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Version finale

37e législature, 2e session
(14 mars 2006 au 21 février 2007)

Le mercredi 24 mai 2006 - Vol. 39 N° 32

Consultation générale sur le document concernant les services de santé intitulé Garantir l'accès : un défi d'équité, d'efficience et de qualité


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Table des matières

Journal des débats

(Neuf heures trente-six minutes)

Le Président (M. Copeman): À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre! Chers collègues! Alors, je déclare ouverte cette séance de la Commission des affaires sociales. Nous sommes réunis toujours afin de poursuivre notre consultation générale et les auditions publiques sur le document concernant les services de santé intitulé Garantir l'accès: un défi d'équité, d'efficience et de qualité.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire: Oui, M. le Président. Alors, Mme L'Écuyer (Pontiac) va être remplacée par M. Bernard (Rouyn-Noranda?Témiscamingue); et Mme Charest (Rimouski), par M. Charbonneau (Borduas).

Le Président (M. Copeman): Merci. Je vous rappelle, comme je fais toujours, que l'utilisation des téléphones cellulaires est interdite pendant les séances de la commission. Je prierais tous ceux qui en font l'usage de bien vouloir agir en conséquence.

Nous allons débuter dans quelques instants avec les représentants de la Fédération québécoise du sport étudiant; autour de 10 h 30, ce sera l'audition pour l'Association pour la santé publique du Québec; terminer la matinée avec M. Damien Contandriopoulos puis Régis Blais et Mme Marie-Pascale Pomey. Et il est prévu que nous siégeons cet après-midi; je ferai la lecture de l'ordre du jour dès que nous reprenons nos travaux, après la période des affaires courantes.

Auditions (suite)

Alors, sans plus tarder, je souhaite la bienvenue aux représentants de la Fédération québécoise du sport étudiant. M. le président Paquette, bonjour.

M. Paquette (Yves): Bonjour.

Le Président (M. Copeman): Comme je le fais pour chaque groupe, je vous avise que vous avez 20 minutes pour votre présentation; je vais vous aviser quand il reste trois minutes; et par la suite il y aura un échange d'une durée maximale de 20 minutes avec les parlementaires de chaque côté de la table.

Je vous prie de présenter vos collaborateurs et par la suite d'enchaîner avec votre présentation.

Fédération québécoise du
sport étudiant (FQSE)

M. Paquette (Yves): Merci beaucoup. D'abord, permettez-moi de vous remercier de nous accueillir, d'avoir bien voulu nous permettre de vous présenter le mémoire que nous vous avons soumis. J'ai, à ma gauche, M. Michel Louis Beauchamp, qui est directeur général de la Fédération québécoise du sport étudiant, et, à ma droite, M. Daniel Veilleux, qui est le directeur général de l'Association sportive du sport étudiant pour la région de Québec-Chaudière et Appalaches.

Comme notre organisme l'indique, nous avons le bonheur de travailler dans le milieu de l'éducation, c'est-à-dire que, pour nous, contrairement aux problèmes auxquels vous avez à faire face, notre population ne vieillit pas, elle se renouvelle constamment, mais nous avons toujours affaire à des jeunes qui partent des âges de cinq à 25-30 ans, dépendant des niveaux universitaires auxquels ils vont souscrire.

Et cette action-là, nous avons déterminé qu'il était important, pour nous, d'agir directement sur l'acquisition d'habitudes de vie saines. Nous sommes particulièrement tournés vers l'activité physique et le sport, comme le nom de notre fédération l'indique. D'ailleurs, vous me permettrez de vous citer Jaques Maritain, qui disait que «les sphères extraéducationnelles sont plus importantes à l'éducation de l'homme que l'éducation elle-même». Dans ce qui nous touche ici, actuellement, c'est exactement le coeur du problème auquel vous avez à faire face.

n (9 h 40) n

C'est une chose que d'apprendre de façon livresque ce qu'est la vie, ce que sont les bonnes habitudes de vie, mais ça en est tout une autre de voir à ce qu'elles soient acquises et intégrées dans la vie des personnes. Et ça, ça demande non seulement une préoccupation constante de la part des éducateurs, mais surtout une coopération et une collaboration continues des familles, de la société en général et du milieu de l'éducation de telle sorte que ces valeurs-là soient intégrées, non seulement acquises, mais intégrées dans la vie des jeunes que nous avons à former. Et ça, pour nous, c'est important.

On sait que, pour le gouvernement, la santé et l'éducation sont deux piliers importants qui représentent à peu près, grosso modo, la moitié du budget du gouvernement. C'est donc important pour nous, en tout cas en ce qui nous concerne, de voir à ce que, d'une part, l'éducation remplisse son rôle et, d'autre part, si on veut en arriver à désengorger le système de santé, que l'on en arrive à faire de la prévention de telle sorte que, notre population étant en meilleure santé, plus active et plus instruite sur les conditions de vie qui vont leur permettre de maintenir cet état de santé là, on en arrivera à long terme à désengorger le système.

Vous savez, toutes les études le disent, il y a des préoccupations majeures concernant l'évolution de la santé chez nos jeunes et surtout des habitudes de vie. Au Canada, 60 % des jeunes de 12 à 21 ans ne répondent pas aux normes de bonne condition physique. Chez les élèves du secondaire, 1991 à 1996, on indique qu'elle s'est aussi détériorée, ce qui n'est pour nous certainement pas un signe de réussite mais ce qui est certainement un incitatif à faire changer ces tendances-là. Et d'ailleurs, dans les programmes que nous mettons de l'avant, c'est exactement ce que nous voulons faire. Et là-dessus nous avons déjà sollicité et obtenu la contribution active du gouvernement, et nous en sommes heureux, et nous allons continuer dans cette voie-là.

Les principales causes de la détérioration, si vous voulez, de la situation inquiétante que l'on vit chez les jeunes, c'est la sédentarité, mauvaise alimentation, tabagisme. Et la sédentarité s'explique de bien des façons. On voit que nos jeunes regardent de plus en plus la télé, sont adeptes des jeux électroniques. Et malheureusement, dans certaines couches de notre population de jeunes, il y a plus de jeunes qui fument aujourd'hui que... Maintenant, chez les 20-25 ans, apparemment, c'est le niveau où il y a le plus de fumeurs, ce qui est très inquiétant. Si on pense à ce que vous êtes en train de faire pour désengorger le système, ces jeunes-là, dans 15 ans, pourraient être ceux qui, à cause du tabac, en arriveraient à rendre... ou à mettre en péril les objectifs que vous poursuivez, compte tenu du fait que le tabac est une source importante de maladies chroniques.

Chez les jeunes aussi, il y avait... disons qu'il y a eu une baisse d'environ 15 % chez les garçons et de près de 20 % chez les filles, des jeunes qui font moins de deux heures d'activité physique par jour à l'extérieur des heures de classe, ce qui veut dire qu'éventuellement ça confirme un peu les préoccupations que nous avons concernant la sédentarité. Pour ce qui est du tabagisme évidemment, je pense qu'on n'a pas à faire d'autres constats que ceux que vous avez déjà faits et que les études ont prouvés, à l'effet que la cigarette est un élément important dans la dégénérescence sur le plan de la vie générale de notre société, sur le plan de la santé.

Bien que notre niveau de vie, notre mode de vie fasse l'envie des sociétés moins développées, on a vu que de nouvelles réalités préoccupantes en matière de santé publique se pointent. J'ai parlé de l'obésité, de la mauvaise alimentation. Et d'ailleurs c'est un phénomène qui nous préoccupe d'autant plus que... et on en parle de plus en plus dans les écoles, on parle de malbouffe et on parle de correctifs directement à l'école. C'est ça qui nous préoccupe davantage, c'est que souvent c'est dans les écoles que les jeunes vont aussi trouver de la malbouffe, ce qui est un petit peu inquiétant, et c'est la tendance que l'on veut modifier.

Et pour tout ça le ministre de la Santé avait fait référence aux recommandations du groupe de travail présidé par M. Perreault. En effet, le ministre rappelle que la prévention contribue non seulement à améliorer la qualité de vie des citoyens mais permet également, à terme, de mieux contrôler les coûts du système de santé.

Par ailleurs, plusieurs des recommandations du rapport de l'équipe de travail présidée par M. Perreault sont absolument explicites quant à l'importance d'une approche préventive pour améliorer la santé des citoyens, compte tenu notamment du fait qu'au Québec 70 % ? 70 % ? des décès sont causés par des maladies chroniques dont il serait possible de réduire l'incidence au sein de la population en agissant en amont.

Pour la Fédération québécoise du sport étudiant, tout le phénomène de la prévention est ce qui nous semble être le mode le plus porteur pour renverser ces tendances-là, et nous avons mis en place un programme qui s'appelle ISO-actif. Ce programme-là tient compte des acquisitions non seulement de bonnes habitudes en termes d'activité physique, mais de saine alimentation et de lutte au tabagisme, qui sont les causes les plus importantes de la perte ou de la diminution du niveau de santé de nos citoyens.

Et, en ce qui nous concerne, la force de notre réseau réside effectivement dans son potentiel humain. On parle ici des athlètes étudiants, des élèves et de tous ceux qui les encadrent à quelque niveau que ce soit, de la qualité des programmes qui leur sont offerts.

Pour ne citer que certains exemples, je pourrais vous dire qu'il y a... que l'on touche, par le programme Défi Moi j'croque 5 fruits et légumes, 130 000 étudiants; on en touche 580 000 par le Mois de l'éducation physique et du sport à l'école; on en touche 150 000 directement par nos programmes d'activité physique. Et finalement le programme ISO-actif, qui a d'abord conçu, initié et mis en place ici même, dans la région de Québec, par l'association régionale locale, et qui maintenant, par le biais de la fédération, s'est étendu à l'ensemble de la province, depuis 2000, nous avons maintenant 750 écoles qui sont accréditées ISO-actives sur les quelque 2 800 écoles du réseau de l'éducation.

Alors, pour nous, il s'agit d'un programme de valorisation de l'engagement des écoles dans un programme de promotion d'une vie saine et active en fonction de critères établis. Ce programme cimente l'ensemble des programmes offerts aux institutions en liant l'obtention de points par la participation aux outils offerts tels Gym en forme, Chaque jour, moi j'croque 5 fruits et légumes, etc. ISO-actif est donc un programme dont les activités favorisent les interventions sur trois habitudes de vie: l'activité physique, la saine alimentation et la lutte au tabagisme. Et, comme je l'indiquais plus tôt, elles reposent sur les trois niveaux d'intervention: individuel, institutionnel et social.

L'approche École en santé, sur laquelle s'appuie le programme ISO-actif, vise le développement optimal des jeunes en poursuivant les objectifs liés à la fois à l'éducation et à la santé. C'est un peu ce à quoi je faisais référence tantôt, quand je citais Maritain: c'est plus important de voir à ce que les jeunes acquièrent de saines habitudes de vie que de contrôler bien souvent à savoir si, oui ou non, ils savent si c'est bon de manger des patates frites le dimanche ou croquer une pomme. Ce qui est important, c'est qu'ils croquent la pomme, puis c'est ce qu'on veut faire dans notre programme: les habituer à découvrir ce qui est important dans les habitudes de vie.

École en santé suggère que toutes les actions de promotion et de prévention soient planifiées à partir de l'école et, par conséquent, inscrites au projet éducatif et le plan de réussite des écoles. Tous les acteurs sont ainsi invités à conjuguer leurs actions de promotion et de prévention à celles de l'école en agissant de façon globale et concertée. Il est évident, et d'ailleurs c'est démontré, que l'on n'arrivera à rien s'il n'y a pas une action concertée pour l'acquisition de ces habitudes de vie là.

n (9 h 50) n

Et là-dessus je tiens à préciser que nous nous positionnons dans une position d'offensive. On n'est pas sur la défensive. Ce n'est pas qu'on veuille absolument combattre la... On veut combattre la sédentarité, mais on ne se place pas dans une position du joueur de défense, on se place plutôt dans la position du joueur d'attaque qui, lui, dit: Il faut être actif, prenons les mesures pour l'être. C'est clair que, si on devient actif, on combat la sédentarité, mais ce qui est important, c'est que l'acquisition des habitudes de vie en regard de ça soit faite par le plus grand nombre possible de jeunes, et qu'éventuellement les masses critiques entraînent l'ensemble de la population dans cette démarche-là, et que les parents comme la société, les municipalités, etc., emboîtent le pas là-dessus. C'est donc une intervention directe, et on doit créer un environnement favorable à ces acquisitions-là, sinon on risque de manquer l'objectif qu'on s'est doté.

De par sa nature, le programme ISO-actif se veut donc non seulement un excellent véhicule de promotion de saines habitudes de vie, un instrument d'apprentissage pour le jeune, mais également un outil intéressant et mobilisateur à exploiter par le milieu éducatif. En plus d'être conçu dans l'esprit de l'École en santé et de la réforme de l'éducation, le programme ISO-actif encourage les écoles qui cheminent vers des actions de promotion de saines habitudes de vie plus globales et valorise celles qui déploient les actions les plus intégratives qui soient. C'est un peu ce à quoi je faisais référence plus tôt.

