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Version finale

14e législature, 2e session
(4 décembre 1917 au 9 février 1918)

Le mardi 22 janvier 1918

Ces débats, reconstitués principalement à partir des comptes rendus des médias de l’époque, ne constituent pas un journal officiel des débats de l’Assemblée législative.

Présidence de l'honorable A. Galipeault

La séance est ouverte à 3 heures.

M. l'Orateur: À l'ordre, Messieurs! Que les portes soient ouvertes!

 

Compagnie de chemin de fer de la rivière Rouge

M. Achim (Labelle) propose, appuyé par le représentant d'Ottawa (M. Caron), que les articles 503 à 508 et les articles 510 à 516 du règlement de cette Chambre soient suspendus relativement à une pétition demandant l'adoption d'une loi constituant en corporation la Compagnie de chemin de fer de la rivière Rouge, et que ladite pétition soit maintenant lue et reçue et qu'il lui soit permis de présenter un bill à cet effet à la présente séance.

Adopté.

 

Présentation et lecture de pétitions:

La pétition suivante est présentée, lue et reçue par la Chambre:

- la pétition demandant l'adoption d'une loi constituant en corporation la Compagnie du chemin de fer de la rivière Rouge (M. Achim).

M. Achim (Labelle) demande la permission de présenter le bill 120 constituant en corporation la Compagnie du chemin de fer de la rivière Rouge.

Accordé. Le bill est lu une première fois.

Comptables de la province de Québec

M. Létourneau (Montréal-Hochelaga) propose, appuyé par le représentant de Rimouski (M. Tessier), que les articles 503 à 508 et les articles 510 à 516 du règlement soient suspendus relativement à une pétition et à un bill que l'Association des comptables de Montréal et l'Institut des comptables et auditeurs de la province de Québec désirent présenter pour constituer les comptables de la province en un corps public auquel seront accordés certains privilèges spéciaux; qu'il lui soit permis de présenter ladite pétition; que cette pétition sitôt présentée soit lue et reçue, et qu'il lui soit ensuite permis de présenter immédiatement un bill constituant en corporation les comptables de la province de Québec.

Adopté.

 

Présentation et lecture de pétitions:

La pétition suivante est présentée, lue et reçue par la Chambre:

- de l'Association des comptables de Montréal, une pétition pour constituer les comptables de la province en un corps public auquel seront accordés certains privilèges spéciaux (M. Létourneau).

M. Létourneau (Montréal-Hochelaga) demande la permission de présenter le bill 179 constituant en corporation les comptables de la province de Québec.

Accordé. Le bill est lu une première fois.

 

Rapports de comités:

L'honorable M. Gouin (Portneuf): J'ai l'honneur de présenter à la Chambre le neuvième rapport du comité permanent des bills publics en général. Voici le rapport:

Votre comité a décidé de rapporter, sans amendement, les bills suivants :

- bill 112 amendant la charte de The General Hospital;

- bill 173 amendant l'article 7033 des statuts refondus, 1909, concernant les compagnies d'assurances contre le feu.

Et, avec amendements, le bill suivant:

- bill 170 modifiant le Code de procédure civile et les statuts refondus, 1909, relativement à certaines représentations théâtrales.

M. Therrien (Sherbrooke): J'ai l'honneur de présenter à la Chambre le douzième rapport du comité permanent des règlements. Voici le rapport:

Votre comité est d'opinion que la pétition et l'avis sont réguliers et suffisants et que le bill est régulier et conforme à la pétition et à l'avis dans chacun des cas ci-après:

- de l'abbé J.-A. Brulé et autres, demandant l'adoption d'une loi fixant les limites et bornes de la municipalité de Saint-Edmond-de-Grantham pour les fins civiles et scolaires;

- d'Ernest-Édouard Fairman, demandant l'adoption d'une loi ratifiant le titre à une partie indivise du lot numéro 177 de la paroisse de Montréal, et à certains lots de subdivision de cette même partie.

Votre comité recommande que l'article 516 du règlement soit suspendu et que les délais pour la présentation des bills soient prolongés au 30 janvier courant inclusivement.

Votre comité recommande à l'assemblée de prolonger au 8 février prochain les délais relatifs à la réception des rapports sur bills privés et de dispenser du paiement des droits additionnels prescrits par le paragraphe 1 de l'article 543 du règlement, les promoteurs des bills privés qui profitent de cette prolongation du délai.

Le rapport est adopté.

Quartier Notre-Dame-de-Grâce de Montréal

M. Ashby (Jacques-Cartier) demande la permission de présenter le bill 118 ratifiant le titre de la partie subdivisée du numéro 177 au plan et livre de renvoi officiels de la municipalité de la paroisse de Montréal, située dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce de la cité de Montréal.

Accordé. Le bill est lu une première fois.

Municipalité de Saint-Edmond-de-Grantham

M. Laferté (Drummond) demande la permission de présenter le bill 98 fixant les limites et bornes de la municipalité de Saint-Edmond-de-Grantham, pour les fins civiles et scolaires.

Accordé. Le bill est lu une première fois.

 

Questions et réponses:

Fondation d'un hôpital vétérinaire

M. Sauvé (Deux-Montagnes): 1. Quel montant le gouvernement a-t-il affecté à la fondation d'un hôpital vétérinaire?

2. Ce montant sera-t-il payé à même les subsides votés par cette Chambre?

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine): 1. $35,000.00.

2. Non.

Loi des accidents du travail

L'honorable M. Taschereau (Montmorency) propose, selon l'ordre du jour, que le bill 35 amendant les statuts refondus, 1909, relativement aux dommages à la personne soit maintenant lu une deuxième fois.

Adopté. Le bill est renvoyé au comité permanent des bills publics en général.

Motion Francoeur sur la rupture du pacte fédératif de 1867

Conformément à l'ordre du jour, la Chambre reprend le débat sur la motion proposée le jeudi 17 janvier: Que cette Chambre est d'avis que la province de Québec serait disposée à accepter la rupture du pacte fédératif de 1867 si, dans les autres provinces, on croit qu'elle est un obstacle à l'union, au progrès et au développement du Canada.

M. Tessier (Rimouski): Si la motion présentée par mon honorable ami de Lotbinière (M. Francoeur) l'eût été il y a cinq ou six ans, tout le monde se fût récrié et elle aurait été accueillie avec surprise et étonnement au Québec. Aujourd'hui, il n'en est pas de même. L'annonce de cette motion, bien qu'elle ait ému l'opinion publique dans les autres provinces, n'a provoqué qu'un demi-étonnement ici, on semblait même s'y attendre et, en certains quartiers, elle a rencontré le désir d'un grand nombre.

C'est que cette motion, qui met pourtant en discussion la question si grave de la rupture du pacte fédératif de 1867, semble à plusieurs être la conséquence naturelle et logique des événements qui se sont succédé depuis quelque temps.

Y a-t-il, dans les provinces de l'Ouest et la province d'Ontario, une campagne systématique organisée contre la province de Québec et attisée par le fanatisme et la haine de tout ce qui est français? Je le crois. Mon honorable ami de Lotbinière, l'autre jour, l'a surabondamment démontré.

Ces discours, ces écrits et ces articles de journaux qu'il nous a cités représentent-ils l'opinion de la majorité des habitants de ces provinces? Je ne veux pas encore le croire.

Je veux croire plutôt et encore qu'ils sont l'oeuvre de fanatiques aveuglés, d'inconscients démagogues, et ne représentent pas l'opinion de la majorité, qui est encore saine et plus éclairée.

Savez-vous, Monsieur, que, malgré ces appels aux passions, au fanatisme et à l'intolérance, les candidats de Sir Wilfrid Laurier dans Ontario ont accueilli, aux dernières élections fédérales, un nombre plus considérable de suffrages qu'aux élections de 1911? Et l'on sait pourtant avec quelles armes s'est faite la dernière campagne électorale!

À tout événement, Monsieur, que les fanatiques d'ailleurs pensent, disent et écrivent de notre province ce qu'ils voudront, je n'en ai cure.

Ils ne peuvent empêcher que ce qui est, soit et reste, ils ne peuvent changer les faits historiques et l'ordre de chose établi en ce pays, ils ne peuvent empêcher que la nationalité française continue non seulement à exister, mais à y vivre, à s'y épanouir et à grandir en influence, en force et en nombre.

C'est leur donner trop d'importance que de s'en occuper et il vaut mieux entretenir à leur égard, "un sentiment consolateur qu'on nomme le mépris", comme disait M. Necker.

Mais ne trouvons-nous pas, Monsieur, dans ces insultes et ces injures à l'adresse de la race canadienne-française et de notre province, un aveu mal déguisé de la crainte que leur inspire notre force et notre influence grandissant sans cesse?

Et les ennemis de Québec viennent d'aller plus loin qu'ils ne l'avaient jamais été: on ne recule pas même devant la violation du droit sacré de propriété.

Permettez-moi, Monsieur, de vous lire quelques lignes du journal The Globe de Toronto, écrites le 18 courant, le lendemain de l'ouverture de ce débat. Elles confirment ce que je viens de dire.

On veut maintenant, avant de concéder des terres à un nouvel arrivant dans la province d'Ontario, le forcer à signer un affidavit par lequel il s'engage expressément à se conformer en tout point à l'unique règlement 17 proscrivant l'usage et l'enseignement du français dans les écoles, et ce qui est pire encore, on légalise la spoliation de la propriété en décrétant qu'en cas de désobéissance au règlement 17, le colon perdra tous ses droits de propriété sur la terre achetée du gouvernement et tous les argents payés par lui en acompte sur le prix d'achat de ladite terre, et les améliorations qu'il y aura faites seront confisquées au profit de la couronne sans aucune compensation en retour.

Et le journal ajoute:

"Le Globe a été informé hier, par un orangiste bien connu, que le nouveau règlement vise les Canadiens français qui, depuis quelque temps, affluent du Québec vers la nouvelle Ontario, avec l'objectif, craint ce dernier, de contrôler les élections dans cette partie de la province."

L'affidavit contient ce paragraphe: "Je comprends que le non-respect des engagements ou des déclarations faits ici entraînera, en plus des autres pénalités auxquelles je peux être sujet, la perte sans compensation de tous mes droits et des argents payés en acompte pour l'achat d'une terre."

Voilà où on en est rendu et ce que la peur fait commettre à ces gens.

Et malgré tout, Monsieur, j'ai une foi invincible en l'avenir et dans la destinée de la race canadienne-française et de la province de Québec et dans la Confédération. Ce n'est pas la première crise que nous traversons; celle-ci passera comme les autres. Où le père a passé passera bien l'enfant.

Nous y sommes habitués, d'ailleurs, car nous avons toujours lutté en ce pays, d'abord pour l'existence, puis pour la survivance, et toujours nous avons triomphé.

Nous avons même les moyens d'être généreux, et je pourrais appliquer à la race canadienne-française le mot de Saint-Augustin parlant de Dieu: "Patiens, quia aeternus".

Que nos détracteurs se le tiennent pour dit. Nous sommes ici pour y rester.

