L'utilisation du calendrier requiert que Javascript soit activé dans votre navigateur.
Pour plus de renseignements

Accueil > Travaux parlementaires > Travaux des commissions > Journal des débats de la Commission permanente de la présidence du Conseil et de la Constitution

Recherche avancée dans la section Travaux parlementaires

La date de début doit précéder la date de fin.

Liens Ignorer la navigationJournal des débats de la Commission permanente de la présidence du Conseil et de la Constitution

Version finale

31e législature, 6e session
(5 novembre 1980 au 12 mars 1981)

Le mardi 3 février 1981 - Vol. 23 N° 40

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Audition de personnes ou organismes relativement au projet de résolution du gouvernement fédéral concernant la constitution canadienne


Journal des débats

Présidente. Pendant les minutes que j'ai à ma disposition, je voudrais très rapidement, dans un premier temps, rappeler les faits qui nous ont conduits à cette séance de la commission parlementaire aujourd'hui, ensuite tirer quelques leçons des événements des derniers mois et finalement m'interroger sur certaines perspectives d'avenir et de la sorte peut-être préparer les interventions des personnes et des groupes qui viendront nous rencontrer.

En ce qui concerne les faits, j'ai déjà eu l'occasion, au mois de décembre, d'en parler. Je vais simplement les énumérer, sans trop de commentaires. Je parle des faits des sept ou huit derniers mois, parce que c'est à partir de ces sept ou huit derniers mois que nous avons vécu l'expérience du coup de force fédéral que nous connaissons aujourd'hui.

Il y a tout d'abord eu - évidemment, tout le monde s'en souvient - pendant le référendum, une intervention remarquée du premier ministre fédéral qui, à toutes fins utiles, a dit qu'un non au référendum voulait dire, en réalité, un oui à un changement qui conviendrait aux besoins des Québécois. En tout cas, c'est l'impression que les gens ont retenue. Cette intervention - comme j'ai dit au mois de décembre et je peux le répéter aujourd'hui - je pense, a été assez déterminante pour une portion de la population québécoise. Donc, elle a eu une influence.

Il s'ensuivit, tout de suite après le référendum, une série de conférences constitutionnelles, d'abord au niveau des premiers ministres au milieu de juin, suivies pendant tout l'été, au niveau des ministres, de rencontres au cours desquelles on a étudié un ordre du jour comportant douze sujets et éventuellement un treizième qui a été ajouté en cours de route. Cela a été des négociations, on s'en souvient, extrêmement intensives. Ce furent les plus intensives, je pense, de toute l'histoire de la fédération canadienne, en ce sens que pendant l'été on a passé quatre semaines, à raison de trois jours et demi par semaine, matin, midi et parfois le soir, à discuter des questions de l'ordre du jour. J'étais accompagné à l'époque par deux collègues du gouvernement, M. Charron et M. Marc-André Bédard.

Au cours de ces discussions de l'été dernier, autre fait, un événement s'est produit qu'il est quand même assez important de noter, c'est qu'en ce qui concerne l'ensemble des provinces on en est arrivé, particulièrement à la fin du mois d'août et au début de septembre - et cela s'est confirmé au début de septembre à la réunion des premiers ministres qui a été télévisée pendant cinq jours - à la constitution d'un front commun non pas sur les douze points de l'ordre du jour, bien sûr, mais sur sept ou huit ou neuf de ces points, de sorte que cette position commune des provinces a été présentée au premier ministre du Canada qui, on le sait maintenant, l'a refusée, ce qui a fait que la conférence, le samedi 13 septembre, s'est terminée - tout le monde l'a vu à la télévision - par un échec.

L'échec a conduit ensuite à l'annonce à la télévision, le 2 octobre, d'un coup de force fédéral, c'est-à-dire par la présentation, qui est maintenant discutée en comité à Ottawa, d'une résolution fédérale qui comportait d'abord, bien sûr, le souhait de rapatrier la constitution canadienne qui est maintenant une loi britannique; deuxièmement, une procédure quant à une formule d'amendement; troisièmement, surtout, une charte des droits extrêmement longue et extrêmement lourde de conséquences en ce qui a trait aux compétences des provinces. Au début d'octobre, quand cela a été présenté, il semblait bien que l'opinion publique - c'est un autre fait à noter - dans l'ensemble du Canada, probablement aussi au Québec, était, je pense, acquise d'avance à l'idée que le contenu de la proposition fédérale pouvait être acceptable. Du côté d'Ottawa on s'est un peu laissé devenir victime de l'illusion qui consistait à croire qu'on pourrait très rapidement, c'est-à-dire pour le mois de décembre, non seulement adopter à Ottawa cette résolution, mais aussi la transmettre à Londres. Il y a un élément ici qu'il ne faut jamais oublier, c'est le facteur temps. Pendant l'été, au niveau des provinces, on s'est posé beaucoup de questions; on s'est dit: Pourquoi il y a une telle insistance à faire aussi rapidement ce travail qu'on nous propose avec les douze points à l'ordre du jour? Maintenant, on se rend compte que le facteur temps était un élément capital de la stratégie d'Ottawa pour en arriver à la réalisation du coup de force qu'on connaît maintenant, sauf, comme on l'a vu par la suite, que l'élément temps s'est tourné contre les représentants fédéraux et, finalement, il semble bien que maintenant le temps soit un de leurs handicaps les plus sérieux puisque ce temps a permis à la population canadienne et québécoise de se rendre compte du contenu de ce coup de force.

Ce qui s'est produit par la suite, c'est que les provinces n'ont pas laissé ce coup de force se perpétrer sans intervenir, d'où, le 14 octobre, réunion des premiers ministres des provinces à Toronto. Au sortir de cette réunion - on l'a vu par la suite - six provinces ont décidé - et je parlerai tantôt plus particulièrement de ce que le Québec a fait - de contester devant les tribunaux la légalité du geste fédéral. Ici, j'introduis tout de suite une distinction fondamentale, c'est qu'au point de départ le contenu du coup de force fédéral est inacceptable politiquement. En plus de ça, non seulement il est

inacceptable politiquement, mais il a toutes les chances du monde, selon nous, d'être illégal, en tout cas quant à certains de ses aspects essentiels. Même s'il était légal, il serait inacceptable. En plus de ça, il est peut-être illégal.

Alors, les provinces ont voulu savoir ce qui se passerait si on posait la question à des tribunaux; c'est pour ça que des causes ont été inscrites dans des cours d'appel du Manitoba - où le jugement est imminent - de Terre-Neuve et du Québec. En somme, neuf ou dix questions, dont trois au Manitoba, ont été posées aux juges, à propos desquelles on aura des réponses, soit dans les jours qui viennent, très prochainement en ce qui concerne le Manitoba, et dans les mois qui viennent en ce qui concerne Terre-Neuve et le Québec.

Les provinces ont donc décidé d'agir, au plan suivant. Je viens de parler des cours de justice. Elles ont aussi décidé d'agir chacune à leur façon au niveau de leur Assemblée législative ou nationale, pour le Québec. Elles ont également décidé d'agir au niveau de la population et certaines d'entre elles ont aussi pensé à se présenter devant le comité mixte fédéral pour faire valoir leur opposition. En plus de ça, bien sûr, les provinces ont fait valoir leur point de vue à Londres.

Maintenant, je parle plus particulièrement du Québec. Au Québec, le premier geste a été cette rencontre avec les provinces et la décision d'aller devant les tribunaux. La deuxième décision a été de saisir l'Assemblée nationale d'une résolution qu'on espérait unanime, résolution très neutre quant à sa formulation, qui ne devait pas, à notre avis, à l'époque, créer de problèmes de partisanerie politique. Malheureusement, je le déplore aujourd'hui, tout le monde s'en souvient, je pense que c'est un événement majeur des mois qui viennent de s'écouler, nous n'avons pas eu l'unanimité à Québec, le parti principal de l'Opposition refusant de se joindre aux autres partis et au gouvernement donc, quant au contenu de cette résolution. Elle s'opposait, on s'en souviendra, au coup de force fédéral et demandait au gouvernement britannique de ne pas - pour prendre une expression connue maintenant -se laisser avoir dans le processus engagé par le gouvernement central.

En plus de l'action devant l'Assemblée nationale, qui a continué et qui a résulté dans la commission que nous avons aujourd'hui - ç'a été une autre décision, celle-là - nous avons également entrepris d'informer la population du Québec sur les conséquences de ce coup de force fédéral, d'où l'information radiodiffusée, télévisée et dans les journaux, qu'on a connue à la fin du mois de novembre et pendant le mois de décembre, qu'on connaît maintenant parce qu'on a décidé de continuer à cause de la gravité de la situation.

On a ensuite maintenu une coopération constante avec les autres provinces, constante au point où, parfois, deux fois par semaine, on a des conférences téléphoniques de ministres chargés du dossier constitutionnel pour faire le point. Il y a encore une dizaine de jours, il y a eu deux semaines hier, on se réunissait à Montréal pour établir notre action dans les semaines qui viennent.

Donc, action et coopération du Québec avec les autres provinces. On a aussi mené, à Londres, une campagne, je dirais, de sensibilisation auprès des milieux britanniques; parce que, qu'on le veuille ou non, c'est à ce genre d'humiliation que nous conduit le coup de force fédéral. On est obligé de recourir à un Parlement étranger pour le convaincre de ne pas faire, lui, chez lui, ce que les libéraux fédéraux n'ont pas le droit de faire à Ottawa. Je vais revenir sur ce point tout à l'heure, puisqu'on a le rapport maintenant du comité britannique qui s'est penché sur la question.

Autres faits: En plus de l'action du Québec et de l'action des autres provinces, on a vu que l'opinion publique évoluait. De favorable qu'elle semblait être au contenu de l'action fédérale, au début, elle a maintenant évolué pour devenir défavorable. Plus de 60% de la population de l'ensemble du Canada maintenant, en tout cas d'après les derniers sondages Gallup, s'oppose au coup de force fédéral. Je pense qu'il y avait une côte à remonter, elle a été remontée. Et au Québec aussi, on avait une côte à remonter. Le gouvernement fédéral, les libéraux fédéraux utilisaient une argumentation tout à fait tronquée pour justifier leur geste auprès de la population canadienne, mais surtout auprès des Britanniques. Ils disaient essentiellement ceci: Nous devons procéder comme nous le faisons, parce que nous l'avons promis aux Québécois au moment du référendum. Or, vous vous souvenez tout le monde qu'au moment du référendum, il n'a été question, à aucun moment, d'agir de la façon dont le gouvernement fédéral a agi. (10 h 45)

Donc, premier accroc à la vérité. Deuxième, on a dit: Nous nous sommes engagés à faire - c'est toujours le gouvernement fédéral qui parle - des changements constitutionnels majeurs, c'est dans notre mandat électoral de février 1980 lors de élection fédérale. On se souvient qu'au moment de l'élection fédérale, en février 1980, s'il y a un dossier qui n'a pas été abordé, c'est celui de la révision constitutionnelle.

Nous avons, auprès des Britanniques, à qui Ottawa servait cet argument-là, montré que c'était un argument mensonger. Par la suite - je reviens aux faits - Ottawa a présenté des amendements à son projet de

charte et à sa démarche et ces amendements n'ont fait qu'aggraver les choses. J'ai fait transmettre à la tribune de la presse et à ceux qui le voulaient les commentaires et la réaction du Québec à ces amendements il y a maintenant quelques jours, plusieurs jours, et cela ne fait que rendre les choses pires que ce qu'elles étaient avant, à notre point de vue.

Il y a eu cependant un événement majeur qui vient de se produire. Le comité des affaires étrangères britannique a rendu son rapport public. Nous l'avons maintenant. On l'a fait distribuer à chaque membre de la commission. Il confirme que l'approche fédérale est profondément inacceptable, ce qui veut dire que, dans la perspective d'une sorte de lutte politique dans laquelle se sont engagés les libéraux fédéraux, les Britanniques n'acceptent pas, du moins d'après ce rapport qui n'engage pas le gouvernement, mais qui a quand même un poids politique majeur, de faire à Londres ce que les libéraux fédéraux ne peuvent pas faire ici, au Canada. On a la confirmation de cela, le texte est ici devant nous.

Il y aura, comme je l'ai dit aussi, finalement la réponse du tribunal du Manitoba incessamment. Je vous rappelle à cet égard que le gouvernement central a toujours prétendu que son geste était totalement légal. Nous allons voir si tel est le cas.

Maintenant, il y a plusieurs leçons, mais je voudrais en tirer une - c'est mon deuxième point - pour ce qui concerne le comportement des libéraux fédéraux. Dans toute cette affaire, ils ont un triple objectif. Le premier, c'est qu'ils ont tenté d'établir définitivement la domination d'Ottawa sur les provinces. Le deuxième, c'est qu'ils ont tenté de mettre une fois pour toutes le Québec à sa place. Le troisième, qui est évident, c'est qu'ils ont tenté de torpiller la politique linguistique du Québec et, par conséquent, d'intervenir pour ce faire dans un domaine de compétence québécoise exclusive pour empêcher le Québec de protéger et de promouvoir le français comme il l'entend. Ce triple objectif est évident tout le long de leur démarche. C'est un objectif qu'ils ont le droit d'avoir, mais il faut quand même se rendre compte qu'il existe.

Les libéraux fédéraux ont aussi fondé toute leur politique constitutionnelle sur le cynisme et le mépris de la vérité. Le cynisme, on l'a vu dans la divulgation d'un document de stratégie, document secret, au mois de septembre dernier. On s'attendait qu'il y ait un échec et on avait prévu, à toutes fins utiles, un coup de force qu'on précisait d'ailleurs en détail dans le texte. Cynisme et aussi mépris de la vérité! Mépris de la vérité d'abord au référendum, quand on a dit qu'un non voulait dire oui. On a promis aux Québécois un changement qui conviendrait aux Québécois. On sait maintenant que c'est faux. Mépris de la vérité aussi, semble-t-il - c'est ce qui commence à sortir ces jours-ci, à Ottawa -par rapport aux Britanniques dont les libéraux fédéraux ont besoin ou il semblerait - on va le voir plus précisément dans les jours qui viennent - qu'on n'ait pas vraiment expliqué à la Grande-Bretagne de quoi il retournait; mépris aussi de la vérité par rapport aux Canadiens et aux Québécois parce qu'on ne leur a pas dit ce qu'on savait dès le mois de novembre ou de décembre, semble-t-il, à Ottawa, c'est-à-dire que le coup de force des libéraux fédéraux avait de l'opposition auprès du gouvernement britannique.

Aussi, une troisième leçon. Les libéraux fédéraux, au fond, ne semblent pas vouloir de véritable révision constitutionnelle, encore moins, j'imagine, de fédéralisme renouvelé, parce que ce qu'on évite au plus haut point, c'est justement la question du partage des pouvoirs et on s'efforce de poser le problème en des termes qui, s'ils étaient réalisés, conduiraient à ce que j'ai mentionné tantôt comme ce triple objectif: la domination d'Ottawa sur les provinces, mettre le Québec à sa place et torpiller la politique linguistique du Québec. C'est assez dur, ce que je dis là, mais, au fond, je ne fais ici en commission parlementaire que répéter ce qui semble - à mon avis, en tout cas, et de l'avis de pas mal de monde - être une déduction pas nécessairement très sophistiquée qu'on peut tirer de l'examen des événements.

En ce qui concerne le projet de coup de force fédéral lui-même et son contenu, il était d'une part assez mal parti et on semble aujourd'hui de plus en plus être sûr qu'il va mal arriver, sauf que c'est l'effort conjugué de pas mal de monde, c'est l'effort conjugué des provinces et la détermination que le gouvernement du Québec a fait valoir - et je l'affirme de façon absolue - qui sont en grande partie responsables avec, bien sûr, l'opinion publique et des difficultés qu'heureusement rencontrent sur leur trajet cynique les libéraux fédéraux.

Ce sont donc les faits et quelques leçons à tirer des faits que je viens de vous énoncer. Maintenant, que reste-t-il à faire? Deux mots là-dessus avant que je cède la parole au chef de l'Opposition. Sur le fond, sur la démarche, on n'aurait pas dit cela il y a quatre mois, mais maintenant il semble qu'au Québec, en tout cas, sinon l'unanimité, du moins la vaste majorité de la population est en train de devenir d'accord qu'il ne faut pas se faire avoir et je pense que les gens ont décidé qu'on ne se ferait pas avoir. Par conséquent, les intervenants pourraient utilement nous guider non seulement sur le contenu de ce coup de force fédéral, mais sur les orientations qui peuvent s'ouvrir

maintenant à nous du gouvernement du Québec et à nous Québécois devant l'impasse constitutionnelle invraisemblable, devant cet écheveau absolument imprévisible dans lequel les libéraux fédéraux ont mis l'ensemble du Canada et le Québec en particulier. Ce sont eux les responsables de la situation, ce sont eux qui ont fait que les Canadiens, au cours des derniers mois, alors qu'il y a pas mal d'autres problèmes importants à résoudre, ont été obligés de consacrer, ne serait-ce que pour éteindre le feu qu'ils avaient allumé, de l'énergie, du temps et de l'argent aussi à combattre un invraisemblable projet.

Devant cela, quelles sont les avenues qui s'ouvrent à nous? Nous avons déjà publiquement dit - et je le répète, cela fait même partie de notre campagne d'information, c'est évident - que nous sommes, comme gouvernement, disposés à retourner à la table de négociation. Nous avons demandé et nous demandons encore au gouvernement central, aux libéraux fédéraux, de revenir à la table de négociation, le point de départ étant - je pense que tout le monde va être d'accord là-dessus - ce consensus auquel les provinces étaient arrivées à la fin du mois d'août dernier et au début de septembre.

Mais il y a peut-être d'autres possibilités, il y a peut-être d'autres priorités. Je vais terminer simplement en disant, pour ceux qui interviendront aujourd'hui et dans les jours qui viennent, que cela nous intéresserait, nous du gouvernement et probablement aussi ceux de l'Opposition, d'entendre les suggestions qu'on pourrait nous faire quant aux moyens non pas d'aller résoudre un problème qu'Ottawa a lui-même posé, en somme, prendre la responsabilité, nous, de la situation inacceptable dans laquelle tout le Canada se trouve maintenant à cause des libéraux fédéraux, mais, malgré tout, au-delà de cela, de voir, une fois que la brume sera tombée, quel cheminement pourrait suivre le Québec pour progresser dans la voie de l'acquisition des pouvoirs qui lui manquent encore et qui sont nombreux à cet égard. Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Opposition officielle.

M. Claude Ryan

M. Ryan: Mme la Présidente, je voudrais d'abord signaler que c'est la première fois, à ma connaissance, que les travaux d'une commission parlementaire sont télédiffusés.

La Présidente (Mme Cuerrier): De ce genre-ci, oui. Mais pas les autres commissions.

M. Ryan: Tout en me réjouissant de cet événement, je voudrais regretter le contexte partisan et unilatéral dans lequel la décision de procéder aujourd'hui a été prise. Jusqu'à maintenant, toutes les décisions relatives à la télédiffusion des débats de l'Assemblée nationale avaient été prises à l'unanimité, avec l'accord de tous les partis. Par conséquent...

La Présidente (Mme Cuerrier): Je vous demanderais quand même de faire vos commentaires sur le mandat de la commission d'aujourd'hui. Bien sûr, il ne faudrait pas utiliser tout le temps que vous avez pour faire cela.

M. Ryan: Madame, nous discutons justement d'un geste, d'une initiative qui procède d'un esprit d'unilatéralisme à Ottawa. Je voudrais signaler que l'unilatéralisme n'est pas la faiblesse d'un seul gouvernement, mais la tentation de tous les gouvernements. Dans ce cas-ci, on a sauté des étapes pour satisfaire les intérêts électoralistes du gouvernement, et je tiens à enregistrer ma protestation sur la manière dont cette décision a été prise, contrairement à toutes les habitudes suivies jusqu'à maintenant. Ceci étant dit...

La Présidente (Mme Cuerrier): J'allais vous rappeler, M. le chef de l'Opposition officielle, qu'il y a toujours des moyens, au niveau de la commission parlementaire qui est maîtresse de ses travaux... Elle pourrait toujours, même aujourd'hui, proposer le huis clos si elle le désirait, vous savez. On pourrait débattre cette question.

M. Ryan: Ce que je veux souligner, c'est que la manière dont la décision a été prise..

La Présidente (Mme Cuerrier): C'est le règlement qui nous permet de faire cela.

M. Ryan: ... consiste à laisser entre les mains du leader du gouvernement toute la responsabilité dans une affaire comme celle-là. Cela veut dire, si on suivait la logique observée pour cette décision-ci, qu'à l'avenir, le leader du gouvernement aura l'autorité pour décider seul lesquelles des commissions verront leurs travaux télédiffusés et lesquelles échapperont à ce moyen de communications. C'est là-dessus que nous en avons. Nous croyons qu'on fait un précédent, cette fois-ci, qui peut avoir des implications très dangereuses. Je voulais le signaler avec le plus de clarté possible.

La Présidente (Mme Cuerrier): À ce propos, de toute façon, M. le chef de l'Opposition officielle, je vous dirai que quand la télévision des débats est arrivée à

l'Assemblée nationale, il y avait eu une résolution de l'Assemblée nationale demandant au président de le faire. Moi, j'ai présidé l'Assemblée nationale et, un jour, la télévision est arrivée et j'ai travaillé de la même façon. Quand les questions avec débat sont arrivées, j'ai présidé régulièrement des commissions sur des questions avec débat et, un jour, elles ont été télédiffusées et j'ai continué à faire le même travail.

Aujourd'hui, la télévision est arrivée. J'ai présidé souvent des commissions comme celle-ci et, à moins que vous ne vouliez intervenir par l'article 147 de notre règlement qui propose le huis clos, je vous demanderais de faire vos commentaires quant au mandat de la commission d'aujourd'hui.

M. Ryan: ...que nous pourrons reprendre ce débat dans un autre forum. Je tenais à inscrire ma dissidence quant à la manière dont on a procédé. Je vais maintenant continuer en abordant les questions qui se rattachent immédiatement au mandat de cette commission.

La Présidente (Mme Cuerrier): Vous avez la parole.

M. Ryan: Avec votre bienveillante permission, Mme la Présidente, je vous demanderais de me donner un petit peu de temps, parce que, là, nous venons de perdre dix minutes à propos de cette incident-ci et je ne voudrais pas que ça compte parmi...

La Présidente (Mme Cuerrier): Trois ou quatre minutes...

M. Ryan: ...les minutes que vous m'avez accordées pour le fond du problème.

La Présidente (Mme Cuerrier): Je vous ferai remarquer que ce n'est pas moi qui l'ai abordé. De toute façon, je tiendrai compte de cette intervention.

M. Ryan: C'est très bien. Le ministre des Affaires intergouvernementales, dans son discours d'introduction, a résumé les évévements des derniers mois. Je n'entends pas répéter les choses qu'il a dites. Je vais essayer d'aller au-delà de ce qu'il a dit sur certains points; peut-être même m'arrivera-t-il d'être d'accord avec lui sur d'autres points. Nous verrons en cours de route.

Je l'entendais parler - une simple remarque préliminaire - du coup de force fédéral. J'ai remarqué que, vers la fin de son intervention, il était déjà plus nuancé. Il parlait du projet de coup de force fédéral. Je pense qu'il faut signaler, en toute vérité, qu'un coup de force, c'est une mesure qui vous est imposée d'autorité, sans que vous ne puissiez rien faire pour l'arrêter ou pour en empêcher l'exécution. Tandis, qu'ici, nous sommes en face d'un projet mis de l'avant par le gouvernement fédéral, longuement discuté au parlement fédéral, et devant lequel nous avons un très grand nombre de recours possible. On peut être en désaccord avec le gouvernement fédéral. Nous le sommes, de notre côté. Mais de là à dire que c'est un coup de force avec tout ce que cela implique, je pense qu'il y a quand même une limite.

Vous parliez tantôt, M. le ministre, de respect de la vérité. Je pense qu'il faut le pratiquer sur toute la ligne. Dans ce cas-ci, nous sommes en faveur de parler d'un projet inacceptable, mais qui n'est pas encore rendu à l'état de coup de force. S'il avait été possible de le réaliser jusqu'à la fin, de le mettre en oeuvre, concrètement, là, on serait en présence d'un coup de force. Actuellement, on est en présence d'un projet qui est inacceptable. (11 heures)

Vous avez parlé de la résolution qui a été présentée par le gouvernement à l'Assemblée nationale, en novembre dernier. Je relisais, ce matin, en m'en venant de Montréal, le projet de résolution dûment amendé que l'Opposition avait soumis au gouvernement et le gouvernement a voté contre ce projet de résolution dûment amendé, conformément au voeu exprimé par la population à l'occasion du référendum. Si le gouvernement avait réellement voulu l'unité dans ces questions, il aurait été très facile de l'obtenir et j'invite le ministre à relire les amendements que nous avions proposés avec deux ou trois mois de recul; il s'apercevra que c'étaient des amendements extrêmement raisonnables.

Ceci étant dit, je considère que les développements les plus importants qui sont survenus depuis nos dernières rencontres du mois de décembre sont sans doute les suivants. D'abord, il y a eu le dépôt au Parlement par le gouvernement canadien de ses amendements au projet de résolution, des amendements très nombreux qui modifient le projet sur plusieurs points qui, en particulier, en matière de droits fondamentaux, contiennent plusieurs des garanties qui faisaient défaut dans le projet initial. Cela ne change pas les objections que nous avons à l'encontre du caractère unilatéral de la démarche fédérale, mais je pense que tous les observateurs sérieux et impartiaux conviennent que cette partie du projet fédéral a été grandement améliorée par les amendements qu'a déposés le gouvernement au début de la présente année.

En matière de droits linguistiques, je pense que le projet fédéral multiplie les complications au lieu de les amenuiser et de les éliminer. En matière de procédure référendaire, il y a certains assouplissements qui sont contenus dans le projet fédéral qui ne rendent pas le principe même d'un

référendum invocable à perpétuité acceptable pour nous mais, quand même, il y a certains assouplissements qu'on peut noter en toute bonne foi. Ceci étant dit, le projet, dans son ensemble, demeure inacceptable aux yeux de l'Opposition officielle pour les raisons que nous avons énoncées à maintes reprises, surtout en raison de son caractère unilatéral et de l'absence, par conséquent, d'un accord raisonnable entre les provinces et le gouvernement fédéral.

Deuxième développement majeur que le ministre a souligné et dont je suis heureux de parler à mon tour pendant quelques minutes: le rapport du Foreign Affaire Committee de la Chambre des communes britannique. J'ai eu l'occasion, au cours de la fin de semaine, de prendre connaissance du texte du rapport que le ministre a eu la bienveillance de nous faire tenir dès qu'il l'a reçu à Québec, et je l'en remercie. Ainsi que je le disais à une réunion de mon parti dimanche dernier, j'ai été très agréablement impressionné par la haute qualité intellectuelle de ce document dont je voudrais très brièvement résumer les principes essentiels parce que, plus tard, j'aimerais beaucoup suggérer que la commission parlementaire que nous formons exprime son adhésion à l'endroit de ces principes. Je les résume comme ceci, suivant la lecture que j'en ai faite.

D'abord, le Canada n'est pas seulement le gouvernement fédéral, c'est le gouvernement fédéral plus les provinces. Cela avait déjà été dit clairement par la Cour suprême dans son opinion sur la validité d'un projet de loi remontant à une couple d'années et touchant la modification du Sénat canadien. Le Foreign Affaire Committee de la Chambre des communes britannique exprime clairement cette vérité qui, pour nous, est une vérité d'évidence.

Deuxièmement, l'intervention du

Parlement britannique dans cette affaire ne peut pas être assimilée à l'intervention d'une puissance étrangère dans les affaires du Canada, pour la raison suivante: cette intervention fait partie, est un élément constitutif du système constitutionnel canadien et ceci, de par la volonté même des éléments qui constituent la fédération canadienne, c'est-à-dire le Parlement fédéral et les provinces. Quand on a adopté le statut de Westminster, en 1931, les gouvernements du Canada, gouvernement fédéral et provinces, ont insisté pour qu'on inscrive dans le statut de Westminster un article spécial prévoyant que ce statut ne devait, en aucune manière, entraîner la possibilité d'amendement aux lois et à la constitution du Canada comme elles existaient à ce moment-là. C'est par conséquent à notre demande que le Parlement britannique continue à avoir un rôle dans les affaires constitutionnelles canadiennes, ce n'est pas du tout parce qu'ils veulent s'ingérer dans nos affaires et on peut sentir, en lisant le rapport du Foreign Affairs Committee, qu'ils seraient très soulagés de ne plus avoir à se mêler de nos affaires.

Troisièmement, on a laissé entendre dans certains milieux que le Parlement britannique n'avait à intervenir que d'une manière pour ainsi dire automatique dans les affaires constitutionnelles canadiennes soumises à son attention. Le comité du Parlement britannique souligne avec raison que le rôle du Parlement britannique, c'est plus que ça, c'est un rôle de fiduciaire, c'est un rôle de mandataire et non pas simplement un rôle de maître de poste. S'il avait dû s'agir uniquement d'un rôle de maître de poste, on n'aurait pas eu à faire inscrire dans le statut de Westminster l'article spécial dont je parlais tantôt.

Ce rôle de fiduciaire ne donne pas au Parlement britannique l'autorité voulue pour se prononcer sur le contenu des propositions qui peuvent être soumises à son attention. C'est évident que ce sont là des matières qui relèvent de la souveraineté canadienne, mais il lui appartient de vérifier la convenance des voies par lesquelles un projet lui est soumis. Il faut qu'il s'assure, étant donné la responsabilité de fidicuaire qu'il a à l'endroit de tout le peuple canadien, qu'une requête dont il a à disposer soit conforme à la volonté clairement exprimée du peuple canadien. C'est sa responsabilité de fiduciaire. Il n'a pas à dire: Ce projet-ci est bon ou n'est pas bon, mais il a à s'assurer que le projet reflète la volonté clairement exprimée de la population canadienne.

Lorsqu'il intervient, il doit le faire -c'est lui qui le dit, nous sommes parfaitement d'accord là-dessus - d'une manière qui soit consistante avec la nature fédérale du système politique canadien. Je pense que ceci résume ce document magistral, il faut le dire, très bien fait, très fouillé, qui a été livré à la Chambre des communes britanniques par le comité spécial chargé de l'étude des questions de politique étrangère; je pense qu'il faut l'inscrire comme un développement majeur des derniers mois.

En plus de ça, il y a bien d'autres événements particuliers qui sont survenus, mais je pense qu'on peut en faire grâce aux membres de cette commission pour l'instant. Ce que je suis enclin à conclure pour l'instant - je tire des conclusions assez différentes de celles que proposait tantôt le ministre des Affaires intergouvernementales -c'est que je crois que la cause a été abondamment entendue au Québec au cours des derniers mois. Sur le fond, il y a accord entre les grandes formations politiques, et je ne sais pas si je pourrais dire la plupart des organisations qui ont été appelées à se prononcer sur le sujet ou qui pourraient

l'être, mais, en tout cas, dans les opinions que nous avons entendues un peu partout à travers le Québec; je pense qu'un consensus assez répandu va dans le sens d'un jugement considérant le projet fédéral comme inacceptable dans sa forme actuelle et le select committee de la Chambre des communes britanniques vient de résumer, d'une manière excellente, les arguments qui ont été invoqués à l'encontre du projet. Au stade où nous en sommes, je crois sincèrement que nous n'avons pas beaucoup de profits à retirer d'un examen interminable des objections à l'encontre du projet fédéral: elles ont toutes été entendues et formulées à maintes reprises. Je suis convaincu que ce que nous entendrons au cours des prochains jours n'apportera pas beaucoup de neuf en matière d'argumentation. Nous écouterons avec respect les témoins qui ont été convoqués par la présidence, mais je pense que vous comprendrez, nos concitoyens partageront sans doute cette réaction, que l'essentiel a été dit de ce côté.

Deuxièmement, nous continuons de penser du cûté de l'Opposition - et je l'avais dit clairement dès le début de novembre à l'Assemblée nationale - que le projet fédéral, dans sa forme actuelle, n'a à peu près aucune chance de se rendre à destination. Déjà, des obstacles de plus en plus nombreux s'élèvent. Quand j'entends le ministre des Affaires intergouvernementales s'attribuer le mérite du point où nous semblons devoir aboutir, je pense que c'est passablement excessif. Je pense qu'il y a beaucoup de gens, beaucoup de groupes qui ont travaillé de manière que ce projet-là ne soit pas accepté, mis en oeuvre dans sa forme actuelle. Je pense qu'il faut élargir les perspectives quand il s'agit de commencer à distribuer les mérites.

Le vrai problème, dans la mesure même où le projet fédéral perd pratiquement toute chance de réalisation à mesure que les jours passent, redevient celui du renouvellement en profondeur du fédéralisme canadien et de la direction qu'il convient d'imprimer au renouvellement de la fédération canadienne.

Troisième élément très important: nous sommes maintenant entrés d'une manière certaine - le premier ministre de la province de Québec l'a confirmé hier - dans une période immédiatement préélectorale. Dans une déclaration qu'il faisait hier au CEGEP Édouard-Montpetit, suivant un compte rendu de la Presse canadienne que reproduit le Soleil d'aujourd'hui, "le premier ministre René Lévesque a déclaré qu'il ne voyait plus de raisons pour retarder la tenue d'élections générales au Québec et qu'elles seraient appelées bientôt. Il a indiqué que les projets du fédéral ne pouvaient plus retarder la tenue de l'élection?

En conséquence, le problème devient à chaque jour qui passe celui qui consiste à donner à la population du Québec la chance d'indiquer celui des partis politiques québécois à qui elle veut confier la direction de ses affaires au cours des prochaines années et, en particulier, la responsabilité de faire en sorte que le système fédéral canadien soit renouvelé en conformité avec la volonté maintes fois exprimée par la population du Québec et les nombreux gouvernements qui ont été appelés à la représenter à cet égard.

Nous sortons, par conséquent, rapidement de la période où nous étions l'an dernier. Nous sommes à quelques semaines probablement des élections -et vouloir faire croire à la population du Québec que l'on pourra procéder dans cette commission à un examen serein, impartial et objectif des implications d'un projet qui est déjà, à toutes fins utiles, voué à l'échec, je pense que c'est demander à la population un acte de foi passablement excessif. Le plus tôt possible nous en viendrons à la véritable rencontre, qui est celle que nous attendons tous depuis que le gouvernement a décidé de s'accrocher au pouvoir, je pense que nous serons beaucoup plus proche de la vérité politique dont parlait tantôt le ministre des Affaires intergouvernementales.

Dans ces conditions, je voudrais vous prévenir, Mme la Présidente, que je soumettrai à cette commission les deux recommandations suivantes: d'abord, qu'elle exprime son adhésion aux recommandations et conclusions contenues dans le rapport du Foreign Affairs Committee de la Chambre des communes britannique et qu'elle exprime du même coup son appréciation pour la haute qualité intellectuelle du rapport publié par ce comité la semaine dernière. Deuxièmement, j'entends recommander que cette commission propose que le gouvernement fédéral sursoie à la mise en oeuvre de tout projet unilatéral de modification de la constitution canadienne jusqu'à ce que de nouvelles négociations aient eu lieu avec les provinces au sujet d'une formule acceptable de rapatriement et d'amendement et que de telles négociations soient entreprises aussitôt qu'auront eu lieu les élections générales en Ontario et au Québec.

C'est évident que retourner à la table des négociations au moment où tout le monde se prépare fébrilement à se lancer en campagne électorale, ce serait du plus haut irréalisme. L'Ontario a décidé d'aller en élection. Je pense qu'une fois que le peuple aura scellé par sa volonté souveraine le sort de l'élection, en Ontario et au Québec, nous serons beaucoup mieux placés pour envisager la reprise de ces négociations, sans lesquelles aucune solution ne peut être apportée au problème constitutionnel canadien et, à plus forte raison, au problème découlant du projet du gouvernement fédéral.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Union Nationale.

M. Michel Le Moignan

M. Le Moignan: Mme la Présidente, au nom de notre formation politique, je dois dire que nous sommes très heureux de la reprise de cette commission. D'ailleurs, au cours de l'automne, l'Union Nationale avait demandé un débat d'urgence à l'Assemblée nationale et nous avions même proposé la télédiffusion des débats dans le simple but de mieux sensibiliser le public à l'importance de cette question. Je dois dire qu'à ce moment-là personne, je pense, ne clamait que la proposition du gouvernement Trudeau était vouée à l'échec et, dès les premiers jours, M. Trudeau se félicitait déjà de sa victoire. Je dis que c'est très heureux qu'il y ait eu à travers le Québec et même à travers le Canada certains mouvements de protestation qui ont donné l'heureux résultat de ralentir l'ardeur du gouvernement Trudeau qui a tenté de faire adopter son projet de résolution. Au cours des dernières semaines, il y a tout un éclairage nouveau, grâce au rapport du Foreign Affairs Committee, certaines réticences de certains députés libéraux qui siègent à la Chambre des communes et de nombreux groupes à travers le Québec et le Canada protestent et apportent tout de même de très bons arguments. La force des sondages nous indique que le peuple canadien en général ne veut pas accepter ce projet de résolution.

Personnellement, je suis très heureux aujourd'hui de voir que nous avons une occasion peut-être unique de sensibiliser la population. Les gens ne sont pas encore au fait de tous les détails, parce que, quand on voyage, quand on rencontre des gens, on voit qu'ils sont loin d'avoir tout l'éclairage nécessaire et plusieurs disent bien haut: Cessons donc d'en parler, passons à autre chose. On dirait que les gens ne sont pas tellement renseignés et la commission que nous tenons cette semaine aura pour effet de les mieux renseigner.

Quand on a parlé, dès le mois d'octobre, du coup de force de M. Trudeau, nous l'avions dénoncé à ce moment-là. Nous n'avons jamais changé d'idée. Nous avions même demandé la convocation d'urgence de l'Assemblée nationale et, au mois de décembre, nous avons eu l'occasion, ici même, pendant deux jours, d'entendre les représentants du gouvernement, l'ancien juge Pratte, entre autres, et Me Normand qui ont donné le point de vue du Québec et qui nous ont expliqué un peu les conséquences néfastes de ce projet de résolution, si jamais M. Trudeau réussissait à obtenir gain de cause dans un domaine aussi complexe et aussi sacré, surtout pour ce qui concerne particulièrement l'avenir du peuple québécois.

On s'est aperçu que cette sensibilisation du public dépassait grandement les murs de l'Assemblée nationale. Nous avons été très heureux en cours de route de voir que de nombreux groupes se sont donné la main, qu'il y a eu des pétitions et, finalement, que tout ceci a créé un peu de gêne à la Chambre des communes alors qu'on mentionnait dernièrement qu'environ une vingtaine de députés de la formation libérale à Ottawa n'acceptaient pas, par exemple, le principe du bilinguisme que l'on voulait imposer au Québec alors qu'on voulait en dispenser la province de l'Ontario. Je ne veux pas entrer dans ces détails pour le moment, mais on voit qu'il y a là deux poids, deux mesures et que le Québec, étant donné sa situation géographique et historique surtout, quand on pense à toutes les luttes que nous menons ici depuis 300 ans, ne peut laisser passer inaperçue une occasion - même si le projet semble voué à l'échec - pour dételer, une occasion pour dire: Enfin, la chose va se régler et on va garder le silence au Québec. Je pense que c'est le moment d'enfoncer les derniers clous afin qu'on ne trouve pas là-bas d'autres arguments peut-être pour venir affaiblir la position du Québec et de tous les Québécois et aussi des francophones qui s'inquiètent également dans les autres provinces face aux droits linguistiques, entre autres.

Je voudrais maintenant attirer l'attention des membres de cette commission et du public en général sur des observations des évêques du Québec. Je crois que c'est très important, étant donné que tous les groupes intéressés sont invités à exprimer leur opinion. Les évêques, sans partisanerie, viennent de publier, ce matin, un document très important et je voudrais vous faire part de quelques commentaires. Ce document se termine par une citation de Jean Paul II, des paroles qu'il prononçait à Rio de Janeiro le 2 juillet 1980, et je cite: "En servant la cause de la justice, l'Église ne prétend pas provoquer ou creuser des divisions, exaspérer des conflits ou les rendre possibles. Au contraire. Par la force de l'Évangile, l'Église aide à voir et à respecter en chaque homme un frère. Elle incite au dialogue les personnes, les groupes et les peuples pour que la justice soit sauvegardée et l'unité préservée."

Les évêques nous rappellent que déjà, en 1867, à l'occasion de la Confédération, ils s'étaient prononcés. Ils l'ont fait également au centenaire, en 1967, et, aujourd'hui, les évêques considèrent le projet tellement important - on nous le dit ici - à l'occasion d'un projet d'importance exceptionnelle qu'ils ont décidé de faire entendre leur voix. Les évêques insistent sur des points, je pense, qui nous touchent, des points de nature à faire réfléchir surtout les parlementaires de la Chambre des communes et du Sénat

canadien. Je pense qu'il y a ici un excellent résumé de points que nous avons nous-mêmes défendus et que la plupart des députés aussi de l'Assemblée nationale du Québec ont fait leur au cours des derniers mois.

Ici, en page 2, les évêques parlent des droits et des valeurs en cause. Je cite donc: "Qu'il s'agisse des autochtones, de la communauté anglophone ou de la communauté francophone dans l'ensemble du Canada, nous estimons que le rapatriement de la constitution ne devrait nullement restreindre les droits déjà reconnus par l'Acte de l'Amérique du Nord britannique et par les tribunaux en ce qui concerne les valeurs fondamentales humaines et chrétiennes, telles que le droit à la vie, la liberté de conscience et de religion, les langues officielles, l'éducation, le respect des minorités, la promotion humaine, etc. D'autre part, on comprendra que nous accordions une attention spéciale à ce qui concerne le Québec, où nous exerçons notre ministère, et à toute la communauté francophone à laquelle, même en dehors du Québec, nous sommes unis par des liens historiques." Les évêques continuent: "Nous ne pouvons être indifférents aux inquiétudes et aux fortes oppositions suscitées à travers tout le Canada, et particulièrement au Québec, par un projet de modification de la constitution du pays. Il s'agit de droits acquis qui sont menacés, d'un partage des pouvoirs qui risque de ne pas être équitablement défini, de la personnalité et du râle historique du Québec et de la communauté francophone au sein du Canada. Il y a là sans aucun doute de graves problèmes de justice ainsi que des valeurs essentielles à sauvegarder si nous voulons, comme c'est notre devoir de chrétiens, assurer à tous les citoyens de ce pays la prospérité et la paix." Je pense que les évêques sont assez explicites sur ce point.

Maintenant, on continue ici, dans un autre paragraphe, où on parle de la modification de la constitution et de la paix sociale. "Dans la situation exceptionnellement difficile où nous nous trouvons, nous sommes convaincus que les hommes politiques doivent s'appliquer avant tout à la réalisation d'un consensus aussi large que possible. Une constitution doit exprimer un vouloir vivre collectif et des valeurs fondamentales acceptées par l'ensemble d'un peuple. "Nous ne voyons pas comment la paix sociale pourrait être bâtie sur une constitution qui n'a pas obtenu l'accord des parties contractantes et des grands partenaires de l'autorité publique. Cette paix serait encore moins possible au Canada puisque, selon l'esprit de la Confédération et la tradition juridique, toute modification substantielle de la constitution, pour des motifs enracinés dans la dualité fondamentale du pays, requiert l'accord du Québec".

Mme la Présidente, nous avons déjà insisté sur ces points de vue, en montrant tout ce qu'il y avait de sacré dans le pacte confédératif, et aussi, en même temps, sur la nécessité de bien comprendre que le gouvernement fédéral, que le Parlement du Canada, ne peut, à lui seul, modifier unilatéralement une constitution qui, en somme, doit être discutée, doit obtenir l'assentiment de toutes les provinces canadiennes.

Je vous cite un dernier paragraphe de cette lettre des évêques: "La solution des problèmes soulevés exigera une grande prudence et sans doute plus de temps qu'on ne l'avait prévu tout d'abord. Les divers gouvernements du Canada sont placés dans une situation historique qui réclame une lucidité, une générosité et une souplesse plus grandes que jamais. Sous peine de s'engager dans une impasse, ils devront éviter toute forme d'obstruction, en particulier celle que pourrait suggérer la recherche égoïste de certains avantages dans le partage des biens et la redistribution des revenus."

Quand le gouvernement du Canada nous dit que cela fait 53 ans qu'on tourne en rond, les évêques, sans insister sur ce point-là, semblent nous dire qu'il est mieux de prendre encore quelques mois ou quelques années pour être capables de régler nous-mêmes, ici au Canada, ces différents problèmes qui nous touchent.

Maintenant, Mme la Présidente, en me référant au comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes, tout le monde sait, je pense, que l'Union Nationale a été la seule formation politique à comparaître devant ce comité à Ottawa, le 17 décembre dernier. Je reprenais à ce moment-là ce que j'avais déjà affirmé ici, à l'Assemblée nationale. Je voudrais vous citer simplement un paragraphe qui résume la position de notre formation politique et qui, en même temps aussi, rejoint un peu les aspirations et les craintes de la population du Québec en général.

Je déclarais donc ceci à Ottawa, le 17 décembre dernier: "Nous sommes convaincus que toute cette question de rapatriement sert présentement de subterfuge au gouvernement fédéral pour justifier devant l'opinion publique canadienne et le recours à une action unilatérale de la part d'Ottawa et la modification immédiate de la constitution canadienne par un Parlement étranger, c'est-à-dire le Parlement du Royaume-Uni, sur ces deux points fondamentaux où il n'y a pas accord entre les deux ordres de gouvernement à l'heure actuelle, soit l'introduction du référendum comme formule d'amendement et, deuxièmement, l'enchâssement d'une charte des droits et des libertés."

Je considère comme fort heureux le fait que ce Parlement étranger, par la voie du select committee, ait fait preuve de plus

de discernement et de plus de bon sens que nos députés du Québec qui nous représentent à Ottawa.

Quand on regarde, dans ce paragraphe du Foreign Affairs Committee, ses conclusions et ses recommandations, il y en a deux, entre autres, qui ne laissent planer aucun doute. Je veux parler des articles 7 et 8 des recommandations.

À l'article 7, on dit ceci: "There is no rule, principle or convention that the United Kingdom Parliament, when requested to enact constitutional amendements directly affecting Canadian federal-provincial relations, should accede to that request, only if it is concurred in by all the provinces directly affected." (11 h 30)

Je pense qu'à ce moment-là, quand ce comité de Londres refuse de marcher, parce qu'il n'y a pas l'accord unanime de toutes les provinces du Canada avec le gouvernement central, ceci ne nous apprend rien de nouveau. Mais c'est un gouvernement étranger qui vient rappeler au gouvernement du Canada quels sont ses droits, quels sont ses devoirs et quelles sont ses obligations et les limites où peut" aller notre gouvernement central.

Dans l'article 8 de la conclusion, on nous dit ceci: "The United Kingdom Parliament from the mental role in this matter is to decide whether or not a request conveys the clearly expressed wishes of Canada as a whole, bearing in mind the federal character of the Canadian constitutional system." Alors, ce sont encore des étrangers qui viennent nous dire de quelle façon nous devons interpréter notre véritable fédéralisme.

Quand on regarde les débats qui se poursuivent à la Chambre des communes, je pense qu'on n'a pas le droit d'être sourd. Il ne faut pas s'enfoncer la tête dans le sable, à ce moment-ci. Il y a un but qui est poursuivi là-bas - espérons qu'ils ne l'atteindront pas - c'est d'être capable de faire avaler, par les Québécois et par les Canadiens, un projet de résolution qui répugne à tout le monde et qui va à l'encontre du véritable fédéralisme que l'on prétend défendre là-bas, à la Chambre des communes.

Je pense qu'il y a énormément de choses ici à retenir et cette commission va nous fournir l'occasion... Nous avons déjà entendu certains mémoires à l'automne. Nous aurons l'occasion, ce matin, d'écouter M. Dion qui n'est tout de même pas le dernier venu dans le domaine constitutionnel. Nous en aurons d'autres également au cours de la journée. En ce qui nous concerne, nous allons être très heureux de retrouver à Montréal, le 7 février, M. Dion qui viendra à l'Union Nationale, comme il l'a fait, j'imagine, devant les autres formations politiques, nous apporter de l'éclairage et de la lumière, alors que l'Union Nationale n'est pas morte encore, est loin d'être morte. Je n'en parlerai pas, parce que Mme la Présidente va me rappeler à l'ordre. Vous me regardez déjà. Je veux simplement vous dire que nous aurons une journée très intéressante où nous allons regarder ces problèmes qui concernent les Québécois.

Mais, en ce moment, quand j'entends certains réflexions, Mme la Présidente, cela me fait penser à ce que je lisais pas plus tard qu'hier soir, une citation de Maurice Barrès, en parlant des politiciens, des députés ou des hommes politiques, cela peut s'appliquer parfois. C'est drôle. Je ne dis pas à qui. Je ne vise personne. Maurice Barrès dit ceci: "L'homme politique est un équilibriste. Il s'équilibre en disant le contraire de ce qu'il fait." Je pense que ce serait bon de méditer cette pensée de Barrès parfois et de nous demander si nous sommes toujours logiques dans nos déclarations à l'Assemblée nationale ou dans nos déclarations qui ne sont pas complètes parfois ou dans certaines mesures aussi que nous prenons.

C'est une des raisons pour lesquelles nous allons, pendant cette commission... Je suis très content, personnellement, qu'elle siège. Nous l'avions demandé. Nous étions au moins d'accord, notre formation politique. Avec ce que les groupes nous diront aujourd'hui, avec ce que nous savons déjà, je crois que ceci sera certainement un SOS vis-à-vis de nos députés à Ottawa, pour leur indiquer que le Québec n'est pas mort, que le Québec ne croit pas à l'échec et que le Québec va intensifier ici son travail pour que ce véritable échec - nous le souhaitons -puisse contribuer à ce véritable fédéralisme que nous avons préconisé et que nous allons continuer de défendre. Le seul moyen - on l'a déjà demandé à M. Trudeau, le 12 septembre - c'était de revenir à la table de négociations. C'était de reprendre les négociations là où elles en étaient le 12 septembre. Mais le gouvernement du Canada a décidé le contraire et nous allons continuer de le talonner. Nous allons continuer aussi d'apporter notre contribution pour que les prochaines semaines, en particulier, soient décisives, qu'elles fassent avorter ce projet et qu'elles puissent donner raison surtout aux Québécois qui sont les plus menacés dans les circonstances.

Si jamais ce projet de résolution s'avérait une réussite, ce sont 300 années d'efforts, de luttes pour la survie d'un peuple qui sont menacées et je ne vois pas comment, à l'avenir, on pourrait s'en sortir si jamais nos députés québécois allaient sur la scène fédérale voter eux-mêmes notre arrêt de mort. Mme la Présidente, je termine sur ces remarques pour ce matin.

La Président (Mme Cuerrier): M. le ministre des Affaires intergouvernementales.

