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Version finale

40e législature, 1re session
(30 octobre 2012 au 5 mars 2014)

Le lundi 26 août 2013 - Vol. 43 N° 47

Consultations particulières et auditions publiques sur le document intitulé : « Document de consultation sur la réglementation du prix de vente au public des livres neufs imprimés et numériques »


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Table des matières

Auditions (suite)

Conseil canadien du commerce de détail (CCCD)

Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ)

Société de développement des entreprises culturelles (SODEC)

Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BANQ)

Institut économique de Montréal (IEDM)

Intervenants

Mme Lorraine Richard, présidente

Mme Dominique Vien, vice-présidente

M. Maka Kotto

M. Daniel Breton

M. Émilien Pelletier

Mme Nicole Ménard

Mme Nathalie Roy

M. Sylvain Roy

*          Mme Nathalie St-Pierre, CCCD

*          M. Jean-Guy Côté, idem

*          M. Stéphan La Roche, CALQ

*          M. Alain Filion, idem

*          M. Michel Biron, idem

*          M. François N. Macerola, SODEC

*          Mme Doris Girard, idem

*          Mme Manon Trépanier, idem

*          M. Gilles Corbeil, idem

*          M. Guy Berthiaume, BANQ

*          Mme Hélène Roussel, idem

*          M. Michel Kelly-Gagnon, IEDM

*          M. Youri Chassin, idem

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Quatorze heures sept minutes)

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît! Bonjour, chers collègues. Mesdames messieurs, bonjour. Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission de la culture et de l'éducation ouverte. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.

Le mandat de la commission est de poursuivre les auditions publiques dans le cadre des consultations particulières sur le document intitulé Document de consultation sur la réglementation du prix de vente au public des livres neufs imprimés et numériques.

Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?

La Secrétaire : Oui, Mme la Présidente. Mme Charbonneau (Mille-Îles) sera remplacée par Mme Ménard (Laporte).

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. À l'ordre du jour, cet après-midi, nous entendrons : le Conseil canadien du commerce de détail; le Conseil des arts et des lettres du Québec; la Société de développement des entreprises culturelles, la SODEC; Bibliothèque et Archives nationales du Québec; et nous terminerons avec l'Institut économique de Montréal.

Auditions (suite)

Et nous recevons, dans un premier temps, le Conseil canadien de commerce de détail. Bonjour, Mme St-Pierre, M. Côté, bienvenue à l'Assemblée nationale. Je crois que, M. Côté, vous êtes un habitué, vous connaissez donc les règles de l'Assemblée nationale pour ce qui est des auditions. Vous allez avoir un temps maximal de 10 minutes pour nous faire votre exposé. Par la suite suivra un échange avec les différents groupes parlementaires. La parole est à vous.

Conseil canadien du commerce de détail (CCCD)

Mme St-Pierre (Nathalie) : Alors, Mme la Présidente, M. le ministre, Mmes et MM. les députés, nous vous remercions de cette invitation qui nous permet de discuter avec vous de cet important sujet. Alors, comme vous l'avez dit, je suis Nathalie St-Pierre, vice-présidente pour le Québec du Conseil canadien du commerce de détail, et je suis accompagnée de Jean-Guy Côté, qui est le directeur des affaires publiques et des relations gouvernementales.

Fondé en 1963, le conseil a pour mission d'être la voix des détaillants et regroupe près de 45 000 établissements dont plus du quart sont au Québec. Il est aussi la voix des distributeurs en alimentation. Il s'agit d'une des plus grandes associations sans but lucratif, financée par l'industrie, regroupant tous les types de détaillants, des grands magasins nationaux, régionaux, magasins grand public, chaînes spécialisées, magasins indépendants, commerçants en ligne. Depuis 2013, l'Association canadienne des libraires est l'un de nos membres.

• (14 h 10) •

D'entrée de jeu, nous voulons que cela soit clair, nous croyons que la prospérité de l'ensemble de l'industrie du commerce de détail repose sur la santé et le bien-être des détaillants indépendants. La plupart des grands détaillants pourraient en témoigner, la diversité des commerces et la présence d'un large éventail de détaillants indépendants contribuent au maintien du dynamisme et de la compétitivité de notre industrie. D'ailleurs, les grands succès québécois dans le secteur du commerce de détail ont généralement débuté par l'ouverture de magasins indépendants qui, poussés par l'innovation et par la créativité, ont pu grandir et devenir les entreprises que nous connaissons aujourd'hui.

Nous reconnaissons que la santé économique des librairies du Québec est fragile et qu'il est nécessaire que tous les acteurs du milieu trouvent des solutions favorisant l'accès à un assortiment diversifié de livres partout au Québec. Toutefois, nous sommes contre la mesure qui semble faire l'objet principal de la discussion de la commission, soit la réglementation du prix de vente au public des livres neufs imprimés et numériques, puisque nous sommes d'avis que le débat de la survie des libraires indépendantes est beaucoup plus vaste. La mesure proposée n'est pas la solution appropriée puisqu'elle ne protégera pas les librairies contre les tendances lourdes du marché.

Les changements dans les habitudes de consommation ne font pas facilement l'objet de réglementation, et, comme nous sommes des observateurs privilégiés des grandes tendances du commerce de détail, nous aimerions en partager quelques-unes avec vous aujourd'hui.

L'industrie du livre, distincte en ce qui concerne la valeur culturelle de ses produits, est soumise, sur le plan économique, aux mêmes impératifs qui prévalent au sein de l'industrie du commerce de détail en général. Tous sont confrontés à de nouveaux modes de consommation, à un marché de plus en plus concurrentiel et à des consommateurs endettés et peu fidèles. L'évolution des consommateurs est à la base de ces transformations et cette évolution repose sur plusieurs facteurs, dont, premièrement, une situation économique qui mène à des changements importants dans le profil des consommateurs. L'endettement, l'incertitude économique forcent les ménages à tenir davantage compte du rapport qualité-prix des produits qu'ils achètent. Dans ce contexte, les détaillants se voient dans l'obligation d'offrir des prix de plus en plus compétitifs s'ils désirent demeurer concurrentiels au sein de l'industrie. Dans certains secteurs, comme, par exemple, dans celui de l'alimentation, on estime que, dès 2017, 50 % des ventes seront faites, au Québec, dans les magasins à escompte.

Un deuxième facteur important, c'est l'émergence des nouvelles tendances et des nouveaux modes deconsommation, qui ont des impacts que nous commençons à peine à comprendre. On parle donc des nouvelles technologies. Nous savons tous qu'elles jouent un rôle capital aujourd'hui dans le comportement du consommateur. Le téléphone intelligent, les médias sociaux, le commerce électronique sont en train de révolutionner le commerce de détail. Ces nouvelles technologies ont un impact direct sur les connaissances des consommateurs, qui accèdent dorénavant à une information à une rapidité incroyable et très facilement.

Les détaillants doivent s'adapter, car aujourd'hui le consommateur a fait ses recherches, a fait ses devoirs. Il peut se présenter en magasin pour vérifier un produit et choisira de ne pas l'acheter en magasin puisqu'il peut avoir accès à des rabais en ligne. Il peut même ne pas les acheter au Québec; il peut aussi s'approvisionner à l'extérieur. Il peut également, avec les nouvelles technologies, avoir accès à des rabais qui lui sont envoyés directement sur son téléphone et donc pourrait avoir visité un commerçant pour finalement décider d'aller acheter chez un autre commerçant. À la recherche de rabais, le consommateur n'a pas de fidélité.

Troisièmement, les détaillants doivent répondre à une clientèle qui recherche efficacité et optimisation de leur temps. Le consommateur préfère donc effectuer le plus d'achats possible au même endroit plutôt que de se déplacer à plusieurs reprises pour faire différents achats.

Ainsi, les plus grandes difficultés auxquelles font face les détaillants, incluant les libraires, pour ce qui est de satisfaire les exigences des consommateurs, sont des clients qui sont économes, qui ne veulent pas dépasser leurs budgets, une clientèle qui est de plus en plus difficile à satisfaire et qui est difficile à fidéliser.

La question que doit se poser la commission est la suivante : Est-ce qu'une législation ou une réglementation qui fixe les prix des nouveautés va protéger les librairies de ces grandes tendances? Nous sommes d'avis que non. L'érosion des parts de marché des librairies au profit des grandes surfaces — et on en a beaucoup entendu parler, et je pense que la commission est juste dans son appréciation, dans le document — n'est pas vraie; les parts de marché ont augmenté dans les librairies à succursales et non pas nécessairement dans les grandes surfaces. Mais on constate également qu'il y a d'autres points de vente qui émergent et qui accaparent une part de marché de plus en plus grande, et on parle ici de joueurs qui sont non spécialisés dans la vente de livres, tels que les grands magasins, les papeteries, les animaleries, etc., bien que cette catégorie demeure encore un joueur marginal sur le marché. Il faut aussi tenir en compte le commerce électronique, le commerce en ligne. Même si le phénomène reste encore marginal au Québec, il n'en demeure pas moins que les gens achètent de plus en plus par Internet. Le CEFRIO parle de 19 %, la proportion des cyberacheteurs qui ont effectué des achats dans la catégorie Livres, revues et journaux.

Et que dire des livres numériques, qui peuvent être achetés en ligne sans que le consommateur ne mette les pieds dans un commerce? On l'a lu ce matin d'ailleurs dans La Presse, que c'est un secteur qui se considère très actif et qui veut continuer d'offrir des services aux consommateurs. On peut donc présumer que les achats en ligne de livres papier ou numériques seront en augmentation dans les prochaines années. Le milieu du livre n'est donc pas le seul à subir ces transformations; c'est l'ensemble de l'industrie du commerce de détail qui les subit. Et donc le conseil est d'avis que les solutions retenues doivent aussi se faire en tenant compte de ces transformations, des modifications dans le profil du consommateur pour qu'elles soient durables.

Réglementer le prix n'est pas une solution durable, à notre avis. Elle réduira la demande, et affirmer le contraire, c'est ignorer les principes de base de l'économie de marché et les tendances actuelles. Il est assez clair pour nous que le prix demeure une variable d'importance dans la décision du consommateur. Augmenter le prix du livre va réduire la demande. Bien sûr, elle ne réduira pas les achats dans les librairies qui n'offrent pas de rabais, mais les ventes de livres à rabais ne seront sans doute pas toutes remplacées par des ventes à plein prix. En fait, si le prix augmente dans les grandes surfaces, c'est le consommateur qui achètera moins ou n'achètera plus dans ces endroits, car il achète souvent de façon impulsive parce que l'offre se présente à lui. Nous sommes donc d'avis qu'il y aura des conséquences sur le nombre de livres vendus et donc des impacts négatifs sur l'ensemble de l'industrie.

Par ailleurs, ce n'est pas parce que le prix sera le même partout que la conséquence directe sera de déplacer les consommateurs qui achètent dans les grandes surfaces vers les librairies indépendantes. Un client d'une grande surface, d'une librairie à succursales ou d'une boutique non spécialisée n'ira pas automatiquement acheter ses livres chez un libraire indépendant à la suite de l'établissement d'un prix. Il faut tenir compte des préférences actuelles desconsommateurs, qui, comme nous l'avons dit, aiment pouvoir effectuer l'achat de différents produits aux mêmes endroits. En ce sens, donc, la hausse des prix est peu susceptible de se traduire par une affluence accrue chez les librairies indépendantes.

De plus, la commission doit également songer au déplacement des ventes vers le commerce en ligne, ou vers d'autres provinces, ou aux États-Unis. Malgré tous les efforts, il sera difficile pour le gouvernement de surveiller à un coût raisonnable toutes les portes d'entrée et de contrôler les achats électroniques, ou postaux, ou les achats faits de l'autre côté des frontières ou dans les autres provinces.

Le conseil ne croit pas que l'imposition d'une réglementation sur le prix des livres est la solution, car celle-ci aura des effets imprévus et néfastes et ne pourra pas réellement contribuer à résoudre les problématiques auxquelles font face les librairies. Considérant les changements profonds des comportements des consommateurs, influencés par ledéveloppement rapide des nouvelles technologies, le conseil pense que le gouvernement doit continuer de moderniser les outils existants afin qu'ils tiennent compte des changements profonds qui surviennent dans le commerce de détail. Un prix de vente réglementé irait à contre-courant des objectifs déclarés de la législation sur le livre en place au Québec, qui est d'assurer l'accessibilité économique du livre en prévoyant un soutien financier pour les entreprises québécoises répondant à des conditions d'agrément, et ce, dans le but de maintenir le livre québécois à un prix acceptable pour les consommateurs. Nous vous remercions de votre attention. Merci.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci beaucoup, Mme St-Pierre. M. le ministre, vous avez la parole pour débuter les échanges.

• (14 h 20) •

M. Kotto : Merci, Mme la Présidente. Mme St-Pierre, M. Côté, soyez les bienvenus, et merci pour la contribution que vous apportez à cette commission. C'est une question — ma foi, vous l'avez sans doute remarqué depuis le début des travaux — qui polarise, entre notamment les tenants de la loi sur le prix plancher des livres neufs, numériques ou physiques, et les opposants. Je vous ai écouté attentivement, j'ai parcouru rapidement votre mémoire. Vous disiez, à la page 6 de votre mémoire, deuxième paragraphe, en haut, je résume, en fait, que la concurrence par les grandes surfaces est un mythe. Pourquoi dites-vous cela?

Mme St-Pierre (Nathalie) : En fait, ça a été un sujet qui a été abordé abondamment, là, que ce soit à cette commission ou précédemment, et on voit, d'une part, que les grandes surfaces n'ont pas augmenté en termes de parts de marché. Au contraire, les parts de marché dans les grandes surfaces ont diminué. On voit également que ce sont… Les parts de marché ont augmenté dans les librairies ayant plusieurs succursales, et donc… Et, aussi, on a compris, dans les discussions qui ont eu cours pendant la commission, qu'il n'y a pas de guerre de prix entre les librairies et les grandes surfaces et qu'ils ont donc leurs spécialités, si on veut, et donc on pense que la concurrence par les grandes surfaces est un mythe.

M. Kotto : Disposez-vous d'une information fine sur les parts de marché, justement? Si oui, est-ce que vous pouvez nous dire exactement ce qu'il en est des parts de marché relatives aux livres neufs et, notamment, aux best-sellers?

Mme St-Pierre (Nathalie) : Vous voulez dire : Dans les grandes surfaces?

M. Kotto : Oui.

Mme St-Pierre (Nathalie) : Est-ce que tu as les chiffres?

M. Côté (Jean-Guy) : Je pense, pour le best-seller, je ne saurais pas vous dire. Si je peux le prendre, peut-être, en délibéré, mais…

M. Kotto :

M. Côté (Jean-Guy) : …sur le best-seller particulier, là, il faudrait que je regarde en… Je vais le prendre en délibéré, mais, sur les parts de marché, la question fondamentale qu'on a posée à nos membres, c'est : Est-ce le même type de consommateur qu'on voit dans les grandes surfaces ou dans les librairies indépendantes? La réponse que nos membres nous ont communiquée, c'est non.

M. Kotto : O.K. Donc, vous n'avez pas de données sur les meilleurs vendeurs, disons ça comme ça. Mais, quand arrive sur le marché un livre à succès, avez-vous pris la mesure du comportement du client entre le choix d'aller à côté, à la librairie, dans la librairie indépendante, pour se procurer ce livre et le choix d'aller, je ne sais pas, dans une grande surface que je ne nommerai pas? Est-ce que c'est une mesure que vous avez prise?

Mme St-Pierre (Nathalie) : Bien, en fait, la mesure, c'est que le consommateur qui consomme dans les grandes surfaces, en matière de livres, ce sont plus des achats impulsifs. Donc, ces achats-là pourraient possiblement être perdus si le prix du livre augmentait, puisqu'il pourrait décider que ça ne cadre plus dans leur budget, alors que les achats qui sont faits sont plutôt faits lorsque l'offre se présente à eux dans les grandes surfaces.

Alors, c'est pour ça que, dans les sondages qui ont été faits auprès des consommateurs… Et on aura un de nos membres, là, qui va témoigner devant la commission, qui aura des expériences et on ne veut pas donner ses constats, mais qui pourra vous présenter, après avoir discuté avec ses clients, le point de vue beaucoup plus fin, là, du comportement du consommateur lorsqu'il achète dans les grandes surfaces.

M. Kotto : O.K. Vous savez, dans les grandes surfaces, généralement, il y a comme un abonnement, il y a un membership, il y a… On dispose d'une carte, par exemple, pour aller acheter chez Costco et on développe des habitudes. On se dit : Quand sortira, je ne sais pas, moi, tel disque, tel livre ou tel article, disons, attendu, on ira là parce qu'on sait d'avance que ça coûtera moins cher et donc on n'aura pas… Ce n'est pas si impulsif que ça comme achat. C'est à ça que je veux arriver.

Il y a une fidélisation qui sert l'intérêt de la grande surface versus la librairie à côté de la maison, qui peine à arriver à cause du dumping qui se fait. Le facteur fidélisation, est-ce que vous l'avez pris en compte quand vous parlez d'achats impulsifs?

Mme St-Pierre (Nathalie) : Tout à fait. Comme nous l'avons mentionné, la fidélité des consommateurs est très peu présente, en général, et ça demande excessivement… beaucoup d'efforts pour pouvoir fidéliser les consommateurs dans le contexte actuel où les gens cherchent à avoir le meilleur prix pour les produits qu'ils consomment.

Alors, ça, c'est une façon. Il y a d'autres grandes surfaces qui n'ont pas cette façon de faire, qui n'ont pas de cartes de membre et qui fidélisent leur clientèle par simplement l'offre de bas prix. Mais l'achat du livre reste quand même un achat qui est beaucoup plus impulsif. On va d'abord et avant tout dans les grandes surfaces pour se procurer des biens qu'on consomme à grande échelle, si vous voulez.

M. Kotto :O.K. Donc, si je vous entends bien, la fidélisation est un facteur insignifiant relativement au choix que fera le consommateur quand viendra le temps d'aller acheter un livre qui est un livre à succès, en somme. C'est ça, c'est ce que vous dites, là.

Mme St-Pierre (Nathalie) : En fait, c'est un énorme défi. Et effectivementje pense que tout le monde,à ce moment-ci... Et c'est ce qu'on disait, les tendances sont à tenter de fidéliser le plus possible la clientèle, mais que c'est très difficile.

M. Kotto : Vous dites : Augmenter le prix du livre va réduire la demande. C'est un impact mesuré ou virtuel ?

Mme St-Pierre (Nathalie) : C'est un impact qui a été mesuré par certains de nos membres, qui, dans certaines transactions, pendant une période de temps, ont dû mettre les livres plus chers. Et, lorsqu'ils ont pu négocier des prix plus avantageux et qu'ils ont réduit le même livre, les ventes ont augmenté de façon phénoménale. Donc, c'est vraiment vérifié.

M. Kotto : Et... Non, je m'arrêterai là pour l'instant. Je vais laisser mes collègues continuer.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. M. le député de Sainte-Marie—Saint-Jacques.

M. Breton : Oui, merci, Mme la Présidente. Bonjour, chers collègues. Bonjour, je suis très heureux de vous entendre, je trouve ça très intéressant, ce que vous dites. J'ai quelques questions pour vous, parce que vous avez parlé de consommateurs qui misent de plus en plus sur un rapport qualité-prix rehaussé, d'après ce que vous semblez dire. Et vous avez dit aussi qu'il y avait une tendance lourde qui s'alignait pour que, si je ne m'abuse, en 2017, les gens aillent de plus en plus vers ce qu'on appelle les magasins à aubaines, O.K. ? Donc, est-ce que, pour vous, les magasins à aubaines, c'est des magasins à un rapport qualité-prix plus élevé ou si des... rapport à prix plus abordables?

Parce que, vous savez, j'ai travaillé dans le domaine de la vente au détail pendant de nombreuses années. Et, peut-être que je me trompe, mais ce que j'ai vu, c'est qu'il y a des chasseurs d'aubaines, il y a des gens qui cherchent un prix, il y a des gens qui cherchent une qualité etun prix. Donc, il y a des marchés qui sont différents, c'est-à-dire, ce que… le marché des grandes surfaces, si on y va... Par exemple, parlons d'alimentation. Il y a des gens qui vont aller chercher la viande ou l'aliment le moins cher possible, peu importe la qualité, et il y en a d'autres qui vont chercher un bon rapport qualité-prix, c'est-à-dire qu'ils veulent une qualité. Pour moi, c'est des créneaux qui sont différents. J'aimerais ça que vous nous parliez un peu de ça.

Mme St-Pierre (Nathalie) : Bien, en fait, tous ces créneaux-là existent, vous avez tout à fait raison, et c'est au choix du consommateur. Mais c'est un fait qu'en alimentation les chercheurs estiment que, d'ici 2017, 50 % des ventes seront effectuées dans les magasins à escomptes. Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de la bonne qualité dans les magasins à escomptes. C'est : le rapport qualité-prix, pour eux, pour les choix qu'ils font, pour les biens de consommation quotidiens, leur convient.

M. Breton : Mme la Présidente?

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Oui? Vous pouvez continuer. J'interviens le moins possible dans vos échanges pour maximiser le temps, à moins qu'un autre parlementaire me signifie qu'il veut prendre la parole.

M. Breton : Ah! O.K., c'est beau, O.K. Parfait. Ensuite de ça, vous disiez qu'il y avait des gens qui, s'ils voyaient que le prix était pour augmenter, ils seraient peut-être plus portés à aller magasiner outre-frontières, c'est-à-dire en Ontario, aux États-Unis. Moi, pour être allé dans plusieurs bibliothèques et plusieurs librairies aux États-Unis puis en Ontario, je n'ai pas vu beaucoup de livres francophones. Donc, j'aimerais que vous m'expliquiez ce que vous voulez dire par là.

• (14 h 30) •

Mme St-Pierre (Nathalie) : Dans les secteurs de divers biens, c'est très clair. Pour des choses qui sont extrêmement compétitives, comme, par exemple, du matériel électronique, l'achat de logiciels, etc., il y a un déplacement flagrant, là, dès qu'il y a une augmentation. C'est certain que, dans le cas du livre — et on l'a dit — c'est un bien culturel différent. Donc, effectivement, c'est certain qu'il n'y aura pas autant de déplacements. Mais on ne parle pas uniquement que d'acheter des livres des auteurs québécois. Le projet de réglementation s'appliquerait à l'ensemble des livres, des livres anglophones aussi. Et les francophones, qui peuvent être facilement... des livres français qui peuvent être achetés d'autres façons, donc par Internet, qui peuvent être achetés en Ontario, qui pourraient être achetés aux États-Unis. Donc, si on veut se procurer le dernier Dan Brown, ou je ne sais pas, on ne sera pas obligés d'acheter ça ici. On ne parle pas uniquement de livres français, là, ou de livres d'auteurs québécois.

M. Breton : Dernière petite question rapide. Vous avez parlé du fait que le rapport… le prix influençait beaucoup sur la quantité de produits vendus. Et moi, j'ai ici en main un truc qui coûte pas mal plus cher qu'à peu près tout ce que les autres font et qui se vend en quantités phénoménales, mais ça, ça vient de l'unicité du produit, du design, et tout ça, et de la mise en marché. Donc, j'aimerais ça que vous me disiez ce que vous pensez justement, quand on parle de ça, parce que le modèle d'affaires qui a fait le succès de ces gens-là est à l'encontre du modèle d'affaires dont vous me parlez.

Mme St-Pierre (Nathalie) : C'est-à-dire que je ne préconise pas un modèle d'affaires plutôt qu'un autre, je dis que chacun a des stratégies et des modèles d'affaires qui leur sont propres et qui répondent à des besoins spécifiques de consommateurs. Vous avez là un exemple parfait d'un modèle d'affaires qui fonctionne, qui appelle à une clientèle qui veut vivre une expérience, et c'est ce qu'on vend, alors que, pour certains produits de base ou quotidiens, le modèle d'affaires qui convient à une grande majorité de la population du Québec, c'est un produit à escomptes le moins cher possible pour pouvoir peut-être se payer les modèles qui sont… Donc, il faut tenir compte de l'ensemble des modèles et s'assurer que ça… qu'ils puissent survivre et se développer, oui.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : M. Côté.

M. Breton : Est-ce que…

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : …M. Côté, si vous le permettez, veut ajouter un élément de réponse…

M. Côté (Jean-Guy) : Simplement, nous, ce qu'on constate, c'est qu'il y a un déplacement de clientèle vers certains types de magasins, vers des magasins à rabais ou à escomptes. On ne critique pas ou on ne catégorise pas nécessairement le modèle d'affaires. On fait juste constater qu'il y a une démographie d'acheteurs qui part d'un magasin beaucoup plus spécialisé vers des magasins à rabais. On présume que, pour une certaine frange de population qui est importante, le prix est encore quelque chose d'extrêmement important dans leurs variables d'achat. C'est ce qu'on vous dit. Ça ne veut pas dire qu'il y a des modèles d'affaires de produits plus spécialisés qui peuvent fonctionner ayant des prix beaucoup plus élevés. Ça ne présume pas ça. Ce qu'on vous dit, c'est que, démographiquement, il y a un changement dans les comportements des consommateurs actuellement.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. M. le député de Saint-Hyacinthe, vous avez la parole.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Merci, Mme la Présidente. Ça va être assez simple. On a eu plusieurs intervenants, la semaine passée, qui sont venus en commission, et la plupart de ceux que je vais vous nommer, les écrivains, les éditeurs, les illustrateurs, les libraires indépendants... et on en a eu d'autres aussi, il faut être objectif, il y en a qui étaient un petit peu… qui étaient contre, tu sais, la réglementation, mais eux étaient pour la réglementation puis c'est eux qui vivent de l'industrie du livre le plus et qui sont impliqués beaucoup. Ils sont régis par la loi du livre. Et votre position est contraire, on peut dire, à leurs intérêts à eux. J'essaie de comprendre le pourquoi.

