socle de ce qui permet la prospérité d'un peuple qui est commerçant, qui l'a toujours été et qui ne se repliera pas sur lui-même.

Notre environnement, cependant, change. Il est plus difficile, il est plus compétitif, il exige qu'on soit plus innovateurs. Vous avez remarqué, d'ailleurs: allez au Salon des métiers d'art du Québec. Moi, à l'époque où l'allais au Salon des métiers d'art, quand j'étais étudiant -- vous n'étiez pas née, madame -- il y avait des bols à soupe à l'oignon. C'est ce qu'on y vendait essentiellement. Je regarde le député de Borduas, je pense qu'il s'en rappelle aussi et qu'il est plus de mon âge. Le Salon des métiers d'art du Québec, aujourd'hui, qu'est-ce qu'il fait? Il démontre une créativité extraordinaire. Mais cette créativité, elle est aussi dans le domaine du commerce, elle est aussi dans le domaine du développement des services, elle est partout dans notre société. Et nos discours, parfois un peu nombrilistes ou obsédés par le passé, ne parviennent pas à nous faire comprendre qu'il faut changer avec la réalité qui change dans la société, autour de nous, sur le plan économique. Il faut s'adapter aux nouvelles technologies, il faut s'adapter à la compétitivité et il faut donner aux gens qui paient des impôts le meilleur prix possible pour les services que les structures publiques se procurent. Et la logique d'ouverture des marchés publics, c'est celle-là.

Le Président (M. Drainville): Et je vous remercie, M. Johnson et Mme la députée de Gatineau. Je vais maintenant céder la parole au député de Lac-Saint-Jean pour le dernier bloc de cette audition.

M. Cloutier: Merci, M. le Président. M. Johnson, je vais poursuivre sur ce que vous venez de conclure. La réalité du développement économique, ce n'est pas juste non plus une question de prix, puis vous dites... vous célébrez l'offre la plus basse, mais la réalité, c'est qu'il y a d'autres critères, en 2011, qui existent, dont des clauses de développement social, dont des clauses de développement durable. Et je veux revenir à la capacité du Québec à inclure ce type de clause là par rapport à l'accord qui est en train d'être négocié présentement.

Je vous donne un exemple bien concret. Il y a une loi au Québec qui s'appelle la Loi sur les contrats des organismes publics. Alors, on comprend que les organismes publics sont soumis à l'accord économique. Dans cette loi-là, il y a une clause qui porte sur le développement durable. Très concrètement, on vient de préférer, au Lac-Saint-Jean, une coopérative locale malgré le fait qu'elle n'était pas le plus bas soumissionnaire. Sous quel principe? Sous un principe de développement durable. Est-ce que vous pouvez nous donner la garantie que ce type de clause là va toujours être permis pour la suite des choses après la signature de l'accord?

**(17 h 50)**

M. Johnson (Pierre Marc): Je ne donne pas de garantie ici, je vous l'ai dit tout à l'heure. Je comprends que c'est une façon rhétorique de poser la question. Il faudrait voir le texte puis les circonstances exactes. On ne peut pas anticiper in abstracto de: on a donné à une coopérative un contrat, qui n'était pas le plus bas soumissionnaire, parce qu'il fait du développement durable. Ça prend un peu plus d'analyse que ça, vous le savez comme moi, parce que vous connaissez bien ça comme juriste.

Si vous me dites: Est-ce que d'imposer d'autres critères que le plus bas prix pour que quelqu'un remporte une soumission et qu'on soit justifiés d'imposer? La réponse, c'est: Oui, c'est possible de faire ça. Mais encore faut-il avoir des grilles objectives et donner le traitement à celui qui est étranger qu'on va donner à celui qui ne l'est pas, et c'est le principe de ne pas discriminer contre l'autre. Dans le cas des coopératives, il y a un très bel exemple de ça, puis on a des réserves dans certains domaines. Des réserves, ça veut dire que les principes de l'accord ne s'appliquent pas dans ce domaine-là.