M. Claude Morin (réplique)

M. Morin (Louis-Hébert): Merci, Mme la Présidente. Je prendrai brièvement mon droit de réplique pour relever trois choses dans ce qu'a dit le chef de l'Opposition tout à l'heure. Premièrement, je vais rétablir un fait. Le chef de l'Opposition a donné l'impression, en parlant que j'avais tenté de m'attribuer le mérite du progrès que le Québec a fait au cours des dernières semaines et des derniers mois dans cette action que nous avons entreprise pour bloquer le coup de force fédéral. J'ai pourtant pris bien soin, chaque fois que j'en ai parlé, de dire que c'était une oeuvre de collaboration avec les autres provinces et que c'était aussi dû en bonne partie à l'évolution de l'opinion publique du Québec. Mais j'ai quand même mentionné, parce que c'est vrai, que le gouvernement du Québec, et non pas moi en particulier, avait sa part de responsabilité dans ce déroulement plus heureux des événements qu'on n'aurait pu le croire.

Le deuxième point que je veux relever, Mme la Présidente, c'est que - j'espère qu'on comprendra mon sens de l'humour j'écoutais le chef de l'Opposition et il m'a donné l'impression d'avoir un peu, si on me permet l'expression, les remords du pécheur repenti sur le lit de mort du projet fédéral. Maintenant, que les choses sont assez clairement définies - enfin, il semblerait, selon toutes les indications qu'on a, que le projet fédéral va avorter; il est très mal engagé et il va mal finir - il prend des attitudes que moi, j'aurais beaucoup aimé qu'il prenne et que nous aurions aimé qu'il prenne au moment de notre résolution à l'Assemblée nationale. Cela, tout le monde s'en souvient. J'ai été consterné personnellement de voir que, sur une résolution qui était écrite avec autant de soin...

M. Ryan: Mme la Présidente, question de règlement.

La Présidente (Mme Cuerrier): Question de règlement.

M. Ryan: Si le ministre veut bien relire les comptes rendus des débats à l'Assemblée nationale en novembre dernier autour du projet de résolution du gouvernement, il trouvera très clairement inscrite mon opinion disant que le projet fédéral n'avait aucune chance de se rendre jusqu'au bout. Ce n'est pas une chose qui est née d'aujourd'hui. Franchement, vous déformez les faits.

La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous plaît! Je pense, M. le chef de l'Opposition officielle, que de toute façon, au cours de la journée, vous aurez des occasions, lors des questions aux experts ou des échanges, de faire valoir vos points de vue. M. le ministre, votre réplique.

M. Morin (Louis-Hébert): Cela m'amène justement là où j'allais. Si c'est ça l'attitude du Parti libéral du Québec, on aurait aimé que cela paraisse depuis plus longtemps et plus souvent parce que, chaque fois que le gouvernement du Québec a pris une initiative (la résolution, la campagne d'information, cette commission même) il y a toujours eu des réticences du côté de l'Opposition libérale - je vais en parler du référendum, dans une seconde - comme si on voulait bien la fin, mais sans vouloir les moyens. C'est pour cela que j'ai dit que parfois vous me donnez l'impression - et on va voir si vous pouvez la corriger - que vous vous opposez à ce geste fédéral du bout des lèvres seulement, c'est-à-dire par des discours.

M. Ryan: On n'a pas besoin de votre approbation.

M. Morin (Louis-Hébert): Troisièmement, j'ai évité dans mon intervention de parler d'échéance électorale et de considérations comme celle-là. Le chef de l'Opposition a jugé opportun - il en a parfaitement le droit - d'y faire allusion en disant notamment que les Québécois auront bientôt à choisir, en somme, qui peut mieux défendre leurs droits et intérêts auprès du gouvernement fédéral. C'est vrai. Je suis d'accord là-dessus, sauf qu'il y a une considération que je tiens maintenant à faire valoir étant donné cette intervention du chef de l'Opposition. Ce sont eux qui se sont associés et qui ont invité le printemps dernier leurs collègues fédéraux à venir prendre part à la campagne référendaire, ce sont eux qui ont invité M. Trudeau à faire ses promesses. De deux choses l'une: ou bien ils savaient ce qui se tramait comme coup de force à l'époque et alors ils sont coresponsables aujourd'hui, ou bien ils ne le savaient pas et, à ce moment, ils se sont fait avoir. Je pense que les Québécois vont tenir compte de cet élément dans l'avenir, au moment où ils prendront leur décision. J'espère que le chef de l'Opposition a le sens de l'humour, car je termine avec une remarque qui est la suivante: Quelquefois - je ne l'applique à personne, ceux à qui le chapeau va, ils le mettront - l'attachement aux droits du Québec, c'est comme la confiture, si je peux m'exprimer ainsi, moins on pense en avoir, plus on veut l'étendre. Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Cuerrier): À ce moment-ci, j'ai le plaisir d'inviter à participer à la commission de la présidence

du conseil et de la constitution M. le professeur Léon Dion.

M. le professeur Léon Dion, j'ai vu un document que vous nous avez fait parvenir. Je vous demanderais, si c'est votre avis, d'en faire connaître l'essentiel et, ensuite, les membres de la commission de la présidence du conseil et de la constitution vous poseront des questions auxquelles vous voudrez bien répondre, si vous voulez. M. le professeur, vous avez la parole.

Mémoires M. Léon Dion

M. Dion (Léon): Merci beaucoup. Mme la Présidente, mesdames et messieurs les députés, je dois d'abord dire que je suis très heureux d'avoir été invité à rendre mon témoignage devant vous. Il me semble, pour moi en tout cas, que c'est un moment extrêmement important et j'ose espérer que vous jugerez que, pour vous-mêmes, ce fut également un moment non négligeable dans le cours des débats que vous avez eus et que vous aurez dans les prochains jours, sur la question.

En effet, j'ai un vade-mecum, je ne le lirai pas, mais je pense que je vais le présenter quelque peu. J'ai l'impression que vous avez eu le temps, depuis qu'il a été déposé ce matin, d'en prendre connaissance. Je vais quand même dire quelques mots pour indiquer les points sur lesquels, il me semble en tout cas, nous pourrions nous interroger.

Il apparaît évident que M. Trudeau a voulu introduire un élément de contrainte dans le processus constitutionnel qui semble ne pas pouvoir démarrer d'une façon qui permette d'aboutir. Eh bien, je suis d'accord avec cette idée, mais je ne suis pas d'accord avec la façon dont cette idée a été définie, proposée par M. Trudeau. Il me semble, en effet, qu'une constitution - je rejoins ici les propos de M. Le Moignan tout à l'heure - ne peut pas être autre chose ou reposer autrement que sur un large consentement de la population. C'est le très grand constitutionnaliste anglais, Dicey, qui, je crois, disait: Sur quoi repose le droit d'un gendarme d'arrêter un citoyen? C'est sur un règlement municipal qui lui permet d'agir de la sorte. Mais sur quoi ce règlement municipal lui-même repose-t-il? continuait-il. Il disait: Ceci repose sur une loi du Parlement qui autorise ainsi, par délégation, les municipalités à faire des réglementations. Mais, continuait-il, sur quoi repose le droit d'un Parlement de faire une loi qui va permettre aux municipalités de faire agir les gendarmes? Sur la constitution d'un pays, disait-il.

Eh bien, sur quoi repose la constitution d'un pays? Il disait: Sur rien. Sur rien, sinon le consentement des citoyens, consentement, bien sûr, vérifié selon certaines procédures que les sociétés démocratiques ont mises en oeuvre depuis une couple de centaines d'années. Je crois que c'est le point de départ fondamental. (11 h 45)

Comme bien d'autres, bien entendu, je m'oppose au projet fédéral concernant la constitution canadienne, parce qu'il me paraît à la fois antifédéraliste, antidémocratique et même illégal. Je ne reprendrai pas aujourd'hui les arguments qui furent présentés ici même devant vous, par Me Yves Pratte, et devant le comité conjoint fédéral, par le professeur Gil Rémillard.

Au-delà des vices de forme et des procédés outrageants auxquels les parrains du projet ont recours, ce projet pose pour le Québec une question fondamentale que je veux aujourd'hui poser moi-même. Pourquoi convient-il que le Québec, dans ses corps organisés aussi bien que dans ses collectivités spontanées, oppose d'un même élan une fin de non-recevoir absolue au projet fédéral?

Il n'entre pas dans mon propos aujourd'hui de faire une critique détaillée du projet de résolution. Je suis tout à fait d'accord avec M. Ryan, quand il disait que ce n'est pas le lieu d'entreprendre de nouveau une démarche qui a été si souvent reprise depuis quelques mois. Mon propos, c'est d'éviter peut-être que nous cédions à un certain triomphalisme à la suite d'événements qui ont pu survenir ces derniers temps, et je songe notamment au rapport du comité du Parlement anglais sur les affaires étrangères.

Bien que le projet fasse l'objet d'oppositions de plus en plus nombreuses au Québec même et dans les autres provinces, il me semble qu'il faille continuer dans ce sens, parce qu'il y a deux... Si c'est vrai qu'une constitution repose sur le consentement des citoyens, il faut que la population, les citoyens soient bien informés des enjeux, ce qui, je pense, n'est pas encore tout à fait le cas. Peut-être également pouvons-nous viser à ce que nos députés et nos sénateurs fédéraux qui nous représentent, enfin qui représentent la population à Ottawa, mettent plus de dents dans leur opposition à certains aspects du projet.

L'impasse actuelle, l'impasse constitutionnelle m'apparaît un excellent indicateur d'une crise de société tant au Canada qu'au Québec même et je pense que je voudrais que ce soit un peu l'accent de mon témoignage, ce matin. Il me semble que tant dans ses corps organisés que dans ses collectivités spontanées, le Québec notamment manifeste, par les problèmes... il faut les comprendre, il ne faut pas les juger trop vite et prendre une attitude trop hautaine devant les divergences de vues que nous avons au Québec, mais ces divergences

de vues manifestent, selon moi, qu'il y a des confusions, sinon une crise profonde dans plusieurs des parties organiques de la société québécoise.

Je sens que la commission ici même est chargée d'électricité et je ne voudrais pas y ajouter, moi-même, et faire déclencher une explosion. Mon but, en me présentant devant vous, n'est pas de provoquer les partis ou quelque parti que ce soit. Mais peut-être réussirai-je quand même là où M. Trudeau lui-même a échoué, c'est-à-dire faire l'unanimité contre moi.

Je pense que la constitution d'un pays est extrêmement pertinente pour ceux qui veulent se donner des projets de société et les poursuivre. Je songe notamment à la fois aux orientations pour les années quatre-vingt que le Parti québécois a proposées il y a quelques mois. Je songe au livre rouge que le Parti libéral du Québec a proposé, il y a quelque temps, à ses membres. Je songe à d'autres documents que j'ai eu l'occasion de lire, notamment, le manifeste de l'ex-comité MÉOUI qui propose également un projet de société. Eh bien, en regardant ces documents, il m'a semblé qu'il serait difficile, au moins sur certains aspects importants, qu'on puisse donner suite à des éléments de ces projets de société, à moins que la constitution qui régit le Québec puisse être amendée sous des aspects fondamentaux. Parce que, dans un projet de société, tout est lié, tout doit être cohérent; les structures juridiques et les structures politiques ou socio-politiques d'un pays ne sont pas indépendantes les unes des autres. Parfois en lisant ou en prenant connaissance de certaines réactions, j'ai l'impression que nous avons une façon extrêmement étroite, unidimensionnelle et linéaire de considérer la constitution comme étant un ouvrage purement juridique. En réalité, à mon avis, les aspects juridiques, bien entendu, comptent comme les cadres généraux qui vont permettre à l'ensemble institutionnel de fonctionner et qui vont légitimer ce fonctionnement, mais il n'en reste pas moins que ces cadres généraux comme tels ne peuvent pas influer sur une société au point de la distorsionner, de faire en sorte que cette société se renie dans des aspects qui lui sont fondamentaux.

J'aimerais passer très rapidement sur certains points. Il me semble qu'un projet de société doit, dans les années quatre-vingt, à la fin du XXe siècle, insister à la fois sur l'écologie, la démographie, la technologie, l'économie, les classes, les groupes sociaux, la culture et la politique elle-même. J'ai aligné un certain nombre d'éléments ici qui, peut-être, nous permettraient au moins de vérifier les aspects les plus forts des projets de société qui nous sont présentés depuis quelque temps et également peut-être aussi de porter un jugement sur le type de constitution que le Canada et le Québec lui-même devraient se donner, parce que la société de l'avenir, celle pour laquelle il nous faut une constitution sur plusieurs points importants, majeurs, essentiels, va différer de celle qui existait au moment où la constitution qui nous régit actuellement, l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867, avait été élaborée.

J'aimerais indiquer certaines implications de ces problèmes contemporains sur la question constitutionnelle. Il me semble que plusieurs des questions qui nous touchent aujourd'hui, tant du domaine de l'écologie que de la culture elle-même, ont à la fois une dimension planétaire et une dimension locale ou régionale. Il est possible que le type d'organisation socio-politique que nous avons appelé l'État-nation soit peut-être une formule qui, dans l'avenir, n'aura plus l'importance, comme structure d'organisation des sociétés, qu'elle a pu avoir à la fin du XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle. Ceci est, bien entendu, du domaine de l'avenir, mais je pense qu'on doit considérer qu'il y a, au-delà des solidarités dites nationales, des solidarités maintenant planétaires; il y a des problèmes qui ne peuvent être envisagés, pour ne pas dire résolus, qu'au niveau de l'ensemble du monde, de l'ensemble de la planète au moins. Également, par ailleurs et par opposition, on sent qu'il y a des solidarités nouvelles qui réapparaissent en deçà des structures socio-politiques traditionnelles, celles que nous avons eues depuis une centaine d'années au niveau des régions, des sous-groupes sectoriels et autres. C'est un problème, bien entendu, qui est posé à la constitution canadienne d'aujourd'hui et qui est, je pense, posé à ceux qui s'attachent à faire cette révision.

Il m'apparaît que nous aurions peut-être tort de nous en prendre exclusivement aux hommes. Je pense, par exemple, à M. Trudeau qui, en définitive, ne sera pas là dans cent ans quand cette constitution sera encore en vigueur et régira toujours les générations qui viennent. Je ne pense pas que ce soit vraiment lui... Je pense qu'il faut vous faire comprendre à vous-mêmes, si vous voulez, mesdames et messieurs, mais également à l'ensemble du public qu'une constitution est là pour répondre aux besoins d'une société et que, par conséquent, c'est dans cet esprit qu'il faut travailler et non pas dans un cadre purement politicien, dans le sens qu'il faut sauvegarder certaines données pour pouvoir conserver un certain prestige dans la vie politique.

Pour ma part, toute la position de M. Trudeau, je la comprends et je l'admets dans une très grande mesure. Il est animé par un sens d'urgence et, moi-même, je partage ce sens d'urgence. Il m'apparaît toutefois que le sens d'urgence ne peut pas être poussé

jusqu'au point où on déformerait un processus absolument essentiel de révision de la constitution, ce processus devant engager, bien entendu, des données concernant la démocratie, le fédéralisme et les aspects proprement légaux eux-mêmes.

Eh bien! l'impasse constitutionnelle m'apparaît révélatrice de la difficile problématique canadienne. Il ne faut pas nous le cacher, nous aurons, nous avons et nous avons eu des difficultés à pouvoir définir les dénominateurs communs à partir desquels l'instrument constitutionnel pourrait être élaboré. Il est clair que ce pays est soumis à des stress, à des tensions externes et internes très fortes et l'un de ceux qui a été le premier et le plus conscient de ces difficultés, de ces problèmes a été M. Trudeau lui-même, il y a plusieurs années. Vous savez que, dans l'ensemble du monde occidental, dans nos pays "surindustrialisés" qui s'en vont dans une direction où la qualité de la vie et d'autres préoccupations au niveau social seront peut-être plus importantes pour les générations de demain que ce ne le fut dans notre cas, les questions relatives à la production, à la productivité, à l'accroissement de l'économie, il semble bien que M. Trudeau est très conscient d'orientations qui pourraient, au niveau externe aussi bien qu'interne, rendre difficile la survie du Canada. Un des thèmes majeurs de la science politique d'aujourd'hui, c'est précisément celui de la "governability", la "gouvernabilité" des sociétés. C'est un thème, je crois, que M. Trudeau a repris très souvent à l'élection de 1973. Par conséquent, je crois qu'il faut tenir cela à l'esprit. Ce n'est pas facile. J'ai moi-même certaines orientations que j'ai déjà proposées à plusieurs reprises. M. Trudeau propose un modèle centralisé et moi, je crois que nous n'aurons pas la possibilité de construire un pays nouveau, fondé sur une constitution acceptable, si nous allons dans cette direction ou du moins si nous poussons trop fort dans cette direction.

Il m'apparatt également que le pays, la constitution prochaine ne devrait pas viser à une uniformité absolue des statuts entre les unités composantes. Il y a actuellement un élément de théorie qui se développe en sciences politiques concernant les problèmes dissymétriques et asymétriques concernant les fédérations. II me semble que le Canada, étant donné sa grande diversité non seulement en ce qui concerne le Québec, mais également en ce qui concerne d'autres provinces, d'autres régions du pays, gagnerait à assortir, à essayer d'assortir les problèmes concernant le besoin de plus grande centranté du pays et d'autres questions qui pourraient, sans dommage pour personne, être laissées à une plus grande décentranté. Moi-même, je propose ici qu'on puisse envisager l'équilibre entre ces deux modèles de centralité et décentralité ou de symétrie et dissymétrie selon une distinction tirée de l'informatique entre le "software" et le "hardware".

En ce qui concerne le "software" -langue, culture, communications, affaires sociales - il me semble qu'on pourrait permettre une décentralité très grande dans un pays comme le Canada. Il me semble d'ailleurs que c'est là la seule formule. Par contre, en ce qui concerne le "hardware", l'économie et la technologie, je crois -toutes les études récentes me paraissent l'avoir montré - qu'il faudra viser à une intégration plus poussée que ce n'est le cas aujourd'hui. Toutefois, cette intégration peut être poursuivie au plan constitutionnel, au plan juridique, de deux manières différentes: ou par l'attribution de pouvoirs ou de compétences très poussés au gouvernement fédéral, au gouvernement central, ou encore par la tentative d'en arriver à des formules de collaboration entre les provinces. Il y a des études actuellement. Je voudrais en mentionner une au passage de mes collègues Albert Breton et Anthony Scott. C'est "The Design of Federations" qui étudie exactement cette question de la décentralité et de la centralité et des coûts qui, évidemment, résulteraient d'un choix ou de l'autre. Les coûts, quand nous choisissons plus de centralité, c'est que la distance entre les citoyens et les groupes organisés est plus grande et que, par conséquent, certaines des préférences de ces citoyens, de ces groupes organisés ont beaucoup plus de difficulté à être retenues. Le coût pour une orientation plus décentralisée, c'est que les coûts de collaboration, les coûts de mise en concertation des unités composantes sont élevés.

Nous avons des choix et je pense que la révision constitutionnelle qu'on doit se donner - je n'ai pas actuellement les formules juridiques, je ne suis pas un juriste, je suis un politicologue - c'est dans ce sens, je crois, qu'il faut pousser des examens consécutifs. ( 12 heures)

En ce qui concerne le Québec - vous le savez autant que moi - il y a des problèmes auxquels nous nous confrontons et auxquels les partis politiques eux-mêmes sont confrontés et que peut-être même, dans certains cas, les partis politiques eux-mêjnes vont amplifier. Si vous le désirez, je serai extrêmement heureux que nous échangions sur l'une ou l'autre de ces questions. Une qui m'apparatt extrêmement importante, c'est celle de la spécificité du Québec. Dans quelle mesure, dans le contexte d'aujourd'hui, faut-il encore retenir l'idée d'un Québec qui a des caractères spécifiques tels, surtout reliés à la langue et à la culture, qu'ils ne puissent être, en aucune manière, concédés à ce qu'on appelle la polyarchie, c'est-à-dire la

simple loi des majorités et des minorités qui se font et se défont selon certaines orientations, certaines conjonctures dans une société? J'ai ma position là-dessus, que vous connaissez bien, et je voulais simplement le mentionner.

Quant à la question linguistique, j'ai également des positions extrêmement précises à ce propos qui sont fondées non pas sur des émotions, mais, au contraire, sur les meilleures études dont nous disposons actuellement concernant la question linguistique au Canada et au Québec. Â ce propos, je voulais soumettre au comité fédéral, au comité conjoint, mes idées sur la question linguistique non seulement pour le Québec, mais pour l'ensemble du pays, aussi bien au niveau fédéral qu'au niveau des provinces. Malheureusement, cela ne m'a pas été passible. Mais des journaux en ont publié certains extraits. Je pense qu'il y aura une publication prochaine de l'ensemble de mon document. Tout ce que je demandais au comité, ce n'est pas d'agir dans l'orientation que je préconise. Je demandais au comité de surseoir à toute réforme tant qu'une étude indépendante poussée de cette question fondamentale, qui est si source de passions entre nous, surtout au Québec, bien entendu, n'aura pas, encore une fois, procuré au Québec, au Canada, aux Québécois et aux Canadiens des orientations plus précises concernant les orientations à donner en matière linguistique.

Je pense que M. Louis Duclos et ses collègues députés fédéraux font montre d'un certain courage en s'opposant à certains points de l'article 23 du projet de résolution. Mais il me semble qu'eux-mêmes sont mal orientés en ce qui concerne leur propre option concernant les propositions d'amendement qu'ils font à ces articles.

En ce qui concerne l'avenir du nationalisme québécois, il m'apparaît que nous devons voir dans le problème constitutionnel qui nous confronte aujourd'hui comme un écho de cette tension qui existe chez les Québécois à propos de leur identité propre.

Nous pouvons distinguer de nombreuses variétés de nationalismes. Il me semble qu'une façon de voir actuellement la problématique du nationalisme québécois - et je prends ici le mot "nationalisme" dans son sens le plus neutre possible - c'est de le considérer dans sa définition de lui-même aujourd'hui. Ce qui s'est produit au début des années soixante - et ce pourquoi j'étais tellement fier moi-même et plusieurs de ma génération - c'était un éveil national qui était dans une direction quelque peu différente de l'orientation traditionnelle. Au lieu que ce fût un nationalisme, une conscience de soi collective poussée vers la recherche de la sécurité, la défense de ce que nous avons, etc., poussée par l'insécurité et le statut de minorité, il m'a semblé, durant les années soixante - ce pour quoi j'ai tellement vibré moi-même - que les Québécois étaient enfin parvenus à l'âge adulte, contents d'eux-mêmes et assurés qu'ils pouvaient maintenant être maîtres de leur destin, agir, la Manicouagan étant le symbole de cette nouvelle capacité d'agir collectivement.

Il me semble que, depuis quelque temps, les éléments plus défensifs dans ce sens de l'identité collective chez les Québécois ont repris de nouveau plus d'importance et que, par contre, à l'inverse, des éléments qui agissaient pour faire s'épanouir le sens de la fierté individuelle et collective chez eux sont en déclin.

Si cette orientation était fondée, il faudrait en chercher les causes. Et certainement qu'une des causes, c'est l'impasse constitutionnelle dans laquelle nous nous trouvons et l'insécurité que les Québécois, profondément, sans peut-être se l'avouer et le dire eux-mêmes trop fort, commencent à ressentir concernant les cadres protecteurs dans lesquels ils ont appris à évoluer depuis le début des années soixante, par suite des réformes de toute nature, d'ordre institutionnel, d'ordre économique, socio-économique et culturel dans la texture même de la société québécoise.

Un point que j'aimerais également mentionner, porter à votre attention, c'est la nouvelle problématique qui pourrait exister, advenant que le projet de résolution passe tel qu'il est ou sans changement vraiment majeur concernant la possibilité de poursuivre l'idéal de l'indépendance au Québec. Vous savez que je ne suis pas moi-même un indépendantiste. Je pense qu'il y a des moyens plus économiques pour les Québécois d'obtenir le statut constitutionnel politique qui leur donnerait la sécurité pour pouvoir fonder, construire une société qui soit conforme à leurs aspirations, mais, néanmoins, je suis parmi ceux qui estiment que c'est là une option ou une orientation parfaitement légitime et nécessaire qui sera toujours là et qui devra être reprise d'une façon ou de l'autre.

Dans le projet de résolution, il m'apparaît qu'il y a là un danger réel que cette orientation ne puisse plus être poursuivie de façon démocratique. Je mentionne ici trois raisons, peut-être qu'il y en a d'autres. En raison de la prépondérance qu'aurait le gouvernement fédéral dans la réorientation du fédéralisme canadien, en raison de la nécessité de l'accord formel d'autres provinces conformément à la formule d'amendement adoptée, il ne faut pas oublier une chose, quelle que soit la formule d'amendement adoptée, ce que les Québécois pourraient détenir, éventuellement, c'est un veto négatif. S'ils ne voulaient pas

de tel changement, ils pourraient dire non. Mais ils ne pourraient pas faire quelque chose de positif, à moins que les autres provinces, selon la formule d'amendement agréée, soient d'accord.

Par conséquent, il me semble que c'est là un danger formidable, très important pour ceux qui voudraient éventuellement poursuivre de nouveau cet idéal de l'indépendance par des moyens constitués des mouvements sociaux et des partis politiques ou, autrement, par les moyens que la démocratie actuelle met à leur disposition et, finalement, en raison de la procédure prévue d'un référendum à l'échelle du Canada, qui, je pense, neutraliserait, au départ, toute possibilité de mettre en oeuvre, d'actualiser le projet d'indépendance.

Nous avons vu combien déjà, au niveau du Québec même, il était difficile d'avoir un référendum qui pourrait créer certaines voies dans cette direction et non pas, comme vous le savez très bien, créer une voie royale à l'idée de l'indépendance, mais au moins, disons, entrouvrir quelque chose pour un statut amélioré pour le Québec.

Il faudrait alors craindre le recours à la violence et qu'il ne finisse par apparaître à certains comme la seule voie d'action possible. C'est ce que nous devons éviter. Si nous avons le minimum de prudence et de sagesse, nous ne pouvons permettre une situation dans laquelle notre constitution serait révisée de telle sorte que l'idée d'indépendance ne pourrait pas être poussée à son terme logique pour ceux qui désirent que cette idée devienne le projet politique du Québec.

Ce vers quoi il faut tendre, à un point de vue fédéraliste qui se veut accordé aux réalités contemporaines, c'est vers une formule qui, d'une part, satisfasse les besoins et les aspirations des Québécois au point où la tentation souverainiste serait, sinon entièrement supprimée, du moins fortement atténuée, parce que c'est souvent l'obstacle qui fait naître le désir d'agir. Nous n'avons qu'à penser au chat, qui, poussé au mur par le feu qui gagne la pièce, sort ses griffes. Il tente de se défendre. Ou bien, du moins, fortement atténuée et, d'autre part, que ce soit une formule qui garantisse la poursuite d'un projet souverainiste de façon démocratique.

S'il n'est pas possible d'obtenir une telle formule, du moins que le Québec insiste sur le droit à l'autodétermination. C'est l'un ou l'autre. Les deux ne sont pas nécessaires en même temps, mais nous devons avoir l'un ou l'autre. Si pareille orientation ne peut être poursuivie, par souci de tolérance, du moins, qu'on se laisse convaincre par le principe plutôt machiavélique suivant lequel le meilleur moyen de neutraliser une façon de voir ou de faire qui déplaît, c'est encore de la légitimer. Cela a été, évidemment, prouvé abondamment dans l'histoire contemporaine, l'histoire moderne.

J'ai également un chapitre sur la question des intellectuels et de la société. C'est évident que je n'ai pas écrit ce chapitre-là dans un désir d'autodéfense. Les intellectuels ont un certain rôle dans la société, de même que les artistes. Mais je voulais constater une chose, que... Je vois M. Ryan, Mme Solange Chaput-Rolland, M. Jacques-Yvan Morin, peut-être M. Le Moignan. Nous sommes à peu près de la même génération, cette génération, qui, depuis 20 ou 30 ans, a eu comme premier objet de créer pour le Québec une place dans le Canada si possible intégrée au pays. Où en sommes-nous aujourd'hui? Je n'ai pas mentionné mes confrères de la même génération qui oeuvrent dans un autre domaine à Ottawa. Où en sommes-nous? Serons-nous voués à un échec? Ce sera l'échec de notre génération après laquelle quelle génération pourra reprendre toute cette problématique dans laquelle nous avons sacrifié le plus fort de nos énergies et mis ce que nous avons de compétence? J'ose croire que nous n'aboutirons pas à cet échec et que cette génération pourra continuer encore pendant de nombreuses années parce qu'elle se sera trouvée utile à certains moments dans d'autres secteurs de la société. Il y a un point que j'avais oublié. Nous nous disons fatigués du problème constitutionnel. J'entendais très souvent à l'Assemblée nationale M. Rodrigue Tremblay dire à chaque fois qu'il intervenait: II faut parler de la constitution, mais j'aimerais tellement parler de l'économie.

Il faut être extrêmement prudent. L'économie est très importante pour les citoyens de même que la culture, bien entendu. Les affaires sociales peut-être encore davantage. Mais comment peut-on croire que nous allons laisser le processus constitutionnel encore pourrir et croire qu'en parlant de l'économie davantage, nous réussirions à nous donner la société qui est celle qui nous conviendrait ainsi qu'aux générations à venir? Au contraire, plus la question de la constitution pourrit, plus elle devient en quelque sorte piégée, plus nous devons nous en occuper et plus nous devons dire au public que c'est essentiel pour lui de ne pas fermer l'oeil, de ne pas se laisser leurrer. Parce que la constitution qui pourrait être adoptée demain pourrait très bien heurter, contredire les aspirations, les besoins qu'il ressent.

J'ai également une section sur les partis politiques, leur impuissance. Je voudrais l'aborder avec le plus de sérénité. Maintenant, je vous laisse à vous le soin de voir ou non s'il y a lieu de le faire ici-même. Il me semble, néanmoins, pour parler des partis fédéraux, pour ne pas nous lier... et je songe à un article célèbre de Pierre

Trudeau, dans les années cinquante, je crois, qui s'intitulait, écrit en anglais, publié en anglais dans la revue Canadian Economies and Political Science sur "sortie obstacle to democracy in Quebec". L'obstacle qu'il identifiait, c'était le Parti libéral du Canada qui, selon lui, gagnait les votes des Québécois trop facilement en faisant appel à des facteurs d'ethnicité, des facteurs symboliques, etc. Il me semble - peut-être que j'exagère - que M. Trudeau a pratiqué d'une façon admirable les leçons qu'il tirait à ce moment du succès que remportait le Parti libéral du Canada.

Quant au Parti conservateur canadien, depuis 60 ans, ce parti se recherche une façon de se faire adopter par les Québécois, à part cet épisode très court de M. Bennett et la période très courte également de Oiefenbaker, c'est un parti qui, vraiment, a énormément de difficultés à comprendre le Québec. Nous en avons ici la preuve dans les amendements qu'il préconise concernant le projet de résolution fédéral. Après avoir lu ses amendements, je conclus que certains des amendements prévus au projet de résolution fédéral seraient pires que le projet lui-même s'ils étaient mis en oeuvre. Dans d'autres cas, bien entendu, il y aurait certaines améliorations.

Quant au NPD, dans le début des années soixante, j'avais travaillé un peu avec lui, je crois que M. Jacques-Yvan Morin était là également, pour essayer de faire comprendre comment il se pouvait que ce parti, ayant des racines tellement anglaises, pourrait éventuellement prendre un peu racine au Québec. Nous en sommes toujours là actuellement. Je dirige actuellement une thèse d'un de mes étudiants et on cherche les raisons pour lesquelles le NPD, malgré des efforts comme ceux des deux nations au début des années soixante, etc., n'a pu pénétrer. Les Créditistes sont morts à Ottawa. C'est peut-être le parti qui a le mieux représenté certaines...

Je m'excuse, Mme la Présidente, il semble y avoir des choses extrêmement drôles de ce côté. Est-ce que je pourrais les entendre?

M. Morin (Louis-Hébert): C'est parce qu'on vient d'apprendre des activités politiques de M. Jacques-Yvan Morin qu'on avait ignorées.

M. Dion: Je laisse à votre choix de poursuivre plus avant dans cette question des partis politiques et, si vous me le permettez, je lirais les conclusions et certaines voies de solution que je préconise. (12 h 15)

II me semble que la constitution d'un pays ne peut reposer que sur le consentement des citoyens et celui-ci doit pouvoir être vérifié suivant des méthodes accréditées par la tradition démocratique, telle qu'elle a été vécue au Canada. Il me semble également que la question constitutionnelle met en cause des enjeux trop considérables pour tous les citoyens, pour qu'elle soit laissée entre les mains des seuls hommes politiques. Il ne faudrait pas se satisfaire d'un autre échec et mat entre les protagonistes parce que, dans ce cas, on rendrait illusoire toute recherche de nouveaux projets de société accordés aux besoins actuels d'aujourd'hui.

Il me semble également que le Canada est constitué d'un gouvernement fédéral et de provinces et non pas d'un seul de ces niveaux de gouvernement. Là-dessus, je rejoins entièrement les propos que formulait, il y a quelques minutes, M. Claude Ryan. Le but de la révision constitutionnelle du point de vue du Québec ne peut que renforcer le Québec, il ne peut pas le diminuer. Il serait absurde de prétendre rénover la constitution conformément aux aspirations du Québec si, à la fin du processus, il devait se retrouver plus faible qu'avant.

Le gouvernement fédéral, à propos de la question constitutionnelle, a réussi à créer artificiellement un sentiment d'urgence. Je ne dis pas que l'urgence n'est pas là, mais le sentiment que le gouvernement fédéral a créé m'apparaît avoir été artificiellement défini. Il importe d'épurer le problème constitutionnel et de revenir à ce qui était l'essentiel au départ, il y a vingt ou trente ans, c'est-à-dire la spécificité québécoise et la dualité canadienne. Autrement, on finira par considérer comme étant une victoire des compromis qui auraient été perçus naguère comme une cruelle défaite et qui, d'après tous les standards admissibles, seraient toujours une défaite. En ce qui concerne l'essentiel, par conséquent, le Québec ne saurait faire confiance au simple jeu de la polyarchie.

Dans les circonstances actuelles, où la méfiance a gagné toutes les parties, comment consentir au rapatriement de la constitution sans ou même avec une formule d'amendement? Il faut que les groupes organisés et les collectivités spontanées reprennent la parole et opposent un refus péremptoire à toute manipulation politicienne, d'où qu'elle vienne. Les Québécois doivent prendre conscience de la nécessité de susciter des mouvements d'action socio-politiques en dehors des partis.

S'il est vrai que le Canada est soumis à de fortes pressions internes et externes qui menacent sa stabilité, cela est encore bien plus vrai pour le Québec qui doit s'accommoder de multiples contraintes émanant de son environnement, tout en cherchant à se développer conformément à son identité propre.

Quant aux voies de solution que je

propose, du moins que je soumets à votre attention, premièrement, est-ce possible que les Québécois et les partis s'entendent au moins sur ce point: c'est entre Québécois qu'il convient d'abord de poser la question du statut constitutionnel du Québec et de chercher à s'entendre sur les orientations de base. C'est, en tout cas, la raison pour laquelle j'ai convenu de venir me présenter devant la commission constitutionnelle de l'Assemblée nationale.

Deuxième point, peut-on comprendre que le débat constitutionnel est devenu une véritable épreuve de force entre Ottawa et Québec et que, par conséquent, on risque d'en revenir aux beaux jours de l'autonomisme plutôt négatif, ou de simple opposition, de Maurice Duplessis?

Troisième point, peut-on comprendre que la question constitutionnelle constitue un tout, un ensemble et qu'elle ne souffre pas d'être traitée en pièces détachées (charte des droits, langue, péréquation, etc.) et que, notamment, il serait extrêmement pernicieux pour le Canada et pour le Québec de séparer la question linguistique, la culture et les affaires sociales de l'économie?

Quatrième point, peut-on souscrire à l'idée de laisser tomber le projet de résolution et avoir l'humilité et la sagesse de tout recommencer en adoptant une démarche opposée à celle suivie jusqu'ici? Quand je dis "opposée", je pense notamment à une convocation éventuelle qui pourrait être faite des premiers ministres provinciaux et du premier ministre canadien. Je crois que cette formule des rencontres, des conférences des premiers ministres a été pesée et jugée trop légère. La formule ne m'apparaît pas non plus être de voir entre nous quel serait le sage possible qui pourrait lui-même et seul nous donner une constitution. Je songe ici à Solon au VIe siècle; les Athéniens étant en besoin d'une constitution firent appel à celui qu'ils considéraient le plus sage d'entre eux, Solon, et lui dirent: Faites-nous une constitution, s'il vous plaît. Ce qu'il a fait et ce fut une excellente constitution.

Mais ce n'est pas notre cas. Il nous faut adopter d'autres voies; c'est malheureux, mais je ne crois pas. Les voies que je proposerais sont les suivantes: Premièrement, demander à Londres le rapatriement de la constitution, assorti d'une formule d'amendement agréée par les provinces selon une formule comprenant obligatoirement le Québec. Ou encore, selon la suggestion du professeur Rémillard, procéder à la révision constitutionnelle sans requérir au préalable l'autorisation de Londres.

Deuxième point: Procéder à de nouveaux examens de situation devant se faire dans le cadre d'un groupe d'étude ou d'une commission constituée conjointement par le fédéral et les provinces, ce que nous n'avons jamais eu au pays.

Troisièmement - il me semble que c'est extrêmement important parce que, sur des questions essentielles, nous sommes loin d'avoir fait le point, d'avoir inventorié suffisamment la situation actuelle et à venir dans tous ces points majeurs - former une assemblée constituante qui scruterait les recommandations de ce groupe d'étude.

Quatrième point: Faire adopter les conclusions de cette assemblée constituante par les assemblées législatives et par le Parlement fédéral.

Cinquièmement, procéder enfin à un référendum à l'échelle du pays, conformément à une formule agréée, afin de faire sanctionner solennellement la nouvelle constitution par l'ensemble des citoyens. Il me semble que c'est là à la fois une formule fédéraliste, démocratique et légale. Il faut voir si on est actuellement capable de procéder de cette manière, quels éléments de contrainte il faut accepter au départ, mais j'aimerais que nous puissions discuter de quelques-uns au moins de ces points.

Sixième point: En l'absence d'une solution véritable de la question constitutionnelle du genre de celle que je propose ou d'un genre équivalent, peut-on faire savoir par les voies autorisées et d'une manière unanime que, dans les circonstances actuelles, le Québec réclamera son droit à l'autodétermination et s'opposera à toute clause dans une nouvelle constitution qui déterminerait le statut juridique et fixerait l'usage du français et de l'anglais au Québec sans que ce dernier, le Québec, n'ait donné son accord autorisé? Qu'il refusera de se lier à de semblables causes, même advenant qu'elles deviennent partie de la loi fondamentale du pays, imposée bien entendu de l'extérieur?

Mettre ici l'avenir constitutionnel du Canada et du Québec entre les mains des tribunaux et encore se fier au Parlement britannique m'apparaîtrait faire peu preuve de courage. Il nous faut faire plus, c'est à nous de dire ce que nous voulons et non pas simplement nous fier aux autres. C'est évident que nous devons accepter toute arme, tout argument qui serait proposé de l'extérieur, mais c'est à nous-mêmes de décider ce que nous voulons. Si nous voulons être capables de décider de notre destin futur, commençons par être capables de décider de la constitution qu'aujourd'hui nous voulons bien nous donner.

Bien entendu, je suis au courant de certaines orientations, de certains développements récents dont l'un m'apparaît relativement majeur, celui auquel M. Ryan a fait allusion au début de son exposé; je n'ai pas à ajouter. C'est le rapport du comité du Parlement anglais sur les relations extérieures du Parlement britannique et il me semble qu'au moins ce rapport, qui est une étape, une pièce dans une étape d'un

long processus, devrait avoir un certain effet et peut-être nous donner plus de confiance dans notre capacité de neutraliser ce projet.

Cette position adoptée par le comité peut être un indicateur de la position éventuelle du Parlement britannique, mais, pour ma part, je ne crois pas qu'elle puisse indiquer que ce sera nécessairement la position que le Parlement britannique prendra. Il en tiendra compte, mais se sentira-t-il lié par ce rapport? Légalement, non. Il peut se sentir lié moralement, je n'en sais rien, par le poids de ses députés qui sont membres de ce comité et que je ne connais pas.

Cette position pourra également amener M. Trudeau à modifier son tir et à vouloir changer la constitution sans la rapatrier, comme nombre de juristes ont dit qu'il était possible de faire. Très bien, le Parlement britannique s'y oppose, laissons-le s'y opposer; nous Canadiens, nous changeons notre loi fondamentale par nous-mêmes. Elle pourra enfin convaincre M. Trudeau de se satisfaire d'un simple rapatriement sans amendement ou avec un amendement que nous aurions agréé. Mais ce n'est n'est là qu'une première bataille; la guerre n'est pas encore gagnée. L'ultime stratégie des opposants doit toujours être de faire échec au projet de résolution à la Chambre des communes même (en agissant sur les députés que nous avons élus, qui sont, en définitive, nos représentants à Ottawa) au Sénat également et surtout de tenter de priver M. Trudeau de l'appui de l'opinion sur lequel il comptait tant au début de ce processus, au mois de septembre.

Le sixième point: peut-on comprendre qu'une formule d'amendement qui procurerait au Québec un veto purement négatif serait insatisfaisante s'il fallait que ce dernier, le Québec, soit au préalable contraint d'accepter des changements à l'Acte de l'Amérique du Nord britannique qui lui seraient préjudiciables? Là-dessus, Mme la Présidente, je conclus mon témoignage.

La Présidente (Mme Cuerrier): Merci, M. le professeur. Les membres de la commission désirent maintenant échanger avec vous. Je vais d'abord donner la parole à M. le ministre d'État au Développement culturel et scientifique.

M. Morin (Sauvé): Mme la Présidente, il était fort important, on s'en rend compte, que le professeur Dion ait l'occasion de venir exposer ses idées sur la conjoncture constitutionnelle actuelle. Comme cela eut été profitable au comité des Communes s'il avait daigné inviter le professeur Dion à comparaître devant lui! Je suis sûr que ses propos auraient pu éclairer les membres du comité fédéral. Qu'à cela ne tienne, la comparution du professeur Dion devant l'Assemblée nationale, devant cette commisssion permettra sans doute aux fédéraux de prendre connaissance de ses propos et je me réjouis que nous ayons pu lui donner cette occasion de nous faire part de ses observations sur la situation actuelle.

Vos propos, M. le professeur, ne peuvent pas nous laisser indifférents. Je ne vous cacherai pas que nous les partageons dans une large mesure. Ici et là, bien sûr, nous pourrions avoir des discussions plus approfondies. Je me proposerais, tout d'abord, de vous demander une précision sur la démarche que vous nous avez proposée à la fin de votre exposé. Vous nous proposez une démarche d'humilité, de sagesse, laquelle serait la suivante: après avoir fait échec, s'il est possible, au projet fédéral, au coup de force, il conviendrait de tout recommencer, c'est-à-dire de se remettre à table, de recommencer à négocier, bien sûr, sans négliger pour autant - du moins, n'ai-je pas interprété vos propos de la sorte - tout l'acquis des derniers mois, car il y avait, vous le savez, un certain nombre de points sur lesquels les provinces s'étaient mises d'accord et que, néanmoins, M. Trudeau a rejetés du revers de la main.

Vous nous avez proposé une démarche sur laquelle je ne reviendrai pas dans son entier qui commence par un rapatriement accepté librement et assorti d'un mode d'amendement qui serait agréé par les provinces, y compris, évidemment et surtout, le Québec. Vous nous proposez ensuite, après une démarche qui consiste en plusieurs points, un référendum qui serait pratiqué à l'échelle du Canada, conformément, nous dites-vous, à une procédure qui serait agréée, afin de faire sanctionner, de faire approuver la nouvelle constitution par les citoyens, de lui donner un caractère plus solennel. J'aimerais là-dessus vous demander une précision. Je suis sûr, mais j'aimerais vous l'entendre dire, parce que ce n'est pas tout à fait précisé dans votre mémoire, qu'il ne s'agit pas du genre de référendum pancanadien auquel se réfère le projet fédéral actuel où toutes les majorités sont confondues et où le résultat du référendum dépendrait du vote majoritaire dans l'ensemble du Canada sans tenir compte des frontières provinciales, ce qui veut dire que le Québec pourrait se trouver en minorité et néanmoins se voir imposer la volonté de la majorité anglophone du pays qui correspondrait, en l'occurrence, au projet fédéral. J'ai l'impression, à le lire et selon le contexte de votre mémoire, que ce n'est pas à cela que vous songez. Vous songez sans doute à une démarche plus subtile que celle-là, mais je vous inviterais à la préciser car l'effet d'un référendum qui serait tenu à la grandeur du pays, toutes provinces confondues, pourrait être d'aboutir à un résultat comme celui, par exemple, du

plébiscite sur la conscription où le Québec avait voté non, le reste du pays oui et où néanmoins cela a été oui en dépit du Québec. (12 h 30)

M. Dion: Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le professeur Léon Dion.

M. Dion: Oui. Je présume qu'il y aurait, au départ, une formule d'amendement agréée et cette formule d'amendement qui serait agréée pourrait être acceptée comme étant la base à partir de laquelle on pourrait ensuite dénombrer les vues, les opinions par voie de référendum que les citoyens canadiens auraient émises et je vais plus loin et c'est peut-être là-dessus que... Ce serait la formule de Victoria autrement, mais mon propos, c'est d'aller plus loin que cela. Je suis un héritier des pages bleues d'André Laurendeau, de la commission BB et je suis persuadé quant à moi que rien ne satisfera le Québec qui ne passera pas, en quelque sorte, par la dualité sur les questions que le Québec a jugées fondamentales et qu'il juge toujours fondamentales: la langue, la culture et peut-être ajouter d'autres éléments qui sont dans notre société contemporaine jugés si essentiels comme les communications, peut-être l'immigration. Il me semble qu'il faudra certaines questions réservées; nous avons eu dans la constitution actuelle des comtés réservés. Ils ne sont plus là. Nous pourrions avoir dans une prochaine constitution des questions réservées, des domaines réservés à propos desquels il faudra que les nombres soient comptés exclusivement en ce qui concerne le départage au sein du Québec même et en ce qui concerne toute réforme constitutionnelle - et je sais qu'aujourd'hui on semble bien loin de cela et c'est ce vers quoi il faut revenir. Pour ces questions que nous aurons jugées essentielles, pour tout processus d'examen constitutionnel autant que de réforme constitutionnelle et de mise en application de cette réforme par des sanctions comme le référendum, il faudra compter sur une majorité du Québec et non pas sur une majorité québécoise qui pourrait être annulée par d'autres majorités en sens inverse venant d'autres provinces.

M. Morin (Sauvé): Je vous remercie de ces précisions, M. le professeur. C'est d'ailleurs ce que j'avais cru comprendre d'après le contexte de votre mémoire.

Vous avez rappelé fort opportunément à mon avis le rapport de la commission sur le biculturalisme et le bilinguisme, le rapport de la commission Dunton-Laurendeau dans lequel vous avez joué un rôle si important. Je regrette pour ma part qu'on ne revienne pas plus souvent aux fameuses pages bleues, à l'introduction du rapport de la commission Dunton-Laurendeau qui contenaient, à vrai dire, toute la problématique et l'une des démarches de M. Trudeau depuis cette époque a été essentiellement de faire exactement le contraire de ce que Dunton et Laurendeau avaient recommandé dans ces fameuses pages bleues, particulièrement au niveau de la problématique.

Me permettez-vous, Mme la Présidente, de revenir maintenant sur un autre point précis, à moins que M. le professeur veuille ajouter quelques mots à ce que je viens de dire?

M. Dion: Puis-je faire un commentaire, s'il vous plaît, sur cette dernière observation?

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le professeur.

M. Dion: II me semble qu'il faut faire attention, quand nous parlons de la commission sur le bilinguisme et le biculturalisme, de distinguer les pages bleues et le reste. Les pages bleues, bien entendu, ont signifié aux Canadiens qu'il y avait deux sociétés, la dualité essentielle du pays, etc. Il me semble que c'est l'essentiel peut-être du message, mais ce qui a été retenu politiquement, c'est les parties, les recommandations pratiques concernant les aménagements linguistiques au Canada et qui reposent sur une conception du bilinguisme institutionnel qui est précisément celle qu'aujourd'hui M. Trudeau veut imposer au pays. Par conséquent, cette distinction m'apparaît absolument essentielle parce que M. Trudeau est, d'une certaine manière, l'héritier de la commission. D'ailleurs, il me l'a déjà dit à moi quand je discutais avec lui. Il a dit: C'est, en définitive, de votre rapport que cette conception du bilinguisme, je l'ai adoptée. II faut distinguer, en ce qui concerne le bilinguisme au Canada, le plan fédéral et le plan des provinces. En ce qui concerne le plan fédéral, il me semble, la Loi sur les langues officielles que nous avons actuellement au Canada est une loi excellente, en tout cas une bonne loi, et c'est sa mise en application, bien entendu, qui est difficile non seulement en raison de la mauvaise volonté des fonctionnaires, des agents, mais en raison de la difficulté du pays au plan de sa composition linguistique.

M. Morin (Sauvé): Mme la Présidente, puisque M. le professeur Dion mentionne l'aspect linguistique qui, d'ailleurs, est au fond de la plupart de nos problèmes - ce sont des problèmes de culture et de civilisation qui ont des aspects économiques, sociaux et autres - permettez-moi de lui poser une question sur les propos qu'il tient dans son mémoire au sujet de la langue et,

en particulier, de la langue au Québec.

Sur ce point, l'attitude des fédéraux ne laisse pas de nous inquiéter très fortement. Non seulement le projet fédéral actuel, le coup de force a-t-il pour effet de maintenir l'article 133 à l'endroit du Québec, c'est-à-dire le bilinguisme officiel dans les institutions québécoises, sans garantir les mêmes droits aux francophones de l'Ontario, mais il s'attaque à la Charte de la langue française de façon extrêmement précise.

Or, cette Charte de la langue française, au moins dans ses composantes qui touchent à la langue scolaire, à la langue de travail, à la langue de l'affichage, cette Charte de la langue française relève de la compétence exclusive du Québec, de sorte que le projet fédéral a pour effet de passer par-dessus la compétence exclusive du Québec, par le truchement d'une constitution qui serait adoptée par le Parlement britannique, et de nous imposer des obligations que nous n'avons jamais eues jusqu'ici. Et on sait en particulier l'effet qu'aurait le coup de force fédéral en ce qui concerne la langue scolaire. Actuellement, en vertu de la charte, les enfants des immigrants vont à l'école française, ce qui a marqué un cran d'arrêt dans l'anglicisation automatique des immigrants.