Quand vous mentionnez aussi que le prix du livre a augmenté, j'aimerais ça avoir votre raisonnement parce qu'il n'y a pas personne qui nous a prouvé encore, à la commission, que le 25 % ou 30 % qui est donné ou qui est accordé par les grandes surfaces ne fait pas en sorte que les éditeurs augmentent leurs prix pour que les libraires… Puis est-ce que ça fait en sorte que les libraires indépendants et les autres paient… les gens plus cher à ce moment-là? J'aimerais vous entendre là-dessus, moi.

Mme St-Pierre (Nathalie) : Sur la question du prix, j'ai… Sur la question de l'ensemble des participants, jusqu'à maintenant, qui étaient plutôt favorables évidemment et qui sont ceux qui vivent du commerce, écoutez, je pense que notre position… Quand on dit que le prix du livre a augmenté, c'est évidemment les livres qui sont présentement vendus en rabais. Vous avez mentionné, bon, la question de la distribution ou des rabais qui sont consentis. Je vous dirais que ce n'est pas… À l'heure actuelle, c'est un fait que les distributeurs consentent des rabais pour le volume dans les grandes surfaces et donc que les livres puissent… sont disponibles à plus bas prix.

Donc, l'augmentation ne sera pas dans les librairies traditionnelles ou les librairies indépendantes, mais elle sera dans les grandes surfaces qui devront respecter un prix, ou sur Internet, ou ailleurs. Donc, il y aura nécessairement une hausse des prix, là. Puisque ces livres-là, qui se vendent actuellement moins cher, vont être au prix qui serait recommandé par exemple, donc, il y aura une hausse des prix, en général. Et, nous, le constat qu'on vous a donné, c'est que cela affectera les ventes dans les grandes surfaces, et donc l'ensemble des ventes, et donc ça aura un impact.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Merci.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : C'est beau?

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : C'est beau, oui. Il vous reste à peine quelques secondes.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : O.K. …tout à l'heure.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Nous allons maintenant du côté de l'opposition officielle. Mme la députée de Laporte, vous avez la parole.

Mme Ménard : Merci beaucoup. Alors, bonjour, Mme St-Pierre, M. Côté. D'abord, je dois vous dire que vous êtes les deuxièmes intervenants à toucher le comportement du consommateur, ce qui est très intéressant. Vous avez répondu, là, à plusieurs questions. C'est sûr que j'aimerais en entendre plus sur votre analyse et vos commentaires à cet effet-là. Je ne sais pas si vous en avez plus à dire, de ce que vous avez dit, mais je trouve intéressant que vous touchiez ce volet-là. C'est important.

Vous regroupez 45 000 établissements au Canada. Alors, pouvez-vous nous parler de l'expérience canadienne quant à l'industrie du livre, bien que les secteurs soient légiférés différemment, mais est-ce que vous pouvez nous parler… comment ça se passe ailleurs?

Mme St-Pierre (Nathalie) : Alors, c'est certain que c'est un marché qui est complètement différent, compte tenu, évidemment, là, qu'on n'a pas… on ne parle pas d'auteurs francophones, et c'est un marché qui est déjà à quelque 35 % ou 39 %, là, en ligne, et pour lequel, là, les consommateurs sont déjà en train de faire le passage de l'achat de numérique, bon, et de commerce en ligne. Alors, c'est certain que l'offre est beaucoup plus globalisée déjà, si on veut, pour ces consommateurs-là. Alors, bien entendu, ils réagissent plus vite probablement que ce qui se passe ici, étant entendu qu'on aura toujours une offre qui sera différente au niveau des livres.

Je vous dirais, pour revenir sur le profil du consommateur, une analogie qui pourrait être faite et qui est intéressante : actuellement, on parle beaucoup d'achat local, de consommation locale. Ce sont des grandes tendances qui sont mises de l'avant, que ce soit par le gouvernement actuellement avec la politique, par exemple, de souveraineté alimentaire ou avec les différents détaillants qui misent sur les politiques d'achat local, et, malgré ça, vous savez, il y a toujours une très grande différence entre ce que les consommateurs vont dire vouloir faire et ce qu'ils font dans la réalité. Et on est tous très vertueux, mais, dans les faits, quand vient le temps de payer, on fait des choix qui sont économiques et, cette tendance-là, on ne peut pas la nier à l'heure actuelle.

Mme Ménard : Merci. Il y a plusieurs personnes ou organismes qui sont venus, qui se sont adressés à nous et qui ont mentionné que la réglementation du prix n'était pas la solution, en fait, qu'il fallait faire autre chose, qu'il fallait apporter d'autres solutions aussi pour aider les libraires à demeurer actifs, en action, en vente.

Alors, est-ce que vous pensez que... Si on passait la réglementation du prix du livre et qu'on apportait d'autres solutions, comme ils le disent, pensez-vous réellement que les librairies vont tirer leur épingle du jeu?

Mme St-Pierre (Nathalie) : Écoutez, je pense que la première chose, c'est… Si on regarde à l'heure actuelle, en France par exemple, on a vu dernièrement que la ministre de la Culture a annoncé près de 9, 8 ou 9 millions d'euros d'investissement parce que le secteur était en proie à des difficultés extrêmes. Alors, on voit bien que, malgré le fait qu'il y ait un prix unique du livre, les mêmes tendances s'appliquent, et les résultats sont là. Les libraires ont besoin d'investissement majeur, alors que je pense qu'ici, dès le départ, avec les autres mesures qui ont été mises de l'avant, on a su tirer notre épingle du jeu de façon beaucoup plus intéressante. Et ça, ce n'est pas pour dire que les libraires n'ont pas des difficultés, que le secteur des librairies n'est pas en difficulté. On l'a dit d'emblée, oui, il y a des difficultés, mais, si on regarde ailleurs, si on regarde avec l'expérience en France, je pense qu'on peut se dire qu'on a développé un système qui peut être aujourd'hui révisé et qui peut faire l'objet de modifications pour l'améliorer, mais je pense qu'on a obtenu de meilleurs succès avec ces types de mesure là.

• (14 h 40) •

Mme Ménard : Vous venez de faire référence à la France, et j'aurais une question pour vous. Dans votre mémoire, vous faites référence au bilan de la France et vous parlez de l'inefficacité de la réglementation du prix du livre en ce qui concerne la protection des libraires indépendants. Comment expliquez-vous, malgré ce constat — parce que vous n'êtes pas les seuls à constater ce qui se passe en France — que, malgré ça, Israël par exemple, vienne de réglementer le prix, en 2013?

Mme St-Pierre (Nathalie) : Alors, écoutez, cette décision leur appartient. Nous, on ne peut que regarder ce qui se fait et les tendances. On peut peut-être regarder aussi en France, parce que c'est plus près de nous en termes de culture, mais, les choses étant ce qu'elles sont, les consommateurs se déplacent, les ventes de livres se déplacent, et l'accès des livres par d'autres moyens de consommation que le moyen traditionnel de la librairie avec pignon sur rue, ça existe. Et donc il faut pouvoir trouver des mesures, à notre avis, qui permettraient de rendre accessible le livre des auteurs québécois partout, mais sans penser que le seul mode, à l'heure actuelle, c'est le mode traditionnel, puisque, même dans les autres types de commerce, ces réalités-là et ces tendances-là existent et que les commerçants s'adaptent pour répondre aux besoins de leur clientèle.

Mme Ménard : J'aimerais savoir pourquoi vous pensez que l'industrie du livre, dans une large mesure, réclame une législation sur le prix plancher du livre neuf.

Mme St-Pierre (Nathalie) : Bien, je pense que c'est ce qu'on entend. J'ai moi-même participé, dès 1998, à un groupe de… à la suite, là, du Sommet de la lecture et du livre, là, à l'époque, à des travaux similaires. Donc, je pense que je connais bien les positions de l'industrie. Je pense qu'à l'époque, déjà, les travaux qui étaient présidés par M. Lespérance arrivaient au constat d'aujourd'hui. Il y avait des tendances, et je pense que ces tendances-là se sont accentuées. Il y en a même qui sont même désuètes déjà parce qu'à l'époque on parlait du CD-ROM et puis des technologies qui n'existent presque même plus aujourd'hui. Et je pense que les mesures qui avaient été proposées ont donné des résultats. Il faut maintenant poser un autre constat des changements de comportement du consommateur et peut-être continuer d'aller dans ce sens-là pour améliorer et s'assurer de les rejoindre de la façon dont ils souhaitent être rejoints.

Mme Ménard : Merci. Alors, merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Nous allons maintenant du côté du deuxième groupe d'opposition. Mme la députée de Montarville... Est-ce que vous vouliez intervenir pour répondre? Oui. Bon, allez-y, M. Côté, puis nous reviendrons à vous, Mme la députée.

M. Côté (Jean-Guy) : Je veux simplement revenir sur la loi Lang, en France. Les commentaires sont intéressants sur la structure qui a pu être instaurée au Québec avec les librairies agréées qui ont structuré finalement le marché. En France, ce qu'on observe depuis des années, c'est l'explosion des points de vente. Il y a une explosion faramineuse de points de vente de livres dans toutes sortes d'établissements, ce qu'il n'y a pas eu au Québec actuellement, ce qu'on n'a pas au Québec. Donc, est-ce qu'il y avait une mesure qui était meilleure que l'autre? Nous, on considère que le système des librairies agréées est une mesure qui est beaucoup plus structurante que le prix du livre. C'est mon premier commentaire.

Le deuxième commentaire sur le prix plancher du livre en magasin, c'est sur le fait que… la vraie question qu'il faut se poser : Est-ce que, demain matin, les librairies vont s'en porter mieux ou elles vont… ça va régler leur problématique qu'elles ont? Il y a des coureurs très forts qui arrivent, là. Juste le livre numérique, il y a des gens qui sont venus vous en parler ici de façon très enthousiaste... Ils ont raison : les intentions d'achat du livre numérique au Québec, elles sont réelles. On n'est peut-être pas au même niveau que certains voudraient qu'on le soit, mais ça s'en vient. Donc, est-ce qu'il y a moyen de structurer le livre indépendant numérique au Québec? Est-ce qu'il y a moyen de supporter les initiatives qui existent déjà avec ce qui est déjà en place? C'est les questions qu'il faut d'abord peut-être se poser avant d'aborder la question du prix unique.

Mme Ménard : O.K.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Mme la députée de Montarville, vous avez la parole pour votre période d'échange.

Mme Roy (Montarville) : Oui, merci. Pour combien de temps?

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : 3 min 45 s.

Mme Roy (Montarville) : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Merci beaucoup, Mme St-Pierre et M. Côté. Merci de votre présence, merci de votre mémoire. Je voudrais vous ramener aux pages 5 et 6 du mémoire. À la toute fin, vous mentionnez que, dans le document de consultation publié par la Commission de la culture et de l'éducation… Dans ce document, on stipule que «globalement — et là je suis rendue à la page 6 — de 2001 à 2010, les ventes de livres par les grandes surfaces n'étaient pas en croissance». Et, le paragraphe suivant, vous nous dites : «Depuis 2008, la part des librairies à succursales [au sein de la part de marché des librairies] n'a cessé d'augmenter. Cette part qui était de [46 %] est passée à [51 %] en 2012.» Alors, comment se fait-il que l'impact des ventes de livres en grandes surfaces ne semble pas se faire sentir pour les librairies qui sont en succursales? Vous attribuez ça à quoi?

Mme St-Pierre (Nathalie) : Alors, comme on en a parlé tout à l'heure, ce sont les modèles d'affaires, les modèles d'affaires des entreprises qui, par exemple, dans le cas des librairies à succursales, ont trouvé des façons d'innover et de répondre aux besoins de leur clientèle et de faire en sorte de les fidéliser, et donc de… qu'ils viennent malgré le fait que, peut-être, ils pourraient trouver un certain nombre de livres dans les grandes surfaces à coût moindre, mais vont choisir, parce que le modèle d'affaires des librairies à succursales leur convient… alors que d'autres vont choisir de fréquenter et d'acheter certains livres dans les grandes surfaces.

Mme Roy (Montarville) : Serait-il possible de déduire — c'est une hypothèse que j'émets — que les librairies à succursales seraient peut-être, entre autres, responsables, en quelque part, du déclin de certaines librairies indépendantes?

Mme St-Pierre (Nathalie) : Bien, je pense que c'est… Chaque modèle d'affaires, je pense, convient aux différents consommateurs, et ils ont su miser sur ce qui les distinguait pour faire en sorte de fidéliser leur clientèle. Alors, c'est très… c'est tout à fait à leur honneur, et je pense qu'à ce moment-là il convient de reconnaître que les consommateurs, ils sont gagnants aussi.

Mme Roy (Montarville) : Dans la proposition qui est faite actuellement de ce prix plancher, ce 10 % de rabais durant neuf mois sur toutes les nouveautés, puis on veut y inclure également les livres électroniques, croyez-vous qu'il s'agisse d'une bonne façon en voulant inclure également les livres électroniques ou est-ce qu'on parle d'un marché totalement différent qui ne pourra pas se plier à cette réglementation?

Mme St-Pierre (Nathalie) : C'est certain que, comme on l'a dit, il sera très difficile pour toute réglementation de tout contrôler à un coût qui sera réaliste pour l'État. Mais c'est certain également que, sans tenir compte des livres numériques, on… Ça ne serait pas réaliste puisqu'à ce moment-là ça déplacerait le marché vers le livre numérique si celui-ci n'était pas réglementé au même titre. Alors, je pense que l'approche, si… l'approche que nous ne reconnaissons pas, mais, s'il doit y avoir une approche, effectivement, elle doit être globale, puisque le consommateur pourrait, à ce moment-là, tout simplement choisir d'acheter un livre sous format numérique.

Mme Roy (Montarville) : Je vous remercie infiniment. Merci.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Donc, nous retournons du côté de l'opposition officielle. Mme la députée de Laporte, il vous reste encore six minutes à votre disposition.

Mme Ménard : Oui, ça ne sera pas tellement long, Mme la Présidente. Merci beaucoup. C'est juste pour répondre au député de Saint-Hyacinthe. Dans le verbatim de lundi de l'ANEL, la réponse, c'est : oui, ils augmentent le prix à cause qu'ils accordent des rabais. Alors, juste aller voir dans le verbatim.

Une voix :

Mme Ménard : En fait, ma question, vous vous souvenez, était : Est-ce que vous augmentez le prix quand… vous savez qu'ils donnent des gros rabais, donc est-ce que vous augmentez le prix des livres? La réponse a été oui. Donc, autant… le livre est augmenté chez les grandes surfaces et chez le libraire aussi, bien entendu. Alors, le livre coûte plus cher. Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Donc, merci. Je veux vous remercier, Mme St-Pierre, M. Côté.

Nous allons suspendre quelques instants, le temps que les représentants du Conseil des arts et des lettres du Québec veuillent bien prendre place.

(Suspension de la séance à 14 h 49)

(Reprise à 14 h 50)

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : …reprendre nos travaux. Donc, nous reprenons nos travaux. Messieurs, bonjour. Bienvenue à l'Assemblée nationale. M. La Roche, je vais demander de vous présenter et de présenter les personnes qui vous accompagnent. Vous allez disposer d'un temps maximal de 10 minutes pour faire votre exposé, par la suite suivra un échange avec les parlementaires. Donc, vous avez la parole, M. La Roche.

Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ)

M. La Roche (Stéphan) : Merci. Bonjour. Donc, mon nom est Stéphan La Roche. Je suis président-directeur général du Conseil des arts et des lettres du Québec, communément appelé le CALQ. Je suis accompagné de Michel Biron, auteur et professeur titulaire au Département de langue et de littérature françaises de l'Université de McGill. C'est un spécialiste de la littérature québécoise et qui est membre du conseil d'administration du CALQ et aussi président de la Commission consultative de la littérature du Conseil des arts et des lettres du Québec. À ma droite, M. Alain Filion, directeur du théâtre, de la littérature, des arts multidisciplinaires et des arts du cirque au Conseil des arts et des lettres du Québec. Nous nous partagerons la présentation de notre mémoire.

Mme la Présidente, M. le ministre, Mmes et MM. les députés, le livre est un objet extraordinaire. Chacun d'entre nous peut citer le titre d'un livre qui a marqué sa vie. Nous avons même de la difficulté à n'en nommer qu'un seul. Les échanges que le livre suscite à cette commission et dans les médias témoignent certainement de la singularité de cet objet, mais aussi des liens affectifs que nous entretenons toutes et tous avec lui. Le livre ne peut pas être réduit à un simple produit de consommation. C'est aussi un bien culturel, un véhicule de culture, de notre culture.

Vous le savez, notre culture est très dynamique, et elle continue de s'affirmer fortement malgré sa situation minoritaire dans un contexte continental, voire mondial, dominé par l'industrie culturelle américaine. L'intervention de l'État québécois en culture par un encadrement législatif stratégique est nécessaire pour rééquilibrer les inéquités conséquentes à la force du nombre. Cette intervention est essentielle pour permettre l'accès de la population à ses artistes, à ses écrivains et à leurs oeuvres.

Notre production littéraire est florissante. En 2011, les éditeurs commerciaux québécois ont publié plus de 6 000 livres, dont environ 2 400 oeuvres littéraires. La part de marché des éditeurs québécois de la catégorie littérature générale fut de 44 % en 2011. On peut donc affirmer que la littérature québécoise s'est taillé une place importante dans son propre marché, malgré la forte concurrence du livre étranger. Ce dynamisme actuel est attribuable, d'une part, au talent des écrivains québécois et, d'autre part, au travail accompli par les maisons d'édition et les lieux de diffusion, c'est-à-dire les salons du livre, les festivals littéraires, les librairies et les bibliothèques.

M. Filion (Alain) : Nous parlons de littérature, car le CALQ ne soutient pas directement le livre, mais bien la littérature. C'est l'un des secteurs de création où le CALQ intervient pour en soutenir le développement. Comme pour les autres disciplines, le CALQ soutient l'excellence de la création littéraire québécoise avec une approche misant sur la diversité des pratiques et des genres. Il le fait en aidant les écrivains pour la création d'oeuvres littéraires. Il aide aussi les organismes qui contribuent à la promotion, à la diffusion du travail des écrivains et au rayonnement de la littérature. Ainsi, le CALQ appuie l'écriture de romans, récits, nouvelles, contes, poésie, essais portant sur les arts et les lettres. Il soutient aussi, par ailleurs, la bande dessinée.

Le CALQ estime incontournable que cette diversité d'oeuvres de qualité qu'il soutient, diversité qui exprime notre créativité et notre identité, rejoigne le plus large public possible et soit disponible aux citoyens québécois qui la financent par notre entremise. Chaque année, le CALQ injecte environ 3,4 millions de dollars dans le secteur de la littérature sous forme de bourses aux écrivains et aux conteurs professionnels et de subventions aux organismes et aux périodiques littéraires. Le CALQ appuie également une grande variété d'organismes qui produisent et diffusent des activités littéraires de plusieurs types sur l'ensemble du territoire québécois. À cet égard, les événements littéraires soutenus par le CALQ enrichissent la vie culturelle québécoise.

Les écrivains sont au coeur de la littérature et du livre, c'est pourquoi le CALQ est fortement préoccupé de leurs conditions de création et de vie. Il convient d'abord de noter que la principale source de revenus des écrivains provient des droits d'auteur qu'ils tirent de la vente de leurs livres. Par ailleurs, la participation à certaines activités de diffusion peut s'ajouter à leur pratique. Ces activités sont importantes non seulement parce qu'elles font la promotion des écrivains et de leurs oeuvres auprès du public, mais également parce qu'elles représentent une source de revenus complémentaires essentiels pour les créateurs. D'une part, elles stimulent la vente des livres et, d'autre part, elles permettent aux auteurs de recevoir un cachet pour leur présence ou leur prestation.

Néanmoins, peu d'écrivains peuvent prétendre vivre de leur art. Selon l'Observatoire de la culture et des communications, 65 % des 1 500 écrivains sondés dans le cadre d'une étude, soit environ 975 personnes, ont déclaré avoir gagné moins de 5 000 $ en revenus de création littéraire pour l'année 2008. Au Québec, seule une soixante d'écrivains tirent la principale partie de leurs revenus de la création. Malgré ces faibles revenus, l'écrivain représente une part importante du dynamisme du monde des livres, qui repose sur leur talent et leur travail. Il importe donc de les prendre en considération dans la réflexion portant sur la réglementation du prix du livre.

M. Biron (Michel) : C'est dans cette perspective précise et dans les limites de son mandat de soutien aux arts et à la littérature que le CALQ souhaite prendre position dans ce débat sur le prix réglementé. Il est de notre avis que la réglementation du prix du livre neuf devrait assurer l'accessibilité et le rayonnement des oeuvres littéraires québécoises, permettant de rejoindre le plus grand lectorat possible. Par conséquent, elle devrait permettre aux auteurs d'être justement rétribués pour leur travail de création et ainsi améliorer leurs conditions de vie et de création.

Parce qu'elles sont les alliées naturelles de la création littéraire au Québec, la vitalité des librairies doit être préservée. Les librairies ont une influence importante, car elles assurent l'accessibilité à une littérature diversifiée sur l'ensemble du territoire, ce qu'un membre de la Commission consultative de la littérature a appelé la «bibliodiversité». De plus, elles sont des lieux de diffusion et de promotion de la littérature québécoise grâce à l'expertise des libraires et aux activités qui y sont tenues.

Les librairies sont donc complémentaires aux efforts du CALQ. À titre d'instrument privilégié d'accès à la diversité de l'offre éditoriale, elles font la promotion de la littérature et se distinguent par leur engagement envers la création littéraire québécoise. Dans ce sens, la réglementation proposée compléterait adéquatement les autres interventions de l'État québécois en matière de soutien au développement de la littérature et du livre.

La réglementation semble donc pertinente et utile dans la perspective où elle permet à tous les intervenants de la chaîne du livre d'en tirer profit le plus équitablement possible. En outre, pour soutenir la chaîne du livre et le créateur en particulier, le CALQ est aussi favorable à une intervention réglementaire sur le prix du livre en format numérique. Cette réglementation devrait permettre d'établir des règles claires, pour le marché en ligne, qui assureraient un partage équitable du prix de vente aux créateurs québécois. La réglementation pourrait y parvenir en empêchant que des livres numériques soldés se traduisent par de plus petites redevances et en permettant aux points de vente d'ici, qui sont fidèles à la littérature québécoise et contribuent à son développement, de faire concurrence aux géants de l'Internet. Nous croyons qu'une telle mesure devrait être bénéfique à une saine concurrence, au maintien de la diversité de l'offre et à son accessibilité pour les lecteurs québécois.

M. La Roche (Stéphan) : Même si le livre numérique ne s'est pas encore imposé dans les habitudes de lecture des Québécois, il est probable que ce sera le cas dans un avenir rapproché en raison de la rapidité de l'évolution des technologies et la pénétration impressionnante des tablettes numériques depuis 2010. L'avènement des technologies numériques et leur importance toujours croissante constituent une véritable révolution aux incidences économiques majeures, puisque ces dernières rendent possible un modèle de distribution faisant abstraction des intermédiaires du livre imprimé. Ce faisant, elles viennent donc bouleverser les rôles de chacun dans la chaîne.

Les géants américains se livrent une guerre commerciale pour imposer leur modèle économique et leurs plateformes aux lecteurs et ainsi devenir les principaux intermédiaires à l'échelle mondiale dans la distribution du livre et des produits culturels, en général. La taille de ces compagnies et le monopole qu'elles exercent sur l'écologie numérique leur confèrent un pouvoir considérable. Dans son rapport Faire rayonner la culture québécoise dans l'univers numérique, remis à la ministre de la Culture et des Communications en 2011, le CALQ a cerné l'ampleur des mutations qu'entraînent les technologies numériques dans le domaine de la littérature, en particulier. Ainsi, de nouveaux modes de diffusion qui propulsent les écrivains vers l'autodiffusion sont apparus depuis quelques années, par exemple les blogues et les réseaux sociaux. Une stratégie numérique de la culture pourrait ainsi assurer que la totalité des oeuvres littéraires québécoises et des périodiques culturels soit rendue accessible, en format numérique, aux consommateurs et aux usagers des bibliothèques, tout en assurant une juste rétribution des créateurs.