Alors, là-dessus, notre prétention est que, si l'on veut garantir l'accès en désengorgeant le système de santé, la prévention, comme le dit bien aussi le rapport Perreault... c'est la prévention. On connaît la situation ? on parle d'épidémie, moi je parlerais peut-être de pandémie ? des maladies chroniques, que ce soient cardiovasculaires, cancers, maladies respiratoires, dont plusieurs peuvent être prévenues, par exemple, si on a une action active, directe et efficace pour combattre l'obésité par l'activité physique, par l'acquisition de saines habitudes de vie. Et certaines maladies que l'on connaît peuvent venir directement de l'obésité. Je pense que je n'ai pas à faire de dessin, M. le ministre Couillard pourrait vous en faire beaucoup plus que moi là-dessus, il est beaucoup plus connaissant en ce domaine. Mais que l'on pense au diabète et à certains cancers, par exemple, qui peuvent provenir en partie de l'obésité; bien, si on a une action directe là-dessus, c'est évident qu'on va pouvoir désengorger en partie, à long terme, le système par l'amélioration de la qualité de la santé de nos jeunes aujourd'hui pour plus tard.

Comme nous l'avons donc mentionné, il est possible de prévenir bon nombre de ces maladies par la prévention simplement en changeant les habitudes de vie. D'ailleurs, les études démontrent qu'une mauvaise alimentation, un manque d'activité physique ainsi que le tabagisme et l'abus d'alcool sont en cause dans une proportion pouvant aller jusqu'à 80 % des décès causés par les maladies chroniques et d'environ 40 % de l'ensemble des décès. Alors, pour nous, non seulement il faut désengorger le système, mais, par l'acquisition des habitudes de vie, comme nous le proposons, je pense qu'on pourrait grandement améliorer la qualité de vie de nos citoyens. Et je pense que ça peut partir directement à l'école, par des programmes tels que celui que l'on mentionne ici, avec la contribution de l'ensemble des intervenants de notre société.

Plusieurs recommandations découlant du rapport Perreault visent clairement à accentuer les efforts en matière de prévention. Pour n'en nommer que quelques-uns, mentionnons simplement celles-ci: augmenter la pratique de l'activité physique chez les jeunes et leurs familles dans divers milieux de vie; mettre en place et soutenir une série d'actions afin d'amener les milieux à s'engager dans la prévention et la promotion de saines habitudes de vie chez les jeunes; et faire de la prévention ainsi que de la promotion de l'activité physique et d'une saine alimentation une réelle priorité gouvernementale.

Là-dessus, j'insiste. Le ministre de l'Éducation dernièrement a promulgué le fait que l'on doive augmenter le nombre... d'éducation physique à l'école, ce qui est une mesure très importante et à laquelle nous souscrivons hautement. Mais, si vous avez remarqué, certaines commissions scolaires, je dirais, ont eu l'audace, même, de vouloir transférer ces changements qu'on visait à l'horaire de nos écoliers sans augmenter le niveau de l'activité physique. Alors, il nous semble qu'il serait important que, dans les mesures que vous proposerez, on en arrive à un engagement politique qui soit inéquivoque, que tous ceux qui sont du gouvernement et du milieu de l'éducation comprennent bien qu'on n'a pas le choix que d'agir en prévention.

Malheureusement, on a souvent un service, pour dire... comme disent les Anglais, un «lip service», un service qui vient du bout des lèvres: on prêche une chose et, dès qu'on a un certain montant à mettre ou à investir et à engager dans une orientation, on regarde le total du budget puis on se dit: Bien, on va faire ça à moitié, sans comprendre qu'on a aussi la moitié des résultats.

Le Président (M. Copeman): M. Paquette, il vous reste à peu près deux minutes quelque chose.

M. Paquette (Yves): Oui? Voyez-vous, il me reste un paragraphe, là...

Le Président (M. Copeman): Excellent. Très bien. On est sur la même longueur d'onde dans ce cas-là.

M. Paquette (Yves): Oui, parfait. Ce que je voulais dire ici, c'est que l'engagement politique doit se transmettre du plus haut niveau vers l'ensemble des institutions scolaires, des institutions sociales jusque dans les familles, de telle sorte que nos jeunes puissent acquérir ces habitudes de vie là et qu'éventuellement le système de santé s'en trouve désengorgé par la qualité de santé qu'on aura réussi à faire acquérir chez nos jeunes aujourd'hui, par l'acquisition de bonnes habitudes de vie.

La Fédération québécoise du sport étudiant ne peut que se réjouir de telles recommandations et demande donc que soient mises en application le plus rapidement possible les mesures proposées par le rapport Perreault. Le réseau du sport étudiant estime devoir faire davantage et jouer un rôle encore plus actif pour améliorer la santé des jeunes du Québec et inculquer à ces derniers des habitudes dont ils pourront bénéficier toute leur vie. C'est ce qui l'a amené à proposer le programme ISO-actif. Ce projet se veut le fondement ouvert sur le monde... Je m'excuse. Ce projet se veut fondamentalement ouvert sur le monde, mais il n'atteindra ses objectifs qu'avec un partenariat serré avec les intervenants concernés et concertés du milieu. Merci.

Le Président (M. Copeman): Merci, M. Paquette. M. le ministre de la Santé et des Services sociaux.

M. Couillard: Merci, MM. Paquette, Beauchamp et Veilleux pour votre visite et votre communication. Effectivement, le rapport Perreault est le site de nombreuses recommandations très utiles qui touchent l'alimentation, l'activité physique, les habitudes de vie en général. D'ailleurs, dans quelques semaines, il y a publication d'un plan d'action gouvernemental sur une réponse intégrée au rapport Perreault et les diverses recommandations qu'il contient. Vous avez déjà eu des aperçus avec la politique d'alimentation dans le milieu scolaire intégrée à la stratégie jeunesse, alors on va rassembler ça dans une présentation qui répond bien aux recommandations du groupe Perreault.

J'aimerais que vous nous parliez du programme ISO-actif un peu plus, celui auquel vous avez fait allusion. Quel est le type d'activités qui peuvent être lancées dans une école qui lui permettent d'être accréditée ou d'avoir une reconnaissance comme faisant partie de ce programme ISO-actif? Quels sont les critères que vous utilisez pour reconnaître une école qui vous présente un projet?

Des voix: ...

M. Paquette (Yves): On va essayer de se concerter parce que tout le monde veut répondre. Je vais laisser la parole à M. Veilleux.

M. Couillard: Ah! C'est bon signe.

M. Paquette (Yves): Je vais laisser la parole à M. Veilleux.

M. Veilleux (Daniel): En tant qu'association créatrice de l'engin, d'ISO-actif, ça nous a fait plaisir particulièrement, quand on a présenté ça à l'ensemble des associations régionales, à notre fédération, de voir que les écoles ailleurs, aussi, étaient intéressées à avoir quelque chose en ce sens.

Et ISO-actif, entre autres, sans faire la liste complète des critères, touche les minutes d'éducation physique par jour; donc, si c'est des cycles de neuf jours, on calcule combien de minutes d'éducation physique se donnent sur neuf jours, divisé par le nombre de jours pour la moyenne de minutes par jour. Ça touche également le nombre d'équipes ou le nombre de participants à des activités sportives parascolaires, donc interscolaires.

En passant, ISO-actif, c'est autant au secondaire qu'au primaire. Alors, on a des grilles d'analyse, au primaire, différentes du secondaire parce que les réalités ne sont pas les mêmes. Par exemple, en alimentation, le volet alimentation, on donne des points aux écoles secondaires qui développent des politiques en matière d'alimentation spécifiquement pour cafétérias, etc.

n (10 heures) n

Depuis le passage du projet pilote qui a eu lieu pendant trois ans, dans la région de Québec?Chaudière-Appalaches, on a aussi modulé un peu nos critères pour se rapprocher encore plus d'École en santé. Alors, ouverture sur la communauté pour permettre, entre autres, de faire des activités qui vont toucher aussi la communauté, et ouverture également sur les activités de masse. Comme demain, entre autres, plusieurs écoles participeront, dans la région de Québec?Chaudière-Appalaches, au Défi de la santé, qui est un 4 km de course ou de marche qui va se passer au PEPS de l'Université Laval, et, à différents endroits, il va y avoir tout près de 8 000 jeunes qui vont bouger à peu près en même temps. Donc ça, c'est l'école qui participe à une activité de masse qui vient donner des points également.

Donc, les critères sont évalués, c'est une autoévaluation de la part des écoles, et, selon la performance en pointage, on peut avoir des mentions de participation «bronze», «argent», «or», jusqu'à «excellence» pour les écoles qui font l'ensemble des actions.

M. Couillard: Comment voyez-vous la promotion la plus efficace des saines habitudes alimentaires en milieu scolaire? Parce qu'on sait que, chez les jeunes, il faut faire attention aux stratégies qu'on utilise: plus on est coercitif, plus on véhicule un message d'interdiction ? «Tu n'as pas le droit de» ? moins ça marche. Il faut savoir également que, l'autre bord de la rue de l'école, il peut y avoir un magasin de fast-food. Alors, comment est-ce que vous voyez... comment est-ce que vous pensez que ça va marcher dans le milieu scolaire pour que ça fonctionne, là?

M. Beauchamp (Michel Louis): Vraiment, dans le sens positif et constructif. Entre autres, l'exemple qu'on cite souvent, c'est: on organise des ligues, des ligues sportives, des ligues de basket, des ligues de volley-ball, dont à l'intérieur de ça il y a un championnat. Bien, un championnat, il peut y avoir 500, 600, 800 jeunes qui sont regroupés, pendant une fin de semaine, en circuit fermé, si on veut. Mais pourquoi pas, à cette occasion-là ? puis c'est ce qu'on fait ? avoir des barils d'oranges et de pommes? Donc, une promotion dans un sens positif, non pas coercitif. Donc, c'est vraiment dans un volet positif où les jeunes sentent qu'ils sont gagnants, que leurs collègues le font. Donc, d'intégrer, aussi, une approche très intégrative.

Puis il y a un volet de ça qui est important, puis on le souligne souvent, c'est: on ne peut pas juste, nous, de notre côté, comme intervenants, faire cette promotion-là, mais il faut qu'en même temps il y ait une action concertée, c'est-à-dire que l'école va dire la même chose, les parents vont dire la même chose puis qu'après ça le jeune, quand il va se retrouver à la maison, va regarder la télévision puis on va lui redire ça, qu'il s'est passé ci... Donc, vraiment que le jeune soit entouré de cette notion-là qu'il est gagnant à faire ça.

M. Paquette (Yves): Je m'excuse. En complément de... Ce que je soulignais tantôt, quand je parlais de notre façon d'approcher cette question-là, c'est une approche affirmative plutôt que défensive. Si on a des choix à proposer qui sont plus intéressants, qui sont plus porteurs que les choix qui peuvent être proposés partout autour de nous... Les jeunes, quand ils sortent de l'école, ils vont les voir, toutes les annonces de malbouffe qu'on peut trouver, sauf que, si les choix qu'on propose à l'école et dans les familles sont aussi intéressants, plus goûteux, meilleurs à manger et meilleurs pour la santé, il n'y a pas de mal à se faire du bien, les jeunes vont choisir ce qu'il y a de mieux. Et je pense que c'est l'approche qu'on doit faire avec les jeunes, c'est de leur proposer des choix qui sont intéressants.

M. Veilleux (Daniel): Est-ce que je peux me permettre aussi, tant qu'à...

Le Président (M. Copeman): Allons-y à trois, oui, tant qu'à y être.

M. Veilleux (Daniel): ...tant qu'à y être. En même temps, de ce côté-là, de la façon dont, nous, on peut agir pour nos membres, nos écoles, les jeunes, etc., la façon intégrée dont M. Beauchamp a parlé, c'est excellent, la façon positive... Et là-dessus je vous inviterais à aller visiter peluredebanane.com ? au singulier. Peluredebanane.com, c'est une activité qu'on a mise sur pied cette année pour les jeunes du secondaire, justement pour tester de quelle façon on pouvait en faire la promotion positive.

Mais, à cela, on peut aussi difficilement éviter de regarder s'il n'y a pas des réglementations qui devraient avoir lieu et qui ne sont pas de notre ressort à nous, en tant qu'intervenants dans le milieu éducationnel.

Mais, quant au genre d'aliments qui sont servis dans peu importe les restaurants ou à l'extérieur, il y a peut-être, de la part des décideurs ou des gens qui ont à se positionner face à l'industrie de l'alimentation, à savoir de quelle façon on peut réglementer. Je sais qu'il y a déjà eu des idées de lancées, comme une taxe sur la malbouffe ou des trucs comme ça, mais de quelle façon on peut aussi tenter de ramener, de rallier l'industrie agroalimentaire vers des choix plus sains puis que chacun fasse son travail.

