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Version finale

31e législature, 6e session
(5 novembre 1980 au 12 mars 1981)

Le mercredi 10 décembre 1980 - Vol. 23 N° 6

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Audition de personnes ou organismes relativement au projet de résolution du gouvernement fédéral concernant la constitution canadienne


Journal des débats

 

(Douze heures cinq minutes)

La Présidente (Mme Cuerrier): La commission permanente de la présidence du conseil et de la constitution se réunit de nouveau aujourd'hui selon le mandat qui lui a été donné par l'Assemblée nationale - je relis ce mandat -pour entendre les représentations de personnes ou organismes relativement au projet de résolution du gouvernement fédéral concernant la constitution du Canada.

Le rapporteur de cette commission est M. le député de Rosemont. Les membres de la commission - j'en fais l'appel maintenant - sont: MM. Bertrand (Vanier), Charbonneau (Verchères), Dussault (Châteauguay) remplacé par M. de Bellefeuille (Deux-Montagnes), Laberge (Jeanne-Mance) remplacé par M. Charron (Saint-Jacques), Le Moignan (Gaspé), Levesque (Bonaventure), Morin (Louis-Hébert), Paquette (Rosemont), Ryan (Argenteuil).

Les intervenants sont: MM. Biron (Lotbinière), de Bellefeuille (Deux-Montagnes) remplacé par M. Dussault (Châteauguay), Fallu (Terrebonne) remplacé par M. Laberge (Jeanne-Mance), Fontaine (Nicolet-Yamaska), Forget (Saint-Laurent) remplacé par Mme Chaput-Rolland (Prévost), Guay (Taschereau), Mme LeBlanc-Bantey (Iles-de-la-Madeleine), M. Scowen (Notre-Dame-de-Grâce) remplacé par M. Marx (D'Arcy McGee).

Mme LeBlanc-Bantey; Mme la Présidente, j'aimerais que vous m'accordiez la permission, lorsque vous aurez entendu le Conseil du statut de la femme, de me faire remplacer, comme intervenante, par le ministre des Communications parce que je dois devenir membre de la commission de la justice qui siège sur la réforme du Code civil et je crois que nous sommes trop peu de femmes pour ne pas veiller au grain.

La Présidente (Mme Cuerrier): Le message est passé, Mme la députée des Iles-de-la-Madeleine.

Mme LeBlanc-Bantey: Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre des Communications sera intervenant après votre départ.

Le programme de la commission s'établit aujourd'hui comme suit. Elle entendra d'abord Me Robert Normand, sous-ministre aux Affaires intergouvernementales, ensuite le Conseil du statut de la femme, l'Association culturelle franco-canadienne de la Saskatchewan puis le Conseil d'expansion économique.

J'appellerais, s'il vous plaît, Me Robert Normand pour la poursuite des questions à son endroit.

M. le ministre des Affaires intergouvernementales.

M. Morin (Louis-Hébert): Avant qu'on n'aille plus loin, comme j'avais promis hier que je déposerais aujourd'hui d'autres documents que j'ai maintenant la permission de déposer, je voudrais procéder. Il s'agit de trois avis juridiques de juristes britanniques soumis devant le "select committee" à Londres. J'ai maintenant ces textes ici avec un petit résumé en français de chacun de ces documents qui seront maintenant à la disposition non seulement bien sûr des membres de la commission mais également des journalistes. Je voudrais les déposer. Il s'agit de celui des professeurs Wade, de Cambridge, Lauterpacht, de Cambridge également et Geoffrey Marshall. Deux ont déposé ces textes, le 10 décembre. Ils peuvent être rendus publics dès aujourd'hui avec arrangement avec le "select committee" britannique. Ces documents seront distribués au cours des prochaines minutes.

La Présidente (Mme Cuerrier): Les documents sont maintenant mis à la disposition des membres de la commission et prêts à circuler.

Qui m'avait demandé la parole?

Mme la députée de Prévost.

M. Robert Normand (suite)

Mme Chaput-Rolland: M. Normand, lorsque nous nous sommes quittés, il était question de concertation entre les provinces au point de vue de la publicité. Ce qui me frappe beaucoup, c'est que, dans ce gouvernement et dans cette enceinte, on a beaucoup parlé de l'unanimité. Vous le savez. Les provinces qui rejettent la formule unilatérale d'amendements, les rejettent pour à peu près les mêmes raisons que nous, dans cette Chambre, tant du côté du gouvernement que du côté de l'Opposition. Je demande s'il y a eu concertation entre les provinces et si l'impact sur le public n'aurait pas été infiniment plus grand si chacune des provinces avait fait le même type de publicité au lieu d'avoir une publicité de la Saskatchewan, une publicité du Québec, etc. C'est cela que je ne comprends pas.

Je pense que, là, il y a eu une erreur grave. Je m'excuse, à mon point de vue, je n'accuse personne. S'il y avait eu vraiment une concertation entre les provinces qui s'opposent au rapatriement unilatéral, si on avait fait tous la même publicité, est-ce qu'on n'aurait pas eu infiniment plus d'impact? C'est ma première question. L'autre, si vous voulez, je vous la pose tout de suite.

La Présidente (Mme Cuerrier): Me Robert Normand, vous avez la parole.

M. Normand: Mme la Présidente, j'essaierai de répondre à la première question, quitte à ce que nous puissions passer à la deuxième par la suite.

Je pense que oui, si les provinces s'étaient concertées pour adopter des mesures de publicité qui soient analogues ou identiques et au même degré, cela aurait peut-être pu avoir, comme vous dites, un impact plus grand au sein de chaque province.

Cependant, la concertation interprovinciale a des limites qui tiennent à l'autonomie de chacune des provinces, que chacune veut exercer jalousement. Cette concertation a aussi comme limite le fait que chaque province est assez différente ou s'estime différente des autres, de sorte que les recettes qui sont bonnes à un endroit ne sont pas perçues nécessairement comme étant bonnes ailleurs.

En plus, le désir qui anime les gouvernements des provinces contestataires n'est pas toujours le même, ne s'exprime pas au même degré au niveau de la contestation ou des modalités d'assurer une telle contestation, de sorte qu'il devient, en pratique, excessivement difficile d'assurer une véritable harmonisation ou une concertation interprovinciale poussée en matière de publicité. Nous nous sommes contentés d'échanger de l'information sur ce que chacun pouvait faire, chacun nous faisant état des mesures qui étaient prises dans chacune des provinces, compte tenu des besoins locaux.

Ainsi, Terre-Neuve a commencé avant nous. Elle a adopté des mesures qu'elle estimait adaptées aux besoins de sa population. Les ministres et le premier ministre se sont promenés beaucoup, à ma connaissance, à travers la province. Ils ont rencontré des représentants de beaucoup de commissions scolaires, de conseils d'hôpitaux, etc. et ils ont également publié une brochure ou un dépliant que j'ai vu, il y a quelques semaines. C'est peut-être la province où il y a eu la plus grande sensibilisation effectuée par voie de campagne d'information, à ma connaissance, avec peut-être le Québec.

Dans d'autres provinces, cela a varié suivant les besoins de chacun de sorte que si l'objectif que vous nous avez proposé était méritoire, en fait, il est difficilement atteignable et il n'a pas été atteint, encore que je ne suis pas sûr qu'une publicité conçue de façon identique pour l'ensemble du Canada, pour chacune des six provinces, eût été aussi efficace. Je pense qu'il y a un degré de syncrétisme dont il faut tenir compte et qui doit s'appliquer en l'occurrence. Je vous expose la situation telle qu'elle est. Libre à chacun de porter son jugement ou de tirer des conclusions.

La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la députée.

Mme Chaput-Rolland: Ma deuxième question peut sembler impertinente, mais je vais la poser quand même. Il y a deux versions au sujet du "select committee" de Londres. Quelques-uns disent que c'est un comité extrêmement important et d'autres disent que cela fait un peu penser, que cela n'a pas beaucoup d'importance. Vu d'ici, je suis incapable de faire un jugement. J'ai discuté avec des gens de Londres qui m'ont donné des versions à ce point controversées que je voudrais avoir votre opinion. Quelle serait d'après vous, M. le sous-ministre, l'importance et l'impact de ce "select committee" -sur la population, le Parlement et les media d'information?

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le sous-ministre.

M. Normand: Je pense que le "select committee" qui résulte, me dit-on, d'une réforme des institutions parlementaires ou du fonctionnement du parlementarisme britannique, réforme qui date d'environ un an et demi, vise à regrouper un certain nombre de députés intéressés par la politique étrangère de la Grande-Bretagne. C'est essentiellement un comité de la Chambre, comme il y en a plusieurs, qui vise à occuper surtout, je pense, les députés d'arrière-ban en général pour les faire participer davantage à l'élaboration des travaux parlementaires. C'est un peu la nature du comité dont il s'agit. Je devrais donc normalement conclure qu'il ne s'agit pas, de par sa nature, d'un comité ayant une grande importance sur l'élaboration des politiques du gouvernement.

Cependant, le problème canadien qui se pose au gouvernement britannique et au Parlement britannique comporte une acuité assez considérable. En d'autres termes - je vais peut-être exprimer ma pensée d'une façon différente -les Britanniques ont beaucoup de problèmes intérieurs présentement et, lorsqu'ils pointent le nez ou les yeux sur d'autres horizons, ils sont beaucoup plus préoccupés, en général, par une possibilité d'invasion de la Pologne par l'Union soviétique, par la guerre entre l'Irak et l'Iran, etc., de sorte que les problèmes canadiens, le plus loin ils peuvent rester, le mieux ils seront, je pense, de leur point de vue. (12 h 15)

Ce "select committee" comprenant des gens sérieux - les personnes qui en font partie sont des personnes, me dit-on, sérieuses qui travaillent adéquatement et sérieusement - conséquemment, je pense que cela a fait l'affaire du gouvernement britannique de voir un comité de la Chambre se préoccuper des tenants et aboutissants du problème canadien pour permettre d'aérer le problème avant que le gouvernement puisse en être saisi formellement. Il s'agit donc, de par sa nature, d'un comité qui n'a peut-être pas normalement l'importance qu'on peut lui attribuer, mais, en l'occurrence, il prend une importance un peu particulière de façon à pouvoir aérer le problème pour les fins du qouvernement britannique.

C'est ce qui nous a fait le prendre au sérieux, c'est ce qui nous a fait déposer un mémoire que j'estime, quand même, assez sérieux. Il n'y a pas de doute, non plus, que les textes qui sont soumis sur le problème canadien à ce comité sont véhiculés dans les officines des ministères, entre autres, au Foreigh Office, de sorte que le gouvernement se trouve un peu saisi des positions juridiques ou techniques des provinces jusqu'à présent sur le sujet dont il s'agit. Donc, pour moi, le comité a quand même une importance un peu plus grande que celle que normalement on pourrait lui attribuer. Ce n'est pas le gouvernement cependant, mais c'est quand même un comité du Parlement et je ne voudrais pas

minimiser, à cet endroit-ci, l'importance du rôle des comités de la Chambre.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Verchères.

M. Charbonneau: M. Normand, vous avez parlé hier de votes qui ont été tenus à différentes Assemblées législatives dans d'autres provinces. Est-ce qu'on a le résultat des votes qui ont été tenus? Est-ce qu'il y a eu des unanimités d'obtenues?

M. Morin (Louis-Hébert): Oui, en Alberta...

M. Normand: En Alberta, les chiffres sont de 70-1. À Terre-Neuve et en Colombie-Britannique, je ne sais pas si les résolutions ont été adoptées et, conséquemment, je ne connais pas le nombre de députés qui ont voté pour et le nombre de députés qui ont pu voter contre. C'est le type de renseignement que je peux obtenir assez facilement de mes collègues des autres provinces, mais je ne les ai pas à l'esprit au moment où je vous parle.

M. Charbonneau: D'autre part, on a parlé de la campagne d'information auprès du public québécois. Le groupe que vous avez constitué est-il en mesure de procéder à une vérification de l'efficacité de cette campagne? Avant la campagne, et maintenant qu'elle est engagée depuis un certain temps, est-ce qu'on a pu vérifier si les arguments présentés à la population, si la cause présentée, dans le fond, à la population ont eu des échos et ont progressé?

M. Normand: Mme la Présidente, je pense qu'il s'agit d'une bonne question sur un plan technique. Nous nous sommes effectivement interrogés sur la possibilité de faire un sondage afin de connaître l'état de l'opinion avant le début de la campagne, quitte à compléter, au terme de cette campagne, par un deuxième sondage afin de voir l'évolution de la population ou de l'opinion de la population au cours de cette période qu'a duré la campagne de publicité, de façon également à pouvoir déterminer l'impact de cette campagne.

Les coûts, cependant, des sondages dont il s'agit, qui nous ont été proposés nous ont semblé un peu forts, un peu prohibitifs, compte tenu du budget dont nous disposions. Par ailleurs, nous nous sommes dit que les organismes de sondage sonderaient sûrement périodiquement la population sur ce problème, de sorte que, même si nous ne pouvions pas disposer d'un sondage parfaitement adapté aux besoins que nous aurions eus, nous pouvions et nous pouvons également recourir à des produits qui nous sont livrés par des sondeurs d'opinion publique et qui ont un intérêt pour nous. Effectivement, l'actualité nous sert bien. Ce matin, les journaux font état d'un sondage pancanadien qui a été réalisé au début du mois de novembre. J'ai cru comprendre, au cours du week-end également, qu'un autre sondage plus récent était en voie d'être terminé. Il sera intéressant, en ce qui concerne le Québec, de voir la différence de pourcentage de personnes qui approuvent ou désapprouvent le projet de M. Trudeau, ce qui nous fournira un indice sur l'efficacité de cette campagne.

M. Charbonneau: Si je comprends bien, vous avez l'intention, même si vous n'avez pas commandé des sondages, d'analyser les résultats des sondages qui sont faits par des groupes extérieurs?

M. Normand: C'est exact. De plus, nous n'avons pas exclu la possibilité de faire un sondage qui soit conforme aux besoins spécifiques que nous aurions, mais nous n'avons pas pris de décision encore sur ce sujet. Je pense qu'il faudra, dans un premier temps, analyser les sondages par ailleurs disponibles avant de déterminer si nous en avons besoin d'un pour nos fins spécifiques.

M. Charbonneau: Une dernière question pour vérifier. Vous parliez d'actualité. Le sondage Gallup de ce matin, publié par le Soleil, semble avoir été effectué au début de novembre. Pouvez-vous me dire à partir de quand a commencé la campagne d'information du gouvernement du Québec?

M. Normand: Elle a commencé, je crois, le 20 ou le 21 novembre. Elle devait commencer un peu plus tôt, mais nous l'avons retardée pour permettre aux députés de discuter peut-être plus librement, sans avoir une campagne d'information en même temps, de la teneur de la résolution de l'Assemblée nationale dont le débat s'est terminé, je pense, le 21 novembre dernier de sorte que, si ma mémoire est bonne, la campagne a commencé le 21, effectivement. Elle devait commencer un peu plus tôt, c'est ce qui explique qu'entre le 10 novembre et le 21 il y ait eu à la radio, à l'occasion, quelques messages publicitaires qui ont coulé même si nous avions donné des instructions à tous les diffuseurs de ne pas diffuser les messages qui avaient été enregistrés. On en a perçu quelques-uns, mais cela a été exceptionnel.

M. Charbonneau: Pouvez-vous me dire...

M. Rivest: M. le député de Verchères, je voudrais une précision sur votre dernière question.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Jean-Talon.

M. Rivest: L'équipe dirigée par M. Cyr a été constituée à quel moment?

M. Normand: Si ma mémoire est bonne, nous avons reçu le mandat à la toute fin du mois d'octobre et on nous avait demandé de pouvoir commencer cette campagne d'information à compter du 10 novembre.

M. Rivest: Vous permettez? Le mandat que vous avez reçu vous est-il venu d'une façon informelle ou s'il y avait des directives précises?

M. Normand: Le comité ministériel dont j'ai parlé hier s'est réuni, nous a demandé de participer à sa réunion et, au cours de cette réunion, diverses idées ont été mises sur la table; on nous a demandé d'utiliser ces idées pour pouvoir organiser la campagne d'information dont il s'agit.

M. Rivest: Dernière petite précision, je

m'excuse. C'est M. Cyr qui a la responsabilité au niveau de la publicité, c'est cela? Les membres du comité ou du groupe, à quel moment ont-ils été adjoints à M. Cyr? À toutes fins utiles, j'imagine que c'est au début de novembre.

M. Normand: Je pense, de mémoire, qu'il s'agit des tout derniers jours d'octobre.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Verchères.

M. Charbonneau: Simplement une constatation pour être certain. C'est donc dire, finalement, à partir des informations que vous nous donnez, que les résultats du sondage publiés ce matin ne tiennent absolument pas compte de la répercussion du débat à l'Assemblée nationale qui était télévisé, ni de la campagne d'information qui a été entreprise par le gouvernement. C'est donc dire que la réalité d'aujourd'hui pourrait être encore différente, et possiblement à l'avantage du Québec et des autres provinces, de celle qui nous est présentée dans le sondage de ce matin.

M. Normand: Vraisembablement, si la campagne a eu une efficacité; c'est ce qu'on va s'apprêter à mesurer, depuis qu'on connaît, ce matin, ce sondage. Il s'agit cependant d'un sondage pancanadien, de sorte que l'échantillonnage, pour le Québec, est peut-être un peu faible pour nous permettre de vraiment mesurer l'efficacité de la campagne. C'est une des données dont il nous faudra tenir compte dans l'analyse, mais je ne suis pas un spécialiste en la matière.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de D'Arcy McGee. M. le député de Vanier.

M. Marx: ...

M. Bertrand: Une très courte question. Est-ce que M. Normand pourrait s'enquérir, en obtenant des informations plus complètes du sondage Gallup, si l'information a été donnée sur la base des distinctions entre communautés anglophones et francophones? Je pense que ça peut être intéressant pour le Québec, entre autres, d'avoir cette donnée.

M. Normand: Je prends bonne note de la remarque du député, Mme la Présidente. Je n'ai fait que lire, comme vous, les journaux ce matin, je n'ai pas pris connaissance du sondage lui-même, de sorte qu'il m'est difficile de le commenter autrement que de la façon que les journaux l'ont fait.

M. Ryan: Avec IQOP, il l'aurait eu avant!

M. Bertrand: Je dois dire que mes connexions sont bonnes.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Mme la Présidente, vous savez, comme nous tous, que tous les partis politiques à l'Assemblée nationale sont contre le rapatriement unilatéral de la constitution et la modification unilatérale de la constitution canadienne. Nous sommes tous contre l'imposition d'une charte des droits par le gouvernement fédéral aux provinces et même le chef de l'Opposition officielle a fait une telle déclaration à Ottawa, il n'y a pas longtemps.

Cependant, il y a une distinction entre les politiques du Parti québécois et celles du Parti libéral, c'est-à-dire que le Parti libéral du Québec est en faveur d'une charte des droits enchâssée dans la constitution. Nous sommes pour le droit de mobilité dans une telle clause enchâssée dans une charte des droits dans la constitution. Nous sommes pour les droits linguistiques enchâssés dans la constitution et ainsi de suite. Donc, il y a une différence de philosophie entre ces deux partis. À mon avis, il faut lutter contre le projet fédéral, mais il ne faut pas le faire n'importe comment en utilisant n'importe quels mots et n'importe quels arguments.

Je trouve que la publicité que le gouvernement du Québec fait est une publicité fondée sur des arguments de peur, et je m'explique. Je ne veux pas imputer cela au sous-ministre, ça va de soi. Il a sûrement reçu des ordres du premier ministre ou du ministre de la Justice ou du ministre des Affaires intergouvernementales de mener une telle campagne de publicité. Lors de nos débats à l'Assemblée nationale, le premier ministre lui-même a dit que selon l'opinion des experts, si une telle charte était enchâssée dans la constitution, cela rendrait inconstitutionnelle la loi sur les petites créances du Québec. Le ministre de la Justice a dit: Une charte enchâssée dans la constitution va rendre inconstitutionnelles les politiques d'achat du gouvernement du Québec. Il a dit aussi que ça rendrait inconstitutionnelles les politiques de subventions du gouvernement du Québec, que ça rendrait invalides un tas d'autres lois qu'il a énumérées, sans donner aucune opinion juridique. J'ai même trouvé, dans un des documents du ministère des Affaires intergouvernementales, qu'une telle charte enchâssée dans la constitution peut aboutir à l'uniformisation des systèmes d'éducation au Canada.

Ce sont, à mon avis, toutes des affirmations gratuites parce qu'on a essayé de vérifier le bien-fondé de ces affirmations hier, quand les conseillers juridiques du gouvernement étaient ici. On a posé ces questions à Me Pratte et il n'était nullement d'accord avec ces affirmations et...

Mme la Présidente, quand le député de Verchères a parlé je ne l'ai pas interrompu...

M. Charbonneau: Mais dites la vérité, batêchel

M. Marx: ... qu'il m'accorde la même... M. Charbonneau: Voyons donc!

M. Marx: S'il a quelque chose à dire, je vais lui laisser la parole, mais s'il n'a rien à dire qu'il se taise...

M. Charbonneau: Dites la vérité.

M. Marx: ... et qu'il laisse les autres parler.

La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il

vous plaît!

M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Je répète qu'on a essayé de vérifier certaines de ces affirmations avec Me Pratte et il a dit soit qu'il n'a pas fait d'étude, soit que ce n'est pas clair, etc.

Je vais parler du dépliant que le gouvernement a fait imprimer. Voici une question qu'on pose aux Québécois: "Voulons-nous deux gouvernements ou un seul qui siège à Ottawa?" Je ne pense pas que ce soit la question du projet fédéral. Si le projet fédéral était adopté, on aurait encore onze gouvernements. Il ne serait pas question d'avoir un État unitaire.

On voit dans le même paragraphe: "Non, il ne faut pas que le gouvernement d'Ottawa prenne la place de celui du Québec." Je ne sais pas ce que cela veut dire. Sur le plan juridique, ce n'est pas trop exact. Vous êtes d'accord, Me Normand, que ce n'est pas trop exact?

On voit aussi: "Nos enfants parleront-ils français?" C'est une question qui peut semer la peur chez certaines personnes. Je ne pense pas qu'il y ait de problème avec cela. (12 h 30)

Je vois ici: "Alors que les autres provinces, elles, pourraient demeurer unilingues anglaises..." Ce n'est pas vrai sur le plan juridique, parce que le Manitoba serait lié de la même façon que le Québec...

Une voix: C'est cela.

M. Marx: ... le Nouveau-Brunswick voudrait se lier de la même façon que le Québec...

M. Morin (Louis-Hébert): Et l'Ontario?

M. Marx: Le charriage que je trouve ici c'est que... Je ne suis pas d'accord avec la charte fédérale et le Parti libéral n'est pas d'accord qu'on impose cela aux provinces, mais même si cela était imposé, qu'est-ce que cela changerait à la loi 101? Juste un petit paragraphe sur la langue d'enseignement que même le gouvernement péquiste a voulu mettre dans la loi 101 dans le sens que le gouvernement péquiste a voulu négocier une clause Canada avec les autres provinces. Je trouve que... Mme la Présidente, peut-on demander aux députés ministériels de se taire et de rester tranquilles quand les autres parlent?

Une voix: ... mettre de la vie un peu.

M. Marx: II n'y a pas de politesse du tout.

Une voix: On est en train de remettre de...

La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous plaît; À l'ordre! M. le député.

M. Marx: Sur la question linguistique, dans ce dépliant, on sème la peur. Il y a même des erreurs sur le plan juridique. J'ai posé des questions hier à Me Pratte. Il y en a une autre un autre endroit où on dit: "Sorry, no jobs". Je ne sais pas si c'est du "jouai" ou si on a voulu cela en anglais. Je cite: "Nous perdrons ainsi un instrument important pour combattre le chômage.", c'est-à-dire que si le projet fédéral est mis en vigueur, le Québec serait incapable de combattre le chômage. Le Parti québécois n'a pas vraiment combattu le chômage, parce que le chômage a augmenté...

Une voix: Sans la charte.

M. Marx: Oui, sans la charte, et depuis que le Parti québécois est au pouvoir...

Mme LeBlanc-Bantey: II a diminué chez nous avec la mine de sel, en tout cas!

M. Marx: ...il y a des statistiques qu'on a déjà citées. Tout ce que j'aimerais demander au sous-ministre...

M. Charbonneau: Parlez-nous de l'Ontario. Il est encore dans les patates! Cela a monté au Québec et cela a baissé partout ailleurs, n'est-ce pas? Voyons donc!

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Verchères, s'il vous plaît!

M. Rivest: C'est plein d'inexactitudes, tout ce qu'on dit!

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Jean-Talon!

M. Marx: En somme...

M. Rivest: Question de règlement, Mme la Présidente. Il y a une chose qui est absolument difficile à accepter dans les commissions parlementaires. C'est l'habitude du ministre de passer constamment par- dessus votre tête et interpeller l'Opposition.

M. Ryan: C'est très blessant pour nous.

La Présidente (Mme Cuerrier): C'est certainement une taquinerie, M. le député de Jean-Talon. C'est M. le député de D'Arcy McGee qui a la parole. À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Marx: En somme, en lisant ce pamphlet, je trouve que cela fait partie d'une campagne de peur. Cela veut dire qu'on dit aux Québécois: Ce sera invivable, on va perdre telle et telle chose et ainsi de suite. Voici la question que j'aimerais poser au sous-ministre. En préparant ce dépliant, a-t-on vérifié l'exactitude sur le plan juridique de toutes les affirmations qu'on a faites?

La Présidente (Mme Cuerrier): M. Normand.

M. Normand: Mme la Présidente, il ne s'agissait pas de faire une analyse juridique du projet de M. Trudeau pour la véhiculer à la population. Je pense, par exemple, que M. Pratte a fait hier une excellente analyse juridique du projet dont il s'agit et qu'elle aurait été difficilement consommable par l'ensemble de la population. Il s'agissait donc à la base d'une campagne d'information visant à sensibiliser la population sur les dangers que pourrait comporter le projet mis de l'avant par le gouvernement fédéral. Conséquemment, les publicitaires nous indiquent que dans un tel cas, il faut adopter des formules qui frappent la population...

Des voix: Oh!

M. Normand: ...sans cependant que les messages qui sont ainsi véhiculés soient faux, de sorte que...

La Présidente (Mme Cuerrier): S'il vous plaît! S'il vous plaît: S'il vous plaît!

M. Normand: ... conformément aux avis que les publicitaires nous ont fournis, ceux-ci ont essayé de trouver des images qui frappaient la population pour la sensibiliser.

Nous avons examiné les textes qui nous avaient été soumis, afin de déterminer s'ils étaient erronés par rapport au projet de M. Trudeau. Et l'examen a démontré qu'il n'y avait rien là-dedans d'absolument erroné mais que, dans beaucoup des cas, c'étaient des conséquences possibles de la mise en oeuvre du projet de M. Trudeau, un peu de la même façon qu'on vous l'a expliqué hier.

En d'autres termes, l'élaboration d'une charte des droits, à cause du niveau de généralité du langage, fait en sorte qu'il est difficile de prévoir concrètement comment cette charte aura des effets dans la réalité, des effets concrets. Il est possible facilement, pour certains juristes, je pense, d'en arriver à des conclusions analogues à celles qui sont potentiellement évoquées ici. Vous remarquerez que, dans le dépliant dont il s'agit, le conditionnel a été utilisé à peu près partout.

M. Marx: J'ai une autre question.

M. Normand: En ce qui concerne votre autre remarque sur les petites créances, j'aimerais apporter une distinction peut-être. Je ne crois pas, de mémoire, que dans ce dépliant on fasse état des petites créances. Au cours de l'été, il y a eu un projet de charte qui a été communiqué par le gouvernement fédéral dans le cadre des discussions constitutionnelles de l'été. Ce projet de charte a été remanié depuis pour constituer la charte qui se trouve présentement contenue dans le document de M. Trudeau.

Mais le projet de l'été pouvait faire en sorte que la loi des petites créances soit inopérante. Le gouvernement fédéral a modifié son projet depuis. À ma connaissance, le nouveau projet ne permet pas d'évoquer ce type de conclusion qu'il était possible d'évoquer au cours de l'été, d'après le texte qui avait alors été déposé.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Concernant la loi sur les petites créances, c'est le premier ministre lui-même qui a dit cela en Chambre il y a deux semaines. J'imagine qu'il n'a pas commenté un projet de l'été. J'imagine qu'il a commenté le projet fédéral déposé le 2 octobre.

Vous avez dit que ce n'est pas absolument erroné. J'aimerais prendre un paragraphe et vous demander, en tant que juriste, si c'est erroné ou non. Et je cite: "Accepter le coup de force d'Ottawa, c'est accepter le bilinguisme à sens unique. Alors que les autres provinces, elles, pourront demeurer unilingues anglaises, le Québec deviendra la seule province bilingue."

Sur le plan juridique, est-ce que c'est exact ou si c'est faux?

M. Ryan: Ce n'est pas absolument erroné.

M. Marx: Est-ce que c'est absolument erroné ou non?

La Présidente (Mme Cuerrier): Me Normand.

M. Normand: Je pense, Mme la Présidente, que ce n'est pas absolument erroné. C'est une conséquence potentielle qui pourrait être atteinte, dépendant de la façon dont le projet de résolution déposé par M. Trudeau pourrait être appliqué au Québec ou dans d'autres provinces. C'est donc potentiellement fondé - même si je ne peux pas vous assurer que telle va être la conséquence ou la réalité.

M. Marx: Vous avez peut-être mal compris ma question. Sur le plan juridique, le Québec serait sur un pied d'égalité, disons, que la province du Manitoba. Sur le plan juridique, je ne vois pas quelle sera la différence. C'est cela la question. Je vous pose une question technique, M. le sous-ministre; je ne veux pas vous poser des questions politiques et vous demander de prendre une position politique. Je vous pose une question assez technique. Sur le plan technique, je trouve que c'est absolument erroné.

M. Normand: Sur le plan juridique, l'article 133 s'applique uniquement au Québec et au Manitoba dans le projet de loi de M. Trudeau. Or, au Manitoba, si on va voir de facto ce qui se produit, on voit que les conséquences ne sont pas identiques aux conséquences que l'on trouve au Québec quant à l'application de cet article 133. Je peux vous dire, par exemple, que, depuis le jugement de la Cour suprême sur l'application de l'article 133 au Manitoba, les efforts qui ont été faits pour que de facto la province devienne aussi bilingue que le Québec, quant à ce qui est prévu à l'article 133, me semblent minimes et les conséquences de facto me semblent tout à fait différentes de celles qu'on trouve au Québec. Maintenant, c'est un mélange de droit et de réalité. Dans le dépliant, nous n'avons pas voulu, non plus, essayer de faire une étude juridique raffinée. Nous nous sommes attardés à essayer de trouver des images pouvant frapper la population, mais qui ne soient pas absolument fausses d'aucune façon. Ce sont des conséquences possibles par un alliage du droit et de l'application qu'on pourrait en faire.

M. Marx: Si on veut planifier une bonne campagne de peur, on fait cela de cette façon, si je comprends bien.

Mme LeBlanc-Bantey: Vous avez l'habitude. M. Paquette: Mme la Présidente...

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Vanier.

Une voix: C'est le député de Rosemont, Mme la Présidente, qui a demandé la parole.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre, vous aviez une précision, disiez-vous?

M. Morin (Louis-Hébert): Oui, j'avais une précision à ajouter qui est très importante. Le texte dont on parle a été quand même distribué au moment où on parle et il a été préparé avant, par exemple - je donne un cas - que le Nouveau-Brunswick se présente à la commission à Ottawa en disant: Moi, je voudrais que s'applique l'article 133 chez moi. Premièrement, il y a un élément de temps qui intervient.

Mais, au-delà de tout cela, de deux choses l'une: ou le Parti libéral est contre le projet fédéral ou il est pour. Il y a des jours où il a l'air contre et il y a des jours où il a l'air pour. Ce matin, je vois qu'on est en train de nous dire que les arguments que nous utilisons contre ne sont pas des bons arguments, alors qu'on n'a rien démontré de la sorte. Vous avez l'air de regretter d'être obligés de dire que vous êtes contre le projet fédéral. Il faudrait, quand même, que vous vous branchiez à un moment donné. Si vous êtes contre, c'est pour des raisons. Des raisons, pour nous autres, il y en a trois catégories et elles ont été rappelées par M. Pratte hier: d'une part, la charte des droits, qu'on le veuille ou non, enlève des pouvoirs aux provinces. Cela a été dit, cela a été reconnu par le député de D'Arcy McGee. S'il a la mémoire d'hier, il va se souvenir qu'il a dit cela. Donc, c'est ce qu'on dit.

M. Rivest: Ce n'était même pas un régime unitaire, un seul gouvernement, par exemple, comme vous le dites dans votre papier.

La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous plaîtl À l'ordre, s'il vous plaît! M. le député de Jean-Talon, s'il vous plaîtl

M. Morin (Louis-Hébert): Mme la Présidente, je remarque une chose dans ces commissions parlementaires: le député de Jean-Talon passe toujours par-dessus votre tête pour interrompre les députés des autres partis.

M. Rivest: Fâchez-vous, Mme la Présidente! (12 h 45)

M. Morin (Louis-Hébert): Deuxièmement, dans le projet fédéral, il y a une chose évidente qui a été mentionnée hier. La procédure d'amendement constitutionnel par référendum est une procédure qui change la nature des provinces et, par conséquent, la nature du fédéralisme. Quand on pose la question: Un gouvernement ou deux? Cela veut dire que le gouvernement important et dominateur serait le gouvernement fédéral. C'est ce que cela signifie et c'est une façon de l'illustrer.

Troisièmement, c'est peut-être ce que j'ai appris hier de plus, car j'en apprends tous les jours, j'ai appris des choses en les écoutant, c'est-à-dire que j'apprends que je ne sais pas où ils se situent, j'ai appris hier de la déposition de M. Pratte une chose importante et capitale, qui me semble plus importante que tout le reste, c'est que cette charte des droits introduirait dans la pratique et dans nos Législatures une incertitude juridique; or, s'il y a incertitude juridique, cela veut dire qu'on n'est pas sûr de ce qui va arriver. Si on n'est pas sûr de ce qui va arriver, cela veut donc dire qu'il y a des possibilités sérieuses que des conséquences néfastes se produisent; or, nous faisons allusion à cela dans le dépliant.

M. Rivest: Un seul gouvernement?

M. Morin (Louis-Hébert): Même un seul gouvernement...

M. Rivest: Voyons donc, c'est complètement fauxl

M. Morin (Louis-Hébert): ... parce que, actuellement on est en train, si jamais le coup de force fédéral passait - si on pouvait arrêter de m'interrompre - de changer la nature du système contrairement aux promesses du référendum. Ce n'est pas ce qui a été promis au moment du référendum, il faut quand même s'en souvenir. Moi, tous les jours, j'aurai l'occasion de le dire et je vais répéter qu'on s'est fait mentir au mois de mai et qu'il y a des gens qui, involontairement ou non, ont contribué à cet état de choses que je ne qualifie pas davantage. Fin de mon intervention.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Rosemont.