Or, dès la première version du coup de force fédéral, les libéraux fondaient le droit d'accès à l'école anglaise sur le critère de la langue maternelle. Nous avons fait observer, à plusieurs reprises - et il y a eu, je pense, des intervenants qui sont allés le dire devant le comité à Ottawa - que cela avait pour effet, au minimum, de créer deux catégories d'immigrants: ceux qui auraient le droit d'aller à l'école anglaise et ceux qui n'auraient pas ce droit.

Nous avons fait observer également que la situation, en réalité, est pire que cela. Comme le critère de la langue maternelle est vague à souhait, comme l'était d'ailleurs celui de la connaissance suffisante de la langue anglaise que proposait la loi 22, il y a des chances qu'on aboutisse, à toutes fins pratiques, au libre choix, surtout si le critère de la langue maternelle est appliqué par les principaux intéressés, comme c'était le cas au moment de la loi 22, première version, c'est-à-dire que ce sont les principaux des écoles anglaises ou les administrateurs du système anglophone qui choisissent les enfants de langue maternelle anglaise ou ceux qui ont la connaissance suffisante de l'anglais.

L'expérience nous enseigne qu'avant la Charte de la langue française les mécanismes administratifs, à toutes fins pratiques, avaient été faussés et qu'on aboutissait quasiment au libre choix. Nous avons fait observer cela mais, malheureusement, dans la version modifiée du projet fédéral, le critère est repris tel quel. En dépit de toutes les représentations qui ont été faites devant le comité des Communes, on a maintenu le critère de la langue maternelle.

Je n'insisterai pas sur les effets tout à fait dévastateurs que cela peut avoir pour le Québec. À toutes fins pratiques, cela brise, à notre avis, l'équilibre que la charte a réussi à instaurer, non seulement l'équilibre linguistique, mais l'équilibre social au Québec.

Je vous donnerai peut-être un exemple parmi d'autres, que je vous demanderai de commenter, M. le professeur, sur les effets du critère de la langue maternelle. Les citoyens dont un enfant a reçu ou reçoit son enseignement primaire ou secondaire en anglais, n'importe où au Canada, pourraient également envoyer leurs enfants à l'école anglaise au Québec. Et là aussi, par voie de conséquence, les descendants de ces enfants, bien sûr, jouiraient des mêmes droits.

Dans la première version du projet fédéral, cette disposition était soumise à la condition qu'un citoyen change de province. Dans la deuxième version, cela s'est aggravé et, désormais, cette condition n'est plus requise et la brèche qu'ouvrent les libéraux fédéraux dans la Charte de la langue française est encore plus vaste qu'auparavant. Il suffirait, par exemple, à un Québécois d'envoyer ses enfants ou l'un de ses enfants en pension à l'extérieur du Québec, de lui faire donner l'enseignement en anglais dans une école à l'extérieur du Québec et puis de ramener cet enfant au Québec par la suite pour que tous ses frères et soeurs aient droit et tous les descendants de cet enfant et de ses frères et soeurs aient droit à l'enseignement en anglais au Québec.

Nous pensons que c'est grave, que cette atteinte aux droits du Québec et à la compétence exclusive du Québec dans le domaine linguistique est un véritable coup de force. Là, on le sent dans toute sa vigueur, le coup de force fédéral.

Dans votre mémoire, vous décrivez la situation actuelle découlant de l'article 133 qui impose, dites-vous, une asymétrie entre le Québec et l'Ontario, une asymétrie en ce sens que le Québec est lié par des dispositions constitutionnelles qui l'obligent à être bilingue officiellement, tandis que l'Ontario, où vivent quand même 600,000 francophones, n'est pas astreint aux mêmes obligations.

J'aimerais vous poser une question sur cette asymétrie. Vous proposez qu'on se fonde sur une asymétrie en sens contraire. C'est-à-dire que le Québec serait dégagé des contraintes de l'article 133, étant donné que, de toute façon, l'anglais n'a pas besoin d'être protégé en Amérique du Nord, tandis qu'en Ontario, celui-ci serait astreint, cette province serait astreinte à l'article 133.

Est-ce que j'ai bien interprété vos

propos, enfin, votre mémoire, puisque vous n'avez pas insisté sur ce point dans votre présentation orale? Non seulement nous devons nous opposer au projet fédéral, mais nous devons agir en vue de faire supprimer l'article 133 dans son application au Québec. Est-ce que je vous ai bien interprété, M. le professeur?

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le professeur.

M. Dion: Mme la Présidente, il y a là, en effet, beaucoup d'éléments de pensée ou de nourriture pour l'esprit. Je vais quand même indiquer certains points qui m'apparaissent majeurs. Nous avons la chance extraordinaire au Canada d'être la société qui a le mieux étudié les aspects pertinents à la langue et cela, depuis au moins 20 ans. La commission sur le bilinguisme a lancé, en effet, tout un train d'études que nous pouvons lire aujourd'hui et non seulement nous ont-ils procuré des connaissances extrêmement importantes sur le contexte social dans lequel nous devons étudier la question linguistique et le comportement, le statut et l'usage des langues, mais aussi nous avons contribué largement au Canada au développement d'une science, d'une discipline, qui s'appelle la sociolinguistique. Il y a eu de nombreuses études qui se sont inspirées de l'exemple canadien, du cas canadien et des spécialistes canadiens ont collaboraré dans de nombreuses tables rondes et à de nombreux travaux au développement de cette discipline.

Dans un mémoire que j'aurais aimé présenter, je me suis appesanti sur la question linguistique. En fait, je ne parle que de cette question que je considère une question élémentaire, mais absolument essentielle pour un pays comme le nôtre. Nous avons à concilier la coexistence de deux grandes langues universelles plus un grand nombre d'autres langues qui n'ont pas le même statut, mais qui ont quand même un certain droit historique et, sans aucun doute, juridique à l'existence.

Il me paraît néanmoins qu'en dépit de ces études, beaucoup d'hommes ou de femmes politiques, de personnes politiques ne voient dans la langue qu'une question unidimensionnelle, unilinéaire, qui n'a qu'une dimension. Ils considèrent la langue, pour ainsi dire, indépendamment de la société dans laquelle cette langue existe, est parlée, est utilisée. Bien non, au contraire, la langue est une variable dépendante de beaucoup d'autres variables sociales et, notamment, des variables économiques. Le statut d'une langue dans une société est exactement celui de ceux qui parlent cette langue. Si les parlants, ceux qui parlent une langue, ont un statut social inférieur, la langue dans cette société aura un statut inférieur et inversement, quels que soient les nombres, quels que soient les autres facteurs. Il y a certaines constatations, conclusions de la sociolinguistique. Une d'entre elles - je ne peux pas toutes les rappeler ici; j'en mentionne quelques-unes dans un autre texte - qui m'apparaît importante, c'est que, dans un contexte de bilinguisme intégral où toutes les personnes dans une société connaîtraient également les deux langues qui coexistent, la langue dont le statut social est inférieur disparaît à plus ou moins longue échéance. (12 h 45)

Bien sûr, ici, on fait souvent appel à ce qu'on peut appeler le sophisme de Zénon d'Élée. Je ne sais pas si vous vous souvenez de Zénon d'Élée qui prétendait qu'une flèche lancée vers un but ne pourrait jamais atteindre son but parce qu'à chaque instant, à chaque moment, elle ne parcourt que la moitié de la distance. Elle n'arriva jamais à son but. Cette image, ce sophisme, on peut l'appliquer, malheureusement, à quelques-unes de nos minorités dans la diaspora canadienne, mais certainement pas au Québec; au Québec, la langue française ou la langue anglaise, bien entendu, ne sont pas en voie de disparaître.

Bien entendu, j'ai critiqué les deux articles principaux majeurs du projet de résolution. En ce qui concerne l'article 21, j'ai regardé les projets d'amendements de M. Chrétien et ils sont pires sur la question linguistique. En ce qui concerne les droits fondamentaux, les droits démocratiques, je suis d'accord, je crois qu'il y a beaucoup d'amélioration. Il y a une certaine amélioration. Sur les droits démocratiques -c'est assez étonnant, je ne sais pas si cela vous a frappés; je veux passer vite, mais c'est important - il est dit à l'article 23.1: "Les citoyens canadiens dont la première langue apprise et encore comprise est celle de la minorité linguistique française ou anglaise de la province où ils résident." Si cette clause était adoptée, mise en vigueur pour les francophones canadiens venant au Québec, plusieurs d'entre eux devraient aller à l'école anglaise.

Voyez-vous, je veux simplement signaler - je ne veux pas aller dans les détails, c'est ce que j'aurais voulu faire à Ottawa - que nous ne faisons pas une constitution à partir de virgules et en corrigeant des virgules. Le comité conjoint, souvent, me fait penser à un jeu de chaise musicale. On va changer tel point dans notre projet si vous nous accordez vos votes etc. Ce n'est pas de cette façon qu'on va se donner une constitution.

Ce que je voudrais vous proposer, c'est que nous étudiions la question linguistique d'une façon beaucoup plus détendue parce que précisément elle évoque tellement de passions. Je ne prétends pas moi-même avoir toutes les formules, toutes les solutions. Je voudrais qu'on les réétudie. En ce qui concerne le 133, je vais simplement indiquer

que nous étions près au Canada, assez proches, en tout cas, à la suite notamment du rapport Pépin-Robarts, de faire accepter que l'article 133 puisse être abrogé ou modifié au Canada, s'il devait aller à l'encontre de la loi 101 ou des aspirations nettement exprimées par les francophones. Il me semble que ce n'est pas purement symbolique.

L'article 21 ou l'article 133, revenons plutôt à l'article 133, doit être modifié ou abrogé, parce qu'il a été démontré, étudié, de façon, à mon avis, extrêmement sérieuse, entre autres par Jacques... - en tout cas, je l'ai cité ici - que l'article 133 a créé une asymétrie au pays qui a été extrêmement favorable à ceux qui étaient déjà plus forts, les anglophones à travers le pays, et qui a été défavorable à ceux qui, même au Québec, étaient sous plusieurs points les plus faibles, les francophones du Québec.

Quand on dit qu'il faut que tout le monde porte également le collier, que l'on étende simplement l'article 133 à l'Ontario -laissons le Manitoba, qui est un cas bien spécial, et le Nouveau-Brunswick - à la condition que le Québec conserve cet article, je dis non. Ce qu'il faut, dans toute bonne démarche sérieuse au plan de la sociolinguistique, c'est que le Québec soit dispensé de l'article 133 en ce qui touche les provinces, parce qu'il y a d'autres clauses de cet article qui touchent l'appareil fédéral et qu'au contraire les provinces comme le Nouveau-Brunswick et l'Ontario soient assujetties à l'équivalent de cet article. C'est ce vers quoi doit tendre toute bonne problématique de sociolinguistique et non pas l'inverse, c'est ce qu'il faut faire comprendre.

Je sais qu'aujourd'hui nous sommes bien loin de là, mais c'est, à mon avis, la seule solution possible, parce que, encore une fois, c'est bien entendu une question qui relève de la langue du Parlement, de l'administration, etc., des tribunaux. Dans le cas du Québec, il faudrait l'étudier dans son contexte, dans le principe général. C'est beaucoup plus qu'une question symbolique, c'est une question qui vise, de façon immédiate et extrêmement directe, le statut d'une langue, son statut officiel dans un pays, pour les citoyens de ce pays et, bien entendu, pour les citoyens des autres pays qui viennent. En outre, il y a un effet d'entraînement dans le statut officiel d'une langue, sur l'ensemble des autres activités dans lesquelles la langue est parlée.

Je vais laisser de côté l'article 21 du projet de résolution. Quant à l'article 23, je ne vois rien d'autre que de l'abroger. Quand même on changerait un point, on ajouterait une clause, on va avoir une formule complètement inapplicable pour les francophones des autres provinces et même injurieuse pour eux. Contrairement à ce que l'article veut bien faire, je crois, il réduirait plutôt leur chance du point de vue de l'école que de l'améliorer, et, du point de vue du Québec - en tout cas, je ne veux que dire cela aujourd'hui - lui imposerait des formules qui ne conviennent pas à celles de la loi actuelle du Québec, qui a été adoptée par un Parlement légitime, un gouvernement légitime et qui n'a pas encore été... Même s'il y a d'autres positions qui sont tenues par des partis politiques influents au Québec, ceux-ci n'ont pas encore la possibilité d'imposer par la loi cette orientation, de la rendre autorisée.

Je m'en tiens à cela pour l'instant, en ce qui me concerne; bien entendu, je peux aller dans d'autres détails concernant cette question. Je sais que nous aurons peut-être éventuellement un débat entre nous, Québécois, à ce propos, mais j'aimerais que nous le tenions ensemble et que nous voyions quelles sont les orientations. J'ai, évidemment, à ce propos-là une formule. Je pense que nous n'avons pas actuellement toutes les études et les connaissances voulues pour peut-être corriger sur certains points la loi 101, mais si nous devions la corriger dans les années qui viennent, dans les mois qui viennent, eh bien! il faudrait s'équiper, je pense, d'une façon majeure, parce que nous soulevons là un problème dont les conséquences sont inestimables.

M. Morin (Sauvé): Mme la Présidente, j'aurais encore de nombreuses questions à poser au professeur Dion. Peut-être pourrais-je y revenir plus tard dans sa comparution, mais je pense qu'il est temps maintenant que l'Opposition puisse également poser des questions.

La Présidente (Mme Cuerrier): C'est justement ce que j'allais dire. M. le chef de l'Opposition officielle, vous avez maintenant la parole.

M. Ryan: Je voudrais vous demander une orientation pour commencer, Mme la Présidente. Quels sont vos projets au sujet du témoin actuel? Est-ce que nous allons revenir cet après-midi avec M. Dion ou si vous entendez compléter le témoignage ce matin?

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Opposition officielle, si nous nous en tenons à la formule qui avait été adoptée, vous vous souviendrez que dans le cas des experts, Me Pratte et Me Normand, nous avions allongé la commission parlementaire, ce que nous faisons habituellement. Si tel était le désir de la commission, nous pourrions peut-être fonctionner de cette façon, quitte à ce que, quand les gens viendront présenter les mémoires, nous nous en tenions à cette fameuse formule du total d'une heure que la

commission s'accorde pour recevoir les mémoires.

M. Ryan: Dans ces conditions-là, Mme la Présidente, je serais enclin à vous demander si ce ne serait pas préférable d'ajourner maintenant, vu qu'il ne reste que cinq minutes d'ici à la fin de la séance, pour qu'on ne coupe pas cette partie-là de la session en deux. Je pense que ce serait plus utile autrement.

La Présidente (Mme Cuerrier): Si tel était le désir de la commission...

M. Morin (Sauvé): Mme la Présidente, si le chef de l'Opposition ne veut pas utiliser le temps précieux que nous avons et le peu de temps que nous avons à consacrer au professeur Dion, je serais prêt à continuer. J'avais d'autres questions auxquelles je renonçais pour donner à l'Opposition la chance d'en poser.

M. Ryan: Mais vous avez déjà pris une demi-heure.

M. Morin (Sauvé): Mais j'avais d'autres questions et...

M. Ryan: Quand on arrive cinq minutes avant la fin, les trucs de procédure, on connaît ça, M. Morin, franchement.

M. Morin (Sauvé): Enfin, je veux bien qu'on ajourne maintenant, si telle est la volonté de la commission, mais j'aurai d'autres questions à poser au professeur Dion éventuellement.

La Présidente (Mme Cuerrier): Quitte à ce que nous revenions probablement. Après avoir passé la parole au chef de l'Opposition officielle et au chef de l'Union Nationale, je pourrai vous redonner la parole. Si tel est bien le voeu de la commission de la présidence du conseil et de la constitution, nous suspendrions maintenant jusqu'à 15 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 55)

(Reprise de la séance à 15 h 10)

La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission permanente de la présidence du conseil et de la constitution reprend ses travaux après cette suspension.

Nous avons avec nous, à la commission parlementaire, M. le professeur Léon Dion qui agit à titre d'expert auprès de la commission aujourd'hui.

Nous en étions rendus à donner la parole à M. le chef de l'Opposition officielle, mais, auparavant, j'aimerais simplement vous rappeler que les groupes et organismes que nous recevrons avant la fin de la journée seront, à la suite de M. le professeur Dion, l'Association canadienne-française de l'Ontario, l'Union populaire et Me Guy Bertrand.

Je donne la parole à M. le chef de l'Opposition officielle.

M. Ryan: Merci, madame. J'ai écouté avec intérêt les observations soumises ce matin par M. Léon Dion. Son texte contenait beaucoup d'éléments intéressants et d'autres éléments déjà familiers pour ceux qui l'ont fréquenté ces dernières années. J'étais intéressé à l'écouter parce que j'ai moins le temps de le lire depuis que je suis dans la politique active, étant donné que ses articles sont généralement très longs.

M. Dion: Dommage!

M. Ryan: Mais c'était très intéressant. Il y a un certain nombre d'observations qui me sont venues à l'esprit. Je vais essayer de les formuler brièvement pour ensuite terminer avec quelques questions.

M. Proulx: ...

M. Ryan: Oui, de ce côté-là, on se complétait bien.

La Présidente (Mme Cuerrier): Ne me forcez pas à faire remarquer à la commission que c'est M. le chef de l'Opposition officielle qui a la parole.

M. Ryan: Deux choses me frappaient dans la présentation que M. Dion a faite. J'avais l'impression que sa conception de la nation qui sous-tend son jugement général sur l'évolution de la situation et les positions des partis est une conception très englobante, une conception qui est beaucoup plus englobante que celle que je me fais moi-même et que celle que je crois observer dans la vie de tous les jours. Il me semble que l'appartenance à une nation, ce n'est pas un phénomène aussi chargé de tension ou d'insécurité presque morbide que celui qu'on essaie de nous présenter souvent. Il me semble que c'est quelque chose d'un peu plus léger, d'un peu plus dégagé que cela, en tout cas. Cela me frappe beaucoup, surtout dans la présentation qu'on a faite ce matin; c'est une conception à propos de laquelle j'aime inscrire une certaine distance intellectuelle.

Deuxièmement, je trouve que les jugements que porte M. Dion sur le processus politique concret sont empreints d'un pessimisme qui est peut-être caractéristique des milieux qu'il fréquente, mais qu'ils diffèrent sensiblement de la perception qu'il m'est donné de cueillir dans la réalité de

tous les jours. Je vous en donne deux exemples. Vous dites, par exemple: Depuis le référendum, les Québécois sont démobilisés. Vous affirmez cela avec beaucoup de fermeté, je pense, autour de la page 16 de votre mémoire de ce matin et vous concluez ailleurs à l'impuissance - vous parlez même de l'impotence - des partis politiques. Sur le premier point, je ne suis pas d'accord avec vous du tout. Je vis à l'intérieur du Parti libéral du Québec une expérience d'engagement et de mobilisation qui prend sans cesse de l'ampleur. Je rends hommage, de ce côté, au parti ministériel aussi qui a un degré d'engagement très élevé de la part de ses militants. Je pense que jamais dans l'histoire politique du Québec vous n'avez eu deux partis principaux manifestant une telle capacité de mobilisation des énergies, du dévouement et de la disponibilité des citoyens. Cela se manifeste par la facilité avec laquelle ils arrivent à mettre au point des positions sur différents sujets, par la facilité avec laquelle ils mobilisent des ressources financières, par la facilité aussi avec laquelle ils mobilisent des ressources humaines. Je ne pense pas que ce soit très proche de la vie que de parler sur le ton pessimiste et péjoratif dont vous le faites dans votre mémoire. Je vous pose la question parce que, encore une fois, mon expérience est très différente.

Quand vous parlez de polarisation, vous semblez voir là-dedans un phénomène tragique, terrible. Cela ne m'inquiète pas du tout. Il me semble que c'est la loi de la vie, en particulier la loi du processus politique en démocratie parlementaire et peut-être qu'un progrès que nous faisons ces années-ci, c'est dans le sens d'une clarification des positions. Il est arrivé des périodes où les partis flottaient sur un consensus indéfini qu'on n'osait point attaquer. (15 h 15)

Depuis quelques années, je pense que les deux partis principaux, de manière toute spéciale, vont davantage au fond du problème, en arrivent à définir leur position d'une manière beaucoup plus nette que ce n'était le cas autrefois. Il pourrait arriver que la position du Parti québécois l'emporte. Il semble devoir arriver que la nôtre l'emporte dans l'immédiat, sans poser au prophète. Je pense que c'est la loi de la vie et il me semble que la loi de la vie adulte, c'est le choix, c'est de choisir. Quand on n'a pas de choix, on ne peut pas choisir. On pourrait bien rester dans la bonne vieille unanimité dont on rêve tous à certains moments de nostalgie, mais il me semble que c'est mieux un alignement vigoureux où les gens se font face comme des adultes. Il y en a un qui gagne, il y en a un qui perd. L'autre se reprend la fois suivante. Il me semble que la roue tourne, la roue de la démocratie et de la vie, et qu'il n'y a personne qui meurt dans le processus, sauf ceux qui sont des collectionneurs d'insectes.

J'en viens plus immédiatement à des questions qui découlent de la présentation de M. Dion. Vous dites, aux pages 30 et 31 de votre présentation, deux choses: D'abord, le but de la révision constitutionnelle, du point de vue du Québec, ne peut être que renforcer le Québec. Et la page suivante continue dans la même veine: C'est entre Québécois qu'il convient d'abord de poser la question du statut constitutionnel du Québec et de chercher à s'entendre sur les orientations de base.

Je vous dis ici que mon parti est en désaccord avec vous. Nous autres, nous disons que le but de la révision constitutionnelle doit être de renforcer le Québec et le Canada. Si nous abordons la révision constitutionnelle à partir d'une perspective aussi étroite que celle qui est proposée dans votre papier, je pense qu'elle va déboucher tôt ou tard sur une perspective qui va être assez proche du séparatisme.

Et si nous optons pour la perspective fédéraliste, il faut que nous assumions notre part du fardeau et du défi de l'ensemble du pays, comme Québécois, évidemment, et en pensant à nos intérêts, en pensant aussi aux intérêts de l'ensemble. Et cette dimension ne me semble pas totalement absente de votre communication. Je pense qu'au début vous étiez bien parti, quand vous disiez: II y a des problèmes que le Canada éprouve, je sympathise avec M. Trudeau, je comprends qu'il y a des choix à faire. Je pense que, de ce point de vue, nous sommes assez près.

Mais j'aimerais que ces prémisses que vous posiez au début, vous nous disiez pourquoi vous les avez laissées tomber dans les conclusions.

Deuxième question. Vous proposez, à la page 32, un cheminement pour en venir à un nouvel ordre constitutionnel au Canada. En premier, vous dites qu'il faudrait faire le rapatriement assorti d'une "formule d'amendement acceptée par les provinces selon une formule comprenant obligatoirement le Québec. J'aimerais bien que vous nous donniez des précisions sur la formule que vous préféreriez.

Ensuite, vous dites: On laisse le processus parlementaire et gouvernemental et on forme un groupe d'étude. Pépin-Robarts, Laurendeau-Dunton, peut-être Dion... plus tard, Dion-Solon. Je n'ai pas dit Solo. Un groupe d'étude, ensuite une assemblée constituante. Je vous avoue que ce sont deux étapes qui m'inquiètent un peu. Je ne sais pas comment on peut soustraire le processus à ce moment délicat qui suivrait le rapatriement assorti d'une formule d'amendement, comment on peut le soustraire à la responsabilité des élus du peuple.

Je ne sais pas en vertu de quel

jugement de légitimité ou de légitimisation on pourrait en arriver à la conclusion qu'un autre groupe aurait une légitimité plus grande qu'un groupe comprenant les parlementaires élus au suffrage universel et le pouvoir exécutif qui découle de l'élection démocratique. C'est un point qui fait difficulté dans l'esprit d'un grand nombre au sujet de vos propositions. Autant je serais d'accord sur l'idée qu'éventuellement on pourrait arriver à une assemblée constituante comprenant, au premier chef, des parlementaires et, complémentairement, peut-être d'autres citoyens, autant j'ai de la misère à penser que, pour un temps, on va dire aux parlementaires et aux gouvernants: Vous autres, vous allez nommer quelques personnes. Mettez-vous de côté et on vous appellera plus tard, quand il y aura une constitution. Franchement, je ne vois pas, au point de vue organique, comment cela peut fonctionner sous notre type de gouvernement.

Un dernier point sur la politique des langues, deux petites questions. Vous parlez d'asymétrie, un bien grand mot pour proposer une politique qui pourrait aboutir à la confusion la plus complète. Je crois, si nous vivons en régime fédéral, que nous ne pouvons pas dire: Le "software" aux provinces, le "hardware" au fédéral. Vous dites vous-même en conclusion, d'ailleurs: II ne faut pas séparer l'économique du culturel. C'est curieux, parce que au début vous étiez porté à faire la distinction entre le "software" et le "hardware".

Il me semble qu'on doit viser à obtenir un minimum de droits qui vont valoir pour tout le monde dans ce pays fédéral où nous habitons, quitte à ce que, pour un certain nombre d'autres droits, chaque province ait sa liberté de législation. Je ne vois pas au nom de quel principe on dirait en partant: Cela va être d'abord l'asymétrie, le reste, on n'en a pas besoin. Moi, je me dis: Si on peut s'entendre - c'est la position de mon parti et je sais que vous l'avez critiquée parfois, mais on n'a pas l'occasion de se parler tous les jours - nous autres, nous favorisons l'inclusion de certains droits linguistiques dans une constitution renouvelée, par exemple. Je ne vois pas en quoi cela peut faire du tort à qui que ce soit que de garantir certains droits fondamentaux. Je l'ai déjà demandé au premier ministre en Chambre; je l'ai demandé au ministre des Affaires intergouvernementales, ici. Je n'ai jamais eu de réponse à cette question-là, en quoi ça peut menacer la langue française que le contribuable de langue anglaise puisse avoir accès à la justice dans sa langue au Québec et que le contribuable de langue française puisse avoir accès à la justice, au moins criminelle, en Ontario.

Je trouve que si on avait cette garantie-là dans un pays comme le Canada, il me semble que le niveau d'acceptation réciproque serait plus élevé. En tout cas, ce n'est sûrement pas un objectif auquel je serais prêt à renoncer en partant et je vous poserais une question, en complément de ceci, sur l'article 133 dont vous avez parlé. Nous autres, dans notre programme, nous disons: Nous aimerions que l'article 133 reste là, mais qu'il s'applique pour l'Ontario et le Nouveau-Brunswick, en plus de continuer à s'appliquer pour le Manitoba et pour les autres, éventuellement, aussi, mais nous n'en ferions pas une contrainte immédiate.

Je voudrais vous demander en quoi l'article 133, dans l'interprétation qu'on lui a donnée jusqu'à maintenant et sans préjuger de la décision que rendrait la Cour suprême dans la question qui lui a été soumise à la suite du jugement sur la loi 101, en quoi l'article 133 a-t-il nui ou est-il de nature à nuire à l'épanouissement d'un Québec prioritairement français, mais où on a aussi le souci de respecter les droits linguistiques de la minorité anglophone? L'article 133 prescrit deux sortes d'obligations: l'obligation de respecter le droit de chacun d'user de sa langue dans la Législature à l'Assemblée nationale et dans ses commissions et, deuxièmement, le droit du justiciable de transiger avec les tribunaux en français ou en anglais, quelle que soit sa langue. On pratique ça depuis 113 ans au Québec et franchement on a un très bon système de justice. Je ne pense pas qu'il y ait plus de respect des droits des uns et des autres que celui qu'on a vu au Québec dans le système judiciaire et la preuve, c'est que jamais des demandes de modifications ne sont venues de sources judiciaires ou des milieux du Barreau. C'est venu de théoriciens de l'extérieur. Je me dis, moi, plutôt que de supprimer l'article 133, j'aimerais mieux qu'il reste, en s'appliquant également au Nouveau-Brunswick et à l'Ontario.

Je suis d'accord, cependant, si ces provinces ne veulent pas du tout entendre raison, que nous refusions 1'espèce d'asymétrie que nous impose l'ordre constitutionnel actuel. Mais j'aimerais avoir vos opinions sur ces questions.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. Dion.

M. Dion: Merci, Mme la Présidente. C'est évident que ce sont des questions qui, s'il fallait y répondre d'une manière complète, mettraient plusieurs heures et je pense que je pourrais, à ce moment, revivre certaines des heures, en effet, que j'ai déjà vécues dans l'ancien temps avec M. Ryan.

Mais il reste que je pense que, sous-tendant les interrogations que me pose M. Ryan, il y a quand même des conceptions assez différentes de vue que nous devons accepter entre lui et moi concernant l'aménagement constitutionnel qui conviendrait au Canada et au Québec, non

seulement le Québec, mais l'ensemble du pays, pour encadrer d'une manière juridique nos institutions. En ce qui concerne la conception de la nation, je ne crois pas avoir une conception de la nation qui relève d'une théorie faite. J'ai l'impression que, selon les conditions, selon les questions posées, selon les conjonctures également qui se présentent à la société, je vois le problème de la réaction collective à des questions posées comme pouvant être ou bien de caractère détendu, ou bien de caractère beaucoup plus serré et beaucoup plus tendu.

Ce que je voulais dire ce matin, c'est qu'il faudrait éviter de créer des conditions, notamment par la constitution d'un pays, qui ne permettraient pas de procurer aux Québécois la sécurité dont ils ont et auront toujours besoin non seulement sur le plan démographique, parce que, pour moi, ce n'est pas là l'essentiel, mais sur le plan socio-économique, sur le plan culturel. C'est la raison pour laquelle, pour moi, ça devient une priorité importante de regarder quel système nous allons mettre en oeuvre et quelles seront les réactions affectives qui en résulteront chez les francophones du Québec.

Ce matin, je ne critiquais que le point de vue du projet de résolution qui nous est présenté par M. Trudeau. Il me semble que ce projet de résolution, tel qu'il est, est susceptible d'engendrer une série de réactions négatives d'insécurité, de complexe, fondées sur le fait qu'on maintient beaucoup trop, à mon point de vue, le statut de minorité politique aux Québécois francophones. C'est la raison pour laquelle j'étais tellement heureux au début des années soixante, parce qu'il m'apparaissait, eu égard au développement de la société québécoise, eu égard aux engagements que prenait, à l'époque, le gouvernement de M. Lesage, eu égard également à certaines orientations du gouvernement fédéral dirigé à ce moment-là par M. Pearson, aux sortes d'orientations que préconisait Maurice Lamontagne par son fédéralisme coopératif, que nous pouvions mettre en oeuvre une série de cadres institutionnels qui réduisaient d'autant la tension, le sentiment d'insécurité que partageaient tellement de francophones, de Québécois, durant la décennie antérieure.

Il m'apparaissait que, dans les années soixante, nous étions en train de constituer au Québec les cadres d'une société qui permettrait aux Québécois de s'affirmer sans crainte dans leur monde québécois, bien entendu, et également dans le monde de l'extérieur. Je me suis toujours considéré comme un optimiste modéré; on peut, d'une certaine façon, définir cela comme étant du pessimisme. Mon pessimisme vient du fait que - je ne fais pas état des orientations constitutionnelles que préconise le Parti libéral du Québec, bien que l'on pourrait également étendre cela à ces orientations; je m'en prends, pour l'instant, exclusivement au projet fédéral - ce projet, à mon point de vue, est de nature à ressusciter des types de sentiments, de réactions dont on avait un peu perdu l'habitude au Québec ces derniers temps.

Je pense, notamment, à nos rapports avec les anglophones et les allophones au Québec, qui risquent non pas de s'améliorer par ces changements préconisés, mais au contraire, à mon point de vue, de se détériorer de nouveau, comme c'était le cas avant que nous ayons ces dispositions institutionnelles qui, sans aucun doute, avaient posé au moins un certain nombre de bornes qui offraient aux francophones un territoire d'action où ils pouvaient agir librement tout en indiquant assez bien pour les anglophones quelles étaient néanmoins les prérogatives qu'ils conservaient. Là-dessus, je renvoie simplement au rapport Pépin-Robarts, qui est un rapport fédéral et qui indique que la loi 101 propose pour les anglophones un modus vivendi qui doit leur apparaître comme suffisant.

En ce qui concerne la démobilisation des Québécois après le référendum, c'est évident que nous n'avons pas eu la victoire du oui. Nous aurions vu quelle aurait été la réaction et au Québec et à l'extérieur du Québec, mais il m'apparatt nettement que la façon dont le référendum - le résultat du référendum - a été interprété par certains, a été de nature à démobiliser les Québécois.

Ceci s'est exprimé, de plusieurs façons et l'une de ces façons, je crois, compréhensible par M. Ryan, notamment, c'est que c'est un peu dommage que cette discussion constitutionnelle, telle qu'elle s'est déroulée durant le référendum et qu'elle se déroule depuis lors, est devenue une affaire de famille pour ainsi dire. Une affaire entre Québécois, soit qui oeuvrent à Québec, soit qui oeuvrent à Ottawa. Je n'ai pas l'impression que ce type de débats entre nous est de nature à vraiment susciter beaucoup d'enthousiasme parmi ceux qui nous écoutent.

J'entendais Mme Chaput-Rolland durant certaines phases de nos débats à l'Assemblée nationale, ici, indiquant que peut-être la population n'était pas nécessairement très fière de ce qui se déroulait là et j'ai l'impression que nous avons tous contribué quelque peu à ce sentiment chez beaucoup de personnes dans le public, que les questions étaient devenues telles que finalement on ne savait plus quelle orientation il fallait prendre. (15 h 30)

Ceci m'amène évidemment à la mobilisation partisane du débat constitutionnel. Je suis d'accord qu'il y a un rôle pour les hommes politiques, évidemment. Il y a un rôle pour les hommes politiques dans un débat comme celui-ci, comme dans

tout débat. Ce qu'il m'apparaît s'être produit depuis une couple d'années, c'est que le débat constitutionnel, comme presque tous les débats engageant des questions fondamentales sur l'avenir des projets de société, est devenu presque un monopole des partis. Peut-être que j'exagère ici, c'est ma façon de percevoir les choses, mais je pense que les partis politiques, qu'il s'agisse du Parti québécois ou du Parti libéral du Québec, ont en quelque sorte la défense de certaines orthodoxies institutionnelles dont il est extrêmement difficile de sortir.

Je me souviens, par exemple, que, dans les media, ce qu'on nous demande de faire, c'est toujours de réagir par rapport à un point de vue exprimé par l'un ou l'autre membre de partis politiques. C'est comme si - on pouvait revenir au rôle des intellectuels dans la société - ceux-ci avaient, soit par leur faute ou autrement, perdu en quelque sorte la possibilité de s'exprimer eux-mêmes en dehors des partis.

Je remarque également - je l'éprouve dans ma vie presque quotidienne - que ce que nous disons comme personnes, à l'extérieur de partis politiques, risque d'être interprété par l'un ou l'autre comme allant bien dans le sens d'un parti et allant mal dans le sens d'un autre parti. Je dois dire, Mme la Présidente, que ceci ne m'a pas convaincu de devenir membre d'un parti politique, au contraire, je crois qu'il faut revendiquer pour les intellectuels, que j'appelle indépendants, et les engager, revendiquer leur place au soleil. Évidemment, c'est à eux de la chercher, cette place, et de s'y maintenir.

M. Ryan a dit que la polarisation était la loi de la vie; je ne le crois pas. La manichéisme n'est pas la loi de la vie. La manichéisme ne nous mène pas à la vérité. La manichéisme est au contraire une structure de pensée qui risque de paralyser l'action, qui risque de faire oublier beaucoup d'aspects essentiels dans une situation, parce qu'on essaie constamment de ramener la problématique de la vie et de la société à deux pôles: le bon pôle et le mauvais pôle. Bien entendu que, soi-même, on se situe dans le bon pôle, l'autre parti étant le mauvais pôle. Comme mon professeur à Rimouski le disait: Il y a deux principes, il y a le bon principe et le mauvais principe. Les bons élèves suivent les bons principes et les mauvais élèves suivent les mauvais principes.

Il me semble, en effet, qu'il y a des questions à propos desquelles il faut la polarisation partisane, parce qu'il faut décider rapidement. Nous le voyons chaque jour à l'Assemblée nationale. Il faut le faire pour les lois ordinaires, pour les questions sur lesquelles, au fond, il existe un consensus dans la société et surtout pour les lois qui pourront être reprises très prochainement, s'il y a un autre gouvernement. Si un autre parti n'est pas d'accord, il les ramène avec sa majorité, défait ces lois-là. À mon point de vue, c'est la seule façon de pratiquer une politique. Autrement, la politique doit se faire, si on ne compte pas les votes, on va étêter, on va couper les têtes. C'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, nous avons adopté la règle de la majorité comme procédure d'action politique. Ce n'est pas parce que c'est la bonne formule au plan de la vérité, au plan de la recherche de la réalité telle qu'elle peut être définie, selon des normes trouvées par l'humanisme ou par la science, c'est parce qu'il faut agir.

Mais quand il s'agit des questions fondamentales, comme celles qui engagent un avenir illimité, des générations futures aussi bien que soi-même dans tous les cadres de la vie quotidienne, parce qu'une constitution va enserrer tous les aspects de la vie individuelle et collective des citoyens, à mon point de vue, il faut faire plus que de la polarisation; il faut rechercher, bien entendu, les cadres, l'identité, des pluralismes.

Dans la société, il y a du pluralisme et, si M. Ryan a voulu signifier que, par là, il reconnaissait l'existence du pluralisme qui s'impose, bien entendu, aux hommes politiques comme à tous les autres, je suis parfaitement d'accord. Nous n'aurons jamais une identité de vues, une unanimité de vues sur toutes les questions.

Cependant, pour ce qui concerne les questions constitutionnelles, c'est ce vers quoi il faut tendre. Je me souviens qu'à l'automne 1966, je crois, le parti de l'Union Nationale qui était au pouvoir et le Parti libéral s'étaient mis d'accord pour la création d'un groupe auquel je pense, Mme Solange Chaput-Rolland, a participé, les États généraux du Canada français. Nous étions d'accord qu'il y avait un problème pour le Québec, pour le Canada, bien entendu. C'est évident, nous ne sommes plus dans la même situation et je dois comprendre que c'est très difficile pour les partis de pouvoir se mettre d'accord même sur ces questions essentielles. C'est la raison pour laquelle je conclus qu'il faut que ces débats puissent en même temps se faire à l'extérieur des partis politiques et à l'extérieur même des Assemblées nationales. Je prêche pour un retour par les citoyens, par les groupes organisés, les collectivités spontanées afin qu'ils se reprennent en main et qu'à leur tour, ils disent ce qu'ils veulent et le fassent connaître autrement que par le truchement des voies partisanes proprement dites.

Quand on dit que le but ne peut pas être exclusivement de renforcer le Québec, cela dépend de la façon qu'on voit les choses. Je pense que je n'ai pas ici à indiquer que je me situe dans un contexte canadien. J'ai toujours oeuvré dans un contexte canadien. C'est la première fois de

ma vie que je me trouve à parler publiquement dans une assemblée politique, l'Assemblée nationale, en dehors d'Ottawa. J'ai toujours été discuter de ces questions à Ottawa. J'ai participé à des groupes de travail fédéraux et je voyais la position du Québec dans le cadre fédéral, et Dieu sait s'il me semble que cette position s'impose aujourd'hui encore davantage. Il faut sans aucun doute chercher les voies d'insérer le Québec dans la fédération canadienne. C'est encore pour moi, comme je le disais ce matin, la voie la plus économique, mais n'allons pas faire le travail des autres; faisons d'abord notre travail. Si nous ne sommes pas d'accord à propos de la question linguistique - pour prendre cette question-là - je ne pense pas qu'il faille aujourd'hui nécessairement en débattre dans les détails, mais commençons par en discuter vraiment entre nous. Sortons-les, nos études sur lesquelles nous nous fondons pour indiquer ceci, indiquer cela, etc., et les orientations que nous prendrons. Montrons au moins à l'extérieur, aux anglophones canadiens qui ne comprennent rien dans nos débats, montrons-leur quand même que nous avons, nous, pris une certaine orientation et que nous savons de quoi il retourne.

J'en suis personnellement, en tout cas, arrivé à la conclusion - c'est une conclusion que j'ai exposée à plusieurs reprises devant la commission Pépin-Robarts elle-même -qu'il ne sera pas possible d'aménager une situation constitutionnelle, juridique pour le Québec et qui permette en même temps au Québec de jouer son rôle plus positif, plus enthousiasmant dans l'ensemble du pays si, d'une certaine façon, on ne lui octroie pas un statut particulier, et non pas en raison de questions affectives ou émotives pour le Québec, mais en raison de la nature des problèmes qui se posent au peuple canadien.

Je pense notamment à la question linguistique. Je ne vois pas la possibilité d'en arriver à une formule uniforme à travers le pays à propos de la question linguistique. La situation des sept provinces anglophones dans lesquelles nous avons moins de 4% de la population qui énonce que sa langue d'usage est le français - même si, dans certains cas, à propos de groupe ethnique et de la langue maternelle, ils étaient 14% comme groupe ethnique, 7% dans la langue maternelle, il y en a seulement 3,8% dont la langue d'usage est encore le français. C'est la situation du Manitoba actuellement qu'on veut déclarer officiellement bilingue. Faites-le. Déclarons le Manitoba officiellement bilingue, mais quel résultat, quelle conséquence pratique cela aura-t-il sur une population qui est en voie de disparaître? 3,8% qui ont la langue française comme langue d'usage, cela ne veut pas dire 3,8% qui accepteraient d'aller à l'école française si elle était disponible, parce qu'ils ont d'autres objectifs que d'aller à l'école française. Ils savent très bien que, dans la province du Manitoba, il est impossible de vivre en français du point de vue institutionnel, du point de vue du travail, du point de vue de la langue des communications. On ne choisit pas une langue pour des raisons purement affectives. On choisit une langue pour des raisons d'utilité et je pense que le Manitoba et le Québec ne peuvent pas être situés de la même manière à propos de la question linguistique.

C'est la même chose, bien entendu, pour le Nouveau-Brunswick et l'Ontario. Dans le cas du Nouveau-Brunswick, de l'Ontario et du Québec, nous rejoignons actuellement 96% des personnes parlant français au Canada. Même pour l'Ontario et le Nouveau-Brunswick, on me dit: L'asymétrie ne ferait pas de mal au Québec. Elle a fait du mal au Québec depuis 1867 en ce qui concerne l'attribution de contraintes particulières au gouvernement du Québec, à l'Assemblée nationale, à l'administration du Québec, aux cours de justice du Québec en lui imposant le caractère officiel du français. Dans certains cas et pendant très longtemps, au niveau des tribunaux, la langue des tribunaux fut beaucoup plus l'anglais que le français, en ce qui concerne les procès qui impliquaient les compagnies, notamment. Cela avait été un des points qui avaient été soulevés. Vous me dites: Les juges n'ont jamais fait allusion à ces problèmes. C'est évident. Quand les juges vont-ils parler de ces questions? Ils ne peuvent pas le faire. J'ai fait moi-même - et M. Ryan, vous l'avez fait vous-même - on a fait des conférences aux juges. C'est évident que le judiciaire a un statut particulier dans notre système politique et qu'il n'appartient pas aux juges d'aller discuter de ces questions. Quant au Barreau, je crois que, si nous revoyions les déclarations du Barreau, nous verrions quand même, à certains moments, des jugements sur cette situation.

Comme je le mentionnais ce matin, le caractère officiel d'une langue a un effet d'entraînement formidable sur une société, tant du point de vue des gens à l'intérieur que du point de vue des personnes de l'extérieur. Et pour moi, le statut du français au Canada ne peut pas être autrement qu'asymétrique parce que, en ce qui concerne le Nouveau-Brunswick et l'Ontario, c'est évident que ce serait pour eux une chance formidable si la langue française était reconnue au niveau des provinces comme langue officielle. Et quel dommage cela ferait-il à une majorité qui possède tous les moyens de contrôle pour la promotion de la langue anglaise, qui possède toutes les institutions économiques, qui a les mass media, qui a l'éducation, etc.?

Inversement, si on se pose la question pour les anglophones du Québec,

personnellement, je n'ai absolument rien contre le développement et la promotion de l'anglais au Québec. J'ai toujours pensé que c'était bon pour le Québec que l'Université McGill existe et qu'elle soit forte et excellente. Néanmoins, quand nous regardons la situation de la langue anglaise au Québec, elle est tellement dans un statut supérieur, elle a des possibilités d'action tellement supérieures au français, au Québec même, qu'il n'y a pas de danger, même si nous maintenions quelque chose qui ressemble à la loi 101, que la langue anglaise au Québec sibisse des préjudices importants, majeurs, au plan de l'éducation. C'est bien certain qu'il y a au niveau élémentaire - on en fait état -certains problèmes de la relève des élèves du système scolaire anglais. De la même manière y en a-t-il un problème de relève au niveau du système scolaire français. Quant aux chances et aux possibilités d'avenir, actuellement, il y en a qui vont dans le réseau anglais encore davantage que la proportion des anglophones au Québec. Et quand on regarde le taux d'assimilation de la population active au français et à l'anglais, ceci peut peut-être surprendre, mais la proportion de ceux qui s'assimilent à l'anglais, au Québec, est beaucoup plus grande, 5,4% contre 3,2%, actuellement, à peu près.

C'est évident que les allophones sont très importants, comme l'enjeu un petit peu captifs, d'une certaine manière, de ces deux grands groupes linguistiques. On fait état qu'il ne serait pas très difficile, qu'il ne serait pas très grave de modifier les règles actuelles qui existent d'après la loi 101. Je pense qu'il faut avoir une vision un peu plus lointaine de l'avenir. Actuellement - et ceci est assez remarquable - les anglophones qui immigrent au Québec se maintiennent encore autour de 27% de l'ensemble des immigrants. Néanmoins, la proportion, le nombre total, comme vous le savez, a diminué beaucoup. Au lieu d'être environ 30,000, ils sont d'environ 10,000 ou 12,000 actuellement. Ceci veut dire qu'environ 3000 immigrants sont de langue anglaise quand ils viennent au Québec.

Nous aurons, à partir de 1990-1991, de nouveau une main-d'oeuvre insuffisante. Il va falloir faire appel de nouveau à une grande proportion d'immigrants pour la relève de cette main-d'oeuvre. D'où viendra-t-elle la main-d'oeuvre? Est-ce qu'elle viendra des milieux proprement francophones, qui n'ont pas été jusqu'ici tellement propices à l'immigration? On peut dire: Cela dépendra des gouvernements en présence. Moi, je ne fais pas confiance à ces gouvernements pour ces questions.

Encore une fois, je ne voudrais pas soulever tout le débat concernant la question linguistique, mais s'il fallait qu'un parti politique ouvre d'une façon considérable la question que semblait avoir fermée la loi 101, certainement que je serai partie de ce débat, non pas parce que je m'oppose aux anglophones, non pas parce que je crains que les francophones québécois vont disparaître -ils ne disparaîtront pas - mais parce qu'ils ont besoin d'une protection linguistique considérable pour leur promotion économique.

Nous savons actuellement qu'au niveau qualitatif nous n'avons pas à comparer les deux systèmes d'éducation. Plus nous montons, nous arrivons au niveau universitaire; imaginez, du côté anglophone, un doctorat par 6800 personnes au Québec et un doctorat pour environ 37 000 personnes parmi les universités francophones. C'est évident qu'il n'y a pas de comparaison. Le système anglais est bien supérieur au système français pour toutes sortes de raisons, historiques et autres.

Si vous allez du côté de la profession, vous allez remarquer - ce sont des études très nombreuses que j'ai apportées avec moi et que je peux étudier avec vous tant que vous voulez - à propos des revenus pour les plus hauts salarités, à propos des revenus pour les diplômés d'université, il est évident qu'une personne qui parle l'anglais est favorisée du point de vue de ses chances de carrière et de son revenu au Québec même. (15 h 45)

Si vous regardez la langue d'usage dans les entreprises - on dit que la question du français est réglée, elle n'est pas réglée au Québec - plus nous montons les échelons dans l'activité économique, plus l'anglais devient la langue d'usage. D'ailleurs, je ne suis pas nécessairement contre le fait que l'anglais soit là, mais je veux que les conditions restent ce qu'elles sont pour la promotion du français.

En ce qui concerne le contrôle de l'économie, il y a des études qui montrent que le contrôle de l'économie est en train, en quelque sorte, non pas de changer de main du camp de l'anglais au français, mais il y a quelques percées ici et là du français, des Français du point de vue du contrôle de l'économie. Une étude de Maurice Sauvé sur les dirigeants d'entreprise, des quelque 1000 entreprises qui ont 1000 employés et plus, avec un certain niveau d'"output", montre que moins de 10%, 9% des dirigeants d'entreprise québécois sont francophones et qu'en ce qui concerne les dirigeants au sommet la proportion descend à 3%, etc. Mais, évidemment, là, les nombres peuvent varier. Dans les plus grandes compagnies dont le président peut être identifié, il y a eu une baisse dans les dernières années. C'est une baisse accidentelle, sans doute, à la suite des remplacements.

Je pourrais continuer ainsi très longtemps pour montrer que le problème linguistique au Québec, ce n'est pas une question de savoir si on va mettre telle

mesure, la langue française, la langue maternelle ou la langue qui a été la langue d'enseignement des parents. C'est beaucoup plus que ça. C'est une question, comme je le mentionnais ce matin, de société. Il faut l'envisager comme telle et c'est la raison pour laquelle je crois encore qu'il nous faut poursuivre des études, non pas parce que je prêche pour mon clocher; j'ai fait suffisamment d'études, mais je suis prêt à en faire encore. Je suis prêt aussi à améliorer, à réorienter mon tir. Mais, avec mes confrères anglophones, au lieu de se lancer des mots à travers le journal la Gazette, etc., j'aimerais que nous nous mettions ensemble et nous regardions vraiment ce qui est la situation au Québec pour l'anglais et pour le français et que nous en arrivions à constater la situation et à proposer, par conséquent, certains moyens d'action qui peuvent être, éventuellement, des modifications à loi 101, quand la vie économique, notamment, aura davantage été sous le contrôle des francophones.

En ce qui concerne, par conséquent, l'ensemble de la question linguistique, il m'apparaît qu'il faut retourner à l'école. Et je dirais la même chose pour les autres questions. Nous avons actuellement à faire face à un problème majeur qui est celui des communications dans un monde très différent de celui que nous avons connu, dans lequel les media auront un rôle autrement plus considérable. Ce n'est pas à coup de livres verts faits dans un bureau de ministre - je ne m'en prends pas à M. L'Allier ni nécessairement à d'autres - je crois qu'il faut compléter, il faut lancer le débat et que nous comprenions très bien dans quel contexte il faut situer les communications, les affaires sociales, etc., et toutes les autres questions, malgré tout, malgré la commission BB, qui, à mon avis, a mal tourné dans ses orientations - nous étions dix ans antérieurement - malgré la commission Pépin-Robarts, qui, à mon point de vue, avait quelques bonnes orientations mais, malheureusement, elles ont été mises de côté ou elles ont été oubliées depuis quelque temps. Il nous faudra continuer.