Parce que, même si, nous, on le fait, avec notre bâton de pèlerin, dans toutes les écoles, si le choix, si la disponibilité est encore là... Pour avoir travaillé en lutte contre le tabac depuis déjà plus de 10 ans, si on ne limite pas l'accès aux produits, c'est certain que toute la meilleure promotion du monde ne fait pas le travail à elle seule.

M. Couillard: Alors, vous serez donc en support à l'application de la Loi sur le tabac. Pour ce qui est du milieu scolaire, ça commence en septembre prochain.

M. Veilleux (Daniel): Si je peux me permettre. On a rarement l'occasion de s'adresser aux politiciens, et je voudrais sincèrement saluer et remercier et le ministre Couillard pour le dépôt de la loi, mais aussi l'ensemble des élus pour avoir voté à l'unanimité cette loi-là. Et je tiens à... Je vous avoue sincèrement que je célèbre à chaque jour le décompte, qui est à une semaine maintenant. Alors, je tiens à le mentionner, ça, c'est un geste de prévention très concret, précis. La population était prête à ça. Alors, je vous en remercie en ce sens.

Le Président (M. Copeman): Vous n'êtes pas le seul, M. Veilleux, à...

M. Veilleux (Daniel): J'imagine.

Le Président (M. Copeman): ...faire le décompte. Je peux vous l'assurer.

M. Veilleux (Daniel): On va se voir à Québec. Il y a un événement qui a lieu. On fera circuler l'information.

M. Charbonneau: Ça va être intéressant de voir jusqu'où ça va être appliqué dans les murs de l'Assemblée.

Le Président (M. Copeman): Ah!

M. Couillard: Oui. Mais je suis certain que le député de Borduas dans son caucus va rappeler à ses collègues l'importance de ne pas dévier de la... de la ligne, et vice versa.

Le Président (M. Copeman): Et nous allons nous appuyer sur le président de l'Assemblée pour s'assurer que la loi soit respectée par tous et chacun ici, à l'Assemblée nationale.

M. Couillard: Nous connaissons...

Le Président (M. Copeman): Alors, cela étant, comme disait une de nos collègues...

M. Couillard: Nous connaissons les lieux suspects.

Le Président (M. Copeman): M. le ministre.

M. Couillard: Oui. Je voudrais juste terminer sur encore une fois le programme ISO-actif. Et bien sûr ça fait appel à de nombreux partenariats entre l'école et les organisations liées. Est-ce qu'il y a un lien également entre le programme national de santé publique et ce que vous faites à l'intérieur d'ISO-actif? Parce qu'il existe un programme en santé publique, qui est le programme national de santé publique, dans lequel beaucoup des éléments sur lesquels vous travaillez sont inclus, avec des cibles et des éléments très précis. Est-ce que vous avez un lien avec les organisations de santé publique de vos régions respectives, par exemple, pour faire en sorte que tout soit bien harnaché et coordonné, qu'on n'ait pas deux organisations qui tirent dans deux directions différentes, par exemple?

M. Beauchamp (Michel Louis): Définitivement. À cet égard-là, on a même créé, il y a déjà un an et demi, une table de concertation provinciale sur laquelle siègent les gens du ministère de la Santé, les gens du ministère de l'Éducation, l'Institut national de santé publique, Kino-Québec, la Fédération du sport étudiant et Québec en forme.

Et on a organisé, le 8 juin dernier, l'an passé, ça fait déjà un an... où tous ces intervenants-là au niveau provincial, que je viens de vous nommer, avec leurs intervenants au plan régional, se sont tous réunis ici même, à Québec, à l'hôtel Hilton, à côté, où on s'est concertés pour voir comment on pouvait travailler ensemble pour implanter ça, puis en sachant très bien que l'approche École en santé était un peu le leader, là, par rapport à implanter ça.

Donc, oui, très, très étroitement, puis il y a des actions, là, avec les intervenants, on se parle de façon régulière. Ce n'est pas toujours évident, par contre, hein?

M. Paquette (Yves): Votre question est d'autant plus importante qu'il faut bien comprendre que, si ce genre de concertation là n'existait pas, on n'arriverait nulle part, dans les écoles. Imaginez-vous un directeur d'école qui recevrait sept, huit, 10 demandes pour 10 programmes qui vont dans 10 directions différentes. Ce serait ingouvernable, certainement pas possible à gérer. D'où la nécessité de cette concertation à laquelle vous faites référence. Et, nous, nous sommes partenaires là-dessus, et d'autant plus que nos actions avec les différents ministères vont dans le sens que vous indiquez à l'effet qu'on puisse intégrer l'ensemble des programmes de telle sorte qu'on ne soit pas en porte-à-faux par rapport à tout le reste qui se fait dans le milieu.

M. Couillard: Merci.

Le Président (M. Copeman): M. le député de Borduas et porte-parole de l'opposition officielle en matière de santé.

M. Charbonneau: Merci, M. le Président. Alors, messieurs, bon matin. Est-ce qu'on a des statistiques ou est-ce que vous avez des statistiques qui pourraient nous indiquer l'état de situation, c'est-à-dire, sur 100 % des jeunes de moins de 18 ans ou de moins de 20 ans, il y en a combien qui, sur une base régulière, de façon signifiante, font de l'activité physique, sont inscrits dans des processus de sport ou autrement? Est-ce qu'on a des données sur cette réalité-là? Parce que dans le fond, c'est comme la base, là, j'imagine.

M. Veilleux (Daniel): Ils n'ont pas voulu nous faire rentrer avec notre dix-roues dans le... Non, sans blague, Kino-Québec a fait énormément de constats. Ça fait partie de nos discussions aussi parce qu'il y a énormément de constats sur la santé des jeunes actuellement. On est à plus de 50 % des jeunes qui sont sédentaires, donc entre 50 % et 60 % qui sont sédentaires, donc qui ne bougent à peu près pas. Dans notre réseau à nous, sans vouloir prendre la place de notre directeur général de fédération ? parce que ça se ressemble d'une région à l'autre; dans notre région à nous ? il y a environ 30 % des jeunes dans les écoles qui participent à des activités interscolaires, donc qui jouent pour une équipe représentant leur école.

n (10 h 10) n

Ça veut dire qu'il reste encore beaucoup de place en termes de population. Par contre, il y a des infrastructures limitées également, de ce côté-là. Mais là-dessus il y a aussi des disciplines en émergence. Comme, par exemple, depuis quelques années, le «cheerleading», ce n'est pas devenu juste des jeunes filles avec des pompons qui font des pirouettes, c'est devenu une discipline sportive bien encadrée, et ça va rejoindre une clientèle différente, qui n'a pas besoin d'un plateau nécessairement, d'un gymnase complet ou d'un terrain de football. Donc, c'est là où le potentiel existe, aussi.

Pour répondre plus spécifiquement à votre question, il existe énormément de constats, et nous, sans être les spécialistes de ces statistiques-là, c'est là-dessus qu'on se base pour dire: Maintenant que les constats sont faits et que c'est clair, nous, on est plus des gens d'action pour trouver les solutions positives.

M. Charbonneau: Parce que...

M. Paquette (Yves): En complément, je m'excuse...

M. Charbonneau: Oui, allez-y.

M. Paquette (Yves): Et votre question nous rapporte à ce qu'on soulignait tantôt, au fait que le ministre de l'Éducation suggérait qu'on augmente le nombre d'heures d'éducation physique. Alors, si, comme on vient de le souligner, on ne rejoint que 30 % des jeunes... Et, là-dessus, je pense qu'il faut aussi faire la part des choses. Même si on ne rejoint que 30 % des jeunes, il y a beaucoup, beaucoup de circonstances qui font que, malheureusement, certains jeunes sont dans une situation où c'est difficile pour eux de pratiquer de l'activité physique, en ne parlant par exemple que du «péril jaune», le besoin de retourner en autobus scolaire après les heures de cours, etc., ce qui est très limitatif pour beaucoup de ces jeunes-là.

Mais, nonobstant tout ça, ce qui est important, c'est qu'une partie de l'acquisition de ces habitudes de vie là puisse se faire à l'intérieur même du curriculum, à savoir les cours d'éducation physique, et, en augmentant le nombre de cours d'éducation physique, évidemment, il va se faire un dégagement de ce côté-là qui va permettre à un nombre de jeunes de s'y intéresser encore davantage.

M. Charbonneau: Les cours d'éducation physique, à la limite, je veux dire, si on organisait, tu sais, de la danse régulièrement, je veux dire, les jeunes bougent, ils ont la musique, tu sais, ce n'est pas obligé d'être dans une dynamique sportive.

M. Paquette (Yves): Non. Pour nous, l'activité physique inclut l'ensemble des activités humaines qui sollicitent le corps humain. Alors, ça peut être de la danse, ça n'a pas besoin d'être compétitif, ça peut être de la marche en forêt, ça peut être du canot, ça peut être de tout type d'activité. Et ce qui est important, c'est que les gens comprennent le besoin ou l'importance de le faire.

M. Charbonneau: En tout cas, les chiffres que vous donnez, ça donne l'ampleur du défi. C'est-à-dire qu'on a entre 60 % et 70 % des jeunes à rejoindre, et à les rejoindre quand ils sont jeunes, puis à faire en sorte que l'impact soit tel que, quand ils vont vieillir puis qu'ils vont être adultes, ils vont continuer d'inscrire dans leur vie l'activité physique. Autrement dit, ce n'est pas juste quand tu es jeune que tu bouges, là, quand tu as 50 ans, quand tu as 40 ans...

M. Paquette (Yves): Effectivement. C'est quand tu es jeune que tu acquiers, par exemple, ce goût-là. Et effectivement, et il y a des statistiques qui le prouvent, plus les parents contribuent, avec leurs jeunes en bas âge, à l'acquisition de ces habitudes-là, plus ces habitudes-là vont continuer dans le temps durant la vie des personnes. Alors, ça, c'est très important.

Et, je dirais malheureusement, l'historique des habitudes de vie de nos citoyens au Québec n'était pas vraiment tourné vers l'activité physique et le sport, il y a une trentaine d'années ou 40 ans même, ce qui fait qu'aujourd'hui on a encore une courbe de ce côté-là. Et on espère que les nouveaux parents seront plus actifs que les parents actuels, bien qu'il y en ait un très grand nombre qui le soient. Mais je pense qu'on a encore du chemin à faire de ce côté-là.

M. Charbonneau: D'ailleurs, les données scientifiques indiquent que, si tu as à choisir... L'idéal, c'est de travailler sur les deux tableaux. Puis bien sûr, je ne parle pas du tabagisme; ça, c'est un autre élément, là. Mais, si on a à choisir entre l'alimentation puis l'activité physique, il y a plus d'impact positif sur la santé en bougeant régulièrement. À la limite, on peut manger de la malbouffe plus souvent, mais, si on bouge, il y a un impact plus significatif sur la santé en général que l'inverse. Puis, encore une fois, il ne s'agit pas... l'idéal, c'est que les gens s'alimentent bien tout en bougeant. Mais ça veut dire l'importance qu'on doit accorder.

Le programme dont vous parlez, là...

M. Paquette (Yves): ISO-actif.

M. Charbonneau: ...ISO-actif, là, il rejoint combien de jeunes puis combien d'écoles au Québec?

M. Paquette (Yves): Actuellement, on a 750 écoles d'inscrites au programme, sur les 2 000...

M. Charbonneau: Sur un potentiel de combien?

M. Paquette (Yves): 2 800 à peu près. Donc, on a beaucoup de chemin à faire et on est en discussions constantes avec M. le ministre Fournier. Là-dessus, je ne sais pas si c'est un hasard ou une planification divine, il se trouve être le ministre à la fois des Sports et Loisirs et de l'Éducation, ce qui pour nous est un bonheur total.

M. Charbonneau: Ce qui n'est pas une mauvaise chose. C'est plus logique comme ça que quand il était ministre des Affaires municipales puis du...

M. Paquette (Yves): Bien, écoutez, je vous laisse le soin de juger, ce n'est pas mes...

M. Charbonneau: Non, non, non. Mais, je veux dire, des fois, le premier ministre fait des bons choix, des fois des moins bons choix. Puis les premiers ministres, quand ils font leurs remaniements, ne pensent pas toujours à ça, mais je pense qu'effectivement, dans ce cas-ci, c'est plus logique que le ministre de l'Éducation soit aussi ministre responsable des Sports et Loisir, parce que l'impact chez la jeunesse peut être considérable si on fait bien les choses. Mais, je veux dire, dans le fond, là, vous dites qu'il y a 750 ou...