Il va sans dire que les technologies numériques constituent une importante occasion de diffusion pour les écrivains québécois et leurs oeuvres et sont un extraordinaire outil de démocratisation et d'accès. Il faut prendre acte de ces bouleversements et s'assurer que le Québec, ses auteurs, ses oeuvres et ses entreprises trouvent place dans ce nouvel univers. Face aux défis que soulève le numérique, il importe de défendre les intérêts des écrivains et l'intérêt des lecteurs québécois. Peu importe le modèle économique ou la technologie qui s'imposera, les écrivains doivent tirer un revenu équitable de l'exploitation de leurs oeuvres en format numérique. Le développement du livre numérique ne doit pas se faire au détriment des créateurs.

En fin de compte, il s'agit de favoriser et d'encourager une vie littéraire saine et enrichissante pour tous, lecteurs, écrivains, éditeurs, distributeurs, libraires et aussi pour les grandes surfaces, qui ont intérêt à ce que la littérature fleurisse. Le CALQ ne croit pas que la réglementation soit une solution qui réglera tous les problèmes, mais c'est un geste qui pourrait protéger la vitalité des différents intervenants de la chaîne du livre. Que cette réglementation soit adoptée ou non, d'autres gestes devraient être posés afin d'assurer aux écrivains leur juste part. Le CALQ souhaite que ces mesures assurent l'accessibilité et le rayonnement des oeuvres littéraires québécoises et de leurs auteurs, permettant de rejoindre le plus grand lectorat possible, car, comme le dit si bien Félix Leclerc dans Le Fou de l'île : «Tu es revenu aux livres? On y revient toujours.» Merci de votre attention.

• (15 heures) •

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci, messieurs. Nous allons débuter les échanges. M. le ministre, vous avez la parole.

M. Kotto : Merci, Mme la Présidente. M. La Roche, M. Filion, M. Biron, soyez les bienvenus, et merci pour votre contribution.

Je vais directement aux questions. De quelle perspective, simple ou croisée, de votre perspective des choses, entre guillemets, devrait-on prendre la mesure d'une législation sur le prix plancher du livre neuf?

M. La Roche (Stéphan) : Pouvez-vous me préciser la…

M. Kotto : À partir de quelle perspective? Si vous aviez à nous donner une perspective pour évaluer la pertinence de légiférer sur le prix plancher du livre neuf, perspective pouvant être simple ou croisée, quelle serait-elle, ou «elles» au pluriel?

M. La Roche (Stéphan) : Je vous dirais que cette réglementation ou ces mesures devraient être à la recherche, d'abord, d'équité entre les différents maillons de la chaîne du livre et faire en sorte que l'ensemble de la chaîne du livre soit gagnante. Alors, que ce soit pour les écrivains, que ce soit pour les libraires, que ce soit pour les éditeurs ou les distributeurs, c'est le point de vue que l'on doit rechercher dans une telle perspective parce qu'en fait l'objectif, c'est de faire en sorte que l'ensemble du milieu de la littérature et du livre soit gagnant, c'est-à-dire qu'on ait une littérature et un milieu du livre qui soient forts, qui soient dynamiques et qui aient les moyens de se développer encore davantage.

M. Kotto : O.K. Vous suggérez l'adoption d'une réglementation du prix du livre neuf, tant imprimé que numérique, pour une période de 24 à 36 mois. Est-ce que vous pouvez nous préciser les motifs qui vous amènent à cette proposition, à cette idée? Pourquoi pas cinq ans, par exemple?

M. La Roche (Stéphan) : Nous faisons cette proposition afin de donner le temps, à la fois au gouvernement et à l'ensemble des intervenants du milieu du livre, de pouvoir documenter davantage, analyser et évaluer ce qu'une telle mesure, ce qu'une telle réglementation pourrait permettre. On constate… Vous avez entendu les intervenants des derniers jours, la semaine dernière et même tout à l'heure, le groupe qui nous a précédés, il y a encore quand même certains éléments qui nous échappent, certains éléments qui ne sont pas documentés. Et on pense qu'une période d'essai, si on veut, de 24 à 36 mois serait suffisante pour permettre d'évaluer convenablement les effets que ça peut avoir sur l'ensemble des intervenants du milieu du livre.

 Pourquoi pas cinq ans? Écoutez, nous, on pense qu'une période de 24 à 36 mois serait suffisante pour permettre d'analyser ces éléments-là. Elle pourrait être éventuellement plus longue, effectivement. Plus courte, ça m'étonnerait, puisqu'il faut quand même donner le temps d'implanter la mesure en question. Et on propose ça parce qu'on croit que la… c'est important de protéger le secteur du livre face aux mutations qui sont en cours. Le milieu est en profond changement, et on pense qu'il faut quand même poser des gestes pour assurer sa protection.

M. Kotto : Oui. Vous avez entendu des personnes qui vous ont précédés ici même parler d'expérience française en matière de réglementation de prix de livres neufs. Ça fait une trentaine d'années que cela s'est fait pour le livre physique, ça fait deux ans à peu près que cela s'est fait pour le numérique. Avez-vous, disons, une idée de l'historique, de l'évolution de cette législation en France quant à ses impacts vis-à-vis des consommateurs et de l'industrie du livre lui-même? Avez-vous des données compilées là-dessus?

M. La Roche (Stéphan) : En fait, non. Le CALQ n'a jamais documenté cette situation. Je rappelle que le mandat du conseil est vraiment un mandat de soutien aux auteurs, aux écrivains et non pas, comme tel, au marché du livre, puisqu'il y a une autre société d'État, la SODEC, qui est davantage spécialisée dans ce secteur.

Ce qu'on constate quand même, c'est qu'au cours des… donc, depuis 1981, depuis la date de l'entrée en vigueur du prix en France, ça a quand même permis d'assurer un essor quand même considérable au secteur du livre en France. Et ce qu'on retient aussi, c'est que, depuis 1997, il y a quand même une dizaine de pays à travers le monde qui se sont ralliés à cette approche. On pense à la Grèce, à l'Autriche, à l'Argentine, à la Corée du Sud, à l'Italie, aux Pays-Bas, au Japon, au Mexique, au Danemark, la France, qui a amendé, donc, en 2011, pour le livre numérique, et Israël très récemment. Donc, il doit y avoir là… Ce sont des pays qui sont très variés dans leur approche et dans leur culture. Il doit y avoir, dans ce type de mesure, un bien-fondé qui amène une protection pour le milieu du livre de ces pays respectifs. Et c'est dans cette optique-là que l'on croit qu'une mesure de protection comme celle-là — puisque c'est une mesure de protection — pourrait être bénéfique pour le milieu du livre québécois.

M. Kotto : Vous faites allusion à cette douzaine de pays qui ont réglementé et vous parliez de données dont vous ne disposiez pas pour éventuellement statuer sur le temps d'expérimentation d'une réglementation au Québec. Est-ce qu'il serait, disons, pertinent de se référer, dans l'hypothèse où on pourrait mettre la main sur des données qui pourraient nous éclairer relativement à ce qu'il y a eu comme impact, tous domaines confondus, en France, notamment… Est-ce qu'il serait pertinent pour nous d'analyser ce genre de données pour statuer sur l'éventuelle période d'expérimentation de la réglementation au Québec?

M. La Roche (Stéphan) : Il est toujours pertinent de documenter davantage et d'analyser le plus possible ce genre de situation et ce genre d'impact. Plus on a de données, plus on a d'informations, plus on est en mesure de prendre les décisions les plus sages et les plus efficaces possible.

M. Kotto : Vous avez parlé d'autres mesures… enfin, de mesures complémentaires au-delà de la réglementation. Est-ce que vous pouvez élaborer là-dessus? Et aussi est-ce que vous avez des pistes de financement de ces mesures-là?

M. La Roche (Stéphan) : Écoutez, on pense que plusieurs gestes pourraient être posés pour, d'une part, assurer aux écrivains et aux auteurs une meilleure rétribution et assurer à l'ensemble des membres de la chaîne du livre de meilleures conditions également. On peut nommer, parmi ces moyens à mettre en oeuvre, par exemple, la mise sur pied d'un réseau de diffusion de la littérature couvrant l'ensemble du territoire québécois, l'établissement de meilleures conditions contractuelles liant les écrivains et les éditeurs, l'augmentation des budgets alloués, évidemment, aux bourses de création littéraire et au rayonnement de leurs auteurs — je vais quand même parler pour notre paroisse — le développement des habitudes de lecture chez les jeunes, en contact plus fréquent avec la littérature québécoise, une plus large inscription de la littérature aux programmes d'enseignement scolaire, le maintien, donc, d'un réseau de librairies concurrentiel et en santé, l'accroissement de l'importance accordée à la littérature et aux auteurs dans les médias. Et on pourrait aussi parler, évidemment, d'une disponibilité et d'une accessibilité accrues des oeuvres littéraires en format numérique.

Je pense que ce sont des éléments importants. Je pense que, parmi celles-là, effectivement, celles touchant au numérique sont fondamentales puisqu'il y a un… ce sont des… c'est une question d'avenir pour la littérature et pour le livre québécois.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. M. le député de Bonaventure.

• (15 h 10) •

M. Roy : Merci, Mme la Présidente. Bonjour à mes collègues. Ils ne m'ont pas vu. Bonjour, messieurs. J'aime toujours vous saluer, vous savez. Une question d'ordre général : Comment se porte, je dirais, la création littéraire actuellement au Québec?

M. La Roche (Stéphan) : Bien, la création littéraire se porte bien au Québec, et je dirais même qu'elle est foisonnante, elle est extrêmement diversifiée et… à tel point que, donc, au Conseil des arts et des lettres, on a un peu de difficulté à soutenir l'ensemble de ce qui est méritant, compte tenu de nos budgets, même si on comprend qu'on est déjà relativement choyés par rapport à l'ensemble des autres provinces ou des autres États. On a un soutien québécois à la culture qui est quand même extrêmement bien doté, mais il reste qu'on a une création, en littérature comme dans les autres disciplines, extrêmement riche, extrêmement stimulante, et je pense qu'on peut dire que c'est important justement qu'elle trouve, cette création littéraire, les plus grands débouchés possible, qu'on puisse mettre à la disposition de la population québécoise, des citoyens québécois, la plus grande diversité possible d'oeuvres littéraires. Et que ce soit le cas sur l'ensemble du territoire québécois, ça nous apparaît extrêmement important.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Continuez, la parole est à vous.

M. Roy : Merci. Mais à quoi vous attribuez cette grande créativité?

M. La Roche (Stéphan) : Je pense que…

M. Roy : C'est des questions assez générales, mais en même temps qui sont importantes.

M. La Roche (Stéphan) : Oui, bien, je pense que c'est une question d'appui… d'un appui continu de l'État québécois au milieu des arts et des lettres depuis 50 ans — le ministère de la Culture a 52 ans maintenant, donc — parce qu'on investit en formation, parce qu'on investit en création, parce qu'on investit en production et en diffusion. Évidemment, on fournit au milieu des arts et des lettres un environnement qui permet l'éclosion de ces talents-là. Il y a une relève qui pousse constamment. Et cette richesse entraîne aussi une émulation, bien sûr, entre les artistes, entre les écrivains, et… qui cherchent toujours à se distinguer, et c'est ce qui fait la richesse de la production littéraire québécoise.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Vous avez terminé? Parfait. Nous allons maintenant du côté de l'opposition officielle. Mme la députée de Laporte, vous avez la parole.

Mme Ménard : Merci, Mme la Présidente. Alors, M. La Roche, M. Filion — je ne me souviens plus lequel est lequel — et M. Biron. Alors, bonjour à vous trois. Mais, d'entrée de jeu, M. La Roche, je veux vous féliciter pour votre récente nomination et je vous souhaite bon succès.

Dans votre mémoire, vous mentionnez que le livre demeure distinct de tout autre produit de par la dimension culturelle qui lui est fortement rattachée. Dans un article qui a été publié en France en octobre 2011, on mentionne ceci, et je cite : «On a tout tenté pour faire que le livre ne devienne pas un produit comme les autres, mais il l'est devenu. Ce n'est pas que les mesures de protection étaient mauvaises, mais elles n'étaient pas adaptées aux changements qui ont eu cours dans les pratiques commerciales et pratiques de lecture.» Comment réagissez-vous à ce commentaire?

M. La Roche (Stéphan) : Écoutez, je ne connais pas tout à fait le contexte de la citation que vous me faites, mais ce que je vous dirais, ce que j'ai comme réaction, c'est que… Bien sûr qu'on est… le livre est aussi un produit deconsommation, personne ne le nie, il est en vente libre et donc il a un prix, et… C'est un produit, bien sûr, mais c'est un produit culturel. Je vous dirais que… On parlait beaucoup d'alimentation avec le groupe qui nous a précédés tout à l'heure; il n'y a pas de produit de remplacement pour un livre. Lorsqu'on veut lire le dernier Kim Thúy, on n'achète pas un roman Harlequin à la place. On veut le dernier Kim Thúy. Donc, c'est dans ce sens-là que ce n'est pas un produit comme un autre. S'il n'y a pas telle sorte de margarine sur le comptoir de l'épicerie, bien, on va acheter une autre margarine, et puis on va dire : Bon, c'est dommage, je préfère l'autre sorte, mais on va faire avec. Mais on n'achètera pas un roman… Si on veut lire un roman historique, on n'achètera pas un roman policier. Donc, il y a quand même cette notion-là, qui est extrêmement importante, où est-ce qu'on est dans un produit qui n'est pas tout à fait comme les autres.

M. Biron (Michel) : Oui, est-ce que je peux ajouter quelque chose? Parce que c'est un sujet qui m'intéresse beaucoup. Je ne sais pas qui a signé le commentaire que vous avez lu, mais ce qui me frappe, c'est qu'il y a un regret, hein? Ce commentaire-là d'un Français, il implique un regret, comme si la situation normale n'était pas celle qui prévalait, et c'est ce regret-là qui, pour moi, est capital, c'est-à-dire de regretter que le livre ne devienne qu'un bien culturel, un bien de consommation, qu'il ne soit plus ce qu'il est, à mon avis, essentiellement : une oeuvre d'art. Et, dans une commission comme celle-ci, je me permets de le rappeler, c'est tout de même ça, l'essence même, si on aime tant la littérature — et la littérature, pas seulement le livre — c'est parce que c'est essentiel à nos vies. Et donc ce regret-là, il est important qu'on l'ait aussi, c'est-à-dire que le livre ne devienne pas… Qu'on s'inquiète de cette possibilité, c'est très sain, je crois, pour une société et peut-être que, dans le commentaire qu'on lit, il y a une sorte de défaitisme, mais il y a aussi, à mon avis, une résistance très, très forte.

Mme Ménard : Bien, ce qui m'amène à poser la question : Est-ce que le vrai enjeu, c'est la culture et la lecture, et non pas le marchand, le producteur?

M. La Roche (Stéphan) : Bien, je vous dirais que c'est les deux. Il ne faut jamais oublier… et on le souligne dans notre mémoire, il reste que, par le fait que c'est un bien commercial, il amène des revenus. Il amène des revenus aux éditeurs, aux distributeurs, aux libraires, mais il amène des revenus aussi aux auteurs, et c'est dans ce sens-là que c'est important que le marché du livre soit dynamique. Et, pour assurer ce dynamisme-là, c'est important qu'il y ait la plus vaste distribution possible et le plus large champ de points de vente possible. Et, dans ce sens-là, le réseau des libraires est un allié de cette richesse littéraire.

Mme Ménard : D'accord. Vous dites… Vous avez parlé tantôt… Le ministre vous a posé la question sur les différentes interventions, là, qu'on pourrait faire, et vous en avez nommé, là, plusieurs, plusieurs intéressantes, d'ailleurs. En quoi toutes ces interventions-là, ces mesures-là viendraient soulager l'enjeu financier des libraires?

M. La Roche (Stéphan) : Dans les mesures que vous ai mentionnées, il y a évidemment des mesures de toutes sortes. Certaines pourraient s'adresser aux libraires, d'autres, non, elles s'adresseraient davantage aux écrivains, d'autres, à l'ensemble de la chaîne. Mais donc de notre point de vue… Je vous rappelle, le mandat du conseil est un mandat non pas de soutien aux libraires, mais de soutien à la littérature, donc, aux écrivains, et aux auteurs, et aux organismes qui en font la promotion.

Donc, on ne s'est pas attardés longuement à chercher des mesures dans ce sens-là, mais il est évident que, plus on augmente la diffusion du livre, des auteurs et de leurs oeuvres, par exemple, par un programme de circulation à travers le territoire, programme qui pourrait se faire, entre autres, chez les libraires, peut-être pas uniquement, mais notamment chez les libraires, aussi dans les bibliothèques et dans d'autres lieux, bien, plus on fait parler du livre et de leurs auteurs, plus on fait parler de la littérature, plus on suscite de l'intérêt et plus on amène les gens à consommer de la littérature. Et, quand ils consomment, bien, ils vont dans toutes sortes de points de vente, chez les libraires et aussi chez les grandes surfaces, j'imagine.

Mme Ménard : Une partie de votre réponse, en fait, vient peut-être de me faire réaliser ce que vous vouliez dire. Parce que, quand je lis votre mémoire, j'avoue que je le trouve, à l'occasion, contradictoire puis je me demande la logique de tous vos propos, parce que vous parlez que vous ne disposez d'aucune donnée qui vous permettrait d'établir une corrélation directe entre la mise en oeuvre de la réglementation et la condition socioéconomique des écrivains.

En même temps, quand nous avons reçu les écrivains, eux disent : Il faut la faire, la réglementation. Mais là ma surprise et mon questionnement, c'est : Bien, comment ils peuvent dire ça si vous n'avez aucune donnée?

• (15 h 20) •

M. La Roche (Stéphan) : Effectivement, une démonstration statistique à l'appui, là, du lien entre la réglementation du prix du livre et l'amélioration des conditions, nous ne sommes pas, nous, en mesure de la faire. Ceci étant dit, ce qu'on peut déduire, c'est que, plus on favorise un réseau de diffusion large, plus, normalement, les auteurs québécois devraient en bénéficier puisque les libraires sont les meilleurs vendeurs de la littérature québécoise. On l'a dit, dans une grande surface… Les grandes surfaces tiennent environ entre 250 et 300 titres, pas nécessairement beaucoup de québécois dans ces titres-là, alors que le réseau des libraires, les librairies tiennent vraiment une variété, et les recueils de poésie ou des essais sur les arts et les lettres, par exemple, vont ne se retrouver que dans ce réseau-là.

Donc, plus on favorise ce réseau de librairies là, plus on favorise la diffusion, et donc la vente des livres, et donc la rémunération par le droit d'auteur. C'est dans ce sens-là qu'il y a une logique à cette pensée.

Des voix :

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : …M. Filion.

M. Filion (Alain) : Merci, Mme la Présidente. C'est un peu dans le même sens. C'est-à-dire, notre impression, c'est que, plus… Quand on parle qu'un libraire indépendant ou un libraire agréé doit disposer d'au moins 2 400 oeuvres, environ, littéraires par année sur 6 000 titres et qu'on fait le comparable avec les grandes surfaces, qui vont disposer de 300 livres avec une soixantaine de titres québécois, dont à peu près une vingtaine d'auteurs québécois, c'est évident qu'on ne peut pas attribuer à la grande surface le fait d'avoir découvert ou d'avoir fait que cet auteur-là est devenu un auteur à succès. Ça peut arriver, des succès spontanés, on en connaît, sauf que le réseau…

Nous, on dit : En renforçant le réseau des libraires, où il y a vraiment une profession… C'est une profession, le libraire, qui fait la promotion, qui fait des séances de signature, qui est en contact avec ses lecteurs, qui fait de l'animation dans son milieu. Nous, on dit : En renforçant ce réseau-là, le fait qu'il étale 2 400 titres québécois, ça expose le citoyen, lorsqu'il va aller chercher un livre à succès ou un best-seller dont le prix va être réglementé pour une période de neuf mois, à d'autres titres, qu'il y ait une relève, en quelque sorte, en littérature, comme ça se fait dans le domaine des arts de la scène ou comme ça se fait dans… Il n'y a pas des succès spontanés en humour, ou tout ça. Les producteurs, avant d'aller chercher un humoriste, ils vont aller à sa découverte, puis c'est… Ça fait que c'est un peu… il faut le voir un peu, cette analogie-là.

Puis peut-être, au niveau de l'accès du citoyen, rappeler également que la majorité des bibliothèques publiques permettent actuellement une location des nouveautés, là, les livres… les best-sellers, là. On peut aller à la bibliothèque Georges-Dor, à Longueuil, et on peut avoir… louer une dernière parution, un roman, ou tout ça, pour 1,50 $ pour sept jours, puis il y a des forfaits. Il y a déjà des solutions pour les citoyens qui voudraient avoir accès rapidement à un livre à moindre coût.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci.

Mme Ménard : Merci. Une dernière question avant de passer la parole à ma collègue. J'étais contente d'entendre que la créativité est là, la création littéraire se porte très bien. Maintenant, est-ce que le lecteur suit vraiment cette créativité-là? Quand on pense qu'Option Culture publiait les top vendeurs... En 2011 et en 2012, c'étaient des auteurs québécois, mais on parle de La mijoteuse à la crème brûlée, et on parle À la di Stasio, et on parle, dans les deux années consécutives, le deuxième livre le plus vendu, après, est Le Guide de l'auto. Alors, est-ce que vous pensez que le lecteur suit la créativité?

M. La Roche (Stéphan) : Écoutez, il faut de tout pour faire un monde, et la diversité est une richesse, à notre avis, dans toutes ses acceptations. Mais nous croyons que plus on fait connaître les auteurs québécois, plus la population, plus les citoyens adhèrent à leurs produits. Je vais vous donner un exemple. Quand il y a un auteur qui passe à l'émission Tout le monde en parle, on voit immédiatement les ventes de cet auteur-là augmenter en flèche. C'est vrai pour l'ensemble des produits, ce n'est pas vrai uniquement pour le livre, mais, lorsqu'il y a une promotion adéquate, on sent qu'il y a une adhésion, et d'autant plus dans le livre parce qu'il y a une question identitaire. Alors, les auteurs québécois parlent généralement de ce qui se passe ici, apportent un point de vue qui est propre, le point de vue québécois, qui est un point de vue qui est unique au monde. Et, dans ce sens-là, c'est important de donner accès à la population à cette richesse de point de vue.

Mme Ménard : Merci.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Mme la députée de Bellechasse.

Mme Vien : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Messieurs, bonjour, bon après-midi. Merci d'être là. À la page 14 de votre mémoire, vous parlez... vous nous dites que «le CALQ ne croit pas que cette réglementation soit une solution qui réglera tous les problèmes». Dans une première question, quels sont les autres problèmes que vous identifiez? Et, par ailleurs, dans les mesures dont parlait ma collègue, que vous souhaitez voir adoptées, on n'a pas encore les indications : qui devrait les promouvoir, qui devrait les mettre en place, et à quel coût, comme le demandait le ministre. Mais il y en a deux qui me suscitent de l'interrogation. Ce sera donc une deuxième question.

Vous parlez de «la mise sur pied d'un réseau de diffusion de la littérature couvrant l'ensemble du territoire québécois». Qu'est-ce que vous entendez par là, exactement? Et, l'autre chose, vous nous dites : Il faudrait voir à la consolidation du réseau des bibliothèques. Est-ce que vous voyez un problème actuellement au niveau du réseau des bibliothèques? Quand on parle de consolidation, c'est qu'on souhaite avoir une action musclée, costaude pour réparer un tort, je ne sais trop. En tout cas, vous saurez me dire ce que vous entendez par là.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Je veux juste vous rappeler, messieurs, que vous avez moins d'une minute pour répondre à la députée. Je suis désolée.

Mme Vien : Je suis désolée aussi.

Des voix : Ha, ha, ha!

M. La Roche (Stéphan) : Surtout qu'il y a plusieurs volets à votre question. Écoutez, vous dire qu'un réseau de diffusion de la littérature, c'est un projet de circulation de la littérature un peu sur le modèle de ce qui se fait dans le domaine de la danse, donc, La danse sur les routes du Québec, je ne sais pas si vous avez entendu parler, qui permet donc de faire en sorte que les écrivains et leurs oeuvres tournent sur l'ensemble du territoire. C'est un projet qui est en train de naître, et on pense que ça pourrait donner d'excellents résultats.

Pour ce qui est de la consolidation du réseau des bibliothèques, écoutez, il y a eu des efforts considérables qui ont été faits dans les dernières années par les gouvernements successifs justement dans l'implantation, la rénovation, l'enrichissement des collections des bibliothèques. Ce qu'on veut dire par consolidation, c'est simplement qu'il faut continuer dans la même veine. C'est dans ce sens-là qu'on a utilisé le mot «consolidation».

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci beaucoup, messieurs. Je vais suspendre quelques instants pour permettre aux représentants...

Mme Roy (Montarville) : ...Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Oups! Désolée! Désolée, Mme la députée de Montarville. Vous avez la parole pour un temps de 3 min 45 s.

Mme Roy (Montarville) : Merci beaucoup.

Une voix :

Des voix : Ha, ha, ha!