M. Paquette: Je constate encore une fois qu'une journée, on sait que le Parti libéral est contre le coup de force d'Ottawa et, une autre journée, on se le demande. De toute façon, il nuit beaucoup plus qu'il n'aide, je pense. On a eu des réponses assez claires sur le plan juridique hier; on s'est aperçu qu'il y avait de fortes probabilités que certaines des lois du Québec soient mises de côté. Il y a des cas clairs; cela m'a étonné, il y a le bout sur la loi 101. Je pense qu'il est assez clair que le fait français au Québec est menacé par le projet de loi Trudeau. Avant la loi 101 - on connaît le phénomène de dénatalité il y avait une diminution des effectifs scolaires plus forte du côté francophone que du côté anglophone. Encore aujourd'hui, au moment où on se parle, la proportion des enfants de langue anglaise, dans les écoles, est plus grande que la proportion de la population. C'est bien clair qu'en l'absence de tout correctif on retournerait à la situation antérieure. Je ne pense pas qu'il y ait eu des changements significatifs dans le domaine de l'immigration. Dans le dépliant - je suis en désaccord total, je tiens à le faire savoir à M. Normand, avec ce que dit le député de D'Arcy McGee - quand on dit que la langue française est menacée, c'est un fait. Quand on dit que le régime pourrait évoluer vers un régime unitaire, on ne dit pas que la résolution Trudeau ferait du Canada un régime unitaire - relisez-le, arrêtez de charrier, relisez-le - on dit que ça pourrait nous conduire vers ça. Effectivement, quand les provinces commencent à perdre leur souveraineté dans leur sphère de compétence, elles deviennent de plus en plus des autorités qui fonctionnent par pouvoir délégué. La caractéristique d'un régime unitaire, c'est ça.

Vous regardez ça sur un plan strictement juridique et vous oubliez la question des rapports de forces qui sont importants dans une fédération et, quand c'est parti dans un sens, quand le déséquilibre devient trop grand, il s'accentue. Je pense que vous ne pouvez pas le nier, c'est une chose qui s'est produite ailleurs, qui pourrait se produire ici.

Mme la Présidente, j'aurais trois questions à poser à Me Normand après ces remarques

préliminaires. Concernant les démarches que vous avez faites à Londres et suite au report du comité de la Chambre des communes à Ottawa au mois de février, est-ce que vous pourriez nous donner une idée de l'échéancier probable, advenant - ce qui devient de plus en plus incertain, mais qui est toujours possible - que le Parlement canadien adopte sa résolution quelque part à la fin de février comme il...

M. Normand: Je dois vous avouer que je peux difficilement, Mme la Présidente, répondre à cette question qui est hautement conjecturale, je pense. Il a été dit dans le passé que le programme législatif du Parlement britannique est un programme qui devait être arrêté assez tôt au début de 1981 et qui, une fois arrêté, comportait une bonne dose de rigidité, de sorte qu'il serait difficile de le perturber par la suite.

D'après ce que j'avais cru comprendre, la résolution du Parlement canadien aurait dû atteindre Londres en janvier pour pouvoir être adoptée, en présumant qu'elle aurait pu l'être, avant le 1er juillet et que tout report risquait de faire en sorte que la résolution du Parlement canadien ne serait considérée que plus tard dans le calendrier législatif du Parlement britannique. C'est la seule donnée, que j'ai lue comme vous dans les journaux, qui m'a été fournie à cet égard. Je ne peux pas répondre de façon plus précise à cette question.

M. Paquette: M. Loiselle, par exemple, n'a pas pu vérifier auprès du leader du gouvernement britannique ou...

M. Normand: Les échos que j'ai de M. Loiselle vont dans le sens de la réponse que je viens de vous faire, mais je n'ai pas plus de précisions à apporter. En d'autres termes, je ne suis pas en mesure de vous dire que si la résolution du Parlement canadien n'atteint pas Londres le 1er février, ce sera reporté au mois de décembre prochain. Je ne suis pas en mesure de vous livrer ce type d'information.

M. Paquette: Deuxième et dernière question concernant le programme de sensibilisation des Québécois au coup de force fédéral. Il y a eu une question hier, je pense que c'est le chef de l'Opposition officielle qui vous a demandé: Est-ce que vous subventionnez Solidarité-Québec, par exemple? Vous aviez répondu que non, à votre connaissance. Vous aviez mentionné aussi que vous apportiez un support à Solidarité-Québec. Quelle est la nature de ce support?

La Présidente (Mme Cuerrier): Me Normand. M. Normand: On a...

M. Paquette: C'est une offre que vous avez faite.

M. Normand: C'est ça, Mme la Présidente. Nous avons fait une offre à Solidarité-Québec en indiquant, si ces gens avaient besoin de nos services, qu'ils nous disent le type de besoins qu'ils souhaiteraient que nous puissions les aider à combler, mais nous n'avons pas eu, à ma connaisance, de demande de leur part. Est-ce qu'il y a eu une demande? Ah oui! On me dit qu'on nous a demandé de leur fournir un certain nombre de copies du dépliant dont il s'agit pour qu'ils puissent en assurer la distribution. À ma connaissance, il n'y a pas eu d'autres demandes qui nous ont été faites de leur part.

M. Paquette: Dans votre esprit, cette offre que vous faisiez à Solidarité-Québec était de cette nature-là, c'est-à-dire fournir certains instruments, fournir des services conseils ou...

M. Normand: Support technique, oui, et organisationnel, par exemple, si besoin était, de façon à en expédier en province, s'ils l'avaient souhaité, devant divers clubs sociaux ou divers conférenciers, etc. Mais la demande n'a pas été faite.

M. Paquette: Dernière question, Mme la Présidente. Est-ce que cette offre s'étend également à d'autres organismes, notamment si nos amis du Parti libéral se décidaient de lutter contre le coup de force d'Ottawa et fondaient Solidarité-Québec libérale, avec le Conseil du patronat et la Chambre de commerce, par exemple, est-ce que vous offririez les mêmes services? Est-ce que vous le feriez également pour un parti politique qui voudrait lutter contre le coup de force d'Ottawa, par exemple, celui qui nous fait face?

M. Normand: II n'y a pas de doute que, si on me demandait des copies additionnelles du dépliant, cela nous ferait plaisir d'en fournir. Pour ce qui concerne...

M. Morin (Louis-Hébert): On vient d'en donner au chef de l'Opposition.

M. Normand: ... les autres demandes qui pourraient nous être faites, je pense que je ferais comme celles qui auraient pu venir de Solidarité-Québec, je les véhiculerais auprès du comité ministériel responsable de la campagne d'information afin qu'une décision puisse être prise.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Opposition officielle.

M. Ryan: Je dois vous poser une question pour commencer, avant d'émettre une opinion, si vous me permettez. Dans vos fonctions antérieures au service du gouvernement, M. Normand, vous est-il arrivé d'être impliqué dans des activités de type publicitaire, d'information de l'opinion publique?

M. Normand: Un peu, Mme la Présidente. Pendant que j'étais au ministère de la Justice, nous avons fait quelques campagnes d'information pour publiciser, par exemple, les petites créances, pour publiciser également certaines autres mesures que nous avions adoptées au ministère de la Justice à l'époque. Je ne suis pas un spécialiste des campagnes de publicité ou d'information en aucune façon. C'est ce qui a fait que, lorsqu'on m'a demandé de faire en sorte que la machine puisse fonctionner, j'ai dû recourir aux services de personnes que j'estimais être des spécialistes dans le secteur, de façon qu'elles puissent remplir les commandes qui nous étaient

données.

M. Ryan: Ne vous est-il pas venu à l'esprit, par rapport à vos expériences antérieures, qu'avec une chose comme celle-ci vous franchissiez une frontière? Si c'était exactement de même nature, ce que vous faisiez avec ceci que ce que vous faisiez quand vous faisiez connaître la loi des petites créances ou de l'aide juridique, par exemple, voyez-vous une différence entre les deux ou n'en voyez-vous pas?

La Présidente (Mme Cuerrier): Me Normand.

M. Normand: Mme la Présidente, je me suis posé cette question et j'ai estimé que non, je ne franchissais pas une frontière, pour diverses raisons. Premièrement, je me trouvais à exécuter une demande ou une commande du gouvernement et non pas d'un parti politique. Deuxièmement, il m'a semblé que sur l'opposition québécoise au projet de M. Trudeau, pour diverses raisons, il y avait quand même un certain degré de cohésion entre les opinions qui émanaient des divers partis politiques, même s'il y a beaucoup de nuances, bien sûr, à apporter. J'ai suivi à cet égard les débats de l'Assemblée nationale sur la motion avec beaucoup d'intérêt. Mais il m'a semblé que le type d'action que nous faisions était une action gouvernementale, mais comportant également, quant aux effets recherchés, une certaine dose de cohésion, pour ne pas dire d'unanimité dans l'ensemble de l'éventail politique québécois, à tort ou à raison, Mme la Présidente.

M. Ryan: Je pense que vous avez un problème. Vous contredisez directement votre supérieur. Vous l'avez entendu parler tantôt. Il dit qu'il ne voit pas de cohésion.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le sous-ministre.

M. Normand: J'ai parlé, Mme la Présidente, d'une certaine cohésion sachant que je marchais sur des oeufs en répondant à cette question.

M. Ryan: Excusez! Si vous voulez bien me laisser parler.

M. Normand: Le degré pourra être apprécié différemment par les personnes en cause.

M. Morin (Louis-Hébert): J'ai été mis en cause, j'aimerais bien pouvoir parler.

M. Ryan: Mme la Présidente, il nous reste quelques minutes. Tantôt, le ministre a dit toutes sortes d'âneries. J'ai bien pris soin de ne pas l'interrompre, pas plus davantage que je n'ai interrompu le député de Rosemont. Qu'il nous laisse au moins présenter notre point de vue pendant quelques minutes. Je pense que la vérité en sera mieux servie. Je précise d'abord que toutes les insinuations qu'on a entendues de la part des deux intervenants antérieurs sont fausses, comme tellement de choses qu'on entend de la part du parti ministériel. Tout ce que vous avez dit est faux et repose sur une déformation, comme vous en avez, hélas! l'habitude, de nos interventions. Les textes sont là. Ils sont abondants. Les sources sont présentes partout.

C'est à vous de vous en servir, et si vous voulez poursuivre des intérêts politiques partisans, continuez comme vous êtes partis actuellement. Cela va très bien.

En ce qui touche...

La Présidente (Mme Cuerrier): Est-ce que je pourrais vous rappeler, M. le chef de l'Opposition, que nous sommes ici pour poser des questions à Me Normand?

M. Ryan: Je crois que nous avons le droit d'émettre des opinions sur ce qui a été fait par M. Normand aussi. Je ne pense pas qu'on est ici seulement pour poser des questions, Mme la Présidente. Je regrette infiniment. Il me semble qu'on a le droit d'émettre des opinions.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Opposition officielle, je vous fais confiance. Je pense que vous allez tenir compte de mes remarques.

M. Ryan: Très bien. Ce que je voudrais dire, c'est qu'avec un dépliant comme celui-ci, nous entrons dans une ère qui n'est pas radicalement nouvelle parce que le gouvernement actuel le fait de façon répétée depuis deux ou trois ans. Nous sommes entrés avec le gouvernement actuel dans une conception de l'information gouvernementale que, personnellement, je réprouve profondément. Je trouve que l'information gouvernementale doit rester au niveau de l'information objective, de l'information de type éthique. Dans des cas où la santé ou la sécurité publiques sont impliquées, je comprends qu'elle puisse revêtir la forme de l'exhortation, du conseil ou de l'avertissement, par exemple, mais dans des questions aussi controversées que celle dont il est traité dans ce dépliant, je pense que le gouvernement a franchi une frontière extrêmement dangereuse, et je voudrais exprimer très fortement l'avis que le gouvernement devrait revenir à des pratiques plus objectives. Il y a moyen de procéder à l'information du public sans entrer dans l'interprétation comme on le fait cette fois-ci et comme on l'a fait en d'autres occasions. Je vous préviens, M. le ministre en particulier, que c'est un genre de méthode que j'assimile à de la propagande. Je regrette infiniment. Et la propagande, ceux qui la font la font toujours pour une bonne cause. Ce n'est pas la noblesse de la cause qui est en discussion. C'est le moyen qu'on prend pour la promouvoir. (13 heures)

Je vous dis que si vous vouliez faire une chose de ce type-ci, le moins que vous pourriez faire, ce serait de vous entourer d'un comité impartial de personnes qui représenteraient... Le sous-ministre faisait allusion a la cohésion des opinions qu'il devait observer, par exemple. Je pense que c'est lui qui a raison et non pas le ministre, dans cette affaire. Je suis de votre opinion. Il y a beaucoup de convergence entre les opinions fondamentales qui ont été exprimées sur cette chose-ci.

Si on avait voulu s'assurer qu'un dépliant financé à même les fonds publics, adressé à tous les foyers serait marqué de la note d'objectivité et d'impartialité la plus élevée, il aurait été bien facile d'avoir un comité consultatif pour en surveiller le contenu et pour conseiller les

auteurs. C'est un conseil que je donne au ministre et à ses collaborateurs pour l'avenir. De grâce, évitez de vous enfoncer plus avant dans cette direction. Vous êtes dans une mauvaise voie, une voie extrêmement dangereuse pour la santé de la démocratie libérale bien comprise.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre des Affaires intergouvernementales, et ensuite M. le député de Jean-Talon.

M. Morin (Louis-Hébert): Je voudrais dire quelques mots là-dessus, parce qu'il y a des affirmations qui doivent être corrigées. Je viens d'entendre dire: Vous auriez dû avoir un comité impartial, etc. Je vous rappellerai - et c'est un fait historique - deux choses: Premièrement, le gouvernement vous a demandé de travailler avec nous à la rédaction de la résolution à présenter à l'Assemblée nationale. Vous avez dit: Prenez vos responsabilités, nous jugerons.

Deuxièmement, nous vous avons même offert, de toute façon, à nous désigner quelqu'un à mettre dans le groupe de juristes que vous nommeriez, dans le groupe de M. Pratte, ce que vous n'avez pas fait. Comment voulez-vous, dans ces conditions, quand arrive le moment d'informer la population, qu'on vous demande de nous aider à le faire, alors que cela fait deux fois que dans des domaines de cette nature, vous nous faites des difficultés? Nous prenons nos responsabilités. Il y a un raisonnement très simple et très cartésien que vous allez comprendre.

De deux choses l'une. Ou on est pour le projet fédéral, ou on est contre le projet fédéral. Si on est pour le projet fédéral, j'admets qu'on n'aime pas que de l'information vienne à l'encontre de ce projet. Je ne dis pas que c'est ce que vous dites, mais je crois comprendre que vous êtes contre. Quelquefois, je me pose des questions.

Mais si on est contre le projet fédéral, en vertu de quelle logique ne faudrait-il pas prendre les moyens de s'y opposer? Un des moyens, c'est d'informer la population, parce que ce projet est très complexe. Ce projet est difficile. Nous l'avons informée de la façon la plus objective possible dans les circonstances. On aurait pu aller beaucoup plus loin que cela si on avait voulu charrier, selon certains exemples qui qui datent de six mois. On aurait pu parler des pensions de vieillesse ou inventer des situations invraisemblables pour vraiment faire peur au monde. Nous avons dit exactement ce qui en était, à la façon dont nous le voyions. Nous avons pris nos responsabilités.

Il ne s'agit pas de propagande, il s'agit d'information. Les conseils moraux, après coup, alors que ça fait deux fois qu'on vous demande de nous donner un coup de main, je pense qu'ils sont déplacés. Je le dis, sans vouloir envenimer ce débat, mais nous n'avons caché absolument rien de l'information que nous faisions et nous avons donné les budgets. S'il y a une autre campagne d'information qui commence, vous la verrez. On vous en parlera aussi, parce que je pense que c'est important dans les circonstances actuelles, étant donné la menace qui pèse sur le Québec, que nous intervenions avec le poids du gouvernement du Québec et tout ce que nous avons d'institutions. Nous serions jugés par l'histoire comme étant des êtres ayant eu peur de prendre leurs responsabilités si, par hasard, à partir de Dieu sait quelles considérations que ne respecte pas le gouvernement qui est en face de nous - c'est-à-dire le gouvernement fédéral - il avait falllu qu'on se prive de moyens qui sont fort démocratiques, que vous pouvez critiquer, mais Dieu sait qu'on a fait tout ce qu'on a pu pour cette opération, pour avoir votre accord, votre collaboration et votre participation.

Je regrette que, face à l'histoire, vous nous ne l'ayez pas donné à l'Assemblée nationale. C'est l'événement des derniers mois que je trouve considérablement important pour l'avenir. Cela aurait facilité énormément, vous le savez très bien, la tâche du Québec en Grande-Bretagne s'il y avait eu l'unanimité de l'Assemblée nationale.

La Vice-Présidente: M. le chef de l'Opposition officielle.

M. Ryan: II y a bien des choses auxquelles je dois répondre et je vais commencer par la toute dernière. Le ministre affirme solennellement que cela aurait facilité les choses en Grande-Bretagne. Avec les indications que nous avons reçues jusqu'à maintenant de la part du sous-ministre et de ceux qui nous ont parlé du "select committee" en Grande-Bretagne, le mieux qu'on puisse dire, c'est qu'on ne sait pas grand-chose et qu'on ne peut tirer aucune conclusion de cette nature. Il n'y a rien qui garantisse que les Britanniques vont prendre leurs responsabilités là-dedans. Il est arrivé des cas dans l'histoire où ils ne les ont pas prises. Il est arrivé d'autres cas où ils les ont prises. Dans ce cas-ci, on ne le sait pas du tout et de vouloir faire peser tout cela sur la faute de l'Opposition officielle, sur la foi d'une interprétation d'un vote qui est complètement tendencieuse et fausse, c'est absolument farfelu.

Le ministre a fait allusion à deux occasions où le gouvernement a fait des avances à l'Opposition officielle. C'est vrai, mais on va les replacer dans leur contexte exact. Le premier ministre nous a demandé si nous voudrions participer à la rédaction d'une motion condamnant ou dénonçant le projet fédéral de résolution. Nous avons dit au premier ministre: Nous allons y penser. Nous allons consulter nos collaborateurs et deux jours après, comme je le lui avais promis, je l'ai appelé pour lui dire: Notre conclusion est la suivante: Prenez vos responsabilités, nous prendrons les nôtres. C'est clair. Le premier ministre m'a dit: C'est la réponse à laquelle je m'attendais, d'ailleurs. C'est un premier point.

À la même rencontre, le premier ministre nous avait dit: Si vous vouliez suggérer un juriste qui se pourrait joindre l'équipe de M. Pratte, ce serait peut-être bon. Nous avons conclu que nous n'avions pas besoin de faire une suggestion comme celle-là, que le gouvernement devait, encore une fois, prendre ses responsabilités normales et que nous jugerions l'arbre à ses fruits. M. Pratte est venu hier et on ne lui a pas fait de difficultés. On ne s'est pas plaint de ne pas avoir été dans l'équipe; ce n'était pas notre responsabilité d'être dans cette équipe. Les suggestions que vous avez faites, je comprends que cela servait vos intérêts, à vous autres, d'essayer de créer une unanimité artificielle, mais c'était contraire à l'esprit de tout notre régime parlementaire, M. le ministre. Nous avons

fonctionné en fonction de l'esprit de ce régime. Ce n'est pas compliqué.

Maintenant, un troisième point. Je trouve qu'il faut absolument que le gouvernement arrive à distinguer entre ses oeuvres objectives qu'il a le droit de faire connaître à la population dans leurs effets et dans leurs modalités et ses opinions politiques qu'il doit faire connaître à la population aussi, mais pas en se servant des fonds publics, pas en se servant des voies de la propagande et de la publicité commerciale, mais en se servant des canaux très nombreux d'accès au public par les voies de l'information régulière qui lui sont proposées. Le premier ministre autant que le chef de l'Opposition, beaucoup plus, d'ailleurs, s'il veut faire connaître son opinion, tient une conférence de presse. Je le lui ai dit souvent et je n'ai pas été capable de m'entendre avec lui là-dessus. Qu'il fasse connaître ses opinions politiques et les opinions politiques de son gouvernement par les voies de l'information régulière et qu'il ne se serve pas de la publicité commerciale à cette fin. C'est là que commence le glissement, la déviation ce qui devient éventuellement très dangereux. Je n'irai pas employer le futur partout; je vais utiliser le conditionnel pour rester au même diapason que le ministre, mais c'est cela l'avertissement que je voulais vous servir ce matin et j'espère que vous allez y penser. Cela fait au moins dix fois que je le fais depuis un an.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Opposition officielle, je me dois de faire observer le règlement et, comme nous en sommes au moment de la suspension, j'ai encore trois personnes qui m'ont demandé la parole, soit M. le député de Jean-Talon, M. le chef de l'Union Nationale et M. le député de Verchères. Il a été porté à l'attention de la commission que Me Normand doit quitter très bientôt. Je n'ai pas de proposition. Alors, je me devrai...

M. Rivest: Une petite question, s'il vous plaît. Juste pour terminer, quant à nous, je pense qu'on pourra disposer du sous-ministre dans quelques minutes.

La Présidente (Mme Cuerrier): Alors, je voudrais formuler, de votre part, une demande pour que la commission puisse continuer à siéger.

M. Rivest: J'ai une question de fait à poser.

La Présidente (Mme Cuerrier): Consentement?

M. Morin (Louis-Hébert): Si c'est une question de fait, moi, je n'ai pas d'objection.

M. Rivest: Mme la Présidente, le sous-ministre a indiqué hier que son budget pour l'ensemble de l'opération, selon ce qu'on lui avait dit, était de $1,000,000. Ma question est double et peut-être que j'ai trouvé la réponse ce matin dans le budget supplémentaire. D'une part, est-ce que les crédits ne sont dépensés qu'au niveau du ministère des Affaires intergouvernementales? Est-ce qu'ils sont puisés à même les crédits ordinaires des Affaires intergouvernementales ou bien si cela fait partie des crédits additionnels que le ministre des Finances a demandés ce matin à l'Assemblée nationale?

M. Normand: Mme la Présidente, cela fait partie des crédits additionnels qui sont demandés par le ministre des Finances et qui proviennent de deux sources. Premièrement, il y avait déjà un montant de $500,000 ou $600,000 qui était disponible au ministère des Communications, qui a été stérilisé, je crois, au ministère des Communications et qui est accordé au ministère des Affaires intergouvernementales par voie de budget supplémentaire, je pense. Il y a également une somme d'argent neuf qui est prévue dans le budget supplémentaire. Je pense que le total dans le budget supplémentaire - je n'ai pas vu le document ce matin - doit être d'environ $1,400,000, $1,500,000 à cette fin.

Je vous ai indiqué hier que je disposais d'un budget qui m'avait été accordé d'environ $1,000,000, une réserve a été faite également, je pense, par le budget supplémentaire pour dépenses additionnelles qui pourraient être encourues et également pour une prolongation de la campagne suivant diverses modalités, s'il était estimé approprié de le faire.

M. Rivest: Est-ce que, sur le plan administratif, les budgets dont vous disposez vous paraissent comparables avec ce que, par exemple en Alberta, on vous avait indiqué, à savoir que l'effort de sensibilisation de la population était aussi grand? Est-ce que cela vous paraît du même ordre?

M. Normand: Je ne connais pas, Mme la Présidente, les budgets qui sont mis à la disposition des gouvernements de l'Alberta et de Terre-Neuve, là où la campagne a peut-être été la plus forte. Je ne connais pas les montants qui sont disponibles dans ces provinces. Tout au plus, puis-je vous référer au budget qui aurait été octroyé au gouvernement fédéral par le Parlement fédéral à des fins de campagne d'information. Les journaux en ont fait état et je n'ai pas d'autres sources que ce que nous avons tous lu ensemble à cet égard.

M. Rivest: Dernière question. Sur la constitution de l'équipe d'information, à toutes fins pratiques, l'équipe était prête à travailler et travaillait sans doute sur des textes à la fin d'octobre, à la mi-novembre.

M. Normand: Le mandat m'a été donné à la toute fin du mois d'octobre, avec demande de commencer la campagne pour le 10 novembre, ce qui laissait des délais ultra-courts pour une opération de cette nature. Nous étions relativement prêts le 10 novembre et il a alors été décidé de commencer la campagne uniquement au terme des discussions sur la résolution qui était entre les mains de l'Assemblée nationale.

M. Rivest: Répétez donc le nom des personnes qui travaillent avec M. Cyr... M. Carpentier, vous dites?

M. Normand: Non. Je vais tenter de répéter ce que j'ai indiqué hier. Il y a un comité ministériel qui est responsable de l'opération.

M. Rivest: Au niveau de la publicité,

j'entends.

M. Normand: Je suis le coordonnateur; pour m'aider, il y a M. Cyr en ce qui concerne l'information et la publicité, plus particulièrement. Il a obtenu les services d'un certain nombre de collaborateurs également pour l'assister. Pour d'autres aspects de la campagne d'information, j'ai pu recourir dans le temps également, à divers degrés, aux services de M. L'Allier, de M. Carpentier et de M. Jean Foumier.

M. Rivest: Est-ce que c'est M. Carpentier qui est au bureau du premier ministre?

M. Normand: C'est exact! II s'est joint au groupe, a assisté à quelques-unes des réunions et ensuite il n'est plus venu à ces réunions.

M. Rivest: Est-ce que cela vous paraît souhaitable, compte tenu de la nature des informations en rapport surtout avec - sans vous demander d'aller dans le dossier - les principes qui ont été émis par le chef de l'Opposition, que les gens qui sont de la filière politique par rapport à la filière administrative puissent être impliqués d'une façon aussi formelle dans une campagne d'information du gouvernement du Québec?

M. Normand: Je peux vous dire que, en ce qui concerne la filière politique, je ne m'en suis occupé en aucune façon. C'était la responsabilité du personnel politique dont il s'agissait. Il assistait à nos réunions surtout pour déterminer dans quel sens nous oeuvrions de façon que son action pour ces fins puisse être complémentaire selon qu'il l'estimait approprié. Je peux vous assurer qu'à cet égard je n'exerçais aucune directive.

La Présidente (Mme Cuerrier): Aurais-je le consentement de la commission pour la dernière question, celle du député de Verchères?

Consentement.

M. Charbonneau: Mme la Présidente, la question que je veux poser fait suite à celle qui a été posée par le député de Rosemont. Si j'ai bien compris, un parti politique qui voudrait, par exemple, produire lui-même de la documentation, engager lui-même sa propre campagne d'action et de lutte pourrait avoir recours à la documentation que vous avez, aux avis que vous avez et finalement aux éléments qui lui permettraient de constituer un dossier à présenter et à diffuser à la population.

J'ai bien compris? (13 h 15)

M. Normand: C'est exact, Mme la Présidente. Le plus bel exemple, c'est le dossier hebdomadaire ou que nous publions quelquefois deux fois par semaine, qui émane du ministère des Affaires intergouvernementales et qui s'appelle Constitution Express. Ce dossier vise à essayer de ramasser en quelques pages l'actualité ou l'évolution de l'actualité à divers égards au cours de la semaine qui précède, de façon à fournir aux membres de l'Assemblée nationale une documentation qui leur permette d'intervenir selon que bon leur semble.

M. Charbonneau: Juste un commentaire, Mme la Présidente, en terminant; je ne pense pas avoir abusé. Après avoir entendu le chef de l'Opposition officielle, je peux vous dire que, de ce c6té-ci de la table, depuis un certain nombre de semaines que le débat est commencé, on met au défi le Parti libéral d'engager sa propre action contre le coup de force. Si ce gens ne sont pas d'accord avec la pétition de Solidarité-Québec, qu'ils en fassent une. S'ils ne sont pas d'accord avec les dépliants du gouvernement, qu'ils en fassent un. Ils ont tous les moyens pour faire une campagne d'information ou d'action politique selon la documentation qui pourrait leur être fournie. Faites votre action. Arrêtez de parler, qu'on vous voie dans le décor sur le terrain. Vous affectionnez le terrain? On ne vous a pas vus sur le terrain depuis un mois.

M. Ryan: On l'a fait sur le terrain. Dans les quatre comtés, on l'a fait, on a parlé de cela et on a gagné.

La Présidente (Mme Cuerrier): S'il vous plaît!

M. Ryan: Notre motion était devant la Chambre...

La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre!

M. Ryan: ... quand les élections ont eu lieu.

La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous plaît! J'ai eu des consentements pour des questions. C'est maintenant le moment de la suspension des travaux. Je ne le ferai pas avant... Il m'est agréable, à ce moment-ci, de remercier Me Normand et ses collaborateurs pour avoir bien voulu se présenter à la commission parlementaire de la présidence du conseil et de la constitution. Je pense me faire le porte-parole des membres pour vous dire que nous avons apprécié votre bonne collaboration. Merci, Me Normand. Sur ce, je vous rappelle que nous entendrons le mémoire du Conseil du statut de la femme dès la reprise des travaux à 15 heures.

Suspension des travaux de la commission de la présidence du conseil et de la constitution.

(Suspension de la séance à 13 h 17)

(Reprise de la séance à 15 h 18)

La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission de la présidence du conseil et de la constitution reprend ses travaux. À ce moment-ci, je demanderai à la porte-parole du Conseil du statut de la femme de vouloir bien se présenter devant la commission, Mme Claire Bonenfant est la présidente du Conseil du statut de la femme. Nous vous souhaitons la bienvenue, madame.

Mme Bonenfant: Merci.

La Présidente (Mme Cuerrier): Nous vous demanderons au départ, si vous me le permettez, d'identifier votre collègue et, ensuite, de nous

présenter le rapport.

Auparavant, j'aimerais rappeler aux membres de la commission que nous commençons maintenant l'étude des rapports. La commission avait convoqué des experts. Maintenant, les groupes, organismes ou individus se présenteront spontanément; ce seront eux qui auront décidé de se présenter. Je pense qu'il y aurait lieu, à moins que les membres de la commission désirent intervenir là-dessus, que nous nous conformions à ce genre de tradition que nous avons établie quant à la procédure pour l'audition de mémoires, c'est-à-dire qu'habituellement nous consacrons une heure en entier à la présentation des mémoires, y compris les questions qui pourraient être posées aux porte-parole des organismes qui se présentent à cette table. Habituellement, le temps est départagé ainsi: 20 minutes pour la présentation du mémoire et 40 minutes pour la période des questions qui se divisent habituellement en parts égales entre les représentants du parti ministériel et ceux des partis de l'Opposition.

Mme la présidente du Conseil du statut de la femme, nous vous écoutons.

Présentation de mémoires Conseil du statut de la femme

Mme Bonenfant (Claire): Mesdames, messieurs les membres de la commission, je voudrais vous présenter Mme Louise Gingras qui m'accompagne. Mme Louise Gingras est la directrice du service de l'information au Conseil du statut de la femme.

Mme la Présidente, mesdames et messieurs les membres de la commission, je voudrais d'abord essayer de situer notre mémoire. Je veux d'abord vous dire que ce mémoire n'a pas été spécialement préparé pour cette commission. Ce mémoire a été préparé, à l'origine, dans le but de participer à une conférence fédérale-provinciale qui avait été convoquée par le Conseil consultatif de la situation de la femme au Canada et comme vous le savez, si vous vous en souvenez, cette réunion qui avait été convoquée d'une façon préliminaire à la conférence de septembre, n'a pas eu lieu à cause de la grève des traducteurs et traductrices du gouvernement fédéral. Notre mémoire étant prêt et devant l'importance que nous avions donnée à ces travaux, nous avons cru bon de nous servir de ce mémoire pour en faire un avis au premier ministre du Québec qui devait participer à la ronde de négociations, c'est-à-dire à la réunion de septembre à Ottawa.

Fondamentalement, ce mémoire est basé sur cet avis que nous avons légèrement modifié à cause des circonstances. Étant donné les remaniements importants qui pourraient découler de ces négociations, remaniements qui sont susceptibles d'avoir un impact sur la vie des Québécoises, le Conseil du statut de la femme, conformément à son mandat, croyait de son devoir de transmettre au gouvernement du Québec un avis concernant certains points faisant l'objet de négociations.

J'en profite pour dire combien nous avons apprécié l'utilisation que le premier ministre du Québec a faite de ce mémoire lors de cette conférence fédérale-provinciale et le remercier aussi des bons mots qu'il a eus à l'adresse de la qualité des travaux du Conseil du statut de la femme.

Depuis lors, les règles du jeu constitutionnel ont été largement modifiées, puisqu'en réponse au désaccord des provinces, le gouvernement du Canada propose un rapatriement unilatéral. Aussi, devant l'importance de l'événement et de ses conséquences, devant l'urgence d'intervenir avant que l'irrémédiable ne soit accompli, le Conseil du statut de la femme a sollicité d'être entendu pour reprendre, en substance, la prise de position qu'il avait déjà élaborée en septembre.

Ce mémoire est le fruit de la réflexion du conseil qui s'est inspiré des recommandations de la politique d'ensemble rédigée en 1978. À cette époque, le conseil, comme vous vous le rappelez, s'est penché sur tous les aspects de la condition féminine et c'est à partir d'une approche globale de la situation de la femme qu'il a cherché à envisager des solutions globales à tous leurs problèmes. Cette approche globale nous avait permis d'identifier certains changements nécessaires, tant au niveau provincial qu'au niveau fédéral.

En outre, cette approche globale nous avait permis de cerner les concertations nécessaires à différents niveaux du gouvernement, afin que les citoyennes du Québec vivent dans un environnement juridique et social cohérent et respectueux à un même degré, autant de leurs besoins que de leur autonomie. Le débat constitutionnel se situant au coeur des mécanismes de concertation entre le fédéral et les provinces, il est important que nous précisions, à ce moment-ci de la vie politique du Québec, nos positions.

Il est évident que l'ensemble des sujets du débat constitutionnel intéresse les femmes. Nous sommes impliquées dans tout ce qui a trait au débat constitutionnel, qu'il s'agisse de la voirie, de la défense ou de tout autre sujet, mais le mandat du conseil nous force, évidemment, à nous' limiter aux sujets qui ont des incidences sur la vie des femmes.

Ce qui nous avait frappé dans nos travaux, à l'époque de la politique d'ensemble, c'était l'enchevêtrement des juridictions qui rendait la réalisation de nos revendications sinon impossible, tout au moins très difficile. À ce chapitre, je voudrais seulement donner quelques exemples qui ne sont pas intégrés formellement dans le mémoire pour vous faire réfléchir sur cet enchevêtrement qui est un obstacle à la réalisation du bien-être dé la condition féminine.

Si nous regardons le travail, par exemple, nous voyons au niveau des congés de maternité un enchevêtrement total, c'est-à-dire que ce congé de maternité est basé sur l'assurance-chômage. Le gouvernement du Québec a bien fait un effort pour nous accorder $240 pour les semaines de carence, mais il reste que si l'assurance-chômage était réduite d'un jour à l'autre à 50% ou à 40%, notre congé de maternité s'en trouverait affecté d'autant. Voilà un exemple.

Du côté de la fiscalité, un dossier qui nous tient particulièrement à coeur, c'est le fameux dossier des allocations de disponibilité. Je vous dis en passant que je viens d'être obligée de rompre un rendez-vous que j'avais avec le sous-ministre des Finances qui devait rencontrer le conseil, parce que nous avons de nouveau des propositions à lui faire au sujet de la fiscalité.

C'est pour nous un dossier fondamental puisqu'il touche à la fameuse condition des femmes au foyer. Nous avons constaté que dans ce dossier, évidemment, le conseil était complètement bloqué puisque, quand on touche à la fiscalité, on touche aux allocations familiales fédérales, à l'allocation familiale provinciale, au crédit d'impôt fédéral, à l'exemption pour enfants à charge au fédéral et au provincial, à l'exemption pour personnes mariées au fédéral et au provincial, à l'exemption pour frais de garde d'enfant au fédéral et au provincial, au programme de garderies à frais partagés. Comment, devant un tel fouillis, les Québécoises peuvent-elles espérer qu'une politique cohérente, reconnaissant le caractère collectif de certaines activités exercées au sein de la famille, puisse enfin voir le jour? Voilà pour la fiscalité.

En éducation, on a beaucoup axé notre action sur l'élimination du sexisme. Les media écrits, tout va bien. Puisque le ministère des Communications a une juridiction sur les media écrits, on peut toujours porter des plaintes, on peut toujours obtenir justice dans certains cas. Quand il s'agit des media électroniques, tout de suite on n'a plus d'impact, puisque, à ce moment-là, c'est le gouvernement fédéral qui entre en jeu. Nous avons fait beaucoup d'efforts pour "désexiser" les manuels scolaires. Le gouvernement a répondu à nos attentes, mais quelle prise avons-nous, par exemple, sur tout le domaine de l'éducation investi par le gouvernement fédéral?