Depuis longtemps nous avons gagné et gagnons chaque jour la course du flambeau. La merveilleuse vitalité de notre race s'affirme chaque jour davantage, et la flamme qui ne doit pas s'éteindre, non seulement ne vacille pas, ni ne diminue, mais elle brûle plus vive que jamais et monte plus haut qu'elle n'a jamais monté. Je le répète, Monsieur, je ne suis pas encore un séparatiste. Bien que la Confédération, non à cause de nous, mais par le fait des autres, semble chanceler sur sa base, je crois encore à des jours meilleurs et à un retour à une mentalité plus saine dans les autres provinces. La situation était bien plus critique pour nous, lors de l'Union, en 1840, alors que l'on voulait nous faire complètement disparaître. Lord Durham disait en effet, dans son rapport toujours célèbre: "Le gouvernement doit avant tout se proposer d'établir dans cette province une population de lois et de langue anglaises et de ne confier le gouvernement du pays qu'à une législature exclusivement anglaise."

Et pour mettre son plan à exécution, on privait d'abord le Bas-Canada du nombre légitime de ses représentants, puisque, avec une population du double de celle du Haut-Canada, l'on décrétait une représentation égale pour les deux parties du pays: la langue française était complètement bannie des débats et on faisait payer par le Bas-Canada la dette du Haut-Canada.

Cependant, Lafontaine ne voulut pas demander le rappel de l'Union. Son esprit éclairé et son jugement averti lui montrèrent le parti que l'on pouvait tirer même de cette constitution. Il contracta avec Robert Baldwin cette alliance si féconde en heureux résultats, et ce dernier disait de Lafontaine, en 1844: "Quant à M. Lafontaine, en ce qui me regarde, je suis aussi fier de l'avoir pour guide et pour chef que content de l'avoir pour ami. Je le dis au peuple du Haut-Canada: à mon avis, il ne saurait trouver un homme plus attentif à ses intérêts, plus décidé à lui donner une administration qui puisse le satisfaire."

Et s'il m'est permis, Monsieur, de rappeler ici un fait particulier, je vous dirai qu'en 1842, alors que Baldwin fut défait dans le comté de York par le fanatisme ontarien, le député d'alors, du comté de Rimouski, lui offrit son siège, et Baldwin y fut élu sans opposition; tandis que Lafontaine, lui-même battu dans le comté de Terrebonne, trouvait un siège dans la province d'Ontario.

La province de Québec a, sans contredit, à se plaindre par moments de la manière dont le pacte fédératif est interprété et ses termes observés. Nombreux et sérieux sont ses griefs. Depuis quelques années surtout, notre autonomie a souvent été mise en péril. Et la plupart des actes du pouvoir central constituent une série de tentatives d'empiétement contre les droits qui nous sont chers et des violations de notre liberté de légiférer et de nous gouverner. Qu'il me suffise, Monsieur, d'en énumérer quelques-unes.

En 1913, le gouvernement d'Ottawa contesta le droit des provinces d'accorder à une compagnie incorporée par charte ou lettres patentes provinciales, le droit de transiger dans une autre province, et prétendit que cette compagnie ainsi incorporée dans une province ne pouvait avoir de statuts ou place d'affaires dans une autre province, sans obtenir sa charte et ses pouvoirs d'Ottawa. Et il fallut aller jusqu'au Conseil privé pour faire reconnaître les droits des provinces et faire déclarer mal fondée la prétention du pouvoir central.

Plus tard, en 1916, le gouvernement d'Ottawa est revenu à la charge pour tenter de s'emparer, cette fois, par le moyen d'un arrêté ministériel, du contrôle des pêcheries situées dans les eaux de cette province où la marée se fait sentir. Mais encore cette fois, il se trouvait à Québec un gouvernement jaloux de nos droits. La question a été référée aux tribunaux, et la Cour du banc du roi, le 17 février 1917, nous donnait gain de cause. La tentative avait échoué.

Et que dire, Monsieur, de l'odieuse loi du Canadien Nord faisant payer à la province de Québec des sommes dont le paiement avait été garanti par les gouvernements des autres provinces.

Et la loi des élections en temps de guerre au moyen de laquelle on a fabriqué un électorat spécial, et, disons le mot, quelque dur qu'il soit, volé un nouveau mandat.

Il n'est pas étonnant que cette mesure ait soulevé l'opinion publique en cette province et que son peuple ait été remué jusqu'en ses fibres les plus secrètes.

J'ai dit "Volé les élections", et le terme est exact. Ce résultat, on l'a obtenu :

1. Par le défranchissement des aubains (sic), qui a fait disparaître dans les provinces de l'Ouest entre 40 % et 60 % des électeurs.

2. En confiant la préparation des listes électorales à des énumérateurs nommés par le gouvernement et qui étaient ses créatures.

3. En donnant le suffrage à une classe spéciale de femmes.

4. En donnant le droit de vote à des électeurs dont des milliers n'ont jamais eu de domicile ou de résidence au pays, et en leur accordant la faculté de choisir l'endroit où leur vote doit être appliqué.

Un autre grief de la province, et non moins sérieux, c'est le refus du dominion de réajuster le subside fédéral.

En 1906, sur les représentations qui lui furent faites par la conférence interprovinciale siégeant à Québec en 1902, le gouvernement d'alors, présidé par Sir Wilfrid Laurier, augmenta considérablement le subside fédéral payé annuellement aux provinces.

En 1913, une autre conférence interprovinciale eut lieu, et une résolution fut unanimement adoptée demandant un nouveau réajustement et fournissant à l'appui les raisons qui justifiaient cette demande.

J'y vois, entre autres choses, que les droits de douane et d'accise que les provinces ont cédés au Canada en 1867 s'élevaient alors à la somme de $11,580,000 pour lesquels elles ont reçu par le subside fédéral la somme de $2,227,000 en chiffres ronds.

En 1913, le total du revenu, en droits de douane et d'accise, s'est élevé à $133,000,000 et les provinces ne reçoivent, en subsides d'Ottawa, que $10,281,000.

Il est donc faux de dire, comme je l'ai souvent entendu en cette Chambre, que le subside fédéral est un cadeau et un don fait par le pouvoir central à la province. À part d'être l'exécution, par lui, d'une clause expresse du pacte fédératif de 1867, ce n'est qu'une faible compensation pour le revenu cédé par la province au gouvernement du Canada, lors de la Confédération, revenu qui a augmenté, depuis, beaucoup plus que le subside en proportion et dont la province a été, depuis, privée.

Et cependant, malgré ses représentations avec preuve à l'appui, le gouvernement Borden a refusé l'augmentation du subside fédéral aux provinces, alors qu'en 1906 le gouvernement Laurier l'avait fait.

Mais il y a plus encore, Monsieur, et ceci est pour nous une forte raison du malaise indéniable qui règne au sein de notre population.

Les principes du gouvernement responsable et démocrate qui nous était garanti par le pacte fédératif de 1867, ont depuis quelque temps, été mis de côté et violés à maintes reprises.

Ils ont été remplacés par l'arbitraire et l'absolutisme, et nous ne sommes plus gouvernés par le Parlement composé des représentants librement choisis par le peuple et qui légifèrent pour lui, mais par le moyen d'arrêtés ministériels.

En voulez-vous un exemple récent, Monsieur: je citerai l'arrêté ministériel par lequel le gouvernement fédéral a décrété la main mise sur toutes les émissions d'obligations ou d'actions, faites par les gouvernements provinciaux, les corporations publiques ou privées. Il décrétait, avec un cynisme et une insolence outrageante, la mise en tutelle ou, plutôt l'interdiction de la province de Québec et de nos corporations municipales et scolaires, et paralysait la vie économique de notre province.

Il n'y a plus qu'à rétablir les lettres de cachet et nous serons retournés aux plus beaux jours de la monarchie absolue.

Heureusement, Monsieur, nous avons un gouvernement à Québec, qui se faisant le ferme défenseur de nos droits et de notre autonomie, et jaloux de nous en conserver la plénitude, n'a pas été lent à protester à chaque occasion.

Il a chaque fois parlé le langage du bon sens. Il a parlé avec fermeté, il a parlé avec modération. Il a dit ce qu'il fallait dire. Il convient de l'en féliciter et de lui assurer qu'il a, avec lui, l'opinion publique presque unanime de la province.

Vous étonnez-vous après cela, Monsieur, que l'on parle, en cette province, de la rupture du pacte fédératif?

Quant à moi, je le répète, je n'ai pas perdu l'espoir en des jours meilleurs et en la naissance d'une mentalité plus saine.

Mon honorable ami de Terrebonne (M. David) disait, avec raison, qu'à toutes les périodes difficiles et critiques de notre histoire, notre race avait toujours trouvé, dans les autres provinces, des alliés et des amis dévoués.

Je veux croire qu'il en sera encore ainsi, et que l'esprit de Robert Baldwin n'est pas mort tout entier. Mais si nous avons ainsi trouvé des hommes courageux et éclairés qui se sont faits les champions du droit et de la tolérance, nous avons aussi toujours eu, aux heures tragiques, pour nous guider, de grands chefs, Viger, Lafontaine, Cartier, Morin.

Nous en avons encore maintenant, Laurier, Gouin.

Le colosse qui préside aux destinées de notre province depuis 12 ans n'a pas de pied d'argile.

Sieyès, à qui l'on demandait comment il avait traversé la période troublée et sanglante de la révolution répondait: "J'ai vécu", ce qui était déjà beaucoup.

La race canadienne-française a fait mieux que vivre depuis que la providence l'a attachée aux rives du Saint-Laurent. Non seulement elle a vécu, mais elle a grandi, elle s'est développée, souvent dans des conditions expressément difficiles.

Les 600,000 Canadiens français de 1760 sont aujourd'hui 2 millions et quart au Canada, un million et trois quarts dans la grande république du Sud.

Ils forment un tiers de la population de ce pays.

Ils ne demandent que la même mesure de justice qu'ils donnent aux autres, et il n'y a jamais eu de question scolaire, ou de conflit de langue ou de race dans la province de Québec.

Et en terminant, je répète à mes compatriotes des autres provinces ces sages paroles d'un chef irlandais à ses compatriotes de l'Ulster:

"Nous ne demandons pas de faveur. Nous ne demandons rien de plus et nous ne prendrons rien de moins. Nous voulons avoir en vous la même confiance que vous voudrez bien nous témoigner".

Si cet appel pouvait être entendu, le délai provoqué par cette motion n'aurait pas été vain ni inutile.

M. Cannon (Québec-Centre): M. l'Orateur, représentant la division où en fut tenu la conférence de Québec qui jeta les bases du pacte fédératif qui nous régit, je croirais manquer à mon devoir, si je laissais passer ce débat sans y prendre part et faire connaître mon sentiment sur la motion.

Si Québec a été témoin de spectacles devenus historiques, je crois pouvoir affirmer que l'un des plus intéressants se déroulait dans l'ancien parlement lors de l'ouverture en 1871 de la session de la 2e législature.

Chauveau était à la tête des affaires et la Chambre contenait des hommes comme Cauchon, Langevin, Holton, Fournier, Joly, Lynch, Blanchet et Pelletier. Parmi les simples députés, grâce au double mandat, siégeait un homme qui était souvent consulté par le premier ministre et ses collègues: c'était le chef depuis 15 ans de la province; le premier ministre qui, avec MacDonald et Brown, avait fait la Confédération pour sauver sa race et son avenir; qui venait, grâce à l'influence prépondérante que lui assurait dans le cabinet fédéral le bloc presque compact dont la province de Québec l'avait entouré au Parlement, de jeter depuis 4 ans les bases de l'organisation fédérale en passant des lois pourvoyant à la construction de l'Intercolonial Railway, à l'organisation de la milice, à l'acquisition des territoires du Nord-Ouest et à l'admission de la colonie anglaise dans la Confédération.