M. Paquette (Yves): ...écoles.

M. Charbonneau: ...écoles sur 2 800. Ça, c'est primaire et secondaire?

M. Paquette (Yves): Primaire, secondaire.

M. Charbonneau: Et vous avez un budget de combien, actuellement?

M. Paquette (Yves): Actuellement, notre subvention là-dessus, et si j'oublie ce qu'on appelle le «in kind», donc l'implication du personnel directement dans les écoles, etc., pour la fédé, la dernière subvention était de 200 000 $, qu'on a reçu pour ce programme-là. Notre demande était de 900 000 $ par année, pour les trois prochaines années, pour pouvoir... Parce qu'il faut comprendre que non seulement on doit gérer le programme sur le plan national, mais on doit aussi le gérer sur le plan régional ? et là vous pouvez voir, avec les ramifications, les commissions scolaires, les écoles, etc. ? et aussi le fait qu'il faille rallier l'ensemble des intervenants. Parce qu'on veut, comme on l'a indiqué dans notre mémoire, que ce ne soit pas seulement une question d'écoles, que ce soit une question de familles, une question sociale, où tous les intervenants soient impliqués. Donc, on a besoin de budgets additionnels, et c'est ce qu'on discute actuellement avec M. Fournier.

M. Charbonneau: C'est quoi, le lien entre votre programme puis le programme, là, Ça bouge après l'école avec la Fondation Chagnon, là?

M. Paquette (Yves): On est en discussion avec eux. Eux ont une vocation beaucoup plus pointue, ils s'occupent particulièrement des milieux défavorisés, alors que nous nous occupons, en gros, là, pour faire une différenciation rapide, en gros, nous, on s'occupe de l'ensemble des écoles, peu importe le niveau social dans lequel l'école se trouve, alors que, pour le groupe de M. Chagnon, on s'occupe des milieux défavorisés en priorité.

M. Charbonneau: Mais là, là, quand vous dites: Avec 900 000 $, là... Parce que je regarde la Fondation Chagnon, là, eux autres, ce qu'ils ont fait, c'est qu'ils ont fait une expérience pilote sur trois ans, je pense qu'ils avaient, quoi, 26 millions sur trois ans, en partenariat avec le gouvernement, puis il y avait à peu près 500 écoles. Puis dans le fond, ce qu'ils disaient, c'était que, pour rejoindre la totalité des écoles, dans les milieux défavorisés qui avaient été identifiés, ça leur prendrait dans le fond, sur trois ans, 100 millions. Vous autres, là, avec 900 000 $, vous allez où, là?

M. Paquette (Yves): On va faire beaucoup de chemin. Comme vous pouvez voir, avec le peu qu'on a eu...

M. Charbonneau: Vous n'avez pas 900 000 $, là.

M. Paquette (Yves): Non, non, non. Mais, avec le peu qu'on a, on a déjà 750 écoles d'inscrites, ce n'est pas rien. Un. Deux, on est carrément dans une situation différente de ce qu'ils font. Eux contribuent financièrement aussi aux programmes, etc., ce qu'on ne fait pas directement. Et en plus, nous, on s'appuie sur un réseau établi, où il y a des directeurs d'écoles, des profs d'éducation physique, des profs d'autres disciplines, des animateurs sportifs, etc. On a donc un réseau qui soutient ça, qu'on n'a pas... Quand je vous parlais d'«in kind», tantôt, là, c'est ce que je voulais dire: on n'a pas à soutenir ça directement. C'est déjà là.

Évidemment, quand on a fait les chiffres et on les a présentés au gouvernement, une de nos préoccupations était d'être efficaces avec ce qu'on demandait, dans le sens qu'on voulait pouvoir obtenir des résultats. Mais le deuxième élément, c'est la capacité de payer de notre gouvernement. On ne pouvait pas arriver avec des demandes farfelues.

M. Charbonneau: ...mais c'est vrai, mais à l'inverse, je pense que... Puis le ministre tantôt, j'ai pris bonne note, là, puis, je veux dire, j'ai hâte de voir le plan d'action qui va être suite au rapport Perreault, qui lui-même était dans la foulée, je veux dire, du plan national de santé publique, là. La question, ce n'est pas tellement... Je veux dire, moi, je suis convaincu que toutes les bonnes mesures vont être là, là. Ça, ça ne me fait... je n'ai pas tellement peur pour ça. La vraie question, puis je l'ai dit souvent, depuis le début de la commission, quand on parle de prévention, là, c'est, je veux dire: Jusqu'où on va soutenir, je veux dire, les actions qui doivent être faites? Autrement dit, on va mesurer l'efficacité du programme aux crédits qui vont être affectés.

Parce que la vertu, là, tout le monde peut l'énoncer régulièrement. Et puis j'en ai vu, moi, des documents, de part et d'autre, là, des documents qui parlent de la prévention, qui plaident pour la prévention, mais jamais les crédits ne sont au rendez-vous. Et, tu sais, quand... Alors, c'est ça, la réalité, là, tu sais? Il faut les horaires, puis je pense que là il y a un choix politique dont vous parliez, puis il y a aussi l'impulsion, l'engagement politique non équivoque, c'est aussi un engagement de priorité.

n (10 h 20) n

Quand les gens viennent nous dire en commission que l'État québécois met... consacre, pour son réseau santé et servies sociaux, 2 % de son budget en prévention puis que dans le fond devrait mettre 5 %, bien, je vais vous dire, 5 %, là, de 22 milliards ou 21 milliards, c'est pas mal plus d'argent que 2 %, là.

Et dans le fond, l'objectif, c'est: on doit viser à atteindre idéalement l'ensemble des écoles et avoir un impact signifiant. Parce que, si on ne fait pas ça, on va travailler à la marge et on n'aura pas d'impact à long terme, dont vous parliez tantôt, sur la santé de la population, dans les années à venir. Autrement dit, si on veut, là, que l'ensemble de la population prenne un virage majeur et que les coûts de santé, dans cinq ans, 10 ans, 15 ans, 20 ans, 25 ans, 50 ans... Parce que les jeunes qui ont 10 ans aujourd'hui, dans 50 ans, ils vont en avoir 60, là, puis leur espérance de vie, à ce moment-là, sera peut-être de 100 ans, alors ils vont vivre longtemps, puis, s'ils vivent longtemps tout croches et puis en mauvaise santé, ça va coûter cher à la société. Et, dans ce contexte-là, si on veut vraiment avoir un impact signifiant, il va falloir que les budgets soient percutants et que le virage de prévention ne soit pas un virage cosmétique, là.

M. Paquette (Yves): On pense exactement de la même façon. Je pense qu'on a souligné aussi, en conclusion de notre présentation, qu'on voulait un engagement politique sérieux et continu. On voulait aussi que ça parte du plus haut niveau jusque vers les écoles et tous les intervenants.

La nature de notre demande budgétaire s'appuie aussi sur le fait que l'ensemble des intervenants qui sont déjà dans le réseau et payés par le réseau ont une contribution. Et d'ailleurs, là-dessus, une fois qu'on a eu déposé cette demande-là, il y a une partie des sommes additionnelles qui seraient nécessaires pour mener le programme, qui pourrait venir de l'industrie ou de la société en général, non seulement du gouvernement. Et c'est l'invitation que nous faisait le ministre Couillard: d'aller chercher les autres argents qui seraient nécessaires pour mener le programme dans la société en général.

Parce que, voyez-vous, un des problèmes que l'on rencontre chez nous en tout cas, pour le sport étudiant: quand on veut créer une fondation, ça nous prend une cause. Une fondation pour les enfants qui ont des malformations puis tout ça, ça touche le coeur des gens. C'est facile. Notre cause, c'est combattre l'obésité. Mais il y en a combien qui veulent combattre l'obésité? Alors, on a là-dedans une présentation qui peut être diffuse dans l'ensemble de la population parce que beaucoup de gens s'occupent de ces mêmes causes là.

Alors, à partir du moment où on va cristalliser nos actions, on va les focusser et qu'on aura une masse critique ? on pense qu'on est proches de la masse critique avec 750 écoles ? éventuellement, avec l'addition des budgets additionnels qui pourraient venir du ministère de l'Éducation et du ministère du Loisir et Sport, on pourrait éventuellement faire un bon pas et éventuellement arriver à pouvoir générer ces appuis-là du secteur privé.

Le Président (M. Copeman): M. Paquette, M. le député de Borduas, il reste six minutes, puis il y a et la députée de Champlain et la députée de Lotbinière qui désirent intervenir. Alors, de façon la plus succincte possible, Mme la députée de Champlain.

Mme Champagne: Messieurs, bonjour. Alors, petite pointe d'information, puis je suis convaincue que vous en êtes même déjà au courant. En Mauricie, précisément, et je vérifiais tout à l'heure l'information, le 31 mai, il y a le gala des lauréats régionaux. C'est le 23e gala du sport étudiant québécois qui se fait chez nous, au niveau de la région de la Mauricie, comme quoi ce n'est pas né d'hier et que l'arrivée et l'ajout d'ISO-actif...

Et j'ai eu la chance de rencontrer ces gens-là, qui sont venus nous voir dans nos bureaux de comté pour nous demander un appui. Et j'en suis convaincue, que tous les députés appuient ces organismes-là, qui font honnêtement beaucoup de bénévolat, parce qu'ils doivent s'intégrer à l'intérieur de structures déjà en place, et ce n'est pas simple de mettre en place toutes ces mesures-là, à cause de ce que vous mentionniez tantôt, le «péril jaune», là, que les autobus scolaires mènent un peu, là, les horaires scolaires. Et ce n'est pas toujours évident de garder les étudiants dans ce genre d'activité là à cause de la limite des horaires scolaires.

Alors, moi, je fais ce commentaire-là, à savoir que, oui, il faut aller de l'avant. En Mauricie, c'est très, très bien parti; ISO-actif s'est installé dans plusieurs écoles tant primaires que secondaires, autant qu'avec la Fondation Chagnon pour les écoles un petit peu plus démunies où les enfants sont un petit peu plus en besoin. Alors, on ne peut que favoriser... Et ce que mon collègue disait tout à l'heure: des besoins financiers. Parce que les intentions peuvent être là sur la table, hein, on en a tous puis on pense tous qu'on va atteindre nos objectifs, mais, s'il n'y a pas les argents qui vont avec, c'est difficile d'appliquer. Mais, avec un peu d'imagination, on arrive à faire des choses assez extraordinaires.

Alors, je voulais le souligner, que la région de la Mauricie, je ne sais pas exactement le nombre d'écoles primaires et secondaires touchées par ISO-actif, mais, si vous parliez à Mme Guillemette ? je tiens à mentionner son nom, Mme Micheline Guillemette que vous connaissez sûrement ? qui est une dame remarquable dans la région, qui fait le débat pour l'activité physique, que le sport étudiant mérite d'être appuyé par votre fédération et par nos gouvernements... Alors, c'est un peu un coup de coeur pour ma région que je voulais vous soumettre, messieurs. Merci.

Le Président (M. Copeman): Le message est passé. Mme la députée de Lotbinière.

Mme Roy: Merci. Merci de votre présence, merci de votre action. Je suis une des mamans qui remplit vos formulaires des cinq légumes puis des 15 minutes, et puis je peux vous dire que ça marche. Mais ça crée un esprit un peu de compétition puis ça fonctionne entre les jeunes. Mais c'est un jeu, puis on veut réussir à se rendre au bout, puis ça fonctionne. Et puis ça ne fonctionne pas seulement parce que les jeunes veulent s'impliquer. Je le remarque sur le terrain, mon fils faisant partie d'un groupe qui fait beaucoup de sport, quand je... il côtoie des enfants de d'autres écoles, je vois la différence là. Sur un demi-kilomètre de course, on voit tout de suite la différence. Je témoigne donc de l'efficacité de vos mesures.

Mais ce que je veux attirer votre attention, c'est qu'en milieu rural c'est plus difficile. La façon dont est organisé votre programme, quand on a un directeur d'école en milieu rural qui s'occupe de quatre écoles, le personnel fait trois niveaux, les autobus arrivent à 2 h 45. Je pense que la façon dont ça fonctionne en milieu rural ? j'ai été mairesse, je le sais ? c'est la municipalité souvent qui prend en charge les infrastructures sportives, le terrain de soccer, le terrain de baseball, et puis c'est l'été avec... c'est encore les municipalités qui s'occupent de ce qu'on appelle les terrains de jeu. C'est l'été qui me semble être la période la plus appropriée pour que ces jeunes-là fassent du sport organisé.

Avez-vous investi cette voie-là pour les terrains de jeu l'été? Parce qu'ils sont gérés la plupart du temps par les municipalités, et surtout, dans le milieu rural, où la population, les parents sont moins scolarisés, les revenus sont moindres, les distances sont plus grandes, en tout cas l'effet positif d'organiser ce milieu-là, je pense, aurait une valeur significative peut-être encore plus grande que dans des milieux plus structurés où de toute façon on a une alternative.