Au niveau de la formation professionnelle, encore les mêmes distorsions; les fonds sont distribués par le fédéral en fonction de l'emploi disponible alors qu'au Québec, en particulier chez les femmes, on a identifié d'autres secteurs.

On peut aussi arriver au fameux dossier qui nous préoccupe présentement, la réforme du droit de la famille. Je pense que les partis d'Opposition, cette semaine, se sont, à bon droit,demandés à savoir si on a le droit de légiférer dans ce domaine-là, parce qu'on sait bien que le divorce, c'est fédéral. On arrive toujours aux mêmes complications, aux mêmes paliers de législation de sorte que, dans certains domaines, le conseil en est venu à se dire que les provinces devraient avoir une plénitude de juridiction dans les domaines comme l'éducation, le travail, les affaires culturelles, les politiques sociales. Voilà pour l'enchevêtrement.

Il y a dans la proposition de rapatriement de la constitution toute la question de la garantie constitutionnelle des droits des femmes. Le projet de charte canadienne des droits et des libertés déposé par le gouvernement fédéral en juillet dernier contient un article se référant à l'absence de discrimination. Le CSF ne peut que manifester son accord avec une telle reconnaissance de l'égalité de tous devant la loi. Je pense qu'on ne peut pas être contre la vertu et surtout nous, les femmes, qui sommes traditionnellement là pour défendre la vertu. Mais nous croyons, cependant, qu'un tel projet doit être analysé essentiellement en fonction de ses possibilités de garantir efficacement l'égalité entre les hommes et les femmes au Canada, ainsi que les droits découlant de la spécificité de la condition des femmes. Quelques considérations s'imposent donc. (15 h 30)

Première considération, nous sommes un peu inquiètes - inquiètes, ce n'est pas un mot suffisant - je pense que nous sommes anxieuses dans le véritable sens du mot, à savoir si les droits des femmes peuvent se résumer à l'article 7 qui se lit comme suit: "Tous sont égaux devant la loi et ont droit à la même protection devant la loi sans distinction ou limitation à l'exception de celles qui sont prévues par la loi, si elles sont justes et équitables, compte tenu de son objet." À notre avis, les droits des femmes sont déjà plus que cela. Je pense, par exemple, aux droits que nous avons acquis dans le domaine du travail. L'ordonnance 17 de la Loi des normes du travail et la Loi sur la santé et la sécurité du travail reconnaissent aux travailleuses le droit à un congé de maternité et le droit à la protection de la santé de la travailleuse enceinte. Nous pourrions même dire que l'instauration des cliniques Lazure est une reconnaissance implicite du droit des femmes à contrôler leur fécondité.

Ces quelques exemples illustrent que les principes actuels du droit québécois à l'égard des femmes constituent déjà un ensemble de normes qu'il faudrait faire accepter à l'ensemble du Canada et inscrire dans la constitution si on souhaite que la charte canadienne des droits et des libertés ne constitue pas un recul pour les Québécoises. Le caractère global d'une constitution peut-il s'accorder d'une telle gamme de droits pourtant fondamentaux pour les femmes?

Il y a aussi la question de l'interprétation. Si on laisse les droits des femmes enchâssés dans la constitution, à ce moment-là, ce sera la Cour suprême qui devra interpréter nos droits et, jusqu'ici, la Cour suprême n'a pas toujours été favorable aux femmes. Par exemple, les programmes d'action positive pourront-ils être considérés comme l'aide aux défavorisés ou seront-ils jugés discriminatoires à l'égard des hommes? Une telle interrogation suggère que le sens et la portée des droits inscrits devraient donc être connus et avoir déjà été éprouvés devant les tribunaux, mais, comme je viens de le dire, qui donc interprétera les droits de cette charte? Pour nous, un problème de plus se pose. Notre Charte des droits et libertés de la personne au Québec est encore très jeune. Il n'y a pas beaucoup de jurisprudence qui puisse nous assurer que cette charte aura priorité sur une charte incluse dans la constitution.

L'ensemble de ces considérations nous porte à croire que l'enchâssement des droits dans la constitution n'est peut-être pas le moyen le plus efficace de garantir des droits aux femmes. Toutefois, si l'ensemble des provinces se ralliaient à ce projet de Charte canadienne des droits et libertés, nous croyons d'abord que les droits des femmes devraient être davantage développés de façon à tenir compte du droit des femmes au travail, à la reconnaissance de l'équivalence des traitements, du droit à la santé et au contrôle de leur corps.

En terminant, je voudrais insister sur des mécanismes qui, il me semble, à l'occasion de notre conférence de presse, lorsque nous avons remis cet avis au premier ministre, n'ont pas été très bien retenus.

Nous pensons que l'interprétation de ces droits pourrait être confiée à un tribunal constitutionnel qui serait composé de représentants de chaque région du Canada, de façon à permettre une évolution respectueuse des

spécificités régionales. Ce tribunal devrait aussi être composé d'un certain nombre de femmes afin d'assurer une meilleure garantie constitutionnelle des droits de la moitié de la population canadienne.

C'est, en substance, ce que je voulais dire. Mais je voudrais ajouter aussi que la nécessité d'une politique globale de la condition féminine ne fait plus de doute et l'État québécois doit se doter des instruments nécessaires à la réalisation d'objectifs d'égalité et d'autonomie de tous ses citoyens.

En regard des questions que nous venons d'examiner, il appert que les revendications actuelles des femmes portent beaucoup moins sur les grands principes juridiques que sur les mesures concrètes et précises susceptibles de redresser des situations bien identifiées.

La condition féminine est en pleine mutation. Je ne pense pas vous apprendre que bien des choses ont changé depuis quelques années. En 1929, par exemple, on ne pensait pas nécessaire que les femmes votent. Je pense que toute la problématique est changée.

En plus de cela, je voudrais signaler, encore une fois, que les grands absents du débat constitutionnel actuel sont les femmes. Elles sont absentes de tous les paliers de négociation et les parties n'ont pas non plus institué de mécanismes de consultation de la moitié de la population canadienne. Pour que cette nouvelle constitution ne soit une deuxième fois le reflet d'un consensus des nouveaux Pères de la Confédération ou d'un consensus d'hommes, nous croyons qu'il serait essentiel qu'on associe le plus rapidement possible des femmes à tout le processus de négociation constitutionnelle.

Enfin, nous tenons à affirmer, puisque c'est là le but premier de notre intervention d'aujourd'hui, notre plus entier désaccord au dessein du gouvernement fédéral visant le rapatriement unilatéral de la constitution. Un tel geste ne peut, à notre avis, que retarder davantage la réalisation des objectifs mentionnés plus haut, c'est-à-dire l'adoption de lois et mesures cohérentes pour les femmes et les enfants.

Dans cette position, nous nous retrouvons en consensus avec les partis politiques tant du gouvernement que de l'Opposition, de même qu'avec les revendications de centaines de groupes de femmes au Québec. Merci.

La Présidente (Mme Cuerrier): Nous remarquons, Mme la présidente du Conseil du statut de la femme, que vous avez résumé votre mémoire. Je tiens à vous assurer que le texte intégral sera toujours disponible aux archives de l'Assemblée nationale. Sur ce, j'accorderai la première question à Mme la députée...

Mme LeBIanc-Bantey: Non, c'est au ministre.

La Présidente (Mme Cuerrier); M. le ministre.

M. Morin (Louis-Hébert): Merci, Mme la Présidente. Pour lancer le débat, je voudrais dire d'abord que je suis parfaitement d'accord avec vous, Mme la présidente, quand vous dites que, dans le domaine des relations fédérales- provinciales et des négociations, les femmes ne sont pas suffisamment représentées. Je sais que ce n'est même pas une consolation, mais je peux vous dire qu'au cours des années, la situation s'est améliorée; mais je le dis tout de suite, d'une façon totalement insuffisante. Mais ce n'est pas là le but de mon intervention.

Dans le projet fédéral qui est soumis, dans le coup de force fédéral, il y a trois éléments. D'une part, il y a l'élément rapatriement; d'autre part, l'élément formule d'amendement et, troisièmement, l'élément charte des droits. Je demanderais aux députés de l'Opposition de ne pas me distraire quand je pose les questions.

Mme LeBIanc-Bantey: Chaque fois qu'on a un groupe de femmes, c'est la même chose.

M. Morin (Louis-Hébert): Bon, voilà.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre.

M. Morin (Louis-Hébert): Je ne parlerai pas du premier ni du deuxième point pour le moment. Je vais vous parler du troisième, celui qui concerne la charte des droits. Vous avez dit, tout à l'heure ou j'ai lu dans le document tout à l'heure une remarque que j'ai cru comprendre comme signifiant à peu près ceci: la Charte des droits et libertés de la personne du Québec et les lois québécoises vont plus loin dans la protection des droits des femmes que la charte fédérale proposée. Ma première question: Est-ce que je vous ai bien compris? Ma deuxième question, c'est que j'aimerais, si possible, que vous précisiez davantage ce que vous avez voulu dire par cela, si c'est cela, effectivement, que vous avez dit.

Mme Bonenfant: Oui, c'est cela que j'ai voulu dire. Je veux vous faire remarquer que je ne suis pas juriste, mais cela nous...

M. Morin (Louis-Hébert): On en a un ici et vous allez voir.

Mme Bonenfant: Ce qui m'est apparu, c'est que, par exemple, concernant toute la protection qu'on a eue par la Loi sur la santé et la sécurité du travail, au niveau de la grossesse, on peut se demander si l'article 7 comprend aussi cela. C'est là qu'on s'inquiète devant les interprétations qu'on pourra donner à la charte des droits. Au Québec, les entreprises qui sont assujetties aux lois du Québec sont maintenant obligées de se soumettre à ces règlements de la santé et de la sécurité au travail. Mais qu'arrive-t-il des entreprises qui dépendent des lois du fédéral comme la fonction publique fédérale ou d'autres entreprises qui ont des chartes fédérales? Est-ce que la charte des droits, qui demeure très vague, les protégera autant que nos lois qui sont spécifiques? C'est ce que j'ai voulu dire. À mon avis, on est rendu beaucoup plus loin dans la protection de la santé des femmes au travail, par exemple, au niveau de la maternité.

M. Morin (Louis-Hébert): Est-ce que je peux me permettre de continuer? Est-ce que, cela voudrait dire que dans votre esprit, il y aurait le danger que la charte des droits, en supposant

qu'elle existe, étant présente, dorénavant la mesure maximale des droits reconnus aux femmes devienne cette charte et non pas les lois...

Mme Bonenfant: Exactement, c'est ce qui nous fait peur. C'est là qu'on se pose des interroqations parce qu'il n'y a rien de spécifique aux femmes, dans cette charte des droits. Il y a seulement l'article 7 qui, en principe, doit nous protéger, mais il n'y a rien de spécifié, alors que chez nous, on a déjà des lois spécifiques qui protègent les femmes, dans certains cas particuliers. C'est la question juridique qu'on s'est posée. Comme la charte des droits n'a pas encore été utilisée là-dessus, cela nous inquiète.

La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la députée des Îles-de-la-Madeleine m'a informée -je pense qu'elle l'a dit à la commission ce matin - qu'elle doit siéger à la commission du droit de la famille. Je lui accorderai la parole maintenant. Mme la députée des Iles-de-la-Madeleine, il y a consentement.

Mme LeBlanc-Bantey: Merci, Mme la Présidente. Vous avez laissé entendre que votre position dans le débat actuel découle des principes qui étaient constitués dans votre politique d'ensemble; vous avez même dit qu'elle était aussi le résultat de consultation de centaines de groupes de pression de femmes au Québec. Donc, vous entendez par là qu'effectivement les groupes de pression des femmes du Québec sont solidaires de la position que vous défendez maintenant, dans la mesure où vous dites aussi qu'au Québec nous avons commencé à établir depuis quelques années, même si tout n'est pas parfait dans le meilleur des mondes, certains principes, certaines normes quant à la défense de l'égalité des femmes qui sont un peu à l'avant-garde par rapport à d'autres provinces du Canada.

Si on admet qu'il y a une solidarité des femmes au Québec, je crois que vous avez parfaitement raison là-dessus. Mais est-ce qu'on peut dire qu'il y a aussi une solidarité des femmes canadiennes quant au refus ou, en tout cas, quant à la discussion de l'enchâssement des droits de la personne dans la constitution?

La Présidente (Mme Cuerrier): Mme

Bonenfant.

Mme Bonenfant: Vous savez, il ne faut jamais confondre la solidarité avec l'uniformité, le nivellement et la négation des spécificités. Il est vrai que certains groupes de femmes au Canada ont avancé des positions contraires aux nôtres. Nous leur avons fait savoir que pour ce qui est de leurs problèmes particuliers, de leurs problèmes provinciaux, nous étions solidaires d'elles, ce qui ne veut pas dire que nous pensons que nous devons accepter pour nous, au Québec, des nivellements qui ne seraient pas favorables aux femmes du Québec.

Maintenant, au niveau des femmes du Québec, je ne veux pas non plus dire, par exemple, que je représente ici toutes les femmes du Québec. Il y a, au Québec, 400 ou 450 groupes de femmes; il y en a quelques-uns qui ne partagent pas l'opinion du conseil, mais je voudrais demander si on demande aux hommes d'être toujours d'accord à 100%. Je pense que nous aussi, les femmes, nous avons droit à quelques dissidences. Le conseil s'est appuyé sur une consultation. Pour la politique d'ensemble, premièrement, il a fait le tour du Québec, il a consulté les groupes de femmes et essayé d'exprimer un consensus. Il a aussi fait une autre tournée du Québec sur le mémoire de l'Office de révision du Code civil.

Nous sommes évidemment prioritairement au service des femmes. Au niveau de la charte, par exemple, nous avons vraiment essayé, avec les moyens dont nous disposions - parce qu'il fallait agir rapidement - d'avoir des consensus et là, je pense que nous les avons à peu près à 98%, si vous voulez. Mais je ne pense pas qu'on puisse exiger des consensus à 100%, pas plus des femmes que des hommes à travers le Québec.

Pour ce qui est de la solidarité avec les femmes des autres provinces, je peux vous dire qu'il est arrivé qu'on a appuyé les positions des femmes, des épouses de pêcheurs à Terre-Neuve, au niveau de l'assurance-chômage. Ce sont des cas qui nous arrivent presque tous les mois, qu'on ait à soutenir des positions à travers le Canada. Mais quand elles sont légitimes, nous les soutenons, même si c'est pour les femmes des autres provinces. Quand il s'agit d'embarquer les femmes du Québec dans des positions collectives pour tout le Canada et que pour nous ça ne représente pas notre avantage et nos droits, je pense qu'on ne peut pas nous demander ça.

Je demande aussi aux gens de ne pas jouer cette carte de la solidarité des femmes à ce moment-ci. Pas plus que pour les hommes, on ne doit jouer cette carte de la solidarité. C'est extrêmement facile de jouer cette carte. (15 h 45)

Mme LeBlanc-Bantey: Je suis parfaitement d'accord avec ce que vous dites, mais en fait, pour résumer un peu la question que j'avais à l'esprit, est-ce qu'en général, les femmes canadiennes admettent d'autres groupes de pression de femmes canadiennes, que la charte des droits telle que conçue actuellement par le projet Trudeau ne défend pas suffisamment les droits des femmes? C'est évident qu'on n'arrivera jamais à un consensus sur tous les problèmes qui peuvent concerner la question des femmes au Québec et ailleurs. Je sais bien que c'est souvent le prétexte que nous ont servi les hommes pour nous refuser des choses, en nous disant: Vous n'êtes même pas d'accord entre vous, vous voyez bien que tant que vous ne pourrez pas vous entendre, on ne peut pas vous donner ce que vous demandez, parce que, en réalité, on ne sait pas ce que vous voulez. C'est un prétexte facile, ce n'est vraiment pas dans ce sens que je posais la question. Je suis très heureuse que vous ayez fait le point.

Est-ce que, au moins, il y a un consensus à l'idée que la charte des droits telle que prévue est dangereuse parce qu'elle ne protège pas suffisamment l'égalité des femmes et qu'elle ne correspond même pas à la réalité de ce qui se passe dans différentes provinces, dont le Québec, par exemple?

Mme Bonenfant: Le Conseil consultatif canadien du statut de la femme a comparu devant le comité mixte du Sénat et il a exprimé, à peu de chose près ce que je viens d'exprimer,

les inquiétudes devant la charte des droits, l'exclusion des droits spécifiques des femmes de la charte des droits.

Mme LeBlanc-Bantey: Je vous remercie. Ma deuxième question est d'un autre ordre. Je pense que depuis sa création, autant sous le gouvernement qui nous a précédés que sous le gouvernement actuel, le Conseil du statut de la femme a toujours cherché, à mon avis en tout cas, à défendre une attitude assez distante justement à l'égard du gouvernement pour pouvoir conserver un regard critique par rapport aux différents dossiers qu'on présentait pour la défense des femmes dans différents secteurs.

Je n'ai pas la déclaration devant moi, mais si ma mémoire est bonne le Conseil du statut de la femme a été accusé dernièrement d'être un peu comploteur avec le gouvernement du Québec dans votre position à l'égard du gouvernement du Canada. On a même laissé entendre - je pense que c'est le chef du Parti libéral - qu'en fait vous étiez un peu les porte-parole du gouvernement du Québec, donc que votre position n'avait pas de crédibilité en soi et que, d'autre part, si jamais on changeait de gouvernement au Québec, on aurait des comptes à régler avec vous. Comment réagit le Conseil du statut de la femme face à des déclarations de ce genre?

Mme Bonenfant: Premièrement, je dois dire que cet avis que nous avons donné au premier ministre n'a pas été sollicité. C'est le conseil qui a décidé de donner son avis, même si on ne lui posait pas de question. Deuxièmement, je voudrais rappeler ce que je viens de dire tout à l'heure,savoir que rien, dans cette prise de position, n'a son origine dans la politique d'ensemble qui s'intitulait Pour les Québécoises: Égalité et indépendance. Je voudrais faire remarquer à Mme la Présidente et à cette Assemblée que cette politique d'ensemble a été rédigée en 1978, que je suis devenue présidente le 1er décembre 1978, que j'ai donc dû adopter ce bébé, que je n'ai pas travaillé à ce bébé, à cette bible de la condition féminine et je pense que je peux ajouter que la présidente de l'époque, qui a été l'âme dirigeante de cette politique d'ensemble, n'a jamais caché ses allégeances politiques et qu'elles n'étaient pas les miennes.

Mme LeBlanc-Bantey: Merci, Mme Bonenfant.

La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la députée de Prévost, vous me disiez que vous vouliez intervenir. On me dit qu'on permettrait votre question.

Mme Chaput-Rolland: C'est-à-dire que c'était un peu dans la ligne de la position de madame. Vous avez dit tout à l'heure, madame, que ce mémoire n'avait pas été préparé spécialement à l'intention de cette comission. Est-ce que j'ai bien compris? Deuxièmement, vous avez dit tout à l'heure également que vous aviez fait le tour du Québec pour obtenir un certain consensus contre le rapatriement unilatéral. Est-ce que j'ai mal compris?

Mme Bonenfant: Oui, vous avez mal compris, madame, parce que j'ai dit que nous avons fait le tour du Québec pour avoir un certain consensus autour de la politique d'ensemble et sur l'Office de révision du Code civil. Finalement, quand je dis que je suis représentative des femmes du Québec, c'est parce que j'ai entendu un peu tout ça, mais je ne suis pas allée solliciter et je n'ai pas eu le temps de faire de tournées du Québec à ce sujet-là, Mme la Présidente.

Mme Chaput-Rolland: Je pense que je vais laisser la parole à d'autres, parce que ce n'est plus dans le même sujet. Je reviendrai plus tard.

La Présidente (Mme Cuerrier): II me semblait, madame, que de ce côté-là on vous laissait parler la première.

Mme Chaput-Rolland: Ah bon! Vous êtes bien aimable.

La Présidente (Mme Cuerrier): II s'agit des femmes, j'imagine que c'est un peu la raison pour laquelle on...

M. Marx: Non, ce n'est pas une question de femme, c'est une question de justice.

La Présidente (Mme Cuerrier): Non? Je pensais qu'elle avait...

Une voix: Le député d'Argenteuil n'est pas là.

La Présidente (Mme Cuerrier): Vous savez, je suis en train de m'immiscer dans des affaires, mais je pensais que les femmes étaient davantage au courant des questions qui regardent les femmes.

Mme la députée de Prévost, si vous étiez prête à poser votre question.

M, Marx: Oh je suis sûr, c'est la gauche qui a préséance.

Mme Chaput-Rolland: Je ne voudrais pas qu'on complique davantage toute cette histoire-là. J'ai fait partie de certaines commissions, mais jamais d'une commission parlementaire. Il me semblait que les autres étaient peut-être un peu moins compliquées comme procédure, je ne sais pas très bien où j'en suis avec toutes mes questions.

Ce que je veux dire, madame, c'est que si vous aviez fait le tour de la province, au moment où nous sommes ensemble, que nous soyons péquistes, séparatistes, fédéralistes ou n'importe quoi - nous sommes des êtres humains; à peu près tout le monde que je connais s'insurge contre cette forme de rapatriement unilatéral, même si notre raisonnement de libéraux a une virgule de moins que le raisonnement des autres - avez-vous l'impression que ce que vous auriez récolté aurait été différent de ce qu'à peu près vous nous dites, c'est-à-dire que les femmes, règle générale, vont s'opposer comme tous les autres citoyens à cette forme de rapatriement unilatéral qui brime certains de nos droits comme êtres humains au lieu que comme femmes? C'est ma première question. Avez-vous l'impression que vous auriez entendu à peu près la même chose que nous entendons?

Mme Bonenfant: Vous dites en tant qu'êtres humains, je dis: Si j'avais fait la tournée, je l'aurais faite en tant que femme. Je regrette, j'ai des préoccupations spécifiques. Si je l'avais faite en tant que femme, je leur aurais posé les questions que je me suis posées en rédigeant cet avis.

Mme Chaput-Rolland: D'accord.

Mme Bonenfant: Je pense que la réponse aurait été la même qu'elles m'ont donnée, qu'elles ne m'ont pas donnée, parce que ce n'était pas moi, mais qu'elles ont donné au conseil lors de l'élaboration de la politique d'ensemble.

Mme Chaput-Rolland: Bien sûr!

Mme Bonenfant: C'est dans ce sens-là que je dis: Je pense avoir un consensus, puisque je parle des mêmes préalables.

Mme Chaput-Rolland: Le Conseil du statut de la femme qui est apparu devant le comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes a fait une représentation, si je comprends bien, qui nous laissait entendre que le texte de loi était discriminatoire au point de départ, que chaque fois que des femmes ont plaidé en cour sur ce que la loi dit, de la façon dont elle est exprimée, elles ont toujours perdu leur cause. Pourriez-vous donner une explication là-dessus, parce que, moi non plus, je ne suis pas juriste et j'ai un peu de misère à comprendre cela? Si vous aviez à ajouter quelque chose, selon la pensée du ministre, M. Morin, tout à l'heure, si vous aviez à ajouter quelque chose à cette charte qui serait protectrice davantage des droits des femmes, ce serait quoi?

Mme Bonenfant: Si j'avais à ajouter quelque chose, madame, justement, ce serait vraiment très complexe. C'est pour cela que même si, comme je vous ai dit tout à l'heure, par vertu, je ne peux pas m'opposer à l'inclusion d'une charte, cela m'apparaîtrait tellement compliqué vraiment d'y inclure toutes les spécificités que comporte le respect des droits des femmes présentement, dans la conjoncture actuelle qui est en pleine évolution, en pleine mutation. Quand on pense qu'il y a cinquante ans, on n'était pas une personne, quand il y a quarante ans, on n'avait pas le droit de vote, on ne sait pas ce qui va se passer, cela m'apparaît absolument une tâche de titan d'inclure les droits des femmes dans cette charte-là. C'est pour cela que j'hésite à dire: Je suis contre, parce que je vous assure que je vais être vertueuse, mais, par contre, je trouve que c'est une difficulté épouvantable. Il faut dire que le Conseil consultatif canadien a fait un grand effort. Il a consacré des budgets à cela. Nos budgets ne nous permettaient pas de faire une étude exhaustive du plan, du projet de charte des droits pour aller aussi loin que cela.

Mme Chaput-Rolland: La vertu coûte plus cher au Québec. Merci, madame.

M. Morin (Louis-Hébert): Le Québec a moins d'argent.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Union Nationale.

Mme Bonenfant: Plus exigeante.

M. Le Moignan: Mme Bonenfant, j'aurais quelques brèves questions à vous poser. Vous dites que vous n'êtes pas juriste. Je déplore non pas le fait que vous ne le soyez pas...

Mme Bonenfant: Moi aussi.

M. Le Moignan: ... mais le fait que je ne le sois pas moi-même.

Mme Bonenfant: Ah bon!

M. Le Moignan: On est donc sur la même longueur d'onde à ce point de vue. Vous dites que vous n'avez pas analysé, fouillé les aspects juridiques. Comme vous représentez ou comme il existe en somme 450 groupes de femmes au Québec, je comprends que vous n'avez pas eu le loisir de les consulter tous, mais, d'après votre perception, aux premières nouvelles du geste posé par le gouvernement d'Ottawa qui a éclaté un peu comme une bombe, quand on a parlé d'un rapatriement unilatéral, quelle a été la réaction chez vous dans votre groupement et ce que vous avez pu percevoir aussi chez d'autres groupes de femmes au Québec? Est-ce qu'on sentait là-dedans une certaine atteinte, par exemple, aux droits de la personne, à la justice, considérant toujours deux ordres de gouvernement, un gouvernement central qui est là animé par la même constitution et, ensuite, dix gouvernements provinciaux qui sont partenaires, qui ont signé à parts égales ce pacte confédératif? À un moment donné, on a dit que M. Trudeau voulait un coupe de force, poser un geste unilatéral en passant par-dessus la tête des provinces. Est-ce qu'il y a eu un mouvement chez vous? Est-ce qu'il y a eu une réaction? Est-ce que vous vous êtes demandé si c'était logique, normal, juste, légitime? Quelle est votre réaction?

Mme Bonenfant: Oui. Avant la conférence qui n'a pas eu lieu - cette conférence des femmes qui devait avoir lieu avant la conférence de septembre sur la constitution - il y avait eu beaucoup de consultations envers les groupes de femmes qui devaient participer à cette conférence. Je peux dire, par exemple, que la Fédération des femmes, le YWCA, les AFEAS, toutes ces femmes s'étaient déjà proposé d'intervenir et c'était dans le même sens que l'intervention du conseil. Ce sont de grandes associations surtout. Pour ce qui est des petites associations, elles n'avaient pas eu beaucoup de moyens pour se manifester, mais la préparation de cette conférence était très positive, dans le sens de l'intervention du conseil. Il est fort malheureux que cette conférence n'ait pas eu lieu parce que je pense que cela aurait été une très bonne démonstration, mais on apprend que cette conférence aura probablement lieu en janvier.

M. Le Moignan: Je vois dans votre mémoire que vous analysez surtout les aspects de la constitution qui concerne les droits de la femme. Vous en faites une assez bonne description, mais, si on reste sur le plan un peu plus politique...

Mme Bonenfant: Voilà! C'est intéressant, la question que vous me posez. Pourquoi les femmes, même les femmes qui ne sont pas juristes, se sont-elles intéressées et passionnées pour cette question de rapatriement? C'est qu'elles ont bien compris que les juridictions qui sont en jeu sont celles qui touchent le plus à leur quotidien. C'est une règle qui est vérifiée constamment que plus on touche à des problèmes quotidiens des femmes, plus cela doit être légiféré au palier de législation qui est le plus proche des gens. Cela a été une des réflexions des femmes de se dire: Plus on centralise les juridictions au fédéral, moins on a de prise sur les juridictions qui président à notre quotidien. C'est une des raisons, par exemple, qui nous forcent à revendiquer le rapatriement du droit familial, parce que ce sont des questions qui touchent le quotidien des femmes et des enfants. Plus le palier de législation est éloigné, moins on a de prise sur ce palier de législation. C'est dans ce sens que les femmes se sont senties davantage impliquées. C'est la même chose quand on parle de législation sociale et d'éducation. Ce sont des choses qui nous touchent quotidiennement et c'est pour ça que les femmes sont très frappées par cette question de rapatriement et que cela les touche particulièrement.

M. Le Moignan: Mais, si vous étiez devant un groupe de femmes et qu'on vous demandait votre opinion claire et nette...

Mme Bonenfant: Je dirais...

M. Le Moignan: ...qu'est-ce que vous pensez du rapatriement, dans quelle mesure peut-on dire qu'il y a une partie acceptable et une autre partie inadmissible dans le geste politique que M. Trudeau veut le poser?

Mme Bonenfant: Excusez-moi, Mme la Présidente, j'oublie toujours de m'adresser à vous. Mme la Présidente, toutes les questions dont j'ai traité, quand il s'agit de travail, quand il s'agit de famille, quand il s'agit d'éducation, je pense que ce sont des questions réalistes. Si vous remarquez, je ne vous ai pas parlé de transport, je ne vous ai pas parlé d'affaires internationales. Je ne vous ai parlé que de choses qui touchent le quotidien des femmes et je ne pense pas trahir la pensée des femmes du Québec en disant que, dans ce domaine, elles veulent des paliers de législation qui seront les plus proches possible des femmes et de leur quotidien. On va jusqu'à dire qu'il faut aller vers le municipal et le régional, de sorte que tous ces problèmes sont des problèmes qui touchent viscéralement à la vie quotidienne des femmes et des familles, et c'est là que je réclame des rapatriements. (16 heures)

M. Le Moignan: J'aurais une dernière question. Je suis bien d'accord avec vous, les préoccupations des femmes concernent peut-être en même temps les préoccupations de leurs époux et de leurs enfants. Cela se rejoint un peu, puisque les préoccupations qui sont d'ordre...

Mme Bonenfant: Mme la Présidente, si vous le permettez, quand je dis que c'est la préoccupation des femmes, je déplore qu'elle ne soit pas aussi celle des hommes, parce que la famille, c'est aussi l'affaire des hommes. Mais, malheureusement, depuis longtemps, on nous en a laissé la charge presque exclusive. C'est pour cela que, lorsque je vous parle des revendications des femmes, je vous parle de ce qui se passe présentement. J'espère que, dans cette grande mutation, les hommes aussi se préoccuperont davantage des affaires de la famille.

M. Le Moignan: C'est ce que j'étais en train de vous dire. J'espère que cela devient aussi la préoccupation de vos époux, de vos enfants, de tous les hommes.

Mme Bonenfant: Je suis d'accord. Mais les faits sont là. Ce sont les femmes qui ont cette préoccupation.

M. Le Moignan: Mais, sur la grande question politique, vous n'avez pas l'air à vous aventurer beaucoup. Sur le geste, si vous aviez à donner devant 5000 femmes ce soir un exposé, êtes-vous pour ou contre ce geste? Et si vous êtes contre, qu'est-ce que vous allez dire à vos gens?

Mme Bonenfant: Mais je suis pour le rapatriement de certains pouvoirs, ceux que j'ai réclamés dans mon mémoire. Je n'ai pas ici à me prononcer sur autre chose que sur ce que j'ai dit dans mon mémoire.

M. Le Moignan: Je voulais vous faire avancer un peu plus loin sur l'aspect politique.

Mme Bonenfant: Je regrette, je suis présidente du Conseil du statut de la femme. Je ne suis pas ici pour faire une politique en dehors de ce qui touche aux femmes.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Deux-Montagnes.

M. de Bellefeuille: Merci, Mme la Présidente. Mme Bonenfant, vous vous présentez devant cette commission en toute intégrité, en acceptant le risque de vous trouver confrontée à un homme politique qui a dit publiquement qu'il avait des comptes à régler avec vous.

M. Marx: Question de règlement. J'aimerais voir le document où il est dit qu'il avait des comptes à régler avec le Conseil du statut de la femme.

M. Le Moignan: Est-ce que le député veut parler de moi?

M. de Bellefeuille: Mme la Présidente, je voudrais informer M. le député de Gaspé qu'il s'agit du député d'Argenteuil, chef de l'Opposition officielle. Mais passons.

M. Marx: Ce sont des affirmations gratuites. J'aimerais que vous déposiez les documents. Cessez de faire des affirmations gratuites.

M. de Bellefeuille: Passons, Mme la Présidente, parce que je sais que Mme Bonenfant n'aime pas beaucoup ce genre d'affrontement.

M. Rivest: Justement, fermez-vous.

M. de Bellefeuille: M. le député de Jean-Talon, s'il vous plaît! Je pense par conséquent à une question à laquelle vous avez déjà répondu en bonne partie en répondant aux questions de M. le chef de l'Union Nationale.

Vous avez parlé dans votre mémoire de l'enchevêtrement qui existe dans les lois et les politiques relatives aux affaires sociales. Il y a évidemment deux façons de sortir de cet enchevêtrement. Une façon, c'est de concentrer plus de pouvoirs entre les mains de l'Assemblée nationale et du gouvernement du Québec. Une autre façon, c'est de faire évoluer le Canada vers une forme de gouvernement unitaire ou quasi unitaire. À mon sens, c'est là le fond de la proposition du gouvernement central, de faire évoluer le Canada vers un type d'organisation unitaire ou quasi unitaire. Tout au long de la caravane constitutionnelle de l'été, on a pu voir les réactions des porte-parole du gouvernement fédéral qui, eux aussi, manifestaient beaucoup d'irritation devant cette forme d'enchevêtrement et d'autres formes d'enchevêtrement qu'on trouve dans le fédéralisme canadien actuel.

Selon votre mémoire, il est clair - et vous venez de le répéter - que vous croyez que la meilleure façon de sortir de l'enchevêtrement, c'est en s'appuyant sur la juridiction québécoise. Vous avez même dit tout à l'heure que c'est le palier de gouvernement qui est le plus rapproché.

Mais j'aimerais que vous explicitiez les raisons pour lesquelles vous croyez qu'une centralisation très poussée à Ottawa, évolution vers un pays unitaire, qui effectivement simplifierait beaucoup de choses, au moins au point de vue administratif, ne vous paraît pas la meilleure des deux solutions.

La Présidente (Mme Cuerrier): Mme

Bonenfant.

Mme Bonenfant: Mme la Présidente, je pense que je vais me répéter un peu. Dans les domaines qui régissent les relations avec les individus, il est toujours très important que le palier de législation soit très rapproché de l'individu surtout, à mon avis, au Québec en particulier, où on a beaucoup développé le système d'intervention communautaire. Dans la province de Québec, on a beaucoup développé ce système d'intervention de la communauté d'identifier ses propres besoins, à mon avis, dans le domaine, entre autres, des affaires sociales, de l'éducation populaire, de l'éducation des adultes et, en particulier, au niveau des besoins des femmes qui ont réussi des exercices très intéressants. Je suis allée un peu partout au Canada et aussi en dehors du Canada et je suis toujours très fière des mécanismes que nous avons développés d'identification de nos propres besoins. Plus le palier de satisfaction de ses besoins est éloigné, plus il devient difficile de réaliser ses aspirations. C'est dans ce sens qu'à mon avis, au niveau des affaires sociales, de l'éducation et, de plus en plus, au niveau du travail, il me semble que de centraliser, au niveau du Québec, les pouvoirs nous apparaît, pour nous les femmes, beaucoup plus intéressant. Il nous apparaît peut-être, par exemple, qu'aux affaires sociales on a beaucoup de pouvoirs, mais, si on va au pouvoir de dépenser et au pouvoir de subventions, on s'aperçoit que les choses ne sont pas si claires.