Cartier semblait être, à l'apogée de sa carrière, le chef incontesté de sa province et rien ne laissait alors prévoir la défaite que devait lui infliger 2 ans plus tard un jeune avocat, Louis-Amable Jetté, celui dont la verte vieillesse réjouit encore tous les Québécois qui ont le plaisir de saluer en lui le plus distingué de nos concitoyens. Cartier siégeait à Québec, celui au sujet duquel le premier ministre (L'honorable M. Gouin) écrivait le 1er avril 1914 à M. Boyd: "De tous les hommes d'État canadiens du siècle dernier, aucun, peut-être, ne mérite autant d'être admiré et imité à la fois par les générations présentes et futures. Il y eut des patriotes et des hommes d'État, mais Cartier était les deux.

"C'était un homme remarquable. Il était imprégné d'idées grandioses. Son horizon était large, sa vision s'étendait bien au-delà du cadre et de l'atmosphère de son temps; et le Canada d'aujourd'hui est en grande partie le résultat de son habileté politique. C'est un grand éloge, mais quelqu'un d'une autre nationalité que la sienne a déclaré que l'union des provinces anglaises dans la Confédération n'aurait pu se concrétiser si Cartier avait refusé d'offrir son aide.

"Ce n'était pas seulement un visionnaire et un penseur, mais c'était aussi un travailleur. Il a dit plusieurs grandes choses et les a bien dites, mais on se rappelle de lui surtout comme quelqu'un qui accomplissait des choses."

Sir Lomer continuait:

"Vous me demandez mon avis sur ce que les Canadiens français doivent à Cartier. Beaucoup, en effet. Et ce que les Canadiens français doivent à Sir George-Étienne Cartier, les Canadiens de toutes nationalités le doivent aussi. Il leur a enseigné l'indépendance et le devoir du respect et de l'attention mutuels. Il a montré la futilité de l'argument selon lequel il était impossible de faire du Canada une grande nation parce que le Bas-Canada était surtout français et catholique, tandis que le Haut-Canada était anglais et protestant, et les provinces maritimes, un mélange des deux. Il a soutenu que, comme en Grande-Bretagne, la diversité des races contribuerait à la prospérité générale, et il a immédiatement mis le doigt sur le seul point dangereux de la Constitution du futur dominion, lorsqu'il dit que la seule difficulté serait de rendre justice aux minorités. La portée de sa vision, comme celle de son illustre homonyme, le premier Européen à poser le pied au Canada, allait bien au-delà des frontières du Bas-Canada; et il aimait demander à ses compatriotes s'ils désiraient limiter l'influence de leur race aux limites étroites de leur propre province. Il a été bien dit qu'aucun événement important de notre histoire ne fut accompli pendant les 25 années de sa carrière sans sa participation active."

J'ai cru devoir citer au long l'opinion de mon chef, l'honorable leader de cette Chambre, pour bien faire saisir l'intérêt du spectacle qui se déroulait à cette 1ère séance de la 1ère session de la 2e législature de cette province en 1871.

En présence de Cartier, arrivé au terme de sa carrière se leva d'une des dernières banquettes de l'opposition un jeune homme qui fit ce jour-là un début éclatant et enthousiasma par son éloquence, les vieux parlementaires qui l'entouraient. Ce jeune homme venait d'être élu pour le comté d'Arthabaska. Je ne sais si Cartier vieilli, déjà frappé de la maladie qui devait l'emporter bientôt, eut le pressentiment ou l'intuition du grand rôle réservé au tribun dont il saluait de ses applaudissements le brillant début; ce jeune homme, vous l'avez reconnu, Monsieur l'Orateur, était Wilfrid Laurier; il était destiné à réaliser le rêve de Cartier presque entièrement, en gouvernant, pendant 15 ans, de 1896 à 1911, un Canada uni, jouissant d'une prospérité inouïe; c'était Laurier qui devait proclamer à Londres, après la dénonciation par l'Angleterre du traité de commerce anglo-allemand, que désormais, le Canada était une nation et que le 20e siècle serait le siècle du Canada.

J'ai cru devoir rappeler cette scène historique, évoquer les noms de Cartier et Laurier, les deux chefs incontestés de leur province depuis 50 ans, au moment de discuter la proposition du député de Lotbinière.

1. En étudiant Cartier, nous comprendrons mieux pourquoi a été faite la Confédération.

2. En suivant Laurier, nous trouverons la solution du problème angoissant qui se pose aujourd'hui devant nous.

Il serait trop long de répéter ici ce qui a été dit si souvent au sujet de la situation faite au Canada français par l'Acte d'union de 1840; en résumé on prescrivait la langue française, on chargeait le Bas-Canada de la dette accumulée par le Haut-Canada, et l'on donnait à ce dernier, moins peuplé, un nombre de députés égal à celui de la population plus nombreuse de notre province.

Lafontaine et ses amis se mirent à l'oeuvre et en peu d'années la langue française reconquit droit de cité et le gouvernement responsable fut établi. Nos ancêtres protestèrent d'abord contre le mode de représentation mais bientôt, la population du Haut-Canada augmenta et finit par dépasser la nôtre. George Brown et les "clear grits" commencèrent et accentuèrent une agitation pour obtenir la révision de la représentation suivant la population.

Après 1850, cette question bouleversa le monde politique et rendit impossible l'établissement d'un gouvernement stable. Pendant 10 ans, Cartier et les députés français résistèrent avec succès aux efforts de Brown, mais on finit par conclure que la lutte ne pourrait durer et qu'il fallait changer notre constitution de manière à faire passer le "deadlock" entre Québec et Ontario, assurer un gouvernement central stable et en même temps conserver à chaque province son individualité propre, ses lois, sa langue, sa religion et ses institutions. C'était éviter l'union législative qui aurait été le tombeau des aspirations de la race française au Canada.

Presque tout le monde était d'accord sur la nécessité d'une union fédérale; l'on différa sur l'opportunité de la créer tout de suite et aussi sur l'étendue qu'elle embrasserait.

Dorion voulait faire une confédération de Québec et Ontario seulement avec un gouvernement central pour régler les questions d'intérêt général et des administrations locales séparées. Cartier voyait plus grand et plus loin; outre le territoire et la population, il croyait nécessaire à une nation digne de ce nom le libre accès à l'Océan et pour arriver à ce but, pour fonder une véritable entité nationale, il déclara qu'il fallait s'adjoindre les provinces maritimes afin de s'étendre jusqu'à l'Atlantique et ensuite, par les territoires du Nord-Ouest et la Colombie-Anglaise, se rendre au Pacifique.

Comme l'a si bien remarqué l'honorable premier ministre dans la lettre que j'ai citée plus haut, comme Jacques Cartier, son homonyme, Sir Georges-Étienne voulait une confédération couvrant tout le continent, ce continent découvert, colonisé, exploré et consacré par les labeurs de nos découvreurs, évangélisé par nos missionnaires et défendu jusqu'à la mort par le courage de nos soldats.

Je me permets, Monsieur l'Orateur, de citer des extraits de son discours sur la Confédération, et j'en recommande la lecture aux Anglais bien disposés des autres provinces auxquels l'honorable député de Terrebonne faisait un appel si éloquent l'autre soir.

Hon. Proc. Gén. Cartier: "J'ai été accusé d'être opposé aux droits du Haut-Canada parce que, durant 15 à 20 ans, j'ai fait opposition à mon honorable ami le président du conseil M. Brown, qui insistait pour que la représentation fût basée sur la population dans chaque section de la province. Je combattais cette prétention parce que je croyais que ce principe aurait donné lieu à un conflit entre les deux sections de la province. Je ne veux pas dire que la majorité du Haut-Canada aurait exercé une tyrannie sur le Bas-Canada, mais l'idée que le Haut-Canada comme territoire avait la prépondérance dans le gouvernement aurait suffi pour créer ces animosités que je viens de mentionner. En 1858, je n'ai pas tardé à voir que le principe de la représentation d'après le nombre qui ne convenait pas comme principe gouvernant pour les deux provinces, n'aurait pas le même inconvénient si plusieurs provinces s'unissaient par une Confédération. Dans une lutte entre deux partis, l'un fort et l'autre faible, le plus faible ne peut qu'être subjugué.

"Mais s'il y a trois partis, le plus fort n'a pas le même avantage, car quand deux de ces partis voient que le troisième a trop de force, ils s'allient ensemble pour le combattre. Je ne combattais pas ce principe avec l'intention de refuser justice au Haut-Canada, mais c'était pour empêcher l'injustice envers le Bas-Canada. Je n'entretiens pas la plus légère crainte que les droits du Bas-Canada se trouvent en danger par cette disposition qui établit que, dans la législature générale, les Canadiens français auront un nombre de représentants moindre que celui de toutes les autres origines combinées. L'on voit par les résolutions, que dans les questions qui seront soumises au Parlement fédéral, il ne pourra y avoir de danger pour les droits et privilèges, ni des Canadiens français, ni des Écossais, ni des Anglais, ni des Irlandais.

"Les questions de commerce, de communication intercoloniale et toutes les matières d'un intérêt général seront discutées et déterminées par la législature générale; mais dans l'exercice des fonctions du gouvernement général, il n'y aura nullement à craindre qu'il soit adopté quelque principe qui puisse nuire aux intérêts de n'importe quelle nationalité. Je n'ai pas l'intention d'entrer dans les détails de la question de Confédération; je veux simplement mettre devant la Chambre les principales raisons qui peuvent induire les membres à accepter les résolutions soumises par le gouvernement. La Confédération est, pour ainsi dire, une nécessité pour nous, en ce moment."

Parlant de la guerre de sécession qui ensanglantait alors les États-Unis, Cartier disait: "Nous ne pouvons fermer les yeux sur ce qui se passe de l'autre côté de la frontière. Nous y voyons qu'un gouvernement, établi depuis 80 ans seulement, n'a pu maintenir unie la famille des États qui faisaient partie de ce vaste pays. Nous ne pouvons nous dissimuler que la lutte terrible dont nous suivons avec anxiété les progrès, doit nécessairement peser sur notre existence politique. Nous ne savons pas quels seront les résultats de cette grande guerre; si elle finira par l'établissement de deux confédérations, ou bien par une seule, comme auparavant. Nous avons à faire en sorte que cinq colonies, habitées par des hommes dont les intérêts et les sympathies sont les mêmes, forment une seule et grande nation. Pour cela, il ne faut que les soumettre à un même gouvernement général. La question se résout comme ceci: il nous faut avoir une confédération de l'Amérique du Nord britannique ou bien être absorbés par la confédération américaine."

Des voix: Écoutez! Écoutez!