Quant à l'assemblée constituante, une fois que nous aurions eu des orientations précises émanant d'un groupe d'étude, je n'ai aucune objection à ce que l'assemblée constituante soit constituée des premiers ministres, personnellement. C'est possible qu'on puisse, en même temps, allouer des personnes qui ne seraient pas des élus qui pourraient être nommés par les Assemblées nationales, si l'on voulait.

Mais si nous convoquions aujourd'hui une conférence fédérale-provinciale, constituée des premiers ministres, selon la formule que nous avons adoptée avec des travaux faits par des fonctionnaires, etc., je suis persuadé que nous aboutirions, quelle que soit la bonne volonté au départ des personnes concernées, néanmoins, aux mêmes conclusions. Quant au reste, je pense que les députés - je voudrais revenir là-dessus - les politiciens, les hommes politiques ont un rôle à jouer. Mais, moi, je prêche également pour un rôle pour ceux qui ne sont pas dans la vie politique, mais qui peuvent, par leur expérience personnelle ou leurs travaux, également, s'être mérité une certaine compétence qui leur permet de se prononcer sur des questions à l'ordre du jour.

M. Ryan: M. Dion...

M. Dion: J'avais encore un point, mais je ne le ferai pas. Software et hardware. J'ai oublié. Le software et le hardware, je les ai mis de côté. Allez-y. J'en parlerai tantôt.

La Présidente (Mme Cuerrier):

Rapidement, parce que le temps avance. M. le chef de l'Union Nationale, vous dites que vous avez une simple remarque?

M. Ryan: Je voulais dire...

La Présidente (Mme Cuerrier): J'ai encore fait un lapsus.

M. Ryan: II faut croire que vous avez un syndrome, Madame, qui est typique de votre parti.

La Présidente (Mme Cuerrier):

J'apprécierais que vous ne me parliez pas maintenant de choses comme celle-ci, pas à ce moment-ci, M. le chef de l'Union Nationale. Ici, je me sens très neutre. Je l'ai encore dit? Je vais l'écrire en gros, M. le chef de l'Opposition officielle.

M. Ryan: Je ne pensais pas que c'était si avancé.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Opposition officielle, c'est sans doute parce que je dois maintenant passer la pqarole au chef parlementaire de l'Union Nationale. J'apprécierais si vous vouliez bien me pardonner les lapsus.

M. Ryan: Très bien, Mme la Présidente. Juste un mot. Moi, je n'ai jamais suggéré de ma vie et cela ne m'est même pas venu à l'esprit de penser que des gens en dehors des partis politiques n'aient pas de rôle à jouer dans le débat constitutionnel. Toute ma carrière antérieure témoigne d'une conviction contraire. Le parti que je dirige a ouvert ses portes très grandes à des experts, à des spécialistes, à des témoins ordinaires venant de tous les milieux possibles. Il n'est pas question de ça du tout. Vous pouvez garder l'assurance qu'avec nous, surtout, vous

pourrez continuer à écrire des articles dans les journaux et témoigner devant toutes les commissions que vous voudrez, M. Dion, il n'y a pas de problème. Mais ce que je vous dis, c'est que j'ai de la misère à accepter ce qui est écrit dans votre texte, à la page 28, quand vous dites en toutes lettres que les partis sont incapables d'être des guides fiables en ce qui concerne la question constitutionnelle.

Je vous dis: Si vous voulez substituer une autre légitimité à celle des partis politiques, vous êtes libre de lutter pour cela aussi. On a toutes les libertés en démocratie. Mais vous dites: Moi, je vais lutter pour l'objectif contraire et je trouve que les partis politiques sont de bien meilleurs véhicules pour l'expression des aspirations et des problèmes des citoyens que des cours des professeurs, que je respecte, par ailleurs, mais nous avons un véhicule public pour l'expression des aspirations des citoyens, ce sont les partis politiques. Jamais ils n'ont été aussi productifs que ces dernières années, surtout sur la scène québécoise. Ce n'est pas au moment où ils sont productifs comme ils l'ont été que n'importe qui va pouvoir conclure: On regrette, ces gens ne sont pas des guides fiables. C'est la population qui va les choisir et je ne pense pas qu'on pourra avoir deux systèmes de suffrage universel. Il y en a un et il s'exerce mieux par l'existence de partis politiques qui se font concurrence les uns les autres.

Je voulais simplement souligner qu'en matière constitutionnelle, le râle des partis politiques est et doit demeurer primordial. Que tous ceux qui ont des idées à émettre les émettent et, si vous faites une critique qui invalide une position de mon parti, tant mieux pour vous et tant mieux pour la démocratie. Nous n'avons rien contre cela. Ce n'est pas l'objet du débat. Ce sur quoi je vous interroge, c'est le jugement que vous portez sur les partis politiques qui me paratt déphasé et irréaliste.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le professeur.

M. Dion: C'est une question d'appréciation, mais je vais alors préciser ma pensée. Je vais tourner la vis un peu plus. En effet, je pense que les partis politiques -je parle ici du Parti québécois et du Parti libéral du Québec - se sont, dans ces dernières années, attribué une certaine orthodoxie en ce qui concerne la pensée constitutionnelle. Pour moi, cette orthodoxie n'est pas valable. Les deux partis, tant le Parti québécois que le Parti libéral du Québec, se sont entravés au point où, à mon point de vue, ils ne sont plus considérés par une bonne partie de la population comme des guides fiables.

Il m'apparaît - et ici je fais la part des deux: j'avais dit au début qu'il est possible qu'on fasse l'unanimité contre moi, ce qu'il n'a pas été possible de faire contre M. Trudeau. Le Parti québécois, c'est évident, a une entrave dans le débat constitutionnel et là-dessus, je renvoie simplement aux propos de M. Ryan lui-même, c'est un parti dont l'orientation constitutionnelle ne prévoit pas un fédéralisme comme fin d'un processus de révision. Comment voulez-vous que ce parti, qui est actuellement le gouvernement, puisse vraiment être considéré par une bonne partie de la population comme fiable?

Je ne juge pas, encore une fois, des personnes, quoique très honnêtement, au cours de l'été, je l'ai dit, M. Claude Morin et bien d'autres ont eu une attitude très honnête, ils ont travaillé. Mais s'ils allaient, si la cause qu'ils défendent dans le processus en cours allait triompher - c'est la fin du premier projet, du premier article de ce parti, c'est la fin du projet indépendantiste, c'est la fin de la souveraineté-association.

Très bien. Passons au Parti libéral du Québec. Le Parti libéral du Québec, à mon point de vue, s'est également...

M. Rivest: ...d'accord avec vous.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. Dion.

M. Dion: Le Parti libéral du Québec s'est également mis une entrave importante à l'occasion... Oh non, oh non! Évidemment, on a parfois des propos avec M. Ryan, je le respecte beaucoup, ce n'est pas là le problème, je pense qu'il le sait. C'est ma façon de voir le rôle du Parti libéral du Québec depuis qu'il est chef du parti et surtout, évidemment, depuis la campagne du référendum. A mon point de vue, sans le vouloir et bien honnêtement, dans la défense du fédéralisme, ce qui était évidemment son rôle, le Parti libéral du Québec s'est mis une entrave majeure en acceptant, sans condition, de collaborer avec le premier ministre du Canada. En ceci, il m'apparaît que, pour une partie de la population, il est à son tour non fiable comme guide pour une réforme constitutionnelle, parce que, lui aussi, il a cette entrave et il faudrait en plus discuter d'une orientation qui n'a pas été à l'ordre du jour durant la campagne référendaire, à la demande même de M. Ryan, à savoir le livre beige.

Comme M. Ryan le soulignait, j'ai émis des critiques sur le livre beige et si, éventuellement, le Parti libéral du Québec venait au pouvoir et s'il voulait mettre en loi des orientations préconisées dans le livre beige au plan constitutionnel, nous en parlerions et nous ne lutterions certainement pas tout à fait du même côté de la clôture. C'est dans ce sens que, pour moi, les partis politiques sont insuffisants, comme guides,

pour l'action constitutionnelle.

En outre, à mon point de vue, le livre blanc est mis de côté dans ses aspects les plus importants. Le livre beige de 1978-1979, je crois qu'il faudrait qu'il soit révisé assez considérablement, à la suite de l'expérience que nous vivons actuellement et que nous vivrons. Mais pour ce qui concerne la reprise du débat, ce que j'ai proposé ce matin comme moyens, qui paraît bien long à M. Ryan, je crois qu'il va falloir accepter de demander à des gens qui sont indépendants de dire: Voici, donnez-nous quand même des orientations à partir d'études solides, et il y en a. Grâce à Dieu, nous avons beaucoup progressé, non seulement depuis la commission B.B., mais même depuis Pépin-Robarts; depuis les deux ou trois dernières années, il y a beaucoup d'études.

Je demanderais que nous demandions à ces personnes de nous dire quelles sont les grandes dimensions des problèmes au plan constitutionnel et ensuite les partis politiques, qui n'ont jamais été construits, qui n'ont jamais été créés pour discuter, pour élaborer des questions fondamentales... Ils sont là pour proposer aux citoyens des enjeux qu'on appelle programmes ou plates-formes, dans lesquels les citoyens se partagent plus ou moins, dans lesquels ils ne se reconnaissent pas.

Je veux avoir un bon mot, néanmoins, pour l'Union Nationale, que j'ai laissée de côté aujourd'hui, qui me paraît avoir été victime, dans le passé récent, de cette polarisation dont faisait état M. Ryan. Je crois qu'il y a de la place - je le dirai samedi - pour l'Union Nationale dans le prochain débat, parce que je ne crois pas que les citoyens se retrouvent complètement dans les deux pôles qui sont actuellement proposés; je parle ici au plan de certaines questions majeures.

C'est, encore une fois, ma façon de voir la politique, notre problématique québécoise et canadienne. C'est évident que je n'ai pas l'autorité pour l'imposer et, même si je l'avais, je ne le ferais pas.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef parlementaire de l'Union Nationale.

M. Ryan: Seulement une rectification que je suis obligé de faire. M. Dion a dit tantôt que nous avions collaboré avec le Parti libéral fédéral, sans restriction, sans condition, c'est faux. Le livre beige de mon parti était public, avait été approuvé en congrès général avant la tenue du référendum. Cela a toujours été notre politique depuis ce temps, y compris pendant la compagne référendaire, mais nous ne l'avons pas imposée aux autres partenaires pendant cette campagne. Notre position a toujours été claire. Depuis que le gouvernement fédéral a fait connaître son projet de réforme, notre position a été parfaitement claire. (16 heures)

M. Dion: Madame, est-ce que je pourrais ajouter seulement un mot, pour répondre? Je pourrais répondre très longtemps, parler beaucoup, mais, durant la période du référendum, vous savez que j'ai dit oui et j'en suis profondément heureux. La question que je posais, qui m'aurait persuadé de dire non, c'était: Quel fédéralisme renouvelé nous promettez-vous? Or, d'un côté comme de l'autre de tout le camp du parapluie du non, on nous disait: Attendez! D'abord, battons les séparatistes et, ensuite, nous vous dirons quel fédéralisme renouvelé. Quant à ceux qui estimaient que M. Trudeau s'était assoupli, etc., etc., ou ils n'ont pas voulu s'ouvrir les yeux à la personnalité réelle de M. Trudeau que je présente un petit peu dans mon texte ici, ou encore ils ont été naïfs, parce que M. Trudeau n'a jamais dit qu'il avait changé d'idée. Il faut voir dans quel esprit il est allé dans la politique fédérale. Il a commencé à s'opposer à l'orientation du fédéralisme canadien que poursuivait M. Lesage dès 1963. C'est dans cet esprit-là qu'il a dit que cette orientation conduisait tout droit au séparatisme, continuant, bien sûr, avec le débat de M. Johnson en 1967, qui l'a monté sur la scène fédérale et qui lui a permis d'obtenir le leadership du Parti libéral du Canada.

Pourquoi aurait-il, au mois d'avril ou de mai dernier, tout à coup changé son fusil d'épaule et serait-il devenu plus souple? Cela ne m'apparaissait pas évident en tout cas. C'est la raison pour laquelle je demandais qu'on nous dise quel fédéralisme renouvelé on proposait contre l'option souveraineté-association, mais, malheureusement, il n'y a pas eu de précisions à ce moment-là. Aujourd'hui, à mon point de vue, nous sommes tous victimes de ce silence qu'on a concédé.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef parlementaire de l'Union Nationale.

M. Le Moignan: Mme la Présidente, j'avais noté tout à l'heure certaines remarques de M. Dion quand il porte un jugement sur les partis politiques. Ce n'est pas pour le féliciter d'avoir oublié l'Union Nationale parce que je savais que j'aurais l'occasion de revenir et qu'on doit le rencontrer également en fin de semaine, mais sur ce qu'il dit dans son jugement, je suis parfaitement d'accord avec lui. Actuellement, si on prend les deux grands partis comme des guides fiables, on peut certainement se poser des questions. M. Dion nous a parlé de la polarisation. Je sais qu'on a accusé l'Union Nationale d'avoir participé à cette polarisation en nous rangeant dans le comité du non. Je pense bien que, si nous

avions été dans le comité du oui, nous aurions joué en faveur d'une polarisation d'une façon ou d'une autre. Alors, je pense que, quant au jeu que nous avons joué, nous, à l'occasion du référendum, nous n'avions pas le choix. Mais nous avions également pris certaines distances - je ne le regrette pas aujourd'hui - non pas vis-à-vis du président du comité du non - on a essayé de collaborer le mieux possible - mais vis-à-vis de M. Trudeau; j'avais émis certains doutes et je pense bien que les événements nous ont donné entièrement raison.

Il reste que les idées que M. Trudeau se fait sur le fédéralisme, il les a développées, comme M. Dion vient de nous le dire, déjà depuis une quinzaine d'années. M. Trudeau n'a jamais changé d'idée. Il a sa vision à lui d'un Canada et, devant ces choses-là, ce n'est pas étonnant qu'on voie aujourd'hui tellement de gens, de groupes, de provinces ne pas concourir, alors que normalement le premier ministre du Canada aurait dû, dans son projet de résolution, essayer de rejoindre les tendances les plus communément acceptées dans l'ensemble du peuble canadien. On sait que ce n'est pas facile à cause des groupes, à cause des différences de langues, etc., etc.

M. Dion, on sait très bien que la polarisation n'est pas terminée et qu'il y a une tendance, d'après les sondages, à vouloir bannir cette polarisation pour donner aux gens un troisième éventail, une troisième voie qui puisse un jour permettre à ceux qui ne veulent pas se situer dans l'une des deux grandes tendances, que ce soit la souveraineté-association ou encore ce que préconise le Parti libéral actuel, de se reconnaître au moins dans une autre formation. C'est dans ce sens-là que nous travaillons dans le moment.

Vous avez mentionné ce matin, M. Dion, que si le projet de résolution de M. Trudeau était accepté comme tel, si j'ai bien compris, le droit à la dissidence, en somme, n'existerait pas. Le droit à l'autodétermination serait-il automatiquement banni? Ceux qui oseraient proclamer soit la souveraineté-association ou l'indépendance du Québec ou une autre formule seraient-ils automatiquement, par le fait même, des hors-la-loi, si jamais ce projet de résolution était adopté tel que M. Trudeau l'entend? Que deviennent les gens qui aimeraient oeuvrer, dans le sens où eux l'entendent, pour la libération du Québec?

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le professeur.

M. Dion: Je vais répéter ce que j'ai dit ce matin à ce sujet. Mon point de vue à ce propos, c'est que, dans l'ordre actuel des choses, si le projet de résolution devait être adopté substantiellement comme il est maintenant, il deviendrait sinon légalement impossible, du moins extrêmement difficile de poursuivre activement l'idée d'indépendance, soit en se donnant un mouvement, ce qu'il serait évidemment possible de faire, soit par un parti politique qui oeuvrerait, préconisant cette idée, ce qui serait possible. Il serait même possible, je crois bien, pour ce parti-là de prendre le pouvoir, mais il lui serait impossible de mettre en oeuvre, selon en tout cas ma façon de voir le projet de résolution, le processus du déclenchement de l'indépendance politique comme telle et cela pour au moins trois raisons qui sont dans le projet de résolution.

Je crois que le projet de résolution accorde une suprématie tellement importante au gouvernement fédéral dans tout l'aménagement constitutionnel, dans tout l'aménagement des cadres institutionnels sociopolitiques qu'une province aurait énormément de difficultés à mettre en oeuvre un processus qui irait dans le sens de l'indépendance au plan politique.

La deuxième raison, c'est que nous nous serions entendus à propos d'une formule d'amendement. Nous n'avons pas actuellement de formule d'amendement. Nous avons accepté que le Parti québécois gagne ses élections et procède selon son programme à une certaine demande. Nous avons accepté que ce soit légitimé en quelque sorte par le référendum québécois, mais tel ne serait plus le cas, advenant la situation où nous aurions accepté une formule d'amendement qui impliquerait que d'autres provinces se mettent d'accord pour un changement constitutionnel venant d'une autre partie. Comme je l'expliquais ce matin, Québec pourrait probablement obtenir, dans une formule comme celle-là, un droit de veto, empêcher que les choses se fassent à son détriment, mais il ne pourrait plus poursuivre, par les mêmes raisons d'un processus d'amendement, des objectifs qui seraient non admis par les autres composantes du pays.

La troisième raison pour laquelle l'indépendance ne pourrait plus être poursuivie comme projet politique, c'est qu'il faudrait procéder éventuellement par des référendums canadiens qui pourraient bloquer tout processus d'indépendance politique pour le Québec, parce que les autres ne seraient pas d'accord; d'où, pour ma part, j'en arrivais à cette conclusion.

Dans toute réforme de la constitution, il faudra modifier ces clauses, de façon à permettre au Québec ou une autre province sans aucun doute - mais le Québec en aura, à mon avis, au niveau de l'histoire, à l'avenir plus besoin et sera plus tenté de le faire - de le faire selon des mécanismes prévus par la constitution ou encore déclarer officiellement dans la constitution même le

droit d'autodétermination pour le Québec, ce qui, en dépit de toutes ces clauses, lui permettrait, pour cette raison-là, d'agir.

C'est ma façon de voir. J'indiquais que permettre une constitution de bloquer l'idée d'indépendance, nous pouvons toujours le faire, que le droit de sécession n'est plus admis en l'inscrivant dans la loi ou par les implications de la loi. À ce moment-là, nous déclarons, nous acceptons d'avance que sera illégal le procédé. C'est dans ce sens-là que j'ai parlé ce matin.

M. Le Moignan: Mais quand Terre-Neuve est entrée dans la Confédération canadienne par voie de référendum provincial, les autres provinces n'ont pas été consultées. À un moment donné, Terre-Neuve, se sentant à son point de vue trahie ou pas assez bien traitée, a menacé de se retirer. Comment les choses se seraient-elles organisées à ce moment-là? Terre-Neuve aurait-elle pu, par un autre référendum, sortir du Canada sans que les autres provinces n'aient un mot à dire?

M. Dion: Je présume que la même règle se serait appliquée à Terre-Neuve comme elle s'appliquait au Québec s'il avait voulu, le printemps dernier. Par voie de référendum, Terre-Neuve aurait pu se retirer de la Confédération, comme elle y est entrée en 1949 par voie de deux référendums, je crois, et avec une majorité qui n'a pas été forte, quelque 53%. Eh bien! ce serait la même chose, mais, à partir du moment où nous aurions adopté une formule d'amendement à la constitution qui lierait Terre-Neuve, Terre-Neuve ne pourrait plus le faire.

M. Le Moignan: Au point de vue linguistique, je comprends que nos groupes francophones sont tellement minoritaires qu'ils ont beaucoup de difficulté à survivre et à continuer à utiliser leur langue. Ils sont au nombre de 35% ou 36% au Nouveau-Brunswick. La reconnaisance des langues officielles là-bas peut leur aider. Ils y a en Ontario environ, je crois, 600,000 francophones qui parlent leur langue, mais leur proportion est peut-être de 400,000 qui l'ont comme langue d'usage. Je ne suis pas trop certain des chiffres. Vous avez dit tout à l'heure qu'on choisit une langue en fonction de son utilité. Je le crois beaucoup pour ce qui concerne les autres provinces, mais ici, au Québec, vous avez mentionné aussi la loi 101, qu'il faudrait attendre quelques années pour en apprécier, en juger davantage les conséquences. On sait très bien que, dans le passé, les anglophones au Québec, les allophones et tous les nouveaux immigrants choisissaient toujours la langue anglaise puisque c'était pour eux une langue d'utilité. On sait que, encore aujourd'hui, les anglophones vont continuer et que même certains francophones vont étudier l'anglais à cause de l'utilité et non pas pour des questions émotives, patriotiques et le reste.

Il y a quelque chose de très important dans la loi 101 en fonction du projet du gouvernement du Canada. Si le gouvernement réussissait, dans l'article 21 ou 23, à s'impliquer exactement dans les droits linguistiques - je comprends que cela met les Québécois dans une position assez compliquée, surtout vis-à-vis de l'Ontario qui n'aura pas du tout à subir les mêmes désavantages - comment verriez-vous un tel projet de loi et ses conséquences sur la loi 101 qui existe actuellement, alors qu'elle n'a peut-être pas fait un rodage assez avancé? Vous avez mentionné tout à l'heure - ce que j'ai lu ailleurs - que dans sept ou huit ans il faudrait peut-être faire appel à des immigrants, donc, des ouvriers qui ne parleront pas le français quand ils vont venir ici. Cela peut créer un problème dans les années 1990, alors que le Québec aura besoin d'aller les chercher. Je comprends qu'il y a des ajustements qui vont peut-être se faire en cours de route d'ici là mais, dans la situation présente, vis-à-vis du projet du fédéral et la loi 101...?

M. Dion: Oui. Je pense, M. Le Moignan, que ce ne doit être un mystère pour personne que d'énoncer le principe suivant: au Canada, c'est le français qu'il faut protéger partout, y compris au Québec. La situation de la langue française en Amérique du Nord est telle qu'il faut, si l'on veut que les citoyens puissent vivre pleinement en français et vivre une vie d'homme complète, que le français soit protégé partout au Canada, mais y compris au Québec. Néanmoins, il faut tenir compte des conditions socio-politiques, socio-économiques existant dans chaque région du pays, dans chaque province et qui sont tellement inégales.

Nous faisons état du Nouveau-Brunswick et, vue du Québec, la position de l'Acadie, les Acadiens, ce sont des parlant français, ils n'ont pas de problème. Allons-y voir. La situation des Nouveau-Brunswickois est difficile. J'admets que depuis plusieurs années, depuis le gouvernement de M. Robichaud, notamment, et de M. Hatfield, il y a beaucoup de progrès au plan officiel, au plan institutionnel, mais au plan de la vie quotidienne ce n'est pas très facile de vivre pleinement en français au Nouveau-Brunswick et le taux d'assimilation à l'anglais est relativement élevé, même pour nos Acadiens, les Acadiens eux-mêmes.

Si nous allons en Ontario, où nous faisons état de la grande masse de quelque 600,000 francophones, le pourcentage d'assimilation à l'anglais est effarant et, vous savez, c'est une courbe géométrique, mais

quand une personne perd sa langue, les enfants qui viendront l'ont perdue également. On ne la retrouve jamais, de sorte que le taux d'assimilation à l'anglais en Ontario est quelque chose qu'il faut surveiller. Il y a d'entières régions de l'Ontario où le français est en train de disparaître et, finalement, on se rend compte que même en Ontario ce sont les Franco-Ontariens qui sont plus agglutinés sur la frontière, la "clay belt" le nord-est et le sud-est de l'Ontario, qui ont des chances plus grandes de vivre. Les écoles françaises n'y font presque rien. Les media n'y font rien. C'est un problème de société, encore une fois, un problème de densité culturelle et de densité économique. Néanmoins, je suis d'accord que nous avons un devoir, en tant que pays, pour permettre le maximum de ce que nous pouvons faire, racheter au moins quelque chose des crimes politiques qui ont été commis à l'endroit des francophones canadiens.

En ce qui concerne le Québec, je dis: C'est la situation inverse. Les anglophones ne sont menacés aucunement au Québec. Les anglophones de langue maternelle qui viendront au Québec, même s'ils allaient à l'école française, resteraient anglophones au Québec facilement. Ils sont adossés sur un continent de 240,000,000 de parlant anglais, alors que nous, francophones, sommes à peine 2% de parlant français. Il faut penser en termes d'Amérique du Nord et non pas de Canada, d'Ontario et de Nouveau-Brunswick.

Les anglophones du Québec, regardez les réseaux institutionnels dont ils disposent, dont je fais état dans mon texte et que personne ne peut nier. Au point de vue des mass media, il y a plus de postes de télévision que vous pouvez syntoniser à Montréal en langue anglaise qu'en langue française. Au point de vue de tous les moyens économiques, les moyens de communications, etc., il n'y a aucun problème de ce côté-là. Comment pouvez-vous croire que vous allez pouvoir, à ce moment-là, assortir des situations socio-économiques et culturelles si différentes en adoptant des mesures, des normes juridiques uniformes pour des situations si diverses? Ce qu'il faut faire, ce qu'il faut faire comprendre à tous les Canadiens et d'abord aux Québécois, d'après ce que je peux voir, c'est que le français a besoin d'être protégé partout. (16 h 15)

Que la loi 101 sur certains points, du point de vue de ses réglementations, soit mauvaise, c'est bien possible. Mais j'ai l'impression, en ayant eu l'occasion à plusieurs reprises depuis plusieurs années de rencontrer des groupes d'affaires à Montréal, qu'ils sont beaucoup plus préoccupé par les impôts de M. Parizeau que par les dispositions de la loi 101.

M. Le Moignan: J'aurais une dernière question. Je n'ai pas d'inquiétude pour l'avenir des anglophones du Québec parce que je sais que, par l'environnement, les 240,000,000, ils sont protégés à tous points de vue.

Mais, avec ce projet de résolution, si c'était appliqué intégralement, nous ici, les francophones du Québec, est-ce que cela peut nous affaiblir, est-ce que cela peut nuire à la cause dans les prochaines années, si jamais ce projet était adopté?

M. Dion: Voici, Mme la Présidente. Si nous disons que cela peut nuire au point de faire disparaître les francophones du Québec, certainement pas. Je ne crois pas qu'une collectivité de 5,000,000 et plus, qui a ses cadres institutionnels solides, son réseau d'éducation, son emprise maintenant dans la vie économique, puisse disparaître en raison de dispositions juridiques. Je ne crois pas cela.

M. Le Moignan: Mais comme société, s'affirmer.

M. Dion: Néanmoins, c'est de nature à "désaccélérer" le processus de prise en main par les francophones de la société québécoise dans tous les aspects.

M. Le Moignan: C'est dans ce sens-là que je vous pose la question.

M. Dion: Et je pense que, si je m'adresse aux anglophones qui sont ici, à M. Marx, par exemple, l'avenir des anglophones du Québec est de comprendre cela. Ce n'est pas la disparition de l'anglophonie au Québec, c'est l'acceptation par les anglophones que leur intégration au Québec passe désormais par une société qui est définie à travers un prisme français.

La Présidente (Mme Cuerrier): J'ai des demandes d'intervention de la part de plusieurs des membres de la commission. Est-ce que nous pourrions nous entendre pour que chacun puisse aller rapidement au but, que nous fassions un effort? Il y a d'autres groupes qui attendent pour se présenter devant la commission et j'aimerais bien que nous ne soyons pas obligés de les reporter à demain, au risque d'en voir d'autres qui ne pourraient pas être entendus.

M. le ministre d'État au Développement culturel et scientifique, vous aviez la parole.

M. Morin (Sauvé): Merci, Mme la Présidente. Je serai très bref. Je voudrais revenir sur un aspect de la question linguistique. Ce matin, nous avons consacré presque tout notre temps à l'article 133. Je pense avoir dit clairement au professeur Dion que nous étions passablement d'accord avec

son analyse. D'ailleurs, est-ce que la Charte de la langue française n'était pas précisément la mise en oeuvre des idées dont il nous a fait part ce matin?

Mais le chef de l'Opposition nous disait tout à l'heure qu'il 7favorise plutôt le maintien de cet article 133, son extension ailleurs. Il va même plus loin. Il favorise l'inclusion d'une charte des droits dans cette nouvelle constitution. Il nous donne l'exemple des droits devant les tribunaux. Mais il se garde bien de nous parler de l'inclusion, dans cette charte des droits, de la question scolaire, des droits d'accès à l'école anglaise, droits qui sont bien mentionnés, clairement, dans le projet fédéral, lequel retient le critère de la langue maternelle comme condition d'accès à l'école anglaise au Québec.

Or, justement, ce critère de la langue maternelle, retenu par les libéraux fédéraux, est également le critère retenu par les libéraux du Québec. C'est le critère du "red book", du livre rouge des libéraux du Québec.

À votre avis, M. le professeur, ce critère de la langue maternelle est-il acceptable pour le Québec, soit dans le projet fédéral, soit dans le projet des libéraux provinciaux?

M. Dion: J'ai le document du PLQ ici, mais il faudrait que je cherche trop longtemps dans ma malle. Je crois que je l'ai un peu dans l'esprit.

Si je comprends bien, c'est la langue maternelle qui serait identifiée principalement par la langue dans laquelle les parents auraient été instruits à l'école, mais également par d'autres moyens, dans certains cas.

M. Rivest: Par le critère de la loi 101.

M. Dion: C'est à peu près cela. C'est difficile, vous savez, de dire: C'est mauvais, c'est bon. Pour ma part, j'estime que nous sommes en train d'atteindre, avec les dispositions actuelles de la loi, un certain équilibre, un équilibre qui est extrêmement précaire et qui ne pourrait être renversé facilement en raison des motivations des usagers, soit surtout des allophones et des anglophones.

En ce qui me concerne, j'aime la disposition qui est actuellement dans la loi 101, non pas parce qu'elle est techniquement la meilleure, mais parce qu'elle n'a pas causé apparemment trop de dommages; elle a été applicable, d'une certaine manière, et cela m'apparaît important. Moi, je pense que toute problématique linguistique qui créerait deux catégories de venants au Canada, d'immigrants, serait mauvaise. Il faut qu'on sache, à l'extérieur, que nous soyons du Pakistan, des États-Unis, de la Belgique ou de la France, qu'en venant au Québec nous irons à l'école française ou que nous irons à l'école anglaise, mais que nous fassions un choix. Ils le savent d'avance; s'ils acceptent de venir, c'est pour d'autres considérations. Genève est une ville qui est à peu près de la taille de Québec, je crois, ou un peu plus considérable, qui comprend environ 20% de Suisses allemands et d'Allemands. Chaque Allemand qui va à Genève sait qu'il ira à l'école française publique. Il n'y a pas de problème.

Le jour où on commence, comme c'est le cas à Bruxelles, à avoir une école qui pourrait être accessible à l'un ou l'autre groupe, nous créons des difficultés. Je pense que nous maintenons deux systèmes au Québec; j'en suis heureux et il faut maintenir un système anglais. Il n'est pas question de le faire tomber, mais il faut avoir des précisions, des critères pour l'accès à l'un ou l'autre de ces systèmes. Pour moi, des critères qui permettraient à des personnes de l'extérieur, qui ne sont pas au Québec et, notamment au Canada, de pouvoir se définir comme ayant le choix et d'autres n'ayant pas le choix, c'est un mauvais système. C'est un système qui va provoquer des difficultés très grandes.

Mais il y a un deuxième problème, c'est le problème de l'équilibre. L'équilibre au niveau scolaire est extrêmement fragile actuellement. C'est exact que la proportion des enfants qui vont à l'école anglaise diminue. Mais elle est encore supérieure en 1979-1980 à ce qu'elle était en 1975-1976. C'est assez remarquable. C'est environ quelque 15%, alors que la proportion d'anglophones au Québec est de quelque 12%. Ils sont encore supérieurs.

Néanmoins, si nous modifions les clauses, les règlements permettant ainsi à des immigrants de langue maternelle anglophone d'aller à l'école anglaise, nous risquons de débalancer, dans l'avenir, cet équilibre que nous avons créé. Qui nous dit combien d'immigrants anglophones il nous faudra au Québec à partir du moment où, la main-d'oeuvre active ayant diminué, il faudra la remplacer par beaucoup d'immigrants dans dix, quinze ans d'ici? On peut dire: On choisira des immigrants francophones. On sait par l'histoire que les immigrants francophones ne viennent pas tellement nombreux et que peut-être le type de main-d'oeuvre qu'il nous faudra - ce seront sans aucun doute des techniciens ou au moins des professionnels - il faudra aller le chercher dans les pays anglophones qui sont plus industrialisés, qui sont plus forts au plan technique et au plan de la science.

Pour moi, je dirais que la sagesse et la prudence - même si nous admettons que nous ne savons pas exactement quelles seraient les conditions si nous modifions les clauses -demandent que nous n'agissions pas actuellement. Je pense que je fais état dans

une étude qui, malheureusement, n'a pas pu être présentée au comité conjoint de suffisamment de données en ce qui concerne le Québec pour indiquer qu'au Québec même il vaudrait mieux ne pas toucher à cette loi, du moins dans ses parties majeures. Je ne parle pas, encore une fois, de certaines réglementations qui, d'ailleurs, ont été maintenant, je crois, adaptées à certaines situations de façon assez tolérante.

M. Morin (Sauvé): Je remercie le professeur Dion. J'ai terminé mes questions.

La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la députée de Prévost.

Mme Chaput-Rolland: M. Dion, vous avez dit tout à l'heure qu'il vous apparaissait très important de reconnaître au Québec un statut particulier, selon le rapport Pépin-Robarts. Nous avons fait bien attention de ne pas reconnaître un statut particulier, précisément pour ne pas lever contre le Québec les neuf autres provinces qui entendent toujours "statut privilégié" lorsque l'on dit particulier, mais nous avons retenu un caractère distinctif au Québec pour garder les éléments de sa spécificité. Ce n'est pas une question; c'est simplement pour rétablir les faits.

Il y a deux questions que je voudrais vous poser. Si elles sont trop longues, Mme la Présidente, j'accepte volontiers de les retirer, parce que je ne veux pas moi non plus allonger le débat. Vous avez dit tout à l'heure que les amendements proposés par les conservateurs de M. Clark vous apparaissaient être plus nocifs au Québec que ceux qui étaient dans les propositions de M. Trudeau. Je voudrais savoir pourquoi. Ma deuxième question serait une question que M. Ryan vous a posée et à laquelle vous n'avez pas répondu. Quelle serait la formule d'amendement que vous-même, M. Dion, accepteriez?

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le

professeur.

M. Dion: Je n'ai pas la longue habitude parlementaire de Mme Chaput-Rolland.

Mme Chaput-Rolland: C'est difficile mais on l'apprend.

M. Scowen: On n'a pas l'habitude d'écouter les questions courtes.

M. Dion: Cela viendra. Vous vouliez rétablir les faits à propos du statut particulier de la commission Pépin-Robarts, on devrait en faire une exégèse, mais moi je suis d'avis que la commission Pépin-Robarts a en fait procuré au Québec un statut particulier. Je dis bien statut particulier de fait. Elle a renoncé à ce que ce soit un statut particulier de jure pour certaines raisons, mais cela ne veut pas dire que cela ne devrait pas être cela. Pour rétablir les faits, je crois que le Québec aurait, dans le cadre de la mise en oeuvre des propositions de la commission Pépin-Robarts, effectivement un statut particulier en ce qui concerne la langue, en ce qui concerne la culture, en ce qui concerne les communications, en ce qui concerne l'immigration et également, sur un certain plan, les affaires sociales. Mais nous ne pouvons reprendre tout cela. C'est probablement plutôt une question d'interprétation des choses.

Je veux aller plus loin. Je dis qu'il faut aller plus loin que cela. Il va falloir que le Québec, pour avoir un statut constitutionnel qui lui convienne, qui convienne aux aspirations des Québécois, aux besoins des Québécois, fasse accepter par les anglophones du reste du pays que ce qu'il faut pour le Québec, c'est un statut particulier de droit en ce qui concerne les aspects que je viens d'énumérer. Bien entendu, il semble presque stupide de ma part de faire une telle proposition à ce moment-ci surtout après le résultat du référendum. Si, personnellement, malgré les réticences que j'avais en ce qui concerne l'option proposée par le Parti québécois, j'ai voté oui, c'est précisément parce qu'il me semblait, à ce moment, qu'il fallait que les anglophones, nos compatriotes des provinces anglaises, se fassent asséner un autre choc. Ils avaient besoin d'un choc pour comprendre ce que nous voulions. Ils ne l'ont pas eu le choc. Ils comprennent ce que nous voulons, mais ils ne comprennent pas comme nous voudrions qu'ils comprennent.

Je me suis aperçu au cours de l'été en ayant été surtout dans les provinces occidentales, en Alberta et en Colombie-Britannique, jusqu'à quel point nous parlions de démobilisation au Québec même et jusqu'à quel point le résultat du référendum et notamment l'interprétation qui en a été donnée par la suite par le premier ministre du Canada ont désamorcé auprès de nos compatriotes anglophones la petite bombe que nous, les Québécois, nous avions préparée pour eux. Ceci me rappelle le choc que la commission du bilinguisme et du biculturalisme avait voulu procurer aux anglophones en parlant de la crise canadienne. Il y avait eu un choc à ce moment et par la suite, quand on voulait expliquer le Québec au reste du pays, on se faisait moins dire: "What does Québec want?". Ce sont des questions qui m'étaient répétées tellement souvent qu'à un moment donné, et c'est de là que cette expression vient, je crois que c'était à Saskatoon, j'ai dit: "I am a tired federalist". Je suis un fédéraliste fatigué d'avoir à répéter constamment la même chose avec des

données importantes, etc., qui sont indiscutables et qui sont souvent venues de source anglophone, d'ailleurs, et de me faire répondre après mon exposé: II noircit le tableau. "What do you want? What does Quebec want?"

C'est dans ce sens que je crois que pour ma part il faut reprendre le débat. Il faut dire que, malgré le résultat du référendum, la question constitutionnelle reste exactement ce qu'elle était. Il n'y a rien de modifié en ce qui concerne le statut qui convient au Québec. Pour ceux qui ont des idées à propos de ce statut, que nous en discutions et, je reviens là-dessus, il est très important que nous en refassions un débat au Québec même de façon que nous puissions à l'extérieur montrer au moins que nous avons un petit peu assorti les choses et que nous nous sommes mis un peu d'accord entre nous parce que le désaccord qui, actuellement, est tellement visible à l'extérieur nous dessert, dessert la cause du Québec, que ce soit la cause du Québec telle qu'interprétée par le Parti québécois ou telle qu'interprétée par le Parti libéral. (16 h 30)

En ce qui concerne les conservateurs et leurs amendements, je vous renverrais à l'article de Me Robert Décary dans le Devoir. J'aurais à reprendre plusieurs de ces idées, probablement renforcer certaines autres idées, mais je crois que Me Décary a exprimé, à propos de ces amendements, des points de vue qui me paraissent passablement justes. Mme Chaput-Rolland, si vous n'êtes pas d'accord avec cela, dites-le moi et on pourra en discuter.

Quant à la formule d'amendement, c'est évident que si je pouvais proposer une formule qui vous agréerait à tous et agréerait au reste du pays, nous aurions réglé le problème. Pourquoi insistons-nous tellement pour avoir une formule qui nous agrée? C'est parce que nous savons qu'après cette formule viendront les échanges de pouvoirs, le partage des pouvoirs et qu'il se fera selon la formule qui sera accréditée. Pour moi, actuellement, je pars du principe qu'en ce qui concerne - je sais que je suis un hérétique jusqu'à un certain point au niveau de certains d'entre vous - l'économie et la technologie je crois que le Québec doit faire le jeu de la polyarchie canadienne. Nous sommes partie, non pas d'un Canada -le gouvernement canadien ne contrôle pas l'économie canadienne, vous le savez très bien, il en contrôle à peine 20% - nous sommes partie d'un continent dans lequel nous sommes intimement liés au plan économique et je pense qu'il faut l'accepter et, à ce niveau, je ne crois pas que le partage des pouvoirs soit une source - pour moi, en tout cas - importante de malheurs éventuels pour le Québec, à moins qu'il n'ait tout aliéné.

C'est en ce qui concerne la langue, la culture, je crois, que nous avons un cas particulier. C'est nous seuls qui possédons cette richesse inouïe d'avoir une culture, une langue pleinement française, ça n'existe nulle part en Amérique du Nord. Quand je dis pleinement française, je dois qualifier, parce que, Mon Dieu, sommes-nous anglicisés, assimilés, dans plusieurs de nos aspects. En cela, je prendrais les écrits mêmes de Mme Chaput-Rolland. Il faut se protéger contre cela. Je vais à Montréal et, comme Québécois, chaque fois que je vais à Montréal, je suis scandalisé de voir de mes compatriotes francophones parlant anglais entre eux, encore aujourd'hui, à Montréal, à partir du moment où il y a un Anglais quelque part dans le voisinage. Ainsi de suite.

Par conséquent, pour moi, toute formule d'amendement qui sera acceptable pour le Québec, au moins sur les aspects langue et culture, devra faire en sorte que le Québec non seulement ait un droit de veto, mais que ce soit lui qui puisse décider ce qui lui convient.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Deux-Montagnes, vous aviez demandé la parole.

M. de Bellefeuille: Merci, Mme la Présidente. M. Dion, vous nous avez parlé tout à l'heure de cette fausse symétrie selon laquelle beaucoup de gens voudraient que l'on établisse un parallèle entre l'anglais au Québec et le français dans les autres provinces. Comme tout le monde a pu le noter, la proposition du gouvernement fédéral tombe dans ce piège, de mettre les deux dans le même sac, de prétendre protéger de la même façon, par les mêmes articles, par le même libellé, l'anglais au Québec et le français dans les autres provinces.

J'ai été particulièrement choqué, au cours des derniers mois, d'entendre des porte-parole du gouvernement fédéral, en particulier M. Jean Chrétien, affirmer à plusieurs reprises que le projet du gouvernement fédéral aurait pour effet de protéger le français dans les autres provinces. Il me paraît évident que la proposition fédérale n'aurait pas cet effet, qu'elle n'apporterait rien aux francophones des autres provinces, pour plusieurs raisons, en particulier à cause des mots, "là où le nombre le justifie", qui sont difficiles d'interprétation par les tribunaux, on l'a vu récemment en Saskatchewan. C'est difficile d'interprétation par les tribunaux et ça pourrait même être invoqué par des gens qui voudraient faire reculer le français, tout aussi bien que par des gens qui voudraient faire avancer le français.

Puisqu'il y a cette espèce de gros mensonge qui est diffusé dans la population

par M. Chrétien et par d'autres, pour que ce soit clair, j'aimerais vous demander, M. Dion, si j'ai raison de considérer que dans l'hypothèse où le Québec voulait user de la loi du talion, oeil pour oeil, dent pour dent, et ne reconnaître aux anglophones du Québec que les droits qui seraient reconnus aux francophones des autres provinces - je ne préconise pas la loi du talion, mais dans l'hypothèse où le Québec voudrait faire ça -est-ce qu'il est exact de dire qu'à ce moment-là, le gouvernement du Québec supprimerait les collèges et universités anglophones du Québec, qu'il supprimerait les commissions scolaires anglophones, qu'il supprimerait les maternelles, les écoles primaires et les écoles secondaires là où le nombre ne le justifierait pas, qu'il supprimerait à peu près toute forme de bilinguisme gouvernemental où il pourrait peut-être choisir pour règle la mesure extrêmement modeste de bilinguisme gouvernemental qu'on trouve, par exemple, en Ontario, et qui est bien moins considérable que ce qui est pratiqué au Québec?

Je pense que si c'est ça la situation, il faudrait le dire pour que les gens cessent de prétendre qu'il y a, dans cette proposition fédérale, soit une protection du français dans les autres provinces, soit une protection de l'anglais au Québec, étant donné que l'anglais au Québec est protégé à la fois par l'histoire, par la tradition, par ce dont vous avez plusieurs fois parlé, M. Dion, c'est-à-dire le voisinage de 240,000,000 d'anglophones qui entourent les anglophones du Québec, protégé aussi par la loi 101, protégé par le fait qu'au Québec, la clause "là où le nombre le justifie" n'existe pas, ce qui fait qu'au Québec, les écoles anglaises, de la maternelle à l'université, sont fournies selon les besoins de la population, sans qu'il y ait l'obstacle de cette clause d'interprétation extrêmement difficile.

Est-ce que cette image de ce Québec qui appliquerait la loi du talion est exacte, M. Dion?

M. Dion: J'aimerais d'abord peut-être un peu qualifier vos propos initiaux. En ce qui concerne l'orientation du projet de résolution, quant à l'article 23, il n'introduit pas l'uniformité des statuts linguistiques au Canada. Il maintient l'asymétrie en faveur de l'anglais. C'est ce qu'il faut comprendre.

M. de Bellefeuille: ...

M. Dion: Bien entendu. Je disais ce matin que ce n'est pas non plus l'orientation de M. Louis Duclos et de ses collègues députés, qui voudraient qu'on étende à l'Ontario et au Nouveau-Brunswick l'article 133 qui serait maintenu pour le Québec, qui est la bonne formule. Je pense que leur lutte qui est honorable est quand même mal inspirée. Ce vers quoi il faut tendre, c'est une asymétrie en faveur du français partout, c'est-à-dire que le français doit être officiel comme l'anglais au Nouveau-Brunswick et en Ontario au moins et que l'anglais ne doit pas être langue officielle au Québec, comme, actuellement, le français n'est pas reconnu langue officielle en dehors du Québec, sauf depuis quelque temps au Nouveau-Brunswick. Pour moi, ce n'est pas parce que je veux la mort de l'anglais au Québec, ça ne changera strictement rien en définitive à ce qui est le dynamisme propre de cette langue, le dynamisme extraordinaire d'une société, la plus forte au monde.

Quant à M. Chrétien, quand il dit que le but de ces règlements, de la disposition, notamment, de l'article 21, est de protéger le français, il a raison. Il protège effectivement le français dans les autres provinces. Il y aura des écoles qui seront créées au Manitoba en raison de ces dispositions-là. J'ai essayé de voir combien d'écoles il y aura au Manitoba en prenant comme base le rapport du conseil consultatif des districts bilingues. Il n'y en aurait aucune en Colombie-Britannique par ces dispositions-là. Il n'y en aurait aucune en Alberta, sauf maintenant, apparemment, Calgary et Edmonton, il y a peut-être des raisons, mais enfin, il n'y en aurait à peu près aucune; je crois qu'il y en aurait quelques-unes en Saskatchewan, très peu au Manitoba même. Ce n'est, en définitive, que là où ils ont des écoles, au Nouveau-Brunswick et en Ontario, que les dispositions de M. Chrétien auraient des effets; s'ils en avaient, parce que déjà ils ont leurs écoles.

En ce qui concerne le nombre, cela ne me scandalise pas; il faut quand même qu'il y en ait un certain nombre pour créer des écoles. Je ne vois pas comment on pourrait avoir des écoles s'il n'y a personne pour y aller. C'est évident que ce sera là où, selon les calculs que peuvent faire les ministères de l'Éducation, le nombre sera suffisant. Je ne sais pas, pour une école élémentaire, il faut quand même un noyau de 3000 ou 4000 personnes. Cherchez-les, ces noyaux de 3000 ou 4000 personnes au Canada, noyaux assez serrés pour avoir une école dans le voisinage, qui ne soit pas à 20 milles ou 30 milles. Il y en a très peu. Regardez ces études qui, d'ailleurs, ont abouti à un fiasco total. Les deux tentatives ont été un fiasco total, disant: Tout le Québec sera un district bilingue. C'était la formule. Même M. Trudeau n'a pas pu accepter cela. Il y en aurait eu en Ontario et au Nouveau-Brunwick. Il y en a déjà, en définitive.

Le problème qui se pose n'est pas dans l'article 21. Il n'est pas posé par le projet de résolution. Le problème, c'est le contrôle des commissions scolaires par ces communautés. Qu'elles aient non seulement

des écoles en français, mais qu'elles les aménagent selon leur esprit et leurs besoins. C'est cela qu'elles demandent en Ontario et c'est cela qu'elles n'ont pas actuellement. C'est ce qu'elles demandent également au Nouveau-Brunswick et c'est ce qu'elles commencent à avoir au Nouveau-Brunswick. Quant aux autres provinces, cette demande, formulons-la tant que nous voulons, en pratique, elle n'aura pas tellement de résultats tangibles, parce que trop peu nombreux sont les francophones pour organiser et aménager des écoles, avoir l'équipement qu'il faut, l'infrastructure et la capacité de les gérer.

Pour l'ensemble, il est évident que le projet actuel de résolution passe complètement à côté de la question en ce qui concerne les minorités françaises. Par contre, il touche directement et beaucoup plus les Québécois francophones par les mêmes dispositions de l'article 21 qui fait du Québec ce qu'il était avant la loi 101. La Cour suprême, qui doit juger selon la loi, a jugé, selon l'article 133, que la loi 101 était ultra vires sous plusieurs aspects. Je les ais notés dans mon ouvrage. Eh bien, elle pourrait également juger que d'autres aspects, en raison de ce même article 133, sont également ultra vires. C'est la raison pour laquelle je suis d'accord avec la Commission Pépin-Robarts qui recommandait, si l'article 133 devait être jugé ultra vires par la Cour suprême, qu'à ce moment-là on modifie l'article 133 et qu'on l'abroge en ce qui concerne le Québec.

J'en suis là. C'est donc une position que je voudrais, de nouveau, voir affirmer plus souvent chez nous. Ce n'est pas l'équilibre. Cela paraît extrêmement dur actuellement d'accepter que les francophones du Nouveau-Brunswick et de l'Ontario bénéficient de l'actuel article 133 alors que nous, Québécois francophones, demandons d'en être libérés, mais c'est parce que nos conditions sont tout à fait différentes, à l'inverse. C'est la raison pour laquelle il faut des études socio-économiques, des études sociolinguistiques avant de procéder à des corrections de virgules ou de bouts de phrases comme M. Chrétien propose et comme peut-être d'autres vont en proposer, M. Louis Duclos lui-même.

Je ne sais pas, Mme la Présidente, s'il y avait d'autres aspects à la question. Oh! la loi du talion. Monsieur, vous dites vous-même que vous n'êtes pas nécessairement d'accord sur cette loi. Personnellement, j'y suis complètement opposé. Ce n'est pas parce que nos frères ont pu être maltraités quelque part ailleurs que nous devons tenter de faire de même. D'ailleurs, ceci jouerait contre nous. Ce n'est pas ce vers quoi je veux que le Québec et les Québécois s'orientent dans leurs relations avec leurs compatriotes anglophones et allophones. Nous avons une société à bâtir ensemble et, même si actuellement il y a certaines discussions à propos des orientations à prendre, je suis toujours d'avis qu'il est possible de le faire. Ce ne sera pas facile et je pense que, si les francophones du Québec veulent être respectés par leurs compatriotes anglophones, il faut qu'ils soient fiers et qu'ils se tiennent debout. C'est ce qu'on attend d'eux.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Notre-Dame-de-Grâce.