On pourrait aller aussi très loin, même dans des domaines où le conseil ne s'est même pas aventuré à faire des revendications. Je pense, par exemple, au domaine de la violence. Je pense, par exemple, à tout le chapitre du viol qui est dans le Code criminel où on s'est contenté de dire: Demandons à notre ministre de la Justice qu'il insiste auprès du ministre de la Justice fédéral pour que la législation sur le viol soit modifiée, pour que la législation sur l'avortement soit modifiée. Cela n'a pas donné grand-chose. C'est dans ce sens-là qu'à mon avis, pour tout ce qui touche aux relations avec les individus, le palier de législation doit être rapproché des individus. C'est la philosophie du conseil et c'est inscrit dans la politique d'ensemble.

M. de Bellefeuille: Merci, madame.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Premièrement, Mme la Présidente, je n'ai pas compris la question du député de Deux-Montagnes. Je ne pense pas que les droits de la femme dépendront des régimes étatiques qu'on va avoir. Les droits de la femme peuvent être plus protégés dans un État fédéral que dans un État unitaire et vice versa. Si mes amis péquistes réalisent la souveraineté-association, j'imagine qu'on va avoir un État unitaire et j'imagine que, dans un tel État unitaire, les droits de la femme seront très bien protégés, même si c'est un État unitaire. Je ne pense pas que ce soit une question de régime politique.

Pour revenir au Québec...

Une voix: Oui, Mme Bonenfant.

Mme Bonenfant: Mme la Présidente, je pourrai peut-être répondre tout de suite à votre préalable. Il y a une chose qu'il ne faut jamais oublier. On a toujours parlé de la mosaïque canadienne. Je pense que les besoins des femmes du Québec et les besoins des femmes de la Saskatchewan et du Manitoba, que je connais bien pour les avoir rencontrées, ne sont pas les mêmes. II y a des approches aussi et il y a aussi l'évolution de la pensée féministe qui n'est pas du tout la même partout au Canada. Je pense que cela est très important puisque cette pensée correspond à des exigences et à des besoins que les gouvernements sont appelés à satisfaire. Alors, je ne pense pas que ce soit indifférent quand vous parlez de régime unitaire ou diversifié. Cela ne peut pas être indifférent à cause de cette spécificité. J'ai participé à des dizaines de réunions de conseils consultatifs au Canada et je vous avoue que cela prend beaucoup de temps avant qu'on se mette sur la même longueur d'onde. Ce n'est pas péjoratif ce que je dis. Vraiment, on a des intérêts spécifiques et divergents.

M. Marx: Sur cette question, avant que je passe à d'autres questions, quelles sont les différences entre les femmes de la Saskatchewan et les femmes du Québec? N'est-il pas possible que, même au Québec, il y ait des différences entre les femmes de l'Abitibi et les femmes de Montréal? Dans le même sens qu'il y a des différences... S'il y a des différences entre les

femmes du Québec et les femmes de la Saskatchewan, ou entre les femmes du Québec et les femmes de l'Ontario, pour moi, il est aussi possible qu'il y ait des différences entre les femmes de l'Abitibi et les femmes de Montréal.

La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la présidente du conseil.

Mme Bonenfant: Oui, mais il est quand même plus facile de les régler à l'échelle d'une province qu'à l'échelle du Canada, parce que vous les multipliez. Je prends, par exemple, l'approche du travail entre l'Ontario et le Québec. Les femmes de l'Ontario sont allées beaucoup plus tôt que les femmes du Québec sur le marché du travail, de sorte que leurs revendications sont très différentes de celles des femmes du Québec. Les revendications des femmes au foyer du Québec sont très différentes de celles des femmes de l'Ontario. Tout cela est très spécifique.

M. Marx: Bon, je vais passer à un autre sujet. Je pense que l'Assemblée nationale...

La Présidente (Mme Cuerrier): Voulez-vous faire rapidement, M. le député, s'il vous plaît? J'ai encore trois intervenants qui ont demandé la parole et nous devons terminer dans une dizaine de minutes au maximum.

M. Marx: Oui, on va prendre trois minutes de plus; j'ai bien attendu 50 minutes avant de parler.

La Présidente (Mme Cuerrier): Oui, allez-y.

M. Marx: Je pense que l'Assemblée nationale a exprimé sa volonté sur l'égalité des femmes, je pense que c'est bien clair, c'est dans la Charte des droits et libertés de la personne adoptée sous le gouvernement libéral en 1975. Vous avez bien mentionné qu'il n'y a pas beaucoup de jurisprudence en ce qui concerne l'égalité des femmes et des hommes en vertu de cette charte, mais il faut aussi reconnaître qu'il y a peut-être moins de discrimination parce que la charte existe. Cela veut dire que la charte empêche une certaine discrimination. Je tiens cela de première main parce que j'ai été commissaire à la Commission des droits de la personne pendant cinq ans et j'ai eu une certaine expérience. Je pense que la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, ce n'est pas assez pour garantir les droits de la femme.

J'aimerais revenir sur une question qui a été soulevée avant, en ce qui concerne une charte constitutionnelle, comme la charte fédérale qui a été proposée, et une charte des droits du Québec qu'on a maintenant et que j'appellerai, pour les fins de la discussion, une charte statutaire. On peut avoir une charte constitutionnelle et une charte statutaire, c'est nécessaire. Cela veut dire que la charte constitutionnelle donne des garanties minimales et la charte statutaire donne d'autres garanties. C'est comme aux États-Unis, par exemple, où ils ont "a bill of rights", c'est la charte constitutionnelle, et ils ont aussi "human rights legislation", la loi donnant plus de droits, pour mieux protéger les droits et les libertés de la personne.

Le problème, à mon avis, au Québec est d'actualiser les droits de la femme. C'est-à-dire, comme vous l'avez dit, qu'on a besoin d'une législation particulière pour toucher tel domaine, pour protéger les droits et les libertés de la femme dans tel domaine. J'ai vu, dans la charte fédérale, qu'on prévoit que l'action positive serait possible en vertu de la charte fédérale. Je me souviens aussi que le premier ministre, lors du discours inaugural à l'Assemblée nationale, a parlé des programmes d'action positive. J'aimerais vous demander ce que vous pensez quand vous discutez d'une loi particulière; est-ce que vous envisagez des programmes d'action positive pour que les femmes soient vraiment sur un pied d'égalité avec les hommes sur le plan du travail et dans d'autres domaines?

Mme Bonenfant: À la suite du discours inaugural, j'ai envoyé une lettre au sous-ministre de la Justice pour lui demander ce qu'il entendait faire pour donner suite au discours inaugural. Nous sommes, au conseil, pour l'introduction de programmes d'action positive et nous travaillons étroitement avec la Commission des droits de la personne afin que la charte soit amendée pour pouvoir les permettre.

À notre avis, présentement, il est impossible d'arriver à l'égalité pour les femmes; même si on donne beaucoup de chances aux femmes et qu'on fait des programmes d'égalité des chances à l'emploi, à partir du moment où on est là et que les hommes sont là, on va toujours monter "croche". (16 h 15)

M. Marx: Donc, vous pensez que le gouvernement doit légiférer...

Mme Bonenfant: C'est ce qu'on appelle de la discrimination positive.

M. Marx: ...dans le sens...

Mme Bonenfant: On espère que la charte sera amendée avant la fin de cette session.

M. Marx: La charte...

Mme Bonenfant: La Charte des droits et libertés de la personne doit être amendée pour les permettre au Québec.

M. Marx: ...au Québec, pour permettre... Mais ce n'est pas à l'ordre du jour, je ne pense pas...

Mme Bonenfant: Oui.

M. Marx: Avant...

Mme Bonenfant: Oui. C'est déjà sur...

M. Marx: D'accord.

La Présidente (Mme Cuerrier): J'ai maintenant des demandes de M. le député de Jean-Talon, de M. le député de Verchères, de M. le député de Rosemont. Il ne nous reste que sept minutes environ. S'il vous plaît...

M. Rivest: Je pense que j'ai l'ensemble des questions, mais je veux simplement faire un

commentaire. Évidemment, je comprends que votre mémoire a été rédigé en dehors du contexte précis de la résolution fédérale et des travaux de la présente commission parlementaire. Au niveau du texte, il y a un article qui intéresse particulièrement les femmes, c'est le dispositif au sein de la résolution fédérale, indépendamment de votre prise de position contre le caractère unilatéral de la démarche fédérale que vous avez affirmée ici.

Au niveau du texte de la charte fédérale, lorsqu'on parle de la non-discrimination sur le sexe, etc., peut-être que le texte est ma! rédigé, mais vous ne pouvez pas exiger, dans un texte constitutionnel, qu'il soit dans un pays unitaire ou dans un pays fédéral, plus d'éléments additionnels de garantie qui vont actualiser les droits fondamentaux, qui sont des droits d'êtres humains, qui vont les actualiser au niveau du travail, au niveau de l'éducation, au niveau de la santé, au niveau de la famille, ça fait partie des choix qu'une société, en tant que telle, fait.

Quand on se situe dans l'ordre constitutionnel, on affirme les droits fondamentaux et, ensuite, une société décide de protéger, d'actualiser, même d'une façon positive, par l'ensemble de la loi, ces deux ordres de choses. Je veux simplement vous ramener au niveau du texte de la charte fédérale, strictement sur le plan des droits de la femme. Est-ce que le texte de la résolution fédérale - c'est ça, l'essentiel du débat - vous apparaît restrictif des droits de la femme? Il n'est certainement pas suffisamment explicite, comme vous l'avez souligné, mais ça, je pense que c'est le droit statutaire ou le droit positif qui doit s'occuper de cette partie. Je ne vois pas en quoi il peut être restrictif des droits de la femme.

Mme Bonenfant: Je pense qu'il pourrait être plus explicite. Ça ne veut pas dire entrer dans des pages de détails, mais il y aurait sûrement des formules qui seraient plus explicites que l'article 7, quand on dit que tous sont égaux devant la loi. Cela m'apparaît très restreint.

M. Rivest: Mme Bonenfant, prenez le texte de la charte des droits...

Mme Bonenfant: Ce qui me fait peur, c'est l'interprétation des tribunaux.

M. Rivest: Oui, oui, c'est ça. Le texte de la Charte des droits et libertés de la personne, par exemple, est un texte - je ne l'ai pas devant moi - probablement analogue, dans sa rédaction.

Mme Bonenfant: Oui, mais rappelez-vous qu'on a ajouté, par exemple, les droits des homosexuels, on a ajouté des choses très spécifiques dans la charte des droits, parce qu'on avait peur que ce ne soit pas inclus dans l'interprétation. Je n'ai pas de proposition à vous faire, mais je demeure persuadée qu'on devrait se pencher davantage pour essayer de spécifier davantage les droits des femmes dans cette charte, parce que j'ai très peur de l'interprétation des tribunaux.

M. Rivest: D'accord.

La Présidente (Mme Cuerrier): Je dois donner la parole...

M. Rivest: Une dernière question. Et vous nous avez expliqué que vous n'avez pas eu le temps, avant de venir à cette commission, de faire faire les recherches ou d'obtenir les expertises juridiques pour obtenir un texte qui rencontrerait les vues du Conseil du statut de la femme.

Mme Bonenfant: C'est sûr que ça doit aller plus loin, nous allons travailler encore là-dessus.

M. Rivest: D'accord.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Verchères.

M. Charbonneau: Je voudrais vous demander si vous avez évalué la problématique de l'expérience américaine en regard de la charte des droits, d'une part, inscrite dans la constitution et l'évolution des mentalités. Dans quelle mesure, aux États-Unis, l'inscription... non, mais il y a des problèmes qui sont reliés à ça, l'"Equal Rights Amendment", entre autres. Je voudrais savoir si vous avez évalué cette expérience américaine et si vous avez fait des comparaisons avec ce qui est en train de se passer actuellement ou ce qui risque de se passer.

La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la présidente du conseil.

Mme Bonenfant: Non, je ne peux pas vous faire part d'expériences bien codifiées. On n'a pas d'expertise vraiment valable, mais la sensation qu'on a quand on prend contact avec les groupes américains, c'est qu'il y a des groupes de pointe, mais en ce qui concerne la sensibilisation globale des femmes, je pense que le Québec n'a rien à envier à...

M. Charbonneau: Non, ce n'est pas dans ce sens-là. C'est que dans votre mémoire vous dites à un moment donné, à la page 16: "Le congrès américain passait en 1972, l'"Equal Rights Amendment". Pour que cet amendement soit inscrit à la constitution américaine, 38 États doivent le ratifier, etc." C'est cette partie de votre mémoire que je voulais que vous explicitiez.

Mme Bonenfant: Les faits sont là. Pour le faire inscrire dans la constitution américaine, il leur manque toujours deux ou trois États - je pense qu'il leur manque deux États - et ils ne sont pas capables de les obtenir. Ça veut dire qu'au niveau des mentalités, il y a encore beaucoup de chemin à faire aux États-Unis. Les faits sont là.

M. Charbonneau: Ce que vous dites c'est que les amendements sont difficiles.

Mme Bonenfant: Oui. C'était un peu confus, un peu ambigu de sortir cet exemple parce que finalement nous disons: Les Américaines ont de la misère à faire inclure dans la constitution... Nous, on dit: Si on l'incluait dans la constitution, on aurait du mal à faire changer quelque chose puisqu'il faut... J'ai l'impression que l'exemple était peut-être un peu mal choisi puisqu'il est

ambigu. Ce que veulent les Américaines, c'est d'inclure ça dans la constitution. Nous, on dit: Si on l'inclut dans la constitution, ce sera difficile à changer à cause de l'exemple des Américaines qui ne sont pas capables de l'introduire dans la constitution. C'est un peu ambigu.

La Présidente (Mme Cuerrier): Dernière question. Rapidement, M. le député, je dois donner la parole à...

M. Charbonneau: Je ne pense pas avoir... Écoutez! une question à deux volets dans ce cas-là, Mme la Présidente, d'une part, et d'un jet. Est-ce que des groupes de femmes vous ont contacté pour que vous mettiez à leur disposition des avis ou des commentaires pour leur permettre d'approfondir la question et le problème en cause? Deuxièmement, comme vous avez préparé cet avis sans que le gouvernement ne le demande, mais en interprétant votre mandat, est-ce que de la même façon il serait possible, par exemple, pour des cercles de fermières de mon comté ou du comté de D'Arcy McGee - je ne sais pas s'il y en a à Notre-Dame-de-Grâce - ou des AFEAS d'être contactés par le Conseil du statut de la femme et d'être sensibilisés peut-être plus qu'ils ne le sont actuellement aux problèmes que vous soulignez dans votre mémoire et qui devraient les concerner également?

Mme Bonenfant: Par notre service Consult-Action qui est en région, on peut facilement faire part aux groupes de femmes de cette comparution en commission parlementaire et nous le ferons probablement. Si nos budgets nous le permettent on devrait pouvoir le faire.

M. Charbonneau: Mais il n'y a pas de groupes qui vous ont contacté d'eux-mêmes?

Mme Bonenfant: Je vous avoue que présentement les groupes sont très mobilisés autour de la réforme du Code civil. Mais, par contre, par le biais de la réforme du Code civil, quand on arrive au chapitre du divorce, il faut bien parler de ce chevauchement de juridiction. C'est déjà une sensibilisation, et je trouve votre suggestion très intéressante. Je pense qu'on pourrait faire parvenir cet avis que nous venons de déposer en commission aux groupes de femmes.

La Présidente (Mme Cuerrier): Dernière question, M. le député de Rosemont.

M. Paquette: Oui, Mme la Présidente...

Mme Bonenfant: Excusez-moi, Mme Gingras me rappelle qu'avant la conférence qui devait se tenir à Ottawa en août, beaucoup de groupes s'étaient penchés sur ce problème et avaient préparé des mémoires. J'ai cité tout à l'heure la Fédération des femmes qui avait présenté un mémoire. Il y avait l'AFEAS, il y avait aussi le YWCA et certains comités de la condition féminine des syndicats qui devaient être présents à cette conférence qui n'a pas eu lieu.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Rosemont, rapidement, s'il vous plaît.

M. Paquette: J'aimerais quand même avoir cinq minutes parce qu'il y a déjà une heure que j'attends pour poser...

La Présidente (Mme Cuerrier):

Malheureusement, à moins que nous n'ayons un consentement, nous avions déterminé...

Une voix: Consentement.

M. Paquette: Merci, Mme la Présidente. J'aimerais tout d'abord remercier le Conseil du statut de la femme de nous avoir fait part de ses préoccupations concernant la constitution parce que, effectivement, comme il est dit dans son mémoire, je pense que dans tout ce débat constitutionnel la plupart du temps on oublie cette préoccupation fondamentale qui touche à des questions comme le droit de la famille ou l'égalité de l'homme et de la femme, à la question de la discrimination positive. Dans toutes les positions constitutionnelles que j'ai consultées, y compris la commission Pépin-Robarts, le livre beige ou d'autres projets de réforme de constitution, c'est une question à laquelle on n'attache pas tellement d'importance.

J'aimerais relever deux points de votre mémoire qui m'apparaissent particulièrement importants. Le premier, c'est celui-ci: Vous dites, à la page 15: "La définition des droits mêmes des femmes pose certains problèmes. La situation des femmes est actuellement en pleine mutation et à ces changements correspondent des droits nouveaux". D'autre part, à la page 16, vous relatez l'expérience difficile des femmes américaines alors que le Congrès américain adoptait en 1972 l'"Equal Rights Amendment": "Pour que cet amendement soit inscrit à la constitution américaine, 38 États doivent le ratifier." Six ans plus tard, "en 1978, ce nombre n'était pas atteint et le Congrès américain prolongeait l'échéance au 30 juin 1982." Ce qui veut dire que cela prend dix ans et qu'ils ne sont même pas sûrs, aux États-Unis, de pouvoir faire adopter l'"Equal Rights Amendment". Est-ce que je vous interprète bien en disant que vous craignez que le fait d'enchâsser dans une charte des droits fédérale les droits concernant l'égalité des femmes gèle en quelque sorte, fige une situation et empêche les groupes qui pourraient être rendus plus loin dans leur cheminement, dans certaines provinces, d'obtenir des réformes qui n'ont que trop tardé?

Mme Bonenfant: C'est exactement cela. C'est pour cela qu'après la lecture j'ai trouvé que c'était un peu ambigu, mais c'était exactement ce que je voulais dire. Si on fige cela dans la constitution ou dans la charte des droits et qu'on veut faire modifier cela, là, on aura tous les problèmes qu'on a pour faire modifier cela, quel que soit l'article de la constitution.

M. Paquette: Oui, surtout qu'on ne sait même pas quelle sera la formule d'amendement éventuellement. Ce n'est pas avant trois ou quatre ans, d'après le projet fédéral, qu'on pourra avoir de nouveaux amendements à la constitution. Non, on n'a pas beaucoup de temps.

M. Rivest: On retire notre consentement.

Une voix: C'est oui?

Une voix: C'est un péquiste qui a du jugement.

M. Paquette: M. le Président, je déteste toute forme de chantage.

Une voix: On va le laisser finir et on verra.

La Présidente (Mme Cuerrier): S'il vous plaît! S'il vous plaît!

M. Paquette: J'ai simplement une autre question. C'est parce que cela fait une heure que j'attends, M. le député de D'Arcy McGee.

La Présidente (Mme Cuerrier): Nous avions déjà obtenu un consentement. Terminez votre question rapidement, M. le député.

M. Paquette: Oui, j'ai simplement une autre question.

La Présidente (Mme Cuerrier): Nous verrons ensuite si nous en obtiendrons un autre.

M. Paquette: D'accord, très bien.

La Présidente (Mme Cuerrier): N'est-ce pas?

M. Paquette: Mme la Présidente, la deuxième question que je voulais poser... Vous avez souligné, à juste titre, les difficultés qu'il peut y avoir dans un régime fédéral, contrairement à un régime unitaire où, comme il n'y a pas de partage de compétences entre deux paliers de gouvernement, il n'y a pas de chevauchement, d'enchevêtrement comme on a dans la constitution canadienne. Vous citez, je pense, un avis quelque part - enfin je ne le retrouve pas - sur l'importance, pour qu'un tribunal de la famille puisse vraiment faire son travail de façon compétente, qu'il puisse s'appuyer sur un ensemble de lois cohérentes. Je ne sais pas si vous partagez l'avis suivant: II est assez curieux que, dans le projet de résolution fédéral, on ait une charte des droits qui risque de figer certains éléments des droits des femmes, alors qu'il n'y avait pas consensus là-dessus, alors que, sur la question du tribunal de la famille, par contre, il y avait un consensus aux conférences constitutionnelles et on ne retrouve pas cela dans le projet de résolution fédéral.

Premièrement, auriez-vous souhaité qu'il y ait, indépendamment de la question du processus unilatéral contre lequel nous sommes tous... On espère. On ne se bat pas tous avec la même énergie, mais je pense qu'on est tous contre.

La Présidente (Mme Cuerrier): Votre question, M. le député.

M. Morin (Louis-Hébert): On est toujours interrompu.

M. Paquette: Auriez-vous souhaité que, dès maintenant, on règle d'abord cette question, qui semblait faire consensus, du rapatriement vers les provinces des juridictions concernant le tribunal de la famille et, également, pensez-vous qu'on aurait dû régler la question du partage des compétences non seulement sur le tribunal de la famille, mais sur les autres questions, les juridictions dans le domaine du travail, de l'éducation, des lois sociales qui permettraient au tribunal de la famille de coordonner un ensemble de lois cohérentes avant de faire le rapatriement comme M. Trudeau veut le faire, parce que vous dites que cela va retarder les véritables réformes. Est-ce que je vous interprète bien? (16 h 30)

Mme Bonenfant: Oui.

La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la présidente du conseil.

Mme Bonenfant: Mme la Présidente, tout ce qui est de nature à retarder l'accomplissement de politiques qui donnent aux femmes du Québec l'autonomie, l'égalité qu'on a réclamée dans le mémoire du Conseil du statut de la femme, à mon avis, c'est toujours de trop. Nous sommes pour que, rapidement, on règle ces problèmes de juridiction. Quant au grand problème de la constitution, il m'apparaît secondaire par rapport aux exigences et aux besoins qui sont cruciaux, qui sont absolument vitaux pour l'accomplissement de l'égalité pour les femmes du Québec. C'est dans ce sens que je me suis préoccupée davantage dans mon mémoire du rapatriement des juridictions que du rapatriement de la constitution elle-même.

La Présidente (Mme Cuerrier): Bon! Je ferai remarquer à la commission que nous avons obtenu un consentement pour une question du côté ministériel. Pouvons-nous solliciter le consentement pour que M. le député de D'Arcy McGee pose une dernière question?

Consentement?

M. Morin (Louis-Hébert): Oui, en faisant remarquer que, dans la plupart des cas, être juriste est une profession, mais, dans certains cas, c'est un défaut.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de D'Arcy McGee, votre question.

M. Marx: Par rapport à tout ce que le ministre a dit depuis deux jours, je vois que, dans cette commission, ce n'est pas un défaut. C'est un atout et il n'est pas trop tard pour que le ministre fasse un cours de droit. Il va avoir tout le temps bientôt. Sans pension.

M. Rivest: II va avoir le temps. Dans quelque temps, il va avoir du temps libre.

M. Marx: II va le faire sans pension de l'Assemblée nationale.

M. Paquette: Est-ce qu'on pourrait choisir le professeur?

M. Morin (Louis-Hébert): On a accordé la permission pour poser une question, mais pas pour des commentaires.

La Présidente (Mme Cuerrier): MM. les députés, puis-je avoir la collaboration de la commission, s'il vous plaît! Je demanderais à M. le député de poser sa question rapidement, la

dernière que la commission posera à Mme la présidente.

M. Marx: Du point de vue d'un juriste, une charte constitutionnelle ne figerait rien en ce qui concerne les droits des femmes. Si cela était, je serais contre une charte des droits dans la constitution parce que je trouverais cela injuste de figer les droits des femmes dans une constitution.

M. Paquette: Oui. Est-ce qu'on peut vous poser une question?

M. Marx: La question que j'aimerais vous poser est la suivante: Etes-vous au courant de chartes des droits qui figent les droits de la femme? Il y a des chartes dans beaucoup de pays au monde. L'effet de ces chartes constitutionnelles dans d'autres pays est-il de figer les droits de la femme? Supposons que l'article 15 de la charte fédérale soit adopté -d'accord? l'article 15 qui protège les droits de la femme - cela ne va pas figer les droits de la femme. Au contraire, cela va établir le principe que les femmes sont sur un pied d'égalité avec les hommes ou que les hommes sont sur un pied d'égalité avec les femmes, si vous voulez, et cela va permettre toutes sortes d'autres lois pour actualiser cette égalité le cas échéant.

La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la présidente.

Mme Bonenfant: Si vous avez remarqué, je n'ai jamais dit que j'étais contre une charte des droits qui inclurait les droits des femmes. Ce que j'ai exigé, c'est que ce soit très spécifique et qu'on en mette davantage. Quant aux chartes des autres pays qui figeraient les droits des femmes, je vous avoue que je n'ai pas vu beaucoup de chartes des droits, mais je voudrais bien savoir s'il y a beaucoup de chartes d'autres pays qui ont vraiment pensé à énumérer beaucoup de droits pour les femmes. Cela m'étonnerait grandement.

M. Marx: Mais partout où il y a des chartes, ils ont prévu l'égalité homme femme. C'est évident.

Mme Bonenfant: Tant mieux! C'est un préalable, mais, à mon avis, ce n'est pas suffisant.

M. Marx: Je suis d'accord avec cela. Une voix: Voilà!

M. Marx: Si j'ai bien compris, vous n'êtes pas contre une charte constitutionnelle mais vous êtes pour plus que cela.

Mme Bonenfant: J'ai dit que, telle qu'elle nous était présentée, ce n'était pas suffisant, mais, s'il fallait que tout le monde soit d'accord, j'exigerai, par contre, qu'on soit plus spécifique. C'est dans le texte.

M. Marx: L'Opposition officielle partage votre opinion sur ce point.

M. Rivest: Vous tombez dans le livre beige,

Mme Bonenfant.

M. Morin (Louis-Hébert): Oh, non! Je ne veux pas intervenir à ce moment-là, mais si j'avais le droit d'intervenir...

Mme Chaput-Rolland: Pas de consentement, M. le ministre.

M. Rivest: Pas de consentement.

M. Morin (Louis-Hébert): Parce qu'on est en train de servir à madame... Enfin!

M. Marx: Elle a compris.

M. Morin (Louis-Hébert): C'est écrit à la page 17.

M. Rivest: Mme la Présidente, le règlement s'applique également au ministre.

M. Marx: Au prochain témoin.

La Présidente (Mme Cuerrier): J'ai maintenant le devoir, qui est pour moi un très grand plaisir, de remercier - et je pense me faire l'interprète des membres de la commission - Mme la présidente du Conseil du statut de la femme et Mme Louise Gingras pour leur apport qui nous amène à faire des réflexions. Merci à Mme Claire Bonenfant.

Des voix: Merci, madame. Mme Bonenfant: Merci.

Association culturelle franco-canadienne de la Saskatchewan

La Présidente (Mme Cuerrier): J'appellerai maintenant à participer à la commission de la présidence du conseil et de la constitution l'Association culturelle franco-canadienne de Saskatchewan, dont le porte-parole est M. Rolland Pinsonneault.

La commission vous souhaite la bienvenue, M. Pinsonneault. Nous avons déjà en main le mémoire que vous nous avez fait parvenir. Il s'intitule "Considérations sur la situation des Fransaskois et la réforme de la constitution canadienne."

Je ne sais pas si vous étiez là au moment où il y a eu la reprise des travaux de la commission. Nous avons fait part à ceux qui vous ont précédé que la commission dispose d'environ une heure pour recevoir aussi bien votre mémoire que les questions qui pourront vous être posées. Nous avons départagé le temps en 20 minutes pour votre intervention et 40 minutes pour les questions qui peuvent vous être adressées. Peut-être votre mémoire est-il trop important. Si vous préférez le résumer, je puis quand même vous assurer que la copie intégrale de ce mémoire sera déposée aux archives et que les gens qui pourront y être intéressés pourront toujours le consulter.

M. Pinsonneault.

M. Pinsonneault (Rolland): Mme la Présidente, mesdames et messieurs de la commission, je voudrais, dès le tout début, faire une précision. La présentation que je dois faire,

je veux qu'elle soit bien comprise, est complètement apolitique. Il peut y avoir des retombées politiques. Je crois que toute minorité ou toute personne qui présente des idées ou un mémoire, c'est qu'elle veut infléchir d'une façon ou d'une autre des dimensions politiques.

Ma présence parmi vous aujourd'hui n'a qu'un seul but, celui de vous faire part de mes sérieuses inquiétudes au sujet du projet de révision de la constitution canadienne et surtout de la proposition de M. Trudeau d'enchâsser les droits linguistiques dans la constitution.

Je suis né au Québec, à Napierville, mais je suis arrivé en Saskatchewan en 1917. J'avais alors quatre ans. J'ai eu la chance de faire mes études en français, dans des institutions privées. Ceux qui ne pouvaient jouir de cet avantage devaient se contenter de l'école publique où seule la langue anglaise était alors la langue d'enseignement.

Toute ma vie, en plus de mes occupations quotidiennes, j'ai travaillé pour la cause du français dans ma province et peut-être au niveau du pays. J'ai dépensé non seulement des énergies, mais j'ai également dû payer pour donner à mes enfants une éducation française. Même aujourd'hui, considérant la gravité de la situation actuelle, je suis venu à mes frais vous expliquer les motifs de mon inquiétude. Et je pourrais préciser que je suis venu à mes frais, c'est très vrai. Je suis membre de l'ACELF et c'est sous le haut patronnage de cet organisme que je vais parcourir quatre endroits de la province de Québec.

Depuis plus de deux ans, l'activité politique canadienne a remis à l'ordre du jour les problèmes constitutionnels. Ce fut tour à tour la création de la Commission canadienne sur l'unité nationale, en 1977, le dépôt de la loi fédérale C-60, en 1978, la ronde des conférences des premiers ministres provinciaux et la série des rencontres constitutionnelles fédérales-provinciales jusqu'à l'échec, en septembre 1980. Puis, aujourd'hui, siège le comité mixte de la Chambre et du Sénat sur la constitution pour étudier le projet de résolution soumis par le gouvernement d'Ottawa.

Dans ce contexte actuel, les Fransaskois sont préoccupés par l'évolution du débat car c'est leur avenir linguistique et culturel qui se joue. En Saskatchewan, les francophones n'ont encore aucun droit et sont dispersés dans une grande province. Mme Irène Chabot, présidente de l'Association culturelle franco-canadienne, décrivait très bien cette situation dans le mémoire qu'elle a présenté au nom de l'association devant le comité mixte du Sénat et de le Chambre sur la constitution du Canada: "Lorsque le Canada a acquis le Nord-Ouest, les écoles dispensaient l'enseignement en français, en anglais ou en cri. L'article 93 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique garantissait aux minorités le droit à des écoles confessionnelles, donc françaises, dans les faits, pour les catholiques francophones. Ces garanties vont d'abord être effacées par les ordonnances de l'Assemblée des Territoires du Nord-Ouest. Au moment de la création de la province de la Saskatchewan en 1905, la controverse scolaire est grande et, en 1918, la loi no 31 établit l'anglais comme la seule langue d'instruction à l'exception du grade 1 et de l'enseignement du français comme une simple matière. En 1931, le gouvernement Anderson abolit ces minces droits qui ne seront que partiellement rétablis en 1934 avec l'heure quotidienne du français, qui devait toutefois être enseignée en anglais." On a trahi, on a été des bandits parce que jamais on ne s'en est occupé. On a enseigné en français malgré que la loi était claire et spécifique: "The sole language of instruction shall be English". "Après avoir été utilisés par l'administration des Territoires du Nord-Ouest à une certaine époque, le français et l'anglais seront reconnus comme les deux langues officielles du gouvernement par l'Acte des Territoires du Nord-Ouest. Cependant, en 1892, l'Assemblée des Territoires émet une ordonnance à l'effet d'abolir le français comme langue des tribunaux et des Chambres. En 1980, les Fransaskois n'ont toujours aucun droit dans la loi scolaire et le statut officiel du français demeure controversé. La population francophone représente environ 3% de la population totale de la Saskatchewan, soit quelque 30,000 âmes. Cette population est dispersée à travers toute la province et plus de la moitié se trouve en milieu rural. Les communautés francophones sont situées, d'une part, dans les régions au nord de Saskatoon et, d'autre part, au sud de Régina, laissant entre Saskatoon et Régina une large bande exempte de communautés francophones. Les Fransaskois se sont regroupés autour de certains centres urbains et nombre d'entre eux habitent des fermes ou des villages de quelques centaines, voire même quelques dizaines de personnes. Après la guerre, un fort mouvement de centralisation et de régionalisation affecte les structures scolaires et administratives de la province. Cela amène une perte d'autonomie et de contrôle des communautés francophones qui se retrouvent toujours minoritaires au niveau régional, étant donné leur éparpillement. "Le recensement de 1976 de Statistique Canada indique 2,9%. Le recensement de 1971 rapporte que quelque 56,200 âmes sont d'origine française, tandis que 31,605 sont de langue maternelle française et 15,935 ont le français comme langue d'usage."

Au cours de notre histoire, nous avons dû mener des luttes incessantes qui nous ont parfois découragés. Nous avons subi des frustrations qui nous ont usés, mais nous sommes encore pleins de vitalité.

Ce fut le sort des Canadiens français en Saskatchewan. Chaque petit gain de nos droits reconquis et chaque bribe d'enseignement en français obtenue furent arrachés de haute lutte. La diplomatie que nous avons déployée alors et que nous déployons encore exigeait de nous une force incalculable pour affronter les refus systématiques qu'on s'apprêtait à nous servir et les lieux communs que notre gouvernement provincial évoquait pour justifier son inaction.

Combien de fois l'envie nous prenait de briser toutes les règles de procédure pour obtenir plutôt des droits gui nous semblaient si simples à accorder. (16 h 45)

Nous étions aussi chogués du cynisme galant avec lequel on écoutait nos demandes. Les autorités provinciales, en acquiesçant, se sentaient obligées d'étendre les mêmes droits à tous les autres groupes ethniques de la province. Nous ne

nous opposons pas, au contraire, à ce que ces groupes ethniques reçoivent des services, mais nous refusons d'être assimilés. Les autorités ne comprennent pas que nous, les Canadiens français, sommes membres de l'une des deux sociétés de langue officielle, dont l'une a ses assises au Québec où les francophones sont majoritaires, et environ 1,000,000 à l'extérieur.

En 1944, l'établissement des grandes unités scolaires équivalent des commissions scolaires au Québec démontra la volonté délibérée de diviser nos communautés canadiennes-françaises pour mieux les fragmenter et mieux les assimiler. En plus de lutter pour maintenir et améliorer les minces privilèges durement acquis, il nous fallait être, par le truchement de l'ACFC, le ministère de l'Éducation française pour les francophones. Cette situation nous a imposé un travail épuisant qui aurait dû être fait par le ministère de l'Éducation provincial.

Il est vrai que la situation que j'évoque remonte aux années très difficiles de 1905 à 1967. À partir de 1967, la reconnaissance du français comme langue d'enseignement a amélioré quelque peu le climat des revendications.

Cette victoire de la reconquête de nos droits, nous la devons à tous nos ardents défenseurs de la francophonie en Saskatchewan. Un autre facteur qu'il me paraît important de souligner dans le succès obtenu en 1967 fut sans doute l'éveil du Québec des années 1960. Le Québec se caractérise alors par une volonté ferme d'exiger et d'obtenir tous les droits qui lui sont nécessaires pour assurer son plein développement, tant culturel, social, économique, voire même politique.

Cette attitude nouvelle au Québec a éveillé nos gouvernements. Nous avons constaté que nos revendications recevaient une attention à laquelle nous n'étions pas habitués. Mais ils hésitaient encore beaucoup à exaucer nos requêtes et craignaient, par-dessus tout, les répercussions de leur électorat.