M. Cannon (Québec-Centre): "Quelques-uns entretiennent l'opinion qu'il n'est pas nécessaire d'obtenir une telle confédération pour empêcher notre intégration par la république voisine; mais ils se trompent. Nous savons que l'Angleterre est déterminée à nous aider et à nous appuyer dans toute lutte avec nos voisins. Les provinces anglaises, séparées comme elles le sont à présent, ne pourraient pas se défendre seules. Nous avons des devoirs à remplir vis-à-vis de l'Angleterre et, pour obtenir son appui pour notre défense, nous devons nous aider nous-mêmes, et nous ne pouvons atteindre ce but sans une confédération. Quand nous serons unis, l'ennemi saura que s'il attaque quelque partie de ces provinces, soit l'Île-du-Prince-Edouard, soit le Canada, il aura à rencontrer les forces combinées de l'Empire. Le Canada, en demeurant séparé, serait dans une position dangereuse si une guerre se déclarait. Quand nous aurons organisé un système de défense propre à pourvoir à notre protection mutuelle, l'Angleterre nous enverra librement ses soldats et nous ouvrira ses trésors pour veiller à notre défense. J'ai déjà dit, ailleurs, que par son territoire, sa population et sa richesse, le Canada était supérieur à chacune des autres provinces, mais qu'en même temps, il manquait d'un élément nécessaire à sa grandeur nationale, l'élément maritime. Le commerce du Canada est si étendu que des communications avec l'Angleterre, pendant toutes les saisons de l'année, lui sont absolument nécessaires. Il y a vingt ans, les mois d'été suffisaient pour les besoins de notre commerce. À présent, ce système serait insuffisant et, pour nos communications durant l'hiver, nous sommes laissés à la merci du caprice de nos voisins sur le territoire desquels nous sommes obligés de passer.

"J'ai dit aussi que dans la position où nous nous trouvons, une guerre avec les États nous enlèverait nos havres d'hiver.

"Le Canada a deux des éléments qui forment les grandes puissances: le territoire et la population, mais il lui manque l'élément maritime, que pour l'avantage de tous, les provinces inférieures lui apporteraient en s'unissant à lui. Ils se trompent grandement ceux qui prétendent que les provinces de l'Amérique du Nord britannique ne sont pas plus exposées ainsi séparées qu'elles ne le seraient réunies en une confédération. Le temps est venu pour nous de former une grande nation, et je maintiens que la confédération est nécessaire à nos propres intérêts commerciaux, à notre prospérité et à notre défense. C'est ce que nous avons maintenant à discuter; les détails le seront lorsque le projet sera mis en délibération. À présent, la question est celle-ci: la Confédération des provinces de l'Amérique du Nord britannique est-elle nécessaire pour augmenter notre puissance et pour maintenir les liens qui nous attachent à la mère-patrie".

Voilà comment la question était posée par le chef canadien-français à cette époque. Plus loin, il ajoutait discutant la question des races:

"Dans les temps anciens, la manière dont se formaient les nations n'était pas la même qu'aujourd'hui. Alors, un faible établissement transformait en village, ce village devenait une ville ou une cité, et là se trouvait le noyau d'une nation. Il n'en est pas ainsi dans les temps modernes. Les nations sont formées maintenant par l'agglomération de divers peuples rassemblés par les intérêts et les sympathies. Telle est notre position dans le moment actuel. Une objection a été suscitée au projet maintenant sous considération, à cause des mots "nouvelle nationalité". Lorsque nous serons unis, si toutefois nous le devenons, nous formerons une nationalité politique indépendante de l'origine nationale, ou de la religion d'aucun individu. Il en est qui ont regretté qu'il y eût diversité de races et qui ont exprimé l'espoir que ce caractère distinctif disparaîtrait. L'idée de l'unité des races est une utopie; c'est une impossibilité. Une distinction de cette nature existera toujours, de même que la dissemblance parait être dans l'ordre du monde physique, moral et politique. Quant à l'objection basée sur ce fait, qu'une grande nation ne peut pas être formée parce que le Bas-Canada est en grande partie français et catholique et que le Haut-Canada est anglais et protestant, et que les provinces inférieures sont mixtes, elle constitue à mon avis, un raisonnement futile à l'extrême. Prenons pour exemple le Royaume-Uni, habité comme il l'est par trois grandes races".

Des voix: Écoutez! Écoutez!

M. Cannon (Québec-Centre): "La diversité de race a-t-elle mis obstacle à la gloire, aux progrès, à la richesse de l'Angleterre ou de la France? Chacune d'elles n'a-t-elle pas généreusement contribué à la grandeur de l'Empire? Les trois races réunies n'ont-elles pas par leur talent combiné leur énergie et leur courage, apporté chacune leur quote-part aux gloires de l'Empire, à ses lois si sages, à ses succès sur terre, sur mer et dans le commerce?

"Dans notre propre fédération, nous aurons des catholiques et des protestants, des Anglais, des Français, des Irlandais, des Écossais, et chacun, par ses efforts et ses succès, ajoutera à la prospérité et à la gloire de la nouvelle confédération".

Des voix: Écoutez! Écoutez!

M. Cannon (Québec-Centre): "Nous sommes de races différentes, non pas pour nous faire la guerre, mais afin de travailler conjointement à notre propre bien-être. Nous ne pouvons, de par la loi, faire disparaître ces différences de races, mais, j'en suis persuadé, les Anglo-Canadiens et les Canadiens français sauront apprécier leur position les uns vis-à-vis les autres. Placés les uns auprès des autres, comme de grandes familles, leur contact produirait un esprit d'émulation salutaire. La diversité des races contribuera, croyez-le, à la prospérité commune. La difficulté se trouve dans la manière de rendre justice aux minorités. Dans le Haut-Canada, les catholiques se trouveront en minorité, dans le Bas-Canada, les protestants seront en minorité, pendant que les provinces maritimes sont divisées. Sous de telles circonstances, quelqu'un pourra-t-il prétendre que le gouvernement général, ou les gouvernements locaux, pourraient se rendre coupables d'actes arbitraires? Quelle en serait la conséquence, même en supposant qu'un des gouvernements locaux le tenterait? Des mesures de ce genre seraient, à coup sur, censurées par la masse du peuple. Il n'y a donc pas à craindre que l'on cherche jamais à priver la minorité de ses droits, sous le système de fédération qui laisse au gouvernement central le contrôle des grandes questions d'intérêt général, dans lesquelles les différences de races ou de religion ne pourront pas être méconnues".

Ne pouvons-nous pas dire que, sur un point, Cartier était bien l'interprète de ses compatriotes? Nous n'avons pas, dans le Québec, méconnu les droits de la minorité. Les dispositions mises dans la loi pour sauvegarder les intérêts des anglo-protestants de Québec, n'ont été invoquées que pour résister aux empiétements des majorités anglaises contre les droits des minorités françaises, au Nouveau-Brunswick, au Manitoba et dans Ontario. C'est là un témoignage qui nous vient d'un Anglais de cette province et qui reflète d'ailleurs l'opinion de ses concitoyens de même origine.

L'on peut constater, Monsieur l'Orateur, par ces extraits quels étaient les sentiments qui animaient la population canadienne-française lors de la Confédération.

Nous voulions l'union des races et des croyances pour travailler ensemble au progrès d'un pays où la justice et l'équité seraient honorées, où les minorités seraient protégées de façon à développer un fort sentiment national canadien.

Cartier justifiait le projet en disant que, s'il ne satisfaisait pas les extrémistes, il rencontrerait l'approbation des éléments modérés et était le remède le plus approprié pour les nécessités présentes et futures.

Il serait intéressant de lire aussi le discours de Sir John-A. McDonald à ce sujet, je me contenterai de citer la partie où il explique pourquoi on a choisi la Confédération, au lieu de rompre l'Union ou d'imposer l'Union législative.

Hon. Proc. Gén. MacDonald: "Revenant maintenant à la situation critique de nos propres affaires; je dis qu'on ne pouvait suggérer que trois moyens de tirer le Canada des difficultés fâcheuses qui l'entouraient, de le faire sortir de l'état d'anarchie et de souffrances où il se trouvait et de lui assurer un état de prospérité. L'un était la dissolution de l'union entre le Haut et le Bas-Canada, les laissant comme ils étaient avant l'union de 1841. Je crois qu'une telle proposition ne trouverait pas aujourd'hui un seul partisan. L'on a senti que, bien que cela eût mis fin aux pressantes demandes du Haut-Canada pour la représentation d'après la population, et à la crainte de la part du peuple du Bas-Canada de voir ses institutions en danger par une telle mesure, cette dissolution eût été un pas rétrograde qui aurait repoussé le pays vers la position qu'il occupait avant l'union, et eût diminué le crédit de tout le Canada; l'on a senti, dis-je, que cela eût brisé un lien qui existe depuis presque vingt-cinq ans et qui sans avoir pu réussir à écarter les jalousies de localité que les circonstances avaient créées avant l'union, n'en a pas moins duré un temps assez considérable, pendant lequel la province entière a joui d'une prospérité marquée et sans cesse croissante. L'on a senti que cette dissolution eût détruit le crédit que nous avons acquis par cette union de deux provinces faibles et insignifiantes, et qu'en y ayant recours, nous nous exposions à rabaisser notre niveau au lieu de nous élever au rang d'une nation puissante."

Des voix: Écoutez! Écoutez!

M. Cannon (Québec-Centre): "L'autre moyen par lequel cet état d'anarchie pouvait avoir un terme, eût été d'accorder au Haut-Canada la représentation d'après la population. Nous savons tous de quelle manière cette question est envisagée par le peuple du Bas-Canada et que, pendant que le désir du Haut-Canada pour s'assurer une juste représentation devenait de plus en plus vivace, la résistance du Bas-Canada gagnait aussi en énergie.

"Si une solution telle que la confédération ne se fût pas présentée pour mettre fin aux difficultés de province à province qui existent, la représentation basée sur la population était le seul moyen qui restait à adopter. Peu importe que le Bas-Canada eût prétendu que c'était une violation du traité d'union, et qu'une telle réforme entraînerait la ruine de ses intérêts locaux, il est certain que la force des choses nous eût amenés à recourir à la représentation basée sur le nombre; et, ceci eût-il été accompli - j'exprime ici mes sentiments personnels - je ne pense pas que c'eût été dans l'intérêt du Haut-Canada.

"Telle a toujours été ma manière d'envisager le sujet. Ce que le Haut-Canada aurait regardé comme un droit à réclamer et à exercer, eût été certainement envisagé par le Bas-Canada comme une injustice et un danger; les Bas-Canadiens, au lieu de concourir de bonne volonté à l'exercice de ce nouveau régime comme nationalité représentée par des chefs et soumise à des principes, n'auraient vu dans ce changement constitutionnel que leurs intérêts menacés, et n'auraient plus écouté que le seul désir de sauvegarder leurs institutions, leurs lois, et leur avenir matériel."

Des voix: Écoutez! Écoutez!

M. Cannon (Québec-Centre): "Le troisième et seul moyen d'obtenir une solution à nos difficultés était une confédération des provinces, par une union soit fédérale soit législative. Or, quant aux avantages comparatifs d'une union législative et d'une union fédérale, je n'ai jamais hésité à dire que si la chose était praticable, une union législative eût été préférable".

Des voix: Écoutez! Écoutez!

M. Cannon (Québec-Centre): "J'ai déclaré maintes et maintes fois que si nous pouvions avoir un gouvernement et un Parlement pour toutes les provinces, nous aurions eu le gouvernement le meilleur, le moins dispendieux, le plus vigoureux et le plus fort".

Des voix: Écoutez! Écoutez!

M. Cannon (Québec-Centre): "Mais en considérant ce sujet et en le discutant, comme nous l'avons fait dans la conférence avec le désir d'en venir à une solution satisfaisante, j'ai trouvé que ce système était impraticable. Et, d'abord, il ne saurait rencontrer l'assentiment du peuple du Bas-Canada, qui sent que, dans la position particulière où il se trouve comme minorité, parlant un langage différent, et professant une foi différente de la majorité du peuple sous la confédération, ses institutions, ses lois, ses associations nationales, qu'il estime hautement, pourraient avoir à en souffrir.