M. Scowen: Merci, Mme la Présidente. Tantôt, M. Dion, vous avez accepté de vous mêler un peu de la politique québécoise et de la loi 101. Vous avez proposé la prudence et l'équilibre en ce qui concerne les changements. Je pense que je suis parfaitement d'accord avec vous. On cherche tous à réaliser un équilibre et à agir avec prudence. La question, c'est simplement pour chacun de définir ce qui est pour lui la prudence et l'équilibre.

Je veux simplement soulever un aspect du problème, parce que le temps presse, je le sais. Je ne vais pas vous scandaliser, je vais m'exprimer entièrement en français.

M. Dion: Vous pouvez parler anglais, cela ne me fait rien. (16 h 45)

M. Scowen: Je vais surtout parler de la question des anglophones du Québec. Je suis complètement d'accord avec vous, M. Dion, que les anglophones, sur le plan nord-américain ou canadien, ne sont pas menacés. Je suis aussi d'accord qu'il n'y a pas d'assimilation des Anglais envers le secteur francophone, mais je pense que vous n'avez pas touché un problème très réel qui est quand même quelque chose que les anglophones québécois vivent ces jours-ci et j'espère que vous serez ici demain quand nous aurons la visite de l'organisation des anglophones de l'Estrie. Je suis originaire de l'Estrie, d'un village qui s'appelle East Angus. Comme vous le savez, dans ce village, les Anglais étaient les premiers. Les pionniers des Cantons de l'Est étaient des Anglais. Il y a 50 ans, dans la ville de Saint-Boniface, une centaine d'années peut-être, c'était possible de vivre en français et, peu à peu, c'est devenu plus difficile de vivre en français dans une partie du Manitoba, plus difficile de trouver des écoles très près, les services très près, les services du gouvernement et le travail en français. Je pense que c'est quelque chose que tout le monde ici peut déplorer: une société française, autonome, en voie d'extinction. Je peux vous dire que les Anglais d'East Angus qui étaient un peu dans cette situation il y a 50 ans ont vécu la même expérience. Oui, en gros, ils sont des Anglais et des Nord-Américains, dont la langue est la plus

dynamique du monde. Ils font partie d'un grand ensemble, mais ces gens ne vivent pas en Amérique du Nord, ils vivent à East Angus. Il y a 50 ans, ils avaient la capacité de vivre une vie autonome, de travailler en anglais, d'être servis en anglais, de recevoir les services en anglais et, de plus en plus, je peux vous assurer que c'est devenu impossible de vivre en anglais à East Angus. Je pense que notre réaction ici au Québec, instinctivement, c'est le contraire de celle qu'on a pour les gens de Saint-Boniface. On dit: C'est bon que les Anglais ne puissent pas vivre en anglais à East Angus. C'est le temps qu'ils s'intègrent à la collectivité française. C'est un peu, je pense - un peu, je ne veux pas exagérer - deux poids deux mesures et, demain, les gens vont être ici pour exprimer cela à leur façon à eux.

East Angus, c'est petit. Sherbrooke, qui est une ville plus grande, qui était aussi une ville anglaise au début, est devenue une ville francophone. Les Anglais ne se sont pas assimilés. Ils sont partis. Les enfants des parents qui sont morts à Sherbrooke sont partis soit pour Montréal, soit pour l'Ouest du Canada, soit pour les États-Unis. C'est une société autonome, un des deux peuples fondateurs, un des peuples qui ont fondé le Québec dans le sens qu'ils ont été les premiers sur la terre après les autochtones, qui sont, même en dépit de tout ce que vous avez dit qui est parfaitement vrai dans le sens global de l'Amérique du Nord, en voie d'extinction dans ce coin. Je pense que, quand nous essayons d'établir un équilibre et quand nous étudions votre projet d'une politique linguistique asymétrique, il faut penser un peu en fonction de ce problème parce qu'à toutes fins pratiques - je pense que je n'exagère pas - il n'est plus possible de vivre comme une communauté anglophone au Québec à l'extérieur de la ville de Montréal. En effet, les Français du Québec ont fait éteindre la vie autochtone et complète des anglophones à l'extérieur. Cela n'a pas été fait par les lois 101 ou 22. Cela a été fait par la démographie, par les circonstances, mais c'est ce qui est arrivé.

La question, je pense, que le Parti libéral a essayé de se poser quand il a essayé de recréer cet équilibre avec prudence dans le livre beige, dans la recherche de cet équilibre entre les Anglais du Québec et les francophones de l'extérieur, a été de penser en termes des humains et des communautés. Je pense que la guerre, la lutte qui reste à faire, c'est, si vous voulez, à Montréal. La question qu'on pose, que la minorité anglophone est en train de poser à la majorité francophone, c'est: Est-ce que vous voulez que Montréal devienne une ville française, oui ou non? Si oui, il est clair que vous n'avez pas l'intention de respecter le droit d'une société anglaise de s'épanouir et de se développer à sa façon.

Cette situation est très complexe. J'accepte qu'il faut trouver une ligne très délicate, l'équilibre est difficile à trouver. En terminant, M. Dion, je pense que c'est une exagération pour vous de dire, et je pense que je vous cite fidèlement: "Les anglophones ne sont nullement menacés au Québec." Globalement, concernant la langue, c'est possible, mais je peux vous démontrer des cas spécifiques, des villages, des communautés qui ne seront pas du tout d'accord.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le professeur.

M. Dion: Merci, Mme la Présidente. En vous écoutant et en vous entendant dire que vous venez de l'Estrie, je vous dirais que c'est dans l'Estrie que j'ai appris l'anglais, en étant boursier. Etant étudiant au séminaire de Rimouski et ayant eu un résultat assez bon, on m'a permis d'aller apprendre l'anglais à Stanstead, où il y avait une école de géographie sous la direction de l'Université McGill. À ce moment-là, il m'apparaissait que c'était un très bon endroit pour un francophone d'apprendre l'anglais.

Mais ce que vous dites à propos de l'équilibre, je présume que par équilibre vous n'entendez pas le statu quo ante, la situation antérieure. C'est évident qu'il y a eu une évolution au Québec. Les marches du Québec, si vous voulez, les régions excentriques, se sont francisées: la Gaspésie, où il y avait beaucoup de noyaux anglophones, et l'Estrie.

Est-ce que c'est une tragédie? On avait le choix. Si nous voulons bâtir une société française, il va falloir que la dominance anglaise disparaisse, surtout dans les milieux ruraux. Étant donné le peu de densité culturelle, il y a relavivement peu de moyens de bâtir deux sociétés qui vont coexister.

Il y a eu, comme vous le savez, des transferts de population. Quand, à partir d'un certain moment, le taux de densité d'une population, que ce soit la langue, que ce soit la race ou d'autres facteurs, atteint le seuil critique, l'autre partie s'en va. Les anglophones sont disparus à partir du moment où les francophones sont devenus suffisamment nombreux. Ceci s'est produit partout et c'est une règle générale.

Quant à moi, je ne crois pas que ce soit si dommage pour les anglophones. Il faut quand même accepter que dans ces régions, encore une fois, peu denses au plan culturel, au plan économique, au plan démographique, il va falloir que ce soient les anglophones qui dominent ou les francophones. Dans ces lieux, il y a peu de possiblités d'une coexistence des deux. C'est l'un ou l'autre. Dans le cas du Québec, ce sont les anglophones qui sont partis. Dans le cas des autres provinces, ce sont les francophones

qui sont disparus et qui sont partis. Actuellement, le processus est bien en cours au Canada. Les anglophones quittent le Québec. On ne peut pas se le cacher. La proportion des anglophones diminue constamment au Québec. D'environ 8%, c'est passé à environ 5% maintenant.

Les francophones des autres provinces, quand ils le peuvent, viennent au Québec. Le processus est là. Ce n'est pas une question de personne, de volonté machiavélique de l'un ou de l'autre, c'est une question de société, comme j'ai voulu l'indiquer ce matin. Il n'y a aucun doute qu'il y a là une densité sociale et culturelle qui fait en sorte que le Québec se francise, alors que le reste du pays s'anglicise, quelles que soient les volontés des gouvernements et les dispositions légales que nous ayons. Ce n'est pas le lieu, je pense, de discuter du livre beige. Pour ma part, je ne crois pas que le livre beige procure cet équilibre ou permette le maintien de cet équilibre. Mais c'est évident que vous avez raison, M. Scowen, le coeur du problème est à Montréal.

Ce que je propose comme solution pour Montréal, c'est que Montréal soit une ville française du point de vue de sa culture dominante, contrairement à ce qu'elle a été jusqu'ici et à ce qu'elle est toujours, une ville anglaise du point de vue de sa culture dominante. Qu'elle soit une ville française dans sa culture dominante, dans laquelle il y aura de la place - et il y en aura, qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas, étant donné ce qu'est le continent - pour les anglophones, mais non pas une ville pour permettre aux anglophones d'être là, une ville qui resterait en prédominance une ville anglaise, ce qu'elle a été jusqu'à maintenant, au plan de sa culture et de son économie dominante.

M. Scowen: Si vous me permettez, Mme la Présidente. Je ne veux pas commencer un débat du tout, mais simplement soulever... Vous avez parlé, M. Dion, de l'inévitabilité de quelques mouvements des anglophones au Manitoba et des francophones au Québec qui avaient pour effet d'épuiser les minorités. Je suis d'accord pour dire que c'est arrivé. Vous avez aussi parlé de votre vision personnelle. Très bien, c'est une vision parmi d'autres.

Mais la question, c'est: Est-ce que les gouvernements doivent intervenir pour essayer de garder un équilibre en faveur de la minorité menacée? Est-ce qu'ils doivent faire quelque chose pour s'assurer, dans la mesure du possible, que la minorité, même à contre-courant des mouvements démographiques, ait le droit, au moins, d'avoir un minimum de services dans sa langue? C'est cela, la question; pas pour vous, parce que, comme vous l'avez dit à plusieurs reprises, vous n'êtes pas politicologue, mais les hommes politiques cherchent cet équilibre.

Moi, je ne suis pas convaincu - je le répète, en terminant - qu'aujourd'hui, tenant compte de tous les faits, dont celui que vous avez mentionné, il y a un flux migratoire des anglophones du Québec, que ce n'est pas nécessaire de penser en termes d'à peu près le même niveau de protection pour la langue anglaise, ici au Québec, que celui que vous avez dans les autres provinces du Canada et qui est prévu pour la langue française.

En effet, vous ne m'avez pas tout à fait convaincu avec votre argument d'asymétrie.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. Léon Dion.

M. Dion: Pour moi, la loi 101 propose, permet suffisamment de protection institutionnelle à l'anglais au Québec. C'est d'ailleurs l'opinion de la commission Pépin-Robarts, encore une fois, qui énonce ce jugement-là. Je crois que oui. Il n'y a pas simplement au-delà des protections juridiques et M. Scowen, vous le savez très bien. C'est toute une société, encore une fois. L'anglais est tellement protégé par lui-même, par sa seule présence d'entité socio-économique que des protections institutionnelles juridiques lui sont moins requises que ce ne serait le cas pour le français au Nouveau-Brunswick ou en Ontario. Cela m'apparaît clair.

Maintenant, c'est évident qu'il y a une migration. La migration ne peut pas être empêchée. Elle est due à des facteurs d'abord culturels, à des affinités culturelles que des anglophones de Montréal, des étudiants de l'Université McGill, notamment, ressentent davantage. Quand même on leur donnerait des protections institutionnelles, des cadres juridiques dans lesquels l'anglais aurait plus de facilité qu'il n'en a aujourd'hui, cela ne changerait rien dans leur motivation.

Vous-même avez insisté combien de fois pour dire qu'il y a également des raisons économiques qui incitent un bon nombre d'anglophones, comme de francophones également de certains niveaux, à quitter le Québec et ce sont des raisons qui sont au-delà des considérations linguistiques. Ce sont des facteurs, encore une fois, de la société qui échappent à des décisions de courte période et qui, éventuellement, bien entendu, pourraient avoir un certain poids dans une longue échéance, si nous connaissions les données du problème, si nous connaissions toutes les données du problème, ce que nous n'avons pas.

Quant à moi, même si c'est vrai que les anglophones quittent - il faut faire bien attention, il ne faut pas dramatiser - ils ne quittent pas en nombre tel qu'ils sont menacés de disparaître au Québec. Au contraire, ils sont là pour toujours, j'en suis persuadé. Ils ont des institutions

extrêmement fortes. Mais on ne peut pas empêcher un certain processus de mobilité par affinité culturelle, de part et d'autre, et par recherche aussi de certains intérêts économiques.

Mme Chaput-Rolland: Un instant, s'il vous plaît. La commission Pépin-Robarts a, en effet, quelquefois apprécié la loi 101, mais en l'assortissant constamment de la clause canadienne. Je pense qu'il faut faire cette mise au point.

M. Dion: Si vous voulez, je peux vous lire le texte.

Mme Chaput-Rolland: Mais moi aussi, je l'ai même écrit, monsieur. Alors je le connais.

M. Dion: Cela peut être intéressant.

La Présidente (Mme Cuerrier): Je sais que M. le député de Vanier, que M. le député de Deux-Montagnes, que M. le député de Jean-Talon auraient eu l'intention de poser une nouvelle question. Mais tous me disent maintenant qu'ils accepteront de la retenir, parce que nous devons recevoir maintenant l'Association canadienne-française de l'Ontario. Il me reste à me faire le porte-parole de la commission de la présidence du conseil et de la constitution pour remercier notre invité d'aujourd'hui pour tout le temps qu'il a mis à se préparer et pour tout le temps qu'il a mis à notre disposition. Merci, M. le professeur Léon Dion. (17 heures)

M. Dion: Merci beaucoup.

Association canadienne-française de l'Ontario

La Présidente (Mme Cuerrier): J'appellerais maintenant l'Association canadienne-française de l'Ontario.

Pendant que les représentants de l'association prendront place, j'aimerais simplement rappeler de quelle façon fonctionne la commission parlementaire pour les auditions de mémoires quand il s'agit d'organismes ou d'individus. Habituellement, la commission parlementaire s'accorde une heure au total pour entendre les intervenants et pour leur poser des questions. Le temps habituellement est réparti de la façon suivante, c'est-à-dire que l'association qui se présente à la commission parlementaire dispose d'une vingtaine de minutes pour présenter son mémoire. À la suite de cela, les membres de la commission ont 40 minutes pour poser des questions. Ces 40 minutes sont réparties ainsi: 20 minutes aux membres du gouvernement et 20 minutes pour les partis de l'Opposition. Nous vous demanderons maintenant, les membres de l'Association canadienne-française de l'Ontario, de bien vouloir identifier un porte-parole et ce porte-parole pourrait-il nous nommer ceux qui sont avec lui, s'il vous plaît, pour permettre d'abord à l'enregistrement au journal des Débats de prendre ces données et pour qu'ensuite nous puissions identifier les intervenants à qui les membres de la commission auront l'intention de poser des questions? Vous avez la parole.

M. Saint-Denis: Salut Québec, berceau de nos aïeux. Plaise à Dieu que tu restes glorieux! Voici, mon nom est Yves Saint-Denis et je suis de Chute-à-Blondeau, Ontario. Je suis le président général de l'Association canadienne-française de l'Ontario, appelée communément l'ACFO. À ma gauche, vous avez Mme Denise Matte, de Vanier, Ontario. Mme Matte est membre du conseil d'administration de l'ACFO. Également, elle est conseiller scolaire au Conseil des écoles d'Ottawa. À ma droite, Gérard Lévesque, d'Ottawa, le secrétaire général de l'Association canadienne française de l'Ontario.

La Présidente (Mme Cuerrier): M.

Saint-Denis, vous disposez d'une vingtaine de minutes pour présenter le mémoire de l'association.

M. Saint-Denis: Merci, Mme la Présidente. Hier, le premier ministre Davis a déclenché le processus des élections provinciales. Au cours de la campagne électorale, les candidats de tous les partis ontariens auront à se prononcer sur le statut du français en Ontario. Nous invitons la population du Québec et, particulièrement, les membres de l'Assemblée nationale du Québec à être attentifs aux prises de position qui se feront quant à la place réservée à la langue et à la culture françaises en Ontario, ainsi qu'aux services à la population franco-ontarienne. Toutefois, tout comme au temps du référendum de mai 1980, nous vous demandons d'être plus que prudents face aux belles paroles des politiciens de l'Ontario.

Les dirigeants de l'Association canadienne-française de l'Ontario tiennent à exprimer leur plus sincère reconnaissance aux membres de la commission parlementaire de l'Assemblée nationale du Québec sur la constitution qui ont accepté d'entendre le point de vue des Franco-Ontariens sur l'actuel projet de réforme constitutionnelle. Notre présence devant les membres de la commission parlementaire aujourd'hui se veut un gage de profond sentiment de solidarité fraternelle qui, tout au long de leur histoire respective, a lié les Franco-Ontariens au peuple du Québec. Dans notre mémoire, nous tenons d'abord à rappeler que nos objectifs

constitutionnels, en tant que francophones hors Québec, reposent sur le principe légitime du traitement égal et équitable des minorités au pays et que, conséquemment, les francophones de l'Ontario revendiquent l'obtention de droits et de services équivalents à ceux dont bénéficient, dans les faits, la minorité anglo-québécoise. Or, l'actuel projet de loi fédéral constitutionnel de 1981 consacre l'asymétrie de la réalité politique canadienne en matière de droits linguistiques, en perpétuant la situation de deux poids, deux mesures entre Franco-Ontariens et Anglo-Québécois.

En effet, alors que le Québec serait lié par l'article 133 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, l'Ontario en serait dispensé. Il s'agit là d'un recul par rapport à la charte de Victoria, puisqu'à ce moment-là l'Ontario était, entre autres, d'accord à s'engager constitutionnellement à ce que les lois ontariennes soient imprimées et publiées en anglais et en français et à reconnaître les droits des Franco-Ontariens à communiquer en français avec les ministères et organismes du gouvernement de l'Ontario.

À notre avis, il est inacceptable qu'en 1981 les lois de l'Ontario ne permettent même pas à un résident de la capitale nationale d'enregistrer un testament rédigé en langue française.

À un moment donné, ce matin, le chef de l'Union Nationale a parlé de mortalité, que cela n'était pas encore arrivé dans son parti; nous, on n'a même pas le droit de mourir en français encore.

Parce qu'ils ne sont pas maîtres de leur destin scolaire, les Franco-Ontariens ont une histoire tissée de luttes scolaires, le conflit de Penetang, qui se poursuit toujours dans les faits en dépit d'une entente de principe intervenue à la veille du référendum québécois, n'est que le plus récent exemple de cette odieuse situation. Ce que nous voulons, c'est l'équivalent, en Ontario, de ce que la minorité anglo-protestante du Québec a, grâce à l'article 93 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.

L'Ontario a deux systèmes scolaires: l'un séparé catholique, l'autre, public. Dans ces deux systèmes, le francophone ne peut être élu, en tant que francophone, au niveau décisionnel, soit à celui des conseillers scolaires. En tant que francophone, il ne peut être élu qu'à un comité consultatif rattaché au système public. Il s'agit ici d'un fait brutal; les Franco-Ontariens ne sont pas maîtres de leur destin scolaire. Sous ce rapport, ils sont tenus pour des pupilles, comme des orphelins mineurs, sous la direction de tuteurs anglophones. Tout au plus peuvent-ils, en tant que tels, être élus membres d'un comité consultatif de langue française. Ils n'y sont pas des "décideurs".

À ce point de vue, les membres de la collectivité franco-ontarienne ne sont pas des citoyens à part entière. Le redressement de cette situation s'impose d'urgence. Selon nous, la démocratie repose sur l'élection des dirigeants par les intéressés. Or, à l'heure actuelle, c'est la majorité anglophone qui choisit les dirigeants scolaires de la minorité francophone en Ontario. Elle désigne naturellement des anglophones qui sont ensuite appelés à régler nos problèmes. On a beau leur reconnaître et leur prêter un sens très vif de la justice, ces anglophones ne sont pas à même de saisir le bien-fondé de nos revendications et c'est tout notre système scolaire qui en pâtit. Avant de quitter tantôt, le professeur Dion faisait justement état de ces faits.

Ce que nous réclamons depuis plusieurs années, c'est la gestion scolaire. Dans les régions comme Ottawa-Carleton, nous demandons que les francophones soient habilités à diriger leurs écoles. Nous n'acceptons pas que le gouvernement ontarien persiste à croire "qu'il n'est pas dans l'intérêt des Ontariens que soit créé un conseil scolaire homogène de langue française."

Le droit à l'instruction sans le droit à la gestion des institutions qui la dispense risque fort d'être un droit illusoire. C'est souvent, en effet, comme ce fut et c'est encore le cas dans les provinces en majorité anglophone où le droit à l'instruction en français est présentement accordé par les Législatures, une invitation à des instances locales ou régionales peu éclairées a frustrer l'intention du législateur. Est-il nécessaire que nous rappelions ici le triste épisode, de 1975 à 1977, de l'établissement de l'École secondaire l'Essor dans la région d'Essex-Windsor? Malheureusement, ce n'est pas un cas isolé. En voici d'autres exemples.

À Sturgeon Falls, les francophones de cette région ont à traiter avec le Conseil scolaire de Nipissing qui leur refuse une école secondaire de langue française. C'était en 1971-1972. Ce conseil est à majorité unilingue anglais. Les manifestations organisées par la population francophone locale coïncident avec une campagne électorale provinciale. Le gouvernement obtient la fin de la grève étudiante en nommant un médiateur, Thomas Symons, et en s'engageant à donner suite à ses recommandations. L'École secondaire Franco-Cité est enfin fondée.

Un petit peu plus près, en 1973, le cas de Cornwall. Les francophones de cette région ont à traiter avec le Conseil scolaire Stormont-Dundas et Glengarry qui leur refuse une école secondaire de langue française. Ce conseil, encore une fois, est à majorité unilingue anglais. Le gouvernement ontarien répond aux manifestations organisées par les francophones en nommant un médiateur, à nouveau Thomas Symons. Ses recommandations sont adoptées et l'École

secondaire La Citadelle est enfin fondée.

L'année suivante, en 1974, les francophones de la région d'Elliot Lake ont à traiter avec le Conseil scolaire de la Rive Nord qui leur refuse à nouveau une école secondaire de langue française. Ce conseil est à majorité unilingue anglais. Après bien des démarches de la population francophone, l'École secondaire Villa française des jeunes est enfin fondée.

Et nous avons Penetanguishene. Depuis 1977 - et ça dure encore - les francophones de la région de Penetanguishene-Lafontaine ont à traiter avec le Conseil scolaire de Simcoe qui leur refuse une école secondaire de langue française. Dois-je le répéter, ce conseil est à majorité unilingue anglais. La Commission des langues d'enseignement de l'Ontario nomme un médiateur, M. Berchmans Kipp, mais le conflit ne se règle pas. Une école secondaire parallèle, l'École secondaire de la Huronie, est créée grâce au fonds de solidarité lancé par notre association, l'Association canadienne-française de l'Ontario.

Devant la publicité nationale faite par les media, le gouvernement de l'Ontario annonce, pas longtemps avant le référendum du 20 mai 1980 au Québec, qu'une entente est intervenue concernant la mise en place d'une authentique école secondaire de langue française. Or, jusqu'à tout récemment, rien n'avait bougé encore. La semaine dernière, après d'autres rencontres, finalement on accepte de changer le lieu de la construction de la future école. La construction devait commencer en janvier, si on voulait que les enfants y entrent en septembre. Ce n'est pas commencé. Maintenant, il n'y aura plus de règlement de zonage interdisant la construction d'une école, mais encore là faudrait-il que les francophones de Penetanguishene obtiennent un permis de construction de la ville. Or, on sait que c'est la ville qui mène une obstruction systématique. Donc, la politique municipale se mêle du scolaire. À l'heure actuelle, le Conseil municipal de Penetanguishene continue donc à mettre toutes sortes d'obstacles à la construction de notre école.

Dans Ottawa-Carleton, au mois d'octobre 1976, le Dr Henry Mayo remet au gouvernement ontarien son rapport sur le remaniement de la région Ottawa-Carleton dans lequel il recommande la mise sur pied d'un conseil scolaire de langue française. Or, le gouvernement ontarien prétend "qu'il n'est pas dans l'intérêt des Ontariens que soit créé un conseil scolaire homogène de langue française" - phrase que je citais tantôt -dans la région de la capitale nationale. Entre-temps, les décisions concernant les besoins éducatifs et culturels des milliers de francophones d'Ottawa-Carleton sont prises par l'un ou l'autre des quatre conseils scolaires de la région qui, en 1981, sont tous à majorité unilingue anglais.

Ces luttes constantes - nous n'avons mentionné que celles qui ont retenu le plus l'attention des media, des moyens d'information - sont pénibles. Elles sont source de lassitude, de découragement, parfois, d'espoirs déçus dans un domaine tellement primordial pour des parents: l'éducation de leurs enfants. Quand on obtient une école, c'est par le combat. Ça me rappelle les vers de Lafontaine: "Car quoi, point de franche lippée, tout à la pointe de l'épée". Et c'est le combat perpétuel. Voilà donc pourquoi la gestion scolaire, en plus de l'article 133, constitue une exigence sine qua non en deçà de laquelle l'ACFO ne peut appuyer un projet de charte des droits dont certains prétendent que l'objet fondamental est l'égalité de droits et libertés. (17 h 15)

L'Assemblée nationale du Québec s'oppose au projet de rapatriement unilatéral de la constitution. Quant à nous, nous dénonçons les arguments soulevés pour justifier la non-ingérence du fédéral dans les affaires de l'Ontario, lorsque, pour plusieurs provinces, le projet de rapatriement lui-même constitue une imposition unilatérale.

Le chef du Parti libéral du Québec, M. Claude Ryan, affirmait même à Toronto, le 8 janvier dernier, que le premier ministre de l'Ontario ferait mieux d'accepter le bilinguisme institutionnel pour sa province, sans quoi il deviendra de plus en plus difficile de l'imposer au Québec. M. Ryan a également déclaré que la crédibilité - je ne sais pas comment les journaux ont cité cela - des Québécois vis-à-vis du Canada - j'ai l'impression qu'il s'agit d'une déclaration de M. Ryan au sujet de la crédibilité du Canada aux yeux des Québécois, de la crédibilité canadienne - ne serait acquise que lorsque les promesses faites au Québec lors du référendum auront été respectées.

Nous vivons des heures graves de notre histoire qui seront déterminantes pour notre survie en tant que francophones en Ontario. C'est pourquoi nous sollicitons encore une fois l'appui de nos frères du Québec pour faire entendre raison aux auteurs du projet de loi constitutionnel de 1981. Il ne faut pas adopter un texte constitutionnel où les droits des Franco-Ontariens ne seraient pas inscrits. Nous sommes convaincus que les citoyens du Québec qui ont dit non lors du référendum de mai 1980 ne voulaient pas ainsi dire oui à une révision constitutionnelle qui laisserait de côté les droits individuels et collectifs des Franco-Ontariens.

Comme l'affirmait le premier ministre, M. René Lévesque, dans une lettre qu'il m'adressait, le 19 décembre dernier: Québécois et Franco-Ontariens défendent les mêmes valeurs d'identité et de langue, de droit et de justice et c'est pourquoi notre

solidarité, dans ce combat, doit demeurer entière.

Vous trouverez la caricature jointe à notre mémoire qui illustre fort bien la réaction des Franco-Ontariens devant le présent projet fédéral de loi constitutionnel.

Mme la Présidente, je vous remercie.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Deux-Montagnes.

M. de Bellefeuille: Mme la Présidente, je suis heureux d'être le premier à interroger mes amis franco-ontariens, puisque je suis né Franco-Ontarien et que j'ai habité à Ottawa pendant plusieurs années. J'ai travaillé au Droit qui a été fondé pour mener la lutte contre l'infâme règlement 17 qui, peu de temps avant la première grande guerre, avait interdit, en Ontario, toute instruction, tout enseignement du français et en français.

Depuis l'époque du règlement 17, il y a eu des progrès qui ont été réalisés, mais il faut se demander, à l'heure actuelle, dans quel sens va la courbe; il faut se demander si, à l'heure actuelle, la cause franco-ontarienne progresse ou si elle recule.

Les endroits que vous avez mentionnés en Ontario, M. Saint-Denis, Chute-à-Blondeau, Vanier, Ottawa, me sont familiers. Vanier, quand j'habitais Ottawa, madame, s'appelait Eastview. Il y a eu un petit morceau de francisation. Il y a un nom de lieu qui avait un nom anglais à qui on a donné un nom français. C'est à peu près la mesure des progrès qui se réalisent en Ontario pour la cause du français, parce que, quand on regarde ce qui se passe sur le plan scolaire, il n'y a pas de progrès équivalent; il y a au contraire, comme vous venez de l'indiquer, M. Saint-Denis, des difficultés à n'en plus finir.

Vous nous dites que vous revendiquez pour les Franco-Ontariens l'équivalent de ce dont jouissent les Anglo-Québécois. Je ne sais pas, M. Saint-Denis, si vous vous rendez compte que la commande est énorme. Vous demandez à l'Ontario de vous donner des commissions scolaires françaises. Vous demandez à l'Ontario de supprimer la clause "là où le nombre le justifie". Vous demandez à l'Ontario de vous fournir, selon vos besoins, des collèges et des universités entièrement français et non pas bilingues. Vous demandez à l'Ontario de multiplier les services gouvernementaux en français qui n'existent à l'heure actuelle qu'à un état extrêmement rudimentaire. Vous demandez à l'Ontario beaucoup plus que cela, en réalité. Vous demandez à l'Ontario de permettre l'émergence d'un véritable milieu de vie français comme il y a au Québec un véritable milieu de vie anglais. Cela implique toutes sortes de choses. Cela implique des institutions sociales qui fonctionneraient en français. Cela implique des milieux de travail qui fonctionneraient principalement ou même totalement en français. Cela implique des media beaucoup plus répandus que ceux qui existent à l'heure actuelle. À part la couverture de CKCH dans la région d'Ottawa, le journal Le Droit et quelques petits hebdomadaires et la télévision, oui, bien sûr, les media français en Ontario n'ont pas du tout atteint le degré de développement des media anglais au Québec. La commande est énorme, M Saint-Denis, mais, quant à moi, je crois que vous avez tout à fait raison de placer vos revendications à ce niveau-là, de leur donner cette ampleur, parce que la vie française en Ontario n'aura de sens que lorsque ces revendications seront largement, sinon totalement réalisées.

Je voudrais vous poser essentiellement deux questions, une de fait et l'autre d'interprétation. La question de fait, c'est à propos de l'assimilation des francophones de l'Ontario, assimilation à la langue anglaise et au milieu anglophone. Les chiffres qu'on nous présente varient. Il y en a un qui est dans votre mémoire: 500,000 francophones. On lit aussi 600,000 francophones et, lorsque M. Wells veut diminuer l'importance des Franco-Ontariens, il parle en pourcentage; cela fait seulement 6%. Mais j'ai vaguement souvenance que les Ontariens de souche française, de descendance française sont beaucoup plus nombreux que cela, que ça dépasse le million. La question que je vous pose, c'est si vous avez des données sur les taux d'assimilation, passés et actuels.

La Présidente (Mme Cuerrier): M.

Saint-Denis.

M. Saint-Denis: Merci, Mme la Présidente. Il est vrai que l'assimilation dans certaines régions de l'Ontario se fait de façon effarante. Si je retourne aux francophones d'origine, selon les données que j'ai, ce serait environ 775,000 à 780,000 francophones d'origine, ce qui est plus de trois quarts de million, quand même. Pour ce qui est du français langue maternelle, c'est là que nous parlons grosso modo du demi-million. Lorsqu'on parle de langue d'usage de tous les jours, c'est en deçà du demi-million. S'il est vrai que, dans une région comme l'est ontarien, Hawkesbury, où dans les comtés tout simplement à l'ouest de Montréal, il ne se fait pas d'assimilation, par contre, vous allez dans des régions comme Windsor où il reste de 30% à 35% de nos francophones qui parlent français. C'est la même chose dans la région de Penetanguishene - puisque la région est connue - où vous aviez 80% de francophones. On parle actuellement de 40% qui utilisent toujours le français. Ces données nous font peur. L'assimilation est un processus qui a été engagé il y a longtemps et les outils que

nous avons pour nous défendre sont très limités.

Vous avez mentionné que nous avions des services en langue française, qui ne sont pas toujours, évidemment, à la hauteur de la situation. À titre d'exemple, nous avons 35 coordonnateurs de services en langue française. Dois-je ajouter que dix d'entre eux sont des unilingues anglais, que certains ne sont à ce travail qu'à temps partiel? D'accord, les services chez nous ont augmenté au cours des dernières années, mais très en deçà de nos espoirs et en deçà de nos besoins. Avons-nous d'autres statistiques pour ce qui est de l'assimilation?

M. Lévesque (Gérard): Dépendant à quel statisticien on parle, Mme la Présidente, on a un pourcentage différent suivant qu'on va utiliser les statistiques d'origine française, de langue maternelle ou de langue d'usage. Mais, règle générale, les travaux du professeur Claude Castonguay, de l'Université d'Ottawa, indiquent qu'on a, au niveau de la province, un taux d'environ 27% d'assimilation, ce qui est quand même assez difficile à accepter de nos jours, compte tenu des moyens qu'on devrait avoir à notre disposition pour pouvoir respirer adéquatement dans la langue de notre choix.

Quand on regarde jusqu'à quel point les francophones ont pu maintenir leur langue et leur culture, en Ontario, on doit rendre hommage à ceux qui ont été les pionniers de la cause, à ceux qui nous ont précédés dans les démarches pour avoir justice pour les francophones en Ontario.

Comme le faisait remarquer le professeur Séraphin Marion, l'historien franco-ontarien, dans l'édition du 30 décembre dernier du Devoir, nos prédécesseurs ont eu très peu de moyens à leur disposition pour lutter pour avoir un minimum de respect pour la langue et la culture françaises en Ontario. On doit leur rendre hommage, parce que, en dépit de tous les obstacles que notre Législature provinciale a mis devant eux, ce sont eux qui nous ont légué cet héritage et on se bat maintenant à cause d'eux, pour, à travers leur action, obtenir un minimum de justice dans le territoire, où nous en avions eu auparavant. Si vous vous souvenez, le territoire de l'Ontario, à la suite de l'Acte de Québec, était partie du Québec et même à ce moment-là, sous l'acte constitutionnel qui a suivi l'Acte de Québec, en 1791, l'Assemblée du Haut-Canada, en 1793, avait voté pour que les lois soient dans les deux langues, dans le territoire qui est maintenant l'Ontario.

Cela nous montre jusqu'à quel point les politiciens de l'Ontario sont un peu hypocrites, du moins ceux qui prétendent à l'heure actuelle qu'on n'aurait pas besoin de garanties constitutionnelles similaires à celles dont les anglophones du Québec ont bénéficié, parce que, vu qu'on n'avait pas ces garanties constitutionnelles, cela nous a été enlevé, par exemple, lors de l'Acte d'union et cela a été consacré lors de l'acte confédératif de 1867.

Je pense que cela remet en évidence, d'une part nos droits historiques dans le territoire de l'Ontario, en tant que francophones, et, d'autre part, la nécessité d'avoir, dans le nouveau pacte, au moment où il arrivera, un minimum de reconnaissance pour le groupe francophone de l'Ontario.

M. de Bellefeuille: M. Saint-Denis...

La Présidente (Mme Cuerrier): Je vous ferai remarquer que vous avez déjà utilisé dix minutes et que si...

M. de Bellefeuille: Une dernière question. La dernière question, Mme la Présidente.

M. Saint-Denis, ce que M. Gérard Lévesque vient de dire m'amène tout droit à ma deuxième question. C'est par rapport à la politique que pratique le gouvernement Davis en Ontario. Chaque fois qu'on exerce des pressions sur l'Ontario, par exemple pour accepter d'être soumis à l'article 133 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, bilinguisme parlementaire et devant les tribunaux, M. Davis et les autres membres de son gouvernement se défendent ou cherchent à se défendre en affirmant que par leurs propres moyens - qui sont d'autres moyens - ils s'arrangent, petit à petit, pour faire progresser la cause du français. C'est ce qu'on pourrait appeler la politique des petits pas.

Quand on réfléchit à ce que c'est qu'une politique des petits pas, on se rend compte qu'il peut y avoir deux sortes de politiques des petits pas. Il y a une politique des petits pas qui est conçue pour faire avancer le français le plus possible, ou bien une politique des petits pas conçue pour faire avancer le français le moins possible.

Ma question c'est: Qu'est-ce que c'est dans le cas de M. Davis? Le plus possible ou le moins possible?

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le président général.

M. Saint-Denis: Merci. C'est une question. Et j'y réponds. D'abord, M. Davis, lorsqu'on fait pression sur lui ou sur son gouvernement, évoque toujours ce problème du ressac anglophone qui se créerait s'il nous donnait trop de choses, parce qu'il y a toujours le mot "trop".

Pour nous, au commencement, nous croyons que ce ressac dont il nous entretient souvent existe surtout, disons-le, dans son parti et peut-être même jusque dans son

caucus, plutôt que chez la masse anglophone, chez la population anglo-ontarienne.

Cette politique de petits pas dont vous parlez si bien, moi je l'appelle la politique de miettes, c'est ce qui nous manque. On ne nous a jamais servi, en Ontario, un bifteck. Quand on a très faim, on nous met un morceau de viande et nous avons eu le temps de le digérer - croyez-moi - avant que le deuxième morceau qu'on vient nous couper soit ajouté à notre assiette. (17 h 30)

Je ne veux pas nier qu'il y ait eu des progrès, mais ils sont beaucoup trop lents et, devant ce phénomène de l'assimilation dont on a parlé précédemment, c'est nettement insuffisant. Alors, ce sont des petits pas lents et ce sont des miettes qui nous laissent sur notre appétit nettement.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Union Nationale - et cette fois-ci ce n'est pas un lapsus - on me dit que M. le chef de l'Opposition officielle sera ici dans quelques instants, voulez-vous utiliser votre droit de parole?

M. Le Moignan: Vous êtes bien aimable, Mme la Présidente. Il y a un point que j'aimerais discuter. Vous mentionnez dans votre mémoire - je ne veux pas le reprendre vous avez fait un peu l'historique de vos écoles. J'ai déjà lu des choses sur ça qui m'ont toujours passionné, parce que le problème francophone ne peut pas nous laisser indifférents. Vous mentionnez en page 8, par exemple, si je comprends bien, que dans votre idée les francophones de l'Ontario, vous aimeriez voir inscrits dans une charte les droits des minorités, donc, en ce qui vous concerne, les francophones.

Ici, au Québec, je ne suis pas tellement certain que la population francophone, la population québécoise désire les mêmes choses que vous. Actuellement, vous n'êtes pas protégés par votre gouvernement local ou provincial, alors, vous croyez que l'insertion dans la charte des droits d'une garantie pour vos écoles pourrait vous aider. Mais quand on remonte dans le passé, après 1867, l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, surtout en ce qui a trait à l'article 92, en ce qui touche l'éducation, si jamais une province empiétait ou ne donnait pas justice à sa minorité francophone ou anglophone, selon le cas, le gouvernement fédéral se devait de voter une loi réparatrice ou remédiatrice.

Vous connaissez vos problèmes dans le passé, ceux du Manitoba, ceux du Nouveau-Brunswick et le reste. Le fédéral n'a jamais voté une telle loi, à tel point qu'à un moment donné, pour ne pas poser de gestes et ne pas déplaire à la majorité anglophone du pays, on a fait appel au pape qui a envoyé un délégué - cela ne concerne pas l'Ontario; ça concerne les provinces de l'Ouest, le Manitoba - mais il reste que vous n'avez jamais eu tellement de satisfaction avec le fédéral. Là, est-ce que vous êtes assurés, convaincus qu'en demandant, en exigeant cette chose-là ça pourra vous aider dans l'avenir?

La Présidente (Mme Cuerrier): M. Saint-Denis.

M. Saint-Denis: Merci, Mme la Présidente. M. Le Moignan, vous parlez justement de l'article - je ne sais plus si c'est 92 ou 93...

M. Le Moignan: 93.

M. Saint-Denis: D'accord, on s'entend là-dessus. C'est venu justement à la suite de notre mécontentement ou, si vous voulez, de notre manque de confiance face à notre gouvernement ontarien. À ce moment-là, nous nous sommes dit: Si nous ne pouvons pas obtenir ce que nous cherchons dans notre province, adressons-nous au fédéral qui a un devoir, une obligation morale - c'est là dans la charte - et un rôle de palliatif.

Nous avons cherché nettement à éveiller la conscience d'un nombre plus grand de gens ou de sensibiliser le gouvernement du pays à nos problèmes.

M. Le Moignan: Mais quand on sait que l'éducation, c'est de juridiction provinciale, alors, là, vous vous butez, en somme, à un gouvernement provincial qui n'est pas prêt d'accepter... D'ailleurs, M. Trudeau n'impose pas non plus l'article 133 à l'Ontario, alors qu'il voudrait le réimposer aux gouvernements du Québec et du Nouveau-Brunswick. Alors vous êtes placés dans un conflit qui n'est pas facile pour vous autres. J'aimerais savoir quels sont vos espoirs d'en sortir, d'une façon ou d'une autre, dans les mois à venir.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le président général.

M. Saint-Denis: Mme la Présidente, il est vrai que nous sommes placés dans une situation fort difficile, puisque les anglo-québécois, ici, ont été protégés depuis 113 ans. Peut-être qu'une bonne façon de faire serait d'imposer l'article 133 à l'Ontario et le laisser tomber pour 113 ans au Québec. Cela pourrait rétablir ces deux poids deux mesures qui ont toujours existé. Par contre, nous n'en voulons absolument pas à nos anglo-québécois. Nous disons: Tant mieux s'ils ont été bien traités depuis toujours au Québec, si c'est une des minorités les mieux traitées au monde et ceci, ce n'est pas moi qui le dis. C'est reconnu par bien des gens et depuis fort longtemps. Nous cherchons simplement à obtenir un juste équilibre.

Peut-être que mon collègue, si vous le permettez, M. Lévesque, pourrait ajouter à cette réponse.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. Gérard Lévesque.

M. Lévesque (Gérard): Mme la Présidente, je crois que la question du chef parlementaire de l'Union Nationale illustre très bien pourquoi nous sommes ici aujourd'hui. En somme, le Québec, comme l'a déjà dit le ministre des Affaires intergouvernementales du Québec il y a quelques années, a un devoir moral vis-à-vis des francophones à l'extérieur du Québec et beaucoup plus aujourd'hui, alors que nous sommes dans une situation où tous les partis à Ottawa et tous les partis à Toronto nous ont abandonnés. Si nous faisons le tour des trois partis à Ottawa, nous avons un Parti néo-démocrate qui, au tout début de la révision constitutionnelle, il y a quelques mois, disait: II faut imposer à l'Ontario le respect des droits de la minorité, au moins l'article 133, vu que d'autres provinces y sont liées. Maintenant, qu'est-ce qu'ils font? Ils ont réduit leurs- démarches à une simple invitation au gouvernement de l'Ontario. On n'a pas vu le texte encore. On nous le promet pour les prochains jours.

Le gouvernement conservateur, c'est-à-dire le Parti conservateur à Ottawa n'a qu'un de ses membres qui a dit, cette semaine, le sénateur Asselin: Oui, l'Ontario doit se plier à l'article 133. Il a été le seul dans son parti à avoir cette position. Les autres ont dit: Non, on ne veut pas imposer à l'Ontario. Le Parti libéral a troqué les droits des Franco-Ontariens pour l'appui politique de l'Ontario. En ce qui concerne les trois partis à l'Assemblée législative de l'Ontario, c'est la même chose. Je viens de classer le gouvernement de l'Ontario puisque le Parti conservateur a appuyé publiquement le projet fédéral, dans la mesure où l'Ontario n'aurait pas constitutionnellement à respecter sa minorité. On a des belles paroles de M. Wells qu'on pourrait citer. On se promène souvent avec des citations intéressantes de nos partis à Toronto, parce qu'au niveau des paroles, on a beaucoup de citations, on peut puiser des citations à n'en plus finir.

Je veux seulement vous en donner une assez intéressante, parce qu'à un moment donné, le ministre Wells dit même: "Les francophones en Ontario devraient être d'égal à égal". C'est au mois de février 1978, alors que notre ministre des Affaires intergouvernementales de l'Ontario était à ce moment ministre de l'Éducation. "J'appuie les efforts de la minorité francophone de notre province, l'Ontario, en vue d'atteindre les objectifs qu'elle s'est fixés: préserver sa langue, maintenir son identité culturelle sans avoir à se sentir mal à l'aise ni étrangère au milieu et, dans la mesure du possible, obtenir de pouvoir vivre et travailler dans sa propre langue. Je n'ai pas l'impression que les Franco-Ontariens demandent la lune. Les fondations sur lesquelles repose notre nation leur donnent le droit de se sentir ici chez eux, d'être fiers de leur culture, d'exiger qu'on les traite sur un pied d'égalité avec leurs concitoyens de langue anglaise - c'est presque d'égal à égal - et de se réaliser pleinement sans que leur vie soit constamment troublée par des querelles politiques". Les représentants de ce gouvernement nous laissent dans une situation où, à l'heure actuelle, de par les lois de l'Ontario telles que le Registry Act, le français est considéré en quelque sorte comme une langue étrangère dans notre territoire et même dans la capitale du pays.

Les deux autres partis de l'Opposition ont également des paroles ou des promesses intéressantes à notre égard, mais ils sont prêts eux aussi, dès qu'il y a un vent quelconque qui semble souffler, surtout un vent électoral, à dire: On n'est pas prêt à aller si fort. Le Parti néo-démocrate, à un moment donné, semblait même être prêt à demander que le français soit langue officielle en Ontario. C'était sa position en 1978. Là, ils ont même imploré la Parti NPD national pour que leur position soit diminuée, pour que l'Ontario ne se fasse pas imposer l'article 133. Les libéraux disent chez nous, le Parti libéral de l'Ontario, qu'ils préfèrent une loi provinciale telle que le projet de loi no 89 du mois de juin 1978 à l'article 133. Nous, ce que nous disons, c'est qu'à la fois la Législature doit nous garantir des services et à la fois la constitution nationale doit nous donner la protection constitutionnelle pour que nos droits soient à l'abri d'un changement de gouvernement qui ferait qu'à ce moment, nos droits pourraient être changés sans qu'on puisse en appeler à des instances supérieures.

J'ai peut-être été un peu long, mais je pense que c'est essentiel qu'on replace dans son contexte la question de M. Le Moignan. Nous en sommes presque à jouer notre dernière carte. Le Québec, dans la révision constitutionnelle, doit non seulement regarder ses intérêts, mais, en plus de ses intérêts, il doit aller au-delà et rencontrer un devoir moral qu'il a à l'égard de la francophonie hors Québec et, dans notre cas, spécialement à l'égard des francophones de la province voisine.

M. Le Moignan: Une question...

La Présidente (Mme Cuerrier):

Rapidement, M. le chef de l'Union Nationale.

M. Le Moignan: C'est très rapide. Vous parlez au nom des Franco-Ontariens, je comprends que vous vouliez faire insérer

dans la charte ce qui vous protège. Mais quand vous mentionnez les paroles de M. Ryan qui affirmait que le premier ministre de l'Ontario serait mieux d'accepter le bilinguisme institutionnel, sans quoi il deviendra très difficile de l'imposer au Québec, je ne sais pas si vous avez analysé les implications pour le Québec ou si le gouvernement du Parti québécois est d'accord avec vous autres sur ça.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. Lévesque.

M. Lévesque (Gérard): Mme la Présidente, à l'heure actuelle, le Québec est lié par l'article 133. Si nous rouvrons tout le paquet, à ce moment-là, nous discuterons de ce qui devrait arriver au niveau des deux minorités. Il y a une chose qui est certaine et qui a été continue dans les revendications des Franco-Ontariens, c'est qu'on s'est toujours mis comme barème d'avoir chez nous, dans les faits et en droit, des services équivalents à ceux de la minorité anglophone du Québec. C'est sûr que, si l'objectif est moins haut à atteindre, on aura moins de travail. Mais nous cherchons, chez nous, un minimum de ces droits et nous sommes un peu jaloux de leur situation, puisque nous aimerions en avoir un peu chez nous. C'est un objectif.

Si le débat est rouvert sur l'article 133 pour le Québec, à ce moment-là, nous pourrons reconsidérer la chose, mais je pense qu'il faut tenir compte des situations différentes des minorités. Je pense que le professeur Dion s'est attardé longuement aujourd'hui sur le fait que les situations étaient très différentes et que, s'il y a une minorité qui nécessite à l'heure actuelle des protections constitutionnelles, c'est bien la minorité franco-ontarienne.

La Présidente (Mme Cuerrier): Tout en réservant le temps qui serait alloué à M. le chef de l'Opposition officielle, je donne maintenant la parole à M. le député de Vanier.

M. Bertrand: Merci, Mme la Présidente. Je voudrais poser mes questions le plus rapidement possible pour vous donner le temps d'y répondre avant que M. le chef de l'Opposition arrive. Je pense que vous avez mentionné tantôt une technicité ou ça demande peut-être des explications plus poussées, mais vous avez présenté Mme Matte comme étant un conseiller scolaire en Ontario. Or, il semble qu'un des problèmes soit de faire élire des conseillers scolaires francophones. J'aimerais, quand j'aurai terminé, que vous apportiez des précisions sur la présence de Mme Matte comme conseiller scolaire. Est-ce que c'est l'exception qui confirme la règle ou si c'est un début de pied dans la porte qui permettra à la porte de s'entrouvrir? Tant mieux pour vous, alors.

M. de Bellefeuille: C'est peut-être parce qu'elle est femme.

M. Bertrand: Non, j'en douterais.

Mme LeBlanc-Bantey: C'est un très mauvais commentaire.

M. Bertrand: Je douterais que ce soit ça.

Mme Leblanc-Bantey: Elle a certainement d'autres mérites que celui-là.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le président.

M. Saint-Denis: J'aurais la tentation, Mme la Présidente, de laisser Mme Matte répondre elle-même à ces questions.

M. Bertrand: Ce serait bien si on le faisait immédiatement, je pourrais continuer avec une autre question, Mme la Présidente, par la suite.

La Présidente (Mme Cuerrier): Mme

Denise Matte.