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Je ne sais pas pourquoi ça tombe toujours sur vous.

Mme Roy (Montarville) : Pourtant! Pourtant! Je ne comprends pas.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Et pourtant! Je vous aime bien, ça n'a rien à voir. Allez-y.

Mme Roy (Montarville) : Bonjour, messieurs. Merci pour votre mémoire. Vous faites un beau plaidoyer en faveur des auteurs, hein? Pas d'auteur, pas de livre. C'est la matière première, et j'en suis. Et, à la lumière des témoignages qu'on a entendus durant cette commission, c'est impressionnant de voir jusqu'à quel point — ma simple perception ici de parlementaire — les auteurs gagnent peu et reçoivent peu de leur art. Et vous nous dites, plus loin, bon : «Les auteurs sont au coeur de la littérature», du livre. Il est important de le prendre en considération dans la réflexion portant sur cette réglementation du livre, important de savoir si ça leur permettra de «recevoir leur juste part de redevances et d'améliorer leurs conditions de vie». C'est à la page 9.

On va plus loin, à la page 10, et là c'est important que nous le sachions, c'est que «la principale source de revenus des écrivains provient des droits d'auteur», des droits «qu'ils tirent de la vente de leurs livres». Et, «en règle générale, ils obtiennent environ 10 % du prix de chaque livre vendu». Et «les modalités précises en matière de droits d'auteur sont déterminées par le contrat d'édition».

Alors, moi, la question que je me pose : Dans toute la chaîne de l'édition, ce sont eux qui sont la matière première et ce sont eux qui pratiquement touchent le moins. Il n'y aurait pas possibilité de revoir le contrat avec l'éditeur pour faire en sorte que nos auteurs puissent améliorer leurs conditions de vie? Il y a une problématique à cet égard-là.

M. La Roche (Stéphan) : Oui, vous avez tout à fait raison. Ça fait partie de nos grandes préoccupations. Et c'est dans ce sens-là, d'ailleurs, qu'on propose de travailler à faire en sorte qu'il y ait, par exemple, un contrat type qui puisse être signé entre les auteurs et les éditeurs pour favoriser une meilleure rémunération, une meilleure rétribution du travail des auteurs québécois.

• (15 h 30) •

Mme Roy (Montarville) : Et je crois que... Certaines personnes qui sont venues nous parler disaient que, s'il y avait cette augmentation du prix en grandes surfaces, en diminuant le rabais disponible, bien, il y aurait diminution du nombre de ventes, probablement, dans la mesure où les gens allaient chercher des livres parce qu'il y avait ce rabais. Cela dit, s'il y a diminution du nombre de ventes, on ne fera pas plus d'argent, dans la mesure où on tire, là, notre droit d'auteur du nombre de ventes également.

M. La Roche (Stéphan) : C'est une hypothèse. Une autre hypothèse est de dire, comme je le mentionnais un peu plus tôt : Le livre n'est pas un produit de remplacement… n'a pas de produit de remplacement par… Si on veut, comme pour reprendre l'exemple que j'ai donné tout à l'heure, acheter le dernier Kim Thúy, on ne prendra pas un livre différent parce qu'il est moins cher parce qu'on veut lire le dernier Kim Thúy. Donc, dans ce sens-là, le prix est une variable, bien sûr que ça peut jouer pour certaines personnes, mais c'est un produit qui est aussi irremplaçable, d'une certaine façon. Et donc la réglementation du prix du livre, à notre avis, n'aurait pas de conséquence néfaste sur la vente des livres.

Mme Roy (Montarville) : En terminant, vous avez également été un vice-président du Conseil québécois de la musique. On sait ce qui s'est passé avec les droits d'auteur des musiciens avec le virage Internet, le virage électronique. Que faut-il faire pour que nos auteurs ne ratent pas ce virage-là?

M. La Roche (Stéphan) : Bien, écoutez, je pense qu'à l'intérieur… Ce qu'on dit, c'est qu'il faut qu'il y ait une vision d'ensemble, une stratégie numérique au Québec. Donc, il faut, dans cette stratégie, dans les mesures qui seront mises en place, nous le souhaitons, éventuellement, donc, que le créateur soit pris en compte, qu'on prévoie des modalités, des mesures pour assurer la…

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : M. La Roche, je dois vraiment vous interrompre, votre temps est écoulé.

M. La Roche (Stéphan) : …rétribution équitable des auteurs.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci.

M. La Roche (Stéphan) : Merci à vous tous.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci beaucoup, messieurs.

Et je suspends quelques instants pour permettre aux représentants de la Société de développement des entreprises culturelles de prendre place.

(Suspension de la séance à 15 h 32)

(Reprise à 15 h 34)

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : S'il vous plaît, chers collègues! Donc, nous reprenons nos travaux.

Je souhaite la bienvenue à la Société de développement des entreprises culturelles. M. Macerola — j'espère que je prononce bien votre nom — je vais vous demander de vous présenter et de présenter également les personnes qui vous accompagnent. Et vous allez avoir un temps à votre disposition, maximal, de 10 minutes pour nous faire votre exposé, par la suite suivra un échange avec les membres de la commission. La parole est à vous.

Société de développement des
entreprises culturelles (SODEC)

M. Macerola (François N.) : Je m'excuse, mais c'est plutôt la présidente du conseil d'administration, qui a tenu à être présente ici, qui, dans son introduction, je crois bien, va présenter l'équipe. Mais je suis effectivement François Macerola, le P.D.G. de la SODEC.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Mme Girard.

M. Macerola (François N.) : Vas-y.

Mme Girard (Doris) : Oui. Alors, bonjour. Je me présente, Doris Girard. M. Macerola s'est déjà présenté. À ma gauche, Mme Manon Trépanier, qui est libraire et présidente de la Commission du livre de la SODEC, et M. Gilles Corbeil, qui est directeur général, Livre, métiers d'art et musique.

Tout d'abord, nous tenons à saluer l'initiative de cette première consultation publique sur une mesure proposée il y a longtemps et qui, pour la première fois depuis l'adoption de la loi n° 51, repose, jusque dans ses modalités, sur un consensus général au sein de la profession. Le gouvernement du Québec, depuis de nombreuses années, soutient les artistes, les industries culturelles, de même qu'il reconnaît et appuie ce qui confère au livre une place exceptionnelle dans la diffusion du savoir. Les résultats de toutes ces interventions sont aujourd'hui probants et reconnus.

À ce sujet, je me réfère à une note publiée par le gouvernement fédéral, qui indique qu'au Québec, comme ailleurs au Canada, le marché du livre est caractérisé par la concentration, la présence de chaînes puissantes, une vaste majorité des ventes au consommateur réalisée par les librairies, des niveaux élevés de retour d'invendus et un fort volume d'importation. De plus, on précise que le marché québécois a des traits particuliers qui valent d'être soulignés : l'appui de son gouvernement, en premier lieu, l'agrément et le fait que les institutions publiques doivent acheter leurs livres auprès d'un libraire agréé, les chaînes régionales, l'intégration verticale, les ententes pour la distribution des nouveaux ouvrages, les salons du livre et la composition du marché, avec une majorité de livres en français et une majorité produite au Québec.

Toujours selon cette source, parmi tous ces facteurs, ce sont principalement l'agrément et les dispositions pour la distribution des nouveaux titres qui ont le plus contribué à renforcer la position des petits détaillants et à assurer la pérennité des titres d'auteurs québécois sur le plus vaste marché francophone d'Amérique. Depuis près de 20 ans, la SODEC est témoin de l'évolution de cette industrie et des progrès réalisés. En matière d'économie du livre, sa mission consiste à promouvoir et soutenir l'implantation et le développement des entreprises. Cette mission, elle la remplit en phase avec les milieux professionnels. Sa structuration même permet d'entendre leurs points de vue et d'en tenir compte dans l'exécution de son mandat. Sa loi, en effet, prévoit que ses commissions sectorielles, regroupant des professionnels désignés, conseillent la société sur les questions qu'elle leur soumet. Ainsi, notre commission du livre a préparé un mémoire, déposé aujourd'hui, qui explique en quoi la mesure proposée permettrait d'atteindre les objectifs poursuivis.

Dans le cadre de cette commission parlementaire, la SODEC a opté pour un examen de la proposition sous l'angle de la consolidation du réseau des librairies indépendantes. Acteurs de premier plan quand il s'agit d'assurer la diversité de l'offre, de rendre les livres disponibles partout et d'assurer les services d'accompagnement au lecteur, ces dernières constituent un solide point d'appui et jouent un rôle majeur dans l'ensemble du dispositif gouvernemental mis en place.

Mais ce réseau est en difficulté, et un sentiment d'inquiétude se fait jour quant à l'avenir, puisque ce sont ces mêmes librairies indépendantes qui sont fragilisées, surtout par l'effet de la concurrence du réseau de grande diffusion avec ses soldes, l'offensive des librairies géantes en ligne et l'absence de relève. Les données, elles existent. Mais les données brutes, les données tangibles qui parlent d'elles-mêmes sans mise en contexte sont beaucoup plus rares, mises à part celles qui confirment qu'au Québec plusieurs librairies ferment leurs portes, que le nombre de librairies agréées, qui avaient pourtant bénéficié d'une croissance soutenue, est en diminution et que la vente totale de livres est en baisse.

Après l'industrie de la musique, c'est maintenant vers celle du livre que se tourne l'attention, surtout depuis la multiplication des tablettes numériques abordables. Ce segment de marché donne des signes de croissance dont il faut tenir compte.

Par rapport à la volatilité de cet environnement, la SODEC s'inscrit résolument dans la recherche de solutions offrant à la fois l'adaptation propre aux transformations et la protection des acquis reconnus et conséquents des dispositions introduites au fil des ans. À titre d'exemple, nous soutenons l'initiative de créer des entrepôts numériques et d'y rendre disponibles les nouvelles publications des auteurs québécois.

Quant à l'expérience des autres pays, elle est certes inspirante, mais, par divers aspects, nous ne pouvons en faire oeuvre utile. Leur marché est-il comparable? Les points de vente sont-ils dispersés sur un aussi vaste territoire? S'agit-il de petites communautés dans un large ensemble linguistique comme c'est notre cas? Leurs dispositions législatives ont-elles contribué à une structuration différente de leur industrie?

Par ailleurs, force est de constater que ce projet de réglementation provoque des réactions, que les avis divergent, que le diagnostic, et par conséquent ses causes, varie considérablement et que la mesure des différents effets annoncés nous rappelle les limites de l'anticipation. La proposition à l'étude, qui, par ailleurs, ne nécessite aucun subside de l'État, ne résoudra pas tous les problèmes, et, vraisemblablement, d'autres moyens devront éventuellement être imaginés. Le ministre de la Culture soulignait ici même il y a quelques jours que le gouvernement trouve impératif que puissent vivre décemment les librairies de nos villes, de nos villages et de nos quartiers, et nous, à la SODEC, nous faisons en sorte que cette volonté trouve écho dans nos interventions.

En définitive, pour préserver ce qui a été accompli et faire rempart à l'effritement observé, l'expérience quotidienne des libraires, notre propre analyse des évolutions et le large consensus au sein de l'industrie nous ont convaincus. La SODEC mise sur une réglementation du prix du livre pour consolider le développement de l'édition afin de maintenir l'accès à une offre diversifiée au bénéfice de tous les Québécois. Notre conseil d'administration a pris acte du mémoire de sa Commission du livre et l'appuie. Je cède la parole à Mme Trépanier.

• (15 h 40) •

Mme Trépanier (Manon) : Bonjour. Le milieu québécois du secteur du livre revendique aujourd'hui l'instauration d'une réglementation du prix de vente au public des nouveautés, que les livres soient imprimés ou numériques. La mesure proposée et les paramètres spécifiques qu'elle contient — durée d'application de neuf mois et seuil maximal de rabais autorisé de 10 % — s'apparentent aux lois de prix fixe adoptées dans plusieurs pays industrialisés, dont le Mexique, en 2008, et Israël, en juillet dernier.

Depuis l'instauration de la loi n° 51, deux mutations majeures survenues dans le portrait mondial de la vente au détail bousculent l'industrie du livre : l'arrivée des grandes surfaces non spécialisées, suivie du développement des nouvelles technologies de l'information, marqué par l'offensive majeure des sites transactionnels de multinationales telles Amazon ou Apple. Dans les pays où il n'y a jamais eu de réglementation du prix de vente, tels les États-Unis et le Canada anglais, ou qui l'ont abandonnée, comme le Royaume-Uni, on a assisté systématiquement à des guerres de prix qui ont entraîné la concentration du réseau de diffusion, la fermeture de nombreux points de vente indépendants et une augmentation des parts de marché des grandes surfaces.

Inversement, la réglementation du prix du livre a permis aux pays l'ayant adoptée le maintien d'un réseau de distribution diversifié qui inclut les librairies indépendantes. Seul un régime de fixation des prix de vente des nouveautés permettrait de déplacer le terrain de la concurrence des prix vers la qualité des services et ainsi maintenir un marché équilibré sur l'ensemble du territoire québécois.

Plus ou moins 500 titres sont mis en marché annuellement dans ce réseau. Ces titres présentent des conditions faciles de vente, ce sont principalement des livres à succès. Ce marché est caractérisé par des tirages à grand nombre d'exemplaires, un cycle de vente rapide, un taux de retour bas et un effort de vente minimal. Les autres nouveautés, les quelque 29 500 autres titres, sont mises en marché dans le réseau des librairies, principalement les librairies agréées. La vente de ces titres repose sur une équipe de libraires professionnels, demande un effort de promotion substantiel et une logistique considérable. C'est un segment de marché passablement moins rentable que celui des best-sellers.

Il faut ajouter que les rabais consentis par les grandes surfaces ont un impact sur le prix des livres. La compétition pour le plus bas prix conduit les grands détaillants à réclamer des remises supplémentaires de la part des distributeurs. La règle du jeu, au Québec, qui consiste à accorder un taux de 30 % de remise dans le réseau de la grande diffusion ainsi que des services de conditionnement et de traitement des livres, y compris l'étiquetage, semble toujours prévaloir.

Cependant, une pression accrue pourrait engendrer un même type de distorsion des prix comme c'est le cas au Royaume-Uni, selon l'économiste Francis Fishwick, où, pour compenser leur manque à gagner, les éditeurs augmentent le prix de détail suggéré et où, au bout du compte, le consommateur paie plus cher les livres. La hausse du prix du livre au Royaume-Uni a largement dépassé les hausses correspondantes en France et en Allemagne, qui ont conservé le prix unique du livre.

Nous croyons qu'une telle réglementation devrait nécessairement s'appliquer aux livres imprimés et aux livres numériques. L'aide gouvernementale a permis le développement de l'outil bibliographique Memento, des projets structurants tels le portail des librairies indépendantes du Québec et le prêt numérique en bibliothèque. Grâce à ces actions concertées, le Québec est nettement en avance sur la plupart des pays francophones dans le développement du livre numérique et de la vente en ligne et a réussi à faire une place aux librairies sur ce marché. Une réglementation du prix de vente du livre viserait à préserver une part de marché vitale au réseau des librairies dans la vente de ses livres, qu'ils soient vendus sur support papier ou sur support numérique. Elle nous apparaît comme une mesure essentielle et complémentaire aux autres mesures gouvernementales déjà existantes pour poursuivre les objectifs de la Politique de la lecture et du livre et assurer le maintien d'un réseau en santé de librairies agréées dans toutes les régions du Québec.

Nous croyons qu'il faut agir avant qu'il ne soit trop tard et que nous assistions, dans les prochaines années, à un recul et à une érosion de ce qui a été développé à force de combativité, de créativité et de concertation de la part de tous les acteurs de l'industrie du livre. Les actions gouvernementales ont aussi appuyé et soutenu cette évolution et se doivent d'être conséquentes. Merci.

La Présidente (Mme Vien) : Merci beaucoup. Merci. Alors, il y a un peu de temps qui vous a été concédé en surplus et qui sera tout simplement pris sur le temps des collègues.

Alors, tout simplement, on entame immédiatement les échanges entre vous, les représentants de la SODEC, et les membres de cette commission, à commencer par notre ministre.

M. Kotto : Merci, Mme la Présidente. Mme Girard, M. Macerola, M. Corbeil, Mme Trépanier, soyez les bienvenus et merci pour votre contribution.

J'étais très attentif à ce que vous nous présentiez. Vous attribuez la précarité de certaines librairies indépendantes à la concurrence des grandes surfaces. Que dites-vous de l'assertion qui veut que ce soit un mythe, cette idée de concurrence des grandes surfaces qui serait problématique pour nos librairies au plan de la concurrence? Il y a des personnes qui vous ont précédées qui l'affirmaient.

Mme Trépanier (Manon) : Bien, écoutez, ce n'est certainement pas un mythe puisque ces ventes-là représentent... Mon Dieu, c'est 14 millions que... Oui?

M. Macerola (François N.) : Ça représente 11 % de… Ça représente 70 millions.

Mme Trépanier (Manon) : Voilà, de dollars, dont une partie évidemment qui échappe aux librairies. Et je ne sais pas si vous vous souvenez, la semaine dernière, il y avait une libraire qui disait ici que certainement que ça nous échappe, mais, en plus, quand les clients viennent nous traiter de voleurs, c'est assez frustrant et ce n'est pas très intéressant, et c'est loin d'être un mythe, croyez-moi.

M. Kotto : Vous dites également dans votre mémoire que les objectifs de la réglementation du prix de vente des livres neufs est de permettre aux librairies de récupérer une part de la vente des nouveautés actuellement soldées par les grandes surfaces non spécialisées. Est-ce que vous misez sur le déplacement de la clientèle vers les librairies indépendantes dans cette perspective?

Mme Trépanier (Manon) : Vous savez, il y a une partie de la clientèle qui va continuer à acheter ses livres en grande surface. Ça, c'est tout à fait normal. Par contre, s'il y avait une réglementation du prix, il y aurait un rééquilibre du marché. Et les clients qui passent à la librairie, qui viennent nous demander conseil ou qui viennent voir si le livre est paru puis qui nous disent : Bon, bien, je vais aller chez Costco parce que c'est moins cher ou en grande surface parce que c'est moins cher, bien, ces clients-là ne se priveraient plus et achèteraient directement leurs livres en librairie. Ça, c'est certain.

M. Kotto : Et en quoi cette mesure aurait-elle un impact sur la concurrence entre les librairies elles-mêmes?

Mme Trépanier (Manon) : Bien, vous savez, les librairies, à l'heure actuelle, là, la moyenne de marge bénéficiaire est de 1,5 %. Donc, toute cette partie-là, qui est de la vente facile, comme on vous l'expliquait, qui est de la vente rapide et facile, c'est aussi la vente payante. Donc, tout ce qui pourrait permettre d'augmenter, si vous voulez, la marge nette, bien, c'est autant d'argent qui nous permettrait de mieux payer nos employés pour pouvoir les garder, de mieux les former et aussi d'élargir encore le fonds, de faire beaucoup plus d'animation, d'aller chercher les jeunes lecteurs et puis de pouvoir contribuer, comme on le fait déjà, à l'alphabétisation.

M. Kotto : O.K. Y a-t-il... En fait, de votre perspective, existe-t-il d'autres objectifs à cette mesure-là?

Mme Trépanier (Manon) : Pouvez-vous préciser la question? D'autres objectifs que...

M. Kotto : À cette mesure, celle de la réglementation. Est-ce qu'il y a d'autres objectifs derrière?

• (15 h 50) •

Mme Trépanier (Manon) : Vous savez, la rentabilité des librairies, là… on s'en rend compte, à quel point elles ne sont pas rentables à l'heure actuelle parce que, quand les libraires partent à la retraite, il n'y a personne pour acheter les librairies, ce qui n'était pas le cas avant, hein? Ça, c'est relativement nouveau dans ce marché-là.

Donc, ça permettrait justement de garder un réseau de librairies dans toutes les régions, un réseau solide et viable. C'est quand même une vitrine incroyable, hein, la librairie, pour les nouveautés, pour les nouveaux… les auteurs émergents, pour toute notre culture québécoise, la préservation de notre langue aussi. Alors, si les librairies ferment, dans les régions, ça va être catastrophique puis, à Montréal, ça ne sera pas moins drôle.

M. Kotto : Est-ce qu'il y a urgence, la législation, à cet enjeu?

Mme Trépanier (Manon) : Oui, il y a urgence. Il y a urgence parce que, là, on a des nouveaux enjeux. Avec l'avènement du numérique, on a travaillé très fort pour monter des systèmes, tout ça, mais on n'est pas à l'abri des Amazon ou des Apple. Et il y a aussi urgence parce que, vous savez, on n'est pas à l'abri d'une guerre de prix. Et ça, s'il y avait une guerre de prix…

Je ne sais pas si vous vous souvenez, mais, dans l'essence, là, on a vu ça récemment, hein? Il y avait une guerre de prix, on pensait que ça serait bénéfique pour le consommateur, mais ça n'a pas été le cas. Ça a fait fermer les petits postes d'essence et puis qu'est-ce qui est arrivé? L'essence a monté en flèche. Donc, c'est vraiment…

M. Kotto : O.K. Avec tout ce qui est porté à votre connaissance, que ce soit par vos travaux à l'interne ou ce que vous entendez depuis que ce débat s'est déclenché — non pas seulement récemment, mais, il y a une dizaine d'années, il était d'actualité également — est-ce qu'il est aujourd'hui pertinent de revoir la chaîne du livre et son financement?

Mme Trépanier (Manon) : Oui. Sur ça, j'aimerais passer la parole à M. Macerola.

M. Macerola (François N.) : Merci. Juste pour revenir à votre première question ou à votre deuxième, M. le ministre, les grandes diffusions, là… la grande diffusion touche environ 17 % du marché. Le marché global est 700 millions de dollars. Par conséquent, à un certain moment donné, il y aura une somme — puis là, là, c'est des approximations — d'environ 112 millions de dollars qui serait disponible quelque part. Si les librairies indépendantes viennent qu'à aller chercher leurs parts de marché qui se situent, mettons, à 20 %, on peut parler d'une vingtaine de millions de dollars qui vont se mettre à circuler. D'où et où, je ne sais pas, mais ça peut répondre à une de vos questions. Tantôt, quand mon collègue, Stéphan La Roche, mentionnait des nouveaux projets, bien, il y a certainement cet argent-là qui, à un moment donné, va être disponible.

Maintenant, nous, à la SODEC, on travaille avec une commission du livre. La Commission du livre n'a pas d'autorité de décision, décisionnelle, mais a un pouvoir de recommandation et fait des recommandations au conseil d'administration. Et c'est notre rôle, de par l'entremise de Gilles Corbeil et de son secteur, d'analyser la chaîne, la chaîne du livre. Quand on regarde… Tantôt, madame posait une question sur le droit d'auteur, les écrivains et comment étaient-ils payés, etc. C'est dans tous les secteurs où, fondamentalement, le créateur est la personne qui rentre chez elle ou chez lui avec le moins d'argent. Par conséquent, c'est clair qu'on veut revoir les choses, c'est clair qu'il y a énormément à faire. Mais personnellement je pense que le prix réglementé, c'est un bon départ à la révision qui devra être faite.

M. Kotto : Merci. Qu'adviendrait-il si les grandes surfaces devenaient spécialisées? C'est une hypothèse d'école. Dans l'hypothèse où il y aurait réglementation afin de s'ajuster à la nouvelle réalité — on est dans des hypothèses — si les grandes surfaces se spécialisaient, quel serait, selon vous, le nouveau paysage ou les nouvelles, disons, réalités des uns et des autres, que ce soit le réseau des librairies indépendantes ou les grandes surfaces elles-mêmes, dans la relation concurrentielle?

M. Macerola (François N.) : Personnellement, je pense que les grandes surfaces vont avoir de la difficulté à se spécialiser.

M. Kotto : Mais, vous savez, sans vous couper, en France, le cas s'est présenté avant mai 1981, avec Leclerc par exemple.

M. Macerola (François N.) : Leclerc, avec Leclerc, oui.

M. Kotto : Voilà, et qui…

M. Macerola (François N.) : Mais ça voudrait dire que — présentement, les grandes surfaces, là, pour ne pas nommer, donc, Costco, tout simplement, il y a un présentoir avec, je ne sais pas, un nombre de, disons, 500 livres maximum — là, ils vont être obligés, à un moment donné, s'ils sont spécialisés, de se créer une infrastructure. Et à ce moment-là je ne suis pas sûr, moi, qu'ils vont être capables de donner le même type de remise aux consommateurs, dans un premier temps. Et, dans un deuxième temps, le marché va tout simplement se partager entre les libraires et les grandes surfaces pour certains livres spécialisés qui vont être vendus pratiquement exclusivement ou en exclusivité par les grandes surfaces.

Mme Trépanier (Manon) : Mais je ne pense pas qu'un marché comme ça soit rentable pour eux parce qu'ils ne peuvent en aucun cas être assujettis à la loi n° 51. Et, si on n'a pas les ventes aux institutions, bien, c'est très difficile d'être rentables, puis je pense qu'il n'y a pas grand monde qui peut survivre dans ces conditions-là.