"C'est pourquoi il a été compris que toute proposition qui impliquerait l'absorption de l'individualité du Bas-Canada, ne serait pas reçue avec faveur par le peuple de cette section. Nous avons trouvé, en outre, que quoique le peuple des provinces inférieures parle la même langue que celui du Haut-Canada et soit régi par la même loi - loi basée sur le droit anglais - il n'y avait, de la part de ces provinces, aucun désir de perdre leur individualité comme nation, et qu'elles partageaient à cet égard les mêmes dispositions que le Bas-Canada".

Des voix: Écoutez! Écoutez!

M. Cannon (Québec-Centre): "Ainsi, nous étions forcés de conclure que nous devions soit abandonner entièrement l'idée d'une union, soit inventer un système d'union dans lequel les différentes organisations provinciales, jusqu'à un certain point, seraient préservées.

"C'est pourquoi, après mûre considération au sujet et des avantages et désavantages des deux systèmes, nous nous aperçûmes que l'union législative ne ralliait pas toutes les opinions, et qu'il ne nous restait qu'à adopter l'union fédérale comme seul système acceptable, même pour les provinces maritimes".

Et Georges Brown, le fondateur du Globe, que disait-il au cours de ces débats où l'on jetait les assises de la future nation canadienne? Je dédie ces paroles aux rédacteurs actuels de son journal, qui, ces jours derniers semblait approuver le gouvernement d'Ontario qui veut empêcher les Canadiens français, les Allemands et les Autrichiens de s'établir sur le territoire de la province en leur imposant aux nouveaux colons des conditions dont le projet ne peut avoir été formé que dans des cerveaux de mentalité prussienne. Georges Brown disait, au cours du débat sur la Confédération: "La scène qu'offre cette Chambre en ce moment, j'ose l'affirmer, a peu de parallèles dans l'histoire. Cent ans se sont écoulés depuis que ces provinces sont devenues par la conquête partie de l'Empire britannique. Je ne veux pas faire de vantardises - je ne veux pas pour un instant évoquer de pénibles souvenirs - car le sort alors fait à la brave nation française, par la fortune de la guerre, aurait bien pu être le nôtre sur ce champ de bataille mémorable. Je ne rappelle ces anciens temps que pour faire remarquer que les descendants des vainqueurs et des vaincus de la bataille de 1759, siègent ici aujourd'hui avec toutes les différences de langage, de religion, de lois civiles et d'habitudes sociales presque aussi distinctement marquées qu'elles l'étaient, il y a un siècle".

Des voix: Écoutez! Écoutez!

M. Cannon (Québec-Centre): Nous siégeons ici aujourd'hui et cherchons à l'amiable à trouver un remède à des maux constitutionnels et à des injustices dont se plaignent les vaincus? Non, Monsieur l'Orateur, mais dont se plaignent les conquérants! Ici siègent les représentants de la population anglaise qui réclame justice; justice seulement; ici siègent les représentants de la population française qui délibèrent dans la langue française sur la question de savoir si nous l'obtiendrons. Cent ans se sont écoulés depuis la conquête de Québec, mais voici que les enfants des vainqueurs et des vaincus siègent côte à côte, tous avouant leur profond attachement à la couronne britannique, tous délibèrent sérieusement pour savoir comment nous pourrons le mieux propager les bienfaits des institutions britanniques, comment on pourra établir un grand peuple sur ce continent en relations intimes et cordiales avec la Grande-Bretagne.

"Dans quelle page de l'histoire, disait M. Brown, trouverons-nous un fait semblable? Ce trait ne restera-t-il pas comme un monument impérissable de la générosité de la domination anglaise? Et ce n'est pas le Canada seulement que l'on voit en spectacle. Quatre autres colonies sont en ce moment occupées, comme nous le sommes, à témoigner de leur attachement inébranlable à la mère-patrie et à délibérer avec nous sur les moyens les plus propres à prendre pour accomplir la mission importante qui leur est confiée et favoriser le développement des abondantes ressources de ses vastes possessions. Eh bien, M. l'Orateur, l'oeuvre que nous avons proposée de concert peut à bon droit éveiller l'ambition et l'énergie de tout bon patriote de l'Amérique britannique."

J'ai tenu, Monsieur l'Orateur, à lire à cette Chambre, le texte même des discours des trois principaux artisans du pacte fédératif pour démontrer quel esprit animait ces géants de notre histoire politique - Cartier, Brown et MacDonald.

Pour sauvegarder notre langue, on la mit sur le même pied que la langue anglaise au Parlement, dans l'administration et les cours fédérales; pour sauvegarder notre influence, on fixait à 65 le chiffre immuable de notre représentation, laquelle devenait la base de la représentation des autres provinces, suivant les fluctuations de notre population et de la leur; pour sauvegarder les droits des minorités, on assurait le libre enseignement religieux dans les écoles séparées comme par le passé.

Il n'y a pas lieu de s'étonner qu'aux élections de 1867, la province de Québec votât presque en bloc compact pour Cartier et la Confédération en élisant 53 de ses partisans sur 65 députés.

Dans les premières années de la Confédération, le chef québécois est le pouvoir dominant à Ottawa.

Grâce à lui, l'Intercolonial, au lieu de pousser directement de la Rivière-du-Loup à Saint-Jean, Nouveau-Brunswick, fut construit par la route la plus longue et la plus dispendieuse, par la Baie des Chaleurs, de manière à assurer les avantages du chemin de fer aux populations du Bas du Fleuve; c'est le représentant officiel de la province de Québec, ministre de la Milice, qui prépara et fit passer presque unanimement notre première loi militaire; c'est lui qui prépara et fit passer la loi créant la province du Manitoba et enfin assura à la province de Québec le terminus à Montréal du Pacifique Canadien qui a tant fait pour le développement de la métropole dont nous sommes tous si fiers.

Après la disparition de Cartier, nous pouvons dire que l'influence de Québec au fédéral a été moins prépondérante, à cause de la qualité des représentants que nous avions; mais en somme, la province était satisfaite et a appuyé Sir John-A. MacDonald jusqu'à sa mort en 1891.

Enfin, Laurier arriva au pouvoir en 1896 et l'on vit, sous son gouvernement, l'âge d'or de la Confédération, la réalisation du rêve entrevu par les fondateurs du système. Avec un Canadien français à la tête du pays, on vit la paix et l'harmonie régner entre toutes les races, toutes les religions; toutes les provinces étaient fières, tout en conservant leurs traits caractéristiques, leur individualité, de former partie d'un tout compact, prenant conscience de sa force et nous avions droit d'espérer devenir une nation puissante et respectée.

Laurier, par la construction du Transcontinental National ajouta un nouveau lien d'ânier à ceux qui unissaient ensemble les provinces, tout en assurant le développement d'une nouvelle province de Québec vers le nord de notre territoire; en fixant à Québec le terminus de la ligne et en y construisant un pont merveilleux, il tentait de faire pour la vieille cité de Champlain ce que le C.P.R. avait fait pour Montréal et créer dans notre province une nouvelle métropole commerciale et industrielle; enfin par l'organisation des nouvelles provinces en 1905, Laurier semblait avoir achevé l'oeuvre de la Confédération.

Jusqu'en 1911, nous pouvons dire que la province de Québec a joué dans la Confédération le rôle qu'il lui convenait en sa qualité de doyenne, de plus ancienne associée. La défaite de Laurier en 1911 a été le signal d'un fléchissement de notre influence à Ottawa, d'une diminution du respect des autres provinces pour notre opinion et de nos droits comme libres citoyens de ce pays. Pourquoi?

Cette situation ne coïncide-t-elle pas, Monsieur l'Orateur, et n'a-t-elle pas été causée par la campagne nationaliste qui, sous prétexte de combattre l'impérialisme à outrance et déraisonné, a nui à Sir Wilfrid Laurier et à son influence, a diminué son prestige ici et ailleurs et pour arriver à ses fins, a accepté en 1910 et en 1911, l'argent et l'appui des torys d'Ontario qui, par la bouche de Sir Georges Foster, avaient donné le mot d'ordre: "Anything to beat Laurier". L'esprit d'une partie de notre population a été faussé; un grand nombre ont cessé de penser au Canada, pour se confiner dans le Québec; au lieu de penser en canadiens, beaucoup se sont contentés de penser en provinciaux; nos intérêts nationaux sont devenus des questions de clocher; du rêve grandiose de Cartier et des Pères de la Confédération, cette campagne nationaliste nous a fait tomber aux diatribes de M. Bourassa, qui, par son talent, ses connaissances, sa subtilité nous rappelle les discussions byzantines qui occupaient Constantinople quand les Barbares, les Huns, assiégeaient ses portes. Cartier et la province de Québec en 1867 avaient voulu une nation forte, unie pour coopérer à l'oeuvre de l'Angleterre dans le monde; sous prétexte de limiter nos obligations envers l'Angleterre, M. Bourassa nous dit que nous ne lui devons rien. La guerre de 1914 éclate. Quand l'Angleterre et la France, enfin unies, appellent à leur secours le monde entier pour terrasser le colosse allemand et sauver la civilisation, M. Bourassa et ses amis parlent, écrivent et s'agitent contre l'Angleterre et contre la France et semblent presque donner raison à l'Allemagne.

Ces articles, ces brochures sont traduits, distribués dans les autres provinces qui croient y voir l'expression de nos sentiments envers nos deux mères-patries. Les extrêmes appellent les extrêmes; des gens de bonne foi ont cru que Québec n'était pas loyal et le Parti libéral et son chef, qui, depuis 1905, ont combattu ces extrémistes dans les deux vieilles provinces, sont tombés victimes de leurs exagérations.

Comme conséquence, l'influence immédiate de Québec à Ottawa, au conseil des ministres, semble avoir diminué par suite du refus de la province d'élire un seul partisan français du gouvernement actuel.

Est-ce que cet état de choses extraordinaire, amené par des circonstances anormales, est tel qu'il puisse nous faire considérer sérieusement la rupture par Québec du lien fédéral? Non, je ne le crois pas, M. l'Orateur.

D'ailleurs, la motion ne le dit pas. Le défaut de cette motion, c'est de nous faire discuter une hypothèse, une question irréelle. Jamais, ni aujourd'hui, ni dans l'avenir, les autres provinces ne croiront que nous sommes un obstacle au développement de la Confédération. C'est impossible, nous en sommes le centre, le noyau. Sans Québec, la Confédération n'existerait plus, elle serait scindée en deux tronçons impuissants.

La motion est peut-être une manière spirituelle d'embarrasser les "jingoes" et les fanatiques qui nous dénoncent depuis tant d'années en leur disant suivant l'expression populaire: "Put up or shut up!"

Je n'en aime pas la rédaction. Le jour où Québec tenterait de sortir de la Confédération, nous prendrions cette décision de nous-mêmes, parce que cela ferait notre affaire et non pas à cause du désir ou de l'opinion des autres provinces. Nous ne nous occupons pas à ce point du "qu'en dira-t-on".

D'ailleurs, ce n'est pas là l'attitude qui convient à la province dont la population, suivant l'heureuse expression du premier ministre dans une circonstance mémorable, est la doyenne en ce pays. Ce n'est pas parce que certains nouveaux venus dans les provinces de l'Ouest et ailleurs, les derniers arrivés au pays, ne savent pas appliquer les principes de la Constitution et nous traiter d'égal à égal que la province doit prendre une attitude de Cendrillon, et, la main sur la poignée de la porte, dire aux provinces-soeurs: "Moi, je m'en vais si vous le désirez toutes". C'est là une attitude peu digne et il n'est pas dans les traditions de notre race de succomber sous un flot d'injures.