Mme Matte (Denise): Je vous remercie, Mme la Présidente. Je vais appeler ça un heureux hasard. Lors d'élections scolaires, qui arrivent au même moment que les élections municipales, personne n'est élu en tant que francophone. Nous nous présentons en tant que "public" ou bien en tant que "catholique", mais, comme nos écoles secondaires françaises, depuis maintenant douze ans, sont sous la juridiction ou la tutelle des conseils publics qui sont unilingues anglophones, lors de la création en 1968, le ministère de l'Éducation de l'Ontario a pensé tout de suite qu'il ne serait pas bon que les écoles secondaires françaises soient uniquement sous la juridiction des conseils anglophones. Ils ont dit: Probablement que là on va s'attirer un paquet de problèmes. Alors c'est là qu'ils ont - peut-être après une nuit de sommeil ou enfin d'une autre façon - dit, un peu peut-être comme lors de la création: II ne faut pas que l'homme soit seul, il faut lui donner une compagne, et là ils ont dit: On va créer quelque chose. C'est là qu'ils sont arrivés avec l'invention des comités consultatifs de langue française. (17 h 45)

Au début, ça nous a souri, on a dit: Notre gouvernement ne nous a pas oubliés et on va y voir à la gérance et à tous les services de nos écoles françaises. Mais vous savez ce que veut dire un comité consultatif. Un comité consultatif c'est simplement de la

consultation. Nous faisons des recommandations au conseil qui, comme on l'a dit précédemment, est composé d'unilingues anglophones. Je suis conseiller scolaire, mais c'est par hasard que j'ai été élue, c'est en tant que catholique et, sur dix-sept conseillers, nous sommes trois francophones et quatorze unilingues anglophones. Les débats sont uniquement en anglais, je n'ai pas besoin de vous le dire.

Le rôle des comités consultatifs se limite à proposer et à faire des recommandations au conseil. Je vous assure qu'il se livre des débats et des combats parce que, autour d'une table de conseil, quand arrivent ces recommandations, d'abord elles sont souvent appelées "non nécessaires". On vous dit: L'utilité. On n'a pas ça dans les écoles anglaises. Il y a alors une espèce de discussion qui, parfois, est très humiliante et finalement il faut dire que dans quelques conseils scolaires on obtient ce que nous demandons. Par contre, il y a une espèce d'épée de Damoclès au-dessus de la tête des conseillers parce que, si le conseil scolaire refuse une recommandation proposée par le comité consultatif de langue française, il doit donner dans les 30 jours qui suivent la raison du refus. À partir de ça le comité consultatif amène sa cause à la Commission des langues.

Un conseil scolaire qui a un peu d'honneur, en général, ne veut pas aller à la Commission des langues parce que ça ferait la manchette des journaux et de la radio. Mais ça, ce sont des conseils scolaires très spéciaux, il n'y en a pas beaucoup en Ontario. La majorité continue à livrer des luttes, à se promener en amenant des causes et ils perdent de l'énergie et du temps.

Je pense que tout ce genre de luttes a été vécu et il me semble que, maintenant que nous sommes en 1981, on devrait peut-être changer un petit peu l'arène du combat parce qu'on a déjà perdu plusieurs victimes par l'assimilation. Il me semble que de revendiquer un conseil scolaire homogène de langue française, où on pourrait avoir l'élection de nos conseillers qui auraient les pouvoirs d'administrer, qui auraient aussi les pouvoirs de créer, de penser et de concevoir des services pour les élèves francophones. Alors, il me semble que l'autogérance de nos écoles françaises serait notre droit et aussi notre salut. Merci.

M. Bertrand: J'aime beaucoup vous entendre parler, Mme Matte, de cette questions scolaire et, pour reprendre les termes qu'utilisait tantôt le député de Deux-Montagnes, je suis quand même fasciné de constater que les minorités francophones hors Québec, et particulièrement en Ontario et au Nouveau-Brunswick, en sont toujours à se battre sur le dossier scolaire. On ne parle pas encore des dossiers comme ceux des communications, des media d'information, des services sociaux, des services gouvernementaux, toutes choses qui, ici, à mon avis, sont dispensées, et Dieu sait qu'elles le sont bien, à la minorité anglophone, non seulement dispensées, mais elles sont prises en charge par la minorité anglophone. J'ai hâte que vous puissiez sortir de votre combat scolaire pour en entreprendre d'autres qui vous permettraient de vous inscrire comme une minorité vivante et non pas simplement comme une minorité en survivance.

J'ajouterai simplement une dernière question, Mme la Présidente, et c'est relativement à des commentaires. Je ne sais pas si c'est M. Saint-Denis ou M. Lévesque qui les apportait tantôt dans une question à mon collègue de Deux-Montagnes qui disait, dans le contexte politique actuel, comment est reçu votre combat dans la population ontarienne. Vous disiez qu'il semblait que le fameux ressac anglophone dont on parlait, c'était davantage un ressac chez les troupes conservatrices de M. Davis que dans la population.

Or, vous venez de tomber en période de campagne électorale, je ne sais pas si on peut vraiment dire, pour la minorité francophone, que vous venez de tomber en campagne électorale, mais toujours est-il que le dossier constitutionnel et le dossier des luttes des francophones vont probablement constituer un des enjeux de cette campagne électorale. Il semble bien, si on se fie à des attitudes que M. Davis a déjà prises lors de certaines élections partielles et qu'on semble voir se confirmer pour la prochaine campagne électorale, que vous allez constituer un des éléments moteurs, dynamiques de la campagne électorale de M. Davis, mais pas nécessairement de façon positive, j'oserais dire de façon négative. Il semble, de la façon que M. Davis aborde cette campagne électorale, qu'il se fie bien sur un quelconque ressac de la communauté anglophone à votre endroit pour capitaliser sur ce ressac et s'assurer, cette fois-ci, une majorité parlementaire qu'il ne détenait pas au cours des dernières années.

Nous avons pris connaissance de certains éléments de campagne électorale utilisés lors d'élections partielles. Je pense, entre autres, à celle de Carleton, je pense que vous l'avez à l'esprit, où, effectivement, le Parti conservateur de M. Davis se flattait - je reprends des mots traduits ici en français - "Bill Davis travaille pour l'Ontario puisqu'il a réussi à empêcher le fédéral d'imposer le bilinguisme officiel à sa province". J'essaie de mesurer, parce qu'on a vécu ici le débat sur la loi 101, et il ne m'a pas semblé que la population francophone du Québec, bien que très majoritairement favorable à une plus large francisation, se soit montrée hostile de quelque façon que ce

soit, non seulement au maintien, mais aux possibilités de développement de la communauté anglophone, pas simplement sur le plan scolaire, mais sur tous les plans. J'essaie de voir, par analogie, comment réagit la population ontarienne aux attitudes du premier ministre de l'Ontario qui semble vouloir capitaliser sur ce qu'on pourrait peut-être appeler un ressac anglophone et aussi sur les attitudes du premier ministre de l'Ontario face à la minorité francophone ontarienne. Il me semble que, toute proportion gardée et considérant - pour revenir aux termes de M. Dion - les difficultés supplémentaires que vous avez à affronter comparativement à la minorité anglophone du Québec, il m'apparaît que vous ne recevez pas, de la part de la population ontarienne - et ce n'est pas simplement, à mon avis, le Parti conservateur qui est en cause - l'appui que cherche à trouver M. Davis dans sa majorité; il ne semble pas que vous receviez le genre d'appui que la majorité francophone ici a témoigné à l'endroit de sa minorité anglophone. Est-ce que je me trompe? Est-ce que vous accepteriez d'interpréter dans leurs justes perspectives les propos que j'émets à l'endroit de l'Ontario?

La Présidente (Mme Cuerrier): M. Yves Saint-Denis.

M. Saint-Denis: Oui, Mme la Présidente. J'ai peut-être certains problèmes à interpréter la conduite, si vous voulez, de la population ontarienne. J'ai nettement l'impression qu'elle est probablement plus passive que celle du Québec. Est-ce parce qu'elle ne jouit pas de sang latin comme ici, si on parle de la population, de l'ensemble de la population puisqu'elle est anglophone? Nous avons quand même reçu certains, si on parle du conseil homogène de langue française pour la région d'Ottawa-Carleton. Les quatre conseils scolaires de cette région, qui sont en majorité anglophones, ont tous recommandé la fondation d'un conseil scolaire homogène français pour Ottawa-Carleton. De nombreux appuis d'anglophones sont venus à ce moment-là pour la création de ce conseil scolaire homogène et c'est le premier ministre de l'Ontario qui a dit non.

La Présidente (Mme Cuerrier): Je regrette de devoir dire à Mme la députée des Îles-de-la-Madeleine qu'elle n'aura probablement pas le temps de poser sa question. M. le chef de l'Opposition officielle, vous avez la parole.

M. Ryan: Si vous êtes prête à prolonger la séance de cinq minutes, je n'ai pas objection à ce que Mme la députée pose sa question.

Mme LeBlanc-Bantey: Je me reprendrai...

La Présidente (Mme Cuerrier): Après... M. Ryan: Oui. Après, après?

La Présidente (Mme Cuerrier): S'il y avait consentement, à ce moment-là, bien sûr que nous donnerions la parole à Mme la députée. Vous pouvez maintenant poser votre question ou vos questions, M. le chef de l'Opposition officielle.

M. Ryan: Je m'excuse d'avoir été absent pour le début de la discussion parce que j'étais appelé par d'autres rencontres dans cette enceinte. J'ai pris connaissance avec intérêt des représentations que vous faites. Je voudrais vous dire brièvement ceci. Je pense qu'il y a deux droits complémentaires qui sont revendiqués dans votre présentation; d'abord, le droit des parents de langue française d'exiger que leur enfant reçoive dans votre province l'enseignement primaire ou secondaire dans sa langue maternelle et, deuxièmement, le droit de la collectivité francophone d'avoir un pouvoir de gestion, de direction sur les écoles qui sont destinées aux enfants de langue française.

Comme je crois l'avoir déjà écrit... Est-ce que c'est Mme Séguin qui est présidente de votre association?

M. Saint-Denis: Mme Séguin, si vous le permettez, était présidente jusqu'en septembre dernier et je l'ai remplacée depuis.

M. Ryan: J'ai écrit à l'un de vous deux, il y a quelque temps, résumant la position de notre parti sur ces questions. Je pense que vous savez que, dans la position officielle de notre parti en matière constitutionnelle, nous réclamons, d'abord, le droit de toute personne de langue française ou anglaise ou de tout autochtone d'exiger que son enfant reçoive, dans la province où il habite, l'enseignement primaire ou secondaire dans sa langue maternelle; deuxièmement, le droit des collectivités francophones, anglophones et autochtones de gérer les institutions publiques dispensant l'enseignement dans leur langue maternelle, partout où ces collectivités seront regroupées en nombre suffisant. Nous revendiquons aussi le droit de toute personne d'avoir accès à des services sociaux dans sa langue, partout où le nombre le justifie. C'est la position de notre parti.

Par conséquent, nous appuyons fermement les deux volets essentiels de la revendication que vous présentez. Ceci est un secteur où nous ne sommes pas en faveur d'une asymétrie trop poussée. Nous avons

entendu toute la journée un plaidoyer en faveur de l'asymétrie. Je suis content de voir que vous autres, vous demandez un peu plus de symétrie. Si on bâtit un pays uniquement sur l'asymétrie, autant dire qu'on n'en bâtit pas, qu'on prépare la division et la désintégration pour tôt ou tard. 3e veux vous dire que, sur des points fondamentaux comme celui-là, nous autres, nous exigeons avec fermeté que le reste du pays, en particulier les autorités de la province de l'Ontario, livrent la marchandise, comme le Québec a essayé de le faire pendant longtemps.

Je suis allé à Toronto récemment, comme vous en avez peut-être eu connaissance. Je ne veux pas que le Parlement fédéral impose d'autorité, de manière unilatérale, une clause comme celle-ci à la province de l'Ontario, pas plus que je ne voudrais, si l'Ontario ne doit pas être lié, que le Québec soit lié par la volonté du Parlement fédéral. Mais je vous assure que nous allons continuer à travailler très fort auprès des autorités de votre province pour qu'elles embarquent dans le club des larges d'esprit au Canada, de manière qu'on puisse avoir un pays qui commence à signifier quelque chose.

Je ne sais pas si la position de notre parti, comme je l'ai exposée, répond aux attentes que vous avez formulées de votre côté. S'il y avait des critiques que vous avez à nous faire là-dessus, cela pourrait nous instruire pour que nous la précisions davantage. Mais je veux vous assurer, sur le fond, que telle est l'orientation de notre parti, confirmée par les documents qui la décrivent, d'ailleurs.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. Gérard Lévesque.

M. Lévesque (Gérard): Mme La Présidente, je pense que le chef de l'Opposition officielle vient de résumer les objectifs que nous poursuivons d'une façon assez claire. Nous avons nous-mêmes étudié énormément des documents tels que le livre beige du Parti libéral du Québec. À ce moment-là, nous avons vu plusieurs objectifs qui étaient communs, par exemple, la maîtrise par chaque communauté de ses moyens d'instruction, de ses moyens d'enseignement.

Malheureusement, nous avons énormément de difficulté à faire accepter ça par les gouvernements au Canada anglais. Dans le premier territoire à l'ouest du Québec, dans le territoire de la capitale nationale, nous trouvons que c'est inacceptable qu'en 1981 on ne puisse pas être habilités à diriger nous-mêmes nos écoles. Dans ce sens, l'appui de tous les partis du Québec représentés à l'Assemblée nationale pourrait nous être utile pour que dans un premier temps, au moins dans la capitale du pays, on puisse bénéficier de ce que la communauté anglo-protestante a obtenu ici via l'article 93 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.

Je pense que, dans un premier temps, notre communauté a fait énormément la preuve, depuis quelques années, que nous étions rendus adultes, que nous pouvions diriger nos moyens d'éducation et partager ensemble avec les conseils scolaires qui seraient responsables de l'éducation en langue anglaises des services de gré à gré, faire des ententes de gré à gré, mais nous ne pouvons plus tolérer, et surtout pas dans la capitale canadienne, d'être sous la tutelle d'unilingues anglais qui prennent pour nous les décisions. Compte tenu de la répartition, à laquelle faisait référence Mme Matte tantôt, des sièges entre contribuables séparés et contribuables du secteur public au sein des conseils publics qui régissent nos écoles secondaires, je pense que c'est inacceptable aujourd'hui qu'on n'ait pas voix au chapitre au niveau décisionnel pour qu'ensemble on puisse être en quelque sorte en sécurité dans nos décisions et partager, à ce niveau-là, avec la communauté qui nous entoure, la prospérité au niveau de l'éducation. (18 heures)

Je pense que dans ce sens il faut réaliser que les principes mis de l'avant pour la maîtrise des moyens d'éducation ne sont pas reconnus à l'heure actuelle ni par le gouvernement fédéral ni par les gouvernements des provinces, tel celui de l'Ontario. Nous avons un petit exemple au Nouveau-Brunswick, au niveau de la gestion scolaire. C'est un exemple assez intéressant. Nous essayons de l'imiter chez nous, mais la partie est très loin d'être gagnée.

Notre président général a fait un appel de dernière heure au premier ministre Trudeau la semaine dernière, alors que le comité mixte à Ottawa a étudié l'article 23, paragraphes 1, 2 et 3 qui mentionnent l'accès à l'instruction. Mais, nous, ce que nous mentionnions, c'étaient les paragraphes 4 et 5 sur la gestion scolaire, parce que les paragraphes 1, 2 et 3 en Ontario, à force de passer de conflit scolaire en conflit scolaire, nous avons mis le pied dans la porte. Nous avons des installations, nous avons des pavillons ou des écoles. Nous n'avons pas complètement le réseau auquel nous avons droit. Mais nous avons un début quand même. Compte tenu de notre population étudiante, nous avons près de 100,000 étudiants qui sont dans nos écoles, à la fois secondaires et primaires en Ontario. C'est quand même un acquis. Alors, ce qu'il nous faut maintenant, c'est la reconnaissance pour diriger ces moyens. À ce niveau-ci, c'est critique et particulièrement dans le territoire de la capitale nationale, à Ottawa.

M. Ryan: Quelle est la proportion de

vos enfants de langue française qui sont dans des écoles françaises au niveau élémentaire actuellement?

M. Lévesque (Gérard): La proportion? M. Ryan: Est-ce que c'est 92%, 95%?

M. Saint-Denis: Oui, à peu près. Mme la Présidente, la presque totalité des enfants inscrits dans les écoles françaises sont francophones.

M. de Bellefeuille: Quelle proportion des francophones sont à l'école française?

M. Saint-Denis: On a peut-être mal saisi la question. S'il y a possibilité de reprise.

M. Ryan: Quelle est la proportion des enfants de langue française qui sont inscrits dans des écoles françaises au niveau élémentaire?

M. Lévesque (Gérard): C'est assez élevé. Je crois que c'est dans les 90% mais, encore là, cela dépend du fameux débat des statisticiens. Si on veut utiliser comme statistiques le français, langue d'origine en Ontario ou français langue d'usage, à ce moment, on va dire: Près de 90%. D'autres vont dire: Même plus que ce pourcentage de la population francophone a accès déjà à ces écoles élémentaires. Mais il faut dire que ces écoles ont été reconnues de par la loi de l'Ontario à peine il y a douze ans, en 1968. Nos pères et nos prédécesseurs ont dû se débattre contre le règlement 17 auquel on a fait référence tantôt. Après que le règlement 17 eût été enlevé, qui voulait assimiler nos écoles, il n'y a pas eu de reconnaissance légale des écoles françaises en Ontario jusqu'en 1968. En 1968, c'est la première fois que le gouvernement a dit: Oui, nous reconnaissons un statut légal aux écoles qui existent. À ce moment, nos écoles existaient depuis plus de 300 ans dans le territoire de l'Ontario. On peut se référer à des volumes très intéressants publiés dernièrement par le professeur Robert Choquette et un autre par le professeur Arthur Godbout qui montrent l'historique des écoles françaises en Ontario et qui montrent jusqu'à quel point nos gens ont dû travailler d'arrache-pied pour gagner ces institutions et maintenant, nous essayons de gagner la gérance politique de nos écoles.

La Présidente (Mme Cuerrier): Mon rôle est parfois ingrat. Je me dois de faire remarquer à la commission que nous avons déjà dépassé le temps qui nous était alloué. Je me fais le porte-parole des membres de la commission pour remercier M. Yves Saint-Denis, le président général de l'association, Mme Denise Matte, est conseillère scolaire,

M. Gérard Lévesque, qui est le secrétaire général, je crois, de l'Association canadienne-française de l'Ontario. Merci beaucoup à cette association pour avoir bien voulu participer aux travaux de la commission de la présidence du conseil et de la constitution. Merci.

M. Saint-Denis: Merci du chaleureux accueil que nous avons accordé ici.

La Présidente (Mme Cuerrier): Sur ce, puisqu'il est déjà dépassé l'heure, nous devons suspendre. Suspension des travaux jusqu'à 20 heures, au moment où nous recevrons l'Union populaire et ensuite Me Guy Bertrand.

(Suspension de la séance à 18 h 4)

(Reprise de la séance à 20 h 15)

La Présidente (Mme Cuerrier): La commission parlementaire de la présidence du conseil et de la constitution reprend ses travaux après cette suspension pour accueillir ce soir l'Union populaire. Auparavant, s'il y a consentement de cette commission, je dois faire un changement quant aux membres de la commission, il s'agirait de M. le député de D'Arcy McGee qui remplacera ce soir à la commission M. le député de Notre-Dame-de-Grâce.

M. Morin (Louis-Hébert): Ce n'est pas un changement pour le mieux.

La Présidente (Mme Cuerrier): Consentement? Consentement. M. le député de D'Arcy McGee, vous serez membre de cette commission pour ce soir, c'est-à-dire que M. le député de Notre-Dame-de-Grâce est intervenant.

M. le représentant de l'Union populaire, je vous demanderais de vous identifier comme porte-parole, s'il vous plaît. Je pense que vous avez observé les travaux de la commission cet après-midi, vous en connaissez les règles. Il s'agit d'une heure que la commission s'accorde pour entendre le représentant de l'Union populaire, dont vingt minutes pourront être utilisées à présenter votre mémoire, vingt minutes pour les questions et les réponses des membres du gouvernement dans cette commission parlementaire et vingt minutes pour les Oppositions, questions et réponses incluses, bien sûr.

M. le représentant de l'Union populaire.

L'Union populaire

M. Laberge (Henri): Je suis Henri Laberge, président de l'Union populaire. Comme vous le savez sans doute, l'Union

populaire est un parti exclusivement québécois qui a choisi d'oeuvrer sur la scène fédérale et comme vous le voyez, dans le texte du mémoire que nous vous avons présenté, l'Union populaire a inscrit parmi ses objectifs fondamentaux permanents de promouvoir la souveraineté politique totale du Québec, ainsi qu'une plus grande indépendance économique, dans le cadre d'un marché commun avec les diverses régions du Canada actuel.

L'Union populaire, pour éviter toute ambiguïté à ce sujet, n'est pas une formation ethnique, elle est ouverte aux Québécois de toutes les régions sans égard aux origines ou à la langue maternelle de chacun; elle se définit, par contre, comme un mouvement national voué à la défense et à la promotion des intérêts collectifs de la nation québécoise.

Dans le débat actuel, notre rôle est un peu celui, en tant que mouvement indépendantiste, d'un locataire qui projette de devenir propriétaire de sa maison, mais qui, en attendant, pour le temps qu'il est locataire, se voit imposer, par son propriétaire, des conditions inacceptables. Voilà qu'on s'aperçoit - on est capable de s'en rendre compte avec les autres locataires - que le propriétaire vient se mêler de nous dire où placer nos meubles, comment nous habiller, etc. À ce point de vue là, nous sommes capables de faire alliance avec les autres locataires pour dire que cette ingérence du propriétaire est inacceptable.

Il est bien entendu qu'à partir du moment où le propriétaire renonce à ses ambitions inacceptables de se mêler de ce qui doit nous regarder ça ne nous enlève absolument pas notre objectif de vouloir devenir propriétaires de notre maison. Il est bien entendu que, pour l'Union populaire, l'objectif de l'indépendance nationale demeure un objectif permanent qui va continuer quel que soit le résultat de la ronde actuelle de révision constitutionnelle qui a été inaugurée depuis le lendemain du référendum. Nous croyons que l'indépendance nationale est la solution normale pour un peuple qui se respecte, mais que cette indépendance nationale ne doit se réaliser qu'avec le consentement de la majorité de la population du Québec et que, par conséquent, on doit protéger à la fois le droit du Québec à l'autodétermination - et cela est un objectif que tous les fédéralistes devraient soutenir avec nous - et, en même temps, nous devons essayer de défendre des conditions qui sont acceptables au sein de la fédération pour le temps où nous y restons.

Vous avez sans doute remarqué, Mme la Présidente, que notre mémoire est daté de septembre 1980. Nous l'avons écrit à la fin du mois d'août et nous l'avons remis au premier ministre et aux chefs des partis d'Opposition au début de septembre, avant même la dernière ronde de négociations fédérales-provinciales qui s'est tenue dans la première semaine de septembre. Cela veut dire que notre mémoire ne tient pas compte d'une façon spécifique du projet Trudeau tel qu'il a été déposé par la suite, mais il tient compte de l'objectif général de révision constitutionnelle tel qu'il était envisagé déjà dès septembre et tel qu'il continue d'être, objectif principal du gouvernement fédéral auquel nous nous opposons, quelles que soient les technicités ou les formes dans lesquelles il se présente.

Je ne vais pas insister de la même manière sur chacun des chapitres de notre mémoire, étant donné que certaines parties ont peut-être perdu une partie de leur actualité, mais je pense qu'on ne pourrait retirer absolument rien des objectifs qui sont exprimés ici.

Je vais insister surtout sur le premier chapitre: Éviter le piège des mots, parce que le premier ministre du Canada, en particulier, nous a invités à éviter le piège des mots et nous constatons qu'au contraire c'est lui qui, continuellement, essaie de nous prendre au piège avec l'utilisation de certains mots. Dans notre mémoire nous relevons, en particulier, la définition qu'il propose de certains termes avec lesquels nous devons établir très clairement nos positions pour que tout le monde comprenne bien où nous nous situons dans le présent débat.

Le premier ministre du Canada parle du peuple canadien et il retient comme critère d'appartenance à un peuple le fait d'être soumis à un même gouvernement et aux mêmes lois.

Nous disons que, selon le critère de la soumission aux mêmes lois, il est évident pour tout observateur honnête de dire que le Québec a joui effectivement, depuis 1774, d'un statut particulier au sein de l'empire britannique. L'Acte de Québec est à proprement parler un acte de reconnaissance d'un peuple distinct. Ce statut particulier a été maintenu même sous le régime de l'union des deux Canada. Alors que nous étions soumis à un seul Parlement, nous continuions d'avoir deux systèmes juridiques tout à fait différents dont témoigne, par exemple, le fait que le Code civil du Bas-Canada a été adopté en 1866 sous le régime de l'union.

Selon ce critère de la soumission aux mêmes lois, il y a sans doute, au-delà de la pluralité des législations provinciales distinctes, une dualité fondamentale dont témoignent notamment les articles 94, 98 et 128 du BNA Act qui précisément confirment ce caractère particulier du Québec.

Toutes les provinces du Canada, à l'exception du Québec, ont adopté en bloc la loi d'Angleterre comme base de leur législation particulière. Elles ont choisi d'être britanniques du point de vue juridique. Dès

avant la Confédération, avant l'union de 1840 et même au cours de l'union, les Ontariens et les habitants des autres colonies de l'Amérique du Nord britannique partageaient, du point de vue juridique, une option fondamentale qui en faisait déjà en un certain sens un même peuple et qui les distinguait nettement du peuple québécois.

Cette option fondamentale et la distinction qu'elle implique existent toujours avec la différence qu'elles s'expriment maintenant au sein de la fédération canadienne.

La dualité que nous évoquons ici n'a rien a voir avec une dualité de race ou d'ethnie. Je tiens à bien insister là-dessus, parce que, très souvent, quand on parle de la dualité canadienne, on risque d'aboutir à un dialogue de sourds quand certains parlent d'une dualité ethnique alors que nous parlons d'une dualité de sociétés.

Il y a deux sociétés distinctes et c'est ce dont nous parlons et non pas d'une dualité ethnique.

Quand nous disons du Québec qu'il constitue une société française, en comparaison aux neuf autres provinces, que nous appelons des provinces britanniques, nous ne parlons pas de la composition ethnique des provinces concernées, mais bien des options fondamentales de chacune d'elles quant à leur projet de société, options fondamentales qui remontent historiquement à plusieurs décennies, même deux siècles.

Il y a d'autres termes que le premier ministre du Canada utilise pour essayer de nous confondre. À plusieurs reprises, il a essayé de nous comparer à une tribu et il a parlé du nationalisme québécois comme d'un appel à la solidarité raciale ou une solidarité du sang. Or, M. Trudeau, à ce moment-là, se réfère à un vocabulaire dépassé où, dans les années trente, par exemple, on utilisait parfois le mot race au sens de ethnie et le mot nation au sens de ethnie également. Nous tenons à préciser que nous n'acceptons absolument pas que notre nationalisme soit identifié à une option raciale ou une option ethnique au sens étroit. Premièrement, il n'y a pas de race française, encore moins de race québécoise, et il n'y a pas non plus de race canadienne-française, il n'y a même pas d'ethnie québécoise comme telle. La race et l'ethnie se distinguent par la nature des caractères qui servent à fonder l'appartenance des individus à l'une et à l'autre. Pour la race, ce sont des caractères biologiques et pour l'ethnie des caractères culturels, mais il s'agit, dans un cas comme dans l'autre, de caractères individuels. Il ne faut pas confondre ces caractères avec ceux d'une nation.

Nous ne méprisons pas les valeurs ethniques. Nous prétendons, au contraire, que les valeurs ethniques doivent être respectées et nous pensons que tout projet politique valable doit comporter la volonté arrêtée d'exclure toute discrimination fondée sur l'origine ethnique, la langue maternelle ou les valeurs culturelles qui inspirent ou animent la vie privée de chacun. Aucun individu ne doit être empêché de transmettre à ses enfants, s'il le désire, sa langue maternelle et sa manière de vivre dans la mesure où celle-ci ne compromet pas l'ordre public. L'Etat ethnique, c'est-à-dire celui où la conformité à un modèle ethnique serait une condition à l'exercice des droits politiques, est à rejeter totalement. Si c'est ce genre d'Etat que veut dénoncer M. Trudeau sous le vocable d'État-nation, nous sommes d'accord sur le fond avec lui, mais nous n'oublions pas que le choix du vocable, quand il utilise le mot Etat-nation, n'est pas indifférent à l'effet que veut produire le premier ministre du Canada. Il veut mêler les cartes.

Pour notre part, nous rejetons tout aussi catégoriquement l'État biethnique et pour les mêmes raisons. Nous rejetons tout projet de société qui amènerait les individus à devoir choisir entre deux modèles culturels au niveau de leur vie privé pour être reconnus valablement dans la vie politique. Nous nous opposerons donc à une reconnaissance spéciale des groupes ethniques canadiens-français et canadiens-anglais, comme il en a été question à un certain moment au cours de la discussion constitutionnelle. Nous nous opposons à toute reconnaissance de groupes ethniques en tant que groupes ethniques dans la constitution ou encore à ce que M. Trudeau appelle "les deux principales communautés linguistiques et culturelles du pays dont la française - je le cite - a son premier foyer et son centre de gravité au Québec". Cette dernière formule peut être considérée comme une façon habile de refuser toute reconnaissance du caractère distinctif de la société québécoise en tant que société globale, tout en donnant l'impression de jeter du lest. En fait, elle ne reconnaît que deux groupes ethniques principaux, en y ajoutant une précision quant à la répartition géographique de l'un deux.

La reconnaissance spéciale dans une constitution de deux groupes ethniques principaux est, au mieux, tout à fait inutile. Au pire, elle pourrait servir à justifier une discrimination positive en faveur des membres de ces deux groupes, discrimination qui serait donc négative à l'endroit de tous les autres groupes ethniques. Il faut donc rejeter une telle reconnaissance spéciale, s'y opposer catégoriquement et dénoncer vigoureusement toute tentative de la substituer à la reconnaissance, nécessaire celle-là, de nations distinctes dans l'ensemble canadien.

Et là, nous en arrivons à ce que nous entendons par la nation. Contrairement à la

race et à l'ethnie qui se définissent par les caractéristiques des individus qui en font partie, la nation est une réalité proprement collective. Elle implique l'habitation commune d'un territoire national ou, à tout le moins, l'appartenance à un territoire national.

A la page 15, nous disons que la nation, ce n'est pas un ensemble d'individus possédant, un à un, des caractéristiques physiques ou culturelles communes. Elle comprend tous ceux qui, quelles que soient leurs caractéristiques individuelles, vivent ensemble dans un milieu possédant sa propre cohérence culturelle caractéristique et sur un territoire marqué par cette cohérence. C'est en ce sens que nous parlons de la nation québécoise, société globale nettement caractérisée en tant que telle par rapport au reste du Canada, au reste de l'Amérique du Nord et au reste de la planète.

Il y a un pays socioculturel québécois et nous voulons qu'il soit reconnu comme tel. Nous voulons défendre le droit à l'existence de ce pays socioculturel et nous croyons que c'est précisément contre l'existence de ce pays socioculturel que le projet fédéral d'amendement constitutionnel est particulièrement dirigé.

Le gouvernement fédéral n'a pas d'objection à reconnaître les groupes ethniques. Il ne veut pas reconnaître un espace socioculturel particulier qui est différent de l'ensemble canadien. Le rêve du gouvernement fédéral, c'est d'homogénéiser le plus possible l'ensemble économique canadien afin d'enlever tous les obstacles au fonctionnement de ce marché commun canadien. (20 h 30)

Nous pensons qu'il y a des valeurs culturelles à défendre dans l'espace socioculturel que nous avons créé et c'est à la défense de cet espace socioculturel que nous nous employons. Nous pensons que, justement, la cohérence caractéristique du Québec par rapport au reste du Canada s'exprime en particulier par la langue commune qui est différente du reste du Canada et aussi par un système juridique différent. Il y a une cohérence juridique et une cohérence linguistique qui sont celles d'une société globale sur le territoire qu'elle occupe.

Nous croyons que, dans l'état actuel de l'humanité, on devrait considérer comme un droit fondamental de la personne le droit à un pays socioculturel juridiquement et linguistiquement cohérent; à un pays dont il sera possible pour l'individu de connaître les grandes articulations de la loi et du système juridique de façon simple, de façon accessible et, par conséquent, où l'individu sera à l'abri de l'arbitraire; à un pays où il saura d'avance qu'une seule langue est vraiment indispensable pour participer à la vie économique et politique, les autres langues demeurant facultatives; à un pays où chacun pourra librement conserver et cultiver sa langue maternelle ou tout autre langue de son choix, en sachant que la même faculté accordée aux autres langues ne le privera pas de la possibilité de communiquer avec tous, étant donné l'existence d'une langue commune,

A une société originale historiquement constituée et au pays socioculturel qui lui sert d'assise correspond généralement un pouvoir politique distinct. Ceci est tout à fait normal, puisque les institutions politiques et l'exercice du pouvoir politique constituent des expressions privilégiées de la culture d'un peuple adulte. Même quand il s'agit de peuples conquis, la préexistence de lois et de coutumes distinctes et la volonté des peuples concernés de les conserver distinctes incitent souvent les conquérants à leur octroyer des structures politiques distinctes sur cette base. C'est ce qui est arrivé au Québec où le conquérant britannique n'a pu faire autrement que de reconnaître le caractère distinctif de notre pays socioculturel. Il en a bien modifié l'étendue géographique en 1791 pour permettre la création d'un espace juridique distinct au profit des Loyalistes, mais il reconfirmait, par le fait même, la reconnaissance de notre spécificité et le droit de la vivre dans un pays distinct et sous une autorité politique distincte.

Alors, je pense que toute l'histoire du Québec depuis la conquête de 1760 confirme justement le fait que, même pour un pays conquis, une cohérence linguistique et juridique préalablement établie incite les conquérants à reconnaître cette spécificité en accordant des institutions politiques distinctes.

Évidemment, nous disons que la correspondance entre l'État et la nation, si elle est normale, n'est cependant pas automatique. La nation polonaise a survécu aux nombreuses éclipses de l'État polonais et la nation québécoise a survécu à l'éclipse du pouvoir politique québécois distinct entre 1840 et 1867. Il faut bien voir que la définition que nous adoptons du mot "nation" pourrait bien ne pas être universellement acceptée comme telle. Nous n'avons pas d'objection à ce que certains aient des particularités lexicales et utilisent le mot nation dans un autre sens. Ce qu'il faut bien voir, c'est que, si nous utilisons ce terme en lui appliquant le principe du droit des nations à disposer d'elles-mêmes, ce ne peut être que dans le sens que nous avons défini. Le droit à l'autodétermination incluant le droit à la séparation et le droit de constituer un État souverain ne peut manifestement pas s'appliquer à la race ou à un groupe ethnique ou à une communauté spirituelle extraterritoriale fondée, par exemple, sur une foi commune ou sur une langue commune. Il

suppose, pour s'exercer valablement, une assise territoriale.

D'autre part, s'il ne s'appliquait qu'aux populations des États souverains déjà constitués, il n'aurait pas de signification réelle. Ce serait tout simplement une confirmation d'un statu quo éternel. Enfin, ce serait un non-sens de le faire correspondre à un territoire défini uniquement en fonction de critères relevant de la géographie physique. Le droit à l'autodétermination doit correspondre à un territoire, mais défini en fonction de critères relevant de la géographie humaine, c'est-à-dire à un territoire national, c'est-à-dire enfin à un pays socioculturel.

Parmi les autres termes qui sont faciles à piéger, il y a les mots "Canada" et "Canadiens". Cela tient au fait que le mot "Canada" a autrefois désigné le pays que nous appelons aujourd'hui le Québec et qu'encore aujourd'hui il évoque pour de nombreux Québécois notre passé national, les racines historiques de notre peuple. Bien souvent, encore aujourd'hui, les gens, quand ils veulent parler de notre histoire nationale, vont parler de l'histoire du Canada, mais en fait, quand on regarde le contenu, il s'agit effectivement de l'histoire du Québec.

Notre pays socioculturel, notre patrie, comme disent les libéraux québécois, s'est appelé officiellement Bas-Canada de 1791 à 1840 et on a continué à le désigner ainsi durant la période de l'union. À témoin, le Code civil du Bas-Canada rédigé en 1866. Pendant tout ce temps, les habitants de ce pays se sont appelés eux-mêmes et ont été appelés les Canadiens. Ils avaient conscience de constituer une vraie nation distincte de toutes les autres et qu'ils appelaient volontiers la nation canadienne. Dans la décennie qui a précédé 1837, notamment, ils ont exprimé leur rêve d'une indépendance nationale conquise progressivement et dont ils prévoyaient l'achèvement avant la fin du siècle. Le parti politique qui incarnait et véhiculait cette ambition nationale s'appelait le Parti canadien ou le Parti populaire.

C'est de ce peuple canadien que Lord Durham a dit qu'il était un "peuple sans histoire", empruntant à Hégel une expression qui voulait surtout signifier un peuple sans avenir, un peuple qui ne remplissait pas les conditions pour se prolonger historiquement. Mais la remarque de Durham fut comprise comme une expression de mépris à l'égard de notre passé et a voulu lui répondre. C'est alors que naquit comme discipline organisée l'histoire systématique de notre peuple. François-Xavier Garneau lui donne un nom, Histoire du Canada. À l'époque, c'est le nom qui lui convenait le mieux, mais il ne faut pas s'y tromper, c'est essentiellement l'histoire de la nation que nous appelons aujourd'hui québécoise que relatent François-Xavier Garneau et ses continuateurs.

À ne pas lever certaines ambiguïtés, on peut aboutir à des contresens grossiers. C'est peut-être le cas lorsqu'on adopte, comme hymne national du Canada fédéral, un hymne manifestement composé dans une perspective toute québécoise. "Ton bras sait porter l'épée" ne s'applique-t-il pas d'abord et avant tout au courage et à l'acharnement avec lequel nos ancêtres ont combattu pour la Nouvelle-France contre l'envahisseur britannique?

Depuis la conquête, en effet, nous n'avons pas souvent porté l'épée avec enthousiasme. Qu'on se rappelle la guerre des Boers et les conscriptions de 1917 et 1942. Depuis que le Canada fédéral existe, le port de l'épée a été beaucoup plus une occasion de conflit entre la nation québécoise et la majorité canadienne qu'une occasion de rapprochement. L'intention de l'auteur est encore plus manifeste dans le deuxième couplet, "près du fleuve géant", c'est évidemment le Saint-Laurent, et le troisième où il parle du patron, précurseur du vrai Dieu, couplets qui indiquent de façon incontestable le caractère essentiellement québécois de cet hymne. Évidemment, le premier ministre du Canada a tellement joué sur les mots qu'il a même utilisé un vieux refrain, "on est canadien ou bien on l'est pas" qui justement, encore une fois, a été composé dans une perspective québécoise au sens où je l'ai dit tout à l'heure.

L'histoire du Canada, pour autant que le mot Canada désigne la Fédération canadienne actuelle, ne commence qu'en 1867, alors que l'histoire du Québec, qui s'est appelé Canada à une certaine époque de son histoire, commence 260 ans plus tôt. Ce sont des réalités qu'il ne faut pas oublier dans le débat actuel.

Le deuxième chapitre, je vais simplement faire une remarque rapide, c'est que nous prétendons que, dans l'état actuel des choses, l'autorité fédérale au Canada et les provinces n'ont aucunement besoin de se rendre à Londres pour avoir le droit de faire des modifications à la constitution, soit du Canada, soit du Québec.

Le Statut de Westminster dont nous allons célébrer en décembre le 50e anniversaire règle définitivement, en 1931, cette question. Le Parlement britannique déclare à ce moment-là que les Parlements des dominions - et par l'article 7 on attribue les mêmes pouvoirs aux Législatures des provinces canadiennes - peuvent légiférer de façon non compatible avec les lois britanniques adoptées précédemment et le Parlement britannique s'engage, par l'article 4, à n'adopter aucune nouvelle loi s'appliquant aux dominions, à moins que ce ne soit à la demande expresse des dominions.

Or, si le Canada et les provinces peuvent légiférer de façon incompatible, ils n'ont besoin d'aller chercher aucun document

à Londres, ils n'ont qu'à adopter des constitutions qui les concernent. Mais le hic, c'est que justement il y a une procédure qui est établie par la coutume, c'est celle de l'unanimité entre les provinces et le fédéral et c'est cette unanimité que le gouvernement fédéral ne veut plus respecter. C'est pourquoi il s'adresse au Parlement impérial de Londres pour lui demander de faire, à sa place quelque chose qu'il n'a pas le droit de faire lui-même au Canada.

Or, quand il dit que le gouvernement impérial, le Parlement de Londres a le devoir de lui accorder ce qu'il demande, je pense qu'il faudrait relire l'article 4 du Statut de Westminster qui dit que le Parlement de Londres ne votera plus de lois s'appliquant aux dominions, à moins qu'elles n'aient été demandées par les dominions, mais il n'est dit nulle part que le Parlement de Londres doit voter les lois qui lui sont demandées par les dominions. D'autant plus qu'aucune de ces lois n'est vraiment nécessaire; si, entre les provinces et le fédéral, il y a une entente pour modifier la constitution, nous n'avons absolument pas besoin d'aller rapatrier quelque vieux document que ce soit.

Dans le chapitre suivant, nous recommandons l'adoption d'une constitution québécoise. Nous prétendons que ce qui est surtout important dans le débat actuel, c'est d'abord d'établir notre approche constitutionnelle sur nos propres bases.

La Présidente (Mme Cuerrier): M.

Laberge, je regrette, votre temps est déjà écoulé. Est-ce que vous pourriez conclure rapidement, s'il vous plaît?

M. Laberge (Henri): Oui.

La Présidente (Mme Cuerrier): Quitte à peut-être faire valoir ce que vous alliez...

M. Laberge (Henri): Dans les réponses aux questions, oui.

La Présidente (Mme Cuerrier):

D'accord.

M. Laberge (Henri): Comme ce mémoire a été déposé depuis un certain temps, j'imagine que les gens ont eu le temps de le lire, mais je veux simplement, pendant quelques minutes, rappeler les grandes lignes de notre intervention.

Nous prétendons qu'une inclusion de droits fondamentaux dans une constitution fédérale qui lie les deux niveaux de gouvernement en même temps, c'est une erreur. Que cette inclusion soit imposée par un Parlement étranger ou qu'elle soit agréée, c'est également une erreur. Nous nous opposerions à ce que, dans une négociation ultérieure, le gouvernement du Québec inscrive dans une constitution fédérale des droits fondamentaux qui lieraient les deux niveaux de gouvernement, pour la raison très simple que ça lie la forme dans laquelle les droits sont définis d'une façon quasiment irréversible.

Or, les droits fondamentaux sont en évolution constante et on le voit, par exemple, dans toutes les législations qui ont été amenées par l'Assemblée nationale du Québec, dans les dernières années, pour essayer de mieux préciser les droits fondamentaux de la personne, les droits des consommateurs, les droits des travailleurs, etc. Il faut qu'il y ait une révision qui puisse se faire; autrement, on se met à la merci du pouvoir judiciaire.

Nous demandons qu'on inscrive dans la constitution du Québec la charte québécoise des droits fondamentaux et qu'on inscrive également dans la constitution du Québec une déclaration du droit du Québec à l'autodétermination, et toutes les lois que le gouvernement du Québec déclarerait être des lois constitutionnelles deviendraient des lois constitutionnelles faisant partie de sa constitution, puisque l'Assemblée nationale a actuellement le pouvoir d'amender la constitution du Québec.

Je pense que c'est l'essentiel de ce que j'avais à dire. J'aurais bien aimé aussi rappeler les grandes lignes de notre conclusion. Je vous invite à lire en particulier les pages 69 à 73 où je cite un communiqué que nous avions publié cinq jours avant le référendum et où nous avons raconté ce qui s'est produit depuis ce temps-là.

La Présidente (Mme Cuerrier): M.

Laberge, vous qui êtes le porte-parole de l'Union populaire, j'aimerais vous rassurer quant au mémoire que vous avez présenté et même quant à l'annexe ou complément. Chaque fois que des mémoires sont présentés en commission parlementaire, ils sont toujours disponibles pour ceux qui relisent les débats. On peut en faire la demande à la bibliothèque n'importe quand.

L'autre chose que je voudrais préciser, c'est en ce qui regarde la procédure même de la commission maintenant. On me dit que M. Forget (Saint-Laurent) remplacerait ce soir M. Ryan (Argenteuil), s'il y avait consentement de la commission.

M. Morin (Louis-Hébert): Oui, c'est une amélioration.

La Présidente (Mme Cuerrier): J'ai le consentement. M. Forget sera considéré comme un membre de la commission pour cette soirée, en remplacement de M. Ryan (Argenteuil) et, comme nous l'avions dit précédemment, M. Marx, député de d'Arcy McGee, remplacerait M. Scowen (Notre-

Dame-de-Grâce) comme intervenant.

M. le ministre des Affaires intergouvernementales, vous avez la parole. (20 h 45)

M. Morin (Louis-Hébert): Merci, Mme la Présidente. Ce n'est pas une question que je vais poser à partir de ce que M. Laberge a dit; c'est une remarque que je vais faire en lisant, à la page 64 de son texte, deux très courts paragraphes. M. Laberge ou l'Union populaire dit ceci: "À notre avis, la révision constitutionnelle est d'abord et avant tout une affaire relevant d'un accord entre les provinces. Celles-ci devraient refuser de se laisser bousculer par le fédéral dans la présente ronde et reprendre tout le processus sur leur propre base."

Le commentaire que j'ai à faire, c'est le suivant. Au moment où on parle, il y a six provinces qui sont activement impliquées dans la contestation à tous égards du geste fédéral et peut-être une ou deux autres qui vont s'y joindre plus tard. Mais la remarque qui est là est une remarque que je considère un peu idéaliste et théorique, parce que, dans la présente ronde de discussion, il y a justement une province, entre autres, qui est l'Ontario, qui est l'alliée la plus fidèle du gouvernement fédéral dans son coup de force contre les autres provinces. Pourquoi? Parce que ce coup de force vise, à toutes fins utiles, à centraliser davantage le régime fédéral dans lequel on se trouve présentement et tout cela serait à l'avantage de l'Ontario.

Je mentionne cela parce que ce qui a pu découler de mon expérience dans le domaine des affaires intergouvernementales, c'est qu'il est très rare de réussir un consensus de provinces et qu'on ne peut pas compter a priori là-dessus pour résoudre les difficultés constitutionnelles, encore que l'été dernier - j'ai parlé de cela ce matin - sur huit ou neuf des douze points à l'ordre du jour de la conférence constitutionnelle, les provinces étaient d'accord et c'est Ottawa qui s'y est refusé. Tout cela pour dire que je ne vois pas comment actuellement on pourrait compter - je le dis carrément - sur l'Ontario, par exemple, pour faire front commun avec nous contre le coup de force fédéral d'abord et, deuxièmement, pour faire front commun avec nous et les autres provinces pour réorganiser le système sur une meilleure base. Ce n'est pas une question que je vous posais, c'est un commentaire. Je trouve que la remarque est beaucoup plus théorique que pratique dans ce contexte-là.

M. Laberge (Henri): Elle n'est pas complètement théorique, M. le ministre. J'admets que, sur certains points, il y a des difficultés à faire des consensus. Par exemple, si l'objectif est de faire un consensus sur une façon commune d'administrer certaines législations qui relèvent des provinces, je suis d'accord que le consensus est difficile, mais la divergence des points de vue entre les provinces prouve justement qu'elles ont à légiférer sur des choses différentes, qu'elles ont des intérêts différents à défendre, qu'elles ont des points de vue différents et que, par conséquent, ce qui est important, c'est de les laisser légiférer chacune comme elles l'entendent dans les domaines qui les concernent.

Par exemple, si on voulait négocier une charte des droits ayant autorité sur toutes les législations provinciales au lieu de se la laisser imposer par législation de Londres, je suis d'accord qu'on n'y arriverait probablement pas, mais je dis: Que chaque province établisse dans sa propre constitution la charte des droits en fonction de son régime juridique particulier, en tenant compte des problèmes particuliers qui se posent dans chacune des sociétés et, à ce moment-là, qu'on ne se donne pas comme objectif impossible de définir de la même façon tous les droits qui vont s'appliquer d'une façon impérative aux législations qui vont venir. Je pense que c'est important de distinguer les constitutions des provinces de la constitution de l'instance fédérale. Si on faisait cette distinction-là, déjà, ce serait beaucoup plus simple dans le paysage.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Jean-Talon.

M. Rivest: M. Laberge, vous avez établi, au début de vos remarques, que l'Union populaire, comme les gens le savent, poursuit comme objectif premier et non remis en cause, en tout cas pour ce qui concerne l'Union populaire, la souveraineté politique du Québec. Remarquez que, dans cette Assemblée nationale, depuis le référendum, il est rare d'entendre un souverainiste s'exprimer aussi clairement. Du côté du Parti québécois, on n'entend à peu près jamais ces gens-là dire qu'ils maintiennent leur objectif de la souveraineté et de l'indépendance politique du Québec. Vous l'avez établi.

Cependant, je voudrais vous demander quelle est votre démarche. Vous parlez dans votre mémoire d'une constitution fédérale et fédérative et vous avez donné l'exemple du propriétaire et du locataire au début de vos remarques. Vous tenez vraiment, vous croyez essentiel, dans l'état actuel du dossier, pour votre formation politique, de participer, d'apporter une contribution au renouvellement du fédéralisme pour un certain temps, n'est-ce pas? Dans votre mémoire, ce qui est intéressant aussi, vous y allez quand même d'une façon extrêmement large, vous avez un projet relativement concret de renouvellement du fédéralisme. Je voudrais vous demander, dans cette optique, quels sont les pouvoirs... Parce que renouveler le

fédéralisme ce n'est pas un exercice purement théorique, c'est pour qu'il existe un pays qui continue d'exister et qui s'appelle, en l'occurrence, le Canada. Vous avez parlé - malheureusement vous avez été coupé -des pouvoirs que le Québec devait avoir, ou, enfin, que les provinces devaient avoir, et parlons spécifiquement du Québec. Dans votre optique, à l'intérieur d'un régime fédéral, quels sont les pouvoirs qui vous paraissent essentiels, les pouvoirs que le gouvernement fédéral ou que le gouvernement canadien, en tant que tel, puisse avoir parce qu'il va y avoir des responsabilités générales qui vont s'appliquer à tout le pays? Et, là-dessus, dans la dernière partie de votre mémoire dont vous n'avez pas eu le temps de faire état, vous n'êtes pas très spécifique sur les compétences particulières que vous attribueriez au gouvernement fédéral dans un renouvellement du fédéralisme.

M. Laberge (Henri): Pour une raison très simple. Nous, nous sommes prêts à travailler solidairement avec des groupes fédéralistes pour défendre des compétences que, d'un commun accord, nous considérons comme fondamentales pour le Québec. Mais, si vous me demandez, à moi, quelles compétences je veux attribuer au fédéral, moi, personnellement, je n'en veux aucune. Mais cela ne m'empêche pas, à partir de cette position de principe qui est la mienne, de travailler solidairement avec ceux qui disent: II y a un certain nombre de compétences que nous considérons comme fondamentales tout de suite pour le Québec et c'est celles-là que nous avons mentionnées. Ce n'est pas à nous de mentionner des compétences que...