M. Kotto : On était dans des hypothèses. Merci. Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Vien) : M. le député de Bonaventure, ensuite de Sainte-Marie—Saint-Jacques. Ça vous va? Il vous reste un petit peu moins de… un petit peu plus de 10 minutes.

M. Roy : Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Vien) : Moins que ça, même moins que ça.

M. Roy : Mes salutations, mesdames et messieurs de la SODEC. Tout à l'heure, vous avez affirmé que vous… un de vos mandats, c'était de soutenir l'implantation et le développement des entreprises. Et, en discutant avec notre collègue ici, le ministre de la Culture et des Communications, vous avez dit aussi qu'une des problématiques des librairies, c'était le manque de relève. Bon, là, est-ce que, dans votre mandat, vous offrez du soutien aux entreprises pour former une relève, ou vous offrez de l'accompagnement, ou des choses de cette nature-là?

M. Corbeil (Gilles) : On n'a pas de programme direct. On n'a pas de programme direct d'aide pour la relève, mais on a des programmes d'aide pour l'amélioration des librairies : programmes d'aide pour l'informatisation, pour la modernisation, l'animation. Ce sont des programmes directs d'aide aux librairies agréées. Le volet retraite ou relève est à prendre en compte, mais, jusqu'à maintenant, on n'a pas eu ou on n'a pas de programme d'aide en ce sens.

M. Macerola (François N.) : Quand on mentionnait tantôt, là, que les programmes étaient toujours sous — commentje vous dirais bien? — haute écoute, c'est le type d'exemple. À un certain moment donné, on réalise, tout le monde, le milieu le réalise aussi, que la relève devient importante, et, par conséquent, la table de concertation, qui est présidée par Mme Trépanier, se met à l'étude et fait, comme je mentionnais tantôt, des recommandations à notre conseil d'administration.

Maintenant, on parle toujours d'entreprises, on parle toujours d'industries, et certains parlent, bon, de l'industrie du livre, de l'industrie du cinéma — il fallait que je prononce le mot au moins une fois, étant donné ma réputation — mais on devrait surtout parler de l'industrie de création parce qu'à la base même du livre il y a quelqu'un qui écrit, et cette personne-là doit cheminer. Tantôt, quelqu'un mentionnait que l'écrivain, l'écrivaine reçoit, quoi, 10 % environ, là, du prix global, et c'est clair que, si on veut établir un concept de justice distributive entre les systèmes, entre les différents intervenants et, ce qui est le plus important, le créateur, à ce moment-là, il va falloir qu'on revoie nos choses. Bernard Landry, la semaine passée, à l'ouverture du festival des films de Montréal, disait : La richesse la plus importante, au Québec, ce n'est pas l'économie, c'est la culture. Et je le cite avec plaisir.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Ça va? M. le député de Sainte-Marie—Saint-Jacques, vous avez la parole.

• (16 heures) •

M. Breton : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, messieurs dames de la SODEC. Comme quelqu'un qui a travaillé pendant de nombreuses années dans le milieu de la culture, dans une autre vie, je suis très, très au fait des difficultés que représente la concurrence avec les grandes surfaces, les multinationales, et tout ça. Et je ne sais pas si vous avez entendu parler d'un phénomène, qui est en train de se mettre en place un peu partout en Amérique du Nord, qui s'appelle les express, les Costco Express, les Walmart Express, les Canadian Tire Express, qui sont en train de s'installer dans les centres-villes partout en Amérique du Nord. Donc, ça veut dire que la quincaillerie du coin, qui était encore un peu protégée par son statut très urbain, se retrouve avec un Canadian Tire Express au coin de la rue. Et ça, ça commence à s'implanter. Les Walmart Express sont en train de se mettre en place.

Et donc ça, ça va ne faire qu'accentuer la concurrence, que je considère déloyale personnellement, dans ce domaine-là. Donc, je pense que ça doit faire partie de la réflexion parce que, là, on ne parle pas juste des grandes surfaces, on parle de plus petites surfaces, grosseur d'une pharmacie, si on veut, même plus petit, mais avec des moyens d'achat qui sont absolument disproportionnés. Et là où la chose est particulière, c'est que, là, dans le fond, ce qui fait qu'on allait au dépanneur du coin ou ce qui fait qu'on allait à la quincaillerie du coin ou au libraire du coin, c'était le service. Donc, là, ça se peut qu'on perde en service parce que, dans les grandes surfaces, il ne faut pas se conter d'histoires, on n'est pas dans le service, on est dans le prix. Et le marché du livre, c'est un marché, à mon avis, qui doit être axé sur le service. Là, il y a des gens du Conseil canadien du commerce de détail qui disaient : Dans le fond, les gens, quand ils pensent en consommateurs, ils pensent prix. Moi, pour avoir travaillé dans le commerce de détail avant que je sois dans le milieu de la culture, ce que j'ai vu, dans le fond, c'est qu'il y a deux réalités : il y a des gens qui rentrent pour un prix, il y a des gens qui rentrent pour un service.

Donc, j'aimerais ça avoir vos réflexions là-dessus parce qu'on a beau réglementer le prix du livre, encore faut-il que le service soit à la hauteur. Ça fait que j'aimerais ça avoir vos réflexions là-dessus, et puis il y a aussi la question de la relève et…

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Juste un instant, M. le député. Je veux juste vous rappeler qu'il reste moins d'une minute.

M. Breton : O.K. Bon, bien, je vais le laisser répondre à la question puis je veux savoir aussi si vous avez des réflexions sur les applications. Est-ce que vous, à la SODEC, vous travaillez sur les applications liées aux livres?

M. Macerola (François N.) : Dans un premier temps, c'est évident que, pour nous, quand on parle qu'on veut s'appuyer sur un réseau de librairies, c'est l'aspect professionnel, là, qui sort immédiatement, c'est la qualité des services, c'est l'engagement des gens, les connaissances, les compétences.

Maintenant, personnellement, je pense que les gens qui vont chez Costco — on parle toujours de Costco, ça leur fait une promotion merveilleuse — je ne sais pas s'ils vont aller dans les librairies, mais, d'un autre côté, avec mon petit calcul de tantôt, l'argent qui pourrait se libérer éventuellement, ça va faire que ces gens-là vont être capables de payer leurs employés au-delà du 15 $ de l'heure qu'ils reçoivent présentement.

Une voix : C'est un maximum.

M. Macerola (François N.) : Le maximum. Ils vont être capables…

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Je suis désolée, je suis désolée, M. Macerola. C'est malheureusement tout le temps qui était alloué du côté du gouvernement. Nous allons maintenant du côté de l'opposition officielle. Mme la députée de Laporte, vous avez la parole.

Mme Ménard : Merci beaucoup, Mme la Présidente. M. Macerola, Mme Girard, Mme Trépanier, M. Corbeil. Vous venez de répondre à une question que j'avais, là. Vous n'êtes pas certain que le consommateur va se déplacer pour aller dans une librairie. Mais j'avais aussi, dans ma question… On sait que ces grandes surfaces, là, représentent… enfin, depuis le début, nous parlons de 11 %. Là, vous venez de parler de 17 %. Alors, qu'est-ce qui est inclus que tous les autres intervenants n'ont pas inclus? Parce que tout le monde a parlé ici de 11 % quand on parlait des grandes surfaces, et là vous venez de parler de diffusion, je pense, et de 17 %.

M. Macerola (François N.) : Moi, je parle de grande diffusion, et ça comprend 11 % des grandes surfaces, et ça comprend un 6 % pour les autres surfaces comme les pharmacies, les marchés alimentaires qui vendent Mme di Stasio à la caisse, etc., et, dans un premier temps, le 11 %, si on prend le volume global, représente 70 millions, et le 6 % des autres diffuseurs représente 42 millions. C'est ça, là, mon point.

Mme Ménard : Merci. Qu'est-ce que vous pensez des éditeurs qui permettent les rabais entre 10 % et 30 % dans les grandes surfaces qui, en sorte, vont faire qu'ils vont augmenter leur prix du livre?

M. Corbeil (Gilles) : Bien, je pense que, justement, c'est pourquoi nous préconisons l'adoption d'un prix réglementé pour faire en sorte que cela ne se passe plus parce que ça se répercute sur le prix de détail suggéré. Les rabais se répercutent sur le prix de détail suggéré, et c'est l'ensemble des consommateurs qui vont dans les librairies sur l'ensemble du territoire québécois qui, dans le fond, écope. Ça comprend nos bibliothèques publiques qui achètent ces livres-là plus cher que s'il n'y avait pas de rabais chez Costco, et c'est dans ce sens-là que nous, on préconise l'adoption de cette loi.

Mme Ménard : Mais, à ce moment-là, l'autre question que je me pose, c'est : Pourquoi les éditeurs qui  permettent ces rabais-là ne font pas la même chose avec les librairies?

M. Corbeil (Gilles) : Bien, j'étais présent quand M. Blaise Renaudétait ici, puis, lui, c'est un peu ce qu'il disait. Lui, il voudrait négocier des surremises ou des surrabais, mais là on n'en finira plus. C'est pour ça que, si c'était réglementé, là, on aurait quelque chose d'encadré pour tout le monde et ce qui ferait qu'on aurait un marché mieux équilibré sur l'ensemble du territoire. C'est, à notre avis en tout cas, un des grands bénéfices d'une telle loi.

Mme Ménard : J'imagine que vous avez suivi la commission depuis le début. Est-ce que vous êtes d'accord avec le questionnement de M. Belzile, des HEC, qui dit : Qu'est-ce qu'on défend ici : la culture, la lecture, ou les marchands et les producteurs?

M. Corbeil (Gilles) : Moi, je pense que c'est la culture.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) :

M. Corbeil (Gilles) : Excusez-moi, Mme la Présidente. Je pense que c'est la culture dans le sens où nos auteurs, les auteurs québécois, se retrouvent d'abord et avant tout dans l'ensemble des librairies sur l'ensemble du territoire québécois. Il y a quelques auteurs québécois qui se retrouvent chez les Costco, mais ça, ils sont rendus des best-sellers quand ils sont rendus là. Mais tous les autres, tous les autres auteurs, ils se vendent presque exclusivement dans les librairies sur l'ensemble du territoire québécois.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Mme Girard.

Mme Girard (Doris) : Oui, enfin, ce que je voulais ajouter, c'est probablement le fait qu'on est conscients que la question des librairies indépendantes peut, a priori, sembler un moyen pour l'atteinte des objectifs et qu'en soi on pourrait se dire : Les objectifs, s'ils sont atteints autrement, ça va. Mais c'est plus qu'un moyen. Quand on regarde la place que prennent les librairies sur le territoire, c'est presque un objectif opérationnel dans les faits et c'est un maillon très, très essentiel et très important de l'ensemble du dispositif qui a été mis sur pied pour toute la question de la lecture au Québec. On a choisi de se concentrer sur les librairies indépendantes parce qu'on est conscients que, sans ce maillon-là, on est en difficulté par rapport à l'atteinte de plusieurs autres objectifs dont ce n'est pas nécessairement notre mandat de s'occuper au jour le jour.

Alors, je pense que c'est ce qu'il faut retenir essentiellement de notre intervention, et c'est dans cet esprit-là qu'on a exploré l'ensemble des dimensions qui apparaissaient, au fond, parce que les questions que vous posez, on se les pose, nous aussi. On explore, on regarde ce que ça veut dire et on s'est dit que la culture, dans ce qu'elle a de plus noble, serait certainement perdante le jour où les librairies indépendantes du Québec ne seraient plus, n'auraient plus pignon sur rue.

Mme Ménard : Donc, vous défendez la culture et la lecture et vous pensez que la réglementation du prix va sauver ça?

Mme Girard (Doris) : Je pense qu'on peut résumer notre position dans le sens suivant : nous défendons, bien sûr, la culture; nous défendons, bien sûr, la lecture; nous défendons également les entreprises qui en sont porteuses au jour le jour. Et la question du prix réglementé est une question importante. Je redis ce que je disais dans mon intervention tout à l'heure : Ce n'est pas la panacée, ça ne réglera pas tout. Je pense qu'il y a un leurre, là, qui s'amenuise au fur et à mesure que les heures passent pour vous. Mais, au fond, on est convaincus que c'est un moyen qui pourrait agir sans tout régler, mais qui pourrait certainement agir à sa manière.

Mme Ménard : Vous savez, il y a plusieurs intervenants qui sont passés, là, et, souvent, on a entendu : Bien, demandez ça à la SODEC, ils vont vous donner les chiffres. Alors, vous êtes très populaires, là, hein, vous savez? Alors, j'aimerais ça…

Mme Girard (Doris) : On vous attendait.

Mme Ménard : Alors, j'aimerais ça… J'ai des questions de chiffres, là, à vous demander. D'abord, est-ce que vous avez la liste des librairies qui ont fermé leurs portes depuis la dernière décennie, et quelles en sont les raisons?

Mme Girard (Doris) : On pourrait certainement vous fournir cette liste-là. Je ne pense pas, là, que… sur-le-champ, comme ça, mais c'est certainement quelque chose qu'on a.

M. Macerola (François N.) : Mais on l'a.

Mme Girard (Doris) : C'est clair.

M. Macerola (François N.) : On l'a. Première bonne réponse.

Mme Ménard : Bon. Alors donc, vous allez nous la faire parvenir?

Mme Girard (Doris) : Oui.

Mme Ménard : Merci.

M. Macerola (François N.) : Oui, on va vous la faire parvenir, oui.

Mme Ménard : D'accord. L'autre question aussi, qui est des chiffres : Combien de librairies par habitant au Québec, comparativement au nombre de librairies par habitant en France?

M. Corbeil (Gilles) : Je vais vous répondre d'une autre façon, je veux dire, dans le sens où, en France, il y a 3 500 librairies indépendantes. Ils sont…

M. Macerola (François N.) : 50 quelque millions.

M. Corbeil (Gilles) : Oui, oui, oui, ils sont plutôt près de 70 millions.

M. Macerola (François N.) : 70 millions, 70 millions?

Des voix :

Mme Ménard : 64…

M. Corbeil (Gilles) : Oui. Plus de 60 millions.

Mme Ménard : 64,8 au dernier… en janvier, là.

M. Corbeil (Gilles) : Alors, nous, on parle de 300 librairies. Alors, on est à peu près dans les mêmes proportions, si vous voulez.

M. Macerola (François N.) : Au prorata, Gilles.

M. Corbeil (Gilles) : Oui, proportion, prorata.

M. Macerola (François N.) : Oui, oui, c'est correct.

M. Corbeil (Gilles) : Lui et moi, on s'obstine souvent.

Des voix :

Une voix : …mot italien, en italien.

Une voix : Il y a consensus, ici.

• (16 h 10) •

M. Macerola (François N.) : Et ça, madame, on pourra vous faire parvenir plus de chiffres, là, mieux étayés, parce que ces chiffres-là relèvent du ministère, je crois bien, et puis on va travailler avec eux pour vous faire parvenir tout ça.

Mme Ménard : O.K. Tantôt, quand je vous ai parlé des éditeurs, là, qui permettaient les rabais, et tout ça, j'ai oublié de vous faire mention d'un article en 2000, et c'était Paule Des Rivières, Le prix du livre, qui disait : «...ne faudrait-il pas commencer par le commencement et demander d'abord aux distributeurs — et à certains éditeurs — de s'autodiscipliner en cessant de consentir aux grandes surfaces des remises jusqu'à deux fois plus élevées consenties aux petites librairies?» Alors, en 2000, on avait soulevé ça.

M. Macerola (François N.) : Oui, maintenant, c'est évident que c'est une réflexion qu'on doit soulever encore. Il faut se demander si les éditeurs ont réellement le choix, il faut réellement vérifier. Mais, quant à moi, ça fait partie, et je suis sûr, connaissant le ministre, qu'on va avoir éventuellement une liste de travaux à accomplir, que ce soit au CALQ ou à la SODEC. Mais, pour moi, c'est une des questions à laquelle il faut réfléchir, et, présentement, on est en train de réfléchir dans le milieu du cinéma. C'est les mêmes questions qu'on se pose : la distribution, la création et la diffusion. C'est les trois thèmes que le ministre nous a demandé de réfléchir, et on va les réfléchir aussi dans le domaine du livre.

Mme Girard (Doris) : Si vous permettez, j'ajouterais simplement un élément. Toute la question du numérique, c'est une question qui est transversale dans tous ces secteurs-là. La SODEC a l'avantage d'oeuvrer dans différents secteurs des industries culturelles, dans l'ensemble des domaines des industries culturelles, et c'est un avantage qui devrait nous permettre de pouvoir exporter ou importer, dépendamment du point de vue où on se place, les bonnes idées d'un secteur dans l'autre secteur. Donc, l'organisation même nous permet d'anticiper et de faire des avancées qu'on ne pourrait probablement pas faire si les organisations étaient en silo, là, par exemple, une société d'État pour le livre, une autre pour le cinéma, etc.

Donc, c'est un avantage dont on bénéficie actuellement.

Mme Ménard : O.K. Vous avez répondu à une autre question avant que je vous la pose concernant… que ce n'était pas la solution. Mais il y a d'autres interventions qui doivent être faites.

Alors, en conclusion, comme dernière question que j'aurais pour vous, c'est : Êtes-vous d'accord avec le fait de légiférer une mesure qui serait de très courte durée? Plusieurs intervenants nous ont dit : La réglementation du prix du livre soulagerait les librairies pour une période de deux ans. D'autres sont allés jusqu'à quatre ans. Alors, est-ce que vraiment nous devrions légiférer pour une mesure qui serait de si courte durée, comme effet, là?

Mme Girard (Doris) : La proposition que nous avons examinée, la mesure que nous avons examinée n'avait pas ce cadre temporel, donc, c'est très difficile, je pense, pour nous de répondre à cette question-là. C'est une hypothèse, comme disait M. le ministre tout à l'heure. Il faudrait certainement y réfléchir, quoique ce que ça indique pour nous, c'est le fait qu'on est dans un environnement volatile, changeant et, si on se donne un horizon de quatre ans pour voir les effets de cette mesure-là, je me questionne sur : Est-ce que ce sera suffisant? Parce que ça ne nous empêche pas de réfléchir à d'autres mesures qui pourraient s'additionner pour former un tout cohérent. J'aurais plutôt tendance à aller dans cette direction-là. J'aurais plutôt tendance à ce qu'on s'adjoigne, selon les orientations du ministre, avec d'autres sociétés d'État et d'autres joueurs pour explorer quelles seraient les mesures complémentaires. C'est davantage l'orientation que la SODEC prendrait.

Une voix : Est-ce que tu as une question?

Mme Ménard : Non, ça va. Ça va. Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Mme la députée de Montarville, vous avez la parole.

Mme Roy (Montarville) : Merci, Mme la Présidente. Mesdames messieurs, merci. Merci pour votre mémoire, merci d'être là. Je lis, dans votre mémoire… À la page 8, vous nous dites — et là on va parler de livres numériques : «...le Québec est maintenant en avance sur la plupart des pays francophones dans le développement du livre numérique et de la vente en ligne et a réussi à faire une place aux librairies sur ce marché.» Nous avions des intervenants qui nous disaient, la semaine dernière, que c'est environ, au Québec, 4 % des ventes de livres qui sont faites, au Québec, en ligne. Vous nous dites que nous sommes en avance sur les marchés francophones.   Cependant, il y a une mutation de l'industrie, tout se mondialise. Au Canada, c'est 15 % des ventes de livres qui sont en ligne. Chez nos voisins du Sud, ça oscille entre 20 % et 25 % aux États-Unis. Alors, ce que vous venez de nous dire — vous avez l'expertise, dans d'autres entreprises à la SODEC, d'autres entreprises culturelles, du numérique — qu'est-ce qu'il faudrait faire, au Québec, pour que nos libraires y trouvent leur compte, mais aussi pour que les auteurs puissent y trouver leur compte? Qu'est-ce qu'il faut faire avec le livre numérique? Parce que ça s'en vient, c'est une vague, et on n'y échappera pas. Mais comment préserver à la fois la bibliodiversité, aider nos auteurs et faire en sorte qu'on tire notre épingle du jeu avec ces ventes de livres?

Mme Girard (Doris) : Je vais passer la parole à M. Corbeil, mais auparavant j'ai vraiment envie d'insister sur le fait qu'on est véritablement, dans le secteur du livre, en avance à cause des dispositions qui ont été prises en phase avec les milieux, les mesures, les initiatives qui ont été prises. Il y a plusieurs pays qui nous envient à cet égard-là. Et je pense que Gilles Corbeil pourrait vous donner une mesure un peu plus précise des mesures qui ont été mises en place déjà et qui fonctionnent très bien.

M. Corbeil (Gilles) : Bien, parmi les initiatives, il y a l'entrepôt numérique ANEL-De Marque qui a été initié par l'Association nationale des éditeurs, mais qui s'est adjointe à une entreprise privée qui s'appelle De Marque, et cela a permis d'autres développements, tel un portail, le portail des librairies indépendantes, qui s'appelle Rue des Libraires et qui permet donc à nos concitoyens d'avoir accès à un livre imprimé par le Net, mais aussi ils peuvent avoir accès au livre numérique en ligne. Et puis la plateforme Pretnumerique.ca, qui est un service de prêts de livres numériques en bibliothèque publique… Et ça, ça a été développé… Je veux dire, au niveau de l'ensemble des associations québécoises qui ont mis ça à la disposition des Québécois. Pretnumerique.ca, je crois que c'est unique. Et puis...

Mme Girard (Doris) : ...juste... Les autres secteurs envient cette mesure-là.

M. Corbeil (Gilles) : La musique, le secteur de la musique aurait souhaité avoir de telles mesures, mais le livre, je vous dirais, a été en avance, et puis c'est rendu un modèle pour ailleurs aussi dans le monde, notamment la question de Pretnumerique.ca.

Mme Roy (Montarville) : Souhaiteriez-vous que les dispositions qui sont souhaitées par le milieu s'appliquent aussi au livre numérique, ce rabais de 10 % sur neuf mois sur le livre électronique neuf?

Mme Girard (Doris) : Je pense que, là-dessus, on est très, très clairs, on est très unanimes au sein de la SODEC : on souhaite que ça s'applique également au livre numérique. On est conscients cependant que l'éditeur qui détermine le prix du livre, qu'il s'agisse d'un livre papier ou du livre numérique, pourrait avoir deux prix. En fait, on le souhaite. Normalement... Actuellement, la pratique, c'est 70 % à peu près du prix papier qui est en général pratiqué pour le prix pour le livre numérique. Donc, dans ces paramètres-là, on peut très bien imaginer que la mesure donne des effets également dans ce secteur-là.

Mme Roy (Montarville) : Je vous remercie infiniment.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci, Mme la députée de Montarville. Mesdames, messieurs, merci pour votre présentation.

J'invite maintenant les représentants des... gens de Bibliothèque et Archive nationales du Québec à prendre place, et nous allons suspendre quelques instants.

(Suspension de la séance à 16 h 18)

(Reprise à 16 h 20)

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : …s'il vous plaît. Donc, nous reprenons nos travaux. Mesdames monsieur, bienvenue à l'Assemblée nationale. M. Berthiaume, je vais vous demander de vous présenter et de présenter également les personnes qui vous accompagnent. Vous allez avoir un temps maximal de 10 minutes pour faire votre exposé. Par la suite suivra un échange avec les parlementaires. La parole est à vous.

Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BANQ)

M. Berthiaume (Guy) : Merci beaucoup. Je veux tout d'abord remercier la commission de nous avoir invités à participer à cette consultation très importante. Je suis accompagné de Mme Hélène Roussel, qui est la directrice générale de la diffusion — ce qui est, dans notre jargon, une façon de dire : c'est elle la grande responsable de la Grande Bibliothèque à Montréal — et de Mme Pascale Ryan, qui est aussi une employée de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et qui a un Ph. D. dans l'histoire du livre. Donc, je me suis dit… J'ai entendu certaines des questions la semaine passée et je me suis dit que je devais être bardé d'information et de connaissances. Donc, Mme Ryan et Mme Roussel.

Je me permets aussi, en quelques mots, de vous présenter notre institution un peu complexe, avec un acronyme qui ne facilite pas la compréhension : BANQ, la BANQ, etc., ça ne simplifie pas les choses. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, c'est le résultat de trois fusions rapides et successives. Tout d'abord, la création de la Grande Bibliothèque du Québec, souhaitée par Lucien Bouchard — on s'en souviendra — en 1998, par la fusion de deux institutions, la bibliothèque Saint-Sulpice, qui était la bibliothèque provinciale, et la Bibliothèque centrale de Montréal, ce qui fait qu'encore aujourd'hui nous sommes la Bibliothèque centrale de Montréal. La Grande Bibliothèque a ouvert ses portes en avril 2005, il y a maintenant huit ans, et, depuis ce jour, 23 millions de personnes ont franchi ses portes, ce qui fait de la Grande Bibliothèque la plus fréquentée en Amérique du Nord et la plus fréquentée, bien sûr, de la francophonie. En 2001, avant même que la bibliothèque n'ouvre ses portes, on lui a demandé de faire une nouvelle fusion, cette fois avec la Bibliothèque nationale du Québec qui, elle, avait été créée en 1967. La Bibliothèque nationale, je le rappelle, a la vocation de rassembler, conserver et diffuser tout ce qui se publie au Québec, non seulement les livres bien sûr, mais les journaux, les revues, les CD de musique, les DVD de films, les affiches, les cartes postales, les estampes d'artistes, tout cequi se publie au Québec. On retrouve là, donc, près de 3 millions de documents et tous les trésors patrimoniaux du Québec.