C'est un geste élégant, dit-il, mais nous devrions affirmer que nous ne voulons pas sortir de la Confédération, car nous sommes ici chez nous.

Nous avons le droit et le devoir de rester à la tête de la Confédération et nous allons le faire savoir aux autres provinces.

Nous y resterons parce que les descendants de Cartier, de Champlain, de Maisonneuve, de Frontenac et de leurs compagnons ont droit de cité partout au Canada, et leur langue et leur religion aussi.

De l'Atlantique au Pacifique, je pourrais dire, du golfe du Mexique à la Baie d'Hudson, la race française a fait sa marque, et ce n'est pas le temps d'abdiquer même conditionnellement et par hypothèse le rôle et la mission providentielle que nous avons à remplir sur cette terre d'Amérique, pour lesquels nos Pères ont tant travaillé, tant souffert. Nous continuerons, malgré les injures, à nous multiplier, à nous répandre partout, à travailler au développement économique de la province de Québec, à ouvrir à la colonisation le nord d'Ontario; nous essaimerons dans l'Ouest; avant 25 ans, le Nouveau-Brunswick sera peut-être en majorité française. Et nous continuerons aussi à donner l'exemple de la tolérance, de la justice aux minorités en observant à la lettre les articles de l'acte constitutionnel.

Nous continuerons, sur cette terre d'Amérique, par tout le Canada et au-delà, le rôle de la France en Europe, la nation catholique par excellence qui répand au loin le règne du beau et du vrai.

Au milieu de races et de nations enfouies dans les intérêts matériels, le culte de l'idéal et de l'art doit être répandu par nous. C'est Lord Dufferin qui le disait en 1878, dans un discours officiel : "Effacez de l'histoire de l'Europe les grandes actions accomplies par la France, retranchez de la civilisation européenne ce que la France y a fourni et vous verrez quel vide immense il en résulterait. Mon aspiration la plus chaleureuse pour cette province, disait le noble lord, a toujours été de voir les habitants français remplir pour le Canada les fonctions que la France elle-même a si admirablement remplies pour l'Europe."

Pour remplir ce rôle, il nous faut continuer à faire partie de l'unité canadienne et contribuer à son développement par l'appoint des qualités de notre race. Mais nous n'en persisterons pas moins suivant l'esprit de la Confédération, à conserver notre individualité intacte.

Je terminerai en citant à ce sujet une page admirable d'un jeune écrivain français, mort au Canada il y a quelques années, Louis Hémon.

À la fin de son roman, l'héroïne, Maria Chapdelaine, le type de la Canadienne courageuse et robuste, décide de rester au pays en écoutant la "voix du pays de Québec qui était à moitié un chant de femme et à moitié un sermon de prêtre. Elle vint comme un son de cloche, comme la clameur auguste des orgues dans les églises, comme une complainte naïve et comme le cri perçant et prolongé par lequel les bûcherons s'appellent dans les bois". Car en vérité tout ce qui fait l'âme de la province tenait dans cette voix: la solennité chère du vieux culte, la douceur de la vieille langue jalousement gardée, la splendeur et la force barbare du pays neuf où une race ancienne a retrouvé son adolescence. Elle disait: "Nous sommes venus il y a trois cents ans, et nous y sommes restés. Ceux qui nous ont menés ici pourraient revenir parmi nous sans amertume et sans chagrin, car s'il est vrai que nous n'avons guère appris, assurément, nous n'avons rien oublié, nous avions apporté d'outre-mer nos prières et nos chansons: elles sont toujours les mêmes, nous avions apporté dans nos poitrines le coeur des hommes de notre pays, vaillant et vif, aussi prompt à la pitié qu'au rire, le coeur le plus humain de tous les coeurs humains. Il n'a pas changé. Nous avons marqué un plan du continent nouveau de Gaspé à Montréal, de Saint-Jean-d'Iberville à l'Ungava en disant: ici toutes les choses que nous avons apportées avec nous, notre culte, notre langue, nos vertus et jusqu'à nos faiblesses deviennent des choses sacrées intangibles, et qui devront demeurer jusqu'à la fin.

"Autour de nous des étrangers sont venus ..., ils ont pris presque tout le pouvoir; ils ont acquis presque tout l'argent; mais au pays de Québec rien n'a changé. Rien ne changera, parce que nous sommes un témoignage. De nous-mêmes et de nos destinées, nous n'avons compris clairement que ce devoir-là : persister ... nous maintenir ... Et nous nous sommes maintenus, peut-être afin que dans plusieurs siècles encore le monde se tourne vers nous et dise: ces gens-là sont d'une race qui ne sait pas mourir ... Nous sommes un témoignage.

"C'est pourquoi il faut rester dans la province où nos pères sont restés, et vivre comme ils ont vécu, pour obéir au commandement inexprimé qui s'est formé dans leur coeur, qui a passé dans les nôtres et que nous devrons transmettre à notre tour à de nombreux enfants. Au pays de Québec, rien ne doit mourir, et rien ne doit changer".

Monsieur l'Orateur, c'est en persistant dans ce beau rôle, en le faisant comprendre et respecter que nous pourrons continuer sur cette terre d'Amérique à faire les gestes de Dieu. "Gesta Dei per francos".

M. Létourneau (Québec-Est): Monsieur l'Orateur, je n'ai que quelques remarques à faire pour expliquer mon attitude sur la motion présentée par l'honorable député de Lotbinière et le vote que je donnerai en faveur de la motion Francoeur.

Si cette motion, dans sa rédaction, demandait, comme une certaine presse a voulu le faire croire, la rupture du pacte fédéral, j'exigerais de son auteur, avant de me prononcer, de me mettre au courant de tous les problèmes que cela soulèverait et de me dire quels seraient les moyens pratiques de faire face aux nouvelles obligations que nous pourrions contracter.

Mais il n'est nullement question de la rupture, pour le moment, du moins.

Après la campagne de préjugés et d'insultes qui a été faite contre la province de Québec, après les menaces d'isolement qui ont été lancées ouvertement contre nous, il fallait de toute nécessité, sinon poser un ultimatum, du moins faire comprendre aux politiciens à courte vue et aux profiteurs qui les font agir comme des marionnettes, que, contrairement à ce qu'ils pouvaient penser parce qu'ils ignorent totalement l'histoire politique et économique du pays, nous ne devions pas être plus attachés à la Confédération qu'il ne faut.

C'est ce que signifie la motion de l'honorable député de Lotbinière.

Je proteste avec énergie contre les Canadiens des autres provinces qui veulent nous faire passer pour des lâches et des poltrons et je suis heureux de dire que cette motion est extrêmement opportune et arrive à son heure et je ne serais pas surpris qu'elle ait suscité un immense intérêt, non seulement dans cette province, mais dans toutes les parties du territoire canadien.

En effet, Monsieur l'Orateur, il n'y a pas à le contester si l'on se reporte aux derniers événements politiques; la voix du sang pour une trop forte partie de la population canadienne a malheureusement, aux dernières élections, plus pesé dans la balance que le véritable sentiment national qui doit unir les unes aux autres les neuf provinces de la Confédération.

Notre peuple qui, disons-le, a son honneur, a toujours su tirer parti des événements et des circonstances. Il est malheureusement tout seul à manifester sa manière de voir et il est regrettable que l'attrait du pouvoir ait eu autant d'emprise sur un trop grand nombre de politiciens qui ont préféré les honneurs à l'honneur, qui ont jugé à propos d'abandonner leurs principes sous le faux prétexte d'unité nationale, quand, en réalité, ils n'ont réussi qu'à ameuter les différentes races les unes contre les autres et à nous faire reculer aux jours sombres de 1841, brisant dans l'espace de quelques semaines, l'oeuvre accomplie par nos Pères pour la conquête du gouvernement responsable, en sapant à sa base même la politique préconisée par le plus grand homme d'État que notre race ait produit.

En effet, c'est reconnu, le grand homme d'État qui, pendant quinze ans a présidé à nos destinées, a réussi à faire disparaître les rivalités de races et de religion et à faire régner la concorde et la bonne entente entre les citoyens de ce dominion.

Si nous sommes maintenant une entrave au développement des autres provinces, si à cause de notre mentalité essentiellement canadienne qui nous rive au sol, nous empêchons l'épanouissement d'une autre mentalité, si, à cause de nos nombreuses familles, dans nos foyers, si à cause de notre religion nous portons ombrage à nos coassociés et nous leur inspirons des craintes, c'est qu'alors notre ménage ne peut plus vivre en harmonie.

Il est temps que la province de Québec réponde dignement à tous les appels incendiaires qui ont été faits à notre détriment.

J'ai été désagréablement surpris d'entendre l'autre jour l'honorable chef de l'opposition affirmer que le feu n'était pas encore à nos portes, et que la motion du député de Lotbinière était inopportune, qu'aucune atteinte n'avait été faite à notre Constitution.

Je n'ai pas peur d'affirmer, Monsieur l'Orateur, que non seulement le feu est à nos portes, mais qu'il menace même notre demeure.

Le chef de l'opposition n'a donc pas suivi les luttes qui nous ont été livrées par la presse.

Ignore-t-il que cette motion est la conséquence des sentiments absolument antipathiques exprimés contre nos aspirations nationales.

L'on a vu ce triste spectacle d'une presse salariée s'efforçant de nous faire passer pour des sujets déloyaux à l'Empire britannique pour qui nos pères ont plus d'une fois versé leur sang sur les champs de bataille et à qui ils n'ont jamais marchandé leur dévouement et leur énergie.

Le croiriez-vous, Monsieur l'Orateur, par cette lutte indigne, on a malheureusement contribué à nous faire passer aux yeux de la France notre ancienne mère-patrie pour une race de lâcheurs et de poltrons, quand il s'est avéré que nos coeurs battent à l'unisson du monde civilisé et que nous sommes de coeur et d'âme pour le triomphe de la civilisation sur la barbarie.

Il convient de traduire nos sentiments d'une manière claire et sans ambages.

Si nous sommes de trop dans la Confédération, qu'on nous le dise.

Dussions-nous souffrir d'une rupture, nous devrions politiquement parlant nous préparer à divorcer. Ce n'est pas de la révolte, ce n'est pas de la déloyauté, c'est plutôt un geste que l'histoire impartiale saura apprécier.

C'est la raison pour laquelle je suis en faveur de la discussion de cette motion telle que présentée.

On nous dit que nous ne pouvons pas nous séparer parce que nous n'avons pas les industries qu'il nous faut, que cela nuirait à notre commerce. Rien n'est plus faux.

Permettez-moi, en ma qualité d'industriel et de négociant, de faire quelques réflexions au sujet de cette menace d'isolement qui semble faire trembler quelques-uns de mes compatriotes. D'aucuns, peu nombreux ceux-là, parce qu'ils croient sincèrement que nous souffririons de la rupture, d'autres, parce qu'il est de leur intérêt pour flatter les autocrates au pouvoir, de jeter de l'eau froide sur les expressions d'opinions patriotiques et spontanées de leurs compatriotes.

Pour bien nous rendre compte de la position économique que nous occuperions advenant la rupture, et si nous étions appelés à former un petit État autonome, il suffit de se demander ce que notre province, qui est surtout agricole, peut acheter chez elle dès à présent au lieu d'encourager les industries similaires dans l'Ontario et dans l'Ouest.