M. Paquette (Yves): Oui. Vous ouvrez un débat qui est particulièrement intéressant pour différentes raisons. D'une part, ce à quoi vous faites allusion réfère aussi à la structure de l'encadrement scolaire, à la durée de cet encadrement-là et à l'intégration des ressources du milieu étudiant ou scolaire avec l'ensemble des ressources qui existent déjà dans les municipalités, dans les municipalités rurales ou les villages, etc. Et là-dessus on a encore, autant nous que l'ensemble de la population, à prendre acte de ces difficultés-là et de voir comment on peut accommoder ce genre de réseau et de programmes qui permettraient aux jeunes de faire de l'activité physique sur 12 mois.

C'est évident que, durant la période, actuellement, durant la période estivale, les écoles s'en occupent moins. Mais il n'est pas dit que ça ne pourrait pas se faire. Beaucoup d'écoles sont ouvertes durant l'été, également, par des programmes, que ce soit les camps de jour, etc., et autres types de programmes sportifs, sauf que ce ne sont pas des programmes qui sont généralisés ou qui sont structurés de telle sorte qu'on puisse rejoindre tout le monde. Si ça se fait, bien souvent, c'est au hasard des intervenants de chaque milieu. Je pense qu'il y a beaucoup d'actions à faire de ce côté-là, comme vous le soulignez.

Mme Roy: Merci.

Le Président (M. Copeman): Merci. Alors, M. Paquette, M. Veilleux et M. Beauchamp, merci pour votre participation à cette commission parlementaire au nom de la Fédération québécoise du sport étudiant.

Et, sur ce, j'invite les représentants de l'Association pour la santé publique du Québec à prendre place à la table.

Je suspends les travaux de la commission pour quelques instants.

(Suspension de la séance à 10 h 29)

 

(Reprise à 10 h 32)

Le Président (M. Copeman): À l'ordre! Alors, la commission poursuit ses travaux. C'est avec plaisir que nous accueillons les représentantes de l'Association pour la santé publique du Québec. Mme la présidente Thibodeau, bonjour.

Comme je le fais pour chaque groupe, je vous avise que vous avez 20 minutes pour votre présentation. Je vais vous donner le signal, envoyer le signal quand il vous restera trois minutes pour mieux vous aider à conclure, et par la suite il y aura un échange d'une durée maximale de 20 minutes, avec les parlementaires de chaque côté de la table. Je vous prie de présenter vos collaboratrices et enchaîner par la suite avec votre présentation.

Association pour la santé
publique du Québec (ASPQ)

Mme Thibodeau (Lucie): Merci. Alors, M. le Président, M. le ministre et membres de la commission, nous vous remercions de nous recevoir à ces audiences pour nous permettre de vous présenter les grandes lignes de notre mémoire et échanger avec vous sur notre vision de la situation et les solutions que nous proposons.

Je suis Lucie Thibodeau, présidente de l'Association pour la santé publique du Québec et directrice du Réseau des centres de ressources périnatales. Ma collègue à ma gauche est Pierrette Michaud, vice-présidente de l'association et médecin épidémiologiste à la Direction régionale de la santé publique de la Capitale-Nationale. Mon autre collègue à ma gauche est Louise St-Pierre, qui est aussi administratrice à l'ASPQ et chef de projet à l'Institut national de santé publique.

Nous sommes ici en tant que membres de la communauté préoccupés par la santé de la population et intéressés particulièrement par la santé publique. Nous ne sommes pas des spécialistes du financement du système de santé mais des personnes avisées, informées, qui ont à coeur d'utiliser leur expertise et leur temps pour faire avancer les dossiers et des projets en faveur de la santé. Nous nous sentons interpellés par le contenu du document Garantir l'accès: un défi d'équité, d'efficience et de qualité et souhaitons y apporter notre contribution à partir de notre expérience comme organisation en santé publique. Notre présentation débutera par un bref survol de la mission et des réalisations de l'ASPQ pour bien nous situer. Ensuite, ma collègue Pierrette vous présentera les éléments centraux sur lesquels nous souhaitons diriger votre attention. Pour la période de questions, l'une ou l'autre vous répondra.

L'Association pour la santé publique du Québec est un regroupement de personnes et d'organisations autonomes, multidisciplinaires et sans but lucratif, fondé en 1943. Nous regroupons actuellement plus de 100 membres, autant des organisations que des personnes. L'association fait la promotion de l'autonomie et du respect du droit des gens à participer aux décisions qui les concernent tout en croyant au maintien d'un juste équilibre entre les droits individuels et les droits collectifs. L'association prône l'équité, la justice sociale, la solidarité, en particulier dans l'accès à un niveau de services de santé et de services sociaux. Elle croit en la capacité des personnes et des communautés de prendre en charge leur santé et leur bien-être. Son approche globale et intégrée contribue à faire de la santé un terrain où prévalent la mobilisation, la concertation et la collaboration. L'association contribue à la santé publique du Québec en favorisant l'émergence d'environnements propices à l'épanouissement du plein potentiel humain. En tant que voix associative de la santé publique, l'ASPQ a les coudées franches pour intervenir. Elle soulève des questions, elle explore des terrains négligés et elle fait ainsi figure d'agent de changement.

L'association est membre de l'Association canadienne de santé publique et en lien avec un mouvement mondial en faveur de la prévention et de la promotion de la santé. Aussi, elle agit en cohérence avec les stratégies élaborées dans la charte d'Ottawa, de 1986, qui provient de la première Conférence internationale pour la promotion de la santé. Cette charte affirme que l'intervention en promotion de la santé signifie que l'on doit ? il y a cinq stratégies qui sont proposées ? élaborer une politique publique saine, qui va au-delà du système de soins, on s'entend, parce qu'évidemment il y a d'autres secteurs qui ont une influence et qui ont une responsabilité en santé; deuxième stratégie, créer des milieux favorables, alors il faut que les milieux de vie et les milieux de travail soient stimulants, sains, sûrs et agréables; troisième stratégie, renforcer l'action communautaire, dans le sens de la participation effective et concrète de la communauté, qui suppose un accès illimité et permanent aux informations sur la santé, aux possibilités de santé et à l'aide financière; quatrième stratégie, acquérir des aptitudes individuelles, ce qui implique le développement individuel et social, pour exercer un plus grand contrôle sur leur propre santé ? la propre santé des personnes ? et de faire des choix favorables à celles-ci; et la dernière stratégie inscrite dans la charte d'Ottawa est de réorienter les services de santé. La responsabilité doit être partagée entre les particuliers, les groupes communautaires, les professionnels de la santé, les institutions offrant les services et les gouvernements.

Nos dossiers principaux à l'ASPQ sont la périnatalité, la problématique du poids, la lutte contre le tabac. Nous avons aussi travaillé sur la conciliation travail-famille, le contrôle des armes à feu et publié un bulletin de santé publique à chacune des saisons.

Alors, depuis 25 ans maintenant, la périnatalité constitue un dossier majeur pour l'ASPQ. Au fil des ans, l'association a travaillé très activement à la reconnaissance de la profession sage-femme, la publication de bulletins d'information périnatale, Le Périscoop, développé un regard sur la périnatalité favorisant notamment l'autonomie des familles, l'utilisation judicieuse des technologies médicales et les pratiques novatrices ainsi que l'attachement parent-enfant. On a aussi organisé des événements, des conférences, les journées annuelles de périnatalité et le colloque Accoucher... ou se faire accoucher.

Alors, l'intérêt de l'ASPQ pour la problématique du poids découle d'activités touchant la santé des femmes et l'image corporelle. En 2000, l'ASPQ a mis en place le groupe de travail provincial sur la problématique du poids. C'est un groupe multidisciplinaire constitué d'experts et de partenaires, afin de poursuivre les objectifs suivants qui étaient de développer une vision commune en regard de la problématique du poids, de développer un plan d'action global et intersectoriel pour favoriser le maintien d'un poids santé.

En ce qui concerne le tabac, dès ses débuts, on a mis sur pied la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac. Alors, la CQCT a constitué une plateforme de base qui oriente ses interventions et ses campagnes conjointement avec ses principaux partenaires et dont les objectifs sont de protéger la population de la fumée du tabac, prévenir l'adoption du tabagisme chez les jeunes, contrôler la fabrication et la mise en marché du tabac, favoriser la cessation chez les fumeurs qui le désirent et instaurer des mesures d'appui à la loi.

Alors, je cède la parole à ma collègue Pierrette Michaud.

n (10 h 40) n

Mme Michaud (Pierrette): Alors, messieurs mesdames, mesdames messieurs, l'Association pour la santé publique du Québec se présente ici, aujourd'hui, en fin de période de consultation. Alors, les principaux groupes intéressés ayant fait leurs recommandations, on constate que plusieurs sont nôtres. Donc, dans ce contexte, l'ASPQ va faire des propositions qui se veulent un renforcement positif de ce qui a déjà été proposé, notamment lorsqu'il est question d'investir en prévention et en promotion de la santé.

Ce que nous voulons que la population et le gouvernement retiennent de notre passage ici, aujourd'hui, ce sont ces trois points: premièrement, pour minimiser à moyen et long terme la croissance des coûts dans le système de santé et des services sociaux, l'ASPQ recommande en premier lieu de miser sur la prévention et la promotion de la santé; deuxième point, l'ASPQ veut réaffirmer sa conviction profonde envers un système de soins de santé qui est basé sur une première ligne forte, plus présente, plus accessible; troisièmement, l'association n'a pas été convaincue de la nécessité d'introduire le privé dans notre système public de santé et de services sociaux.

Je reprends donc notre premier point, qui est la prévention, promotion de la santé. En dehors de bien d'autres choses, c'est aussi un moyen efficace de minimiser, je le précise, à moyen et long terme, la croissance des coûts. D'emblée, j'aimerais apporter une précision sur l'utilisation des mots «soin» et «santé», quand il est question du système ou des services ? et nous faisons souvent les mêmes erreurs, nous aussi, là, c'est assez fréquent. Système de soins, ça fait référence aux services et aux traitements curatifs, aux services de réhabilitation. Système de santé, ça intègre les activités de prévention et de promotion qui sont offertes par le réseau des services de santé, donc en dehors des établissements, puis ça inclut le ministère, ça inclut les agences, les CSSS, ça inclut les groupes communautaires.

Quand on parle de d'autres acteurs, quand on parle de l'amélioration de la santé de la population ou de la santé publique, il y a d'autres acteurs de la société qui sont tout aussi importants, alors ces acteurs ? importants pour le gouvernement ? ce sont les autres ministères, ce sont les organismes, ce sont les entreprises. C'est dans le fond tout acteur qui a un impact sur la santé et le bien-être. Alors, auprès de ces acteurs, le ministère de la Santé et des Services sociaux, son rôle, c'est un rôle de leader, c'est un rôle de soutien à la création de conditions propices à la santé. Mais c'est au gouvernement que revient le rôle premier de décider ou pas des plans d'action qui mèneront à l'amélioration de la santé de la population. Cette précision est importante pour ce qui suit. Dans le fond, la question qu'on pose, c'est: Qui fait quoi? Et tout le monde se la pose, cette question-là, à un moment donné. Le fait de préciser quels sont les acteurs peut être aidant.

Alors, rappelons quelques faits. La plupart des maladies chroniques chez les adultes et les personnes âgées, ce sont des maladies évitables, tout comme la majorité de ce qu'on nomme des accidents. Alors, agir en amont pour éviter que les gens deviennent malades, c'est logique. Chaque dollar investi en prévention et en promotion permet d'épargner en moyenne 7 $ en soins et services, et c'est une moyenne très conservatrice. Vous avez eu des présentations où on pouvait vous montrer des bénéfices-coûts beaucoup plus élevés. Le système de soins, aussi coûteux soit-il, ne contribue à la santé que dans une proportion de 25 %. Alors, cette donnée est confirmée par l'ICRA, l'Institut canadien de la recherche avancée. C'est une donnée qu'on traîne depuis tellement de temps, mais il faut la répéter.

M. Charbonneau: Pouvez-vous la répéter, madame? Je m'excuse.

Mme Michaud (Pierrette): Bon, j'ai capté votre intérêt. Le système de soins, aussi coûteux soit-il, ne contribue à la santé que dans une proportion de 25 %. En contrepartie, certains facteurs comportementaux modifiables peuvent expliquer 40 % à 50 % des décès prématurés. Je précise que les facteurs comportementaux modifiables, il ne faut pas viser seulement l'individu.

Donc, il faut rappeler que les changements de culture prennent des décennies. L'exemple du tabac vous est familier, bien sûr, il a fallu plus de 30 ans d'efforts avant que la norme sociale ne soit modifiée, avant qu'on assiste à l'abolition complète du tabagisme dans les lieux publics ? ce qui sera en vigueur dans quelques jours. Mais la partie n'est pas encore gagnée, il faudra encore longtemps avant que les effets sur la santé ne deviennent enfin des effets marginaux.