Enfin, une dernière fusion, dès les portes de la Grande Bibliothèque ouvertes, en janvier 2006, avec le réseau des Archives nationales du Québec, donc là où on conserve tous les documents, y compris, un jour, ceux de cette commission, et qui sont répartis dans 10 villes du Québec, dans toutes les grandes villes du Québec, et qui est aussi à l'avant-garde des moyens numériques pour diffuser son patrimoine. Pour compléter le portrait de famille, 5 millions de personnes, chaque année, communiquent avec nous par notre portail.

Notre loi nous confère la mission d'acquérir, conserver et diffuser le patrimoine québécois, documentaire québécois, et, comme je l'ai indiqué, ce patrimoine dépasse de beaucoup le livre imprimé. Nous consacrons annuellement 7millions de dollars à l'achat de documents de toutes sortes : des livres, des revues, des journaux, des bases de données, des CD, des DVD, des Blu-ray, des jeux vidéo, etc. En 2012‑2013, 3,4 millions de dollars, soit tout près de la moitié de la somme totale de nos investissements en documents, ont servi à l'acquisition de livres analogiques, livres en papier ou de livres numériques.

Ces acquisitions-là, on les fait auprès des librairies agréées de toutes les régions du Québec. Compte tenu du caractère national de notre institution, nous n'achetons pas, contrairement aux autres bibliothèques publiques du Québec, des livres seulement dans la région où nous sommes implantés, mais nous achetons des livres dans toutes les régions administratives du Québec dans lesquelles sont situées des librairies agréées. Nous avons développé donc une méthodologie pour répartir nos achats : 50 % dans la région de Montréal, 50 % auprès de toutes les autres régions. Dans la mesure du possible, on s'approvisionne auprès d'au moins trois librairies agréées dans chacune des régions.

Compte tenu… eu égard, pardon, aux librairies… au livre numérique, nous avons développé, comme il en a été question, grâce à l'appui de la SODEC et grâce aussi à tous les acteurs de la chaîne du livre, cette plateforme dont on vous a parlé, qui s'appelle Pretnumerique.ca. Je veux vous rappeler que, là-dessus, nous avons délibérément fait le choix de respecter la chaîne du livre parce que, dans le domaine du numérique, on aurait très bien pu sauter des étapes. On aurait pu faire l'économie de discuter avec les libraires et discuter directement avec les éditeurs, avec d'autres acteurs et on a choisi délibérément de respecter intégralement la chaîne du livre en créant cette plateforme Pretnumerique. Aujourd'hui, on y trouve plus de 7 000 titres numériques que les Québécois peuvent emprunter, et il y a, à ce jour, 325 000 téléchargements, donc 325 000 personnes qui ont passé par cette plateforme qui est disponible à la bibliothèque de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, mais aussi dans plusieurs autres bibliothèques publiques, pour emprunter des livres numériques. C'est à peu près une moyenne de 1 000 titres par jour qui sont téléchargés. 36 bibliothèques et réseaux de bibliothèques, donc, ont adhéré à la plateforme, et ce nombre est en croissance continue.

Vous comprendrez qu'il n'appartient pas à Bibliothèque et Archives nationales de prendre parti sur la question du prix de vente unique, d'autant plus que les règles actuelles, celles qui sont envisagées, n'ont pas d'impact sur le coût de nos acquisitions, puisque la loi sur le développement des entreprises québécoises, ce qu'on appelle la loi n° 51 dans notre jargon, prévoit que les bibliothèques paient le prix régulier, le plein prix pour leurs achats.

Nous voulons toutefois manifester notre appui à toute mesure qui va assurer une plus grande bibliodiversité et une présence à l'échelle du territoire, complète, d'une offre forte de livres riches et variés. Pour nous, librairies et bibliothèques ne s'opposent pas; elles sont, au contraire, deux facettes de la même réalité, celle du livre comme produit culturel par excellence. Et ceux qui ont eu le plaisir de fréquenter les bibliothèques ont pu constater à quel point les grands lecteurs sont de grands emprunteurs et aussi de grands acheteurs. Il n'y a pas de dichotomie, il n'y a pas d'opposition entre ceux qui fréquentent les bibliothèques et ceux qui fréquentent les librairies.

Ceci étant dit, BANQ souhaite que les livres numériques soient également inclus dans la réglementation relative au prix de vente, et c'est l'essentiel du message que je voulais vous livrer cet après-midi. Pour nous, une telle inclusion aurait pour effet de rendre disponible pour tous les citoyens la totalité de la production numérique, sans délai indu. En effet, la totalité des livres numériques québécois n'est pas disponible à l'heure actuelle pour les bibliothèques puisque certains éditeurs ont choisi de ne pas permettre aux bibliothèques d'acheter leurs titres par crainte de voir la vente de ces derniers diminuer. De plus, il est essentiel qu'il n'y ait pas de délai entre le moment où les livres numériques sont disponibles en ligne et celui où ils sont vendus aux bibliothèques. Un tel délai n'existe pas pour les livres imprimés, et il serait préjudiciable, en particulier pour les citoyens les moins fortunés, que l'accès gratuit aux livres numériques par la médiation des bibliothèques publiques se produise plus tard que l'accès payant par la médiation d'entreprises commerciales.

Finalement, l'inclusion des publications numériques dans la Loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre faciliterait grandement la production de livres adaptés destinés aux personnes ayant un handicap visuel ou perceptuel. La production des livres adaptés sera en effet moins coûteuse si on n'a pas à passer par une lecture optique des livres papier pour en faire des livres en braille ou sous d'autres formes. Par ailleurs, il serait aussi nécessaire qu'à court terme des dispositions relatives au dépôt légal soient modifiées pour inclure les ouvrages numériques puisque, contrairement à d'autres juridictions comme la Grande-Bretagne, l'Allemagne, le Canada, la France, le dépôt légal de la version numérique n'est pas obligatoire au Québec; il est, pour le moment, volontaire. Alors, la conséquence, pour nous, c'est que nous devons fonctionner avec les éditeurs sur une base volontaire, ce qui fait que la Bibliothèque nationale du Québec ne peut pas offrir à ses usagers la totalité de l'offre numérique pour consultation in situ.

En conclusion, dans le cadre du débat qui est actuellement engagé, il nous paraît essentiel qu'un réseau solide de diffusion du livre à l'échelle du territoire s'accompagne d'une promotion active de l'accès aux livres numériques. Merci.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Nous allons débuter les échanges. M. le député de Bonaventure, vous avez la parole.

M. Roy : Merci, Mme la Présidente. Mes salutations, Mmes Roussel et Ryan, et M. Berthiaume.

Bon, une question simple mais complexe aussi : Est-ce que, pour vous, la réglementation proposée va favoriser la bibliodiversité, la soutenir?

• (16 h 30) •

M. Berthiaume (Guy) : Moi, je pense que oui. Comme je vous le disais, dans le cadre étroit de nos mandats et de nos responsabilités, pour nous, ça ne change rien, mais je crois qu'effectivement cette mesure-là aurait pour effet d'appuyer la bibliodiversité.

Là où je ne peux pas aller, parce que c'est vous qui entendez plus que moi les témoignages, c'est de vous dire : Est-ce la meilleure mesure? Y a-t-il d'autres mesures? Y aurait-il d'autres avenues? Ça, je ne suis pas en mesure de vous le préciser. Mais c'est clair, pour moi, qu'il y a une adéquation immédiate entre la bibliodiversité et la capacité d'avoir des librairies indépendantes à l'échelle du territoire.

M. Roy : Merci. Une autre question. À la page 3 de votre mémoire, il y a un petit passage qui m'a un peu, bon, surpris. Troisième paragraphe, vous dites : «En effet, la totalité des livres numériques québécois n'est pas disponible à l'heure actuelle pour les bibliothèques, certains éditeurs ayant choisi de ne pas permettre aux bibliothèques d'acheter leurs titres, par crainte de voir les ventes de ce dernier diminuer.»

Donc, si je comprends bien, on ne permet pas d'avoir une version numérique de certains bouquins de peur de ne pas voir les ventes se faire, donc on ne permet pas l'accessibilité en bibliothèque. Est-ce que c'est fréquent, ça?

M. Berthiaume (Guy) : La loi n° 51 ne couvre pas le numérique, et c'est normal parce que personne à l'époque, même en étant très... Jules Verne n'aurait pu prédire le livre numérique. Donc, comme le livre numérique n'est pas inclus dans la loi, les libraires et les éditeurs, a fortiori, ne sont pas obligés de nous vendre les livres, contrairement aux livres en papier. Et donc, effectivement, certains éditeurs, importants dans certains cas, ont choisi de ne pas adhérer à la plateforme Pretnumerique.ca, dont on vous a parlé, et leurs livres numériques ne sont pas disponibles pour prêt dans les 36 bibliothèques qui en offrent aujourd'hui. Et donc une inclusion dans la loi réglerait ce problème-là.

M. Roy : Est-ce que c'est fréquent? C'est quoi, le pourcentage en termes de...

M. Berthiaume (Guy) : Mme Roussel.

Mme Roussel (Hélène) : En ordre de grandeur, il y a à peu près 7 000 titres dans Pretnumerique.ca. Et justement l'article qui a paru dans La Presse aujourd'hui, dans La Presse écrite, mentionnait au moins le double.

M. Roy : Double?

Mme Roussel (Hélène) : De titres disponibles en format numérique.

M. Roy : Disponibles.

Mme Roussel (Hélène) : Donc, vous et moi, M. et Mme Tout-le-monde peuvent acheter ce livre numérique là, mais pas la bibliothèque pour ses usagers.

M. Roy : Donc, il y a tout près de 50 % des bouquins numériques qui ne sont pas disponibles dans les bibliothèques au Québec actuellement?

M. Berthiaume (Guy) : Si tant est que l'article de La Presse soit exact, là. J'avoue que je suis dans des sources secondaires, là, mais ça fait à peu près ça.

M. Roy : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci, M. le député. Maintenant, la parole est au député de Saint-Hyacinthe.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Merci, Mme la Présidente. À peu près dans le même ordre d'idées, je voulais mentionner justement l'article de La Presse qui avait paru cette semaine; j'en ai été fort surpris. D'après les témoignages qu'on avait eus la semaine passée et avec ce que j'ai lu dans La Presse, il y avait quand même une bonne différence dans la perception. Peut-être que l'article de La Presse est correct aussi, là, parce qu'il dit qu'on n'est pas si en retard... on n'est même pas en retard, au Québec, sur le numérique. Les bibliothécaires… les librairies, je veux dire — les bibliothèques aussi — ils ont les outils pour aller au numérique, ils ont les outils qui ont été développés. Il s'agit juste que nous, les consommateurs, on les utilise un peu plus pour pouvoir justement… Et ça, cet aspect-là me chicotait.

Mais je voudrais savoir, dans votre perspective à vous, si vous avez eu un impact, l'impact du numérique sur le livre, et s'il y a une étude d'évolution du marché que vous êtes… que vous, vous tenez compte ou vous faites, dans le futur, pour voir vers où on s'en va dans ce domaine-là puis est-ce qu'on va être capables de ramasser toute la demande ou si on va se disperser dans les grandes chaînes, là, comme vous dites, dans les… et d'autres circuits qui sont peut-être plus à l'avant-garde, là.

M. Berthiaume (Guy) : La première chose qu'il faut dire, c'est que La Presse — l'article de La Presse de ce matin, je pense que c'est M. Herman — parle des librairies, des ventes en librairies, alors que, quand on parlait d'un retard relatif, c'était par rapport aux bibliothèques. Et, comme je viens de vous le dire, le nombre de titres disponibles dans les bibliothèques, ce n'est pas le même que ce qui est disponible sur le marché.

Malgré tout, il dit qu'on n'est pas si en retard que ça; ça dépend à qui on se compare. Mais, si on se compare au reste du Canada puis à l'Amérique du Nord, parce qu'on est quand même dans cet environnement-là, géographique, on n'est pas en avant. Là où on est en avant, c'est par rapport à d'autres juridictions européennes, etc., sud-américaines. Mais le taux de prêt et le taux d'achat de livres numériques — je pense que les collègues de la SODEC en ont parlé tout à l'heure — sur le marché américain est beaucoup plus important que ce qu'on retrouve au Québec.

Nous, notre position là-dessus, c'est d'accompagner nos usagers et les éditeurs. Et donc, tant que les éditeurs vont publier des ouvrages en papier, on va les acquérir puis on va les rendre disponibles à nos usagers. Je n'ai pas senti, chez nos usagers, un fléchissement de la demande. Les statistiques des bibliothèques publiques montrent que les demandes de prêt sont en augmentation constante au Québec. Et donc je dirais que le prêt numérique est venu ajouter une strate de gens qui, par exemple, habitant loin de Montréal, ne pouvaient pas physiquement se déplacer pour venir chercher le livre. Mais je ne crois pas que ça a eu comme effet de réduire le taux de lectorat, au contraire.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Vous mentionnez aussi que l'inclusion du livre numérique dans la législation faciliterait grandement la production de livres adaptés et que celle-ci serait moins coûteuse en temps et en argent. Avez-vous estimé le coût pour l'adaptation d'un livre, selon que l'on procède à partir d'un livre imprimé ou d'un livre numérique? Avez-vous une comparaison de prix ou...

M. Berthiaume (Guy) : Mme Roussel.

Mme Roussel (Hélène) : Non. Actuellement, il y a des expériences qui se font, c'est en test, alors on n'a pas encore de coûts. Mais il est assez certain que les coûts diminueront si on peut partir d'une version numérique pour produire un document adapté par synthèse vocale ou transformation en braille. Mais les coûts sont en évaluation présentement.

M. Berthiaume (Guy) : Parce qu'actuellement le système, il est très rudimentaire : on prend un livre physique, on l'envoie à l'Institut Nazareth et Louis-Braille, il y en a une lecture qui est faite pour en faire une version numérique et, après ça, on produit le texte en braille. Donc, si, directement, ils avaient accès au texte numérique, ils n'auraient pas à avoir une lecture optique avec des fautes de lecture, avec une correction d'épreuves avant de créer la version numérique, ils l'auraient directement.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Merci.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. La parole est maintenant à M. le ministre; par la suite, au député de Sainte-Marie—Saint-Jacques.

M. Kotto : Oui, une toute petite question. M. Berthiaume, Mme Roussel, Mme Ryan, soyez les bienvenus. Merci de nous apporter votre sagesse et votre science en ces lieux aujourd'hui devenus un champ de bataille entre deux pôles. Ce que vous dites va certainement nous aider.

Dans votre mémoire, vous mentionnez que les librairies et bibliothèques ne s'opposent pas, mais qu'«elles sont au contraire deux facettes d'une même réalité, celle du livre comme produit culturel par excellence». Est-ce que vous pouvez élaborer?

M. Berthiaume (Guy) : C'est que souvent — et on peut penser, par exemple, à la réaction des éditeurs qui n'ont pas souhaité que les livres numériques qu'ils publiaient soient disponibles dans les bibliothèques — on entend le raisonnement selon lequel, si un livre est disponible, si les gens peuvent l'emprunter en bibliothèque, on aura un effet négatif sur la vente de livres, alors que c'est faux, on crée des accros, on crée des junkies de la lecture, et donc ils vont acheter forcément davantage de livres. Et ça, c'est démontré par toutes les études qu'on puisse avoir : c'est les mêmes personnes qui sont de grands consommateurs de livres. «Produit culturel par excellence», parce que, contrairement au cinéma, contrairement au théâtre, contrairement même aux arts plastiques, le geste de l'écrivain est le geste culturel le plus économique, le geste culturel le plus économique que notre société puisse produire, et donc on peut retrouver toutes les manifestations de notre culture dans la littérature, alors que le déploiement de moyens plus conséquents nous donne forcément un portrait un peu plus restreint de la totalité de notre pensée collective.

M. Kotto : Merci.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci.

M. Berthiaume (Guy) : Mais on peut différer d'opinion si on a pratiqué d'autres formes d'art.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : M. le député de Sainte-Marie—Saint-Jacques, vous avez la parole.

M. Breton : Merci, Mme la Présidente. Écoutez, en tant que moi-même auteur de quelques livres et en tant que votre voisin...

M. Berthiaume (Guy) : Au contraire, notre représentant.

• (16 h 40) •

M. Breton : …votre représentant, exactement, et fervent utilisateur de la Bibliothèque nationale, qui m'impressionne au plus haut point, je dois vous dire, moi, quand ça a ouvert, je suis devenu junkie de bibliothèque, vous avez raison. Et c'est pour ça que je dois vous avouer que je suis étonné quand j'entends ce que vous dites, à savoir qu'il y a des gens qui disent : On ne veut pas de versions électroniques dans les bibliothèques pour ne pas cannibaliser les ventes de livres. Celle-là, je ne l'avais pas entendue auparavant. Je dois vous avouer que ça m'étonne.

Donc, ayant entendu ça, moi, j'entends des gens... Il y a quelqu'un que j'ai croisé, il y a quelques jours à peine, qui me parlait d'un nouveau type de livre numérique qui ferait en sorte qu'en mettant ces livres-là dans une application numérique, ça pourrait faire en sorte qu'il y aurait un beaucoup plus grand pourcentage de la vente de ce livre numérique là qui se retrouverait directement à l'auteur. Est-ce que vous avez des réflexions là-dessus?

M. Berthiaume (Guy) : Moi, j'avoue que je ne connais pas, à moins que la personne pense à l'autoédition qu'offre Amazon.com. Je sais que les gens peuvent, par Amazon.com, sans aucun filtre d'éditeur, devenir leur propre éditeur, fixer eux-mêmes le prix de l'ouvrage. Il y a un partage, que je ne connais pas, avec Amazon.com, mais eux, donc, peuvent avoir les redevances qu'ils jugent approprié de s'accorder.

En revanche, ils n'ont aucun appareil de distribution, de diffusion. Comment on sait que cet ouvrage-là est là? Je ne le sais pas. Mais c'est un peu le modèle Misteur Valaire, là, qui est bien connu en musique. Donc, les gens se diffusent eux-mêmes et créent leur propre marché. Mais, à part ça, je ne connais pas d'autres cas, là, je ne vois pas quelle application. Je ne dis pas que ça n'existe pas, là, au contraire, mais je ne vois pas, là, à quelle application, si ce n'est qu'Amazon.com et les possibilités d'autoédition sur le numérique.

M. Breton : Bien, en fait, il y a autre chose, et il y a des gens, justement, de Sainte-Marie—Saint-Jacques qui m'ont approché, qui m'ont abordé là-dessus, donc ça vaudrait peut-être la peine qu'on s'assoie et qu'on en parle.

M. Berthiaume (Guy) : Volontiers.

M. Breton : Je vous remercie.

M. Berthiaume (Guy) : Vous savez où me trouver.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Ça va? Merci. Nous allons maintenant du côté de l'opposition officielle. Mme la députée de Laporte, vous avez la parole.

Mme Ménard : Merci, Mme la Présidente. M. Berthiaume, Mme Roussel, Mme Ryan, bonjour. Dans votre mémoire, vous faites des recommandations, dont l'une d'elles veut «l'inclusion des publications numériques dans la loi [qui] faciliterait grandement la production de livres adaptés, destinés aux personnes ayant un handicap visuel ou — excusez — perceptuel». En plus de faire la démonstration de l'utilité du numérique pour vos utilisateurs et combien il importe d'adapter rapidement cette nouvelle option à une loi, considérez-vous que l'ouverture de la loi n° 51 serait nécessaire pour qu'on puisse y ajouter ce fait-là?

M. Berthiaume (Guy) : Bien, sûrement. En ce qui a trait au numérique, je pense que c'est absolument essentiel. Mais, si on allait légiférer sur le prix du livre, je pense que… et tous les autres intervenants que j'ai entendus demandaient que ça se fasse aussi à la fois pour le livre analogique et le livre numérique. Donc, sûrement, je pense que c'est incontournable de faire cet ajout-là à la loi.

Mme Ménard : O.K. Mais ma question est : Est-ce que nous devrions rouvrir la loi pour passer cette réglementation-là, du numérique et du livre, maintenant?

M. Berthiaume (Guy) : Bien, ça, je… Bien, c'est-à-dire que le même dispositif législatif qui vous permettrait de décréter un prix unique du livre serait utilisé pour le numérique. Alors, je ne sais pas si vous avez pensé à modifier la loi ou si c'est une autre loi distincte, j'avoue que je n'ai pas vu dans les documents de la commission. Mais ce qu'on dit, c'est : Si on doit légiférer sur le prix unique du livre, incluons aussi le livre numérique.

Là, votre question hypothétique serait : Si on n'allait pas adopter une loi sur le prix du livre, est-ce qu'il faudrait modifier la loi n° 51 pour y inclure le numérique? Là, ça fait un peu théorique, mais je dirais oui, là. Mais, si c'est ça, le sens de la question, oui, comme je vous le dis, c'est urgent, parce qu'il y a non seulement la question des lectures adaptées, mais il y a le fait que les bibliothèques ne peuvent pas offrir une partie significative des livres qui se publient en forme numérique.

Mme Ménard : Vous avez raison de le dire, ce n'était pas dans le document, là. C'est une question que je vous pose à vous, si… Bon. Alors… mais j'ai votre réponse.

M. Berthiaume (Guy) : Il faut. Oui, il faut.

Mme Ménard : O.K. Parfait. On a parlé tantôt… mes collègues vous ont parlé du pourcentage, là, du numérique. En fait, on n'a pas parlé de chiffres, là, mais on sait que le pourcentage moyen actuellement des lecteurs qui favorisent le numérique est plus ou moins 5 %. Vos prévisions, à vous, c'est quand… Quel pourcentage allons-nous atteindre et sur une période de combien de temps?

M. Berthiaume (Guy) : Je dirais, pour juste frapper l'imagination, qu'on arrivera un jour à presque 100 %. Il n'y a plus grand monde qui lit sur des peaux de brebis, sur des papyrus, etc. Il restera quoi? Les beaux livres, les livres d'artiste, etc. Mais il y a déjà… que je pense aux guides de voyage, aux dictionnaires, il y a toute une section de la production qui est… Les gens achètent des dictionnaires un peu par fétichisme, puis tant mieux, là, pour… mais, dans le fonctionnement quotidien, il n'y a personne qui se lève de son bureau puis aller ouvrir Le Robert comme on faisait dans l'Antiquité, quand j'étais jeune, et ça ne se fait plus. On fait tout ça «online» puis c'est Antidote, etc. Donc, un jour, 100 % ou 98 %.

En combien de temps? Je ne sais pas. Dans le milieu universitaire, ça n'a pas pris 20 ans qu'on a basculé au-delà de 50 % de toute la documentation qui est maintenant numérique. Donc, on peut imaginer… Parce qu'on est dans une période, une accélération de l'histoire telle que c'est toujours plus vite que ce qu'on pense, mais on peut penser que, dans 20 ans, effectivement nos livres vont être précieux.

Mme Ménard : Par vos propos, quant à votre appui à toute mesure visant une plus grande bibliodiversité et une présence, à l'échelle du territoire, d'une offre riche et variée, êtes-vous d'accord avec le questionnement de M. Belzile, des HEC, qui dit, qui pose la question : Est-ce que nous défendons la culture et la lecture plutôt que les marchands et les producteurs?

M. Berthiaume (Guy) : Bien, je pense que la réponse, pour moi, est relativement simple. Je vais vous répondre par l'absurde : Trouvez-moi Molière chez Costco, trouvez-moi Shakespeare chez Costco, trouvez-moi Alphonse Allais, trouvez-moi l'intégrale de Michel Tremblay puis vous avez votre réponse. Si on est réduits… Dans une société de l'instantané où on ne consomme que les best-sellers du moment, fussent-ils québécois, effectivement, là, il y a des grands pans non seulement de notre culture, mais de notre vie, de notre identité qui sont complètement évacués. Donc, pour moi, comme on dit en latin, c'est un «no-brainer». Le jour où on n'a plus accès à la littérature fondamentale, classique de notre culture, de notre civilisation, je pense qu'on a perdu la guerre.

Mme Ménard : Mais, quand vous parlez des Molière, etc., qu'on ne trouve pas chez Costco, je comprends, mais vous n'êtes pas sans savoir, les top-vendeurs, au Québec, des auteurs québécois, qui sont La mijoteuse à la crème brûlée et Le Guide de l'auto… Alors, quels commentaires avez-vous là-dessus, là?