Il y en a plus qu'on pense.

Il fait ensuite une longue énumération de tout ce que nous fabriquons dans la province afin de démontrer que, quand bien même nous sortirions de la Confédération, nous ne serions pas plus embarrassés et que nous serions en état de faire face à nos obligations.

Nous produisons des machines agricoles; nous avons la fonderie de Beauceville, Beauchemin & Fils, de Sorel, A. Bélanger, de Montmagny, la Cie Carette, de Québec; J.-A. Desjardins, de Rigaud, J.-B. Doré & Fils, de Montréal, la Cie Matthew Moody & Sons, de Terrebonne, la Compagnie Julien, de Pont-Rouge.

Nous avons aussi des fabricants de pianos et d'orgues: Craig Pianos Co., de Montréal, Gingras & Frères, de Montréal, A. Lesage, de Sainte-Thérèse, Antonio Pratte, de Montréal, Sénéchal L. Quidoz, de Sainte-Thérèse, J.-M. Shaw & Co., de Montréal, Willis Piano Co., de Montréal. Nous avons plusieurs fonderies qui mettent sur le marché des poêles pour tous les goûts et toutes les bourses; des fabricants de wagons, entre autres, Joseph Bonhomme, de Montréal; Arthur Éthier, de Montréal; Granby Carriage Co.; Henez Carriage & Harness Co., de Montréal; Joseph Ledoux, de Beloeil; McLaughlin et Talbot, de Warden; Montreal Carriage Works; Thomas Stokes & Sons, de Burry; la Compagnie Desjardins, de Saint-André; la manufacture de voitures de Laurierville.

Depuis quelques années, nous avons de grandes compagnies qui préparent les conserves; pour les viandes, W. Clark et la Société française de spécialités alimentaires de Montréal; nous avons également plusieurs maisons qui préparent des viandes fumées et salées; pour les légumes nous avons Wilfrid Lorrain, de Montréal, J.-W. Windsor, de Montréal; les fabriques de Laprairie, de Saint-Pierre-les-Becquets et de Chambly.

Je pourrais pousser cette nomenclature beaucoup plus loin et la faire plus complète, et je pourrais ajouter qu'avec nos ressources naturelles, nos pouvoirs d'eau, nos bonnes routes, etc.: il n'y a pas une seule industrie de nécessité dans l'économie domestique que nous ne pouvons pas faire prospérer dans notre province.

J'ajouterai que nous avons la clef de la navigation ainsi que les terminus d'été du trafic de l'Atlantique.

Permettez-moi aussi de dire nous ne devrions aucunement craindre la séparation de Québec de l'Ontario, parce que, advenant une telle séparation, nos consommateurs seraient assurés d'avoir ici même tous les produits dont ils ont besoin, particulièrement dans nos grands magasins modernes de Saint-Roch sans avoir l'obligation de recourir, moyennant finance aux bons offices des officiers du ministère des postes pour faire venir de Eaton, Robert Simpson ou des autres marchants d'Ontario les objets qu'ils désirent se procurer.

Je crois qu'il était à propos de mentionner ces données et qu'il appartenait à un homme du commerce de se charger de les mettre à jour.

Si nous voulons préparer l'avenir, il est bon que les citoyens de cette province soient sur leurs gardes.

Il demande en même temps à ses compatriotes d'aider les industries que nous avons chez nous, car nous devons préparer l'avenir.

Lors même que la motion du député de Lotbinière n'aurait eu que ce résultat, elle aura contribué à induire nos concitoyens à développer nos industries, à améliorer notre agriculture; elle fera songer de plus à ceux qui tiennent leur capital immobilisé à se lancer dans de nouvelles entreprises, à créer de nouvelles industries qui fortifieront notre position économique et désilleront les yeux de ceux qui n'ont pas voulu donner à nos industries tout l'encouragement qu'elles auraient dû avoir et qui sont toujours pressés d'envoyer leur argent à l'étranger, sans regarder autour d'eux pour voir s'ils ne peuvent pas se procurer dans leur province les produits dont ils ont besoin.

Enfin, cette motion fera renaître la confiance que nous devons avoir en nous-mêmes, ce qui a toujours fait la force des autres races qui habitent notre pays.

Avant de reprendre mon siège, il me sera permis de dire que l'idée qui a présidé à la formation de la Confédération canadienne n'a pas toujours été mise en pratique; par conséquent n'a pas rendu justice à la population canadienne de ce pays.

Comme je le disais au commencement de mes remarques, j'ai été étonné d'avoir entendu dire par le chef de l'opposition que rien n'a été fait pour porter atteinte à la Constitution.

Ne se rappelle-t-il pas que certaines provinces, les unes après les autres, ont enlevé à une partie de la population leurs droits les plus chers et les plus sacrés que leur reconnaissait le pacte fédératif?

N'est-il pas vrai que par des interprétations plus ou moins équivoques et des menées plus ou moins sourdes, l'on a réussi à priver les enfants des premiers pionniers de ce sol de s'instruire dans leur langue maternelle et à bannir de leurs écoles la religion de leurs ancêtres?

Encore tout dernièrement, Monsieur l'Orateur, n'a-t-on porté une main sacrilège sur cette arche de la Confédération en empiétant sur l'autonomie provinciale et en voulant d'un trait de plume nous priver des droits jusqu'ici reconnus de contracter nous-mêmes nos emprunts?

Il est permis de croire que c'est une conspiration dirigée spécialement contre la province de Québec, parce que cette province est la seule des provinces de la Confédération qui boucle son budget par un surplus.

Grâce à l'impulsion donnée par le leader de cette Chambre à la diffusion de l'instruction publique sous toutes les formes, à la protection et à l'amélioration du sort de la classe ouvrière, il a réussi à en faire, par sa sage administration la plus belle, la plus grande et que dis-je, la province la plus instruite et la plus prospère du dominion.

De plus, le premier ministre, digne continuateur de la politique de Mercier et de Parent, s'est toujours constitué le défenseur de l'autonomie provinciale et ceux qui veulent s'attaquer à nos droits ignorent l'habileté dont il est doué et qu'il ne manque jamais de déployer lorsque nous traversons les crises difficiles.

Quoi qu'il advienne, nous pouvons envisager l'avenir d'un oeil serein et on ne pourra jamais changer le site enchanteur de notre province natale, qui est traversée par le beau et majestueux fleuve Saint-Laurent, dont la largeur et la majesté font l'admiration de tous les étrangers et qui semble se rétrécir près des limites de la province voisine: image vivante de la mentalité qui existe entre les deux provinces.

En résumé, je dirai que cette motion n'est pas un défi, mais simplement une chevaleresque invitation et que la menace d'isolement n'empêchera personne de dormir ni de manger, même si elle était mise à exécution.

M. Gault (Montréal-Saint-George): Si la motion Francoeur était adoptée, et si elle était portée à la Chambre des communes et que des actions y étaient prises, quel en serait l'effet ultime. Il (M. Gault) se pose la question d'un point de vue hypothétique.

Nous serions séparés du reste du dominion. Je crois que la première chose qui se produirait serait qu'il y aurait une demande pour que l'île de Montréal soit séparée du reste de la province, compte tenu qu'elle paie 77 % ou bien au-delà de 75 % des taxes de la province. Un autre résultat serait que l'on aurait des barrières tarifaires tout autour de la province de Québec, ce qui ruinerait les établissements manufacturiers et affecterait très sérieusement la situation économique de la province.

Ensuite, ce serait l'indépendance du Québec. C'est presque impensable et ce serait désastreux. Cela impliquerait de revenir aux conditions d'il y a 50 ans. Avec les dépenses supplémentaires occasionnées qui devraient être payées par la province seule, elle ne pourrait soutenir ce fardeau. Le coût global de la défense militaire et navale serait beaucoup trop lourd pour la province.

De plus, nous devrions assumer notre part du fardeau financier du dominion du Canada en quittant la Confédération, lequel serait d'environ 300 millions de dollars. Les intérêts seraient de 15 millions de dollars par année, ce qui serait exorbitant.

La prochaine étape serait l'annexion avec les États-Unis. Si une autre puissance attaquait la province, les États-Unis devraient intervenir et l'annexion s'ensuivrait. L'annexion impliquerait la perte de nos lois, surtout les lois concernant la langue française pour laquelle vous luttez, et le département de l'éducation serait divisé de façon non-confesssionnelle.

Le député de Lotbinière a fait référence à des discours prononcés par M. Rowell et par d'autres, des discours qui sont sans aucun doute exagérés. Il a parlé d'attaques envers l'Église catholique romaine. Certaines personnes en Ontario ont senti que l'Église catholique romaine n'a pas été sympathique envers les Alliés. Moi-même, je ne le crois pas, mais ceci a causé beaucoup d'émotions dans la population de ce pays. Le sentiment est que, sans être antagoniste, l'Église n'est pas sympathique. Ces rapports devraient être contredits, et les gens de l'Ontario devraient être convaincus qu'ils n'ont pas raison. Plusieurs de ceux-ci ont donné le meilleur de leurs familles dans cette guerre, et leurs sentiments sont donc très forts à ce sujet, et il est très difficile pour les Anglais de l'Ontario de comprendre pourquoi les gens d'ici n'ont pas démontré plus d'intérêt pour la guerre.

S'il y a une cause qui devrait faire appel au coeur et à l'esprit des Canadiens français, c'est l'affrontement se déroulant en ce moment en Europe. Personne ne peut parler plus élogieusement de la bravoure de nos garçons qui sont allés au front. L'héroïsme qu'ils ont démontré est magnifique. Il a été nécessaire d'envoyer plus de divisions, et chacune a agi dignement, a illuminé le nom du Canada, a fait connaître le Canada comme la patrie des braves et des vrais, et l'a fait connaître d'une manière jamais vue. Ces hommes nous ont gardé ici, nous permettant de vivre dans la paix et le confort, et il nous appartient de leur envoyer tout ce qu'il faut pour les appuyer, non seulement plus d'hommes, mais il est essentiel, si nous voulons gagner cette guerre, de leur envoyer autre chose, comme de la nourriture. Il faut que chaque personne dans ce pays comprenne qu'un certain sacrifice est nécessaire. La guerre est éloignée, et nous sommes portés à croire qu'elle est gagnée. Nous souhaitons qu'avant longtemps la paix soit en vue, mais d'aussi loin qu'un homme ordinaire peut voir, ce n'est pas encore le cas. Peut être dans un an, deux ans, trois ans, mais en attendant, le plus petit et le plus grand, le plus riche et le plus pauvre devront renoncer à quelque chose pour que la guerre puisse être menée avec succès.

Il y a en plusieurs1 ici qui sont en bonne forme physique et qui devraient être de l'autre côté. Chacun devrait faire sa part. Tout le monde est capable de faire quelque chose, et il vaut mieux aider que d'avoir les Allemands ici. Jusqu'à maintenant, nous savons que les Allemands sont aussi forts que jamais. Ils n'ont pas été battus. Ils tiennent des parties de la France, de la Belgique, de la Russie, de la Pologne, de la Serbie, de la Roumanie et d'autres endroits.

La première chose qui a causé des problèmes au Canada a été l'affaire des écoles en Ontario. Cette affaire aurait été réglée à la satisfaction de tous si la guerre n'avait pas éclaté. Je crois que la majorité anglaise de la province d'Ontario est anxieuse et prête à faire tout ce qui est bien, honorable et juste pour donner justice à chaque habitant de l'Ontario. Il n'y a pas de doute qu'il y a des extrémistes en Ontario, mais il y en a quelques-uns aussi au Québec. Ils accomplissent une besogne déplorable et c'est leur faire trop d'honneur que de parler de briser le pacte fédératif.