Je vais vous donner un exemple. La région de Montréal, la ville de Montréal, depuis plusieurs années, donne des mandats de conception de l'aménagement de quartiers à des OSBL qui sont formés de gens qui viennent de différents milieux: des intervenants économiques, des intervenants académiques, des intervenants sociaux, des gens intéressés à l'économie sociale, etc. Théoriquement, quand on regarde les règles de commerce, on ne devrait pas interdire à des entreprises européennes de pouvoir soumissionner pour avoir ces contrats de développer la vision. On va le mettre en réserve. On va le mettre en réserve, parce que ce type de mécanisme qui est un mécanisme de concertation sociale, économique et qui vise la promotion des intérêts du milieu, on pense, doit être mis entre les mains de ces organismes qui doivent être privilégiés dans les contrats qu'ils reçoivent de la municipalité.

Cependant, si ces entreprises elles-mêmes ont des activités où ils ont besoin de gens qui leur rendent des services, ils devront respecter les règles du CETA dans l'octroi des contrats qu'eux donneront. Donc, on peut leur donner le privilège, entre guillemets, ou le droit, selon la perspective où on se trouve, de faire le travail de penser le quartier international, mais, si le quartier international est une société qui dispense pour des millions de dollars de contrats, il devra respecter les critères d'accès aux marchés publics qu'on veut consentir aux Européens.

M. Cloutier: Est-ce que vous donnez un... Est-ce que ce serait, à ce moment-là, une exception précise, pour l'exemple que vous donnez, ou ce serait une exception plus générale qui inclurait des critères sociaux?

M. Johnson (Pierre Marc): Ce sont des exceptions qui s'appliquent à certains types de structures et sur lesquels on a eu un travail d'éducation de nos vis-à-vis en Europe à faire pour leur expliquer comment ça fonctionne. Parce que parfois, ici, on a des façons de faire qui sont un peu différentes d'ailleurs, différentes des Européens sur certaines choses; ça, c'en est un exemple. Et ce travail nous amène à définir de plus en plus clairement ce qui pourra faire l'objet de certaines réserves, et surtout de le faire accepter.

M. Cloutier: Ce n'est pas très clair, M. le premier ministre. Il y a une entreprise... Une MRC, chez nous, a décidé, par exemple, de donner à une entreprise la collecte des déchets de gré à gré, sans appel d'offres, pour promouvoir, pour préférer une entreprise d'économie sociale. Est-ce que ce type d'exception là pourrait être prévu?

M. Johnson (Pierre Marc): C'est ce qu'on envisage dans les réserves.

M. Cloutier: Par rapport à la collecte des déchets?

M. Johnson (Pierre Marc): Dans les réserves, c'est-à-dire les réserves signifiant qu'on va adopter le principe de l'ouverture des marchés publics, on va identifier les secteurs qui y sont soumis, et là on va dire: Oui, mais ces règles-là ne s'appliquent pas à. Ça, c'est un exemple d'endroits où on pourra utiliser une réserve.

M. Cloutier: Très bien. Pour ce qui est des contrats de services en matière d'eau, est-ce que vous confirmez qu'une municipalité qui décide de se tourner vers le privé, par exemple, je ne sais pas, moi, pour les traitements des eaux usées, à ce moment-là, cette municipalité-là devra ouvrir à l'international?

M. Johnson (Pierre Marc): Ça dépend des seuils, et le principe de l'ouverture des marchés publics, encore une fois, le principe -- je ne peux pas rentrer dans le détail des exceptions qu'on peut y retrouver, c'est que, si une municipalité décide, comme elle a le droit de le faire aujourd'hui, d'impartir une partie de ses activités, en matière d'eau ou de n'importe quoi, si elle le fait par appel de soumissions, elle devra respecter le principe du traitement égal des entreprises européennes.

M. Cloutier: Il n'y a pas d'exception générale, donc, pour l'eau, dans un cas où on ouvrait pour avoir accès à des services et que ça répond aux seuils dont vous faites référence, donc les conditions, on pourrait se ramasser dans des scénarios où effectivement ça serait possible.