M. Berthiaume (Guy) : Bien… Non, mais ça prouve exactement, je pense, ce que les gens veulent montrer, c'est-à-dire qu'il faut avoir des mesures qui permettent d'avoir en librairie autre chose que ces titres-là. C'est correct qu'ils soient toujours les plus vendus et on n'a pas à en rougir. Parce que, quand je regarde les ventes en France, c'est toujours des… c'est pareil, là : c'est des livres de recettes, puis c'est Madame Soleil, puis c'est, bon… puis les livres de vampires, très populaires. Mais il faut aussi qu'on ait, dans nos fonds de librairie, une capacité d'acheter les classiques, d'acheter… Écoutez, j'ai essayé de trouver le Mythe de Sisyphe, ce n'est quand même pas une affaire bizarre, là, Camus, ce n'est pas un petit nom, puis c'était impossible au bataillon, dans les grandes surfaces. Donc, il faut maintenir absolument une bibliodiversité.

Mme Ménard : Et, vous, quand vous dites que la réglementation assurerait la bibliodiversité — vous venez de le mentionner — est-ce que c'est que vous en déduisez qu'avec une réglementation du prix les consommateurs vont maintenant tous se diriger vers les librairies?

• (16 h 50) •

M. Berthiaume (Guy) : Non. Je vais vous dire ce qui ne va pas se passer et ce qui se passe actuellement. Les gens font du lèche-vitrine dans les librairies et, avec leur BlackBerry, ils prennent la photo puis ils vont acheter le livre chez Costco. Ça, ça n'arrivera plus, il n'y a pas de raison. Les gens, c'est très bien qu'ils aient un coup de coeur pour un livre qu'ils trouvent entre deux tee-shirts puis une canne de soupe, qu'ils aient un coup de coeur puis qu'ils l'achètent, c'est parfait. Mais l'inverse, cependant, il existe, et ça, n'importe quel libraire va vous le dire. Les gens vont dans les librairies, ils circulent dans les rayons puis ils notent… mais ils ne notent plus, ils prennent une photo du livre qu'ils veulent acheter puis ils vont l'acheter chez Costco. Donc, là, le libraire devient la vitrine de la grande surface. C'est un peu le monde à l'envers. Ça, ça ne se produirait plus. Mais c'est sûr que quelqu'un qui est en train de faire son Costco ne va pas s'empêcher de terminer pour aller acheter un livre.

En revanche, ma compréhension de ce type de shopping là, ce n'est pas… les gens ne vont pas là chaque jour, là. Je pense, c'est tellement des formats… Donc, ils y vont peut-être aux 15 jours, trois semaines, donc ils auraient accès à la librairie entre-temps, là.

Mme Ménard : Mais c'est… Justement, là-dessus, c'est le premier commentaire que j'entends de la sorte, que les gens vont à la librairie avant d'aller chez Costco. Alors, je trouve ça particulier que…

M. Berthiaume (Guy) : Ils entendent parler du livre à la radio, à la télé et ils notent, mais, plutôt que d'aller à la librairie, ils vont attendre le prochain Costco pour l'acheter à petit prix.

Mme Ménard : Merci.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Nous allons maintenant du côté du deuxième groupe d'opposition. Mme la députée de Montarville, vous avez la parole.

Mme Roy (Montarville) : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Mesdames monsieur, merci d'être ici. Merci pour votre mémoire.

Et je poursuivrais ce que ma collègue avait entamé. Je vais prendre la balle au bond puisque vous êtes… En quelque part, cette réglementation-là ne toucherait pas le prix que les bibliothèques paient actuellement pour les volumes. Cependant, vous nous dites que vous croyez que ça assurerait la bibliodiversité. Ma collègue disait : Croyez-vous qu'il y aurait un déplacement? Moi, je vais aller plus loin : Croyez-vous qu'il y aura un déplacement si ces gros rabais n'existaient plus en succursale, d'un, vers les librairies indépendantes? Mais moi, je vais aller plus loin : Peut-on penser que le déplacement pourrait se faire vers les librairies en succursale? Et là on n'arriverait pas à régler le problème puisque c'est celui des librairies indépendantes auquel on s'attaque ici.

M. Berthiaume (Guy) : Sauf que… Bon, là, M. Breton nous a fait un peu songer avec les chaînes express, mais il y a une limite à ce que les grandes chaînes… à leur implantation. Les librairies de petite taille sont des librairies de quartier ou des librairies de petites villes ou de villages. Alors, je ne sache pas qu'on puisse retrouver une grande surface de librairie à l'échelle de toutes ces villes-là, tous ces villages-là. Donc, en même temps, il y a comme le phénomène de proximité qui continuerait à jouer pour empêcher le va-et-vient dont je viens de parler. En même temps, les grandes surfaces, dans la mesure où ce sont des librairies agréées, répondent aussi au besoin de bibliodiversité. Donc, pour moi, là, il n'y a pas un antagonisme fondamental, là.

Mme Roy (Montarville) : Je me suis peut-être mal exprimée. Ce que je voulais exprimer, c'est : Ne croyez-vous pas que le déplacement ne se fera pas nécessairement vers les librairies indépendantes, mais que notre client de la grande surface pourrait aller chercher son livre dans les librairies qui sont en succursale? Alors, on ne règle pas le problème.

M. Berthiaume (Guy) : Parlons directement, là. Je ne suis pas sûr que je vous suis, là, mais vous dites que le client qui achète chez Costco irait plutôt l'acheter chez Renaud-Bray. C'est-u ça?

Mme Ménard : Exactement. Parce que ce sont les petites indépendantes qu'on veut protéger ici. Et moi, je vous parle du déplacement. Comment peut-on assurer un déplacement vers les petites indépendantes et non vers les succursales, par exemple?

M. Berthiaume (Guy) : Bien, c'est-à-dire que, s'il y a un prix du livre uniforme, il n'y a pas d'avantage relatif à aller dans une grande surface plutôt que dans une librairie locale, donc la librairie locale qui est physiquement rapprochée, là. On vous a parlé, la semaine passée, de cas de librairies qui avaient fermé puis il faut faire 22 kilomètres pour trouver la prochaine. Mais, si elle était toujours là, cette librairie-là, elle serait, cette librairie de proximité là, en mesure de répondre à la demande. Donc, le besoin de faire 20 kilomètres, ou 15, ou 17 de plus pour aller dans une grande surface ne serait plus… en fait, il serait… pour 10 %, la personne jaugerait : Est-ce que j'y vais pour 10 % ou j'économise l'essence, puis le temps, puis tout ça, puis j'achète à 10 % de plus? Donc, je pense qu'on aiderait beaucoup les librairies de proximité, là.

Mme Ménard : Je vous remercie beaucoup.

M. Berthiaume (Guy) : Je vous en prie.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Mesdames monsieur, merci beaucoup.

Nous allons maintenant rencontrer les gens de l'Institut économique de Montréal, et je vais suspendre les travaux quelques instants afin que ceux-ci puissent prendre place.

(Suspension de la séance à 16 h 55)

(Reprise à 16 h 56)

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux. Et nous recevons MM. Gagnon et Chassin. J'espère que je le prononce bien.

Une voix :

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Chassin? Excusez-moi, M. Chassin. Donc, bienvenue, messieurs, à l'Assemblée nationale. Vous allez avoir un maximum de temps de 10 minutes qui vous est alloué pour faire votre présentation, par la suite suivra un échange avec les parlementaires. Donc, la parole est à vous.

Institut économique de Montréal (IEDM)

M. Kelly-Gagnon (Michel) : Alors, merci de nous recevoir. Ce sera mon collègue, donc Youri Chassin, qui va présenter notre mémoire, et puis, pendant la période d'échange et de discussion, je vais peut-être partager certaines observations si les circonstances s'y prêtent.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : M. Chassin.

M. Chassin (Youri) : Merci, Mme la Présidente. M. le député… Merci, Mmes et MM. les députés, M. le ministre. Merci de nous recevoir. Je voudrais évidemment peut-être parcourir avec vous le mémoire que vous avez déjà reçu, en en soulignant quelques grands points brièvement, pour pouvoir ensuite discuter avec vous.

Donc, peut-être commencer, d'entrée de jeu, en rappelant, et c'est le titre — qui se veut explicite — de notre mémoire, que, dans le fond, ce qu'on souhaite, dans la réflexion économique et politique qui nous a menés, dans le fond, à présenter un mémoire, c'est évidemment de permettre des livres accessibles aux meilleurs prix possibles pour les Québécois et, dans une perspective économique, sans oublier le caractère particulier du livre, donc son caractère culturel qui effectivement est partie intégrante, là, de la proposition, et je pense que c'est ça qui lui donne son importance. C'est une dimension culturelle qui est évidemment indéniable, mais qui n'est pas nécessairement intrinsèque, c'est-à-dire qu'évidemment le livre n'a pas cette dimension quand il sort des presses, n'a pas cette dimension quand il est sur les rayons, par exemple, d'une librairie, mais n'acquiert cette dimension culturelle que lorsqu'il est dans les mains d'un lecteur et que, finalement, il y a communication entre l'auteur et le lecteur.

Par ailleurs, c'est aussi — et c'est l'autre volet de la médaille — un bien économique, et c'est important de le souligner parce que la proposition qui est devant nous, de ce qu'il est convenu maintenant d'appeler le prix unique du livre, c'est une proposition qui touche le prix du livre et, comme le livre est aussi un bien économique, augmenter le prix du livre, ça signifie en diminuer les ventes. Et il est, je crois, indéniable pour tous les acteurs que, lorsqu'on parle de limiter ou d'interdire les rabais importants sur les nouveautés, on interdit une pratique commerciale qui a cours, à l'heure actuelle, chez certains détaillants et que, donc, c'est tout à fait logique de l'exprimer comme ça, on augmente le prix moyen des livres au Québec. C'est essentiel de bien le comprendre et c'est d'autant plus important qu'on parle du livre comme bien particulièrement important, compte tenu de sa valeur culturelle.

• (17 heures) •

Dans le diagnostic du marché du livre qui nous est proposé et qu'on a retravaillé un peu, il est important de souligner que les librairies indépendantes, effectivement, ont perdu des parts de marché, mais que ce n'est pas au profit des magasins à grande surface, mais bien des librairies en succursales. Autrement dit, il n'y a pas nécessairement un danger pour les librairies dans l'ensemble. Il y a, au contraire, une stabilité des ventes des magasins à grande surface, qui sont les principaux visés par cette mesure.

Il y a aussi tout un argumentaire intéressant à repenser sur ce qu'on appelle la bibliodiversité, un néologisme intéressant. Mais il faut bien comprendre que, dans les librairies indépendantes, il y a un large éventail de titres, on va tous s'entendre là-dessus. Par contre, les librairies à succursales, elles aussi, pourraient prétendre servir la bibliodiversité, parce que la diversité de titres offerts en librairies à succursales est aussi très large. Même les grandes surfaces pourraient prétendre servir, à tout le moins, l'accessibilité, si ce n'est la bibliodiversité, parce que — et il faut bien le comprendre — des librairies, il n'y en a pas partout, des librairies indépendantes, à plus forte raison. Par contre, on trouve certains titres au Jean Coutu , et il y a un large éventail de points de vente Jean Coutu au Québec. On trouve des titres dans des magasins comme les Wal-Mart, ou les Costco ou, par exemple, d'autres commerces de proximité. Et, dans l'ensemble des points de vente, on retrouve une diversité aussi.

Tous les livres ne sont pas vendus au même endroit. Et, autrement dit, il y a vraiment une variété de titres vendus, mais pas nécessairement tous au même endroit. Et, à la limite, si on veut éviter de poser un jugement de valeur sur quelle littérature est la bonne — vaut-il mieux lire du Molière, ou du Shakespeare, ou Le Guide de l'auto? — bien, on se rend compte qu'il y a certains titres qui sont vendus à certains endroits. Je pense, par exemple, aux romans Harlequin, qui ne sont pas nécessairement vendus en librairies indépendantes. Et les différents points de vente ont différentes offres. Je pense que c'est important de le réaliser et d'éviter de poser des jugements de valeur.

Ensuite — et je pense que c'est important de le souligner — par rapport à la bibliodiversité, il y a une réalité technologique très intéressante : la variété de titres offerts en ligne est croissante. Et c'est en fait M. le ministre lui-même qui soulignait, dans une allocution au CORIM, en juin dernier, que les nouvelles technologies offraient une diversité de titres sans précédent. Et je pense que c'est fort à propos.

Par ailleurs, les librairies indépendantes ne disparaîtront pas nécessairement en l'absence d'un prix unique. Au contraire, je pense que le déclin des librairies ne justifie pas — parce que, dans l'ensemble, elles ne déclinent pas, ce ne sont que les librairies indépendantes — une réglementation du prix du livre, et que, dans le fond, il n'y a pas de menace imminente à la disparation de toutes les librairies indépendantes, et ça ne réglerait en rien la condition des librairies les plus vulnérables.

Pour la hausse des prix du livre, c'est intéressant de se ramener en 2010, lorsque, sur la recommandation de M. Jean-Paul L'Allier, le gouvernement avait donc reçu une proposition de mettre en place la taxe de vente sur les livres pour pouvoir financer certains programmes d'appui à la culture. Et, à cette époque, le monde de l'édition s'est battu bec et ongles contre la mesure en soulignant qu'il s'agissait d'une demande rétrograde et qu'il fallait penser aux lecteurs, et je cite : «Déjà qu'un livre, ce n'est pas donné. L'introduction d'une taxe n'est vraiment pas stratégique.» Ou encore : «Le lectorat est encore à constituer. Toute mesure qui augmente le prix des livres est mauvaise.» Autrement dit, il n'y a pas nécessairement consensus non plus dans le monde de l'édition et dans le monde du livre par rapport à des mesures qui en haussent le prix.

Pour terminer, je rappellerais peut-être qu'il s'agit d'une mesure assez particulière qui, en général, est punie par la loi puisqu'il s'agit de la formation d'un cartel — légal, dans ce cas-ci, puisque ce serait autorisé — mais qui, pourtant, si elle n'était pas autorisée par la loi, serait punie par la loi fédérale. Et il s'agit là d'un contexte assez particulier qui n'est pas à l'avantage non seulement du consommateur, mais n'atteindrait pas ses objectifs cités, soit de venir en aide aux librairies indépendantes.

Néanmoins, dans un esprit, dirons-nous, charitable, nous avons fait faire par Léger Marketing un sondage sur la question de la réglementation du prix du livre. Et la question soulignait à la fois l'intention recherchée, c'est-à-dire de limiter la concurrence des magasins à grande surface et d'inciter les gens à acheter leurs livres dans les petites librairies, et aussi les résultats immédiats d'interdire les rabais supérieurs à 10 % et d'augmenter le prix moyen des livres. Donc, évidemment, les conséquences négatives sont bien établies, les conséquences positives sont alléguées, mais on a quand même voulu donner, dans la question, des éléments des deux côtés. Et, malgré cela, 65 % des Québécois se sont déclarés en désaccord avec cette réglementation-là, un impressionnant 42 % se sont déclarés tout à fait en désaccord, et seulement 26 % se sont déclarés d'accord.

Un peu comme on le craignait, ce sont les petits lecteurs, donc les gens qui lisent d'un à quatre livres par année, qui sont le plus fortement en désaccord avec la réglementation du prix du livre. C'est ceux-là qu'on risque de perdre, et je pense que ce serait dramatique de désinciter finalement les habitudes de lecture chez des gens qui, déjà, lisent peu, notamment, sachant qu'au Québec il y a un problème d'alphabétisation et qu'il y a un grand nombre d'adultes qui ont des problèmes de lecture.

J'aimerais, dans le fond, simplement souligner qu'il s'agit d'une analyse assez large qu'on a faite. Il y a des éléments économiques très clairs. C'est un cas un peu d'école d'instaurer un prix plancher dans ce cas-ci, donc de hausser les prix, et je pense que les conséquences sont assez claires pour être anticipées. Et je crois qu'il faut donc se positionner sur cette réglementation-là en fonction de la volonté ou non d'augmenter le prix du livre et donc d'en favoriser une diminution des ventes. Merci.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci, M. Chassin. Nous débutons les échanges, et je vais du côté du gouvernement. M. le ministre, vous avez la parole.

M. Kotto : Merci, Mme la Présidente. M. Chassin, M. Gagnon, merci d'être là, merci de contribuer à cette réflexion. Vous établissez un lien entre le contrôle des prix, appelons ça comme ça, de livres neufs, physiques ou numériques, et un phénomène inflationniste. Qu'est-ce qui vous amène à cette conclusion? Vous vous référez à quoi, à quelle étude tangible, pour vous amener à cette conclusion?

M. Chassin (Youri) : Donc, dans une perspective où on fixe un prix… en fait, où le rabais maximal — et c'est vraiment de ça dont il s'agit — serait de 10 % sur le prix suggéré, évidemment, il y a deux scénarios possibles : soit personne n'offre davantage que 10%, et, à ce moment-là, la réglementation ne s'applique pas ou n'a aucun effet, ou alors — et c'est le cas présentement — certains détaillants offrent des rabais plus importants que 10% et seront donc contraints dans leurs choix de vente. Et, dans ce cas-là, ça signifie qu'au lieu de vendre un livre avec un rabais, par exemple, de 20 % ou de 25 % à leurs clients ils vont devoir se limiter à un rabais de 10 %.

M. Kelly-Gagnon (Michel) : Par ailleurs, par ailleurs, aussi… Donc, ça, c'est la réponse vraie, conceptuelle ou logique. On a aussi une annexe technique, qui est sur notre site Web, qui n'a pas été mise dans le mémoire, mais qui est facilement accessible sur notre site Web, où il y a ce qu'on appelle des calculs d'élasticité où, donc, à l'aide des outils usuels de ce qu'on appelle l'économétrie, on a regardé des fluctuations de livres, notamment en France, sur une période de 25 ou 30 ans parce que certains ont voulu faire dire des choses à une expérience française, mais n'ont pris — et on en parle dans notre mémoire — qu'une toute petite période sur la période totale de la loi Lang. Nous, on a pris les chiffres, je veux dire, pendant l'ensemble de la période. Donc, il y a des calculs d'ordre technique et, après, quand on fait le ratio, il y a différents scénarios qu'on peut utiliser : ça peut être, 1, 1,47, 2, 2,5, je vous fais grâce, mais il y a des raisons techniques qui expliquent les choix de différents, je dirais, coefficients d'élasticité. Et nous, on en a pris un qui était conservateur, qui était au milieu. Je pense que c'était 1,4…

M. Chassin (Youri) : 1,47.

M. Kelly-Gagnon (Michel) : …1,47 qui était…

M. Chassin (Youri) : La borne inférieure.

• (17 h 10) •

M. Kelly-Gagnon (Michel) : …qui était dans la portion inférieure des hypothèses de projection. Donc, il y a cette… Donc, ce que je vous dis, c'est que mon collègue vous a donné, je vous dirais, la réponse conceptuelle économique générale, qui est de dire : Ou ça n'aura pas d'impact, et, si ça n'aura pas d'impact, ça n'aidera pas grand monde, ou ça va avoir un impact, et, si ça a un impact, bien, je veux dire... Mais il y a aussi le fait d'un certain nombre de calculs.

Et, sinon, moi aussi, je me permets de dire que, si l'objectif législatif, tel que je le comprends… et vous me corrigerez, M. le ministre, si j'ai mal compris, mais, si l'objectif, c'est d'aider les petits libraires ou les libraires dits indépendants, il me semble qu'un moyen beaucoup plus clair et direct, ce serait de les subventionner par l'entremise de crédits du budget du Québec… que, de toute façon, les entreprises du Québec sont les plus subventionnées au Canada, et de loin. Moi, je ne dis pas que c'est une bonne chose, mais je dis que c'est la réalité. Et, à la limite, vous leur donnez des crédits pour leur permettre de faire ce que vous voulez qu'ils fassent plutôt que d'avoir une mesure qui, en bout de ligne, risque de nuire à certains sans nécessairement avoir l'effet...

Je veux dire, si vous réduisez… si l'effet total de la mesure, par exemple, c'est de réduire de 10 millions par année les ventes totales des grandes surfaces, ça ne veut pas nécessairement dire qu'il va y avoir 10 millions d'augmentation de vente. En fait, on sait, par définition, qu'il n'y aura pas 10 millions d'augmentation de vente équivalente dans les petites librairies, pour toutes sortes de raisons. La personne qui est sur la liste d'attente... la file d'attente à Costco et qui s'apprête à aller acheter les recettes de Maman Dion, si elle trouve que c'est un peu trop cher, elle ne va pas se retourner pour aller en librairie pour acheter Le Mythe de Sisyphe dont parlait l'autre personne avant, qui, soit dit en passant, est disponible sur Amazon en 10 éditions, par ailleurs. Merci.

M. Kotto : Si je vous entends bien, est-ce que... Vous écartez la solution de la réglementation, mais vous avancez… je ne sais pas si ça vous a échappé, mais vous avancez l'hypothèse d'un soutien via les subventions…

M. Kelly-Gagnon (Michel) : Bien, moi, je dis que...

M. Kotto : ...pour résoudre le problème de l'affaissement du réseau des librairies indépendantes.

M. Kelly-Gagnon (Michel) : Moi, je ne fais pas de jugement... Je veux dire, je ne dis pas que je recommande l'usage de subventions. Je dis que, si votre objectif premier, c'est d'aider un certain nombre de librairies qui sont en difficulté, vous aurez beaucoup plus la certitude... en leur faisant un chèque directement, qu'en espérant un effet de substitution des ventes — qui ne se ferait pas parce que le prix est contrôlé — vers d'autres, et que cet effet de substitution, vous en conviendrez avec moi, il est incertain.

On peut penser... C'est clair que, dans certains cas, il va y avoir un effet de substitution, mais, comme le mentionnait la députée ici, aussi... D'abord, il n'est pas clair que l'effet de substitution se ferait nécessairement dans la direction des petites librairies. Et, en plus, dans certains cas, on sait que ce serait juste une vente qui n'aurait pas lieu. Et donc moi, je pense que… Je veux dire, indépendamment du fait de savoir si on doit aider ou non les petites librairies… Mais moi, je vous dis que je ne pose pas de jugement là-dessus. Je vous dis que, si c'est votre objectif, à mon avis, vous vous y prenez… mais pas de la bonne façon.

M. Kotto : L'idée ici est de freiner la fragilisation, voire l'affaissement, de notre réseau de librairies indépendantes, d'où la proposition, partagée de façon très large par le milieu, l'industrie du livre, à l'effet, donc, de légiférer pour un prix plancher sur les livres neufs, physiques et numériques, sur une période de neuf mois. En France, c'est autour de 12 mois que cela se fait, depuis une trentaine d'années déjà.

Vous évoquiez l'expérience française. Est-ce que vous vous êtes penchés sur cette expérience pour l'analyser de façon objective afin d'en dégager les bénéfices et éventuellement les inconvénients encourus tout au long de ces années?

M. Chassin (Youri) : Absolument. Donc, il y a plusieurs études, dont le rapport Gaymard, et une étude qui nous a paru très pertinente, bien que peu citée, de Mathieu Perona. Et, dans le fond, on avait un corpus pour évaluer un peu l'expérience française. Pas sous toutes ses coutures; toutes les données qu'on aurait voulu, dans le fond, analyser n'étaient pas disponibles. Est-ce qu'on en parvient… Puis là je vais vraiment répondre à votre question implicite, disons : Est-ce qu'on en parvient à une conclusion claire? Non. Est-ce qu'on parvient, par contre, à une conclusion qui allume des signaux d'alarme quant à l'application d'un prix unique du livre au Québec? Certainement. Et donc d'une part — on en a parlé — l'évolution des prix suite à l'introduction du prix unique du livre a été assez frappante en France. En fait, entre 1959 — le plus loin que les données remontent — et 1981, la hausse des prix du livre par rapport aux autres biens, donc, en prenant compte, finalement, l'inflation, n'a été que de 5 % plus rapide sur une période assez longue, quand même, alors qu'à partir du moment de l'instauration d'un prix unique du livre — en quelques années, là, on parle de 12, 13 ans — l'augmentation a été frappante, et le prix du livre s'est ramassé à au-delà de 125 % du prix moyen des autres biens. Donc, la croissance du prix… et c'est ça que le graphique, dans notre mémoire, démontre : la croissance du prix a été très rapide.

Maintenant, il y a des études qui offrent une vision alternative, hein, qui disent que cette espèce de hausse du prix du livre assez magistrale, sur environ 13, 14 années, a été causée par l'abandon d'une politique qui a eu cours, là, jusqu'en 1978 en France, de 1971 à 1978. Alors, peut-être — et on n'en a pas vu confirmation ailleurs — qu'une politique qui a duré sept ans a causé, par la suite, un rattrapage sur 14 ans et une hausse fulgurante du prix du livre. J'en doute, mais donc je n'ai pas de certitude. Mais, à tout le moins, ça semble tiré par les cheveux comme explication.

Donc, il y a différents éléments, et on s'est rendu compte que beaucoup d'éléments critiques étaient bien fondés, beaucoup d'éloges ne l'étaient pas. En bout de ligne, on s'est rendu compte, finalement, que l'expérience française allumait à tout le moins des signaux d'alarme dans la proposition qui est devant nous, ici, au Québec.