Que dire, aujourd'hui, de l'effet du référendum québécois de mai 1980 sur notre communauté. Tous le savent, notre association avait souhaité un oui référendaire car sans un Québec fort, notre avenir chez nous est très aléatoire. Nous avions également pensé que ce oui aurait des effets bénéfiques à long terme sur notre avenir. Mais ce souhait d'un oui référendaire a eu aussi un ressac: d'une part, des Fransaskois eux-mêmes, n'ayant pas compris suffisamment le motif de la décision de l'Association culturelle franco-canadienne, nous ont forcés à donner de nombreuses explications. Maintenant, un nombre grandissant de Fransaskois réalisent cette nécessité d'un Québec francophone fort. D'autre part, le gouvernement de la Saskatchewan fut grandement surpris, étonné, voire offusqué de ce geste qui, pour eux, frisait l'ingratitude.

Pourtant, cette position n'était pas nouvelle. Déjà, en 1965, aux membres de la commission Laurendeau-Dunton l'ACFC déclarait: "Enfin, nous savons que notre survivance, même appuyée par l'État, demanderait l'apport constant et puissant du Québec. Aussi, nous sommes prêts à appuyer les mesures jugées nécessaires par cette commission royale d'enquête pour fortifier le Québec comme porte-parole du Canada français au sein de la Confédération canadienne et répondre à ses aspirations légitimes."

Cette position de certains groupes francophones hors Québec d'appuyer le référendum québécois sert encore les politiciens en mal de confusion qui ne comprennent pas le vrai sens de notre intervention.

Pour mieux saisir le sens de mes remarques, permettez-moi de vous rappeler très brièvement les jalons d'une histoire pas toujours intéressante de notre épopée fransaskoise. Vous trouverez ces dates en annexe au mémoire que je vous présente.

Je demeure convaincu que, dès le lendemain de la conclusion du pacte confédératif de 1867, le sort de la francophonie en était jeté. La disparition du fait français était le but non avoué politiquement de la majorité anglaise. Tous les moyens étaient bons et tous les procédés étaient légaux, car la majorité a toujours raison, sauf au Québec, pour atteindre cet objectif et ils furent pris.

Les conflits éclatèrent à propos de l'éducation en langue française dès 1871 au Nouveau-Brunswick; puis, en 1877, ce fut un problème semblable qui fut soulevé à l'Île-du-Prince-Édouard. Suivirent le cas du Manitoba en 1890 et celui de l'Ontario en 1916. Quant aux provinces de la Saskatchewan, de l'Alberta et de la Colombie-Britannique, elles ne présentèrent pas leurs cas aux tribunaux, mais la même attitude prévalait, à savoir celle d'assimiler les francophones en les privant de leur droit le plus fondamental de recevoir l'éducation française et d'autres services dans leur langue.

Ces tactiques auraient sans doute réussi, n'eût été la présence québécoise avec ses lois respectant la minorité anglophone de son territoire. L'exemple de cette générosité a sans doute empêché les gouvernements provinciaux d'étouffer les communautés francophones comme ils l'auraient voulu. On peut retenir que nos droits nous ont été progressivement enlevés jusqu'en 1929. À partir de 1934, la reconquête a été entreprise en autorisant l'enseignement du français une heure par jour de la première à la douzième année. On en voit le résultat, mesdames et messieurs.

Une bonne part des résultats positifs pour améliorer notre situation en Saskatchewan revient aux luttes de l'ACFC. Tout au long de son histoire, elle a soutenu et encouragé les efforts des parents et des professeurs. Elle a été le maître d'oeuvre de toutes les revendications des Fransaskois et c'est pourquoi notre groupe minoritaire fransaskois est encore sur l'échiquier national.

Les anglophones du Québec pourraient-ils dresser un bilan aussi négatif que celui que je viens d'évoquer? Combien cette population est choyée, combien nous serions heureux si nous pouvions avoir ce qu'ils ont ici. Ce qui me porte à penser que la justice a son vrai sens au Québec, mais qu'à l'extérieur du Québec la justice n'est pas la même.

Ces dernières années, on a pu constater un rythme plus rapide de changements en éducation française. Je crois que cette évolution s'explique par les facteurs suivants: la vitalité québécoise de plus en plus agissante, revendicatrice a suscité un éveil chez nous et chez nos dirigeants. La loi fédérale des langues officielles a suscité chez les nôtres un nouveau sens d'appartenance à l'une des

majorités de langue officielle. Enfin, l'action du Secrétariat d'État, par sa politique d'aide aux organismes de la minorité de langue officielle, nous a permis d'évaluer nos propres besoins, d'entreprendre les actions capables de réaliser certains projets et même d'obtenir une certaine reconnaissance.

Je tiens à préciser que les subventions que nous a données le gouvernement fédéral, nous les avons acceptées sans gêne, car l'honorable Gérard Pelletier nous a assurés, en 1969, à Saint-Boniface, à l'occasion du congrès de l'Association canadienne d'éducation franco-manitobaine: Ce n'est pas la charité que nous vous ferons, ce seront des octrois réparateurs vous permettant de complémenter les projets nécessaires à votre survie.

Il est vrai que les facteurs que je viens de mentionner nous ont tous aidés à améliorer notre situation en tant que groupe minoritaire de langue officielle en Saskatchewan. Mais il ne faudrait pas conclure qu'il n'y a plus rien à faire. Au contraire, la lutte doit continuer, sinon reprendre de plus belle. Elle doit être menée au niveau fédéral et au niveau provincial.

Malgré l'amélioration récente, bien que relative, de la situation des Fransaskois laquelle, je viens de le dire, est surtout attribuable à nos propres luttes - je considère que le projet de M. Trudeau, tel qu'il est présenté, est absolument inacceptable. Il ne nous garantit rien. Ce qui me déçoit davantage, c'est la stratégie de chantage devant laquelle nous sommes placés, encore une fois. Accepter le projet de M. Trudeau, c'est défavoriser la cause de la francophonie canadienne car c'est, d'après moi, renoncer à un Québec fort et le refuser, c'est se faire accuser de ne pas vouloir affirmer nos droits francophones dans nos provinces.

Pour préciser mes propos, voici ce que déclarait Mme Irène Chabot au nom de l'Association culturelle franco-canadienne devant la commission mixte de la Chambre et du Sénat sur la constitution: "Ce gui me blesse le plus profondément, c'est la question des droits scolaires. L'intention de l'article 23 nous apparaît certes positive parce que celui-ci nous reconnaît le droit à l'instruction en français pour nos enfants. Mais la formulation de cet article nous inquiète au plus haut point à cause de l'ambiguïté de certains termes d'abord, mais surtout parce que nous voyons difficilement comment en Saskatchewan nous allons arriver à pouvoir exercer ce droit, compte tenu des restrictions mentionnées dans l'article. "Il faut bien réaliser qu'en Saskatchewan, les écoles françaises n'existent pas et les commissions scolaires françaises encore moins. Il faudra donc un nombre d'élèves suffisant pour justifier la mise sur pied de toutes pièces des installations scolaires nécessaires. Ce nombre va vraisemblablement être élevé et difficilement atteignable par une population dispersée, en butte à l'incompréhension et à l'hostilité de la majorité, et à laquelle on fera supporter le poids psychologique et financier de tout recours en justice. "De plus, l'issue même de tel recours appararaît incertaine. En effet, si les tribunaux ont éventuellement à prendre une décision concernant le caractère suffisant d'un certain nombre d'enfants par rapport à une certaine région, sans plus de directives gu'ils n'en ont à l'article 23, il est plus que vraisemblable que ces tribunaux se référeront à l'opinion des législateurs et des administrateurs scolaires. Ce qui équivaut en bonne partie à nous livrer à la décision de la majorité."

Cette observation est réaliste. C'est ce qui se passe présentement dans ma province. Deux groupes de parents, ceux de Vonda et de Prince-Albert, ont dû recourir aux tribunaux afin d'obtenir le droit à l'enseignement en français dans le cadre des écoles désignées. Tous deux ont perdu non seulement à la Cour du banc de la reine, mais aussi en Cour d'appel.

Après cette digression, je reprends le texte de Mme Chabot: "Le principe de l'accès à l'école française risgue donc de rester lettre morte et ce sera doublement humiliant pour les Fransaskois de savoir qu'il y a un droit dans la constitution de leur pays et que ça ne leur donne rien, mais que d'autres groupes comme les Anglo-Québécois, et même certaines catégories d'immigrants pourront exercer pleinement le droit à l'école de la minorité à partir du même article et de la même constitution du même pays.

Les définitions nous inquiètent aussi. À quoi fait référence la notion confuse d'installations scolaires? S'agit-il de commissions scolaires? D'écoles françaises? Ne pourrait-on pas prétendre que les programmes d'immersion dispensés dans les écoles anglaises constituent les installations d'enseignement pour la langue française? Il n'est point besoin de rappeler ici, de concert avec la Fédération des francophones hors Québec et d'autres associations provinciales de francophones ainsi gu'avec les commissaires aux langues officielles et de très nombreux éducateurs, gue les écoles homogènes contrôlées par des francophones sont un minimum absolument vital dans nos milieux, et que les solutions mitoyennes qui sont certes inspirées par le bon vouloir ne sont en effet que des milieux d'assimilation qui nuisent aux objectifs mêmes qui sont visés.

Cette inégalité fondamentale des effets de l'article 23 sur les Anglo-Québécois, d'une part, et les Fransaskois et les autres francophones hors Québec, d'autre part, nous apparaît particulièrement blessante à nous qui sommes totalement dépourvus de tout dans le domaine scolaire, ainsi que tout à fait inacceptable dans un document qui doit établir les fondements de la nation. Il nous apparaît évident que dans la situation socio-linguistique complexe comme celle du Canada, ce qu'il faut viser, c'est une égalité de fait et non pas une égalité de principe. Ce sont donc des mesures qui vont aboutir à l'égalité plutôt gu'un principe universel gui a des effets divergents.

L'histoire a clairement montré que ce ne sont pas les Anglo-Québécois qui ont souffert de la discrimination et qui ont été l'objet de mesures assimilatrices conscientes et efficaces; ce sont les Fransaskois et beaucoup d'autres francophones hors Québec. C'est donc envers ces derniers qu'on devrait orienter les dispositions linguistiques de la constitution, de telle sorte qu'ils puissent exercer ces droits. Et si de telles dispositions ne peuvent pas s'appliquer au Québec où la situation est radicalement différente puisqu'il s'agit là encore de protéger les francophones, qui, s'ils y sont majoritaires, demeurent néanmoins minoritaires dans le pays et sur le continent, si donc on ne peut étendre au

Québec des dispositions qui protègent les francophones hors Québec, qu'on formule alors des droits différents pour la minorité du Québec. Ça n'en sera pas plus incohérent que ce bilinguisme éclopé qui existe dans la constitution actuelle et que le projet s'apprête à endosser de nouveau. Et ça aura au moins l'avantage de répondre à une vraie situation. (17 heures) "II ressort assez clairement de tout cela que nous ne considérerons pas que c'est la position du Québec qui nuit aux intérêts des francophones hors Québec dans ce dossier puisque: "Premièrement, le projet actuel, rejeté par le Québec, n'apporte aux Fransaskois que des droits surtout symboliques et qui auront peu de chances de s'exercer en Saskatchewan; "deuxièmement, si on voulait reformuler des dispositions qui donnent de véritables droits aux Fransaskois, on pourrait le faire de telle sorte que ça n'attaque pas la nécessaire autonomie du Québec pour protéger sa population francophone et, au besoin, on pourrait concevoir des mesures différentes pour le Québec et pour les provinces anglophones, tout comme le projet de constitution actuel prévoit des mesures particulières pour trois gouvernements, c'est-à-dire le Canada, le Québec et le Manitoba, mesures qui ne s'expliquent pas autrement que par des événements historiques. "Nous tenons à nous dissocier clairement de la stratégie de chantage qui fait du Québec le responsable des malheurs des francophones hors Québec par sa position face au projet de rapatriement. En tant qu'unique État majoritairement francophone en Amérique du Nord, le Québec doit protéger sa population francophone et il est important pour nous que le Québec francophone reste fort et dynamique. "Malgré l'intention de l'article 23, la portée juridique du droit à l'instruction dans la langue de la minorité n'a pas de signification concrète importante pour les Fransaskois et nous nous considérerions perdants si, pour obtenir cela, nous devions accepter que le Québec perde les moyens qu'il s'est donné pour assurer sa survie francophone. Nous considérons que ce sont, sauf exception, les premiers ministres des provinces anglophones qui sont les responsables de la faiblesse des droits qu'on est prêt à nous consentir dans la constitution. Nous pensons en particulier à notre premier ministre qui est resté étrangement silencieux sur le sujet, bien qu'il ait été tenu au courant de notre point de vue. "Dans sa position officielle en matière de renouveau constitutionnnel, notre gouvernement ignore complètement sa responsabilité face à sa population francophone et donne l'impression que cette question ne le concerne pas."

Donc, au plan fédéral, les promesses d'hier deviennent des plans d'avenir et les changements profonds proposés s'avèrent plutôt des reculs que des améliorations. Trudeau serait-il un nouveau Laurier?

Le gouvernement de la Saskatchewan devrait profiter du débat actuel sur la résolution Trudeau pour assumer volontiers et reconnaître sans équivoque les droits de sa population francophone, ce qui suppose également que les gouvernements provinciaux acceptent le principe sous-jacent à cet article, l'existence de deux peuples fondateurs ou l'existence de deux majorités de langue officielle au Canada.

En mai dernier, nous avions espéré un oui au référendum. Nous respectons le non que la population québécoise a donné. Mais, chez nous, nous constatons déjà qu'au niveau provincial l'urgence de l'avant-référendum n'existe plus. Le gouvernement provincial semble moins attentif à nos demandes et moins prompt à s'engager réellement pour accorder à sa minorité francophone les droits à l'éducation en français. Sur ce point, il n'a pas besoin d'attendre quoi que ce soit d'ailleurs ou du fédéral puisqu'il a pleine et entière juridiction sur l'éducation en sa province.

Mes inquiétudes et celles de mes concitoyens seraient moins grandes si le gouvernement fédéral et le gouvernement de la Saskatchewan, et même les autres gouvernements provinciaux, s'engageaient vraiment à garantir tous les droits nécessaires au développement et à l'épanouissement de la francophonie.

Merci, mesdames et messieurs.

La Présidente (Mme Cuerrier): Merci, M. Pinsonneault. J'accorderai d'abord la parole à M. le ministre des Affaires intergouvernementales.

M. Morin (Louis-Hébert): Mme la Présidente, je voudrais, au nom des représentants ici du parti ministériel et je pense que je peux le faire probablement au nom aussi des représentants des autres partis, encore qu'il est fort possible qu'ils ne soient pas d'accord sur tout ce que M. Pinsonneault a eu à dire, pour féliciter M. Pinsonneault de deux choses; la première - et je tiens à le souligner - c'est d'être venu de Saskatchewan ici, à ses frais, pour nous parler de la situation des francophones chez lui et, deuxièmement, de s'être quand même donné la peine de faire le travail qu'il a préparé à si brève échéance pour être reçu par nous. Je pense que je me fais l'interprète de tout le monde, au-delà des partis politiques, pour vous féliciter, M. Pinsonneault, du travail que vous vous êtes imposé, de la sincérité et de la conviction que vous démontrez par votre présence ici.

J'ai une question à vous poser. Je pense que c'est "la" question et je sais que d'autres en auront probablement. C'est la suivante: dans le projet de charte fédérale, au-delà du fait qu'elle est inacceptable à cause, entre autres, de son caractère unilatéral, il existe néanmoins une disposition dont, comme ministre, j'ai eu à m'occuper une bonne partie de l'été au cours des discussions constitutionnelles que nous avons eues avec tout le monde, y compris avec les représentants de votre gouvernement. C'est une expression en cinq mots, c'est-à-dire "là où le nombre le justifie". Sachant que vous veniez aujourd'hui, mais ne sachant pas, ou que j'ai pris connaissance du mémoire en même temps que vous le lisiez, qu'il s'agirait de la même situation, j'ai ici devant moi un article du Devoir du 3 décembre dernier où on parle justement des problèmes auxquels vous faites allusion quand on essaie d'appliquer l'expression "là où le nombre le justifie".

J'ai une question à vous poser et cela ne préjuge pas, évidemment, de notre sentiment à nous en ce qui concerne le fait que l'imposition de la charte est unilatérale, et cela ne préjuge en rien de notre avis quant à une charte elle-même dans une constitution. Donc, ma question -

ma phrase est très longue, je recommence - est la suivante: Si l'expression "là où le nombre le justifie" n'était pas là, si, en somme, comme certains l'ont proposé, le droit à l'éducation en français et le droit au français vous était garanti de façon absolue, pensez-vous que, malgré la dispersion de la population chez vous, comme vous l'avez expliqué tantôt dans votre mémoire, cela résoudrait une bonne partie du problème que vous avez? Au fond, est-ce que c'est parce qu'il y a des limitations dans cette charte relatives au nombre que vous y voyez des problèmes concrets?

M. Pinsonneault: Absolument. Pour moi, MM. les membres de la commission, lorsqu'on ajoute à ce que j'appelle mon droit, une limitation disant "où le nombre le justifie", ce n'est plus un droit, c'est un privilège qu'on m'accorde parce que ce n'est pas moi qui vais décider si cela prend tant d'enfants pour faire une commission scolaire. Si ce qualificatif était ôté, je suis convaincu que cela nous permettrait de former dans des régions données des écoles qu'on pourrait appeler nos écoles. Nous sommes aussi des gens raisonnables, nous, les Français. Nous n'allons pas aller dans un milieu où il y a deux familles et demander une école. Il faut être logique. On est capable d'établir cette chose-là, mais le fait demeure que, s'il n'y avait pas de limitation, nous avons deux régions en Saskatchewan où il serait possible de faire démarrer des écoles françaises. Présentement, on nous a donné au moins quinze élèves, mais il y a une école qui demande à être fondée avec dix élèves. On ne peut pas la donner, il n'y a pas quinze élèves. Pourtant, dix enfants, cela vaut la peine de les conserver français. Je dis que, si cette chose-là était ôtée, cela donnerait un stimulus aux parents pour se grouper davantage et se donner ce service. Cela nous donnerait aussi la possibilité d'établir des commissions scolaires françaises où ce serait nous qui dirigerions notre école et non, comme à présent, alors que, si je veux une école française, je suis obligé de présenter mon cas en anglais pour obtenir mon point. Sincèrement, à mon avis, si cette chose-là était ôtée, cela nous faciliterait au moins davantage la possibilité de nous régir nous-mêmes.

M. Morin (Louis-Hébert): Ce sera ma dernière question avant de passer la parole à d'autres. Je ne sais pas si vous pouvez répondre à ma question. Je ne veux pas non plus entrer dans le contenu de nos discussions de l'été dernier au niveau des ministres des Affaires intergouvernementales ou similaires, ni au niveau des premiers ministres. Votre province, la Saskatchewan, et son gouvernement ne font pas partie actuellement du groupe des provinces qui contestent devant les tribunaux le projet fédéral, mais elle ne fait pas partie non plus du groupe des provinces qui appuient le projet fédéral. En d'autres termes, pour être clair, votre premier ministre, M. Blakeney, est sur la clôture. Il a certaines exigences. Peut-être qu'il va tomber du côté des provinces qui rejettent le projet fédéral, peut-être que non. Nous ne le savons pas au moment où je vous parle, même si l'attitude de la Saskatchewan l'été dernier laissait plutôt entendre qu'elle était opposée en principe.

J'ai entendu votre premier ministre dire à quelques reprises - d'ailleurs, je le connais depuis des années - qu'il n'était pas très d'accord avec une charte des droits, pour des questions de principe, mais que s'il en fallait une et si tout le monde était d'accord, cela irait peut-être. Mais je ne l'ai jamais entendu dire qu'il était d'accord pour enlever la limitation là où le nombre le justifie. Je sais que l'Ontario est opposée à cela. Non seulement cela, mais elle ne veut pas l'imposition de l'article qui l'obligerait à être bilingue, ce qui est là une source de profonde injustice. C'est deux poids deux mesures, dans le cas de l'Ontario, par rapport au Québec.

Peut-être ne pouvez-vous pas répondre à la question. Si on enlevait la limitation, "là où le nombre le justifie", comme expression, cela obligerait à ce moment-là, en supposant que la charte est adoptée et tout cela - ceci est un autre sujet - cela obligerait la Saskatchewan à vous fournir les services que vous voulez. Est-ce qu'il se pourrait qu'à ce moment votre province devienne une province contestatrice parce qu'elle ne voudrait pas être soumise à l'obligation de donner l'enseignement en français?

En somme, est-ce que, dans votre milieu et au niveau de votre gouvernement - parce qu'il y a des choses qu'on ne sait pas, nous, même si on les connaît, on n'en parle pas autant qu'on devrait peut-être - il y a un blocage systématique sur la question du français dont vous avez pu vous rendre compte par votre expérience? Je pense que la réponse, si je puis me permettre non pas de la suggérer, mais de la deviner, d'après ce que je vois sur ce qui se passe chez vous, c'est que le, gouvernement n'est pas particulièrement enthousiaste en ce qui concerne le français? Mais votre sentiment, est-ce que c'est un gouvernement suffisamment ouvert? Même si ce n'était pas acceptable d'être obligé, mais étant obligé de donner l'enseignement à tout le monde en français, en enlevant l'obligation de ne le faire que là où le nombre le justifie, est-ce que votre gouvernement pourrait s'opposer à la charte, carrément, tellement il est opposé au français?

La Présidente (Mme Cuerrier): M.

Pinsonneault.

M. Pinsonneault: Je ne crois pas que ce soit réellement... Je crois que nous sommes un enjeu politique. Si on acceptait trop facilement la proposition d'enlever la limitation "où le nombre le justifie", politiquement, ce serait excessivement dangereux pour le gouvernement de notre province. Mais je crois savoir, de source assez certaine, que c'est un des éléments - et c'est cela qui me blesse - dans le marchandage que M. Blakeney veut faire avec l'honorable Trudeau pour gagner davantage au niveau des ressources minérales ou au point de vue économigue.

J'ai l'impression que nous sommes un des jetons. Si on élargit grandement les cadres, peut-être qu'on nous donnera ces droits. Je ne peux pas vous donner d'autre réponse. On dit que le gouvernement Blakeney nous est sympathique, mais, chaque fois que nous voulons établir une école française ou avoir une bribe de nos droits, c'est une lutte à n'en plus finir. On y use notre monde; et lorsque la chose nous est possible, on n'a plus de soldats sur le champ de bataille.

M. Morin (Louis-Hébert): Merci, M.

Pinsonneault.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Jean-Talon.

M. Rivest: M. le Président, notre groupe parlementaire veut également se joindre au ministre, sans réserve aucune, parce que les opinions que vous exprimez, on sait qu'elles font partie d'un vécu que vous connaissez probablement mieux que nous, puisque cela fait partie de la vie des gens qui vivent en Saskatchewan. Les opinions exprimées, même si certaines n'ont pas rejoint celles de l'Opposition officielle, méritent le respect autant que la nôtre. Je n'ai aucune espèce d'hésitation à vous accueillir avec autant de chaleur que le ministre l'a fait. (17 h 15)

Évidemment, tout votre mémoire pose le problème fondamental des minorités, surtout des minorités francophones qui vivent dans des provinces où, en termes numériques, la densité de population est très faible. C'est sans doute un des problèmes les plus difficiles qu'on peut envisager dans la perspective canadienne, dans la mesure où, comme vous le dites, c'est absolument incontestable. Puisqu'il s'agit de droits fondamentaux, en l'occurrence, le droit d'une personne à sa langue, c'est un problème extrêmement sérieux de limiter, de quelque façon, ce droit en le conditionnant à une décision des autres. Comme vous le disiez tantôt, cela finit non plus par être des droits, mais par avoir l'air d'un privilège qu'on accorde. Ou bien ce sont des droits fondamentaux ou ce n'en est pas. Pour les individus, je pense que c'est dans ce sens-là que vous le considérez: ce sont des droits fondamentaux. À titre de Canadiens appartenant à une des deux grandes communautés linguistiques du pays, vous avez droit à ces droits.

Par contre, bien sûr, il y a l'autre dimension, qui est soulignée très souvent et à laquelle vous avez commencé à répondre, au niveau de la praticabilité, si vous me permettez cet anglicisme, de l'organisation des choses. Mais sans aller plus loin dans ce sens-là, vous savez qu'on s'est prononcé d'une façon unanime au Québec contre le caractère unilatéral de la démarche fédérale au titre du renouvellement du fédéralisme. Compte tenu de la réponse elle-même que vous avez fournie au ministre au titre des réactions de votre premier ministre où on tronquait les droits ou, enfin, on semblait vouloir troquer les droits des francophones contre des considérations d'ordre économique; compte tenu également d'un certain manque de courage ou, enfin, de générosité de la part du gouvernement fédéral dans sa démarche unilatérale au titre de la protection des droits de la langue française hors Québec, il aurait pu aller beaucoup plus loin en Ontario et pour vos provinces. Face au document, tout en réservant notre position au caractère unilatéral de la démarche, dû au fait que le gouvernement fédéral en tant que tel exerce un leadership au niveau de la reconnaissance du français et de l'anglais, au niveau des services fédéraux - vous n'en avez pas parlé, mais je suppose que vous êtes d'accord avec cette disposition - et qu'il exerce même un leadership plus grand qu'il ne l'exerce dans la résolution fédérale au niveau des droits judiciaires et des droits dans les Assemblées législatives et, troisièmement, au niveau des droits scolaires, ce qui a fait l'essentiel de votre mémoire, et en allant peut-être... Si le gouvernement fédéral avait été jusqu'à imposer à votre gouvernement un texte analogue à celui de l'article 23 où il n'y aurait pas eu la particule du nombre suffisant, est-ce que cela vous paraîtrait la voie la plus pratique pour, effectivement, assurer aux francophones hors Québec la protection des droits linguistiques? Autrement dit, si on décidait de continuer, dans le domaine des droits linguistiques, à suivre le mécanisme usuel - je pense qu'on devra peut-être le faire si le projet fédéral échoue - indépendamment des réserves qu'on peut avoir, le fait que la charte soit sur la table, si le gouvernement fédéral, au niveau du comité mixte, répondait à votre demande au titre de l'article 23 en enlevant la particule du nombre suffisant et que vous vous retrouviez, par exemple, l'automne prochain, avec la demande que vous avez faite sur l'article 23 avec les droits linguistiques au niveau du gouvernement fédéral, cela ne serait-il pas un progrès pour votre communauté?

M. Pinsonneault: Je vais être très honnête avec vous, monsieur. Cela fait 40 ans que je me bats pour les Canadiens français. J'ai mis du temps, j'ai mis de l'argent, j'ai perdu mes cheveux au fait. Tant que je n'aurai pas, de façon claire, précise et nette, un article de loi, je sais que c'est risqué. Il y a une autre chose qui m'inquiète aussi dans ce contexte. C'est que, de plus en plus, le fédéral devient le grand-papa qui aurait le dernier mot dans toutes les sauces. Cela, ça m'inquiète non seulement pour le Québec, mais ça m'inquiète pour ma province, chez moi. Je crois que les provinces ont des droits et des rôles à remplir. Au niveau fédéral, à moins qu'on ne puisse convaincre les provinces, par leurs ministères de l'Éducation, d'inscrire dans leurs lois une reconnaissance officielle, claire, nette et précise, pour moi, ce ne seront que des mots. Je vous l'ai dit, je me gargarise avec des mots depuis 40 ans; je me laisse endormir avec des promesses depuis 40 ans et c'est fini!

M. Rivest: Juste pour préciser ma question, dans ce sens-là, est-ce que vous vous sentiriez plus près de l'objectif - et dans le fond, la bataille que vous avez faite est quasiment celle d'une vie dans ce domaine-là - si vous en arriviez à constater que le gouvernement fédéral, devant tous les efforts à tort ou à. raison, valables ou non valables qui ont été faits dans le passé, est-ce que vous vous attendez que le gouvernement fédéral impose cela aux gouvernements provinciaux ou si vous avez plus confiance de laisser les gouvernements provinciaux, en dehors du Québec, se laisser convaincre de la valeur de la cause que vous défendez? Est-ce que vous exigeriez du gouvernement fédéral qu'il impose cela aux gouvernements provinciaux ou si vous préféreriez laisser se dérouler le processus actuel? En autant que la volonté, au niveau du gouvernement fédéral, est là.

La Présidente (Mme Cuerrier): M.

Pinsonneault.

M. Pinsonneault: Je vais peut-être patiner

encore, comme on dit. Cela me ferait énormément plaisir si on pouvait convaincre les provinces de le faire, de l'imposer, à condition que, tel que dit aussi le mémoire que j'ai cité... Je n'accepterai jamais qu'on oblige les provinces anqlophones à accorder ces droits à leur communauté francophone au détriment de la grande communauté québécoise. Elle a été respectueuse pendant 1]3 ans.

M. Rivest: Ces obligations n'étaient pas plus lourdes pour le Québec que pour les autres provinces.

M. Pinsonneault: Après 60 ans, vous avez toute une population; on vous l'a dit, nous sommes environ 2% à 3%. Le processus d'assimilation s'est continué sans arrêt et se continue encore. Je n'ai pas hâte de voir le résultat du recensement de 1981. Ce serait peut-être la seule solution, celle qu'il l'impose, mais je préférerais que le fédéral, s'il continue d'aller de l'avant et accepte les revendications qu'on fait, puisse ni plus ni moins que l'imposer aux provinces anglophones qui n'ont pas respecté l'esprit de l'Acte de l'Amérique du Nord, s'il peut le faire de cette façon-là. Je vais être très réticent à donner mon appui, même si ça me donne quelque chose dont les résultats seront peut-être très aléatoires et prendront tellement de temps que, d'ici à ce qu'on les ait, il n'y aura peut-être plus assez de francophones pour en profiter.

M. Rivest: L'autre réserve, c'est évidemment que vous souhaiteriez, à un moment donné, un tel leadership, sauf - et c'est le sens aussi de votre mémoire - que, si le gouvernement fédéral prenait une telle attitude et l'imposait aux autres provinces, vous êtes très conscient, et vous l'avez souligné dans votre réponse d'ailleurs, qu'à ce moment-là, cela pourrait comporter pour le Québec des contraintes additionnelles qui risqueraient d'affaiblir la position du français au Québec; affaiblissant ainsi la position du français au Québec, comme vous l'avez souligné dans votre mémoire, cela pourrait avoir également des effets négatifs dans la lutte que vous menez dans l'Ouest.

M. Pinsonneault: Absolument. M. Rivest: Merci.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Union Nationale.

M. Le Moignan: Merci, Mme la Présidente.

M. Pinsonneault, comme l'ont dit mes collègues, nous sommes très heureux de vous voir partir de la Saskatchewan venir contempler le Québec sous la neige. Je vous admire pour l'excellent travail que vous nous avez présenté, une fresque de l'histoire que nous connaissions déjà dans les grandes lignes, mais vous insistez pour nous rafraîchir la mémoire un peu plus.

J'aurais une ou deux questions à vous poser. Je comprends le destin tragique de votre peuple, quand vous parlez de 2% à 3% de francophones dont 1,5% ont conservé l'idiome, parlent encore le français. Ça représente pour vous, qui y avez consacré votre vie, non pas à un échec, mais tout de même un désir encore, face aux événements qui se présentent, de maintenir cette flamme auprès de la jeunesse qui va certainement continuer à oeuvrer sur vos traces.

Il y a un petit point que j'aimerais vous demander. Vous dites qu'au référendum, vous auriez souhaité que le oui l'emporte. On ne discutera pas de ça. Vous parlez aussi de la nécessité d'un Québec fort, pour aider la diaspora française à travers le Canada. Dans l'hypothèse d'un oui au référendum et dans l'hypothèse qu'un Québec fort demeure à l'intérieur du Canada, premièrement, quelle serait votre réaction? Et deuxièmement, l'hypothèse du même oui au référendum et d'un Québec séparé indépendant, qu'est-ce que cela apporterait aux francophones de la Saskatchewan ou des autres provinces? Ma question est assez claire, oui?

La Présidente (Mme Cuerrier): M.

Pinsonneault.

M. Pinsonneault: Eh bien, M. Le Moignan, voici comment je répondais à ceux qui posaient des questions sur mon option personnelle, qui a été confirmée par une option de l'association. En souhaitant le oui québécois, on ne voulait pas dire aux Québécois quoi faire. On aurait été heureux s'ils avaient dit oui. Nous respectons la décision qui a été prise. Dès le lendemain de la décision référendaire - c'est peut-être exagéré un peu -ou dès les premiers temps après la décision, nous avons senti déjà chez nous une indifférence qualifiée. Ils ne pouvaient pas, du jour au lendemain, tout oublier; on était moins pressé à nous offrir des solutions, et la question que nous avons eue à Saint-Denis-Vonda-Prud'homme, si elle avait été en cause au mois d'avril, on ne serait peut-être pas allés en cour, parce qu'on voulait être les bons garçons pour encourager nos amis québécois à rester dans le Canada.

Le fait demeure aussi, c'est ce que je disais, que la dimension était: nous allons négocier une souveraineté-association, et connaissant un peu la politique après 40 ans, je sais pertinemment que ça ne se fait pas dans six mois. Je n'ai pas d'inquiétude là-dessus, cela aurait pris deux, trois, quatre ou cinq ans. Entre-temps, les provinces anglophones, pour démontrer réellement la véracité des affirmations qu'elles ont faites lorsqu'elles sont venues parler aux Québécois, on aurait pu leur dire, mettez-les en oeuvre et nous autres, après ça, on va aller au Québec et on va voir ce qu'on peut faire. Mais elles ne l'ont pas fait.

Je l'ai vécu, il y a des endroits où, avant le référendum, c'était bonjour monsieur, mais après le référendum, c'était Good day. Accepte ça; encaisse-le, ça ne fait pas de différence. Là, ils étaient certains qu'il n'y avait plus de problème. C'est la réponse que je donnais aux miens, que je vous donne bien honnêtement ici. Je ne dis pas que c'était la solution idéale, je ne suis pas ici pour convaincre qui que ce soit, mais c'est ma dimension, telle que je l'ai vue.

M. Le Moignan: En somme, si je comprends bien, il y a eu une espèce d'insatisfaction chez beaucoup de vos compatriotes là-bas. Mais à présent que nous sommes placés devant ce qu'on appelle un coup de force, le rapatriement unilatéral, évidemment, ça va affecter les

francophones hors Québec. Au sujet de l'enchâssement des droits linguistiques, est-ce que ça va vous aider, si on regarde l'expérience du passé - je la connais assez bien - alors qu'on vous a dépouillés de tous vos droits? Pensez-vous qu'à l'avenir, si on posait ce geste, le gouvernement fédéral aurait assez de pouvoir pour aller influencer un gouvernement provincial qui s'opposerait à une telle mesure?

M. Pinsonneault: Je veux qu'on me comprenne bien. Je ne suis pas contre l'idée d'enchâsser, je trouve que c'est un trop grand mot pour ça, d'inclure dans la constitution la garantie linguistique pour les minorités hors Québec. Je suis d'accord avec ça. La seule chose avec laquelle je ne suis pas d'accord, c'est qu'on l'étende au Québec. On inclut le Québec dans le paquet. Je n'accepte pas ça. Je serais heureux si on pouvait trouver un compromis. Et là, ça nous aiderait peut-être; mais moi, je suis encore convaincu que malgré l'enchâssement des droits, les écoles françaises en Saskatchewan ce n'est pas pour demain. (17 h 30)

M. Le Moignan: Une solution de compromis a déjà été suggérée aux provinces. Si c'était de ressort provincial les provinces pourraient s'entendre, pourraient négocier, pourraient faire des arrangements.

M. Pinsonneault: Comme je vous l'ai dit au tout début, je suis ici à titre absolument personnel parce que toute la chose m'inquiète. Si on se tient chez soi et qu'on ne se parle pas, on ne s'aide pas. Je ne suis pas encore convaincu que même avec l'enchâssement, en donnant les pleins pouvoirs au gouvernement fédéral, on pourrait exercer assez de coercition sur les gouvernements provinciaux pour changer au point que cela nous serait tellement utile. Je n'y crois pas.