M. Johnson (Pierre Marc): Et dans n'importe quoi qui sont... On se comprend...

M. Cloutier: Non, je comprends, mais l'eau n'est pas une exception en soi.

M. Johnson (Pierre Marc): En ce sens-là, l'eau n'est pas traitée comme une exception.

Le Président (M. Drainville): M. le député de Rousseau.

M. Johnson (Pierre Marc): Mais, cela dit -- cela dit -- il faut bien se comprendre. Malgré tout, toute la législation interne du Québec, qui s'applique à tout le monde, peut s'appliquer. Et, si la législation du Québec dit: Les municipalités ne peuvent pas impartir, bien elles ne peuvent pas impartir. Ça ne veut pas dire que ça veut dire que juste les Européens peuvent le faire, c'est personne ne peut obtenir l'impartition. Et c'est ça qu'il faut comprendre, c'est toujours cette combinaison du concept de non-discrimination.

Et ce que vise cette partie du traité, c'est de donner des assurances de non-discrimination aux intérêts européens dans des secteurs qui sont les secteurs d'approvisionnement du secteur public et parapublic, et même péripublic.

Le Président (M. Drainville): M. le député de Rousseau.

M. Marceau: Oui, merci. Une courte question sur la mobilité de la main-d'oeuvre. Le modèle France-Québec a inspiré la proposition canadienne soumise aux négociateurs européens, je pense. Question: Quel est le modèle qui a été finalement retenu dans le projet d'accord? Et: Est-ce que les ordres professionnels du Québec vont pouvoir conserver la responsabilité d'évaluer les candidats qui proviennent de l'Union européenne, dans ce qui sera...

M. Johnson (Pierre Marc): Absolument.

M. Marceau: Enfin, je sais que vous ne pouvez pas vous engager complètement, mais c'est...

M. Johnson (Pierre Marc): Oui... La réponse, c'est oui. Ils pourront conserver cette possibilité. Ce qui est retenu en principe -- et la négociation, encore une fois, n'est pas terminée -- c'est que la Commission européenne jouera un rôle d'aiguillage, qui n'empêche aucunement les provinces de procéder directement avec des ordres professionnels de l'Europe. Mais la commission voudrait être renseignée. La commission, dans certains cas, stimulera la conclusion de telle entente. On peut penser qu'elle voudra imposer à ses propres membres un certain nombre de restrictions, mais ça, ça regarde le droit interne de l'Europe, ça ne nous regarde pas.

Je vous dirais, moi, que je vois, dans ce chapitre qui s'annonce, une expansion possible au cours des années. Ça ne se fera pas en six mois, ça ne se fera même pas en deux ans. Ça va prendre cinq, six, huit, 10 ans pour y arriver de façon systématique. Et je vois là la possibilité d'échanges de plus en plus importants entre les ordres professionnels du Québec et du Canada et les ordres professionnels européens.

M. Marceau: Parfait. Combien de temps reste-t-il?

Le Président (M. Drainville): Il vous reste huit minutes.

M. Marceau: Ah bon, parfait. J'ai une autre question sur, cette fois-ci, sur les tarifs. Question très simple, en fait: L'Union européenne impose des tarifs, nous imposons des tarifs. La négociation a pour objet de réduire ces tarifs-là. La réduction des tarifs que nous consentirons, donc, de notre côté sera-t-elle... Bon, parce qu'il faut comprendre que les différents biens actuellement importés au Canada sont l'objet de tarifs qui varient, là, dépendant du produit en question. Est-ce qu'on peut imaginer que la réduction des tarifs sera uniforme ou bien est-ce qu'elle variera selon les produits?

M. Johnson (Pierre Marc): L'objectif, c'est l'abolition des tarifs, ce n'est pas la réduction des tarifs...

M. Marceau: O.K.

M. Johnson (Pierre Marc): ...en commençant. Deuxièmement, des exceptions, hein? On ne veut pas qu'en ce qui concerne la gestion de l'offre les tarifs applicables soient abolis, parce que c'est ça qui maintient le système, le fait qu'il y ait des tarifs très élevés. Alors, il y a des exceptions.