M. Rivest: Et c'est ce point que j'arrive difficilement à comprendre, pour ma part, et je pense bien que c'est la même chose pour d'autres gens, mais puisque vous êtes là et que votre parti existe et que les gens connaissent son orientation, quelle est, finalement, l'utilité, ou quelle est la motivation profonde de votre démarche de continuer d'essayer de vous inscrire pour un certain temps dans l'optique fédérale alors que vous la contestez globalement et que votre combat et votre engagement politiques se situent plutôt au niveau de l'objectif de la souveraineté politique du Québec? Dans quelle optique, dans quelle perspective croyez-vous que votre contribution peut être utile au renouvellement éventuel du fédéralisme puisque votre démarche est la négation du fédéralisme en lui-même?

M. Laberge (Henri): Justement, je pense qu'à l'intérieur du peuple Québécois il doit y avoir des solidarités qui s'expriment au-delà des options radicales qu'on peut exprimer de part et d'autre. C'est à ce niveau que nous offrons notre collaboration à ceux qui veulent faire le bout de chemin avec nous. Nous ne demandons pas à ceux qui pourraient partager une partie de nos objectifs de devoir obligatoirement partager le reste. Mais il ne faudrait pas qu'à l'inverse on nous demande de renoncer à notre objectif ultime pour pouvoir travailler aussi à la défense de l'autonomie du Québec. Je pense que j'ai très bien expliqué, au début, que le fait que nous songions à devenir propriétaire de notre maison, cela ne peut pas nous disqualifier de vouloir améliorer nos conditions de locataire pour le temps où nous sommes encore locataire.

M. Rivest: Pour reprendre votre analogie, je reviens à mon premier élément de question. Dans ce contexte-là, et compte tenu des réserves assez globales que vous avez, pour que le pays qui existe qui est actuellement un pays de type fédéral... Je comprends que vous voulez avoir le plus de pouvoirs pour le Québec parce que cela fait avancer la cause que vous défendez. Mais, néanmoins, quels sont les pouvoirs ou les responsabilités que vous consentiriez à abandonner - même si dans votre optique c'est pour simplement un temps - au pays fédérai, si vous voulez?

La Présidente (Mme Cuerrier): M.

Laberge.

M. Laberge (Henri): Je résumerai cela en disant: Les compétences que les provinces ne voudront pas retenir comme étant des compétences dont elles ont besoin. Je pense que c'est par la négative qu'il faut répondre parce que les provinces se sont unies pour former une fédération et ce n'est pas la fédération qui est préalable à l'existence des provinces. Les provinces, à un moment donné, se sont unies parce qu'elles ont cru -théoriquement, en tout cas, on peut penser que ce serait cela, ce n'est pas tout à fait comme cela que cela s'est passé historiquement - selon la théorie d'une adhésion démocratique des provinces au fédéralisme, que certains domaines pouvaient être mieux gérés d'une façon commune. À partir du moment où les provinces ne croient plus que certains domaines sont mieux gérés par l'instance fédérale, nous pensons qu'elles doivent avoir le droit de les reprendre.

M. Rivest: Je conclus là-dessus, car je ne veux pas prendre tout le temps de mes collègues. Vous avez fait au début des précisions au niveau du langage et des notions très précises. Est-ce que ce que vous proposez finalement, enfin, ce que vous acceptez pour un certain temps, jusqu'au moment où l'objectif de la souveraineté que

vous poursuivez pourrait être atteint... Je trouve que, de la façon dont vous répondez, ce ne serait pas du fédéralisme, ce serait plutôt du confédéralisme, si vous voulez. Ce que les provinces ou ce que les États membres consentiraient à mettre en commun, ce n'est pas du fédéralisme. Dans ce sens-là, je me demande en quoi votre démarche est une démarche, comme vous l'avez exprimé, de bonne foi, de renouveler le fédéralisme canadien.

M. Laberge (Henri): Quelle que soit la définition qu'on donne au mot fédération ou confédération, il y a une réalité historique qui est la suivante: le Québec existe en tant que nation depuis très longtemps. À un moment donné, ce peuple a été conquis, ensuite, on l'a ballotté d'un régime à l'autre et, finalement, on l'a inclus dans une fédération.

Aujourd'hui, si on nous dit que le lien colonial n'existe plus de la part de la Grande-Bretagne, je pense que cela veut dire que le Québec doit avoir la possibilité de renégocier la place qu'il occupe au sein de la fédération et, si ce n'est pas acceptable pour lui, il doit avoir la possibilité d'en sortir. Qu'on appelle cela fédération ou confédération, cela m'importe assez peu.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef parlementaire de l'Union Nationale.

M. Le Moignan: Je voudrais aborder seulement un point, Mme la Présidente. Si je comprends bien votre mouvement, M. Laberge, c'est un parti politique qui est exclusivement québécois et vous désirez oeuvrer sur la scène fédérale. Je n'ai aucune objection à cela. J'espère que vous atteindrez votre but un jour. Mais du fait que vous allez oeuvrer là-bas, si jamais vous avez une formation politique et des députés, dans le concret, tout en ayant un certain respect, pour le moment, pour les valeurs fédéralistes, parce qu'on vit dans un système fédéral, vous évoquez la possibilité, le droit du Québec à son autodétermination. Je crois bien que toutes les formations politiques ici seraient d'accord avec vous, peut-être pas sur les moyens à prendre.

Comment, dans le concret, allez-vous être capables de poursuivre vos objectifs, alors que nous avons déjà ici, sur la scène politique québécoise, un parti souverainiste? Vous poursuivez un peu les mêmes buts, et même vous vous opposez, vous parlez de souveraineté politique, vous ne parlez pas, par exemple, d'association, mais tout de même vous avez vos distances, vous avez cette entente ou ce rôle économique que vous définirez en temps et lieu, si ce n'est pas déjà fait. Mais comment vous situez-vous? Vous allez poursuivre votre bataille sur la scène fédérale, il y a déjà un Parti québécois ici. Il y aura peut-être d'autres partis québécois qui porteront d'autres noms et qui poursuivront également des buts d'indépendance totale, de souveraineté ou d'autres modalités.

J'aimerais que vous nous expliquiez un peu comment vous allez vous situer - ce n'est pas une question hypothétique - dans le concret, pour les moments, les semaines, les mois et les années à venir?

La Présidente (Mme Cuerrier): M. Henri Laberge.

M. Laberge (Henri): Je pense que les événements des derniers mois illustrent très bien le genre de travail que nous pourrions faire en opposition aux visées du gouvernement fédéral.

Nous vivons, depuis 1867, dans une situation un peu paradoxale. Nous avons des politiciens au niveau provincial qui revendiquent une certaine vision du fédéralisme, une certaine place pour le Québec au sein de la fédération canadienne, et nous avons de nos politiciens québécois au Parlement fédéral qui ne représentent absolument aucune des thèses défendues par les partis provinciaux. On considère cela comme tout à fait normal de voter à une élection fédérale pour une option et à une élection provinciale pour une autre option et cela, indépendamment de l'existence d'un parti souverainiste à Québec ou à Ottawa. Je parle uniquement à partir des thèses défendues par les partis québécois depuis Lomer Gouin, Alexandre Taschereau, Maurice Duplessis, Daniel Johnson et tout cela, et des thèses défendues par les partis politiques correspondants sur la scène fédérale. (21 heures)

Cela n'a jamais correspondu quand il s'est agi de définir la place du Québec dans la Confédération canadienne. C'est une situation anormale et nous, notre rôle, ce n'est pas un rôle de parti de gouvernement. Nous ne voulons pas former un gouvernement; nous voulons exprimer le point de vue des Québécois vis-à-vis du régime fédéral et nous pensons qu'actuellement, il y a place pour un parti indépendantiste, parce que, précisément, ce serait anormal que, dans l'opposition qui s'exprime au gouvernement fédéral, il n'y ait que le point de vue fédéraliste qui soit représenté, puisque tout près de la moitié de la population du Québec est maintenant acquise ou près d'être acquise à l'option de la souveraineté-association.

M. Le Moignan: Est-ce que vous renoncez encore à cette idée quand on parle d'autonomie provinciale? Les batailles du Québec... Vous avez évoqué certains noms d'anciens premiers ministres, qu'ils soient de l'Union Nationale, libéraux ou autres. Dans le

cadre actuel de la fédération, si on se revenait à l'esprit de 1867 et si le Québec obtenait son entière autonomie dans tous les domaines de sa compétence et le reste, pensez-vous que c'est encore possible de s'épanouir à l'intérieur du cadre actuel ou bien est-ce qu'il faut rompre, est-ce qu'il faut briser, est-ce qu'il faut sortir de ce cadre-là?

M. Laberge (Henri): Nous pensons qu'on peut être plus ou moins bien traité comme locataire, mais nous pensons que, pour un peuple normal, il est préférable d'être propriétaire dans sa maison. Maintenant, qui veut le plus veut le moins. Alors, c'est évident qu'un parti souverainiste va défendre toutes les positions autonomistes, mais il ne se contente pas des positions autonomistes, il va plus loin.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Châteauguay.

M. Dussault: Merci, Mme la Présidente. Bonsoir, M. le président de l'Union populaire. J'ai lu avec intérêt votre mémoire. J'ai trouvé particulièrement intéressante la partie que vous avez vous-même développée tout à l'heure relativement aux définitions et à la confusion de vocabulaire que l'on a connue et que sans doute on connaîtra encore, parce qu'il est exact que, du côté des libéraux fédéraux, il y a un effort, particulièrement du côté de M. Trudeau, pour utiliser les mots à des fins bien spécifiques. Je pense que votre apport est original et sera utile pour la poursuite des travaux constitutionnels.

J'aurais deux questions à vous poser. La première: En lisant votre mémoire d'un bout a l'autre, je n'ai pu m'empêcher de le regarder en fonction du décor, celui du coup de force fédéral actuel, et je n'ai pas trouvé, dans votre mémoire comme tel, de position sur la démarche unilatérale, des libéraux fédéraux. J'aimerais que vous me disiez ce que vous pensez du caractère unilatéral, particulièrement, de la démarche constitutionnelle d'Ottawa.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. Henri Laberge.

M. Laberge (Henri): L'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 a réparti un certain nombre de pouvoirs. C'est une loi constitutionnelle, ce n'est pas une constitution, c'est-à-dire que c'est une loi qui a des incidences constitutionnelles se rapportant au Canada et aux provinces.

Mais, au moment où le Parlement de Londres a adopté le BNA Act de 1867, il est clair qu'il avait encore le pouvoir d'abolir le BNA Act, de l'amender, de modifier le partage des compétences, de créer un État unitaire ou de redonner aux provinces leur pleine autonomie. Le Parlement de Londres avait plein pouvoir. Cela, jusqu'en 1931. En 1931 arrive le Statut de Westminster qui détermine, dans son article 2, d'abord, trois choses: qu'aucune loi postérieure à 1931 va s'appliquer au dominion, sauf à la demande, évidemment, des dominions, ensuite que les Parlements des dominions peuvent déroger aux lois britanniques - donc, théoriquement, cela aurait pu comprendre également le BNA Act; le Parlement des dominions peut déroger aux lois britanniques - et, troisièmement, qu'il peut même modifier les lois britanniques si elles font partie de sa propre législation.

À l'article 7, on dit que les pouvoirs accordés au Parlement fédéral s'appliquent également aux provinces. Donc, on peut déroger à toutes les lois britanniques. On dit quand même, dans un paragraphe de l'article 7, que rien, dans la présente loi, ne doit s'appliquer à la modification de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, mais on dit bien la modification; on ne dit pas qu'il n'est pas possible d'y déroger. Il est possible d'y déroger sous la seule réserve que chacun des deux ordres de gouvernement agisse dans un domaine qui lui est propre ou bien, si c'est dans le domaine du partage des compétences, en respectant le partage des compétences. Cela implique donc à ce moment, s'il doit y avoir une modification du partage des compétences, que cela se fasse avec l'accord de toutes les parties intéressées. Alors, à ce moment, il n'y a absolument aucune nécessité pour le Parlement de Londres de venir dénouer un problème qui ne peut pas être dénoué chez nous, puisque le Statut de Westminster a donné tous les pouvoirs qu'on peut utiliser pour dénouer le problème constitutionnel, sauf qu'il y a des modifications qui peuvent être apportées par le Parlement fédéral, si cela concerne la constitution de l'instance fédérale, il y a des modifications qui peuvent être apportées par les provinces, si cela concerne la constitution des provinces, et le partage des compétences doit être respecté jusqu'à ce que les parties décident de le modifier.

C'est cette partie que le gouvernement fédéral ne peut pas toucher. Il ne peut pas imposer aux provinces une modification du partage des compétences. C'est là qu'il s'adresse au Parlement de Londres pour lui demander de venir faire à sa place ce qu'il n'a pas le droit de faire chez nous. Le Parlement de Londres, qui ne peut pas, depuis 1931, modifier nos lois sans notre demande, n'est quand même pas obligé de modifier nos lois, surtout quand il juge que cette démarche est tout à fait unilatérale. Le point de vue de M. Trudeau est tout à fait curieux dans l'affaire, puisqu'il dit: Le Parlement de Londres se mêle de nos affaires en refusant de s'en mêler.

La Présidente (Mme Cuerrier): Mme la députée... M. le député de Châteauguay.

M. Dussault: Je conclus donc, M. le président de l'Union populaire, que vous vous situez dans la lignée de tous ceux au Québec qui actuellement refusent le coup de force d'Ottawa de par le principe de l'unilatéralité.

M. Laberge (Henri): Vous permettez une petite remarque à ce sujet. C'est que, même si ce n'était pas unilatéral, si cela avait été obtenu par négociation, la plus grande partie de la loi présentée par M. Trudeau serait inacceptable. Je pense que nous demanderions au gouvernement du Québec de s'opposer à un tel aménagement constitutionnel canadien même négocié.

M. Dussault: Je vois. Ma deuxième question, c'est relatif à votre conclusion. À la page 67, vous dites que "tous les Québécois dignes de ce nom - et vous les nommez, ils sont soit fédéralistes, soit pour le statut particulier ou pour la souveraineté-association ou l'indépendance totale - doivent aujourd'hui faire front commun sur cette question fondamentale du droit à l'autodétermination du peuple québécois." Vous savez, M. le président de l'Union populaire, qu'il y a de ça quelques mois le gouvernement actuel a tenté d'obtenir à l'Assemblée nationale l'unanimité des partis politiques sur une motion qui visait fondamentalement à parler assez fort collectivement pour que nous soyons entendus particulièrement à Londres puisqu'on sait que c'est là fondamentalement que la question va se poser. Vous savez aussi que, quelques semaines après, face au coup de force des libéraux fédéraux, il y a eu une concertation de différents mouvements et de différents partis politiques au Québec pour faire en sorte, puisqu'on n'avait pas réussi à faire l'unanimité sur la motion du gouvernement, ce qui était quand même énormément souhaitable, qu'on puisse peut-être y pallier par une pétition qui a été signée déjà par énormément de Québécois, par plusieurs milliers de Québécois, et qui continue encore. Nous voyons encore l'Opposition officielle, les libéraux de Québec, refuser de se mouiller officiellement à ce mouvement des Québécois pour protéger leur avenir.

Devant une telle réalité, est-ce que vous croyez encore qu'il est possible - est-ce que vous ne pensez pas plutôt que c'est illusoire et irréaliste - compte tenu de l'attitude de nos amis d'en face, du PLQ, d'en arriver effectivement, même sur la question de l'autodétermination du peuple québécois, à un front commun qui soit des plus profitables pour les Québécois? C'est ma question.

La Présidente (Mme Cuerrier): M.

Laberge.

M. Laberge (Henri): J'ai deux réponses à ça. Premièrement, le mémoire a été écrit et daté en septembre 1980; alors, nous ne pouvions pas prévoir ces événements. Vous allez me dire que c'était peut-être naïf de ne pas les prévoir; nous préférons, quant à nous, être naïfs plutôt que cyniques et nous continuons à penser qu'il y a des conversions possibles.

Quand on parle de la reconnaissance du droit à l'autodétermination, je voudrais bien ajouter une remarque à ce sujet. On a parlé, à diverses reprises au cours du débat constitutionnel depuis l'été, de l'inscription possible du droit du Québec à l'autodétermination dans la constitution fédérale, ce contre quoi je n'ai personnellement rien, mais nous pensons que ce serait sûrement bien indiqué pour le Québec de commencer par inscrire dans sa propre constitution le droit du peuple québécois à l'autodétermination et, ensuite, revendiquer son inscription dans une constitution fédérale, s'il y a lieu.

De toute façon, ce n'est pas l'inscription dans la constitution fédérale sous forme d'un voeu ou sous forme d'une déclaration dans un préambule ou autrement qui est importante, ce sont des mécanismes qui assurent que le droit à l'autodétermination va pouvoir être effectivement respecté. Je pense que le mécanisme que nous suggérons, sans en faire une proposition ferme, dans le document que nous avons remis, est un mécanisme qui permet justement l'exercice de ce droit à l'autodétermination, sans qu'on ait besoin de l'inscrire dans quelque préambule que ce soit.

La Présidente (Mme Cuerrier): La personne qui m'a demandé la parole est Mme la députée des Îles-de-la-Madeleine.

Mme LeBlanc-Bantey: Merci, Mme la Présidente. Bonjour, M. Laberge.

M. Laberge (Henri): Bonjour.

Mme LeBlanc-Bantey: Tout au cours de la journée, autant lors du témoignage de M. Dion que lors du témoignage de l'association des Franco-Ontariens, on a eu l'impression que ce qui rendait encore plus dramatique le geste du gouvernement fédéral, c'est la question linguistique, bien sûr, c'est-à-dire la survie des Franco-Ontariens, entre autres, et des francophones hors Québec, tout comme le plein épanouissement économique, social et culturel des francophones du Québec.

On a entendu, avec les Franco-Ontariens, un son de cloche contraire à ce que certains leaders du non avaient laissé entendre lors de la campagne référendaire, c'est-à-dire: II faut voter non, parce

qu'autrement nous abandonnons les francophones hors Québec à leur sort. C'est pour ça que c'est important de rester à l'intérieur du système pancanadien. On a vu que, depuis le 20 mai, il n'y a certainement pas eu de miracle en Ontario, entre autres, et qu'au contraire tout semble se détériorer à une vitesse vertigineuse. Il nous est même permis de penser que, si M. Davis a pris tant de plaisir à s'impliquer dans la campagne référendaire au Québec, c'est qu'il savait fort bien que, plus il affaiblirait les droits du Québec sur le plan canadien, plus il affaiblirait aussi la position de ces francophones en Ontario.

Je vous dis ça, parce que ma question est la suivante, elle a trait à l'article 133 de la constitution. M. Dion nous a dit cet après-midi que l'article 133 avait été néfaste pour le Québec, qu'il avait été finalement une entrave au plein épanouissement des francophones du Québec, mais il considérait qu'il serait extrêmement sain pour la survie des francophones hors Québec que cet article soit appliqué, entre autres - pour ne pas mentionner le cas du Manitoba qui est spécial, tout le monde le reconnaît - en Ontario et au Nouveau-Brunswick.

Vous dites, à la page 46, dans les recommandations que vous faites au gouvernement comme prioritaires, que le gouvernement du Québec devrait avoir le pouvoir de définir le statut de sa langue nationale sans l'entrave de l'article 133 du BNA Act. J'aimerais vous entendre parler plus longuement là-dessus.

M. Laberge (Henri): Sur ce point de l'article 133, je serai en désaccord avec le professeur Dion. Je pense que l'application de l'article 133 à l'Ontario ne garantirait pas nécessairement les droits des individus francophones. Je pense qu'on risquerait d'être passablement déçu de l'application de cet article. Je vais m'expliquer là-dessus. Je pense que ce qui serait beaucoup plus adéquat serait l'application de l'équivalent de ce qu'accordait la loi 101 et qui a été déclaré inconstitutionnel en vertu de l'article 133 précisément. (21 h 15)

Par exemple, dans l'article 133, on peut distinguer un certain nombre de dispositions dont certaines étaient retenues par la loi 101, par exemple la faculté de parler français ou anglais à l'Assemblée nationale, la loi 101 maintenait ça. On n'a pas d'objection à ça; pourvu qu'il y ait un journal des Débats qui puisse donner des traductions et que tous les citoyens puissent avoir connaissance de l'ensemble des débats, on n'a pas d'objection à ce que les députés puissent parler l'une ou l'autre langue.

Il y a aussi la possibilité pour tout individu de s'adresser aux tribunaux en français ou en anglais, à son choix. La loi 101 le maintenait également. Il y avait aussi la traduction des textes législatifs en anglais, la loi 101 le maintenait. Cela est garanti par l'article 133 et la loi 101 le maintenait.

Qu'est-ce qui est différent? Qu'est-ce que l'article 133 impose que la loi 101 n'imposait pas? C'est, par exemple, la possibilité pour ceux qui intentent des procédures de le faire dans la langue de leur choix. Je fais remarquer tout de suite que ça ne donne aucune garantie au justiciable qu'il va recevoir les procédures dans sa langue. Ça ne donne même pas de garantie à l'Anglo-Québécois qu'il va recevoir ses procédures judiciaires en anglais. Ça donne uniquement la garantie à celui qui intente la procédure de pouvoir le faire dans la langue de son choix. Ce n'est un droit individuel ni pour les francophones ni pour les anglophones.

Je pense que l'article 133 s'oppose même à ce qu'une législation provinciale qui dirait à un moment donné... Si, dans une province donnée, on décidait que le justiciable a le droit de recevoir les procédures qui le concernent dans la langue de son choix, je pense que cette loi-là serait déclarée ultra vires si l'article 133 s'appliquait à ladite province.

L'article 133 non seulement n'est pas une garantie pour les droits individuels, il est même un obstacle à ce qu'une Législature provinciale, en l'occurrence, le Québec, le Manitoba et le Nouveau-Brunswick, puisse garantir certains droits individuels qui, actuellement, ne sont pas garantis. D'ailleurs, la loi 101 accordait le droit à tout individu d'exiger que les procédures qui lui sont adressées lui soient adressées en français. Actuellement, par l'article 133, cette garantie qui est un droit individuel pour tous les Québécois de pouvoir exiger des procédures en français s'ils le désirent, l'article 133 empêche l'application d'un tel article, c'est déclaré ultra vires.

Prenons le cas de l'Ontario maintenant. Si un Franco-Ontarien... On applique l'article 133 à l'Ontario. On peut présumer que la majorité des justiciables franco-ontariens vont continuer à recevoir leur procédure en anglais. Qu'est-ce qu'il y a de changé? Il n'y a rien de changé.

Un autre élément dont il faut tenir compte dans ça, c'est quand on dit que les deux textes de loi sont équivalents. Cela veut dire que si on veut connaître toute la portée d'une loi, tous les individus, dans chaque province qui est soumise à l'article 133, doivent connaître les deux langues pour être capables de comparer les deux textes législatifs, puisque les deux s'interprètent l'un par l'autre. Quel avantage cela donne-t-il à un Franco-Manitobain qu'il y ait une colonne en français si, de toute façon, il veut connaître toutes les subtilités de la loi qui s'applique à lui, il faut qu'il puisse lire

aussi la colonne anglaise, puisque les deux textes s'interprètent l'un par l'autre.

Cela est d'autant plus grave que c'est la jurisprudence qui, en vertu de l'article 133, se fait parfois en français, parfois en anglais. Au Québec, vous avez des jugements qui sont rendus en français, d'autres en anglais.

M. Ryan disait ce matin: "Les juges ne se sont jamais plaints de ça et les avocats non plus." Je comprends, mais la loi n'est pas faite seulement pour les juges et les avocats, elle est faite pour le monde. La loi comprend aussi, dans notre système, si on veut être capable de l'interpréter, la jurisprudence. Or, un syndiqué, par exemple, qui veut comprendre les divers jugements qui ont été rendus concernant le droit du travail, est obligé de recourir parfois à des textes anglais, parfois à des textes français et je pense que c'est une injustice. Et donner aux Franco-Manitobains le privilège que certains juges puissent rédiger leurs jugements en français, ça ne leur donne pas la garantie qu'il y en aura un très grand nombre. Je serais très surpris qu'au Manitoba, même s'il est permis à un juge de rédiger ses jugements en français, il y en ait plus qu'un ou deux par année et même là, ça m'étonnerait qu'il y en ait même.

À ce moment-là, même si la moitié des jugements étaient écrits en français, ça ne dispenserait pas les Franco-Ontariens d'être obligés de savoir l'anglais pour pouvoir lire le reste de la jurisprudence.

Le système des deux langues officielles dans un pays n'est à l'avantage de personne, ni des majorités, ni des minorités. Je pense qu'au contraire, un système d'unilinguisme officiel, c'est le meilleur système qui garantit les gens contre l'arbitraire et qui met tous les citoyens sur le même pied, parce qu'ils savent qu'il y a une seule langue indispensable pour comprendre les lois qui s'adressent à eux et les autres langues sont facultatives au niveau de la vie privée. À partir d'un unilinguisme officiel, il est possible ensuite de donner des garanties particulières à certaines minorités, par exemple donner le droit aux autochtones de s'adresser aux tribunaux dans leur langue. Je pense que, si un jour le Québec voulait donner aux autochtones le pouvoir de s'adresser dans leur langue à certains tribunaux dans les régions qu'ils habitent, cette loi-là pourrait être déclarée ultra vires en vertu de l'article 133, parce que l'article 133 précise qu'il y a deux langues officielles. Je le dis sous toute réserve, mais c'est une possibilité qu'une telle loi puisse être déclarée ultra vires.

Si on disait, par exemple, qu'un autochtone a le droit de recevoir un jugement dans sa langue, ce serait sûrement déclaré ultra vires, puisque l'article 133 dit que ce ne peut être qu'en français ou en anglais, au choix du juge. On ne peut pas imposer des choses aux juges.

Je pense que l'unilinguisme officiel est une bien meilleure garantie des droits fondamentaux de la personne humaine qu'un système de bilinguisme qui crée une situation arbitraire.

La Présidente (Mme Cuerrier): M.

Laberge, je regrette, d'autres intervenants voulaient vous poser des questions. Malheureusement, le temps qui nous était imparti est écoulé. Je vous remercie, au nom de la commission permanente de la présidence du conseil et de la constitution, pour votre participation à ces travaux. Merci, M. Henri Laberge, de l'Union' populaire. Merci.

J'appellerai maintenant Me Guy Bertrand.

Une voix: Du groupe dissident.

La Présidente (Mme Cuerrier); Me Guy

Bertrand, la commission a déjà reçu votre mémoire. Je sais que vous avez observé les travaux de la commission. Vous savez donc que vous disposez d'une vingtaine de minutes pour résumer ce mémoire. Je pense que vous allez devoir le résumer. Nous utiliserons ensuite quarante minutes pour les questions des membres ou intervenants à la commission. Me Guy Bertrand, vous avez la parole.

M. Guy Bertrand

M. Bertrand (Guy): Mme la Présidente, M. le ministre, mesdames et messieurs les députés, M. le chef de l'Union Nationale, je voudrais, sans qu'on empiète sur mon temps, faire deux corrections à mon texte, deux malheureuses erreurs qui se sont glissées; à la page 12, une citation de Lord Durham... Il faut surtout la laisser dans son contexte. À la page 12, la dernière phrase, on dit: "C'est pour les tirer de cette minorité..." On devrait lire... "infériorité que je veux donner aux Canadiens notre caractère anglais." Également, à la page 17, au dernier paragraphe, on devrait lire, à la troisième ligne, à la fin, "... de l'Ouest représentant 50% de la population dans cette dernière région", au lieu de "... représentant respectivement 80% de la population de chacune de ces régions."

Ceci étant dit, Mme la Présidente, il me fait plaisir que vous ayez permis à un simple citoyen de venir s'exprimer sur un sujet aussi important et je suis convaincu que, si tous les citoyens québécois avaient la chance de venir s'exprimer, plusieurs vous diraient ce que j'ai l'intention de vous dire ce soir.

J'ai, comme avocat, eu l'occasion de participer à des débats politico-juridiques et

à des débats évidemment juridiques qui intéressaient au plus haut point le sort de la collectivité québécoise.

Je voudrais vous dire tout de suite que c'est à l'occasion de mon entrée à l'Université McGill, lorsque j'ai étudié le droit, que j'ai noté une remarque d'un ami anglophone, alors que nous discutions de l'indépendance du Québec, à l'époque où Marcel Chaput avait démissionné d'Ottawa, qui m'avait dit: S'il y avait au Canada neuf provinces françaises et si le Québec était anglais, nous n'accepterions jamais, d'aucune façon, la domination française. Mais il avait ajouté: Vous n'aurez jamais le courage de faire l'indépendance. Je dis, Mme la Présidente, qu'il faut, à un moment donné, avoir le courage de sortir de ce régime fédéral qui nous a été imposé pendant qu'il en est encore temps et avant que nous soyons tous avalés et complètement. Je crois qu'après que Londres aura voté il sera vraiment trop tard puisque nous serons à tout jamais à la merci de la majorité anglophone au Canada.

Nous sommes actuellement victimes d'une invasion du fédéral et, personnellement, je n'ai pas l'intention de pleurer devant vous; je m'en réjouis, parce que, comme indépendantistes, elle nous fournit enfin l'occasion de faire le véritable débat sur l'indépendance du Québec.

Je voudrais poser une question: Si jamais les démarches entreprises par le gouvernement québécois permettaient à M. Trudeau d'échouer dans sa démarche, qu'est-ce qu'on fait après? On continue à pleurer sur les invasions du gouvernement fédéral? J'ai vécu deux de ces invasions particulièrement comme avocat. D'abord, lors de la crise d'octobre, j'ai représenté des dizaines de personnes qui ont été arrrêtées et appréhendées, alors que les droits de ces individus ont été bafoués. J'ai vécu, plus récemment, la crise des Gens de l'air où, pour la première fois depuis 1840, on a suspendu le français au Québec et nous avons plaidé devant les tribunaux que le français devait jouir du statut juridique de langue en possession d'état. Malgré tout cela, on a donné raison à M. Trudeau qui, par un simple arrêté ministériel, vous vous le rappelez, avait humilié le peuple québécois. Et c'est la troisième invasion fédérale, celle de 1980-1981 qui, celle-là, est vraiment, à mon point de vue, catastrophique.

Je veux être respecteux de ceux qui ne pensent pas comme celui qui vous parle, mais je crois qu'il y a trop de loups dans la bergerie québécoise. Lors du référendum, on croyait qu'il n'y avait que des moutons qui ne s'entendaient pas entre eux, des moutons québécois, et la population a choisi celui qui était le plus beau des moutons, M. Trudeau. Mais, tout de suite après le référendum, on s'est aperçu que c'était finalement un loup travesti en mouton. Il nous a montré ses véritables crocs, il était prêt à dévorer les moutons québécois. Je crois qu'en toute honnêteté il a humilié M. Ryan, il a humilié bon nombre de libéraux québécois en leur faisant croire que le non était un oui et que, à toutes fins pratiques, leur non était québécois.

Une chose m'intrigue; je serais curieux de savoir, Mme la Présidente, combien de personnes ont déjà lu ce qu'on appelle la constitution canadienne, l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Je serais curieux de savoir combien de personnes ont lu le projet de M. Trudeau ou les amendements de M. Chrétien il y a quelques semaines et je serais même curieux de savoir combien de parlementaires ont lu ce document. C'est pour cela que j'appelle cela une invasion tellement néfaste parce qu'elle est juridique, elle est subtile. On se dit: La population se désintéresse. Bien sûr que, si c'était une invasion militaire comme en 1970, les gens se révolteraient. Mais quand c'est un document épais comme celui que je vous présente, qu'est-ce que vous voulez? Même les avocats ne s'entendent pas quand on fait la lecture de ce document. A plus forte raison, on ne peut pas demander à la population de s'intéresser à ce débat.

J'ai examiné longuement ce document et j'en suis arrivé à la conclusion que le projet de M. Trudeau était un projet en trois dimensions: le rapatriement d'une part, les amendements dans un deuxième temps et la formule d'amendement dans un troisième temps.

En ce qui concerne le rapatriement, je n'ai pas grand-chose à dire parce que c'est tout simplement vouloir faire d'une loi anglaise une loi canadienne. Mais ce qui est amusant, c'est que M. Trudeau n'a jamais dit qu'en rapatriant le vieux papier, le document, cette loi anglaise, il rapatriait en même temps, alors qu'il veut faire du Canada un pays indépendant, la reine d'Angleterre, de sorte que la reine des Anglais continue à être la reine des Canadiens et le chef d'État véritable des Québécois. Cela, je pense que la population doit le savoir. Il semble qu'il y a quelque chose d'anormal. Où c'est un État indépendant, on n'a pas besoin de la reine des autres. (21 h 30)

En ce qui concerne la deuxième dimension du projet de M. Trudeau, c'est la charte des droits dont on entend parler depuis plusieurs mois. Je ne vais pas me plaindre à mon tour de ce qui est néfaste parce que, vous le savez tous, je suis sûr que je vous ennuierais, mais je dis que cette incorporation d'une charte des droits dans la constitution canadienne est une blessure sérieuse à la dignité ou à la fierté du peuple québécois parce qu'elle est une ingérence

dans notre âme, dans notre vie, entre autres, en ce qui concerne la langue. J'ai, dans mon mémoire, tenté de démontrer pourquoi ce projet est inacceptable sur le plan même des amendements proposés à la constitution ou de la charte. On parle entre autres au niveau de la langue. On dit qu'il met fin au régime du français au travail. A cause de la liberté d'établissement et de circulation, tout citoyen canadien pourra s'installer au Québec et décider de faire affaires en anglais et pourrait invoquer la discrimination. Un Chinois, à Montréal, pourrait faire affaires dans un quartier chinois en chinois et en anglais et personne ne pourrait lui dire: Est-ce que moi, comme francophone, je pourrais être servi en français? Même chose pour un Italien, même chose pour un Hongrois. Mais, finalement, on ne sait pas dans quelle société on vivrait.

Il est également discriminatoire pour les travailleurs québécois - et cela le gouvernement québécois a longuement expliqué pourquoi - parce que, dorénavant, on ne pourrait pas favoriser la politique d'emploi préférentiel pour les Québécois. Et cela aussi est inadmissible.

Ce qui n'a peut-être pas été dit, c'est que le projet de M. Trudeau refuse de reconnaître le droit exclusif du Québec sur ses richesses naturelles. Ceci veut dire en pratique - et le peuple doit le savoir - que dans quelques années, lorsque nous traverserions nos années de vaches grasses avec Hydro-Québec, peut-être, par son pouvoir déclaratoire et son pouvoir référendaire, Ottawa voudrait contrôler cette richesse naturelle du Québec.

Il y a également quelque chose qu'il est important de souligner, c'est que ce projet de M.Trudeau donne la priorité à la loi sur les mesures de guerre. La charte ne définit pas les modalités du pouvoir d'urgence, de sorte que ce dont j'ai parlé tout à l'heure, qu'on a vécu en 1970, il s'agirait qu'un bon matin, à quatre heures, M. Trudeau se réveille et pense que les intellectuels lui en veulent et qu'il y a une insurrection appréhendée, et l'on déclencherait le mécanisme de la loi sur les mesures de guerre. Vous savez que tous les pouvoirs sont entre les mains du gouverneur en conseil.

Je voudrais parler maintenant de ce qui m'apparaît le plus grave et dont on n'a pas tellement parlé, c'est la formule d'amendement. La formule d'amendement est une blessure mortelle à la nation québécoise dans le sens qu'elle empêche à toutes fins pratiques l'indépendance du Québec.

On sait que pour faire l'indépendance il faut récupérer les pouvoirs de l'article 91 qui sont les pouvoirs d'Ottawa, tous les pouvoirs politiques, juridiques, économiques et financiers qui sont incorporés à l'article 91. Or, pour pouvoir récupérer, il faudrait à ce moment-là, selon la formule proposée par M.

Trudeau, avoir le consentement de l'Ontario. J'imagine pour un instant, pour simplifier, que demain matin le gouvernement du Québec, à la suite d'un référendum, ou à la suite d'un vote majoritaire, décide de faire l'indépendance qui est la récupération totale des pouvoirs. Avec la formule d'amendement, nous avons besoin du consentement de l'Ontario. Est-ce que vous croyez qu'on l'obtiendrait? Peut-être. Peut-être pas. Mais nous aurions besoin aussi du consentement de deux provinces des Maritimes qui forment 50% de la population. Nous aurions besoin du consentement de deux provinces de l'Ouest, également, qui forment 50% de la population. Et nous aurions besoin du consentement d'Ottawa.

Mais ce n'est pas tout, Mme la Présidente. Au-dessus de tout cela, M. Trudeau a prévu un référendum pancanadien qui viendrait, à toutes fins pratiques, annuler l'espoir que les Québécois auraient pu faire valoir à l'occasion d'un référendum québécois. Ceci veut dire - et le professeur Dion est d'accord sur cela, nous avons eu un débat la semaine dernière ou il y a deux semaines à l'Université Laval et il est parfaitement d'accord - que l'indépendance démocratique n'est plus possible. C'est pour ça que cette situation m'apparaît dramatique, parce qu'on n'a pas le droit d'empêcher un enfant de devenir grand et, une fois adulte, d'assumer ses responsabilités, il en va de même pour un peuple. On n'a pas le droit de dire a un peuple aujourd'hui: Tu ne pourras pas demain assumer ta pleine responsabilité. Cela se pourrait - je vous le concède - que le peuple québécois, la nation québécoise ou l'État québécois, dont on parle, décide pour sa vie de rester un grand "tarlet", comme un enfant à l'âge de 25 ans qui préfère vivre aux crochets de son père. Ce sera un choix qu'on fera un jour, mais au moment où on se parle personne n'a le droit de priver le Québec d'accéder un jour ou d'avoir l'espoir d'accéder un jour à l'indépendance.

Dans les circonstances, nous disons que le seul moyen d'éviter ce que certains ont appelé un coup de force, ce que d'autres ont appelé en Chambre un assassinat contre un peuple, ce que d'autres ont appelé le dépouillement de nos richesses naturelles, devant un tel coup de force, nous sommes en position de légitime défense. Qu'est-ce qu'on fait? Est-ce qu'on se laisse manger? Est-ce qu'on attend que le loup ait commencé à nous dévorer et, ensuite, on fait un référendum pour savoir s'il nous a assez mangé pour l'abattre, pour le sortir, à toutes fins pratiques, de la bergerie ou si, dans une situation d'urgence, on ne lui fout pas le pied au derrière, quitte à consulter la population?

Si vous me permettez, Mme la Présidente, sur ce, je voudrais vous exprimer

le choix des moyens. Est-ce que nous avons le choix des moyens? Parce que certains nous disent: La démarche que vous voulez entreprendre est illégitime. Moi, je dis non. Dans une situation d'urgence, un citoyen a le droit d'utiliser toutes les armes qu'il a à sa disposition pour éviter qu'on le dépouille; il en va de même pour un peuple, à la condition qu'on soit en situation d'urgence. Il s'agit pour nous de savoir: Sommes-nous en situation d'urgence? Je crois que oui. Je crois que tous ce que les parlementaires québécois, y compris ceux du Parti libéral ou de l'Union Nationale, ont dit, c'est: Nous sommes vraiment en situation d'urgence. À ce moment-là, le tribunal de la légitimité, c'est le peuple, le tribunal de la légalité, ce sont les tribunaux que l'on connaît et c'est le peuple qui devrait, à ce moment-là, accepter ou ne pas accepter la mesure que l'on a prise pour éteindre le feu, avant qu'on lui demande s'il est d'accord pour éviter que la maison ne brûle.

Je pose, en terminant, les questions suivantes: Dans les circonstances, est-il sage, comme peuple, de nous en remettre à la décision d'un Parlement étranger - Londres -pour stopper l'initiative fédérale? Mais qu'est-ce qui arrive si on ne nous entend pas? Est-il sage comme peuple de porter le litige Québec-Canada devant les tribunaux, quand on sait qu'il s'agit d'abord et avant tout d'une question politique et que le jugement final qui, de toute façon, risque d'arriver trop tard pourrait être préjudiciable à court et à long terme au Québec?

En effet, ce précédent serait utilisé contre nous sur le plan national et international, peu importe le résultat. On imagine fort bien le Parti libéral, sur la base de ce précédent, se précipiter devant les tribunaux pour contester toute procédure éventuelle d'accession à l'indépendance, notamment toute procédure référendaire. Ici, je voudrais donner un exemple et il serait légitimé de le faire. On sait comment on fonctionne, les avocats, à partir d'un précédent. Demain matin, on a un référendum qui donne 55% pour la souveraineté-association ou, qui mieux est, l'indépendance et on proclame une loi qui serait: les impôts payables au Québec seulement.

Qu'est-ce qui arrive en pratique? Deux choses. Contestation devant les tribunaux, parce qu'on n'a pas suivi le code de procédure d'amendement qu'on s'est donné qui est la formule d'amendement, c'est-à-dire obtenir le consentement des provinces et d'Ottawa. Mais, en même temps, les citoyens qui croient au régime fédéral seraient justifiés, eux, obéissant à une loi fédérale, de continuer, malgré la loi québécoise, à payer leurs impôts à Ottawa. Ceux qui croient à l'indépendance, donc payer strictement les impôts au Québec, ne paieraient leurs impôts qu'au Québec. Résultat pratique: la Gendarmerie royale serait justifiée d'enquêter chez ceux qui ne paient que leurs impôts au Québec et la police, la Sûreté du Québec serait justifiée d'enquêter sur ceux qui n'obéissent pas à loi du Québec, jusqu'à temps que la Cour suprême se soit prononcée.

Une fois que la Cour suprême s'est prononcée, vous avez compris ce qui arrive. La Cour suprême n'a d'autre choix que de dire: Votre loi est inconstitutionnelle et nul ne peut y désobéir. Si on y désobéit, l'étape suivante est celle que j'ai vécue en 1972 avec les trois chefs syndicaux que j'ai représentés: requête pour outrage au tribunal, un an de prison. A ce moment, tous les syndiqués se sont écrasés et je pense que le peuple s'écraserait aussi. Est-il sage que le seul gouvernement national francophone en Amérique du Nord, devant l'agression vicieuse du Parlement anglophone canadien, mettant en péril l'avenir du Québec francophone, se limite volontairement, en situation de légitime défense, à prier ou supplier l'agresseur sous forme de publicité, de pétitions et de discours pour que cela ne passe pas? Mais à quoi sert alors notre Parlement dans les situations d'urgence nationale? Est-ce l'impuissance du peuple québécois qui l'empêche d'agir ou cette vieille peur ancestrale des peuples colonisés, cette peur à base d'ignorance et de rêverie morbide en face de l'inconnu? Faut-il porter jusqu'à la fin de nos jours l'échec accidentel et temporaire du 20 mai 1980 au point d'écarter même l'indépendance du Québec comme ultime solution pour combattre le coup de force d'Ottawa?

Ce serait un étrange paradoxe qu'un homme puisse décider d'imposer par la force une constitution contre la volonté de tous les partis politiques québécois. Mais, lorsque cet homme décide aussi de s'en prendre à une minorité en hypothéquant lourdement son devenir, on est en droit de parler d'un véritable hold-up constitutionnel. Je dis que ce serait un plus grand paradoxe si le gouvernement actuel devait assister au dépouillement éhonté des droits du Québec sans pouvoir offrir d'autre résistance que la formulation de ses regrets. C'est pour cela que je dis en terminant, modestement, comme citoyen, en respectant le jeu de la démocratie, que c'est notre devoir de surveiller ce qui se passe et, jusqu'au moment où Londres s'apprête à voter, d'avoir le courage de proclamer l'indépendance et de faire ratifier par le peuple cette mesure d'urgence ou, à l'occasion d'une élection, et je pense que cela pourrait s'appliquer également au Parti libéral, on devrait également obtenir le mandat, si nécessaire, de faire l'indépendance pour bloquer le coup de force fédéral.

Voilà ce qu'il y a de plus démocratique.

L'indépendance du Québec, c'est aussi la seule voie qui permette aux Québécois de se donner une constitution compatible avec leurs intérêts dans le domaine politique, économique, social et culturel parce que, pour moi, Mme la Présidente, l'indépendance, contrairement à ce qu'on peut dire, c'est véritablement le progrès. Je pense que le système actuel a eu la chance de faire ses preuves et maintenant, place à l'avenir, place à un autre système. Je suis sûr, je le dis pour le bénéfice de mes amis anglophones - contrairement à ce qu'on peut penser, j'en ai plusieurs - que les anglophones du Québec seraient beaucoup plus heureux dans un pays où la majorité francophone serait elle-même heureuse et cesserait de pleurer comme on le fait depuis 113 ans. Je vous remercie de l'attention que vous m'avez portée.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre des Affaires intergouvernementales.

M. Morin (Louis-Hébert): On applaudit avant que je parle. C'est gentil.

Une voix: C'est pour vous, M. le ministre.

M. Rivest: Vous n'avez pas beaucoup d'indépendantistes autour de la table. Vous n'avez pas été applaudi, Me Bertrand, si vous avez remarqué.

Une voix: On va applaudir après.

La Présidente (Mme Cuerrier): De toute façon, puisque vous le soulevez, je me dois malheureusement de dire aux gens qui sont dans l'assistance qu'ils ne doivent pas manifester, ni pour ni contre. C'est le style qui a été adopté depuis toujours à l'Assemblée. Je pense que vous pourrez toujours dire à l'extérieur si vous êtes d'accord ou non. M. le ministre des Affaires intergouvernementales.

M. Morin (Louis-Hébert): Merci, madame. Je vais prendre quelques minutes, non pas pour poser des questions, mais pour présenter quelques observations à partir du texte de M. Bertrand. Je connais M. Bertrand depuis longtemps et nous avons eu l'occasion de discuter ensemble. J'ai lu son texte; comme toutes les choses qu'il m'a dites ou beaucoup d'entre elles et comme ce texte que j'ai lu aujourd'hui, c'est stimulant et c'est intéressant. Cela ouvre des perspectives, même si, comme M. Bertrand le sait, je ne suis pas toujours d'accord avec lui sur divers points.

Mes deux observations sont les suivantes. Dans son texte, à un moment donné, ou tout à l'heure dans ses remarques, il a parlé de cette opération qui s'est passée au cours du référendum où, contrairement à toute logique, on a essayé de faire croire aux Québécois que non voulait dire oui et que oui voulait dire non. On se rend compte aujourd'hui, comme on l'avait prévu d'ailleurs à l'époque, que non veut dire non et que ce qui s'est passé par la suite a été la démonstration évidente qu'on avait fait preuve, à l'égard des Québécois, de duplicité évidente et je pense que ça restera longtemps dans la mémoire des gens. C'est une chose sur laquelle on aura l'occasion de revenir au cours des semaines et des mois qui s'en viennent. (21 h 451

L'autre remarque que je veux faire traite davantage de ce qui est à la page 21 de votre mémoire; c'est justement le dernier point que vous avez soulevé: est-ce qu'on a le choix des moyens? Je ne suis pas tout à fait d'accord sur ce qui est écrit là-dedans. Je résume ici ma pensée. Quand le coup de force fédéral ou la tentative de coup de force fédéral a été lancée le 2 octobre dernier, il y avait trois hypothèses que le gouvernement fédéral avait en tête, que les libéraux fédéraux avaient en tête; la première, c'était que les gens étaient d'accord avec le contenu de leur coup de force. S'il est vrai qu'au départ on pouvait présumer que la population était assez d'accord, aujourd'hui, on se rend compte que ce n'est plus vrai. Donc, progrès de ce côté.

Deuxièmement, on nous a dit à l'époque - je l'ai dit ce matin encore - Londres va être d'accord avec ce qu'on va proposers c'est ce que disaient toujours les libéraux fédéraux. Depuis la semaine dernière, on sait qu'à Londres, après avoir vu beaucoup de rumeurs à cet égard, il y a des parlementaires britanniques qui viennent de présenter un remarquable document qui démontre que justement, pour les libéraux fédéraux, ça n'ira pas aussi bien que prévu à Londres.

Troisièmement, autre idée que les libéraux fédéraux avaient, c'est que toute leur entreprise était absolument légale, sans aucun doute. Depuis aujourd'hui, avec la décision de la Cour d'appel du Manitoba, on voit qu'au contraire il y a des doutes suffisants - j'ai entendu ça tout à l'heure à la radio - pour que le Manitoba aille en Cour suprême pour en appeler de cette décision parce que, justement des doutes subsistent. Cela veut dire que - ce n'est pas une question, j'achève mon commentaire - ce qui paraissait être une offensive fédérale inexpugnable - c'est un mot qui est peu fréquent - une offensive fédérale victorieuse d'avance, à l'époque, au mois de septembre ou octobre, s'avère aujourd'hui quelque chose qu'on peut, au contraire, bloquer. Je ne dis pas que la bataille est finie; au contraire, elle n'est pas finie. Il y a une étape qui vient d'être franchie, il faut absolument continuer. C'est un des buts de cette

commission, d'ailleurs.

Je pense qu'il ne faut pas négliger les moyens qu'on a à notre disposition. Là-dessus, on n'a pas été d'accord, M. Bertrand et moi. Mais je pense qu'au contraire l'expérience vient d'être faite qu'à cause de la détermination que le gouvernement du Québec, entre autres, a démontrée dans la défense des droits et des intérêts du Québec on est en train de réaliser ce que les gens disaient, à l'époque, qu'on ne pouvait pas réaliser, c'est-à-dire bloquer une machine qui semblait totalement invincible.

C'est tout ce que j'ai à faire comme commentaire. Je pense que l'expérience démontre que, jusqu'à maintenant, devant ce coup de force, on ne s'en tire pas si mal. Cependant, il faut demeurer vigilants, parce que, même si on règle le cas du coup de force, on n'aura pas réglé le problème constitutionnel du Québec. Voilà ce que j'avais à dire, Mme la Présidente. Ce ne sont pas tellement des questions que des commentaires qui ont été suscités chez moi par l'audition et la lecture du texte de M. Bertrand.

La Présidente (Mme Cuerrier): Me

Bertrand.