M. Kotto : Êtes-vous au fait que, lors des débats engagés au moment du dépôt du projet de loi Lang, les débats que nous avons ici en ce moment se tenaient aussi et que les positions étaient très, très polarisées également?

M. Chassin (Youri) : Bien, en fait, j'imagine bien. Comme je le disais, hein, c'est presque un cas d'école d'instaurer un prix plancher pour un bien dans toute économie. On en apprend, des cas comme ça, à l'université, dans les premiers cours d'économie, je parle d'expérience. Et donc j'imagine bien qu'en France, l'économie n'étant pas différente, les débats ont été un peu similaires.

L'évolution a montré aussi qu'il y a eu différents arguments avancés par la suite. Et puis aujourd'hui, d'ailleurs, en fait, dans les derniers mois, la ministre de la Culture a souligné l'importance de créer de nouveaux programmes d'aide aux librairies, hein, parce que les petites librairies, en France, perdent des parts de marché. Donc, malgré l'instauration du prix du livre depuis plusieurs années, on continue d'essayer d'inciter les librairies à conserver leurs parts de marché.

M. Kotto : Oui, mais l'aide supplémentaire apportée par la ministre de la Culture en France vient du fait que la concurrence, notamment des ventes en ligne, les grandes surfaces, se fait de plus en plus agressive, donc c'est une approche pour s'adapter.

Mais savez-vous également — ça, c'est en lien avec la question que je vous ai posée précédemment — qu'au-delà de tous les débats acrimonieux qui furent tenus en France au moment du dépôt de la loi Lang il n'y a pas eu de dissension au moment de l'adoption de la réglementation sur le prix réglementé pour le numérique récemment en France? Il yavait un consensus de l'aile gauche à l'aile droite à l'Assemblée nationale française. Étiez-vous au courant de ça? Ça, ça repose sur le fait, justement, qu'ils ont pris note, ils ont pris acte des points positifs générés par la réglementation du livre physique antérieurement.

• (17 h 20) •

M. Kelly-Gagnon (Michel) : De façon générale, je ne pense pas que la France est un modèle économique vibrant de succès, à mon évaluation à tout le moins. Mais, ceci étant dit, moi, j'aimerais revenir aussi sur un aspect un peu plus général, qui est que les libraires indépendants ont une offre de services qui est différente, O.K.? Et c'est une offre de services qui répond à des besoins. Et moi, si j'avais un conseil d'ami, là, plutôt que de viser à des protections via des législations arbitraires qui vont peut-être donner un effet ou peut-être pas, s'ils peuvent renforcer cette offre de services, penser à leur plan d'affaires et penser comment ils peuvent bien représenter… Parce que, c'est vrai, il y a un certain nombre de choses qu'ils offrent et il y a un certain nombre de lecteurs qui vont toujours avoir besoin de ce type de services là. Et moi, je dis ça, là, vraiment bien amicalement : Il me semble que, dans la vie, là, et dans la vie moderne, je veux dire, du monde moderne, c'est difficile de vivre dans une bulle, c'est difficile de vivre protégé. Et le législateur, malgré tous ses efforts, peut souvent ne pas arriver à des législations qui vont réellement donner toute la protection voulue. Et leur meilleure protection, c'est leur offre de services distinguée et c'est des initiatives comme… ils ont fait un site Web commun où ils font la… Rue des Libraires. Bien, je pense… à mon avis, leur avenir est bien plus là-dedans que dans une bouée de sauvetage en espérant une législation quelconque.

M. Kotto : Je vais… j'avais d'autres questions, mais je vais laisser ma collègue prendre le peu de temps qu'il nous reste.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci, M. le ministre. M. le député de… Wo! Il faut que vous fassiez un consensus, M. le député de Bonaventure, parce qu'il vous reste moins de trois minutes.

M. Roy : Merci beaucoup. Écoutez, bonjour, messieurs. J'aurais de nombreuses questions, mais je vais y aller par une question très simple : Qu'est-ce que la culture pour vous? Parce qu'on sent que vous essayez d'introduire la culture à l'intérieur d'une sphère marchande et de l'évaluer à partir de tous vos critères économétriques, puis… bon. Mais, fondamentalement, qu'est-ce que la culture?

M. Kelly-Gagnon (Michel) : Bon, écoutez, dans le cas d'un livre, c'est évident qu'il y a un élément de culture à l'intérieur, mais c'est évident aussi qu'il y a un élément de prix. Puis l'argument se fait facilement. S'il y a un certain livre de Michel Tremblay que vous trouvez super puis que vous voulez acheter à 22 $, si je viens vous dire que, maintenant, le prix, c'est 400 $, vous n'allez pas l'acheter. «To my point», là, je fais un exemple par l'absurde de dire que, donc, oui, la culture, c'est quelque chose de plus abstrait, de plus intangible, mais il reste qu'un livre, électronique ou pas, le prix a une influence. Et, si le livre est vendu à 22 $, il va y avoir x nombre d'acheteurs, si le livre est vendu à 100 $, il va y en avoir y, puis, s'il est vendu à 400 $, il va y en avoir z.

M. Chassin (Youri) : Et, si je peux me permettre d'ajouter, à tout le moins, la culture n'est pas tant l'objet physique, parce que, si on achète un livre tout à fait désincarné sur un Kindle, par exemple, une liseuse électronique, il y a néanmoins lecture, et donc quant à moi, la culture, elle se trouve beaucoup plus dans la relation entre l'auteur et le lecteur, qui intervient peu importe la forme, là, physique de l'oeuvre.

M. Roy : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Courte question, M. le député de Saint-Hyacinthe, il vous reste moins d'une minute.

M. Pelletier (Saint-Hyacinthe) : Bien, c'est assez simple. Vous avez mentionné tantôt que la réglementation pouvait emmener à jouer sur les prix. Je comprends, mais moi, je fais un parallèle, justement, au niveau des ententes internationales à l'OMC sur la culture, l'agriculture, c'est toujours géré d'une façon spéciale, peut-être justement parce que c'est des outils, c'est des sphères qui sont particulières et culturelles. En ce qui concerne la culture, le livre, et notre culture, le film, et tout ça, c'est géré d'une façon spéciale. Maintenant, c'est deux éléments qui font l'objet, justement, d'exclusion. Alors, comment vous pouvez expliquer, vous, que ça vient jouer? Pourtant, le prix, si on fait un parallèle avec l'agriculture, le prix du lait, il est plus stable ici que dans les pays où ce n'est pas réglementé.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Je suis désolée, vous avez moins de 10 secondes pour répondre.

M. Kelly-Gagnon (Michel) : Bien, dans le cas, en tout cas, de la Nouvelle-Zélande et autres, ça ne correspond pas à ce que vous dites. Mais on pourrait avoir un autre débat sur le prix du lait un autre jour.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Parfait. Merci, c'est tout le temps que nous avions du côté de l'opposition… c'est-à-dire du gouvernement. Je vais maintenant du côté de l'opposition officielle. Mme la députée de Laporte, vous avez la parole.

Mme Ménard : Merci, Mme la Présidente. Alors, bonjour, M. Kelly-Gagnon — c'est ça? — et M. Chassin. Écoutez, j'aimerais mettre quelque chose en perspective. Dans votre mémoire, vous mentionnez que «le lobby Nos livres à juste prix fait une lecture très sélective des études qu'elle cite et en tire des conclusions erronées», alors que cette même organisation dit que votre institution s'appuie sur une hypothèse de travail rigoureusement fausse qui discrédite l'ensemble de vos prétentions. Alors, vous comprendrez que nous, on est ici pour cerner le plus précis possible la situation actuelle. Alors, comment pouvons-nous nous assurer que tout ce qui nous a été présenté jusqu'à maintenant est précis? Alors, j'aurais la question suivante : Qui dit vrai?

M. Kelly-Gagnon (Michel) : Alors, écoutez, soyons factuels. Au niveau de ce qu'on appelait nos exercices d'élasticité, on est, à ma connaissance, la seule organisation qui a rendu disponible sur son site Web une fiche technique avec des calculs que des gens qui ont les outils et les logiciels usuels… je veux dire, peuvent répliquer nos calculs. On peut même, si vous voulez, vous transmettre nos bases de données sur lesquelles… Autrement dit, on dit, tu sais : «Check us», tu sais, vérifiez-nous si vous pensez que ce n'est pas des vrais calculs. Bien, moi, j'invite ceux qui disent que ce n'est pas des vrais calculs à les faire avec nous. Mais je souligne qu'on est la seule organisation, en tout cas, à ma connaissance, qui a fourni le détail de ses calculs et une annexe technique en appui.

L'autre chose, c'est qu'on est la seule organisation, à ma connaissance, toujours, qui n'a pas fait de «cherry picking» au niveau de l'utilisation des… Et là je m'excuse de dire «cherry picking». Est-ce qu'il y a une expression françaiseplus appropriée? Vous me le direz… mais qui n'a pas fait de sélection au niveau de la période sous étude. Donc, quand on a regardé l'impact sur le prix du livre en France, on a pris depuis le début de son entrée en vigueur jusqu'à la date la plus loin pour laquelle on était capables de trouver des données, alors qu'une autre organisation, qu'on critique dans notre mémoire, comme par hasard, pouf!, a pris juste à partir de 1995, alors que la loi était en vigueur à partir de 1981. Donc, nous, on ne fait pas de présélection sur les périodes utilisées, on rend nos calculs disponibles.

Maintenant, c'est bien clair que, quand on fait ce qu'on appelle des simulations en économie, ça demeure une simulation, et donc, quand on arrive avec une hypothèse d'une contraction possible de jusqu'à 17 % de la consommation, on le dit clairement, que ça peut être une fourchette entre 10 % à 20 % selon différentes hypothèses, selon différents calculs. Mais en tout cas, donc, est-ce que c'est la vérité vraie, ce qu'on dit? Je veux dire, seul Dieu le sait, mais, en tout cas, on est très transparents sur les méthodes et les outils qu'on a utilisés pour arriver à nos prétentions. Ça fait que, déjà, je pense, ça fait ça de pris.

M. Chassin (Youri) : Puis, je vous dirais, c'est difficile à trancher parce qu'évidemment c'est un débat de spécialistes, à un moment donné. Mais je vous dirais que, peu importe de quel bord on se situe et peu importe quel intervenant vous entendez… y compris l'IRIS, par exemple, hein, qui ont aussi essayé de faire un calcul d'élasticité comme le nôtre, avec des hypothèses différentes. Même eux parviennent à une hausse de prix et à une diminution des ventes, qu'ils qualifient, eux, d'acceptable ou de marginale. Peut-être que c'est peu important pour eux, une diminution des ventes de 2 % des livres au Québec. C'est correct, c'est leur position, mais à tout le moins… On peut ne pas s'entendre sur l'ampleur, mais, à tout le moins, on s'entend sur l'effet : la législation va hausser les prix des livres au Québec et va diminuer leur nombre de ventes, toutes choses étant égales, par ailleurs. Là-dessus, tout le monde s'entend.

Mme Ménard : J'aimerais maintenant aborder la question sur la disparition des librairies. Vous l'avez touché tantôt, ce sujet-là, avec mes collègues du gouvernement. On peut lire dans votre mémoire qu'«il ne faut pas […] conclure […] que les librairies indépendantes vont irrémédiablement disparaître dans un avenir proche». Alors, ça, c'est une bonne nouvelle.

Maintenant, vous avez élaboré un peu là-dessus. J'aimerais vous entendre un petit peu plus, parce que vous avez mentionné aussi, dans votre… quand vous avez abordé le sujet, que ce n'était pas une menace. Alors, voulez-vous élaborer un petit peu plus là-dessus?

M. Chassin (Youri) : En fait, il y a deux éléments, je pense, à retenir, par rapport aux librairies indépendantes. D'une part — et on l'a mentionné tout à l'heure — elles offrent ce que peu d'autres commerces offrent, c'est-à-dire une expertise, un conseil de libraire, une variété de titres aussi, qui est beaucoup plus grande, par exemple, que les grandes surfaces. Donc, la comparaison, elle n'est pas là. Il y a aussi un contexte — puis l'intervenant précédent lementionnait — de proximité. Il y a aussi un contexte de clientèle, c'est-à-dire que le lecteur occasionnel qui fait un achat impulsif en attendant dans la ligne de la caisse au Jean Coutu n'est pas le même lecteur que celui qui va fréquenter assidûment une librairie indépendante pour se faire conseiller par le libraire, dont il connaît par ailleurs les goûts, certains titres de certains ouvrages, et qui va acheter sans doute beaucoup plus de livres par année.

Donc, il faut prendre toute cette complexité-là en compte pour montrer qu'il y a un marché particulier où les librairies indépendantes répondent mieux à la demande de certains lecteurs que les autres. Et évidemment la librairie indépendante, c'est aussi… bon, c'est aussi une entreprise qui a des avenues commerciales qui sont disponibles à elle, notamment, par exemple, dans les livres numériques. On parlait de ruedeslibraires.com : c'est une excellente initiative.

• (17 h 30) •

M. Kelly-Gagnon (Michel) : Mais j'ajouterais : Il y a quand même une menace pour les librairies indépendantes et, à vrai dire, pour tous ceux qui vendent les livres. En tout cas, moi, je la vois, la menace. C'est qu'en 2012 les ventes de livres neufs au Québec ont diminué, et, quand ça a diminué, c'était la troisième année consécutive. Donc, on est passés, hein, de 707 millions de ventes en 2011 à 678 millions en 2012.

Alors, je ne sais pas, comme dirait Bernard Derome, je veux dire, si la tendance va se maintenir, mais, en tout cas, je veux dire, si les ventes de livres en général baissent, vous savez, ce n'est pas la question de savoir, après ça, je veux dire, c'est-u Costco ou les petits libraires indépendants, et tout ça? Je veux dire, il y a une menace, qui est la lecture en général et l'appétit à la lecture, et ça, je veux dire, ça vaut la peine d'y réfléchir, ça vaut la peine d'y penser puis ça vaut la peine de voir qu'est-ce que le gouvernement du Québec, par exemple, dans son système d'éducation, dans ses incitatifs, peut faire pour donner et redonner le goût à la lecture.

Moi, je veux dire, on fait juste, de façon générale... Quand on a commencé à l'Institut économique de Montréal, on faisait des publications de 50 pages. Les gens nous ont dit : Il n'y a plus personne qui lit ça. On a reçu un feed-back, les journalistes, tout le monde, ils ont dit : On ne les lit pas. On a été obligés de ramener ça à quatre pages puis, même à quatre pages, on est obligés de leur tirer par l'oreille pour lire. Puis on a même été obligés d'introduire un nouveau format à deux pages, parce que quatre pages, c'était trop long. Alors, si, à un moment donné, il se perd l'habitude des gens de lire, bien, en tout cas, ce n'est pas votre prix unique du livre qui va venir régler ce problème-là, là.

Mme Ménard : Bon, dans toutes les études que vous avez faites, vous avez regardé, bien sûr, à l'étranger ce qui se passe. Comment vous expliquez qu'un pays comme Israël, par exemple, vient juste d'implanter une réglementation du prix du livre?

M. Chassin (Youri) : Bien, en fait, il y a une question là-dedans d'action politique, hein? C'est évident que, quand on demande un effort monétaire au lecteur, qui est proportionnellement à son budget faible, ça a un impact sur son comportement mais c'est diffus, et les lecteurs, c'est un très grand groupe. Par contre, les bénéfices d'une telle politique vont être concentrés pour certains joueurs qui, eux, sont des groupes plus importants, ont donc un intérêt plus grand et vont pouvoir agir politiquement de façon beaucoup plus vigoureuse. C'est essentiellement ce qu'on appelle, en économie, la théorie des choix publics — «the public choice», en anglais — qui explique un peu cette logique d'action collective où, lorsque les bénéfices sont concentrés et les coûts sont dispersés, il y a clairement un intérêt à adopter ce genre de politiques là pour plaire à certains qui vont s'en souvenir.

Évidemment, tous les pays, hein, ne sont pas dans cette situation-là. L'Angleterre a aboli cette pratique-là. Au Canada aussi, en 1951, le prix suggéré des éditeurs a fait, dans le fond, l'objet d'une enquête du Bureau de la concurrence du Canada. Et, en Suisse, lorsqu'on a demandé par référendum aux Suisses s'ils voulaient adopter une mesure similaire, ils l'ont rejetée.

Mme Ménard : J'aimerais vous parler de l'émergence d'un cartel. Alors, vous dites dans votre mémoire qu'avec la réglementation du prix du livre et les conditions actuelles de l'industrie nous avons là toutes les conditions d'une émergence d'un cartel. Alors, de manière très hypothétique, je me pose la question : Est-ce qu'on ne devrait pas avoir une régie comme on en a dans différentes industries, une régie qui déciderait du prix des livres?

M. Kelly-Gagnon (Michel) : À mon avis, non. Et, si on entre dans une mauvaise politique publique — parce que, donc, nous, dans notre mémoire, on dit que cette politique… cette loi proposée est une mauvaise politique publique — et qu'après on superpose à une mauvaise politique publique une autre mauvaise politique publique pour essayer de contrebalancer l'autre d'avant, à mon avis, je veux dire, ce n'est pas ça, la direction.

Puis, sinon, quant à l'usage du mot «cartel», je veux dire, ce n'est pas un jugement de valeur ou une émotion, c'est un terme économique qui est que, quand des offreurs de services sont concertés ou se concertent de façon à convenir d'avance des prix, et à ne pas permettre certaines réductions et à fixer les prix entre eux, bien, c'est communément connu dans la littérature économique comme étant un cartel.

Maintenant, au sens juridique du terme, ça, c'est autre chose, parce qu'évidemment, si le gouvernement explicitement autorise le cartel, bien, enfin, c'est un cartel légal, mais, conceptuellement parlant, ça demeure un cartel.

M. Chassin (Youri) : Peut-être rappeler aussi, par rapport à la régie, qu'évidemment à l'heure actuelle il y a des gens qui déterminent quel est le prix du livre, et ce sont en partie les éditeurs, en partie les distributeurs, en partie les détaillants. Donc, il y a plusieurs personnes qui prennent les décisions idéalement pour maximiser leurs ventes, et ça, ça signifie pour maximiser le nombre de livres qui se retrouvent dans les mains des lecteurs québécois.

Donc, quant à moi, une régie serait prise un peu entre l'arbre et l'écorce, en disant, bon : On va devoir garantir une certaine rentabilité à l'un tout en garantissant un maximum de concurrence pour d'autres, parce qu'en bout de ligne c'est le lecteur qu'il faut favoriser. C'est une espèce de choix cornélien qui se fait, à l'heure actuelle, par les décisions des entrepreneurs et des lecteurs québécois de façon tout à fait naturelle.

M. Kelly-Gagnon (Michel) : Je voudrais ajouter un dernier détail aussi qui n'est pas nécessairement directement relié à votre question, mais je pense que c'est important. J'ai entendu à plusieurs reprises, à la commission ici et dans d'autres cercles, de dire : Il y a unanimité ou quasi-unanimité dans le cercle du livre. Moi, ce que j'ai vu aussi, c'est qu'il y a beaucoup de gens qui ont peur de parler. Moi, j'ai des éditeurs, j'ai des gens de d'autres secteurs qui nous ont appelés en disant : Wow! Hé, c'est bien ce que vous faites, bravo! Puis là, bien, j'ai dit, bon : Bien, vous, allez-y, en commission, allez dire ça. Puis ils ont dit : Oui, mais on a peur qu'on aurait une rétorsion contre nous, on a peur qu'on serait mal vus, etc. Donc, l'unanimité, elle est là en tant que déclarée, mais, derrière les branches, il y a bien des gens qui ont des craintes face à cette politique-là — je parle des gens de l'industrie du livre — mais qui ont peur de les exprimer publiquement pour toutes sortes de raisons.

Mme Ménard : D'accord. Et, comme dernière question, à la page 15 de votre mémoire, quand vous dites, et je cite : «Rarement a-t-on vu une proposition de mesure aussi anachronique, néfaste et obscurantiste», est-ce que vous n'êtes pas un peu trop sévères?

M. Chassin (Youri) : Écoutez, je ne vais pas m'excuser de ces adjectifs-là parce que je crois vraiment que c'est le cas, d'une part. Et je l'explique un peu, hein, d'une part, parce que le sens de l'évolution historique du livre, c'est que c'était un bien rare, dispendieux, de luxe, très élitiste, et que, la nature de la concurrence et des évolutions technologiques aidant, c'est devenu un bien de plus en plus accessible et peu dispendieux, justement.

Donc, c'est anachronique parce que ça va à contresens de l'histoire. C'est néfaste parce qu'en plus ça va toucher particulièrement le livre québécois, où la proportion des nouveautés représente une proportion plus élevée des ventes totales. Donc, on se tire d'autant plus dans le pied au Québec que ça va toucher davantage les livres québécois. Et finalement c'est obscurantiste parce que, quand on diminue la diffusion du savoir, des connaissances, d'un outil qui a une valeur sociale et culturelle, je crois que, oui, on peut parler d'obscurantisme.

Mme Ménard : Bien, merci beaucoup. Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci. Mme la députée de Montarville, vous avez la parole.

Mme Roy (Montarville) : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Messieurs, merci. Merci d'être ici, de vous être déplacés. Merci pour votre mémoire très clair, très précis, vos arguments dont vous nous faites part depuis tout à l'heure.

J'aimerais avoir votre opinion. Selon vous, que feront les consommateurs qui achetaient leurs livres dans les grandes surfaces parce qu'il y avait des grands rabais? Si ces grands rabais n'existent plus, qu'est-ce que ça va causer dans le milieu?

M. Chassin (Youri) : En fait, j'aurais deux réponses. D'une part, il faut bien comprendre conceptuellement, puis on l'a vu dans la littérature sur les habitudes de lecture notamment, qu'il y a des petits consommateurs et des plus gros consommateurs qui vont chercher des titres plus précis, alors que des petits consommateurs vont entendre parler d'un livre à la radio ou une critique dans un journal, vont croiser le titre en question plus tard au fil de leur magasinage et vont finalement acheter, peut-être un peu impulsivement, ce livre-là. Et ce sont, dans le fond, ces lecteurs-là qui se retrouvent à fréquenter les grandes surfaces, où finalement les rabais sont importants, à l'heure actuelle, convainquent les gens de prendre le livre et de le mettre dans leur panier et finalement qui seraient les plus affectés par la disparition de ces rabais.

Par ailleurs — et la question nous intéressait aussi, donc on l'a incluse dans notre sondage, et c'est intéressant de voir que les stratégies dominantes ne sont pas bêtes, finalement — si le prix des livres augmente, les Québécois nous répondent que leurs trois stratégies dominantes seraient d'emprunter davantage de livres à la bibliothèque. C'est la première réponse qui est donnée, 37 %. Les gens pouvaient choisir plusieurs réponses. Ensuite, dans «commander sur des sites Internet». Évidemment, si les sites Internet sont aussi soumis à la loi, ça peut poser problème — mais leur réponse, ce serait d'aller vers là si les prix n'étaient pas contrôlés sur les sites Internet ou encore d'acheter moins de livres, quand même dans une proportion de 29 %. Donc, c'est un peu ça, la réaction. Évidemment, ce sont les petits lecteurs qui sont les plus touchés et qui, eux, pourraient donc ne pas acheter.

• (17 h 40) •

Mme Roy (Montarville) : Si on continue dans cette veine-là — c'était lors d'un sondage — est-ce qu'aller à la librairie indépendante faisait partie des réponses que vous leur avez soumises : Dans la possibilité, si on augmente le prix du livre, irez-vous dans une librairie indépendante?

M. Chassin (Youri) : Oui.

Mme Roy (Montarville) : Ah oui?

M. Chassin (Youri) : Ça fait partie des réponses possibles, oui. On a des copies, ici, du sondage.

M. Kelly-Gagnon (Michel) : On a des copies du sondage qu'on pourra vous remettre, si vous le souhaitez. Puis ils disponibles sur notre site Web aussi avec toute la méthodologie puis la liste des questions.

Mme Roy (Montarville) : …mais, si on fait l'addition, 37, plus 31 plus 29, il n'y a pas grand monde qui disait aller à la librairie indépendante, c'est ce que je comprends.

M. Chassin (Youri) : …pas à 100 %, parce que les gens pouvaient choisir plus d'une réponse, dire, par exemple : Bien, je vais d'abord aller davantage dans des bibliothèques et acheter moins de livres moi-même. Donc, il pouvait y avoir plus d'une réponse.

Mme Roy (Montarville) : Mais la première chose que le consommateur ferait, ce serait d'emprunter et par la suite acheter sur Internet. Donc, ce serait, selon vous, un impact direct de la disparition des grands rabais en grandes surfaces.

M. Chassin (Youri) : Exactement. C'est la réaction que les consommateurs de prêts... quand on leur pose la question.

Mme Roy (Montarville) : Je vous remercie beaucoup, messieurs.

La Présidente (Mme Richard, Duplessis) : Merci, messieurs. Chers collègues, je vais vous souhaiter une bonne fin de journée.

Et la commission ajourne ses travaux jusqu'au 9 septembre, à 14 heures. Merci.

(Fin de la séance à 17 h 41)

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