Deuxièmement, il va y avoir probablement une gradation en termes d'échéancier d'abolition du tarif, dans certains tarifs. Je peux vous dire qu'à ce jour, avant même qu'on ait terminé la négociation, on peut considérer que 90 % des tarifs seront abolis ab initio, au premier jour. Le 10 % qui reste, évidemment, c'est celui-là qui est dur.

**(18 heures)**

M. Marceau: O.K. Et c'est là que l'on trouvera des gagnants et des perdants, s'il y en a.

M. Johnson (Pierre Marc): En effet.

M. Marceau: Et...

M. Johnson (Pierre Marc): Entre autres -- entre autres. Il n'y a pas que les tarifs qui jouent, hein?

M. Marceau: Non, on s'entend. Moi, écoutez, je vais vouloir conclure, parce que je crois qu'il ne reste pas beaucoup de temps, en vous redisant, nous, les principes qui nous animent, puis je voudrais être certain que c'est bien clair. Parce que je vous ai entendu à plusieurs reprises faire l'éloge du libre-échange, et je suis, moi aussi, favorable au libre-échange: nous sommes, de notre côté, favorables au libre-échange, bien sûr.

Maintenant, le libre-échange, la théorie économique, et vous y avez référé à plusieurs reprises, c'est quelque chose qui est avantageux, c'est clair, dans des circonstances qui sont bien particulières. Maintenant, les circonstances bien particulières dont il est question, on ne les retrouve pas souvent dans la réalité, hein? Et, dans un monde dans lequel il y a de la pollution, il y a des monopoles, il y a des inégalités sociales, il y a ce qu'on appelle essentiellement des ratés du marché, hein, des problèmes dans l'allocation des ressources par le marché, le libre-échange n'est pas nécessairement favorable.

Et ce n'est pas moi, le député de Rousseau, qui dis ça. De grands économistes comme Paul Krugman, comme Joseph Stiglitz, et puis la théorie économique des 50 dernières années, c'est ça qu'elle a démontré: le libre-échange, en général, ça peut être bon, mais il y a un rôle pour l'État, puis, quand il y a un rôle pour l'État, ce n'est pas nécessairement avantageux. Il faut donc encadrer par des traités bien particuliers les dispositions des échanges entre les États. Et c'est le sens de ce que nous avons... c'est dans ce sens-là que nous sommes intervenus depuis ces derniers temps, puis en particulier aujourd'hui. Je voudrais que ce soit clair.

Nous, on pense qu'un bon traité de libre-échange, ça se peut, et on pense aussi qu'un mauvais traité de libre-échange, ça se peut aussi. Et ce qu'on veut, c'est avoir l'assurance que le traité en question sera bon. Maintenant, nous ne mettons pas en cause vos objectifs, votre compétence. Ce qu'on met en cause, vous le savez, c'est le gouvernement fédéral, qui, lui, n'a pas nécessairement les mêmes intérêts que nous. Voilà. Donc, je voulais que ça soit clair. Et, si vous voulez commenter, je vous laisse le soin.

Le Président (M. Drainville): Et vous avez, M. Johnson, je tiens à vous le préciser, quatre minutes. Donc, si vous voulez répondre à la question, bien sûr, et élargir un peu...

M. Johnson (Pierre Marc): Et conclure?

Le Président (M. Drainville): ...pour conclure cette audition, vous avez quatre minutes pour le faire.

M. Johnson (Pierre Marc): D'accord. D'abord, pour... j'apprécie la question du député. Moi, je vois la réalité, là, par mon bout de la lorgnette, qui est cette négociation-là. Je ne suis pas député en ce moment, je suis négociateur et je vous explique en insistant sur la logique interne dans cette négociation. Puis, la logique interne, c'est: ce n'est pas vrai qu'en réduisant le commerce on va augmenter la prospérité. Ça, c'est la première partie de la logique.

La deuxième partie de la logique, c'est: il faut non seulement tenter d'empêcher des réflexes protectionnistes sur des marchés qui sont essentiels à notre existence comme société, mais il faut aussi favoriser l'augmentation de ces échanges.