L'obésité, tout le monde en parle, mais permettez-nous quelques mots seulement, en lien avec ce qui précède, pour rappeler l'urgence d'agir en prévention et en promotion. On va parler de cette épidémie, mais vous pouvez extrapoler à bien d'autres. Elle est similaire à celle causée par le tabagisme. Les comportements individuels sont en lien avec les normes sociales créées, entre autres, par l'offre des entreprises, plus particulièrement dans le domaine de l'alimentation. Alors, 30 ans, rappelez-vous que c'est le temps que ça prend, d'où l'urgence d'agir. C'est ici que l'ASPQ souhaite rappeler le rôle essentiel du gouvernement, alors, gouvernement, auprès des acteurs qui contribuent à l'amélioration de la santé de la population, pas seulement les acteurs qui agissent sur le système de santé ou le système de soins. Et c'est ici aussi qu'on intègre les stratégies de promotion préconisées par la charte d'Ottawa.

Donc, on conclut qu'il faut investir massivement en prévention et en promotion de la santé ? on ne vous surprend pas. Comment le faire? Comment le faire sans nuire à la prestation de soins? On est tout à fait, là, d'accord que, les soins curatifs, on en a besoin, malheureusement. Les suggestions qui suivent donc ne sont pas nouvelles, mais il faut les rappeler, il faut les adapter, là, aux nouveaux problèmes, là, qu'on constate dans notre société ou dans le système de santé et de soins.

À l'instar du Fonds des générations ? donc, ce n'est pas quelque chose de nouveau ? un fonds dédié à la prévention et la promotion serait intéressant, mais pas seulement un fonds pour le système formel de santé publique, on l'élargit un peu plus. Alors, c'est une idée à explorer très sérieusement. Pourquoi? Parce que c'est déjà un mouvement international, et on peut se poser la question: Bon, bien, où en est le Québec?

Utiliser certaines taxes, comme ce fut le cas pour le tabac, bien pourquoi pas? C'est ce qu'on appelle une taxe à la consommation de produits nocifs. Encore là, ça fait encore du sens. Pourtant, il serait quand même souhaitable de responsabiliser les organismes et les industries qu'on dit producteurs de risques, ceux qui font la norme dont on parlait tout à l'heure. Alors, il faut les identifier lorsqu'on fait nos plans d'action, les identifier, chercher quelles pourraient être leurs contributions pour les amener à modifier l'offre, et ceci, dans une perspective santé. Comment? Des incitatifs, des frais limitatifs, tout est ouvert. Et c'est au gouvernement qu'on remet la question, c'est-à-dire, dans un plan d'action global, c'est au gouvernement qu'il revient d'aller chercher la contribution des différents acteurs dont on parlait tout à l'heure. Il n'y a pas seulement les producteurs de risques. J'ai fait surtout référence à ça maintenant, mais, vous savez, il y a les autres, là, dont les ministères, pour avoir une action cohérente.

Enfin... le deuxième point, c'est-à-dire, un système de soins de santé avec une base solide assurée par les services de première ligne. C'est notre option logique. On y croit. On vous dit pourquoi puis on vous dit en quoi.

Bon, la première ligne, c'est d'abord l'accès à un médecin de famille pour tous, dans un délai raisonnable. Bon, c'est deux choses qui font défaut. C'est une partie aussi qui n'est pas tellement bien documentée, mais on sait qu'on a un très bon départ avec les GMF, avec l'intégration des cabinets privés qui sont en lien avec les projets cliniques. La première ligne, c'est aussi un meilleur partage des tâches, ce qui a été déjà souligné. L'infirmière clinicienne, on rappelle qu'elle a une tâche importante en prévention et promotion, en liaison, en suivi. Par contre, on a constaté, dans le document de consultation, qu'on oubliait la sage-femme, qui est pourtant très bien reconnue comme facteur limitatif de consommation de soins. En tout cas, il y a des données probantes à ce sujet. Et la périnatalité, je vous le rappelle, c'est une période charnière pour les interventions précoces, et, en santé publique en général, on a fait ce choix aussi d'intervenir précocement au niveau de la période de périnatalité.

Première ligne, on pourrait rajouter aussi, ce qu'on ne trouve pas tout à fait encore, la réponse intégrée à l'ensemble des besoins de la personne. Et on pose la question sur les besoins psychosociaux: Est-ce qu'ils sont intégrés? Et la place où ça devrait se faire, c'est dans les CLSC, mais on est obligés de conclure que non. C'est quelque chose qu'on apporte à votre attention.

Dans les services comme dans les normes sociales dont on parlait tout à l'heure, bon, bien, les changements vont prendre du temps. Les bons services donnés au bon moment, par les bonnes personnes, ce n'est pas évident que ça se fasse du jour au lendemain. Il faut être patient et il faut se donner les moyens aussi d'avoir de la mémoire. On a oublié les sages-femmes, c'est pour ça que je ramène ça. Il faut aussi être cohérent. Ce qui a été mis en place un jour ne doit pas nuire à ce qu'on a tenté d'implanter la veille. Et c'est une inquiétude donc, notre première inquiétude qu'on a eue.

Les corridors de services entre les centres hospitaliers, c'est bien, mais, au regard de la première ligne, ça nous semble une incohérence. La hiérarchisation des services proposés entre les hôpitaux, ça n'aide pas la première ligne, dans le sens que c'est elle qui devrait bénéficier des corridors de services qui sont proposés, c'est-à-dire la continuité des soins, l'approche clientèle, c'est tout ça. Les corridors de services, là, je le répète, on aimerait vraiment que ce soit la première ligne qui soit en lien direct avec les services spécialisés.

Le Président (M. Copeman): Mme Michaud, il reste trois minutes.

n (10 h 50) n

Mme Michaud (Pierrette): Alors, la deuxième inquiétude, c'est la rigueur et le suivi d'implantation, c'est une information qu'on ne retrouve pas souvent, et c'est la place de la recherche évaluative. Que l'ASPQ ne soit pas convaincue d'introduire le privé dans le système de santé public, je veux peut-être seulement revenir aux justifications qui ont été faites, c'est-à-dire le vieillissement de la population. Vous avez pu voir, dans notre mémoire, qu'on pense que c'est possible de vieillir en santé. Les coûts associés aux nouvelles technologies et aux médicaments, bien il y en a qui peuvent permettre des économies là-dedans. Puis, les médicaments, bon, bien, j'en profite pour mentionner rapidement que l'ASPQ questionne les pratiques commerciales, on se lance dans un nouveau dossier sur les pratiques commerciales de l'industrie pharmaceutique. C'est pour dire qu'il ne faut pas baisser les bras et qu'on peut questionner.

Donc, en conclusion ? je voudrais vous rappeler les trois points, mais je ne le ferai pas ? j'aimerais citer les paroles: «Cette démarche est enfin le reflet de la nécessité d'agir dès aujourd'hui. Attendre ne serait pas responsable.» Alors, ces paroles proviennent de la conclusion du document Le Fonds des générations. Vous comprenez qu'on voudrait bien l'appliquer à la prévention et la promotion. Merci de votre attention.

Le Président (M. Copeman): Merci, mesdames. Alors, M. le ministre de la Santé et des Services sociaux.

M. Couillard: Merci, M. le Président. Merci, mesdames, pour votre visite ce matin. Je vais prendre les trois points dans l'ordre où vous les avez présentés. D'abord, je trouve intéressante la proposition que vous faites ? et vous n'êtes pas les premières à le faire, mais c'est une proposition qui revient souvent ? afin de s'adresser au conflit éternel entre les besoins des soins aigus et curatifs dans le réseau, par rapport aux besoins en investissement en promotion, de faire un fonds pour la promotion de la santé, et c'est intéressant parce qu'on n'a pas encore abordé la question du financement à long terme du système de cette façon-là. C'est-à-dire qu'on aborde la question avec la fiscalité, avec des fonds santé globaux, avec des fonds de santé spécifiquement dédiés à la perte d'autonomie, on a eu des discussions là-dessus, mais pourquoi ce ne serait pas une bonne idée d'envisager le financement à long terme de la santé par la création d'un fonds capitalisé ou capitalisable, uniquement et exclusivement affecté à la promotion des bonnes habitudes et de la santé? Je pense qu'il y a là... Moi, c'est une idée qui m'accroche en tout cas, et je vais certainement voir si on peut...

Parce qu'il va falloir que le débat se poursuive sur le financement, on l'a mentionné tantôt, le débat ne se termine pas avec cette commission parlementaire, c'est une amorce du débat sur le financement. Et peut-être que dans le fond la réponse la plus structurante et la plus logique au problème de financement à long terme... Comme ce qu'on veut régler comme problème à long terme, c'est la pression de soins accrue dans 10, 15, 20 ans, peut-être que la façon de diriger les efforts de financement structurants qu'on doit faire doit s'adresser spécifiquement aux efforts qui visent à diminuer la pression de soins pour les 10, 15, 20 prochaines années. Alors, je vois que, dans vos suggestions, vous utilisez les taxes sur les produits potentiellement nocifs pour alimenter ce fonds, puis vous avez mentionné la taxe sur le tabac. D'autres ont mentionné la taxe sur les boissons gazeuses à haute teneur en sucre, par exemple.

Mais le tabac est toujours, comme vous le savez, la première cible. Lorsqu'un ministre des Finances cherche des cibles de revenus, en général le paquet de cigarettes est une de ses premières cibles. Cependant, on arrive toujours à un problème et un obstacle ? je ne sais pas si vous avez réfléchi à cette question-là, et je suis certain que le député de Borduas y a fait affaire également lorsqu'il était au gouvernement ? c'est que, lorsqu'on fait des propositions de taxer le tabac davantage pour la supporter, cette proposition, on indique que le Québec est encore l'endroit où le paquet de cigarettes coûte moins cher, hein, dans l'horizon canadien. Cependant, on doit faire face à des objections qui nous disent que, si on dépasse un certain seuil de coût, la contrebande devient si active et si répandue qu'on se trouve à se tirer dans le pied, là. Est-ce que vous avez déjà réfléchi à cet équilibre entre la contrebande puis l'augmentation des prix du produit?

Une voix: Je vais laisser...

Mme St-Pierre (Louise): Oui, je peux répondre. En fait, non, on n'a pas réfléchi. Ça, c'est plus le groupe à l'intérieur de l'association, la coalition poids, qui, je pense, a beaucoup développé là-dessus, qui pourrait nous amener... Mais cette idée de fonds dédié, comme on le disait dans la présentation, il y a comme un mouvement quasi international, il y a même un réseau international de fonds de prévention, dédiés à la prévention, puisque, cette pression-là du système de soins, tous les pays au niveau international vivent cette tension entre le curatif et la promotion. Donc, l'idée de créer un fonds à même des taxes des produits nocifs, ça tombe sous le sens, et il y a le tabac, comme vous mentionnez, mais il y a d'autres produits nocifs aussi. L'essence, ça peut être un exemple. Est-ce qu'on peut aller jusqu'au jeu, l'alcool? Il y a des fondations... Celle de la Thaïlande, par exemple, est financée à même à la fois taxe tabac et à la fois taxe sur l'alcool, et d'autres pays ont fait des choix différents. Donc, à notre avis, ça dépend de notre réalité, notre contexte et évidemment cette limite à ne pas dépasser. Mais le tabac n'est peut-être pas le seul produit nocif que l'on peut taxer.

M. Couillard: Alors donc, retenons cette idée, là, de protéger les investissements futurs pour la promotion des bonnes habitudes.

Deuxième élément que vous avez mentionné, c'est le fait de l'assise nécessaire du réseau sur la première ligne. Je dois vous dire qu'on partage absolument cette orientation-là, et tout ce qu'on fait, même si on n'en est pas toujours certain, tout ce qu'on fait est basé sur cette croyance-là. D'ailleurs, ce matin même, dans Le Devoir, je suis critiqué parce que je crois à la première ligne. Si vous analysez correctement la lettre et l'article qui sont publiés, ce matin, sur la santé mentale, c'est une contestation directe du choix que nous faisons pour le déploiement des services de santé mentale basé sur la première ligne, aux dépens des centres hospitaliers psychiatriques. Il y a là tout un contentieux historique d'ailleurs qui est assez particulier. Alors, je réaffirme, ce matin, à la faveur de votre visite, que c'est la bonne décision à prendre et que nous allons continuer à axer notre développement sur le développement de la première ligne.

Maintenant, vous dites: Les corridors de services, c'est bien. Vous avez raison, c'est bien. Puis vous dites: Il faudrait que les médecins de première ligne soient intégrés là-dedans. Nous, on veut bien, là. Je vous dirais qu'il y a deux choses cependant, c'est qu'on ne peut pas uniquement faire un corridor de services qui part du médecin de famille et qui se rend à l'hôpital spécialisé, ou supraspécialisé, en «bypassant» tout le centre de santé et de services sociaux local, qui des fois peut donner les services. Il faut être prudent là-dessus. Deuxièmement, il faut que les médecins adhèrent et s'engagent.