Il y a eu plusieurs actes malheureux au cours de la dernière élection dans cette province. Il prend comme exemple le fait qu'à la dernière élection il ait été impossible pour les candidats unionistes de tenir des assemblées au Québec. Des orateurs furent assaillis, des ministres de la couronne, dit-il. Il devrait être permis à chaque homme d'exprimer son opinion, bien qu'il puisse ne pas être d'accord avec d'autres. C'est l'un des droits de notre Constitution, et il me semble, de même qu'à d'autres, qu'il est regrettable que les leaders canadiens-français n'aient pas pris des mesures plus énergiques pour contrecarrer cette attitude. Il regrette que le premier ministre n'ait pas agi pour préserver la liberté d'expression dans cette province lors de la dernière élection. Il pense qu'un effort spécial aurait dû être fait et que des instructions spéciales auraient dû être données pour prévenir les troubles dans les assemblées.

Il faut aussi déplorer que l'honorable trésorier et l'honorable premier ministre aient refusé de faire des représentations auprès du gouvernement du Canada, ce qui aurait contrebalancé l'attitude prise par notre province. Tout le monde pense que ceci aurait été une bonne chose à faire pour faire disparaître les causes du trouble, et chacune des races aurait été bien vue par la suite. Leur présence en ce milieu eût sans doute enlevé bien des causes de griefs de la province contre le gouvernement et aurait été salutaire pour la province de Québec.

L'honorable M. Taschereau (Montmorency): Il y a eu des troubles en Ontario et ailleurs pendant la campagne électorale. Il prend Vancouver comme exemple. Il dit qu'il n'est pas correct de blâmer les leaders canadiens-français pour les problèmes. Il lui rappelle qu'à Kitchener, Ontario, on ne savait pas qu'il y eût des Canadiens français, pas plus qu'à Vancouver.

M. Gault (Montréal-Saint-Georges) rétorque qu'il ne visait personne en particulier. Il explique qu'il n'a pas blâmé les leaders canadiens-français, mais il déplore que ceux-ci n'aient pas pris de mesures pour contrebalancer l'attitude prise dans cette province.

Une voix: Appelé "Sherbrooke".

M. Gault (Montréal-Saint-Georges) dit que c'est là que les ministres unionistes ont été assaillis.

Il conclut qu'il vaut mieux ne rien changer, mais, en terminant, il déplore les extravagances de langage des extrémistes de Québec comme ceux de l'Ontario.

M. Grégoire (Frontenac): M. l'Orateur, je veux faire quelques remarques en réponse à l'honorable député de Montréal-Saint-Georges (M. Gault). Il parlera franc, dit-il.

Le député de Montréal-Saint-Georges nous a dit qu'il y avait eu des extravagances de langage. Pas chez nous, car nous sommes patients. C'est notre clergé qui nous conseille d'être patients et nous lui obéissons depuis deux siècles et demi.

Il nous compare à un aréopage d'Athéniens et dit que Léonidas aux Thermopyles n'était pas plus brave que les Canadiens français.

On nous persécute! Vit-on jamais, depuis que le monde est monde, sous Sardanapale ou Néron, une persécution pareille? Heureusement, M. l'Orateur, je n'hésite pas à dire, au risque de froisser mon honorable chef, que si les Anglais en ont un, nous en avons un, nous aussi, un bulldog. Il est maître dans sa propre maison, et c'est un maître capable, et il tient ce qu'il a. Nous pouvons bien lui donner le titre de notre bulldog anglais. Si les Anglais sont fiers de leur bulldog, nous pouvons être fiers du nôtre.

Il (M. Gault) trouve que la motion Francoeur est ironique. C'est de l'ironie gauloise, le député de Lotbinière (M. Francoeur) doit descendre des coqs gaulois. Nous traversons notre Mer Rouge et, Dieux merci, le clergé de la province est Moïse menant les Canadiens français à travers la Mer Rouge, et le premier ministre serait le Josué les amenant à la Terre Promise2.

Il (M. Gault) croit que la motion Francoeur est inopportune, que de telles agitations ne font pas de bien et font beaucoup de mal.

Les gens du Québec devraient garder leur mémoire vivace, et les Anglais du Canada devraient en faire autant.

Les Canadiens anglais furent les premiers à toucher au lien qui unit les provinces dans la Confédération.

Les Canadiens français doivent avoir beaucoup de largeur de vues et se rappeler que la campagne d'injures dirigée contre eux n'est que le résultat de l'excitation causée par la campagne électorale. Ces choses ne devraient pas se répéter dans l'avenir.

L'honorable député de Montréal-Saint-Georges a dit que les Canadiens français du Québec ne devraient pas garder de sentiment d'animosité envers leurs voisins d'Ontario. Il a dit que les deux côtés étaient allés aux extrêmes lors de la dernière élection.

En deuxième lieu, il a demandé si l'annexion nous aiderait, et si, avec l'annexion, notre langue et notre religion nous aideraient, et si, avec l'annexion, notre langue et notre religion seraient mieux protégées.

Je réponds: Sommes-nous à blâmer pour les mauvais commentaires et les conflits qui ont marqué la dernière bataille électorale? Avons-nous trahi d'un iota la confiance placée en nous par le Royaume-Uni? Y a-t-il eu un seul cri de notre part appelant à l'annexion avec la république voisine, comme ceux qui vinrent du coeur même de Toronto: "L'annexion avant la conscription!". Avons-nous prôné la dissolution de la Confédération?

Nous sommes ici avec une rare originalité, un peu comme l'ancien aréopage des Arméniens, pour nous demander: Qu'allons-nous faire? Nous sommes à un tournant de notre histoire et il faut décider.

L'honorable député de Montréal-Saint-Georges appelle à l'union des provinces-soeurs et nous tend la branche d'olivier. Peut-il s'attendre à ce que notre peuple lui offre la main en signe d'amitié alors que le stigmate de la lâcheté vient de marquer notre visage cramoisi.

Oublions le passé, dit-il. Cependant, ses amis s'en tiennent à leurs gains malhonnêtes faits sur le dos de notre confiance et notre fidélité, et ce, en bafouant nos droits et l'inviolabilité de nos traités.

Nous sommes prêts à donner la main à Ontario. Mais si notre main tremble durant cette poignée de mains, c'est afin qu'on n'ignore pas qu'elle serait prête à retomber sur la garde de l'épée.

L'histoire n'offre aucun témoignage, même dans les temps anciens, d'un tel manque de respect envers les alliances et les ententes sacrées comme il a été ouvertement professé et pratiqué au 20e siècle dans notre hémisphère. Aucun, mis à part les Prussiens, les ennemis actuels de la civilisation chrétienne, ne pourrait essayer de réconcilier de telles attaques envers la justice éternelle avec les droits des peuples.

Je dis à l'honorable député de Montréal-Saint-Georges; vous êtes un grand peuple, mais si vous affirmez que vous êtes un descendant de Guillaume d'Orange, nous, nous sommes les fils de Louis IX, des Charlemagne, des Roland, des Montcalm, des Frontenac. Sur ce rocher de la destinée du Québec, nous étions présents lorsque Montgomery fut lancé par-dessus les remparts, cheval et tout. Nous étions aux Thermopyles de Châteauguay. Où étiez-vous alors?

Lord Dufferin a dit que notre fusil serait le dernier pour défendre les possessions britanniques dans cette partie du monde, et la voix de Lord Grey a fait écho à ce sentiment en 1911.

Nous ne demandons pas la dissolution de la Confédération. Dans votre propre main se trouve le couteau qui a effiloché le ruban qui tenait notre union. Et que la faute soit déposée à votre porte. Il croit que les Anglais nous ont attaqués dans un moment de colère, mais il est bon que nous gardions le souvenir de cette injure comme il est bon qu'ils gardent eux-mêmes le souvenir de ce moment de colère. La Confédération tombera automatiquement, mais ceux qui seront les premiers auteurs de cette catastrophe seront ceux qui les premiers ont porté atteinte au lien confédératif.

Si une telle dissolution devait se produire, notre province étant la plus grande, la plus riche de toutes, la question se pose: Où serait l'Ontario? Nous vous avons sauvés de la banqueroute en 1840 lorsque vous avez imploré l'union avec le Bas-Canada. Quelle gratitude nous avez-vous montrée depuis? Et si vous étiez isolés dans ce dominion, l'Ouest étant unifié aux États-Unis, les Provinces maritimes forcées par leur intérêt commun de s'associer avec nous, qu'adviendrait-il alors de votre splendide isolation?

Le député de Montréal-Saint-Georges a affirmé, ou insinué, que les Canadiens français n'ont pas fait leur part pour établir des relations amicales avec le peuple anglais. Il affirme que les Canadiens français ont fait le plus qu'ils pouvaient. Ils ont été patients pendant deux siècles et demi, particulièrement les derniers 50 ans. Nous voulons la paix, mais l'Ontario la veut-elle? Le temps est venu de parler d'homme à homme. Nous, de la province de Québec, avons fait notre part. Nous ne méritons pas le stigmate de la lâcheté.

Dans une page de Dickens, on voit qu'il y avait dans un certain club anglais un seul cadre, portant cette inscription: Dieu, garde ma mémoire inflexible.

Nous avons suivi jusqu'ici le conseil de l'évangile, pour obéir à notre clergé; après avoir été frappés sur la joue droite, nous offrions la joue gauche. Et la main de l'adversaire s'est promenée de notre joue gauche à notre joue droite... Mais cela est fini. Dieu, garde ma mémoire inflexible!

Mais il est contre la séparation, déclare-t-il. Il veut que nous acceptions tout, nous souvenant qu'il faut être généreux. Et il termine en disant: À tout péché miséricorde.

M. Gault (Montréal-Saint-Georges): Il ne veut pas que ses amis canadiens-français croient que ceux qui vivent avec eux ne connaissent pas et n'apprécient pas leurs qualités. Il a déploré autant les extravagances de langage dans Ontario que dans Québec.

L'honorable M. Gouin (Portneuf) propose, appuyé par le représentant de Montmorency (l'honorable M. Taschereau), que le débat soit ajourné.

Adopté.

Fonds de secours des forestiers catholiques

M. Létourneau (Montréal-Hochelaga) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme de nouveau en comité général pour étudier le bill 109 constituant en corporation le Fonds de secours des forestiers catholiques de la province de Québec.

Adopté. Le comité étudie le bill et fait rapport qu'il n'en a pas terminé l'examen.

Oeuvre et fabrique de la paroisse de Saint-François-d'Assise de la Longue-Pointe

M. Lévesque (Laval) propose, selon l'ordre du jour, que le bill 119 amendant la loi 6 George V, chapitre 88, et donnant certains pouvoirs à l'Oeuvre et Fabrique de la paroisse de Saint-François-d'Assise de la Longue-Pointe soit maintenant lu une deuxième fois.

Adopté. Le bill est renvoyé au comité permanent des bills publics en général.

La séance est levée.

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NOTES

 

1. À ce moment, M Gault se tourne les yeux vers les galeries où effectivement plusieurs jeunes gens sont présents.

2. On entendit alors une jeune fille murmurer dans les galeries: "S'il allait demander à ce Josué de faire arrêter Le Soleil."