M. Le Moignan: Une dernière petite question. Face à l'avenir, étant donné que vous êtes dispersés, avec toutes les meilleures garanties possibles, pensez-vous que si les réajustements sont favorables à votre province, on peut songer qu'ils vont s'implanter de façon assez ferme, assez solide pour se perpétuer et garder la langue chez vous?

M. Pinsonneault: J'espère, j'espère, c'est tout ce que je peux dire. Je le répète, je suis ici à titre personnel, je ne suis pas membre du comité de direction de l'ACFC. Ils ont des rencontres assez fréquentes avec le gouvernement, ils sont très honnêtes et très ouverts dans leurs revendications et ils lui signifient de façon non équivoque que c'est nos droits que l'on veut et qu'ensuite on regardera ce qu'on fera, mais pas avant. Je crois que c'est la seule alternative.

La Présidente (Mme Cuerrier): Ma liste de ceux qui ont demandé la parole se lit comme suit: M. le député de Rosemont, M. le député de Deux-Montagnes, M. le député de D'Arcy McGee. On m'informe que Mme la députée de Prévost doit guitter maintenant. Malheureusement, je dois tenir compte du temps qui nous est alloué et vous n'auriez plus que trois minutes si vous consentiez à donner la parole... je pense que je m'exprime mal... Si vous consentiez à donner la parole à Mme la députée de Prévost immédiatement, elle ne disposerait plus que de trois minutes. Consentement?

Des voix: Consentement.

La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la députée.

Une voix: Consentement pour aller jusqu'à 18 heures. Ce monsieur est venu de la Saskatchewan...

La Présidente (Mme Cuerrier): Consentement à prolonger.

Mme la députée de Prévost.

Mme Chaput-Rolland: M. Pinsonneault, ce que je voudrais vous dire c'est que ce n'est pas tellement le député... Je remercie le député de Rosemont de me laisser la parole. Je vais vous dire à vous ce que j'ai dit il y a deux ans à quelqu'un qui, devant la commission Pépin-Robarts, nous a fait exactement la même chose. Il me semble que quelle que soit l'application du nombre, si le nombre requis le voulait, ce mot magique, ce chiffre magique, je suis d'accord avec vous, c'est noyer le poisson, mais en définitive, monsieur, est-ce que si le gouvernement fédéral n'avait pas maintenu la politique de la commission Laurendeau-Dunton: un pays qui a deux langues officielles devrait avoir deux cultures officielles, et est-ce que dans les faits ça n'est pas, si vous voulez, le renforcement que l'on a fait au multiculturalisme qui a mis beaucoup de vos premiers ministres dans un état de malaise vis-à-vis de la première des minorités qui est la francophone, puisqu'elle fait partie de l'histoire du pays? J'ai posé cette question-là au juge Monet, vous pourrez vérifier, sa réponse avait été oui. Est-ce que vous avez la même impression que la politique du multiculturalisme, si valable soit-elle vis-à-vis des manifestations culturelles des autres cultures, a également aidé malheureusement le premier ministre à ne pas vous donner vos droits et, comme vous l'avez dit tout à l'heure, à vous accorder un peu plus de privilèges? C'est tout ce que je voulais dire par simple honnêteté canadienne et québécoise. Merci, Mme la Présidente, de m'avoir permis...

La Présidente (Mme Cuerrier): M.

Pinsonneault.

M. Pinsonneault: Moi, ça m'a complètement bouleversé lorsque la politique du multiculturalisme a sorti. Cela a complètement mêlé les cartes. Je reconnais que la Loi des langues officielles a certainement créé un début d'ouverture, mais cela a pris tellement de temps. Maintenant, aussitôt que la minorité Fransaskoise demande quelque chose, on nous répond immédiatement: II va falloir le donner aux autres, et cela nous nuit énormément, c'est vrai.

Mme Chaput-Rolland: Merci, monsieur. Merci, M. le député.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Rosemont.

M. Paquette: Mme la Présidente, j'ai eu l'occasion il y a quelque temps, de vous rendre visite en Saskatchewan. Je ne sais si j'ai rencontré M. Pinsonneault, mais on m'a fait un peu le même exposé, je dois remercier M. Pinsonneault de son exposé extrêmement éloquent qui nous fait part des réalités, au-delà des droits qu'on peut mettre dans un bout de papier, dans une constitution ou dans une loi vécues par les gens là-bas. C'est une réalité extrêmement triste qui nous touche profondément tous les francophones du Québec.

J'aimerais soulever un point. Il est assez curieux qu'après avoir assisté pendant 113 ans à ce qu'on pourrait appeler un lent génocide - tout n'est pas perdu, mais il y a des redressements immédiats qui s'imposent - où un par un, on a retiré les droits des francophones hors Québec, particulièrement en Saskatchewan, à peine trois ans après que le Québec se soit donné une politique des langues officielles, évidemment une politique concernant le français, le gouvernement fédéral se décide d'agir et décide d'appliquer l'article concernant la langue d'enseignement également à toutes les provinces. Vous nous soulignez à juste titre que les effets sont loin d'être les mêmes au Québec qu'en Saskatchewan. Vous nous faites une proposition intéressante qui d'ailleurs a été reprise il y a deux semaines de cela, je pense, par un éditorialiste du Devoir; il me semble que c'est M. Jean-Pierre Proulx qui disait tout en précisant qu'il ne faut pas rêver: Si le fédéral voulait agir sur le plan d'une charte des droits, s'il voulait véritablement donner une égalité de statut aux francophones et aux anglophones dans l'ensemble du Canada, il n'aurait pas besoin de légiférer pour le Québec, il lui suffirait de légiférer pour les autres provinces, pour les gens qui en ont besoin.

J'ai entendu le député de D'Arcy McGee dire que cette idée était stupide. Elle n'est pas stupide du tout.

M. Marx: Je n'ai jamais dit que l'idée est stupide. Est-ce dans la transcription?

La Présidente (Mme Cuerrier): Monsieur... M. Paquette: Sous-entendu.

M. Marx: Vous avez mal entendu. Voulez-vous retirer...

M. Paquette: Je m'excuse, si je vous ai mal entendu.

M. Marx: Mme la Présidente, qu'il retire ses mots, parce ce n'est pas dans la transcription.

M. Paquette: ...

M. Marx: Oui, il a un témoin de service. Ne faites pas des...

M. Charbonneau: N'ayez pas peur de ce que vous dites.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député, à l'ordre! À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre!

M. Marx: II m'a attribué des mots que je n'ai pas employés.

M. Paquette: Mme la Présidente, je prends la parole du député de D'Arcy McGee.

La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre! M. le député, est-ce que vous accepteriez que, puisque vous affirmez ne pas avoir tenu ces propos, nous en...

M. Marx: Qu'il retire ses mots.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député.

M. Paquette: Mme la Présidente, je prends la parole du député de D'Arcy McGee, mais je l'avais bien entendu. Enfin, peut-être que cela s'appliquait à autre chose.

La Présidente (Mme Cuerrier): Voilà. M. le député, voulez-vous poser votre question rapidement s'il vous plaît, nous ne disposons plus de beaucoup de temps.

M. Paquette: J'en arrive à ma question. M. Marx: C'est terrible.

M. Paquette: Si le gouvernement fédéral dans sa charte des droits décidait de faire en sorte qu'il y ait des écoles françaises, pas seulement des classes ou de l'enseignement en français là où le nombre le justifie, mais des écoles françaises et que cette règle s'appliquait seulement aux autres provinces, pensez-vous qu'il serait possible dans l'état actuel des choses, compte tenu de ce que vous avez suivi des négociations constitutionnelles, d'en arriver à un accord des provinces concernées?

La Présidente (Mme Cuerrier): M.

Pinsonneault.

M. Pinsonneault: Je doute très fortement -je lisais tout récemment des textes au sujet de la crise du temps de Laurier qui a divisé le Canada, en 1896 - et je suis convaincu que toute la population anglophone du pays aurait une réticence à accepter le plus simple des modus vivendi. J'en suis convaincu. Lorsque je reçois des lettres anonymes, d'autres qui sont signées, cela me fait dire qu'en Saskatchewan, on n'est pas près d'avoir des écoles françaises, à moins de pressions très fortes auprès des gouvernements. C'est ce que nous faisons. Il va nous falloir des voies, il va falloir en ouvrir d'autres, mais je vois difficilement - je suis peut-être pessimiste - à moins d'un changement radical de compréhension du problème canadien...

M. Paquette: Vous nous avez souligné les résultats du référendum, l'effet du référendum dans votre province, c'est-à-dire une certaine indifférence, alors que plusieurs personnes, au cours de la campagne référendaire, avaient promis que, si les Québécois répondaient non à la question qui leur était posée, les francophones du Canada se verraient enfin reconnaître sur un pied d'égalité. Quelle est l'opinion générale dans votre province parmi les francophones? Vous nous avez donné la vôtre. Je sais que c'est toujours difficile d'évaluer l'opinion d'une minorité. Est-ce une situation ressentie actuellement que le non au référendum a fait reculer - c'est ce que vous

avez dit, en fait - rend plus difficile, en tout cas, la reconnaissance des droits des francophones en Saskatchewan?

M. Pinsonneault: Je crois que de plus en plus, M. le député, nous avons des personnes qui sont obligées de se rendre à l'évidence que la décision que l'ACSC avait prise en avril et mai dernier était la bonne. C'est tout ce que je peux répondre là-dessus. Il y a un nombre grandissant de personnes qui disent: Elle avait peut-être raison. Donc, c'est déjà un bon signe.

M. Paquette: Le projet fédéral, évidemment, ne concerne que la langue d'enseignement, "là où le nombre le justifie". Pensez-vous que ces droits et les autres droits - on parle de l'utilisation du français dans les tribunaux, au Parlement, également du droit de la minorité fransaskoise à ses institutions sociales, par exemple, tous des droits qui sont reconnus au Québec - pensez-vous que le meilleur moyen est par une charte des droits enchâssée dans la constitution et amendable, quelle que soit la formule, mais amendable avec le consentement d'une majorité de provinces ou de toutes les provinces? Pensez-vous que cette voie est la meilleure ou si vous avez l'impression que c'est beaucoup plus par... Comme le disait le rapport Pépin-Robarts, est-ce beaucoup plus par des ententes bilatérales entre le gouvernement du Québec et les gouvernements des autres provinces, ou encore de réciprocité dans certains cas, qu'on pourrait y parvenir le plus facilement, même si c'est difficile dans les deux cas?

M. Pinsonneault: Honnêtement, je crois que, si on reconnaissait peut-être d'une façon plus ouverte le fait des deux majorités de langue officielle canadienne, cela permettrait une négociation plus facile. Je ne suis pas un consti-tutionnaliste, je peux difficilement vous donner une opinion, mais je ne crois pas que les changements, même avec un enchâssement comme on se plaît à l'appeler, je ne suis pas convaincu que ce soit la chose qui va nous remettre nos droits. Il va falloir beaucoup plus que cela.

M. Paquette: Merci, M. Pinsonneault.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Deux-Montagnes.

M. de Bellefeuille: Merci, Mme la Présidente. Vous avez fait allusion, en réponse aux questions de M. le ministre tout à l'heure, M. Pinsonneault, à l'attitude du gouvernement de votre province dans le cadre des conférences constitutionnelles. Je me souviens - et je pense que tout le monde est au courant de cela - qu'à un moment donné M. Trudeau, en septembre, avait reproché à certaines provinces atlantiques de faire ce qu'il appelait "trading freedoms against fish". J'ai l'impression, d'après ce que vous dites, qu'on pourrait reprocher, à la fois à M. Trudeau et à M. Blakeney, de faire le "trading of French rights against potash", puisqu'il s'agit, dans le cas de la Saskatchewan, d'une richesse naturelle. (17 h 45)

Je ne vais pas vous poser une question théorique, M. Pinsonneault. Je vais plutôt vous demander de nous raconter, de façon un peu plus concrète, ce à quoi votre mémoire fait allusion à la page 16. Le ministre y a fait allusion dans la question qu'il vous a posée. Les francophones de Vonda et de Prince-Albert ont éprouvé des difficultés. Ils s'en sont remis aux tribunaux, y compris le tribunal d'appel, et n'ont pas obtenu satisfaction. Est-ce que vous pourriez, en quelques instants, nous raconter ce qui s'est passé dans ces deux cas-là?

La Présidente (Mme Guerrier): M. Pinsonneault:

M. Pinsonneault: Je vais tenter très rapidement de le faire, Mme la Présidente. L'école de Saint-Denis-Vonda-Prud'homme, qui est devenue une école régionale, a été déclarée école désignée parce qu'on y enseigne au-delà de 50% du temps des matières en langue française. C'était de la première à la huitième année. Les autres classes étaient hébergées au village voisin, le village d'Aberdeen. Les neuvième, dixième, onzième et douzième années étaient enseignées avec ce qu'on appelait, dans le temps, le français de l'ACFC ou le français supérieur, qui est le français à raison d'une heure par jour, ce qui est difficile dans une école de 500 élèves anglophones.

Le nombre d'élèves a diminué, comme partout ailleurs. La commission scolaire Saskatoon-Est, l'automne dernier, leur a dit: On ne donne plus de français à l'école d'Aberdeen. On va, si vous le voulez bien, défrayer les coûts pour envoyer vos enfants au collège Mathieu, à Gravelbourg, ou à l'école de Holy Cross, à Saskatoon, à au-delà de 60 kilomètres de leur résidence.

M. de Bellefeuille: Et Gravelbourg, c'est à quelle distancé?

M. Pinsonneault: Gravelbourg, à vol d'oiseau, c'est à au-delà de 250 kilomètres. Comme on s'en servait dans le temps, c'était à au-delà de 250 milles de Vonda.

Les parents n'ont pas accepté cela. Ils ont demandé à la commission scolaire d'engager un professeur de plus, et que les élèves qu'on refusait à Aberdeen seraient intégrés dans l'école désignée de Vonda, en neuvième, dixième et onzième années.

La commission scolaire - ce sont des anglophones, il faut les comprendre; ils ne comprennent peut-être pas nos sentiments - a dit: Non, cela coûte trop cher, on ne peut pas vous donner cela, il n'y a pas assez d'élèves. Les parents ont eu deux rencontres avec la commission scolaire et ils n'ont pas pu en venir à une entente. À ce moment-là, ils se sont dit: Bien, on va tenter d'amener le gouvernement ou la commission scolaire en cour. C'est ce qu'ils ont fait. Le premier jugement a été que les parents n'avaient pas une raison suffisante pour demander cela à la commission scolaire. Les parents en ont appelé à la Cour d'appel et cette dernière - j'ai ici une copie du jugement - en d'autres mots, laisse sous-entendre, si on veut l'interpréter légalement, qu'une commission scolaire peut déclarer une école désignée, jusqu'à la première, la deuxième, la quatrième ou la huitième année, mais qu'il n'y a absolument

aucune obligation pour elle d'ajouter des classes à cette école. Les parents sont allés en Cour d'appel, ils ont été défaits. Ils en ont donc appelé au ministre et le jugement dit que le ministre répond à la reine et ne répond pas aux citoyens.

À l'école de Prince-Albert, c'est un groupe de parents qui veulent l'école française et l'école française, c'est l'école de type A, si l'on peut dire. C'est une école où les matières sont enseignées en français pour jusqu'à 80%. La seule langue qui peut être enseignée en anglais, c'est l'anglais. On est plus logique que les Anglais, parce que les Anglais, les années auparavant, voulaient nous faire enseigner le français en anglais, ce qu'on n'a pas fait d'ailleurs. La commission scolaire a retardé sciemment notre demande pour avoir cette école, les parents sont allés en Cour de magistrat et les magistrats ont dit à la commission scolaire: Vous êtes obligée de recevoir la demande. Elle a patiné tellement longtemps que les parents se sont fatigués. Ils ont amené la commission scolaire en cour et la même chose est arrivée. D'après le juge, les arguments ne se prêtaient pas à leur donner ce droit.

Donc, c'est encore le principe. M. Chrétien et M. Trudeau nous l'ont dit carrément à Régina: "Si cela ne marche pas, vous n'avez qu'à aller en cour." Mais on ne nous a pas dit qui paierait les avocats. On ne nous a pas dit qui passerait à travers du moulin, ce qui est épuisant pour des francophones qui se voient glisser tout le temps. C'est la situation qui existe présentement. C'est le cas de l'école Vonda et de l'école Prince-Albert.

M. de BeliefeuiIle: Merci, monsieur.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Mme la Présidente, j'ai déjà eu l'occasion d'étudier le statut des minorités dans toutes les provinces du Canada et j'ai bien étudié les droits linguistiques des francophones hors Québec, au Manitoba, en Saskatchewan, dans les Territoires du Nord-Ouest, au Nouveau-Brunswick, etc. Je suis très familier avec ce que vous avez décrit et j'ai même écrit une thèse sur ce sujet en 1967. Comme vous l'avez décrit, mais pas mentionné ouvertement, souvent, des attitudes racistes dans l'Ouest du Canada étaient à la base de la fermeture des écoles françaises. J'ai même relevé, dans certains jugements des cours au début du XXe siècle, des attitudes racistes des juges dans les jugements. Si les jugements sont imprégnés d'une telle attitude, c'est facile d'imaginer quelle était l'attitude d'autres personnes.

J'aimerais souligner aussi que les gouvernements canadiens en général et au moins certains gouvernements provinciaux n'ont pas vraiment protégé leurs minorités soit linguistiques ou autres; ces minorités n'étaient pas bien protégées non plus par les cours. Par exemple, au Manitoba, c'est à cause d'une décision du comité judiciaire du Conseil privé qu'on a fermé les écoles françaises au Manitoba à la fin de XIXe siècle et c'est à partir d'un jugement du comité judiciaire du Conseil privé en Ontario qu'on a fermé les écoles françaises en Ontario à partir de 1917.

Je suis tout à fait d'accord quand vous dites qu'il faut chercher une égalité dans les faits et non pas l'égalité des principes. Je pense que c'est l'essentiel. Si on inscrit des principes dans une constitution, il faut que ce soient des principes avec des dents pour mordre et non pas avec des dents pour sourire.

Ceci dit, j'aimerais mentionner que le livre beige du Parti libéral du Québec propose, en matière de droits linguistiques, que les minorités linguistiques soient protégées dans toutes les provinces en matière d'éducation, que ces minorités aient un contrôle sur leurs institutions sociales et éducatives et que chaque minorité linguistique de chaque province ait le droit d'avoir des émissions de radio dans sa langue, qu'elle puisse suivre aussi des émissions à la télévision dans sa langue. Donc, c'est la politique du Parti libéral qu'on trouve dans le livre beige.

Je me souviens qu'au comité mixte de la Chambre des communes et du Sénat, qui siège maintenant à Ottawa, il y a eu des représentations de certains groupes qui ont proposé que le fédéral fasse appliquer plutôt l'article 133 de la constitution à toutes les provinces et qu'il y ait une clause dans la constitution qui prévoie que chaque personne d'une minorité linguistique ait le droit d'être éduquée dans sa langue maternelle. À ceci, j'aimerais ajouter que ça va de soi, quand vous avez souligné que les anglophones au Québec jouissent déjà de certains droits linguistiques, donc l'article 133, donc des droits scolaires, ceci depuis la Confédération et même avant.

Ma question est la suivante. Admettons que le gouvernement fédéral propose une charte des droits enchâssée dans la constitution où on va étendre l'article 133 à toutes les provinces, et où on va garantir les droits scolaires à toute personne de chacune des minorités linguistiques et où on va enlever "où le nombre le justifie", pour que ce soit un droit individuel, c'est-à-dire que même s'il y a seulement un francophone à Prince-Albert, il aurait le droit d'aller à une école francophone payée par l'État, c'est-à-dire que s'il n'y a pas d'école française à Prince-Albert, il sera envoyé à l'école la plus proche de chez lui.

Donc, admettons que le gouvernement fédéral étend l'article 133 à toutes les provinces et aussi les droits linguistigues, tel que je les ai décrits, à toutes les provinces, est-ce que vous serez d'accord avec de tels articles dans une charte constitutionnelle?

La Présidente (Mme Cuerrier}: M.

Pinsonneault.

M. Pinsonneault: Voici, M. le membre de la commission, la façon dont je le vois. Lorsque l'on demande à assurer le droit légal garanti à toutes les minorités qui sont au Canada, je crois qu'on va se créer tellement de problèmes...

M. Marx: Toutes les minorités, ça veut dire les anglophones et les francophones. C'est ça, les deux minorités, il n'y en a pas d'autres pour moi, quant aux droits linguistiques.

M. Pinsonneault: II y a des demandes qui ont été faites tout récemment; d'autres minorités veulent avoir exactement les mêmes...

M. Marx: Quand j'ai parlé des minorités linguistiques, j'ai voulu que ce soit bien clair, c'étaient les minorités anglophones et les minorités francophones. Ce sont les deux communautés linguistiques et culturelles au Canada.

M. Pinsonneault: Ce serait certainement quelque chose d'intéressant, mais là, M. le député de D'Arcy McGee, je ne peux faire autrement que de dire que quand je verrai ça en noir sur blanc, je le croirai.

M. Marx: Vous êtes prêt à accepter ça.

M. Pinsonneault: J'accepterai ça à condition, je répète ce que j'ai dit tantôt, M. le député, que l'on soit bien certain de ne pas enlever ce droit et ces privilèges que le Québec a donnés à ces minorités et que cela soit garant de la culture canadienne-française au Québec. Si, ce faisant pour le reste du pays, on affecte ces droits-là, moi je ne marche pas. Nous sommes 3%, nous sommes environ 15,000 francophones en Saskatchewan, et je crois que je serais malhonnête si j'étais égoïste au point de dire que pour sauver quelque 15,000 personnes, nous allons en vendre 4,500,000 ou 5,000,000. Je ne peux pas accepter ça, je crois que je ne serais pas honnête ni avec moi-même ni avec vous autres.

La Présidente (Mme Cuerrier):

Malheureusement...

M. Marx: Juste une autre petite intervention. D'accord, s'il veut en faire une après.

Je ne veux pas diminuer non plus le pouvoir du Québec de protéger la langue et la culture françaises. C'est clair pour moi, et je ne veux pas diminuer le pouvoir du Québec de le faire non plus. Pour moi, dans la charte fédérale proposée, il y a très peu qu'on donne aux anglophones du Québec parce qu'ils jouissent déjà de la grande partie de ces droits qu'on va enchâsser dans une charte constitutionnelle. C'est-à-dire l'article 133 s'applique déjà au Québec en matière scolaire et, à mon avis - il y a des divergences d'opinions là-dessus - cela donne très peu de droits nouveaux aux anglophones du Québec. Donc, pour moi, la charte fédérale va bénéficier davantage aux francophones hors Québec. Cela va ajouter très peu aux anglophones du Québec, mais ça va donner beaucoup aux francophones hors Québec, et surtout si la charte était modifiée dans le sens que vous avez suggéré au début de votre exposé. (18 heures)

Le Parti libéral et moi aussi sommes contre l'imposition d'une charte des droits par le fédéral aux les provinces. Le Parti libéral aimerait négocier avec le fédéral et avec les autres provinces une charte des droits qui serait insérée dans la constitution. Quand je dis, au cas où le fédéral et les provinces s'entendraient pour que l'article 133 s'applique à toutes les provinces et que les droits scolaires s'appliquent à toutes les provinces, je ne vois pas comment ce serait nuisible pour le Québec et je vois beaucoup d'avantages pour les francophones hors Québec.

La Présidente (Mme Cuerrier): M.

Pinsonneault.

M. Pinsonneault: Si vous permettez, je vais expliciter davantage ma pensée; cette idée me rend très réticent. Vous ne comprenez peut-être pas mon point de vue.

C'est que, à mon point de vue, le Québec dans le contexte nord-américain a peut-être besoin de se donner des moyens spéciaux pour assurer l'avenir de la francophonie. À l'extérieur du Québec, les Canadiens français n'ont pas cet appui massif de la finance de 240,000,000 d'anglophones, qui serait un appui moral aussi sans s'en rendre compte, tandis qu'à l'extérieur du Québec, il nous faut un Québec qui, au lieu de voir à amoindrir sa population... Vous dites: Le droit à l'école de son choix à chaque parent. C'est là la menace et c'est là qu'ayant étudié...

M. Marx: Je n'ai pas dit le libre choix en matière d'éducation. J'ai voulu dire... Ce n'est pas la position du Parti libéral et cela n'a jamais été mon point de vue non plus. Dans le livre beige, on donne le choix aux anglophones de langue maternelle anglaise. Je ne veux pas entrer dans tous les détails, mais ce n'est pas le libre choix "free for all" pour les immigrants. Je serais contre cela. Les immigrants qui viennent des pays étrangers, qui ont une langue maternelle autre que l'anglais, devraient aller à l'école française au Québec et, s'ils veulent éduquer leurs enfants dans la langue anglaise, il serait nécessaire qu'ils s'établissent dans d'autres provinces ou aux États-Unis.

M. Pinsonneault: Ce serait peut-être un pas dans la bonne direction, ce que je souhaiterais, mais je vais attendre.

M. Marx: D'accord.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Verchères, la dernière intervention, parce que nous...

M. Charbonneau: Oui, madame. C'est une intervention d'ailleurs et non une question. C'est simplement à la suite de l'intervention du député de Notre-Dame-de-Grâce, pour préciser une chose... De D'Arcy McGee, c'est dans le même secteur. On a voulu laisser entendre que le livre beige serait une bonne approche. Ce qu'on a oublié de dire, c'est que le livre beige de votre parti propose d'ouvrir l'école anglaise au Québec aux anglophones du monde entier. Pour nous, c'est un recul. Pour nous, c'est inacceptable. Il n'y a aucune justification pour les anglophones du Québec et du Canada de permettre à cette communauté de se fortifier à même des Australiens, des Hindous, des Pakistanais, des Néo-Zélandais, des Britanniques et des Irlandais. Nous pensons qu'il n'en est pas question et on ne doit pas, parce qu'en faisant cela on crée deux classes d'immigrants. On a toujours été contre le fait de créer deux classes d'immigrants et moi, pour avoir vécu dans le nord de la ville de Montréal dans le quartier italien de Saint-Michel, près de Saint-Léonard, j'ai constaté que s'il y a une chose qui a mis le feu aux poudres, c'est justement qu'on créait des divisions, des catégories d'immigrants. Je pense que c'est inacceptable. En faisant cela, si jamais cela se

faisait, on réduit la force du Québec français et, donc, on affecte la possibilité d'action des communautés francophones hors Québec.

Il y a une autre chose aussi, soit de dire: Si tout le monde acceptait l'article 133, si le gouvernement fédéral pouvait l'imposer à tout le monde. Arrêtons de créer des illusions aux gens. Le gouvernement fédéral n'a même pas le courage politique de l'imposer à l'Ontario. Il préfère négocier les droits, troquer les droits des francophones hors Québec, des Franco-Ontariens pour un appui politique. C'est ça. Arrêtons de créer des illusions.

M. Marx: Ce sont des hypothèses.

M. Charbonneau: Des hypothèses, oui, mais on ne fait pas de la politique d'hypothèses, de la politique-fiction. On fait de la politique de réalités.

M. Marx: On a fait cela beaucoup avant moi.

M. Charbonneau: Je ne suis pas certain qu'on ait fait beaucoup de politique-fiction, mais ce que vous faites, c'est effectivement de la politique-fiction. Au Québec, on a voulu sortir de la politique-fiction. On a voulu inscrire dans la réalité, irréversiblement, un Québec de plus en plus français et de plus en plus fort - je termine, Mme la Présidente - pour les communautés...

La Présidente (Mme Cuerrier): S'il vous plaît!

M. Charbonneau: ...francophones hors Québec qui, à notre avis, font partie de notre peuple. Ce sont des compatriotes.

M. Marx: Et moi?

M. Charbonneau: Vous êtes un concitoyen du Québec, un Québécois.

M. Marx: Ah, bon! Merci.

La Présidente (Mme Cuerrier): S'il vous plaît:

M. Marx: Ah, ah! Le premier ministre ne le pense pas.

La Présidente (Mme Cuerrier): II me reste à remercier chaleureusement M. Rolland

Pinsonneault d'avoir bien voulu se prêter à cette rencontre avec la commission de la présidence du conseil et de la constitution. Je dois dire à ceux qui sont ici présents que, ce soir, nous recevrons le Conseil d'expansion économique.

La commission suspend ses travaux jusqu'à 20 heures. Merci, M. Pinsonneault.

(Suspension de la séance à 18 h 7)

(Reprise de la séance à 20 h 16)

La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, mesdames et messieurs!

Conseil d'expansion économique

La commission de la présidence du conseil et de la constitution reprend ses travaux pour entendre le Conseil d'expansion économique et j'inviterais, au nom de la commission, M. Rosaire Morin qui en est le porte-parole. Bienvenue, M. Morin. Comme nous en faisons une tradition en commission, nous recevons d'abord les mémoires et le porte-parole de l'organisme dispose d'une vingtaine de minutes. Ensuite, les membres de la commission sont invités à poser des questions. Pour ce faire, la commission s'accorde 40 minutes qui sont réparties ainsi: 20 minutes pour les députés ministériels membres de la commission et 20 minutes pour les députés d'Opposition qui en sont membres ou intervenants.

M. Morin, nous vous écoutons.

M. Morin (Rosaire): Mme la Présidente, messieurs les députés, j'ai l'honneur de vous présenter un des mes collègues - l'autre qui devait m'accompagner ce soir est peut-être retenu à Ottawa - M. Germain Ostiguy, homme d'affaires de Saint-Césaire.

La Présidente (Mme Cuerrier): Bonsoir, M. Ostiguy.

M. Morin (Rosaire): Quelques remarques préliminaires en style télégraphique.

Premièrement, nous avons demandé au comité mixte de la Chambre des communes et du Sénat à Ottawa d'être reçus, le 7 novembre. Le 10, le coprésident, M. Joyal, nous répondait et, le 11, le greffier du comité nous répondait, accusant réception et nous attendons pour comparution.

Deuxièmement, ces dernières semaines, à cause d'une certaine activité dans le domaine constitutionnel, j'ai reçu quelque vingt lettres m'accusant d'être révolutionnaire; presque autant me taxaient d'être séparatiste et j'ai même reçu autant, si ce n'est pas plus, de lettres me disant que j'étais fédéraliste. Voilà l'équivoque dans laquelle nous voguons dans notre société.

Je résume en disant: Je ne suis pas péquiste, je ne suis pas libéral, je ne suis pas créditiste. J'ai voté pour Maurice Duplessis, j'ai voté pour M. Lapalme, j'ai voté pour M. Lesage, j'ai voté pour M. Johnson, j'ai voté pour M. Bourassa, j'ai voté pour M. Lévesque. J'ai été reçu par les premiers ministres précédemment, sauf par le premier ministre du présent gouvernement, ce qui indique que mes couleurs politiques sont canadiennes-françaises ou québécoises. Point final.

Le mémoire que vous avez entre les mains n'est pas le mémoire que j'aurais voulu préparer pour cette commission parlementaire. Nous avons été avisés hier et j'ai dû prendre le texte du lancement du volume "Reproduction des dix dossiers constitution et économie", qui ont paru du 3 octobre au 5 décembre dans le Journal de Montréal et dans le Journal de Québec.

Ma façon d'envisager le problème n'est pas politique. Je dis que nous sommes devant un grave problème constitutionnel, un programme d'ordre national, d'ordre culturel et d'ordre social.

Quelles sont les raisons pour lesquelles nous nous opposons à la résolution fédérale sur la constitution? Premièrement, nous considérons que le geste de M. Trudeau sabote ni plus ni moins le pacte confédératif. Je ne ferai pas, ce soir, dans les quelques minutes qui me sont allouées, la

démonstration de ce fait que l'Acte de l'Amérique du Nord britannique est un pacte entre quatre provinces, un traité, un compromis, tel que les lords spirituels et temporels de la Grande-Bretagne l'ont constaté en 1866 en recevant les représentants du Canada et tel que les Pères de la Confédération en ont également témoigné à diverses reprises.

J'ai ici, par exemple, le relevé des onze Pères de la Confédération qui, en des termes fort fermes, en témoignent. Je vais prendre comme exemple John A. MacDonald qui déclare, sans ambages, malgré sa foi en l'union législative dans un seul gouvernement pour un seul pays, à Londres, en février 1866, ce qui suit: "En ce qui concerne les avantages comparés d'une union législative ou fédérale, je n'ai jamais hésité à déclarer ma propre opinion. À diverses reprises, j'ai déclaré en Chambre que si la chose était praticable, je croyais qu'une union législative serait préférable. J'ai toujours été d'avis que si nous pouvions nous entendre pour avoir un seul gouvernement et un seul Parlement, ce serait le système de gouvernement répondant sur les bases les plus solides. Mais quand le sujet a été pris en considération à la conférence de Québec, nous avons constaté qu'une union législative serait impraticable. En premier lieu, le Bas-Canada n'y aurait jamais consenti parce que les Canadiens français, étant en minorité et possédant une langue, une religion et une nationalité différentes de la majorité, sentaient parfaitement qu'advenant l'union avec les autres provinces leurs institutions et leurs lois pourraient être assaillies et leurs associations ancestrales attaquées et mises en danger.

Pour toutes ces raisons, il était à présumer que toute proposition quelconque qui entraînerait l'absorption de l'individualité du Bas-Canada serait vue avec la plus extrême défaveur de la population de cette partie du pays. Eussions-nous répondu par la négative et déclaré que la question restait ouverte, que les résolutions de Québec étaient sujettes à modifications au sujet de l'union fédérale, le Bas-Canada se serait levé comme un seul homme et adieu la Confédération! Nous avons relevé, à l'heure actuelle, de onze Pères de la Confédération, une quarantaine de témoignages différents qui démontrent d'une façon nette et claire que l'Acte de l'Amérique du Nord britannique est un pacte, un traité et certains ajoutaient un compromis. Ces témoignages seront déposés le 5 février prochain, la veille du comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes, dans une documentation qui relèvera non seulement les témoignages des Pères de la Confédération, du Conseil privé, de nos premiers ministres canadiens et de nos premiers ministres québécois, mais qui fera une nomenclature de la tradition établie ici, en ce pays, par nos autorités les plus compétentes et les plus hautes, sur le plan politique, qui démontrent que ce pacte, que ce traité ne peut pas être unilatéralement modifié.

M. Trudeau déclarait lui-même en juin 1964 à l'Université de Toronto qu'il était impensable que le pacte et le compromis puissent être unilatéralement modifiés. C'est là notre première raison. La seconde raison de notre opposition à la résolution fédérale s'exprime à partir de la négation que représente le projet Trudeau de la réalité canadienne-française. Alors que les sociologues, alors que les hommes politiques depuis toujours, tant fédéralistes, comme M. Pearson, que québécois ou nationalistes, à l'instar des Johnson et des Bertrand et autres, ont affirmé d'une façon continue la réalité de la nation canadienne-française qui possède sa culture, sa langue, ses traditions, ses institutions, un vouloir-vivre collectif. M. Trudeau ne reconnaît pas l'existence de cette nation. Il s'amuse même, avec son secrétaire d'État, à en ridiculiser presque la notion, folklore tricoté serré, et c'est ainsi qu'une communauté, qu'un groupe ethnique, qu'un peuple, qu'une société distincte du Québec qui regroupe la majorité des francophones du Canada n'est pas reconnue dans un projet de résolution fédérale qui modifie les règles juridiques des rapports entre le gouvernement central et les provinces.