Alors, nous, on leur a donné des outils. Déjà, il y avait le département régional de médecine générale qui avait été créé par l'ancien gouvernement. Là, on a mis des médecins en cabinet, du territoire, sur le conseil d'administration du CSSS. Alors, ils sont là pour une raison, c'est de participer au projet clinique puis de veiller à ce que le genre de soutien ou de souci que vous manifestez soit concrètement réalisé. Mais la question que je vous poserais, puis vous êtes toutes actives dans le réseau, d'une façon ou d'autre: Comment est-ce qu'on fait pour que les médecins s'engagent dans le projet clinique puis veulent en faire partie? Nous, on veut bien qu'ils en fassent partie, du corridor de services puis de l'organisation, puis on veut asseoir le déploiement du réseau sur la première ligne des soins de proximité, mais il faut être deux, là. Comment est-ce qu'on fait pour susciter cette adhésion?

Le Président (M. Auclair): Mme Michaud? Mme St-Pierre?

Mme Michaud (Pierrette): Oui. Je dirais qu'il y a peut-être une première partie qui est en lien avec la disponibilité des médecins cliniciens, avec leur façon de voir les choses, leur façon de fonctionner. Ils sont dans un système où la rapidité est habituelle, et, dans les comités dont vous faites mention, ce que j'entends, c'est que mon Dieu! que c'est long, mon Dieu! que ça prend du temps. On va faire 20 réunions pour en arriver à décider d'une chose. C'est un petit peu cette réalité des cliniciens qui fait que c'est plus difficile.

Vous parliez des DRMG. Les DRMG effectivement évoluent, là, beaucoup dans l'organisation des services, et effectivement, je partage votre avis, c'est une très bonne voie pour amener les médecins cliniciens à participer dans cette organisation.

Je reviendrais sur les corridors de services. La raison pour laquelle ça nous a tant intéressés ou c'est venu nous chercher, c'est qu'on parlait vraiment d'une hiérarchisation de soins entre les établissements, et c'était plutôt comme une approche... moi, l'image qui m'est venue, c'est une approche pathologie. C'est une approche comme quoi que la personne malade, le patient, il a un problème neurologique, Dr Couillard, on l'envoie passer tel test dans tel hôpital. On a spécialisé les centres hospitaliers. Il a un problème digestif, bien là on va l'envoyer passer tel autre test dans tel autre hôpital. Alors, c'est sûr que la communication est bonne, mais il y a des effets, je dirais, un peu pervers là-dedans. Il y a des effets négatifs. Il y a des effets coûteux aussi. Ces déplacements-là peuvent être comptabilisés.

Et je ramènerais donc l'approche clientèle. Quand on parle de l'approche clientèle, c'est vraiment de dire: C'est la personne au coeur des services, et non de dire: Bon, bien, on pense d'abord au centre hospitalier. On a appelé ça, dans notre document, l'hospitalocentrisme. Ce n'est pas un terme qu'on a inventé, là, il y a plein de monde qui le disent, peut-être qu'on ne vous le dit pas assez souvent. Mais les centres hospitaliers, les soins spécialisés, c'est essentiel, c'est important, mais ce n'est pas là où ça commence. Dans le document de consultation, c'est l'impression qu'on avait, que tout commençait là.

n (11 heures) n

M. Couillard: Mais là-dessus je vais devoir réagir un peu fortement parce que cette étiquette d'hospitalocentrisme sur laquelle on revient souvent, c'est un mythe. Si vous regardez les données, les faits ? et d'ailleurs, hier, M. Béland de l'Université de Montréal l'a bien démontré ? le niveau d'investissement dans les hôpitaux et les médecins n'a quasiment pas augmenté depuis 20 ans. Tous les investissements du système de santé et, depuis 2003 certainement, tous les investissements de développement ont été faits à l'extérieur des hôpitaux. Alors, j'ai de la difficulté à entendre ça parce que les faits démontrent le contraire ? les faits ont la vie dure, vous savez, ils ont la tête dure également ? et, si on avait investi massivement dans les hôpitaux en termes de développement budgétaire, là on pourrait dire qu'on est hospitalocentriste. Mais les cibles de développement prioritaires qu'on a données, c'est les soins de proximité, la santé mentale, l'hébergement, les pertes d'autonomie, la première ligne. Alors, l'hospitalocentrisme, moi, je n'en vois pas, et au contraire on lutte tous les jours contre cette tentation.

Parce que c'est très tentant pour l'autorité politique, pour répondre à un besoin publicisé d'une façon ou d'une autre, d'aller injecter rapidement de l'argent dans les centres hospitaliers. Et ça démontre, je dirais, une certaine ténacité et une certaine constance des priorités de ne pas le faire. Cependant, on les finance, les centres hospitaliers, avec l'indexation qui est accordée maintenant. Mais il n'y a pas de développement budgétaire dans les hôpitaux depuis des années, et les faits le démontrent clairement. Alors, là-dessus, je vous inviterais peut-être à revoir les données des dernières années, puis on vous les fournira.

Maintenant, vous avez parlé des corridors de services. Je vais vous dire en pratique ce qui se produit. Vous avez, à bon escient, utilisé l'exemple des soins de neurologie. Moi, j'ai vécu des situations, quand j'étais en centre hospitalier universitaire, où je recevais un téléphone, à 5 heures du matin, d'un médecin de famille en détresse dans une salle d'urgence d'une région éloignée, qui était à son sixième téléphone pour faire transférer son patient comateux. Ça, ce n'est pas acceptable, là, ce système-là. Alors là, il y a un besoin réel puis une urgence d'agir sur laquelle il fallait agir, et les corridors de services sont là pour ça. Mais que les médecins de première ligne participent à l'élaboration de ces corridors, que ça commence chez eux, moi, je n'ai absolument, là, aucune, aucune objection.

Et ce que vous avez mentionné, je le retiens également, sur les projets cliniques, moi aussi, je trouve à commencer que ça s'étire un peu, le processus. Au début, on a dit: Écoutez, on vous laisse le temps, on ne fera pas les bulldozers, on ne vous dira pas, là, que vous devez finir telle date. Mais il va falloir que ça finisse un jour, là, ces projets cliniques. Et peut-être qu'on fait une recherche de consensus trop... On a cette tendance-là, dans nos sociétés, de rechercher le consensus à tout prix, et un jour il faut trouver l'équilibre puis faire le choix en fonction de l'intérêt commun. Alors, on va, je dirais, au cours des prochains mois, aller revisiter le développement de ces projets cliniques et s'assurer qu'ils prennent vie autrement que sur papier ou dans des salles de réunion.

Vous avez parlé de la périnatalité, là. Il y a une politique de périnatalité qui va être publiée à l'automne. Alors, ce n'est pas par ignorance ou par désir d'éloigner les sages-femmes de la périnatalité qu'il en est peu question dans le document, c'est parce qu'il y a une autre politique, très globale, qui va être publiée là-dessus.

Enfin, pour ce qui est du troisième élément, vous dites: Introduire le privé. On n'introduit pas le privé, le privé existe déjà, hein? Ça fait des années qu'il existe, le privé, dans le système de santé, puis il n'y a pas eu aucun effort des gouvernements précédents pour y mettre fin. Si on reproche l'existence de la médecine à deux vitesses, si on voulait être logique, il aurait fallu interdire le désengagement, il aurait fallu interdire les cliniques de médecins non participants, il aurait fallu interdire les cliniques privées de résonnance magnétique. Alors, ni une formation politique ni l'autre n'a levé le moindre petit doigt pour empêcher l'apparition et le maintien de ces cliniques-là. Donc, c'est faux de dire qu'on a introduit le privé.

Maintenant, là où la définition peut nous séparer, c'est que pour moi la prestation privée de services à financement public, dans le cadre d'un projet régional coordonné et géré par l'autorité publique, c'est du système de santé public du Québec. Alors, la distinction idéologique ou d'orientation, elle est claire, c'est que pour certains le système de santé public veut dire «établissements publics» uniquement, alors que pour moi, pour nous, le système de santé public inclut également la prestation privée à financement public exclusif et dans des modalités qui sont gérées par l'organisation de santé de l'État. Et là je réalise qu'il y a certaines différences qu'on ne peut pas amenuiser, puis celle-là en est une que j'assume pleinement, disons.

Alors, c'est ça qu'on introduit en fait comme nouveauté dans le paysage médical. Ce n'est pas le privé comme tel, qui existe déjà. Les cliniques d'omnipraticiens, qu'est-ce que c'est d'autre que des entreprises privées conventionnées par l'État? 75 % des Québécois ont accès au système de santé par la clinique de leur médecin, qui est une entreprise privée financée par l'État. Alors, il me semble qu'il y a là un discours à recentrer puis des définitions à nous redonner de ce que ça veut dire, le privé. Il faut distinguer prestation privée et financement privé, ça, c'est deux choses. Le financement privé, il existe déjà, les gens paient de leurs poches pour se faire opérer par le Dr Duval à Montréal. Ça, c'est le financement privé. Ce qu'on ajoute, c'est une possibilité très limitée d'avoir une assurance pour ces mêmes chirurgies, qui, on l'a dit souvent, ne réglera ni le financement ni le problème d'accès au système de santé. Il ne s'agit que d'une réponse finalement à une observation qu'on nous fait sur la façon dont les gens peuvent utiliser leur capacité de faire des choix. Mais ça aura la vertu éducative suivante, c'est que, lorsque les gens vont voir si elles existent, ces primes d'assurance ? qui est loin d'être sûr qu'elles vont exister ? le coût que ça représente, les gens vont prendre conscience des coûts réels de ces procédures chirurgicales que nous nous offrons collectivement, avec des efforts publics considérables, et je pense qu'en soi il y a un effet bénéfique dans cette chose-là. Donc, je suis obligé de ne pas être d'accord avec vous lorsque vous dites qu'on introduit le privé dans le système de santé. On le reconnaît parce qu'il est là, puis on n'a pas voulu le dire depuis des années. Mais on fait la distinction entre prestation privée et financement privé. Je pense que la distinction est essentielle.

Le Président (M. Auclair): Qui veut répondre?

Mme St-Pierre (Louise): Merci de cette précision-là. En fait, je pense que ce qu'on peut retenir, c'est qu'on a un peu un reflet des préoccupations de nos membres, et ce que j'entends là, c'est qu'on a besoin peut-être d'en parler un peu plus et de faire cette distinction-là, et vous parliez un peu plus tôt d'un éventuel débat sur le financement du système de santé, pas juste de services de soins mais de santé aussi, et ça pourrait être heureux justement pour faire ces distinctions-là. Parce que ce qu'on vous apporte là, on n'est pas des spécialistes de services de première ligne et de soins, on vous l'a dit d'entrée de jeu, notre spécialité est plus dans la prévention, promotion, on répond aux préoccupations qu'on entend aujourd'hui, et là, bien, vous venez d'éclaircir un peu la situation. Mais je pense que, je répète, ce qu'on retient du débat qu'on a là, aujourd'hui, c'est ce besoin d'en discuter largement, de faire ces distinctions-là et peut-être de rassurer une bonne partie de la population qui voit dans cette proposition-là une ouverture au privé, qui, vous dites, n'est pas si...

M. Couillard: Et il y a même une autre partie de la population, qui est également importante, qui voit plus que ce qu'il y a réellement, hein? C'est ça, la question d'équilibre puis de perception qui est importante là-dedans. Et je peux vous dire que, dans la proposition... pas les propositions, mais le véritable débat centralisé et organisé sur le financement de la santé, qu'il va falloir tenir au Québec, le gouvernement ne proposera pas le financement privé comme solution, parce que le financement privé n'est pas une solution au financement de la santé, il y a d'autres façons d'aborder le problème, puis on en fait le tour actuellement dans la commission qui est devant nous.

Le Président (M. Auclair): Est-ce que M. le ministre a terminé? M. le député de Borduas.

M. Charbonneau: Bien, merci, M. le Président. Alors, mesdames, bon matin. Moi, je vais enchaîner sur cette partie qu'on vient d'aborder pour vous dire: Faites attention, là, n'achetez pas trop vite le discours du ministre tout de suite, là. Parce qu'il y a deux choses, là ? si vous voulez être conscientes, il faut être conscientes de tout ? c'est vrai qu'il y a du financement privé actuellement dans le système de santé, 30 % est financé par le privé, les soins médicaux et hospitaliers sont en général à financement public, et ce qu'on fait actuellement, c'est qu'on va ouvrir la possibilité à des assurances privées, ce qui était interdit jusqu'à maintenant, pour tout ce qui est déjà couvert par l'assurance publique. Alors, ce n'est pas rien. Il y a une dynamique, là, qu'on installe et, même si on prend un discours rassurant pour dire: Écoutez, c'est juste trois petites affaires, dans le fond c'est une petite réponse à la Cour suprême, ça n'aura pas beaucoup de portée, ça crée une dynamique, et ça, ne soyez pas naïves, là. Je veux dire, avant d'acheter le discours rassurant, il y a une réalité. Vous écouterez l'autre groupe qui va vous suivre, vous allez voir qu'il y a l'envers de la médaille. Et l'envers de la médaille, c'est aussi de faire attention.