Quant au rôle de l'État, permettez-moi de vous dire qu'il n'est pas réglé, dans la question du CETA, hein? L'État, il existe en vertu de sa constitution, la volonté démocratique des citoyens; il existe par les législations que vous adoptez, les réglementations que le Conseil des ministres met en vigueur, au service d'un certain nombre de principes, dont celui de la répartition de la richesse, de l'égalité des chances, quand ce n'est pas l'égalité des personnes, dans certains cas; du fait que c'est une responsabilité de l'État que de rendre des services de santé et de rendre des services d'éducation par la voie des services publics: tout cela est conservé, tout cela est vrai et demeurera vrai.

L'enjeu du CETA, c'est la facilitation du commerce, la facilitation du mouvement entre les personnes, entre l'Europe et ici, et la facilitation des mouvements de capitaux dont le Québec a besoin. Et je connais vos préoccupations quant aux intérêts du Québec à travers tout ça. Je pense qu'ils sont défendus avec vigueur, avec compétence, grâce aux fonctionnaires du MDEIE, et dans un contexte encore une fois où on doit faire des arbitrages constamment, puis on a affaire avec nos collègues voisins. Si vous regardez la politique énergétique au Canada... d'abord, probablement le métier le plus difficile, c'est celui d'être ministre de l'Énergie à Ottawa. Vous avez le nucléaire en Ontario, l'hydroélectricité au Québec puis au Manitoba, et puis l'huile... le gaz et le pétrole dans l'Ouest canadien. C'est sûr qu'il y a des intérêts divergents et que l'effort qui doit être fait, c'est de trouver, sur un fil d'équilibre qui soit le meilleur, ce qui nous permet d'atteindre les objectifs essentiels que j'ai énumérés au début de mon entretien avec vous cet après-midi. Et c'est ce à quoi l'équipe avec laquelle je travaille, avec l'appui du gouvernement, du ministre, du premier ministre et, j'espère, avec l'appui d'un certain nombre d'entre vous, c'est le travail auquel je continuerai de me livrer. Merci beaucoup.

Le Président (M. Drainville): Et, si vous permettez, M. le premier ministre, il reste une minute, donc... Le député de Lac-Saint-Jean me signale qu'il a une ultime question. Donc, très, très rapidement.

M. Cloutier: Merci. On voulait savoir qu'est-ce qui est non négociable pour le Québec. Qu'est-ce qui...

Une voix: Pardon?

M. Cloutier: Qu'est-ce qui, pour le Québec, est vraiment non négociable, qui pourrait être une clause de non-signature de l'accord? Est-ce que l'exemption culturelle dont mon collègue a fait mention tout à l'heure, est-ce que la gestion de l'offre intégrale, ce sont des conditions sine qua non, donc inviolables, et que, pour le Québec, elles sont suffisamment importantes qu'elles pourraient remettre en cause une non-signature de l'accord?

M. Johnson (Pierre Marc): Alors, je vais vous dire qu'on s'est promis, tous les négociateurs entre nous, pour les fins de fonctionnement adéquat du processus, de ne pas se mettre dans cette situation avant la toute dernière minute. Et je vous dirai qu'une partie de mon travail consiste à identifier ces enjeux et à savoir à quel moment on utilisera ce que vous évoquez. Mais le faire avant puis le faire par médias interposés ou par commissions parlementaires interposées, ce n'est pas très constructif pour une négociation qui est déjà assez compliquée comme ça.

Le Président (M. Drainville): Merci...

M. Johnson (Pierre Marc): C'est moi qui vous remercie.

Le Président (M. Drainville): ...merci, M. Johnson pour ces échanges, je pense, fructueux. Ça nous a permis de couvrir plusieurs sujets, thèmes, enjeux, y compris les bols à soupe à l'oignon. Alors, je ne sais pas s'il y aura une autre chance de vous parler, mais on se laisse là-dessus.

Je vous remercie et je suspends les travaux quelques instants afin que la commission puisse se réunir en séance de travail.

(Fin de la séance à 18 h 7)

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