Le troisième motif d'opposition a trait à la charte des droits. Une charte des droits qui s'ingère profondément dans les droits des provinces: dans le domaine de l'éducation, par la langue d'enseignement; dans les droits civils, dans la propriété par la libre circulation des personnes. Une charte des droits dans un pays où les droits sont peut-être menacés seulement par le gouvernement fédéral avec sa Loi des mesures de guerre, avec sa Loi des secrets officiels, avec ses diverses mesures dont l'impôt, qui fouille jusque dans les secrets les plus personnels des familles; dans un pays où les droits sont protégés dans toutes les provinces, particulièrement au Québec, où la charte de Bourassa de 1976 constitue et représente presque un modèle de protection et de garantie des libertés fondamentales des citoyens. On a inscrit une charte des droits dans une constitution, laissant à la majorité, par un référendum ou par une modification postérieure, la possibilité de modifier ces droits que l'on veut accorder aux faibles, à ceux qui ont besoin d'être protégés, aux minorités.

Il est impensable qu'une charte des droits puisse être modifiée par une majorité. Notre opposition à la charte des droits s'inscrit aussi dans le cheminement de notre société où les droits sont constamment en pleine évolution. Regardez dix ans derrière nous et vous verrez une marche rapide dans la nature, dans la détermination des droits, et alors que nous sommes en pleine progression dans la définition des drois et libertés fondamentales des citoyens, nous allons les enchâsser pour les geler pendant de très longues années, ne respectant pas ainsi ces mêmes citoyens que l'on veut protéger.

Enfin, la charte des droits établit pratiquement, comme on l'a déjà dit, un gouvernement de juges qui auront à interpréter, de façon perpétuelle, les législations provinciales et même fédérales qui pourraient être incompatibles avec les droits définis dans la constitution.

Ici, à la page 4, vous avez une juste analyse des lacunes fondamentales de la charte des droits: II n'y a aucune mention de déclaration internationale des droits; les garanties pour protéger les libertés des minorités pourront être dans l'avenir modifiées unilatéralement; l'égalité de l'homme et de la femme n'est pas reconnue; l'égalité devant la loi des handicapés n'est pas proclamée; les droits des peuples autochtones ne sont pas expressément garantis, etc., etc.

Nous avons aussi une ferme opposition à la

langue d'enseignement inscrite, insérée, incluse dans la charte des droits. (20 h 30)

Le Québec ne peut pas se permettre de voir la population francophone, qui est déjà faible depuis nombre d'années, de voir la société québécoise noyée par un flot d'immigrants qui serait absorbé à 80% par le bloc anglophone qui possède l'attraction, la force et la puissance économique. Il est impensable qu'à ce chapitre nous revenions de nombreuses années en arrière et que le bloc francophone accepte de se geler dans son avenir sur l'obligation stricte et rigoureuse que le gouvernement du Québec doit pouvoir, dans ce domaine qui est exclusivement de sa compétence, définir les règles pour les nombreux immigrants.

Si nous étions 200,000,000 en Amérique, il n'y aurait aucune précaution de cette nature à devoir prendre, mais le statut de minoritaires que nous avons nous oblige à de telles précautions.

Ce que la charte offre pour les francophones hors Québec me paraît tout à fait inacceptable. On garantit, là où le nombre le justifie, au primaire et au secondaire, le droit de à l'enseignement dans la langue française. Le nombre ne le justifie qu'en peu d'endroits en Colombie-Britannique, en Saskatchewan, en Alberta, à Terre-Neuve, en Nouvelle-Ecosse, à l'Ile-du-Prince-Édouard. Le nombre ne le justifie pas dans l'ensemble de l'Ontario où nos francophones sont dispersés, éparpillés. Il faudrait fondamentalement, si on voulait inscrire pour les francophones hors Québec des droits, qu'on leur garantisse le droit à des commissions scolaires à des organismes scolaires qu'ils contrôleront. Nous savons tous que les écoles françaises hors Québec sont contrôlées par les anglophones. Il faudrait que les francophones aient accès à l'école dans leur langue, de la maternelle, au postsecondaire et à l'université.

Je dois, le temps passant, dire un mot seulement de la liberté de circulation et d'établissement qui est inacceptable au Québec. Je dirai lapidairement - cela vous donnera l'occasion de poser des questions pour que je précise ma pensée - que le Québec ne peut pas accepter que les conditions d'admission aux professions et, éventuellement, l'uniformisation de la formation professionnelle soient décrétées par le gouvernement central ou par des associations pancanadiennes.

Je dirai rapidement, sans le motiver à ce moment-ci, que la mobilité de la main-d'oeuvre n'est pas une norme acceptable pour le travailleur québécois. Ainsi je passerai à vol d'oiseau l'égalité des chances que l'on nous offre. J'établis la relation entre les documents déposés par M. Chrétien en juillet et en août dernier au comité permanent des ministres sur la constitution où on demande, en pratique, de transférer un grand nombre de pouvoirs au gouvernement fédéral, particulièrement dans le domaine du développement régional, et un nombre de mesures et de législations qui deviendraient des entraves à la libre circulation des biens et des capitaux des entreprises et des services et qui seraient considérées comme des embûches au bon fonctionnement de l'union canadienne.

J'aborde malheureusement trop rapidement la procédure provisoire de modification. À l'article 33, vous constatez que deux ans après l'entrée en vigueur de la résolution fédérale, pendant les deux premières années, à moins d'entente à l'unanimité, c'est le gel de toute évolution des droits constitutionnels ou des réclamations traditionnelles du Québec. À l'article 38.3, il est stipulé que le gouvernement du Canada fera établir un référendum au cours des deux années qui suivront les deux premières années. Si les provinces veulent formuler une proposition de procédure de modification à la constitution, il faudra que huit provinces représentant 80% de la population s'entendent sur une proposition unique. Or, croyez-vous que l'Ontario et le Québec qui demeurent Haut-Canada et Bas-Canada depuis toujours en opposition culturelle et linguistique, avec des intérêts économiques diamétralement opposés, pourront trouver une formule d'entente pour suggérer une formule unique de procédure d'amendement à la constitution? Voilà ce que M. Trudeau, en pratique, dans une formule très subtile, demande.

Si l'Ontario ne donne pas son accord et même si les neuf autres provinces acceptaient une nouvelle procédure d'amendement à la constitution, les provinces ne pourraient pas, par la voie du référendum, proposer au peuple leur proposition, même s'il y avait neuf provinces. Le fédéral réglementera seul la tenue de ce référendum s'il devait avoir lieu, les provinces n'étant probablement même pas consultées. Advenant l'hypothèse presque impossible que l'Ontario et le Québec s'entendent et qu'il y ait huit provinces représentant 80% de la population qui proposent, une formule de procédure d'amendement, le fédéral se réserve, à l'article 38.3, le privilège de retirer sa formule soumise dans le projet fédéral de résolution à l'article 41 pour une éventuelle formule qu'il déposera à ce moment-là. Quelle serait-elle? J'imagine que même M. Chrétien ne le sait pas. Alors que l'on demande au cours des deux prochaines années après l'entrée en vigueur de la résolution fédérale aux provinces de déposer leurs propositions concrètes et finales, le gouvernement fédéral se réserve deux autres années pour une nouvelle proposition, faussant ainsi les jeux. Ce référendum sera tenu à la majorité des citoyens canadiens. M. Chrétien a admis lui-même, en réponse à une question d'un sénateur du Manitoba, que si 80% des Ontariens votaient pour la proposition fédérale et 65% des habitants de toutes les autres provinces votaient pour la proposition provinciale, la majorité l'emporterait étant donné le poids démographique de l'Ontario. Vous voyez cette absence de consensus national pour une procédure d'amendement qui engage le pays et son avenir où l'on confie à la majorité ontarienne le sort de décider.

S'il n'y a pas de référendum, c'est la Charte de Victoria, décrite à l'article 41 de la résolution fédérale, qui devient le mode de procédure d'amendement. Je ne crois pas que M. Trudeau, si inspiré soit-il - il s'est trompé dernièrement parce qu'il pensait parler au nom de toute la population du Canada et un sondage, ce matin, révèle d'autres facteurs. Alors, c'est la formule Victoria que M. Bourassa avait refusée en 1971 qui décrétera toute étude d'amendement constitutionnel par la suite.

Mais à l'article 42, on est au-dessus des provinces, au-delà de la volonté des provinces,

au-delà de l'existence des provinces, de leurs droits de partenaires dans ce pacte fédératif; on institue un référendum où on établit des mécanismes, s'il y a impasse - cela a été ajouté par après par M. Chrétien - entre les provinces, s'il y a un blocus continental, comme cela arrive souvent, surtout lorsqu'on le veut, pour procéder à des modifications de la constitution. C'est ainsi que le fédéral est le seul à pouvoir instituer un référendum. Même si les dix provinces désiraient un référendum sur un sujet, le fédéral a le privilège de refuser. C'est ainsi que même si les dix provinces s'opposaient à un référendum, le fédéral a le droit de le tenir. Ce référendum pourrait aller aussi loin que l'abolition des dix provinces canadiennes et l'institution. Cela a été confirmé par M. Chrétien dans une réponse à un sénateur au comité mixte. Bien, voici que nous sommes devant un mécanisme impensable.

Je termine, Mme la Présidente, j'ai dépassé mon temps? Ce sont des signaux?

Une voix: Non, prenez votre temps.

M. Morin (Rosaire): Je termine en disant qu'on introduit une clause modifiant les pouvoirs du Sénat, qui me paraît odieuse, surtout après le jugement de la Cour suprême rendu en janvier dernier. Mon dernier mot, Mme la Présidente, sera pour dire qu'avant de penser rapatriement, avant de penser d'enchâsser des droits de quelque nature soient-ils, faudrait-il que l'on entende le cri du Québec qui, depuis 40 ans, demande un partage des pouvoirs, demande un partage de la fiscalité, demande des droits dont il a besoin pour s'épanouir et protéger son caractère de société distincte. Merci.

La Présidente (Mme Cuerrier): Merci, M. Morin.

Je redonnerai la parole à M. Morin, l'autre, le ministre des Affaires intergouvernementales.

Une voix: L'autre, l'autre...

M. Morin (Louis-Hébert): Je voudrais...

M. Rivest: On va en inculper deux, Mme la Présidente.

M. Morin (Louis-Hébert): ...devant les sarcasmes appréhendés du député de Jean-Talon et autres remarques appréhendées qu'il n'a pas encore exprimées, dire un certain nombre de choses. La première, c'est que, malgré la similarité de nos noms de famille, il n'y a pas de lien de parenté entre M. Morin qui vient de s'exprimer et moi-même, parce que la famille Morin est une des plus répandues et des plus représentatives du Québec. Je suis fier d'y appartenir et je pense que M. Rosaire Morin, de même que Jacques-Yvan Morin, qui n'est pas avec nous ce soir, partagent, à cet égard, le même sentiment. C'est le premier élément de mon commentaire sur lequel, j'en suis persuadé, aucun membre de l'Opposition ici présent n'a quoi que ce soit à dire.

Deuxièmement, il y a évidemment le nom de Marx auquel on pourrait...

Des voix: Ah!

M. Morin (Louis-Hébert): Non. Je voudrais qu'on soustraie du journal des Débats les onze dernières secondes. Je voudrais aussi dire une autre chose. C'est peut-être une sorte de témoignage personnel que je vais apporter; ce n'est pas une question. Je connais M. Rosaire Morin, pas intimement, mais personnellement, depuis peut-être une douzaine ou une quinzaine d'années à cause des fonctions antérieures que j'ai eu à occuper. Le député de Jean-Talon, d'ailleurs, à l'époque où il était avec moi - c'est-à-dire que j'étais secrétaire et qu'il était cosecrétaire du comité parlementaire de la constitution - doit se souvenir des interventions de M. Rosaire Morin et de celles qui ont succédé par la suite, notamment les États généraux du Canada français.

Je veux dire trois choses à propos de l'intervenant que nous venons d'entendre et à propos de son témoignage. Ce sont trois mots qui résument, je pense - je tiens à le dire parce que cela ne m'arrivera pas souvent au cours des semaines qui viendront - un sentiment que j'ai et qui pourrait être discutable peut-être. Mais je pense qu'objectivement cela peut arriver parfois, ne serait-ce que par accident, que les partis d'Opposition peuvent être d'accord. Il y a trois mots qui caractérisent l'action de M. Morin au cours des années même si - je vais le dire tout de suite - je ne suis pas toujours d'accord et je n'ai pas toujours été d'accord avec les présentations, les opinions, les actions ou les mouvements auxquels ont participé M. Rosaire Morin et le Conseil d'expansion économique du Québec. Je pense qu'il y a trois mots: l'honnêteté, d'abord, la ténacité et la fidélité.

L'honnêteté. Je pense qu'une des caractéristiques de M. Morin et de ceux qui l'accompagnent, c'est une honnêteté par rapport à une conception du Québec. Je pense que, si jamais on la fouille, on pourra trouver des divergences entre nous là-dessus, mais je dois dire au point de départ qu'une des choses que j'admire chez les citoyens, c'est l'honnêteté à l'idée qu'ils se font de ce que nous sommes et de ce que nous devrions être. C'est peut-être discutable dans certains cas, mais j'admire ceux qui ne changent pas d'idée quant à nous, non pas parce qu'ils ne peuvent pas changer d'idée, mais parce qu'ils ont des convictions profondes.

Cela m'amène à deux autres considérations que j'ai mentionnées: la ténacité et la fidélité. Je parle d'abord de la fidélité et je dirai un mot de la ténacité parce que nous en avons un exemple physique que je vais vous mentionner tantôt. La fidélité. Je pense qu'au cours des années tout ce que j'ai pu lire, voir et entendre provenant du Conseil d'expansion économique et de M. Rosaire Morin témoigne d'une fidélité envers le Québec qui devrait faire notre admiration à plusieurs égards, parce qu'il y a ceci de particulier à la vie politique qu'elle met parfois en cause, parce que nous avons des objectifs à court terme, la fidélité à long terme que nous avons avec les objectifs à court terme que nous nourrissons légitimement. (20 h 45)

Ce que j'ai remarqué de M. Rosaire Morin et des autres, c'est que leur fidélité à long terme et leur fidélité à court terme à eux ont toujours été correspondantes et se sont toujours unies dans une même démarche. Je voudrais pouvoir en dire

autant de nous et, quand je dis nous, je veux dire tout le monde ici présent.

Il y a aussi la ténacité. Peut-être qu'au cours de la discussion que nous aurons avec M. Morin viendra tout à l'heure la question relativement saugrenue de savoir qui a financé ou comment s'est organisée la préparation de cette documentation tout à fait remarquable qui nous est soumise ce soir sous forme de volume et qui s'appelle La réponse du Québec, qui a été lancé lundi soir de cette semaine lors d'une réception à laquelle je n'ai pas pu participer à cause du fait qu'on vit, comme parlementaires, une vie invraisemblablement folle par moment, parfaitement inhumaine et tout à fait inacceptable, ne serait-ce qu'en rapport avec des critères strictement physiques. Je n'ai pas pu être présent, j'aurais voulu l'être et je veux dire - c'est pour cela que j'insiste sur la ténacité - que, de toutes les personnes que j'ai connues ou vues au cours des dernières années, je pense que M. Morin peut réussir, avec tellement peu de moyens, tellement de choses que je m'étonne chaque fois que je vois une réalisation du Conseil d'expansion économique. Je m'étonne toujours et je me pose des questions, je me demande toujours comment ils ont pu réussir, avec si peu de choses, à faire autant.

Je vais vous dire, ayant été moi-même, avec d'autres ici présents, auteur de volumes, que je m'étonne de voir qu'on ait pu, aussi rapidement, avec aussi peu de moyens - et j'insiste sur le "aussi peu de moyens"... Je pense que M. Rosaire Morin sait ce que je veux dire et je le dis parce que je suis convaincu que le député de Jean-Talon a 82 questions à poser sur le sujet dont 81 seront probablement à côté de la coche.

M. Rivest: Mme la Présidente...

M. Morin (Louis-Hébert): Je veux dire une chose, au-delà de toute boutade, je veux dire publiquement que je vous admire pour avoir réussi en si peu de temps à ramasser ceci avec autant de collaboration de gens de divers milieux qui ne sont pas - et je le répète - nécessairement des partisans du gouvernement du Québec. Vous avez peut-être mieux que les autres, par vos moyens à vous, su rejoindre je ne dirais pas l'unanimité parce que, selon certaines nouvelles vérités - je ne veux pas être méchant, mais ça m'amuse de le dire en passant - l'unanimité divise, n'est-ce pas, de même que le non veut dire oui et le oui veut dire non. Mais, effacez tout cela, je ne l'ai pas dit.

Mme Chaput-Rolland: Vous parlez entre guillemets, M. le ministre, j'en suis très flattée.

M. Morin (Louis-Hébert): Entre guillemets, c'est ça. Je tiens à le dire, parce qu'on n'a pas souvent l'occasion de parler. On ne me pose pas de questions à l'Assemblée nationale et je ne fais jamais de discours, alors, pour une fois que j'ai le temps de parler, je le dis.

M. Rivest: Ne nous attaquez pas en parlant.

M. Morin (Louis-Hébert): Je n'attaque personne, je dis ce que je pense.

Mme Chaput-Rolland: Ne parlez pas de nous.

M. Morin (Louis-Hébert): Si vous avez quelque chose à corriger sur l'honnêteté de M. Morin...

M. Rivest: On est d'accord.

M. Morin (Louis-Hébert): ...sur sa fidélité, sur sa ténacité et sur celle du Conseil d'expansion économique, vous le ferez. Je veux dire que sa ténacité a ceci de remarquable qu'elle a réussi, mieux que tout organisme gouvernemental, toute patente administrative ou structure complexe de l'État, à faire ce que personne au Québec n'aurait été en mesure de faire en aussi peu de temps. Je veux lui en rendre témoignage ouvertement et publiquement. Je suis sûr que, dans les années qui viennent, il y aura là-dedans une série de témoignages auxquels on se référera parce qu'ils auront une valeur historique, ne serait-ce que parce que le député de Prévost y a contribué, ne serait-ce que parce que d'autres personnes, d'autres horizons politiques y ont contribué, ne serait-ce que parce que je n'y ai pas contribué. D'abord, on ne me l'a jamais demandé et, deuxièmement, je pense que c'est en toute liberté - et je mets qui que ce soit au défi de dire le contraire - que ce document, qui est le résultat, en somme, de ce qui a paru dans le Journal de Montréal et dans le Journal de Québec, ceci, qui est le résultat de cette entreprise où on a demandé plusieurs collaborateurs, n'a jamais été, à aucun moment, directement ou indirectement, par biais ou par sous-entendu, influencé par le gouvernement du Québec. Je mets qui que ce soit au défi de dire que quelqu'un, de notre part, est intervenu pour faire dire à qui que ce soit des choses que le qui que ce soit impliqué aurait pu exprimer autrement. Je tiens à rendre hommage à la ténacité de M. Morin et je voulais faire ce témoignage ce soir. Je n'ai pas de question particulière. J'en aurai peut-être tantôt à la suite de celles qui viendront certainement du côté de l'Opposition. Mais il arrive des moments dans l'histoire du Québec où il est important de souligner deux ou trois choses. J'ai voulu le faire ce soir. Cela ne veut pas dire que je suis d'accord avec tout ce que M. Morin a dit dans sa vie, ce qu'il a fait, ce que son organisation représente; il y a des nuances, il y a tout ce qu'on veut. Mais je pense qu'on vit, face au coup de force fédéral, une période où la recherche qui doit nous inspirer est celle de ce qui nous unit plutôt que de ce qui nous divise. Je sais que c'est un truisme que de dire cela. C'est un lieu commun. C'est en quelque sorte une platitude mais il y a des platitudes, à certaines époques de l'histoire humaine, qui deviennent des nécessités.

Je pense que ce travail, que j'ai vu pour la première fois ce soir, qui m'a été remis il y a quelques minutes à peine, représente le résultat d'un effort que tous ensemble ici, au-delà de nos allégeances politiques... Ce qui nuit d'ailleurs dans la cause du Québec souvent, c'est l'existence de partis politiques, si je peux m'exprimer ainsi, toutes proportions gardées et au figuré; je m'empresse de dire au figuré parce que les partis politiques sont nécessaires. Ce qui nuit parfois au Québec, c'est qu'à cause des partis politiques nous sommes souvent plus divisés que nous le sommes en réalité parce que nous devons, de part et d'autre, jouer des rôles. Je pense que ce qui

est caractéristique du Conseil d'expansion économique et de M. Morin, c'est qu'il ne joue pas de rôle et qu'il fait son travail, qu'il le fait avec un cap très déterminé et qu'il sait où il va, qu'il a confiance dans le but qu'il veut atteindre. À cet égard, il mérite en quelque sorte l'hommage de tous ici présents, que je termine à l'instant même sans poser de question pour le moment, quitte à me réserver, Mme la Présidente, le droit d'intervenir au moment où je le jugerai opportun et où mes collègues le jugeront opportun, compte tenu des questions que proposeront nos collègues des oppositions et même du gouvernement. Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Cuerrier): Vous aviez un commentaire, M. Morin.

M. Morin (Rosaire): Un bref commentaire. Je veux rassurer les députés de l'Opposition. Je n'ai pas demandé à Claude Morin de me rendre un témoignage ici ce soir. Deuxièmement...

M. Rivest: On est unanime contre le rapatriement unilatéral.

M. Morin (Rosaire): Unanime?

Deuxièmement, je ferai remarquer que, dans la fidélité à long terme et à court terme, je n'ai aucun intérêt à protéger, c'est-à-dire aucun pouvoir à conserver ou aucun pouvoir à acquérir. Troisièmement, mes ancêtres venaient de Sainte-Anne-de-Beaupré en 1649 et ils n'étaient de la lignée ni de Claude, ni de Jacques-Yvan.

M. Morin (Louis-Hébert): Vous avez raison, les miens ne venaient pas de la même région.

La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la députée de Prévost.

Mme Chaput-Rolland: M. Morin, les deux MM. Morin, le premier, je crois que je n'aurai aucune difficulté à m'associer aux fleurs que vous avez répandues sur la tête de mon ami, M. Morin, l'autre, puisque j'ai eu moi le plaisir et l'honneur de travailler à ses côtés pendant quatre ans comme vice-présidente des États généraux. Donc, à la fidélité, à la ténacité, à la sincérité du travail de M. Rosaire Morin, je pense que je n'ai rien à ajouter si ce n'était que plus, mais on finirait par l'étouffer sous les fleurs. Moi aussi je voudrais dire que, lorsque Michel Pelletier, qui a été et qui est le représentant à l'intérieur du conseil économique, du moins pour les besoins de ce livre, m'a téléphoné, je n'ai posé aucune question à savoir qui payait, pour qui, pourquoi, comment, et M. Fiset; de savoir que la demande me venait de Rosaire Morin a suffi pour que j'y acquiesce avec beaucoup de plaisir. Je n'ai appris que sur le parquet de la Chambre que le gouvernement du Québec y était impliqué et si je l'avais su avant, connaissant Rosaire Morin, j'aurais écrit dans ce livre peut-être plus longuement que je l'ai fait.

S'associer aux États généraux qui ont été en quelque sorte... Mme la Présidente, vous voudrez bien me permettre, si vous avez permis à M. le ministre Morin de faire une longue dissertation sur les qualités de M. Rosaire Morin, je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas en faire autant. Ce que je veux dire, c'est que les États généraux ont été à la base de beaucoup de choses, des engagements politiques d'un certain nombre de Québécois et de l'orientation d'autres Québécois dont j'ai fait partie. Ce que je voudrais demander tout de suite à M. Morin, pour le bénéfice de ceux qui peut-être ne le savent pas très bien, j'ai honte d'avouer, M. Rosaire Morin, qu'avec toute la vieille amitié que nous avons, je n'ai jamais très bien compris quelles étaient les fonctions fondamentales et principales du Conseil d'expansion économique du Québec. À chaque fois que je vous ai vu, vous faisiez mille autres choses que cette fonction-là. Alors ce soir, pour le bénéfice de ces humbles membres de l'Opposition dont nous sommes, est-ce que vous voudriez nous dire, dans un premier temps, ce qu'est le conseil économique, qui sont vos alliés? Après, je vais vous poser une autre question qui va porter sur une phrase de votre mémoire. Je pense qu'on pourra me permettre une deuxième question, Mme la Présidente.

M. Morin (Rosaire): Le conseil est un organisme d'éducation économique. Nous avons été probablement l'un des seuls organismes au Québec à analyser de façon constante la participation des Canadiens français dans tous les secteurs de l'économie. C'est ainsi que, malgré la prospérité dont on se vante et dont on se flatte la bedaine, dans le domaine bancaire, par exemple, en 1980, nos entreprises francophones sont en arrière de leur proportion de 1937. Dans le domaine de l'assurance-vie, par exemple, nous maintenons les ]35 compagnies d'assurances qui existent au Québec, nous analysons leurs placements selon les territoires. Notre participation est à peu près 30% francophone, même si nous comptons 83% de francophones, dans le domaine des fiducies, des fonds mutuels, dans les secteurs des assurances générales, dans les secteurs du crédit et de l'épargne. Ainsi, dans le secteur industriel, nous avons eu particulièrement trois grandes enquêtes industrielles où nous avons observé, de 1968 à 1972 et à 1976, contrairement à tout ce que l'on pense, non pas une progression de la proportion des francophones dans l'industrie québécoise, mais une courbe presque descendante, particulièrement dans la première décennie.

C'est dans ce domaine principalement que nous oeuvrons. C'est très accidentellement qu'en juillet dernier, nous avons été impliqués dans l'étude et l'analyse des propositions, des pouvoirs touchant l'économie que M. Chrétien déposait au comité permanent des ministres sur la constitution les 8 et 9 juillet dernier.

Les conséquences et les répercussions des intentions fédérales étaient telles qu'elles nous semblaient affaiblir considérablement les pouvoirs économiques du Québec et mettaient même en danger la participation francophone dans le monde économique.

Ce n'est que par hasard que nous avons été impliqués, le 5 octobre dernier, par le projet Trudeau, dans les implications politiques et constitutionnelles. Originairement, au mois de juillet, au mois d'août et au mois de septembre, nous ne faisions que l'analyse et l'étude des implications économiques des propositions Chrétien déposées au comité permanent, tant à Montréal qu'à Vancouver, au mois d'août.

Lorsque le coup de force est arrivé, le 5 ou le 6 octobre, notre premier numéro était déjà

presque en voie et là, nous avons décidé, à l'unanimité, même si nous avons des libéraux chez nous, des unionistes et peu de péquistes - parce que nous comptons 1200 membres des PME, des industries, des commerces et services et des hommes de profession associés aux affaires, alors les péquistes ne sont pas en grand nombre chez nous - nous avons décidé, devant le coup de force, de modifier notre tir pour la première fois et d'étudier le problème constitutionnel. Pour nous, ce n'est pas un problème politique, c'est une question nationale profonde.

Mme Chaput-Rolland: M. Morin, dans votre mémoire, vous dites, à un moment donné, en marge de la proposition de M. Trudeau, que "la mobilité de la main-d'oeuvre n'est pas une norme acceptable aux Québécois". J'aimerais que vous me disiez pourquoi. (21 heures)

La Présidente (Mme Cuerrier): M. Morin.

M. Morin (Rosaire): J'ai presque l'idée, Mme la Présidente, de prendre le problème de la main-d'oeuvre dans son ensemble et de l'étendre aux professions, si vous n'y avez pas d'objection.

Mme Chaput-Rolland: ... cela peut être l'heure.

M. Morin (Rosaire): Pardon?

Mme Chaput-Rolland: Ce n'est pas moi qui aurais des objections, cela peut être l'heure ou Mme la Présidente.

M. Morin (Louis-Hébert): Consentement.

M. Morin (Rosaire): Ici, à l'article 6, il est indiqué: Tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada - je n'ai pas d'objection et également tout immigrant, n'est-ce pas? - et toute personne ayant le statut de résident permanent - qui ne possède pas sa citoyenneté, a confirmé M. Chrétien - a le droit de se déplacer dans tout le pays et d'établir sa résidence dans toute province, de gagner sa vie dans toute province, y acquérir des biens sans aucune distinction fondée principalement sur la province de résidence antérieure ou actuelle.

Si vous reprenez les documents déposés par M. Chrétien en juillet, à Montréal, et en août, à Vancouver, vous y revoyez, d'une part, textuellement, les mêmes termes, mais vous y avez en plus, d'une façon très précise, une série d'entraves qu'il a indiquées. Il considère des entraves au bon fonctionnement économique, les distorsions qu'il y a dans les différentese conditions d'admission et d'exercice de professions d'une province à l'autre. Il donne des exemples précis, par exemple, les médecins, les avocats -je pourrais me référer au texte même si vous le vouliez - des différences qu'il y a d'une province à l'autre. Il suggère, quelque part dans le document, l'uniformisation à travers l'unité canadienne. Il dit, d'une façon très précise, par exemple, qu'il faut: garantir la liberté de mouvement et le droit d'établissement des citoyens ainsi que leur droit de gagner leur vie, étendre la portée des compétences fédérales pour qu'elles englobent toutes ces matières essentielles au bon fonctionnement de l'union canadienne, de manière que les lois et règlements pertinents puissent s'appliquer uniformément dans tout le Canada et que toute dérogation soit assujettie aux critères de l'intérêt public. Vous avez ici vingt interventions différentes où M. Chrétien parle de discrimination entre les pratiques qui existent d'une province à l'autre dans l'exercice des professions. Il citait, par exemple, je crois que c'est à Vancouver, la pratique des ingénieurs. Dans le Code de déontologie, un examen au Québec doit être exercé. Il trouvait que cette pratique était une entrave à la libre circulation.

Or, nous ici, à partir de ce texte, on peut déjà interpréter que la libre circulation des personnes, sans considération des provinces, sans aucune considération du lieu d'origine de province, présuppose - lorsqu'on relit dans le document les intentions de M. Chrétien de juillet, - je n'ai plus de doute pour ma part - clairement l'intention du fédéral d'uniformiser les conditions d'admission dans les professions. Comment le fera-t-il? Le fera-t-il, tel qu'il le décrit, par une loi fédérale qui uniformisera? Le fera-t-il d'autres manières? Quelle que soit la manière, je dis que le Québec ne peut pas se permettre d'accepter l'uniformisation dans les conditions d'admission aux professions. Cette uniformisation dans les conditions d'admission aux professions conduira éventuellement à l'uniformisation dans la formation professionnelle. Il s'agit de penser à notre société, à ses caractéristiques, à son mode de vie, à notre Régime d'assurance-maladie, à notre droit civil particulier pour tout de suite répondre négativement à l'uniformisation de la formation professionnelle. Nous perdrions notre entité nationale presque en son entier. Là, je vais loin.

M. Marx: Mme la Présidente, puis-je enchaîner avec une question?

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député, je regrette, j'ai déjà une longue liste de noms de députés qui m'ont demandé que je leur accorde la parole.

M. Marx: Ajoutez mon nom.

La Présidente (Mme Cuerrier): Nous sommes contraints aussi par le temps et les règles.

M. Morin (Louis-Hébert): Est-ce sur le même sujet?

M. Marx: Sur le même sujet.

M. Morin (Louis-Hébert): Qui vient après? On verra.

La Présidente (Mme Cuerrier): C'est M. le chef de l'Union Nationale. Pouvez-vous le faire rapidement, monsieur, à moins que je n'aie d'objection...

M. Marx: Sur le même sujet.

M. Morin (Rosaire): Rapidement, je vais terminer et je répondrai à d'autres questions. La mobilité de la main-d'oeuvre, nous avons environ, bon an mal an, 2000, 2300 travailleurs québécois qui vont travailler, à cause de leur spécialité, dans d'autres provinces, dans l'Office de la

construction particulièrement. Lorsque le gouvernement du Québec n'avait pas une protection ou un protectionnisme à accorder à ses travailleurs, il y avait 10,000, 12,000, 15,000 travailleurs ontariens qui venaient travailler de ce côté-ci de la clôture. C'est pourquoi je dis, alors que la domination économique est ontarienne et que nous sommes à leur frontière, que nous ne pouvons pas nous permettre indéfiniment de subir la contrainte de l'Ontario sur le Québec, qui devient discriminatoire pour nous.

M. Marx: Je vais seulement enchaîner parce que c'est sur le même point.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de D'Arcy McGee, rapidement.

M. Marx: J'aimerais seulement signaler, pour commencer, que dans le livre beige du Parti libéral du Québec, nous avons une clause qui propose qu'on ait un article dans la constitution pour prévoir la liberté de circulation et d'établissement, c'est-à-dire que même si le Parti libéral du Québec est contre le fait que le fédéral veuille rapatrier et modifier la constitution d'une façon unilatérale, sur certaines clauses qui se trouvent dans la charte fédérale, nous sommes d'accord.

Quant au point que Mme la députée de Prévost a soulevé, vous avez cité M. Chrétien, mais vous avez cité ce que M. Chrétien a dit au mois de juin, au mois de juillet, peut-être au mois d'août. À cette époque, il parlait d'une autre charte. Il ne parlait pas de la charte qui a été déposée le 2 octobre. Avec tout le respect que je vous dois, je trouve que ce que vous avez dit en ce qui concerne l'uniformisation de la formation professionnelle de Terre-Neuve à la Colombie-Britannique... Je ne sais pas sur quoi vous pouvez baser une telle proposition. Avez-vous eu des études juridiques vous indiquant que ce serait cela l'interprétation de l'article 6 de la constitution? Seulement pour... On n'a pas beaucoup de temps. J'ai écrit un article dans le Devoir le 27 novembre 1980. Je vais vous en donner une copie. Je pense que vous allez voir qu'on ne peut pas coller vos affirmations à la charte. Même, hier soir, on a eu Me Pratte, le conseiller juridique du ministère. Il n'était pas prêt à affirmer ce que vous affirmez ce soir. J'aimerais savoir si vous avez eu un avis juridique ou d'autres avis pour étayer ce que vous avez affirmé à la page 8 de votre mémoire.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. Rosaire Morin.

M. Morin (Rosaire): Je ne suis pas... M. Marx: Pardon?

M. Morin ( Rosaire): ...un avocat ni un juriste, mais lorsque, dans le projet déposé au mois d'octobre, on utilise les mêmes termes que dans les documents du mois de juillet, j'y vois un rapprochement. Au mois de juillet, par exemple, à la page 19 d'un document déposé au comité, on déplore les entraves, les discriminations, les avocats, toute personne désireuse de se faire accréditer comme pharmacien... il y a trois pages de discriminations.

M. Marx: C'est une déclaration générale. Ce n'est pas un article précis. Il y a une différence.

M. Morin (Rosaire): Non, mais il reste, M. le député de D'Arcy McGee... J'ai admiré ce père de la Confédération, D'Arcy McGee, lorsqu'il disait: La Confédération est un pacte entre deux races. Votre ancêtre a fait beaucoup de déclarations célèbres qui confirment l'affirmation du pacte fédératif.

M. Marx: Pas tout à fait. M. Rivest: Karl Marx?

M. Morin (Rosaire): Ici, je n'ai pas de doute sur les intentions. Elles sont exprimées, non pas par moi-même, mais par le fédéral et elles le sont sous diverses formes. Il y a même des mesures, des dispositions juridiques dont on parle pour l'uniformisation. Est-ce qu'ils les appliqueront? C'est autre chose, mais je dis que c'est une hypothèse qui est dangereuse et que nous ne pouvons pas agréer.

M. Marx: Non, seulement pour enchaîner, vous avez même dit qu'il était possible que le fédéral légifère en ce qui concerne les professions au Québec. Il n'y a aucun fondement juridique à une telle déclaration, M. Morin. Je m'excuse, mais vous pouvez... L'article 6 de la charte ne donne aucun pouvoir au fédéral de légiférer. Je vous recommande très humblement de vérifier le fondement juridique de votre mémoire auprès des conseillers juridiques de ministères.

M. Morin (Rosaire): Je vous relis, M. le député, l'article 3 de la page 26: "Étendre la portée des compétences fédérales pour qu'elles englobent toutes les matières essentielles au bon fonctionnement d'une union économique dans la libre circulation des personnes."