M. Bertrand (Guy): À la suite des commentaires de M. le ministre, j'ai eu l'occasion, peu de temps après qu'Ottawa annonce son projet d'aller en Cour suprême, de rencontrer, par hasard, des amis qui sont ministres dans le gouvernement d'Ottawa, pour me rendre compte d'une chose: que, strictement sur le plan des droits individuels, il serait assez facile pour M. Trudeau de faire une bataille - c'est mon opinion - pour l'incorporation dans une charte des droits, parce que ça se défend bien de dire que tous les citoyens auront le droit de consulter un avocat, de ne pas être arrêtés sans mandat, etc. Mais ce n'est pas ça qui est inquiétant, M. le ministre. Vous dites: Tout le monde, au départ, pensait... en tout cas, Ottawa laissait croire que Londres donnerait son accord et là, on a M. Kershaw, dans son rapport, qui ne recommande pas... Ce que le rapport dit qui m'inquiète, c'est qu'il est d'accord pour la formule d'amendement et, sur cela, M. le ministre, il rejoint tous les partis fédéraux actuels. Même le Parti conservateur a fait une proposition d'amendement. Il a dit: Laissez tomber les amendements, la charte et tenez-vous en au rapatriement avec la formule d'amendement. Pour nous, les indépendantistes, à tort ou à raison - nous formons peut-être 20% de la population, peut-être 25% ou 30%, je ne sais pas - nous croyons que c'est la formule d'amendement qui constitue la fin. C'est ce que j'ai appelé tout à l'heure une blessure mortelle parce que la charte des droits, spécialement au niveau linguistique, c'est une blessure sérieuse, mais on pourra toujours se rattraper. Je comprends qu'on pourrait parler de Montréal, qu'on n'a qu'à perdre quelque centaines de milliers de voix à Montréal et Montréal devient une ville majoritairement anglophone, etc. C'est inquiétant aussi, mais sur ça, M. Kershaw dit, sur la formule d'amendement, qu'il serait d'accord.

Qu'est-ce qui va se produire? En dernier ressort M. Trudeau est allé très loin pour avoir le consensus populaire; en fin stratège, il va probablement retraiter sur les amendements dans le domaine linguistique pour garder sa formule d'amendement et pour nous, je n'ai pas besoin de le répéter, c'est ce qui est inacceptable beaucoup plus que la charte des droits.

Au surplus M. Trudeau est un homme fort de sa personnalité, il sait se servir de son magnétisme pour endormir les Québécois; depuis dix ans qu'il nous joue tour après tour, qu'il insulte les Québécois et malgré tout les Québécois le suivent. M. Trudeau n'a qu'à proclamer unilatéralement l'indépendance du Canada et il pourrait faire mieux que ça. Il pourrait tout simplement le demander à Londres. Londres pourrait faire ce qu'il veut de cette loi britannique. Il peut modifier le Statut de Westminster. M. Trudeau pourrait très bien dire: Dorénavant la constitution est une loi canadienne avec formule d'amendement. Je comprends que ce serait illégitime, mais déjà ce qu'il entreprend est illégitime.

À cause de ça, M. le ministre, je suis d'accord pour vous dire que les moyens que vous avez pris ont sensibilisé la population, lui ont fait comprendre que c'est une invasion dans nos droits, mais ce qui m'inquiète c'est qu'on n'a pas tellement parlé de la formule d'amendement. Vraiment ça, ça m'inquiète et ça inquiète les indépendantistes parce que ça met fin à l'indépendance d'une façon démocratique. Je ne voudrais pas être pessimiste, mais pour avoir défendu les jeunes du FLQ en 1967-1968, pour avoir connu un gars comme Pierre-Paul Geoffroy, M. le ministre, je peux vous dire une chose, je ne voudrais pas que l'on donne à cette jeunesse le seul espoir de se tirer dans l'expression malheureuse de la haine, de la frustration, du désespoir, voire même de la violence politique parce qu'elle n'aurait pas d'autre choix pour faire l'indépendance.

Actuellement, contrairement à Léon Dion, qui, lui, parle de violence possible, je ne crois pas que ce serait la violence. Je l'ai écrit dans mon texte, c'est une possibilité, mais je croirais plutôt à la fatalité, c'est-à-dire que le peuple québécois en vienne à accepter qu'il n'y a véritablement plus d'espoir de former un État avec les pleins pouvoirs, un État qui, sur le plan international, pourrait faire ses preuves de solidarité mondiale, qui n'ait plus

à demander, Mme la Présidente, la permission pour aller se promener à Dakar -parce que c'est humiliant - pour aller se promener au Gabon.

Nous avons besoin, comme État, de respirer l'air sur le plan international. Nous avons besoin d'une présence sur le plan international. On ne peut pas constamment, chaque fois qu'on étouffe, demander à Ottawa: Voulez-vous nous donner de l'oxygène? et entendre M. Trudeau dire: Un petit peu d'oxygène pour les Québécois. Et là, on respire pour une autre année. Un autre ministre vient lui aussi demander de l'oxygène. Il faut que ça cesse et c'est pour ça que le projet de l'indépendance m'apparaît la seule façon de régler tous les problèmes qui confrontent la société canadienne et la société québécoise.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député...

M. Morin (Louis-Hébert): Mme la Présidente, j'ajouterais juste un mot, seulement pour apporter une précision. Je n'ai pas dit que la bataille était gagnée et je suis tout à fait d'accord que la formule d'amendement recèle de très nombreux dangers. C'est pour ça que j'ai dit qu'il fallait continuer d'être vigilant. Tout ce que j'ai fait tout à l'heure, c'est de dire qu'avec les moyens que nous avions, parce que vous posiez une question là-dessus, on a quand même réussi jusqu'à maintenant, comme vous l'avez dit, à sensibiliser les gens parce que ça les intéresse beaucoup plus que nous-mêmes on pouvait le croire à un moment donné et, deuxièmement, à faire dérailler, je pense, le train fédéral.

Il reste une chose, c'est de le faire tomber dans le ravin, mais ça, on continue et on est vigilant.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Saint-Laurent.

M. Forget: Merci, Mme la Présidente. Me Bertrand je voudrais vous poser quelques questions sur la dernière partie de votre texte où vous en venez à des conclusions d'ordre pratique à la lumière de vos observations sur le projet fédéral. Vous en arrivez à un certain nombre d'observations sur les actions possibles. J'aimerais m'attarder avec vous, avec votre permission, sur l'affirmation assez dramatique, que certains même pourraient juger mélodramatique, à la page 15, où vous faites une affirmation catégorique, à savoir que le Québec n'a plus de choix qu'entre l'indépendance ou l'assimilation. Si vous le voulez bien, j'aimerais comprendre le sens de ce choix dramatique.

Présumément, vous vous adressez aux membres de l'Assemblée nationale. À supposer que vous reteniez le premier terme de l'option, l'indépendance, je ne sais pas si vous cherchez à persuader tous les membres de l'Assemblée nationale, vous pourriez peut-être déjà, à première vue ou a priori, abandonner l'espoir de nous persuader de ce côté-ci et je pense qu'il est de notoriété publique que, publiquement au moins, à moins qu'on ne vous ait dit le contraire privément, vous n'avez pas réussi à persuader le parti dont vous êtes toujours membre, je crois, d'opter pour l'indépendance de façon tout à fait catégorique. À ce moment-là, à qui s'adresse votre invitation? Revenez-vous à la charge auprès du ministre pour l'inciter peut-être à changer d'avis?

M. Bertrand (Guy): Je crois qu'elle s'adresse au gouvernement actuel. Il est sûr que, moi, comme citoyen et comme d'autres citoyens, j'écoute mes parlementaires et je me dis: On m'a montré une situation extrêmement dramatique. M. Biron a parlé d'assassinat contre un peuple; le ministre Bédard a parlé du dépouillement de nos richesses naturelles; M. le premier ministre a parlé d'un coup de force. Bref, moi-même, après avoir fait l'analyse du document, une analyse serrée au point de vue juridique, j'en suis arrivé à la conclusion que, pour ce qui concerne la charte, M. Forget, l'assimilation était inévitable, parce qu'on a un problème particulier à cause de Montréal. Il y a 1,000,000 de parlant anglais à Montréal sur une population de 2,500,000. Il s'agit d'un déplacement de quelques centaines de milliers et Montréal devient une ville majoritairement anglophone. Donc, le corps étranger devient plus important que le corps lui-même et c'est la fin du Québec, à toutes fins pratiques.

À cause de cela, je parle d'assimilation. Évidemment, cela peut être dans cinquante ans, dans cent ans qu'un peuple se laisse assimiler. En attendant, c'est du folklore, mais je voudrais que vous compreniez une chose, pour finir sur ce point-là de l'assimilation: ce qui est important, ce n'est pas de protéger la minorité anglaise au Québec ou au Canada, c'est de protéger la minorité française en Amérique du Nord, 2% seulement de Français sur 235,000,000 de parlant anglais.

Tout récemment, je recevais une lettre de M. Griffith, le propriétaire des Canucks de Vancouver, qui me soulignait qu'il n'avait pas de sympathie pour ma requête pour que les contrats français soient acceptés dans la Ligue nationale au même titre que les contrats anglais. Il me disait: Les Nordiques de Québec, ou les joueurs que vous représentez, savent que nous fonctionnons en anglais qui est la langue officielle sur ce continent et, au contact avec ce monde nord-américain qui est anglophone, les petits Québécois que vous représentez auront vite

fait d'apprendre la langue de la majorité sur ce continent. C'est pour la question de l'assimilation, M. Forget.

M. Forget: D'accord, si on revenait à l'autre question.

M. Bertrand (Guy): Pour la deuxième question sur l'indépendance, vous me dites: Qui voulez-vous convaincre? Je dis que le gouvernement actuel, si on est en état de drame, si vraiment le loup se prépare à manger les brebis québécoises, a le fusil entre les mains, il a le Parlement québécois. Le Parlement canadien agresse la nation québécoise, le peuple québécois s'en est remis à ses gardiens de la bergerie qui sont vous tous ici. On lui a remis un fusil qui est le Parlement québécois et on n'attend pas que le loup nous dévore. Nous disons à ce moment-là: L'indépendance, c'est le fusil qui empêche le loup de dévorer les Québécois. Cela s'adresse également à vous qui, peut-être, formerez un gouvernement très bientôt. Vous aussi, vous devez garder présent à l'esprit ce que tous les premiers ministres ont gardé, c'est-à-dire l'arme possible de la sécession du Québec. M. Johnson a dit: S'il n'y a pas de possibilité de faire l'égalité dans ce pays, ce sera non seulement notre droit, mais notre devoir de faire l'indépendance. Alors, si vous formez le gouvernement demain matin... Vous devez aussi, je pense, dire clairement à la population, lors des prochaines élections, que, si c'est nécessaire, nous irons jusqu'à l'indépendance pour empêcher cette nation de mourir, à toutes fins pratiques, que ce soit d'ici cent ans. (22 heures)

Si vous me le permettez, seulement pour terminer, je voudrais dire, parce que je l'ai oublié dans mon exposé, que même le projet de l'Union Nationale, repris par M. Roch LaSalle, l'égalité ou l'indépendance, le projet de M. Johnson, n'est plus réalisable parce que, dans les amendements proposés par M. Chrétien, il dit carrément, maintenant, qu'on est en face d'une société multiculturelle. Alors, ne nous imaginons plus qu'on va faire une nouvelle constitution sur la base de l'égalité des deux peuples. Ce n'est pas vrai. Alors, M. LaSalle, s'il veut être logique, doit, pour réaliser son égalité, commencer par faire l'indépendance. Dans un sens, je dirais à M. Forget que ma requête s'adresse, pour le moment, au gouvernement actuel et, pour demain, à celui qui lui succédera ou au même gouvernement.

M. Forget: Me Bertrand, je dois dire que vous faites un mémoire au sujet d'une situation présente et vous dites aux parlementaires qu'il n'y a que deux possibilités. Si je comprends bien, cela doit exclure une situation où il y aurait trois possibilités. On parle d'aujourd'hui. On ne parle pas dans cinquante ans ou dans dix ans, on parle d'aujourd'hui. Vous dites qu'il n'y a qu'une seule chose possible, si on veut s'opposer au projet fédéral, c'est de proclamer immédiatement l'indépendance. Vous portez donc ainsi un jugement sur les actions du gouvernement actuel. Vous vous en dissociez complètement, vous les condamnez même. Je crois que vous dites, un peu plus loin, à la page 21, qu'il s'agit là de précédents malheureux, que le recours aux tribunaux, le recours au Parlement britannique. Ce que vous nous dites, essentiellement, c'est que, si le gouvernement n'est pas prêt à faire l'indépendance, il devrait cesser ses actions dans ces domaines-là, se résigner carrément à l'assimilation et le dire. Ou est-ce qu'il faut comprendre que, malgré tout, ce dilemme dramatique n'est pas si dramatique que cela et que vous êtes prêt à vous résigner, finalement, à appuyer le gouvernement dans ses actions aujourd'hui?

M. Bertrand (Guy): La seule autre possibilité serait que M. Trudeau retire entièrement son projet et, à ce moment-là, ceux qui ne sont pas nécessairement pour l'indépendance, mais qui sont pour l'indépendance si nécesssaire, retireraient le projet de l'indépendance. Mais celui qui vous parle n'est pas un indépendantiste à rebours ou un indépendantiste négatif. Je suis carrément pour l'indépendance, dans quelque contexte que ce soit. Mais je dis: Fort heureusement, M. Trudeau vient de nous fournir une occasion pour faire l'indépendance, occasion que nous ne retrouverons peut-être pas avant cent ans. Alors, je dis: tant mieux, parce qu'il permet à tous les indépendantistes, ceux qui sont pour l'indépendance si nécessaire et ceux qui sont d'abord pour l'indépendance, de se rallier. Évidemment, le gouvernement actuel est peut-être en face de dossiers que moi je ne connais pas comme citoyen, M. Forget; peut-être a-t-il des raisons de ne pas croire que c'est un moyen efficace. Tout ce que je peux vous dire, c'est que, s'ils ont vraiment des choses que nous ne connaissons pas, il me semble qu'on devrait les connaître; sinon, je regrette que, dans le débat actuel, on n'ait pas parlé de l'indépendance alors que M. Johnson en a parlé. M. Duplessis en a parlé lors de la dernière guerre mondiale. Honoré Mercier a parlé de l'indépendance. Voici une occasion rêvée de faire l'indépendance, et je le regrette, le gouvernement actuel n'en parle jamais.

M. Forget: Me Bertrand, on est bien conscient de votre opinion sur le caractère souhaitable de l'indépendance et nous respectons cette opinion. Il demeure que ce n'est pas là le sens de ma question. Je vous

ai demandé: Face aux initiatives du gouvernement actuel, les appuyez-vous ou les condamnez-vous sans rémission? Lorsque vous nous dites qu'il y a deux choses possibles, qu'il y a une alternative avec deux options possibles, vous ne mentionnez pas au contraire, que vous condamnez explicitement ce que fait le gouvernement actuel. Je vous demande si c'est cela qu'il faut comprendre, que vous condamnez cette action, que vous la jugez regrettable et que vous dites: À défaut de faire l'indépendance, nous perdons notre temps. Est-ce que c'est cela que vous nous dites?

M. Bertrand (Guy): J'ai le choix de mes mots, je suis témoin. J'ai choisi d'utiliser: "Est-il sage?" Personnellement, je crois que ce n'est pas sage.

M. Forget: Donc, vous condamnez ces actions.

M. Bertrand (Guy): Mais je n'ai pas le monopole de la vérité. Peut-être qu'eux trouvent que c'est sage et je me dois de les respecter, comme je respecte votre opinion. Personnellement, je crois que ce n'est pas sage pour les raisons que je vous ai données tout à l'heure. Qu'est-ce que les gens vont lire demain matin? Malgré l'opinion que M. Morin peut avoir, c'est que Trudeau vient d'avoir raison devant la Cour d'appel du Manitoba. Probablement qu'il va avoir raison devant la Cour suprême. Je crois que le geste de M. Trudeau, strictement sur le plan légal, il est légal, sauf peut-être l'article 93 qui concerne la langue dans le domaine de l'éducation.

Demain matin, comment voulez-vous, comme indépendantiste, que j'aille dire a mon père qui a 75 ans ou au citoyen québécois, le chauffeur de taxi: C'est peut-être légal ce que M. Trudeau fait, mais ce n'est pas légitime? Il faut que je commence à expliquer la différence entre la légalité et la légitimité. C'est pour cela que je dis: De deux choses l'une: ou la situation est dramatique au point que la nation québécoise est en péril, ou ce n'est pas si dramatique que cela, mais dans un cas comme dans l'autre il faut faire attention. Si on a crié au loup et qu'on n'a pas tué le loup et qu'il dévore les brebis, il sera trop tard et on sera blâmés, comme gardiens de la maison québécoise, de ne pas avoir tué loup. Ou bien il n'y avait pas de loup et la prochaine fois que l'enfant de Trudeau, l'enfant spirituel, un autre comme Trudeau, sera véritablement un loup, personne n'y croira. C'est pour cela que je dis qu'il me semble que les moyens utilisés actuellement sont hors de proportion avec l'alarme qu'on a déclenchée dans la population québécoise. Je vous jure que cela m'apparaît hors de proportion.

Faire des pétitions quand la nation est en péril, je vous pose la question: Cela sert a quoi? Quand j'étais étudiant, on a signé une pétition; 400,000 noms pour que le Reine Elizabeth s'appelle le Château Maisonneuve. Vous vous rappelez cela, Mme Solange Chaput-Rolland, une bataille avec François-Albert Angers. Cela s'est appelé quand même le Queen Elizabeth Hotel et on nous a concédé une traduction "Le Reine Elizabeth". Cela a donné quoi, 400,000 noms? Or, tout ce que nous obtiendrons moins que les 1,600,000 voix que nous avons obtenues lors du référendum, ceux qui ont voté pour le oui, pourrait être considéré par M. Trudeau, habile politicien, comme un échec. 600,000 noms? Vous avez obtenu 1,600,000, dira-t-il.

Des discours dans une situation où on a un Parlement qui a la légitimité! J'ai écouté M. Ryan prétendre que le gouvernement actuel n'a plus la légitimité. Sur ce, je suis en désaccord. Le gouvernement actuel a la légitimité, la légalité, pour agir jusqu'à la fin de son mandat. Il aurait même la légitimité de faire l'indépendance pour sauver la nation québécoise, quitte à la faire ratifier.

M. Forget: Je suis content que vous abordiez le sujet de la légitimité, Me Bertrand, quoique vous précédez un peu l'ordre dans lequel je voulais aborder les questions. Mais je ne comprends pas exactement vos remarques sur la légalité et la légitimité. Il semble que vous jugiez que le gouvernement actuel, parce qu'il est légal, peut poser n'importe quel geste et que ce geste, parce qu'il est posé par un gouvernement légal, est automatiquement légitime. Je pense que c'est dit presque en toutes lettres dans une page.

La page suivante, vous l'appliquez même, et vous venez de le faire à nouveau, à l'indépendance. Le gouvernement actuel pourrait proclamer l'indépendance en dépit du fait que le référendum, me semble-t-il, ne l'invite pas beaucoup - le référendum de l'an dernier - à aller dans cette direction-là. C'est le moins qu'on puisse dire, je pense, sans partisanerie.

Alors, c'est un concept assez curieux. Vous semblez affirmer que tout ce qui est légal est légitime, du moins quand ce sont des gestes posés par le gouvernement du Québec. Mais, à la page suivante, vous mettez en question la légitimité d'actions qui sont beaucoup moins extrêmes que celles-là posées par le gouvernement central, en disant: Quelle est la légitimité de, quelle est la légitimité de, etc., alors qu'il me semble que, sur le strict plan de la légalité, le gouvernement central est au moins sur un pied d'égalité. Il a un mandat même plus récent; à toutes fins pratiques, si la légalité s'épuise en même temps que la légitimité, la sienne est plus fraîche et plus forte que

celle du gouvernement d'ici.

Alors, je ne comprends pas beaucoup. Est-ce que tout ce qui est fait au Québec -est-ce que ce serait cela, la raison - est légitime et tout ce qui est fait à Ottawa ne l'est pas? Est-ce que c'est cela qu'il faut comprendre?

M. Bertrand (Guy): Non, M. Forget. Il y a sûrement une distinction fondamentale entre la légalité et la légitimité. J'ai dit tout à l'heure que le tribunal de la légalité, c'est les tribunaux que l'on connaît et le tribunal de la légitimité, c'est le peuple. Souvent, il y a des gestes qui sont fort légitimes qui sont illégaux. On voit dans les conflits ouvrier, en particulier, des gestes que les ouvriers considèrent très légitimes et qui sont nettement illégaux. Cela les amène à désobéir à des injonctions. Eux, croient que c'est vraiment légitime.

Ma démarche, c'est à partir du résultat du référendum. Le résultat du référendum, pour moi, c'est que les Québécois... Je ne peux pas blâmer mon peuple, le peuple québécois, parce que le référendum est utilisé habituellement dans tous les pays du monde dans une situation d'impasse. Or, au mois de mai dernier, il n'y avait pas d'impasse au Québec. C'était le calme plat sur le plan constitutionnel. C'était le printemps. Les fleurs poussaient. Tout le monde était heureux. Le peuple québécois, instinctivement, a compris que le référendum ne servait pas à régler une impasse, mais créait une impasse constitutionnelle et il a rejeté - moi, c'est comme cela que je l'interprète - le oui, parce que les Anglais avaient déjà dit: Nous ne négocierons jamais la souveraineté-association. Ils sont venus le dire aux Québécois. Ceux-ci ont dit: Nous autres, cela ne nous intéresse pas de créer une impasse. L'été s'annonce bien et, finalement, ils ont dit non.

Actuellement, il y a une impasse. Il y a une invasion des fédéraux dans les droits de la nation québécoise et je suis sûr que, si nous faisions un référendum demain matin, les Québécois dénoueraient l'impasse en faveur du Québec. Je suis même sûr que vous n'accepteriez pas de prendre la même position. À partir de cela, je dis: Nous sommes dans une situation d'urgence, d'impasse. Il y a une des deux impasses qui va triompher sur l'autre. Je m'explique. Les fédéraux, les fédéralistes de bonne foi, les Canadiens anglophones s'imaginent que l'indépendance du Québec, c'est une menace à l'intégrité et à la sécurité du territoire canadien et il faut en finir, un jour, avec des menaces de sécession de l'Alberta, du Québec, etc.

Pour eux autres, les indépendantistes, c'est une menace. Actuellement, nous, nous répondons: M. Trudeau, par son projet de rapatriement unilatéral, est une menace à l'endroit du Québec et, particulièrement, des indépendantistes. Laquelle des deux menaces va l'emporter sur l'autre? C'est sûr qu'il y en a une qui doit disparaître. Ou c'est la menace de l'indépendance qui triomphe, parce que M. Trudeau va réussir à imposer sa formule d'amendement et qu'il n'y aura plus d'indépendance possible, ou c'est l'indépendance qui fait disparaître la menace du rapatriement unilatéral qui blesse sérieusement la nation québécoise.

Je dis, à ce moment: Le gouvernement actuel a la légitimité de défendre la maison québécoise parce qu'il y a un pyromane qui s'apprête à mettre le feu et on n'a pas le temps de consulter les mineurs, les agriculteurs, les chauffeurs de taxis et dire: Êtes-vous d'accord pour qu'on sauve la maison, qu'on fasse venir les pompiers? Ils arriveraient le soir et ils nous blâmeraient et vous blâmeraient tous pour ne pas avoir sauvé les meubles. Dans cette situation, c'est le devoir de faire venir les pompiers

Je pense qu'à ce moment l'Opposition elle aussi est gardienne des droits de la société québécoise. Écoutez, vous êtes responsables des conséquences de ce projet. On ne peut pas demander à des chauffeurs de taxis ou des travailleurs ordinaires d'éplucher tout cela. Ils vont vous dire: Écoutez, on vous paie, vous êtes 110 professionnels du métier, on vous paie, défendez-nous. Si le feu prend, appelez les pompiers et après vous nous expliquerez pourquoi les pompiers ont fait du dommage. C'est dans ce sens que je dis qu'ils sont légalement au pouvoir pendant cinq ans, ils ont la légitimité de sauver et vous avez la légitimité de les appuyer dans les gestes qu'ils vont poser pour sauver la nation québécoise.

La Présidente (Mme Cuerrier): Plusieurs personnes m'ont demandé la parole.

M. Forget: J'ai encore un autre point, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député, nous reviendrons si nous avons encore du temps. Je vous accorderai la parole. J'ai déjà une longue liste. M. le chef de l'Union Nationale.

M. Le Moignan: Merci, madame. J'ai écouté M. Bertrand avec beaucoup d'intérêt et je remarque qu'il a consacré deux ou trois pages à évoquer certains anciens premiers ministres de l'Union Nationale, M. Bertrand et M. Johnson, en particulier. Je vais transmettre vos revendications à M. LaSalle. Quand vous parlez d'égalité des deux peuples fondateurs, je pense que nous avons toujours défendu cela depuis de nombreuses années, depuis Maurice Duplessis. Vous parlez du titre du volume de M. Johnson: Égalité ou

indépendance. Vous inversez des rôles, vous marquez: Indépendance et ensuite égalité. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous, mais je ne voudrais pas m'arrêter à discuter de cette dimension. (22 h 15)

Vous parlez beaucoup de brebis. Je vois que cela vous touche. Nous sommes tous également... Il y a quelques semaines, le 18 janvier, je crois, le dimanche de l'unité des chrétiens, il y a un texte d'Ézéchiel qui m'avait frappé et j'avais essayé de le mémoriser à cette époque. Je me suis dit: J'aurai besoin de m'en servir un jour, non pas quand je recontrerai M. Bertrand, mais peut-être que l'occasion se présentera. Le texte disait quelque chose comme ceci: "J'irai délivrer mes brebis dans tous les endroits où elles ont été dispersées par un jour de brouillard ou d'obscurité", quelque chose du genre. Vous vous référez à nos erreurs, d'après vous, de politique, les erreurs fédéralistes et vous dites que nos pauvres brebis ont besoin d'être récupérées une par une; je suis d'accord avec vous. Le jour de brouillard et d'obscurité, vous semblez le rattacher au référendum du 20 mai, c'est encore votre privilège. Mais il y a quelque chose qui me chicote dans votre texte, je voudrais vous poser une belle question tout à fait directe, c'est vous qui l'affirmez d'ailleurs, page 18. M. Forget a posé quelques questions tout à l'heure et vous n'étiez pas obligé de répondre. Étant donné que c'est vous qui l'écrivez, qu'arrivera-t-il si un véritable parti indépendantiste renaissait au lendemain de la loi constitutionnelle de 1980?

Je voudrais que vous me l'expliquiez un peu quand vous parlez d'un véritable parti indépendantiste qui pourrait sortir de terre. Pour vous, le Parti québécois, qui prône la souveraineté-association, si je comprends bien le sens de vos mots, n'est pas un véritable parti indépendantiste. Est-ce que vous aimeriez avoir à sa place un parti qui affiche réellement l'indépendance du Québec, qui ne veut pas retarder l'échéance à quatre ans ou à cinq ans, qui veut foncer dès demain matin ou dans les prochaines semaines, parce qu'il y a une élection générale qui s'en vient? Si je vous comprends, vous croyez à la nécessité d'avoir un véritable parti indépendantiste reconnu et qui l'affiche déjà aux élections provinciales. Est-ce votre pensée? Est-ce que je l'interprète mal?

M. Bertrand (Guy): C'est exact. Je pense qu'on est ici pour se dire la vérité et parler de nos inquiétudes. Je pense pouvoir parler au nom de la plupart des indépendantistes que j'ai rencontrés à travers la province, les jeunes, les moins jeunes et, tout récemment, à Rouyn-Noranda, la Société nationale des Québécois, le Mouvement national des Québécois. On a véritablement l'impression que ceux qui ont voté oui au référendum, c'est-à-dire 40% de la population totale ou, si vous voulez, 50% de francophones ne se sentent pas représentés; c'est-à-dire qu'il n'y a personne qui parle actuellement des indépendantistes, de ceux qui ont voté oui à la souveraineté. Pour moi, la souveraineté ou l'indépendance, ou la souveraineté-association ou l'indépendance, c'est la même chose.

On se dit: Pourquoi cette inquiétude? Si un véritable parti indépendantiste renaissait... Le Parti québécois peut renaître de ses propres cendres tel un phénix. Il est possible qu'un autre parti indépendantiste vienne au monde. Il est possible que l'Union Nationale - je le souhaite - s'interroge en fin de semaine sur ce qu'est la société québécoise et qu'elle-même accepte que l'indépendance, c'est une des voies possibles. Il est même possible que le Parti libéral opte, un jour, pour l'indépendance.

M. Rivest: Ne soyez pas inquiet, M. Bertrand.

M. Bertrand (Guy): M. le député de Jean-Talon, me permettez-vous, juste pour terminer avec la question du chef de l'Union Nationale? J'ai mis la main sur un magnifique volume, dans ma bibliothèque, L'humanité en marche. M. Ryan, le chef actuel de votre parti, a fait une analyse assez extraordinaire, depuis la conquête, de ce qu'est la société québécoise et, à la toute fin, à la page 40 - c'est très intéressant pour vous montrer que je ne désespère pas qu'un jour il réalise que l'indépendance, c'est la seule voie - voici ce qu'il disait: "Mais le malaise canadien ne sera pas résolu pour autant - il parlait, évidemment, des problèmes avec le Canada anglais et tout cela - il ne disparaîtra que le jour où les Canadiens français auront obtenu le genre d'association nouvelle qu'ils recherchent depuis la fin du dernier conflit mondial avec le Canada anglais. Plutôt, disait-il, que de renoncer à cet objectif qui leur a été jusqu'à maintenant refusé par leurs partenaires, ils choisiront probablement l'indépendance." C'est lui qui parle après avoir fait l'analyse.

M. Rivest: L'association dont M. Ryan parlait ne faisait qu'annoncer le livre beige.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député.

M. Morin (Louis-Hébert): Association, cela ne veut pas dire association.

M. Rivest: Cette association nouvelle évoquait le livre beige; c'est une préface au livre beige.

La Présidente (Mme Cuerrier): À

l'ordre!

M. Morin (Louis-Hébert): Oui, cela veut dire non. Non, cela veut dire oui.

Une voix: Très bien.

La Présidente (Mme Cuerrier): À l'ordre, s'il vous plaîtl Je vais accorder la parole maintenant...

M. Le Moignan: J'aurais une autre question, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Cuerrier):

Rapidement, monsieur.

M. Le Moignan: C'est toujours rapide, moi. M. Bertrand vient de dire que 41% des Québécois qui ont voté pour le oui désirent vraiment l'indépendance du Québec. M. Bertrand n'est pas sans savoir que, parmi ceux qui ont voté oui, il y a des membres de l'Union Nationale. Il y a également des membres en règle du Parti libéral qui ont voté oui parce qu'ils voyaient là, eux, un mandat de négocier et non pas un mandat de réaliser immédiatement l'indépendance du Québec. Alors, je pense que cela déplace vos chiffres.

M. Bertrand (Guy): Peut-être. Oui.

M. Le Moignan: Si je me base sur une étude d'un indépendantiste - je ne dis pas qu'il est le plus célèbre - il considère qu'il y a environ 15% de véritables indépendantistes au Québec. Alors, de 15% à 40%, il y a tout de même une petite marge. Cela peut toujours augmenter, les 15%, avec les années ou diminuer, je ne sais trop.

M. Bertrand (Guy): Les indépendantistes inconditionnels, positifs qui voient l'indépendance, évidemment, comme une solution pour le progrès surtout économique du Québec, on ne le sait véritablement pas, mais il y a aussi les indépendantistes si nécessaire, un peu comme M. Johnson l'était; je l'ai bien connu. Si nécessaire, on va faire l'indépendance, ça, je ne suis pas sûr qu'on ne serait pas majoritaire au Québec dans une situation comme celle qu'on connaît aujourd'hui. C'est sûr qu'on peut mettre en question les 41% à savoir si ce sont ceux qui optent pour l'indépendance si nécessaire ou nécessairement l'indépendance.

M. Le Moignan: Merci, on va en discuter en fin de semaine.

M. Bertrand (Guy): D'accord.

La Présidente (Mme Cuerrier): Nous sommes très près d'avoir terminé. M. le député de Rosemont, je vous accorderai la parole, mais le temps passe rapidement.

M. Paquette: Mme la Présidente, je pense que l'analyse que M. Bertrand fait du coup de force fédéral et de ses dangers, je l'endosse sans réserve, et je pense que le coup de force d'Ottawa est inacceptable, pour les raisons qui sont mentionnées là, et qu'il faut l'arrêter. Cependant, il y a un point sur lequel j'aimerais que vous précisiez votre pensée davantage. Vous dites, à la page 17: "L'indépendance du Québec est un acte nécessaire pour sauvegarder son avenir, mais le projet fédéral rend cette option impensable et irréalisable démocratiquement."

Vous nous avez expliqué tout à l'heure que c'était lié à la formule d'amendement. Est-ce qu'il n'est pas exact que dans la situation actuelle, sans la résolution fédérale, l'indépendance n'est réalisable que si Ottawa le veut bien et que Londres l'accepte?

M. Bertrand (Guy): C'est la question, M. Paquette?

M. Paquette: Oui.

M. Bertrand (Guy): Oui, l'indépendance est réalisable...

M. Paquette: Je parle sur le plan légal.

M. Bertrand (Guy): ... bilatéralement, parce qu'on sait qu'il y a trois façons de faire l'indépendance: unilatéralement, bilatéralement et par la violence. Or, la violence étant écartée en Amérique du Nord, au Québec - on sait pourquoi - il reste bilatéralement et unilatéralement. Dans la situation actuelle, le référendum a été un exercice quand même valable et positif parce qu'il nous a permis de connaître l'opinion de nos amis anglophones du Canada qui n'ont pas contesté la légalité du geste, qui ont dit: Si les Québécois veulent accéder à l'indépendance, veulent se séparer, c'est leur droit; nous, on pense qu'ils font mal, mais c'est leur droit.

Donc, l'exercice permet aux politiciens de s'exprimer, de dire: Vous avez le droit de le faire. Au milieu de l'exercice, il y a eu un résultat; on a été défaits, les partisans du oui, mais le résultat est là de sorte qu'on peut dire maintenant que, dans le contexte actuel, c'est faisable. Évidemment, je suis d'accord avec vous à savoir que, si Ottawa ne consent pas et décide d'utiliser son pouvoir d'urgence, ce n'est même plus possible bilatéralement, et vous avez raison. Pourquoi? Parce que la loi sur les mesures de guerre dit que si la sécurité de l'État canadien ou l'intégrité est atteinte, il y a une insurrection appréhendée. On pourrait toujours dire que cela menace l'intégrité et l'empêcher, mais l'exercice du mois de mai vient nous donner la réponse maintenant que

c'est possible de la faire démocratiquement, sans violence.

M. Paquette: Oui. Enfin, moi, ce qui m'intrigue, c'est que vous dites que le projet fédéral rendrait l'indépendance irréalisable démocratiquement et, comme remède à cela, vous proposez de la faire unilatéralement.

Je pense que dans un cas comme dans l'autre, avant comme après la résolution Trudeau, face à ce problème, on est pas mal sur le même plan. C'est le seul aspect de votre critique.

M. Bertrand (Guy): D'accord.

M. Paquette: Je pense que cela infirme pas mal, à ce moment, les moyens que vous proposez pour répondre au coup de force fédéral.

M. Bertrand (Guy): Si vous me permettez, Mme la Présidente, pour répondre à la question de M. Paquette, tout État démocratique qui se donne un code de procédure d'amendement doit le respecter. Or, actuellement, il n'y a pas de code de procédure d'amendement. Trudeau en propose un qui voudrait que, dorénavant, non seulement le consentement d'Ottawa soit nécessaire, mais celui des provinces et, particulièrement, il y a au-dessus de tout cela un référendum pancanadien, alors que dans la situation actuelle, il n'y a pas cela. Et, comme nous avons été forcés - je dis bien forcés, c'est mon opinion personnelle -d'accepter la cinquième constitution, celle de 1867, qui découle d'une conquête militaire, nous ne sommes pas gênés pour dire, comme nation, comme peuple: Nous voulons accéder à l'indépendance, parce que votre constitution, juridiquement, peut-être que le Canada c'est notre pays, parce qu'on nous l'a imposé, mais dans les faits, de facto, ce n'est pas vrai que notre pays, c'est le Canada. Le seul coin de terre du monde qui nous appartienne, c'est le Québec.

Alors, ce n'est pas gênant de dire: Nous voulons faire l'indépendance dans le contexte actuel, mais cela sera gênant et drôlement emmerdant, si vous me permettez l'expression, juridiquement que d'avoir un code de procédure où on serait obligé de regarder les articles, pour dire: Maintenant, il faut le consentement de l'Ontario et faire du lobbying. On ne l'a pas, allons voir les provinces de l'Ouest, des Maritimes, etc. Donc, c'est de se créer des embêtements que nous n'avons pas actuellement.

M. Paquette: Mais n'est-il pas exact qu'à ce moment, dans votre perspective, on pourrait le faire tout aussi bien après la résolution Trudeau qu'avant. Si le peuple québécois le décidait démocratiquement, lors d'un référendum, par exemple, le gouvernement du Québec serait autorisé autant après la résolution Trudeau qu'avant...

M. Bertrand (Guy): Non.

M. Paquette: ...à faire l'indépendance unilatéralement, si tel est le désir de la population.

M. Bertrand (Guy): Non, parce que sur le plan...

M. Paquette: C'est comme cela que je définis l'indépendance démocratique, mais quel est votre point de vue?

M. Bertrand (Guy): Je dis non parce que, légalement, les adversaires de l'indépendance seraient justifiés d'utiliser le code de procédure d'amendement pour aller devant les tribunaux et dire: Pour faire l'indépendance, qui est la récupération des pouvoirs de l'article 91, c'est d'obtenir...

M. Paquette: Ils le peuvent maintenant aussi.

M. Bertrand (Guy): ...le consentement de l'Ontario et des autres provinces. La Cour suprême sera obligée de dire: Messieurs, vous étiez de grands enfants en 1981 quand vous avez signé le document, la procédure d'amendement ou quand le Parlement de Westminster a décidé que c'était légal, vous avez accepté de jouer le jeu. Nous l'avons joué jusqu'à maintenant; tellement, M. Paquette, que, quand la Cour suprême a décidé que la loi 101, au niveau de la langue, devant l'Assemblée nationale et les tribunaux, était illégale et inconstitutionnelle, on a été obligé de traduire toutes les lois et aujourd'hui, devant les tribunaux, on peut utiliser la loi. On sera obligé de la respecter.

On ne peut pas empêcher le Parti libéral d'utiliser le précédent d'aller devant les tribunaux pour contester le fait qu'on ne respecte pas le Code de procédure. Je comprends que, théoriquement, ce que vous voulez dire, c'est que, si le peuple a parlé, tout le monde devrait se soumettre, mais, tant qu'il y aura des tribunaux, cela ne se passera pas comme cela.

La Présidente (Mme Cuerrier): Nous avons dépassé le temps qui était alloué.

M. Rivest: Consentement pour quelques minutes.

Des voix: Consentement.

M. Morin (Louis-Hébert): On consent à ce que M. Marx pose une question, pourvu que ce soit une question intelligente.

M. Paquette: J'ai une autre question, Mme la Présidente.

M. Morin (Louis-Hébert): Ah, bon!

La Présidente (Mme Cuerrier): Rapidement, M. le député de Rosemont. Je donnerai la parole ensuite, pour une courte question, au député de D'Arcy McGee.

M. Paquette: Mme la Présidente, c'est simplement un commentaire pour terminer. Je pense que cette analyse - on est un peu en désaccord là-dessus - fait en sorte que le coup de force d'Ottawa est inacceptable, mais que les moyens choisis jusqu'à maintenant sont proportionnés à l'attaque qui est faite. Je ne pense pas qu'il y ait négation, dans l'absolu, du droit à l'autodétermination du Québec pour l'avenir et je pense que les moyens légaux qui ont été pris, les pétitions - j'ai fait du porte-à-porte en fin de semaine dernière dans mon comté - ne sont pas simplement un moyen futile; c'est un moyen de sensibilisation de la population, la publicité également, à tel point qu'aujourd'hui, on a manifestement une majorité de la population contre le coup de force d'Ottawa, ce qui le rend antidémocratique parce qu'il n'est pas accepté par la majorité de la population. Sur cette base, je pense qu'on a choisi les moyens adéquats. Je suis en désaccord avec vous là-dessus.

M. Bertrand (Guy): Je respecte...

M. Paquette: Je respecte votre idée également.

M. Bertrand (Guy): J'ai signé la pétition, mais je continue à croire qu'une pétition est l'arme de ceux qui n'ont pas de pourvoir; en d'autres mots, c'est l'arme des faibles. Quand on n'est pas au pouvoir, qu'est-ce qui nous reste avant d'être dépouillé? C'est de vous supplier de ne pas nous dépouiller par des pétitions. Quand on a le pouvoir, il me semble qu'il y a d'autres moyens.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: J'ai lu attentivement le mémoire du témoin que j'ai trouvé fort original. Je pense que tous les membres de la commission l'ont trouvé fort original. J'aimerais rappeler, avant de poser ma question, que le Parti libéral du Québec trouve inacceptable le projet de résolution sur la constitution. Nous l'avons dit dès le début et même avant dans notre livre beige. J'aimerais rappeler au ministre des Affaires intergouvernementales que c'est le chef du Parti libéral du Québec qui a été le premier à demander au gouvernement de soumettre la légalité de ce projet de résolution aux tribunaux. Donc, le Manitoba l'a fait, le Québec et ainsi de suite. (22 h 30)

J'aimerais poser des questions assez techniques étant donné que le témoin est avocat. Premièrement, vous avez écrit que l'article 6 du projet fédéral va mettre fin au régime du français au travail et qu'il est discriminatoire pour les travailleurs québécois. Ce qui m'a beaucoup surpris dans votre mémoire, c'est que ce sont des affirmations sans référence à la jurisprudence, sans référence aux revues juridiques, sans référence aux livres juridiques, etc. Ce sont seulement des affirmations. Je pense que j'ai même trouvé ces mêmes affirmations dans un discours que le ministre de la Justice a fait le 20 novembre 1980 et, à cette époque, le ministre de la Justice a dit que son ministère avait complété une étude exhaustive de l'ensemble des lois et règlements du Québec qui pourraient être affectés par le projet fédéral. À maintes reprises, j'ai demandé au ministre de la Justice de déposer son étude. Il ne l'a jamais déposée. Mais, le 18 ou le 19 décembre 1980, le leader du gouvernement a pris un engagement solennel que cette étude serait déposée avant que cette commission siège aujourd'hui. L'étude n'a jamais été déposée et je vous demande, Mme la Présidente, de vérifier pourquoi le leader n'a pas tenu sa parole.

Sur cet article 6, j'ai fait une étude qui a été publiée dans le Devoir le 27 novembre 1980, qui s'intitulait "L'article 6 de la charte fédérale des droits, l'interprétation péquiste est outrancière". Dans mon étude, j'ai fait état de la jurisprudence, j'ai donné des références, etc. Je vous demande si vous avez quelque chose pour appuyer vos affirmations que j'ai lues au début de votre intervention.

Ma deuxième question porte sur la loi sur les mesures de guerre. Même avant 1970, j'ai écrit des articles pour dénoncer la loi sur les mesures de guerre et comme vous, en octobre 1970, j'ai dénoncé sur la place publique, dans les journaux, la mise en application de cette loi.

Vous avez écrit, à la page 8 de votre mémoire: Le projet fédéral est inacceptable parce qu'il donne priorité à la loi sur les mesures de guerre sur la Charte des droits. J'aimerais suggérer - et demander votre opinion, bien sûr - que la dernière version de l'article 1 du projet fédéral restreint plutôt la mise en application de la loi sur les mesures de guerre. Aujourd'hui, si le fédéral met en application la loi sur les mesures de guerre, c'est aux détenus de prouver qu'il n'y a pas d'état d'urgence. En vertu de l'article 1 du projet fédéral, ce serait au gouvernement fédéral de prouver que l'état

d'urgence existe. Cela veut dire qu'il y a un renversement du fardeau de la preuve. Donc, je dirais que l'article 1 du projet fédéral est plus protecteur des droits de la personne, surtout en ce qui concerne la loi sur les mesures de guerre.

Pour résumer mes questions et pour les préciser, est-ce que vous avez des arguments pour appuyer vos affirmations en ce qui concerne l'article 6 du projet? J'aimerais avoir votre opinion à nouveau en ce qui concerne l'article 1 et la loi sur les mesures de guerre.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. Guy Bertrand.

M. Bertrand (Guy): Tout le monde sait que c'est en vertu d'un article de la constitution pour le maintien de l'ordre, la paix et le bon gouvernement qu'on a fait la loi sur les mesures de guerre. M. Chrétien, dans son annexe B, ou le gouvernement central, dit, en ce qui concerne la charte: "Ils ne peuvent - en parlant des droits et libertés - être restreints que par une règle de droit dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans les cadres d'une société libre et démocratique." À la toute fin de son projet, à l'article 52, il dit que la constitution du Canada est loi suprême du Canada.

Comme il n'y a pas de disposition concernant la loi sur les mesures de guerre, il faut donc prendre la loi telle qu'elle est, telle qu'elle a été appliquée en 1970 - elle n'a pas été modifiée, que je sache, depuis ce temps - prendre la constitution actuelle et, dans le cadre d'une société libre et démocratique, une société libre et démocratique a le droit d'utiliser un pouvoir d'urgence, et il n'a pas été modifié dans le texte de M. Chrétien, ni dans les amendements. C'est dans ce sens que je pense...

M. Marx: Mais le fardeau de la preuve est renversé. Comme avocat, vous savez que c'est fort important.

M. Bertrand (Guy): Oui, c'est vrai. Je vous avoue que l'opinion que vous avez émise, j'y ai réfléchi, de même que sur ce que vous avez écrit dans le Devoir, le 27 novembre 1980, concernant la liberté d'établissement et de circulation. J'y ai réfléchi avec un professeur également de l'Université Laval. Personnellement, je n'étais pas d'accord - je ne parlerai pas pour lui -mais si j'étais l'avocat d'un anglophone qui venait me voir pour me dire que, en vertu de l'article 6, on lui dit qu'il a le droit de gagner sa vie dans toute province au Canada et qu'il me disait: Moi, je suis brimé parce qu'il y a une loi au Québec qui dit que je dois apprendre le français, parce que je suis un professionnel, etc., je suis convaincu qu'en vertu de cette loi, liberté de circulation de gagner sa vie, je plaiderais que ce bonhomme n'a pas à apprendre le français pour gagner sa vie, parce que ce serait discriminatoire.

Si lui croit qu'il sert une clientèle anglophone et qu'il n'a pas à utiliser la langue de la majorité au Québec, je plaiderais que c'est discriminatoire de le forcer à apprendre le français. Vous plaideriez le contraire et cela ferait un joli débat devant le juge.

M. Marx: Me Bertrand, comme avocat, vous comprenez que tout se plaide.

M. Bertrand (Guy): C'est sûr.

M. Marx: Tout ne se gagne pas, mais tout se plaide.

Tout ce que je peux vous dire, c'est que dans l'état actuel du droit au Canada tout citoyen canadien et toute personne qui se trouve au Canada a le droit de s'établir n'importe où au Canada, partout au Canada. Vous pouvez aller à Vancouver. Cela veut dire que l'article 6 ne fait que répéter, en quelque sorte, l'état du droit actuel au Canada.

M. Bertrand (Guy): On dit de gagner sa vie. Si moi je suis un anglophone, je ne sais pas un traître mot de français, je plaide devant la Cour, je ne peux pas gagner ma vie, parce que je ne connais pas le français, cela devient discriminatoire. C'est dans ce sens que je dis que c'est inacceptable, parce que...

M. Marx: Je vais vous lire de la jurisprudence canadienne qui date - c'est la dernière lecture...

La Présidente (Mme Cuerrier): ... M. le député de D'Arcy McGee.

Une voix: Vous êtes trop bonne.

M. Marx: ...j'ai attendu toute la journée pour lire cette jurisprudence et cela peut être utile - comme le député ministériel l'a dit, il a appris des choses aujourd'hui. C'est un extrait de l'arrêt Winner qu'on retrouve dans les arrêts de la Cour suprême du Canada 1951, à la page 919, où le juge Rand écrivait: "Une province ne peut, en le privant des moyens d'y travailler, forcer un Canadien à quitter son territoire. Elle ne peut le dépouiller de son droit ni de sa capacité d'y séjourner et d'y travailler. Cette capacité constitue un élément inhérent à son statut de citoyen et est hors de portée d'une action provinciale visant à l'annuler." Je pense que c'est clair. Si vous ne voulez pas prendre ma parole, le juge Rand l'a bien

dit et je l'ai bien traduit en français.

La Présidente (Mme Cuerrier): M.

Bertrand, si vous manifestez l'intention d'intervenir de nouveau, ce sera la dernière intervention. Cela va? Je pensais que vous aviez à répliquer è M. le député de D'Arcy McGee.

M. Bertrand (Guy): II ne faudrait quand même pas se tirer de la jurisprudence. Je n'en ai pas, je n'ai pas étudié ce point particulier. Je respecte cette décision de la Cour suprême, mais, comme vous le savez, comme avocat, toutes les décisions peuvent être modifiées. C'est pour cela qu'il y a des avocats. S'il fallait s'accrocher à des décisions des tribunaux qui seraient immuables, ce serait triste pour notre métier.

La Présidente (Mme Cuerrier): II ne me reste plus qu'à vous remercier, Me Guy Bertrand, pour votre participation & la commission parlementaire. Je rappellerai à la commission que, demain, nous entendrons l'Alliance des professeurs de Montréal, l'Association des anglophones de l'Estrie, le Mouvement Québec français, M. Jacques-Raymond Carrier, la Société nationale des Québécois de Lanaudière, M. Hubert Gauthier, M. Paul de Bané, l'Association du Labrador québécois.

Sur ce, cette commission de la présidence du conseil...

M. Marx: Question de règlement. J'aimerais savoir si le ministre des Affaires intergouvernementales est ici.

M. Morin (Louis-Hébert): Certainement.

M. Marx: Le ministre Bédard a promis de déposer cette étude sur le projet fédéral. C'est une promesse qu'il a faite ou elle a été faite en son nom par le leader du gouvernement. J'aimerais savoir si cette étude sera déposée demain. Je sais que le ministre de la Justice est à Ottawa aujourd'hui pour une rencontre avec d'autres de ses collègues, mais j'aimerais le savoir. Cette étude a été promise depuis des mois. Est-ce que les promesses du gouvernement valent quelque chose ou si ce sont des promesses vides?

M. Rivest: Non, elles ne valent rien.

M. Morin (Louis-Hébert): En ce qui nous concerne, comme les gens le savent, quand nous nous engageons à quelque chose, nous le faisons. En ce qui concerne cette étude, je ne sais pas à quel moment elle sera déposée. Je m'informerai au ministre de la Justice dès que je le verrai. Je ne sais pas s'il est membre de la commission, d'ailleurs.

M. Marx: Oui, mais le leader du gouvernement a dit que ce serait déposé dès aujourd'hui ou même avant aujourd'hui, et cela n'a pas été déposé.

M. Morin (Louis-Hébert): II a dit cela? M. Marx: Oui, il a dit cela.

M. Morin (Louis-Hébert): Ah! C'est la première nouvelle que j'en ai.

M. Marx: Est-ce que vous pouvez vérifier, M. le ministre?

La Présidente (Mme Cuerrier): Votre message est passé, M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Oui.

La Présidente (Mme Cuerrier): La commission de la présidence du conseil et de la constitution ajourne ses travaux à demain matin, 10 heures.

(Fin de la séance à 22 h 43)

Document(s) associé(s) à la séance