M. Marx: Oui, ce n'est pas ce que M. Chrétien a dit qui compte, c'est ce qu'il y a dans la charte qui compte.

M. Morin (Rosaire): Je sais, M. le député, que nous ne pouvons pas nous fier à ce que M. Chrétien nous dit, parce que, lors du référendum, il nous a bien dit qu'un non signifiait un oui et que nous aurions des changements constitutionnels conformes aux aspirations des Québécois.

M. Marx: Ce n'est pas tout à fait pertinent au débat qu'on a ici.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Union Nationale.

M. Le Moignan: Je n'ai pas de questions précises à poser à M. Morin. Je n'ai aucun lien de parenté, d'abord, quoique j'ai de la parenté chez des Morin, alors je ne veux pas prendre ça comme argument pour m'attirer sa sympathie, je pense que je l'ai déjà d'avance.

M. Morin sait très bien, je pense, le rôle, je ne parle pas du référendum, même au référendum, je crois qu'on a été logique dans nos positions, mais dès le 3 octobre, au nom de l'Union Nationale, j'avais dénoncé le projet que M. Trudeau déposait. Avant cela, à la commission

parlementaire du mois d'août quand nous avions demandé un certain consensus, l'unanimité à l'Assemblée nationale, pour nous opposer une forme de rapatriement unilatéral, comme M. Trudeau lui-même avait déjà annoncé avant même que les premiers ministres ne se rencontrent, j'ai eu l'occasion, depuis notre retour à l'Assemblée nationale, au mois d'octobre, d'appuyer la motion du gouvernement... Nous l'avons appuyée franchement, nous l'avons appuyée sans détour, sans diluer les termes et sans dire que nous étions pour, tout en laissant entendre que nous voterions contre. Nous étions contre le rapatriement unilatéral que j'ai qualifié, dans le temps, avec beaucoup d'autres, d'un coup de force, d'une décision arbitraire qui allait contre les droits des gouvernements provinciaux qui sont tout de même maîtres dans leur sphère de juridiction respective.

J'ai écouté votre mémoire avec beaucoup d'attention et je n'ai aucune objection à tous vos énoncés. Je suis parfaitement d'accord. Je pense que vous défendez la vraie cause, celle que nous défendons, celle que j'ai exprimée à l'Assemblée nationale à quatre ou cinq reprises depuis le retour au mois d'octobre. Quand je regarde votre travail, la réponse du Québec, l'immense travail que vous poursuivez, je veux simplement vous dire que je suis entièrement d'accord avec vous, même s'il y a de petits points peut-être qui peuvent nous séparer; c'est bien normal, autrement, ça ne fonctionnerait plus.

Je vous félicite de votre travail et je vous demande de continuer l'oeuvre pour dénoncer ce projet qui est vital pour l'avenir des Québécois, pour l'avenir de notre race, pour l'avenir des droits, pour l'avenir de ce que nos ancêtres ont défendu depuis déjà tellement d'années. Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. Morin, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Morin (Rosaire): Non, j'apprécie l'unanimité qui se dessine autour de cette table.

La Présidente (Mme Cuerrier): Je regrette, je vais devoir fermer la liste des intervenants parce qu'il reste très peu de temps. J'ai encore M. le député de Verchères et M. le député de Rosemont. Je vous demanderais de faire vite pour que vous puissiez, dans le temps qui nous est imparti, poser vos questions.

M. Charbonneau: D'abord un commentaire...

M. de Bellefeuille: Excusez-moi, Mme la Présidente, petite question de règlement. Est-ce que la commission ne serait pas libre de décider de prolonger légèrement la durée de ses travaux ce soir?

M. Rivest: On prend le temps. On n'a pas d'autres groupes.

La Présidente (Mme Cuerrier): J'ai besoin d'un consentement unanime.

M. Rivest: Consentement.

La Présidente (Mme Cuerrier): Alors, M. le député de Verchères.

(21 h 15)

M. Charbonneau: Très bien. La première constatation que je fais à la lecture du texte que vous nous avez remis, c'est quelque chose qui est, à mon avis, important parce que, pour une rare fois, j'y vois une cohérence - et j'ai l'impression que la députée de Prévost sera d'accord avec moi - de vocabulaire. C'est assez rare dans des textes de nationalistes québécois, qu'ils soient indépendantistes ou fédéralistes, qu'on retrouve une cohérence de vocabulaire. On a plutôt l'habitude de une utilisation des mêmes termes dans des sens différents. Bien que les gens de ma génération ne veuillent utiliser que le mot "québécois", je pense que, d'une certaine façon, il y a un avantage à utiliser le mot "canadien-français", comme vous le faites. Il y a moins d'ambiguïté sur le peuple et la nation dont on parle et cela ne nie, d'aucune façon, l'ouverture de ce peuple vers le monde quand on emploie, par ailleurs, l'expression "société québécoise" ou "société distincte". Je n'ai pas l'impression que, dans mon vocabulaire quotidien, je vais me mettre à m'identifier comme Canadien français, bien que souvent au cours d'interventions publiques que j'ai faites, j'ai utilisé l'un et l'autre d'une façon synonyme. Mais je pense que cela est important dans certains textes, en tout cas, dans des prises de position, qu'on ait un vocabulaire qui soit logique d'un bout à l'autre et qui soit cohérent. J'ai déjà eu l'occasion de déplorer ce fait et, je pense, Mme la députée de Prévost également. J'ai l'impression que cela peut permettre une meilleure compréhension.

Je voudrais savoir, par ailleurs - parce qu'on a eu l'opinion du député de D'Arcy McGee cet après-midi par une question qu'il posait à un autre témoin - ce que vous pensez de l'éventualité, des avantages que pourrait comporter, pour les Canadiens français hors Québec, l'imposition à toutes les provinces de l'article 133.

M. Morin (Rosaire): Personnellement, je n'ai pas d'objection. Si l'on veut vraiment être sérieux en ce pays, si le Québec doit demeurer bilingue, chacune des dix provinces, dans son Parlement ou dans ses Législatures et dans ses tribunaux, devrait également l'être. J'ai l'impression que c'est là plutôt un symbole qu'une réalité. Je mets l'insistance sur l'enseignement à tous les niveaux hors Québec, non seulement aux niveaux primaire et secondaire, mais je mets une insistance égale sur des organismes et des commissions scolaires contrôlés par les francophones. Aussi longtemps que nos écoles françaises hors Québec sont contrôlées par des anglophones, nous vivons dans l'illusion, à mon sens.

Je crois que la réalité, "là où le nombre le justifie", doit être déterminée selon la même règle qu'au Québec. Au Québec, si on regroupe quelque part dans un petit village de la Gaspésie 20 étudiants de langue anglaise, ils ont une école de langue anglaise. Ils auront quelque chose comme 345 écoles primaires au Québec, un peu dans toutes les régions du Québec. "Là où le nombre le justifie", cela devrait avoir la même application hors Québec qu'au Québec. Nous respectons l'anglophone au Québec. Il possède, de la maternelle à l'université, ses universités, ses organismes scolaires et ses commissions scolaires. Qu'on accorde le même privilège aux

francophones hors Québec. C'est beaucoup plus important, à mon sens, que l'article 133 qui est un symbole, selon moi. Parler français au Parlement et devant ses tribunaux modifie peu dans la formation de l'individu.

M. Charbonneau: Je n'ai pas eu l'occasion de lire complètement le texte puisqu'on nous l'a remis au début de la séance. Est-ce qu'à un endroit vous commentez la charte fédérale ou le projet fédéral dans les implications qu'elle aurait en termes d'immigration?

M. Morin (Rosaire): Oui, je l'ai commenté tout à l'heure légèrement, mais tout de même, et je le mentionne...

M. Charbonneau: Est-ce que vous pourriez reprendre cette argumentation d'une façon plus...

M. Morin (Rosaire): Je le mentionne dans la langue d'enseignement. "L'enchâssement du droit de la langue d'enseignement est inacceptable au Québec. Le caractère français de la société québécoise ne peut être noyé dans le temps par l'assimilation continue et progressive des immigrants au bloc anglophone qui possède la puissance de l'attraction économique. Le devenir québécois ne peut être ainsi hypothéqué. Les Canadiens français ne peuvent abandonner à la majorité anglophone de ce pays la détermination de la politique linguistique que le Québec peut établir selon les exigences du présent et de l'avenir. Aucune autorité fédérale n'a le droit d'amoindrir ou de nullifier la compétence provinciale en ce domaine." On peut expliciter davantage, mais je crois que c'est concis comme pensée.

M. Charbonneau: D'accord.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Rosemont.

M. Paquette: Mme la Présidente, j'aimerais tout d'abord remercier M. Morin de son mémoire qui est tellement clair et précis; j'ai eu le temps de le parcourir. J'aimerais plutôt essayer d'aller au-delà de ce qui est écrit, connaissant le travail antérieur de M. Morin. Je tiens à souligner que mon collègue de Verchères et moi-même, lorsque nous avons commis un volume il y a deux ans, nous nous sommes beaucoup inspirés de certains textes...

Une voix: II y a beaucoup d'auteurs autour de la table.

M. Morin (Louis-Hébert): II reste juste M. Marx, son livre n'est pas publié encore.

M. Rivest: Marx est publié.

M. Morin (Louis-Hébert): Est-ce qu'il a publié son livre? Ah, boni

M. Rivest: II y aurait seulement Lucien Lessard et moi qui n'aurions pas écrit.

La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Paquette: Je me rappelle, en particulier, un article que vous aviez écrit, je pense, autour de 1967 ou 1968 concernant le statut particulier. Il y a un passage de votre texte qui m'a étonné parce que j'y voyais une certaine contradiction. Lorsque vous parlez de la formule d'amendement à la constitution, vous semblez privilégier le droit de retrait pour une province concernant un amendement avec lequel une majorité de provinces, par exemple, serait d'accord alors que l'une des provinces ne serait pas d'accord. Vous semblez privilégier le fait qu'elle en soit exclue. Cela me paraît mener à une certaine forme de statut particulier.

M. Morin (Rosaire): Si nous avons à vivre en ce pays, il nous faut, quand même, tenir compte de certaines réalités. Personnellement, je n'ai pas d'objection à ce que nos compatriotes de langue anglaise centralisent à Ottawa l'éducation, la sécurité sociale, la main-d'oeuvre; ils ont une même culture, ils ont une même langue et leurs intérêts économiques, c'est de l'argent et cela a la même valeur en Colombie ou à Terre-Neuve. Pour nous, qui avons des caractéristiques très particulières (latin, français, culture, langue, institutions et autres), nous ne pouvons pas accepter cette centralisation à Ottawa. Qu'eux centralisent, je l'accepte, mais il faut qu'on nous laisse nous la liberté d'organiser notre vie sociale, notre rayonnement culturel, qu'on nous dote des pouvoirs politiques et que nous ayons une capacité économique de nous épanouir dans nos caractéristiques nationales à nous.

Nous ne pouvons pas, sur le plan de l'éducation, sur le plan de la sécurité sociale et en nombre d'autres domaines, confier à Ottawa -non pas parce que je suis contre Ottawa - notre plénitude de vie, de développement et d'épanouissement. Nous devons conserver pour nous, Québécois, le pouvoir tant économique, politique que constitutionnel d'organiser ici le foyer des francophones en Amérique du Nord, de l'organiser dans la plénitude des droits qui nous sont nécessaires non pas pour une survivance, mais pour un développement et un épanouissement complets.

Ce privilège de droit de retrait que la Saskatchewan proposait, moi, je l'agrée et j'en suis heureux. Je trouve que c'est une ouverture pour vivre au Canada. S'ils veulent, eux, transférer des droits linguistiques à Ottawa, je n'ai pas d'objection, mais ici, en tant que Québécois, le Québec étant, comme le disait Jean Lesage, l'État national des Canadiens français, j'ai objection à transférer des droits linguistiques à Ottawa. Or, ils veulent modifier la constitution sur un sujet de cette nature, nous nous retirons et nous conservons la compétence exclusive que nous avons à ce moment-ci. Je ne crois pas que ce soit détruire le Canada que d'agir ainsi.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Rosemont.

M. Paquette: J'ai une autre question, Mme la Présidente. Je pense que l'action de votre organisme et votre action personnelle également partent de l'idée suivante, que vous venez d'exprimer d'ailleurs: la question constitutionnelle, la question du statut politique du Québec intègre étroitement à la fois la dimension économique et

culturelle parce qu'on est un État national de culture française et qu'on a certains objectifs économiques en commun.

À ce point de vue, il y aurait deux éléments de votre mémoire sur lesquels je souhaiterais que vous vous expliquiez un peu plus. Le premier, c'est la controverse qui a été soulevée tantôt avec le député de D'Arcy McGee concernant la liberté de circulation. Moi, j'ai cru comprendre entre les lignes - j'aimerais que vous me disiez si c'est bien cela - que l'objection que vous avez à la libre circulation des personnes n'est pas une objection de principe. On ne peut pas être contre la liberté de circulation des personnes, mais, du fait que nous sommes un État national de langue française, pour un travailleur québécois qui doit aller travailler dans d'autres provinces, les conséquences sont autrement plus dramatiques pour lui et sa famille, que pour un travailleur ontarien qui viendrait travailler ici. C'est le premier point sur lequel j'aimerais que vous élaboriez votre pensée.

Le deuxième point concerne les droits linguistiques. Pour le moment, enfin, la résolution du fédéral qu'on a devant nous concerne uniquement la langue d'enseignement, mettre de côté la charte du français qui est en vigueur actuellement, mais dans son chapitre qui concerne la langue d'enseignement, cependant, est-ce que vous avez pu évaluer l'impact, est-ce que vous avez réfléchi sur cette question de l'impact que cela pourrait avoir? Je ne parle pas de l'impact juridique. Je parle de l'impact réel sur les autres parties de la loi 101 qui concernent la langue de travail.

Évidemment, la résolution de Trudeau n'attaque pas cette partie sur le plan juridique, mais cette partie de la loi 101 requiert un climat, une attitude d'ouverture, de coopération des différents milieux économiques dans le but de franciser les entreprises, dans le but de franciser le travail. Est-ce que vous pensez que si la résolution Trudeau était acceptée telle quelle, cela pourrait avoir une influence sur d'autres, que cela rendrait plus difficile, en quelque sorte, l'application de la loi 101 dans d'autres secteurs que la langue d'enseignement?

M. Morin (Rosaire): Je peux difficilement répondre à votre question. Nous avons Robert Décary qui a analysé en profondeur les dangers qui pouvaient atteindre ou affecter la loi 101. Je n'ai même pas eu le temps de le lire au moment où il a écrit son article. Au cours des prochains jours, j'en prendrai connaissance. Je ne peux pas répondre à votre deuxième question. Moi, je demeure, si vous voulez, à la langue d'enseignement dans le secteur qui me frappe le plus et qui affecte la noyade des immigrants que l'on estimait nos blocs anglo-saxons.

Alors que nous connaissons un problème démographique très grave au Québec avec une courbe qui est presque nulle d'augmentation de population, et nous ne pouvons pas permettre que ces 17,000 ou 18,000 immigrants que nous accueillons chaque année renforcent à perpétuité le bloc minoritaire. Nous y perdrions éventuellement notre proportion. Nous nous affaiblissons comme groupe ethnique de plus en plus. Je ne crois pas que personne ne veuille veut en cette province.

Moi, c'est cet aspect particulier de l'assimilation au bloc anglais. Je ne suis pas contre les Anglais. N'allez pas croire cela, personne, même pas le député de D'Arcy McGee. Moi, j'aime les Anglais. Ce sont des gens pragmatiques. Ils savent ce qu'ils veulent et ils savent où ils vont et nous, on ne le sait pas. On est divisé, éparpillé en couleurs politiques et autre chose.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Deux-Montagnes.

M. Marx: Allez-vous me permettre une petite question? Comment expliquer qu'au moment de la Confédération, en 1867, les Canadiens français au Québec étaient 80% de la population et qu'aujourd'hui ils sont 80% ou 81% de la population? C'est difficile d'expliquer cela en fonction de votre exposé.

M. Morin (Louis-Hébert): J'interviendrai peut-être tantôt parce qu'il y a des erreurs de démographie.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. Morin, la question vous était adressée.

M. Morin (Rosaire): Là, je n'ai pas de chiffres dans la tête, ni en proportion, ni en nombre. J'ai écrit un volume sur l'immigration, si je l'avais avec moi, je pourrais plus facilement vous répondre. Peu importe, vous savez, que nous nous soyons maintenus au même nombre. Je crois que c'est déjà là un phénomène qui est anormal. Que la croissance de notre peuple soit demeurée à zéro depuis 113 ans ne me paraît pas être une contribution valable à l'épanouissement de la communauté francophone. (21 h 30)

C'est presque anormal que nous n'ayons pas atteint, si vous voulez, une dimension telle que celle que l'Ontario a connue. Nous devrions être 85%, 86%, 87%, sans exclure aucun sujet de langue anglaise de cette province. Nous les conservons et nous les respectons dans leurs droits et ils sont assez bien même chez nous pour y demeurer longtemps, lorsqu'ils contrôlent près de 70% de l'économie québécoise. Ils sont bien traités par les Québécois et nous consentons encore à leur accorder la faveur économique. Nous les respectons dans leurs droits scolaires et je suis pour ce respect intégral aussi longtemps... Mais je ne crois pas qu'il soit normal, comme phénomène démographique, que nous n'ayons que maintenu une même proportion. Nous aurions dû connaître une courbe ascendante. J'ai nettement l'impression qu'il faudrait que les gouvernements du Québec, à l'avenir, mettent l'accent sur un peuplement d'immigrés d'origine française et il faudrait que des immigrés de langue étrangère qui viennent en cette province s'intègrent au milieu francophone. C'est normal qu'il en soit ainsi, autrement on va reculer indéfiniment ou on va piétiner sur place dans la stagnation.

M. Morin (Louis-Hébert): Mme la Présidente j'ai seulement cinq dates...

La Présidente (Mme Cuerrier): Oui, M. le ministre.

M. Morin (Rosaire): II y a un autre

phénomène qu'il faut que vous notiez, c'est l'émigration des francophones vers l'Ouest canadien, en Ontario et vers les États-Unis qui a aussi affecté substantiellement et considérablement le poids démographique du Québec.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre.

M. Morin (Louis-Hébert): Juste un élément d'information scientifique, Mme la Présidente. Il y a un certain nombre de dates dans l'histoire du Canada français, trois que je vais mentionner rapidement pour mémoire, 1492, 1534 et 1608. Bien sûr, ça c'est le régime français et avant, ça la découverte. Mais il y a aussi 1763, 1791, 1840 et 1867. Si vous voulez faire une extrapolation ou une sorte de comparaison quant au poids spécifique des francophones dans ce qui est devenu le Québec depuis, il faudrait partir non pas de 1867 mais de dates antérieures. C'est tout ce que je voulais dire pour le moment. Je pense que c'est quand même important de le mentionner. Bien oui, justement...

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député.

M. Marx: ... 100%.

M. Rivest: C'est intéressant.

M. Morin (Louis-Hébert): Je veux seulement relativiser la date de 1867 que le député de D'Arcy McGee, manquant de mémoire historique, a voulu invoquer.

M. Marx: Je suis d'accord avec l'objectif, le but qu'il a souligné, mais pour moi...

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député, si vous permettez, je vais donner la parole à M. le député de Deux-Montagnes.

M. Marx: ...le caractère français n'est pas en danger.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Deux-Montagnes.

M. de Bellefeuille: Merci, Mme la Présidente, je pense que...

M. Morin (Louis-Hébert): II ne faut pas prendre de chance.

M. de Bellefeuille: ... ce petit débat démographique est peut-être terminé...

M. Morin (Louis-Hébert): Ma devise ce n'est pas: Je me souviens, c'est: On ne sait jamais.

M. de Bellefeuille: ... je voudrais poser deux questions à M. Rosaire Morin. Elles sont faciles à poser, peut-être qu'il est moins facile d'y répondre. La première question est la suivante: M. Rosaire Morin, à votre avis quel a été le sens du non au référendum? Il y a près de 60% des Québécois qui ont voté non...

Une voix: 59%.

M. de Bellefeuille: Oui. Quel est le sens de ça? Pourquoi ces gens-là ont-ils voté non? Pourquoi, dans le sens de: Pour en arriver à quoi? La deuxième question est: Quels ont été les effets, les résultats du fait que près de 60% des Québécois ont voté non au référendum?

La Présidente (Mme Cuerrier): M. Rosaire Morin.

M. Morin (Rosaire): Je saisis toute la question; elle est difficile pour moi. J'ai nettement l'impression - et je ne veux pas m'insérer dans un débat politique, je n'ai participé à aucun événement de la campagne référendaire; j'aurais pu mais je me suis abstenu - qu'une partie des non a été à cause d'un sentiment de peur, de trouille, de frousse que nous avons. Nous sommes traditionalistes, nous sommes conservateurs au Québec et on craint de perdre sa sécurité. J'ai nettement l'impression que la dimension d'un pays à bâtir n'a pas été suffisamment vendue comme étant viable et rentable et que la population a choisi majoritairement tout simplement sa sécurité plutôt que l'insécurité, plutôt qu'une hypothèse dont elle ne pouvait pas analyser mathématiquement les résultats.

Le non au référendum devait être un oui, c'est ce que je retiens surtout pour ma part, ça devait être un oui à des changements constitutionnels en profondeur. Ce non au référendum a été interprété le 24 août à Winnipeg par les dix premiers ministres des provinces, de la façon suivante: Ils se sont engagés à respecter les engagement solennels pris envers les Québécois pour des changements constitutionnels conformes à leurs aspirations. C'est à peu près textuel, M. Claude?

M. Morin (Louis-Hébert): Oui, c'est cela et vous devriez le répéter pour que le député de Jean-Talon en prenne note; pour celui de D'Arcy McGee, j'ai perdu tout espoir.

M. Morin (Rosaire): Les dix premiers ministres, à l'unanimité, à la conférence, par la voix de leur président, ont accepté cette déclaration unanime et c'est ainsi, je crois, pour une large part, que le Canada anglais a interprété le non du référendum comme devant être préalable à des changements constitutionnels. J'ai nettement l'impression - je ne peux pas le dire avec une certitude morale - que les consensus qui se sont dégagés des autres provinces vers le Québec sont dus probablement, psychologiquement, à ce non du référendum qui signifiait un oui. Je comprends que nous avons, à l'heure actuell, des alliés naturels qui le sont davantage et d'abord pour protéger leurs intérêts économiques. Je comprends que les ressources naturelles nous feront des alliés de Terre-Neuve. Si on donnait à notre cher premier ministre de Terre-Neuve ses richesses à 200 milles au large des côtes, il cesserait peut-être de nous appuyer, mais il demeure quand même... Le même facteur existe pour la Saskatchewan qui négocie à l'heure actuelle pour obtenir des avantages matériels. M. Hatfield va recevoir la frégate de la marine. À Canso, la Nouvelle-Écosse qui négocie va recevoir quelque $8,000,000,000 au cours des prochaines années. C'est là une drôle de façon, de tractation

pour rebâtir un pays.

Mais, momentanément, il reste que ces provinces - nous en avons au moins cinq autres qui ont une position ferme; nous en avons deux autres qui s'opposent également à la résolution fédérale - sont pour nous des alliés. Je crois que la conjoncture actuelle est favorable à ce que le Québec assume l'initiative, comme Mercier jadis et comme Jean Lesage au début de son régime, d'une conférence constitutionnelle, avec Ottawa comme observateur, pour étendre davantage le consensus unanime qui s'est dégagé lors des dernières négociations constitutionnelles, dans la semaine du 8 au 12 septembre, où les dix provinces ont accepté le même point de vue sur les pêcheries, les communications, le droit de la famille, le rapatriement et le mode d'amendement. C'était quand même formidable que d'avoir réussi à s'entendre sur cinq sujets. Je souhaite fondamentalement que le Québec assume un leadership, assume l'initiative d'une conférence constitutionnelle, avec Ottawa, comme observateur pour négocier ce que Jean Lesage voulait, une nouvelle constitution, ce que Pearson demandait jadis et ce que Johnson souhaitait de tout coeur.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Deux-Montagnes.

M. Morin (Louis-Hébert): J'aurais bien des choses à dire que je ne dirai pas, mais...

M. de Bellefeuille: Mme la Présidente, une petite sous-question à M. Rosaire Morin. Cette conférence dont vous parlez, où la situeriez-vous dans le temps par rapport au coup de force constitutionnel du gouvernement fédéral, par rapport au déroulement qu'on peut prévoir? Il y a eu une échéance qui a été remise jusqu'en février pour la présentation du rapport du comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes. La conférence dont vous parlez aurait lieu avant cela ou après cela?

M. Morin (Rosaire): Dans mon optique à moi, elle aurait déjà eu lieu.

M. Morin (Louis-Hébert): Un instant! M. Rivest: Très bien, M. Morin.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre.

M. de Bellefeuille: Merci, M. Rosaire Morin.

M. Rivest: Oui, le "très bien" s'adressait à Rosaire et non à Claude.

M. Morin (Louis-Hébert): Ah bon! Il y a beaucoup de vrai, Mme la Présidente. Ce n'est pas une question que je pose, c'est un commentaire pour guider le député de Jean-Talon qui a besoin de balises.

M. Rivest: Vous êtes mon guide depuis 15 ans. C'est pourquoi je suis mêlé.

M. Morin (Louis-Hébert): J'ai remarqué que le député de Jean-Talon - je voudrais que ce soit inscrit au journal des Débats - reconnaît qu'il est mêlé.

M. Rivest: À cause de son guide.

M. Morin (Louis-Hébert): II y a une chose capitale qui se passe présentement et je pense que c'est un élément qu'il faut souligner. J'ai l'impression que qui que ce soit qui, de la part d'une province, arriverait avec quelque solution que ce soit du genre de celle qui a été suggérée, d'après la conférence de presse de vendredi dernier de M. Trudeau, se frapperait à un mur, c'est-à-dire que je pense qu'il a enclenché son train d'enfer - je parle de M. Trudeau - et que quelque suggestion qui aurait tendance à modifier l'échéancier ou la chute - parce que c'est ce qui peut se produire - de sa comète constitutionnelle serait refusée a priori. Ce que je veux dire, c'est que le milieu ambiant politique canadien, à cause du comportement du chef politique fédéral, n'est certainement pas propice actuellement à quelque proposition de cette nature.

Je vais vous donner un exemple concret de cela. Le premier ministre de la Colombie-Britannique a exactement proposé le genre de solution que vous proposez et je dirais même -parce que cela adonne que j'y pense - que le chef du Parti libéral, qui, parfois, s'arroge des pouvoirs ou des compétences qu'il n'a pas, a cru opportun de suggérer des démarches similaires et qu'il s'est lui-même fait rabrouer. Par conséquent, on se trouve à avoir à Ottawa actuellement comme premier ministre, sur le plan constitutionnel, un aveugle, un sourd et, en quelque sorte, une sorte d'infirme sur le plan de la locomotion constitutionnelle, de sorte que je n'ai pas l'impression que qui que ce soit qui aurait quelque idée nouvelle que ce soit pour débloquer le processus actuel serait écouté. La meilleure preuve, c'est qu'on est devant un coup de force. Je suis sûr que le député de Jean-Talon est totalement d'accord avec cela. S'il n'était pas d'accord, il serait en désaccord avec son chef qui a lui-même proposé des procédures ou des façons de procéder dans ce sens. Etant donné ce que je viens de dire, je ne vois pas pourquoi le député de Jean-Talon ajouterait quoi que ce soit à ce que je viens de mentionner.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. Rosaire Morin, avez-vous un commentaire?

M. Morin (Rosaire): Je ne modifie pas la stratégie que M. Claude Morin vient d'énoncer. Je ne crois pas qu'une conférence constitutionnelle bousculerait à l'heure actuelle les actions d'ordre juridique ou autres qui doivent être poursuivies. Même si M. Trudeau est battu dans les dix provinces par le sondage Gallup, je ne crois pas que les Canadiens qui veulent un régime unitaire, ou les souverainistes associés doivent partir prématurément pour la gloire, parce que l'homme a de la force et le courant d'opinion peut être modifié de par sa désinvolture qui renverse les populations. Mais je crois qu'il y a au moins six provinces qui ont des intérêts à défendre. La Loi des terres du Canada, qui s'empare des richesses à 200 milles au large des côtes, etc., le budget fédéral, l'invasion du pétrole de l'Alberta et le gaz naturel de la Saskatchewan sont quand même des événements qui, à l'heure actuelle, créent pour le Québec une conjoncture favorable. Ils sont

contents de notre alliance. J'ai nettement l'impression qu'il y a probablement huit provinces, à l'heure actuelle, qui peuvent faire front commun. II s'agirait de rallier M. Hatfield. Il ne sait pas où il s'en va.

M. Morin (Louis-Hébert): ...des fois.

M. Morin (Rosaire); Quant à M. Davis, avec la courbe de Gallup en Ontario, il est peut-être dans une conjoncture où il peut penser autrement. Je n'éloigne pas cela. Je n'ai pas voulu tendre un piège au gouvernement pas plus que je veuille tendre un piège à l'Opposition en disant, Mme la Présidente, qu'il ne faut pas se contenter d'un rapatriement à la bonne franquette avant de s'être entendus sur un partage des pouvoirs, sur un partage entre le gouvernement central et les provinces. C'est à peu près, à l'heure actuelle, la seule protection que nous ayons. Il faut penser qu'un rapatriement pour le Canada anglais, c'est la réforme constitutionnelle. Nombre de ministres des autres provinces l'ont déclaré à diverses reprises. Selon la psychologie anglophone, le rapatriement de la constitution, c'est le changement constitutionnel, c'est le grand changement. (21 h 45)

Pour nous, le rapatriement, ce n'est rien. Le rapatriement, ce n'est pas ce que M. Bourassa a réclamé sous son régime, ce n'est pas ce que Johnson a réclamé à maintes et maintes reprises, ce n'est pas ce que Lesage a réclamé. Lesage a peut-être été un de ceux qui ont été les plus affirmatifs et plus durs dans ses réclamations à l'égard du fédéral, mais, à l'heure actuelle, il n'y a aucun déblocage du partage des pouvoirs, du partage de la fiscalité qui se fait vers les provinces malgré 40 ans de réclamations constantes du Québec. Si nous acceptons de rapatrier demain matin la constitution sans formule d'amendement qui nous protège, je dis que nous remettons aux calendes grecques un partage des pouvoirs et un partage de la fiscalité conformes aux besoins et aux exigences du développement du Québec. Je crois que c'est là une attitude que l'ensemble de nos hommes politiques doivent partager parce qu'elle est conforme à la tradition de ce pays et aux besoins de l'époque actuelle.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Jean-Talon.

M. Rivest: M. Morin, une courte question, très courte, et je vous demanderais de répondre. Vous allez voir que ma question est lourde mais je vous demanderais d'y répondre simplement, le plus simplement du monde. Compte tenu, de votre expérience qu'a invoquée le ministre au début de ses remarques et avec laquelle on concourt, vous avez tellement réfléchi sur l'ensemble des données du problème, la donnée québécoise, les régionalismes et tout ça, dans tous les rapports, toutes les études que vous avez faits, si le projet de résolution fédéral est écarté d'une manière ou de l'autre, soit au niveau politique ou au niveau judiciaire, compte tenu de la réalité du Canada d'aujourd'hui, y compris la question nationale proprement dite, est-ce qu'il y a une condition ou un obstacle majeur immédiat qui vous apparaît à un renouvellement du fédéralisme en profondeur?

Quel serait, d'après vous - exprimé très simplement et schématiquement, je sais que c'est peut-être trop vous demander - le détonateur? En existe-t-il un? Si vous croyez qu'il n'en existe pas et qu'on devrait penser à d'autres voies, vous pourriez le dire, si vous voulez, ou non. Qu'est-ce qui vous apparaît le facteur le plus paralysant actuellement dans le dossier, compte tenu des urgences pour le Canada et de l'urgence pour la réalité québécoise?

La Présidente (Mme Cuerrier): M. Rosaire Morin.

M. Morin (Rosaire): Je crois que la pierre d'achoppement, la grande difficulté au renouvellement constitutionel, c'est l'appétit insatiable d'Ottawa qui veut constamment augmenter son empire. La centralisation continue, l'ingérence, année après année, dans tous les secteurs de compétence exclusivement provinciale, a déjà modifié la constitution. Si nous la rapatrions, nous rapatrions en pratique des reliquats. J'ai déjà relevé, dans ce que M. Paquet soulignait tout à l'heure, statut particulier, un mirage d'optique, 131 empiétements sur des privilèges exclusifs aux provinces. Je dis: C'est d'abord ce premier fait, la centralisation outrancière d'Ottawa qui est continuelle à travers notre histoire depuis presque le début de la Confédération, d'une part. D'autre part, la commission Laurendeau-Dunton et la commission Pépin-Robarts, de grandes commissions royales, ont établi d'une façon très claire, d'une façon précise, d'une façon nette, que le grand problème, le défi de l'heure, c'était l'acceptation de ce que ce pays comprenait deux nations, deux races, deux peuples. Ils ont tenté de trouver une terminologie différente mais ça revient fondamentalement à cela.

Un bonhomme comme Lesage, qui n'était pas un fou, disait: Si on n'accepte pas - et c'est à peu près textuel - la nation canadienne-française, on mettra fin à brève échéance à la Confédération. Pearson a déclaré la même chose. La commission Laurendeau-Dunton, dans de multiples témoignages, a dit: II nous faut reconnaître la dualité de ce pays et il nous faut reconnaître l'égalité - la commission Laurendeau-Dunton est allée jusqu'à l'égalité - des deux peuples. Si on accepte ce dénominateur, j'ai nettement l'impression qu'on pourra s'entendre assez facilement, centralisant pour les anglophones à Ottawa s'il le faut et décentralisant pour le Québec. C'est ce que la formule de droit de retrait de tout à l'heure proposée par la Saskatchewan offre comme perspective au Québec, une ouverture vers un gouvernement québécois qui possédera une plénitude de pouvoirs conformes aux besoins de sa population et conformes au bien-être qu'il faut accorder à la population que vous représentez.

Ce sont les deux grands facteurs: d'une part, l'appétit fédéral et, d'autre part, il faudra qu'on accepte ici de reconnaître la dualité, non pas simplement en termes culturels, parce que cela m'apparaît presque du folklore, comme dirait le secrétaire d'État... Il faut la reconnaître dans la réalité fiscale. Il faut la reconnaître dans la réalité économique. Si le Québec ne jouit pas d'une économie qui soit stable et qui progresse, la culture sera dépendante et asservie. La vie

sociale sera de bien-être, d'assistance et de sécurité sociale et non pas de bien-être réel.

Les pouvoirs économiques, à mon sens, et les intentions de M. Chrétien de les transférer à Ottawa, c'est impensable. Le Québec doit renforcer ses pouvoirs économiques et dans toutes les matières économiques. Il ne peut pas accepter des pratiques fédérales qui seraient discriminatoires pour le développement du Québec.

On pourrait parler longtemps, M. le député de Jean-Talon, sur un sujet comme celui-là. On pourrait écrire un livre encore.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. Rosaire Morin, j'ai l'habitude, à la fin de la présentation de mémoires et des échanges qui se font entre les membres de la commission et les gens qui veulent bien y participer, de me faire le porte-parole et de remercier les gens. Je pense que ce soir vos collaborateurs prendront quelques-unes des fleurs qui vous sont parvenues. En tout cas, en toute simplicité et toute liberté, je pense que je n'ai rien à ajouter. Je vous remercie de votre collaboration de même que les collaborateurs et les gens qui vous accompagnent. Merci bien.

M. Morin (Louis-Hébert): On avait bien des choses à ajouter, mais on se reprendra.

La Présidente (Mme Cuerrier): Sur ce, puisque la commission a terminé les travaux et le mandat qui lui étaient confiés, elle ajourne ses travaux sine die.

(Fin de la séance à 21 h 54)

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