Nous autres, on n'a pas de problème parce qu'on est d'accord avec le fait qu'il peut y avoir la prestation de services privés à financement public. C'est vrai ce que le ministre dit: nos cliniques médicales d'omnipraticiens sont en général des cliniques privées conventionnées. Bon. Qu'on envisage le même mécanisme pour des médecins spécialistes puis des chirurgies d'un jour, électives, en soi ce n'est pas en contradiction avec ce qu'on fait déjà. La question, c'est: Est-ce que c'est le meilleur choix qu'on peut faire maintenant, compte tenu des coûts qu'on va... Parce qu'il va falloir qu'on achète ces services-là. Est-ce que c'est là qu'on devrait investir pour acheter des services et puis permettre à des gens de faire du profit pour donner des services, ou est-ce qu'on ne pourrait pas faire ça autrement?

Il y a des thèses, là, et puis il n'y a pas juste la thèse qui vient de vous être présentée, il y a la thèse aussi qu'il faut faire attention, parce que ce n'est peut-être pas nécessaire d'aller dans cette direction-là maintenant, peut-être plus tard. Si on ne fait pas... Si on fait la démonstration que, malgré les efforts qu'on pourrait consentir pour faire en sorte que les centres ambulatoires, dans les hôpitaux, puissent justement prendre en charge la partie des chirurgies électives d'un jour et dégager des blocs opératoires plus lourds, disons les centres hospitaliers... Ça, là, c'est une autre approche, là. Alors, moi, je vous dis: Attention.

Je vous fais une autre mise en garde aussi: Faites attention d'arriver trop tard à l'égard de votre étude que vous voulez faire ou de votre dossier que vous voulez ouvrir sur les pratiques commerciales de l'industrie pharmaceutique parce qu'on a déjà ici, dans la commission, étudié un projet de livre blanc du gouvernement sur la Politique du médicament, et puis on a adopté une loi, l'automne dernier, qui est le début. En général, la loi aurait dû venir après la Politique du médicament. Le ministre a choisi de faire déjà des... poser des gestes législatifs. Puis la Politique du médicament devait arriver cet hiver, au printemps par la suite, puis là le ministre nous a dit que ce serait à l'automne. Bon. On peut comprendre qu'il y a des problèmes d'ajustement, et tout ça. Mais la question, c'est que, tu sais, vous allez mettre beaucoup d'efforts puis d'énergies pour peut-être arriver, en bout de course, alors que la politique sera publiée puis qu'il n'y aura plus rien à changer. Si vous ne voulez pas perdre votre temps, là, vous êtes peut-être mieux d'arrimer vos efforts sur ce qui s'est dit en commission parlementaire puis sur les questions sur lesquelles le gouvernement doit éventuellement s'aligner quand le ministre va présenter sa politique du médicament, éventuellement, dans je ne sais pas combien de temps, là, mais, disons, normalement on nous dit que ce serait d'ici à la fin de l'année. Alors, c'est juste un conseil d'ami, là.

n (11 h 10) n

Moi, je trouve ça bien dommage que du monde dans la société se désâme à mettre des efforts, des énergies pour des affaires qui, à un moment donné, finalement, arrivent trop tard. Pas qu'il sera trop tard d'une façon définitive, il n'est jamais trop tard, sauf que, si on a une politique du médicament qui est élaborée puis que les choix gouvernementaux sont faits, on pourra bien critiquer après, mais, si on peut influencer la présentation de la politique et les choix avant qu'ils se fassent, c'est peut-être plus efficace que d'arriver après, quand les choix sont faits.

Ceci étant, moi, je réagis comme le ministre sur la question du fonds dédié, puis effectivement c'est la première fois qu'on pose le problème peut-être de la bonne façon. Et, quand j'entends des groupes venir nous dire aussi... puis on en a entendus hier, entre autres, puis on va en entendre d'autres, je pense, demain, je pense, entre autres, au doyen de la Faculté de médecine de l'Université de Sherbrooke, qui est un spécialiste des questions de vieillissement. Les gens nous disent: Attention, il ne faut pas dramatiser puis que dans le fond peut-être que les gens pourraient vieillir pas mal plus en santé. C'est vrai à une condition, c'est que les gens adoptent des bonnes habitudes de vie, parce qu'ils ne vieilliront pas en santé s'ils continuent sur l'erre d'aller.

Les baby-boomers, là, ils ne sont pas tous... ils ne s'alimentent pas tous très bien et puis ils ne font pas tous beaucoup d'exercice, puis il y en a encore un bon paquet qui fument, sans compter les problèmes de toxicomanie de toutes sortes, y compris l'alcool, etc. Bon. Alors, c'est bien beau de nous dire... Puis, moi, je pense qu'effectivement il pourrait y avoir un vieillissement en santé à condition qu'on investisse d'une façon significative pour les amener à changer leurs comportements, eux, leurs enfants puis leurs petits-enfants. Parce qu'on est déjà rendus là, là, les baby-boomers, dans certains cas, sont déjà grands-parents, là, et puis leurs petits-enfants, ils sont dans les écoles actuellement, primaires puis secondaires. Ceux comme moi, là, qui ont attendu avant de les faire, bien ils ont juste... ils sont encore au secondaire, ou au cégep, ou même, tu sais, dans certains cas, peut-être au primaire, mais ça achève. Mais ça veut dire, là, qu'il y a quelque chose d'important à aller chercher là en relation, parce que...

Mais là, là, la vraie question, c'est: Jusqu'où on va faire pour le vrai ou on va faire semblant? Parce que, moi, je pense que le Québec fait semblant de parler de prévention puis de s'occuper de prévention depuis des années, puis ça, indépendamment des partis. Je veux dire, tous les partis qui ont occupé la responsabilité gouvernementale n'ont pas été au bout de ce qu'il fallait faire au niveau de la prévention. C'est l'avenir qui va le voir qui va se démarquer, mais pour le moment, là, tout le monde est à la case de se renvoyer dos à dos, puis personne ne peut se vanter, là, qu'on y a mis des énergies. On avait fait des choses, mais, compte tenu de l'ampleur des défis, là, c'est marginal malgré tout par rapport à ce qui devrait être fait.

Quand on nous dit ici, en commission, groupe après groupe qui nous parlent de prévention, que le Québec met 2 % de son budget en santé et services sociaux en prévention, alors qu'il faudrait en mettre 5 %, bien 5 %, là, sur 22 milliards ou 21 milliards, c'est pas mal d'argent, là. Ça, ça veut dire qu'il va falloir trouver une façon de le mettre, cet argent-là, et il va falloir accepter de faire les choix. Puis c'est vrai que, si on y met un investissement significatif, on peut peut-être, justement, avoir un impact réel. Puis, à ce moment-là, si l'impact réel est au rendez-vous, là il y aura un bénéfice puis une plus-value dont le ministre parlait tantôt, c'est-à-dire de faire en sorte que les économies soient au rendez-vous quant à l'utilisation des services médicaux et hospitaliers, parce que les soins de santé, c'est une chose, vous l'avez bien dit, puis la situation de la santé globale, c'en est une autre.

Je ne sais pas, j'aimerais ça... D'abord, vous avez parlé du mouvement international. J'aimerais ça que vous développiez un peu plus quand vous disiez: Bon, bien, ailleurs, ça se fait. Qu'est-ce qui se fait ailleurs? Puis jusqu'où on est allé, ailleurs, dans cette direction-là? Quelles sont les sociétés qui ont pris vraiment le virage de la prévention?

Mme St-Pierre (Louise): En fait, ça se fait par différentes formes. Et, en ce qui concerne les fonds dédiés, je pense qu'en Australie il est un peu un modèle. Depuis 1989, je crois, qu'ils ont mis sur pied le VicHealth, en Australie, qui a démontré des... déjà cinq ans après, ils faisaient une première analyse et qui a démontré des effets positifs sur la santé. D'autres pays ont suivi, la Thaïlande, la Corée, l'Autriche, et l'OMS, l'Organisation mondiale de la santé, qui regarde avec beaucoup d'intérêt le développement de ces fonds-là, supporte un réseau international des fonds dédiés à la promotion, prévention pour supporter d'autres pays à réfléchir sur leurs propres façons, avec leurs propres contextes, comment eux aussi peuvent démarrer une activité comme celle-là.

Parce que, tu sais, vous parliez du Québec, le 2 % par rapport au 5 %, je pense que c'est ça dans les autres provinces et c'est ça dans les autres pays aussi, cette difficulté toujours d'être en compétition, si on peut dire, avec le curatif, qui est tout à fait légitime, donc ce besoin de sortir du système. Et je sais que Santé Canada, l'agence de santé publique, réfléchit à ça aussi. Donc, il y a comme un mouvement. Je pense qu'avec une prise de conscience des coûts des systèmes de santé qui vont en grandissant dans tous les pays et cette nécessité de trouver d'autres voies pour assurer la prévention dont on voit tous...

M. Charbonneau: L'Australie, ils l'alimentent comment, leur fonds?

Mme St-Pierre (Louise): Avec la taxe sur le tabac. Ça a commencé avec la taxe sur le tabac, et, depuis 1996, c'est le gouvernement qui a pris en charge ce fonds dédié. En Suisse, c'est tabac... En Suisse, c'est financé par le gouvernement... non, par les assurances de la santé. Alors, ils prélèvent une partie des assurances santé. Ils ont un système qui est beaucoup plus basé... Ce qui est intéressant en Suisse, c'est que le conseil d'administration de ce fonds-là est vraiment multidisciplinaire, je pourrais dire, ou multisectoriel. Il y a évidemment des représentants des assureurs, mais il y a les entreprises, il y a les cantons, des représentants de cantons, les représentants de santé publique.

Et ça m'amène à une voie qu'on n'entend pas souvent. En fait, si on a pris la peine ou en tout cas la précaution de placer d'entrée de jeu la responsabilité de l'amélioration de la santé de la population qui ne relève pas seulement du ministère de la Santé, qu'il y a aussi, comme responsabilité, le système de soins, on pense qu'il faut... on peut capitaliser davantage sur les forces vives du milieu qui sont, par exemple, les autres ministères. On sait qu'au Québec on a une loi de santé publique, avec notre fameux article 54, qui demande aux autres ministères, aux autres secteurs de la société de contribuer à la santé à même leurs propres missions. Il y a les entreprises aussi, les entreprises privées au Québec, on n'a pas développé ça beaucoup, cet incitatif auprès des entreprises de faire de la promotion ou de la prévention à l'intérieur de leurs organisations, alors qu'eux-mêmes ont un intérêt très grand à avoir des employés en santé. Et donc ce qu'on croit, c'est que le ministère de la Santé, ce n'est pas nécessairement seulement à lui d'injecter de l'argent en promotion, prévention, ça fait partie de sa mission, mais il n'est pas le seul.

Il peut aussi jouer un rôle de leader auprès des autres secteurs de la société et auprès aussi des organismes, des municipalités, des entreprises. Les grosses entreprises le font actuellement, là. La Société de l'assurance automobile du Québec, depuis 1989, a un programme de promotion de la santé, là, qui n'est pas associé à la santé au travail. Ils ont une salle d'activité physique. Ils font de la gestion du stress. Ils sont même rendus à un moment où ils regardent les conditions organisationnelles qui affectent la santé et la détresse psychologique et à même leur fonds, le fonds public. C'est à même leur fonds parce qu'ils y voient un avantage. Donc, on pense qu'à cet égard-là, pour améliorer la santé de la population, il y a d'autres voies. Il y a une capitalisation des forces vives de notre milieu qu'on pourrait utiliser davantage à notre avis.

M. Charbonneau: Mais il y a un hanarche...

Mme St-Pierre (Louise): Harnachement...

M. Charbonneau: ...harnachement des forces, mais il va falloir aussi qu'il y ait un harnachement des moyens et puis que les moyens à la limite soient à la hauteur des ambitions. Autrement, à mon avis, là... Puis, comme je l'ai dit à plusieurs reprises depuis le début de la consultation générale, tu sais, ça va faire 30 ans, moi, que je siège ici, à l'Assemblée nationale, le 15 novembre, là, puis je vais vous dire, là, j'en ai entendu, des discours vertueux sur la prévention, là, eh, seigneur! J'ai même présidé une commission parlementaire spéciale sur la protection de la jeunesse puis une partie de notre rapport, puis c'était avec l'ancienne ministre de la Santé ? à l'époque elle était dans l'opposition, puis après ça elle est devenue ministre de la Santé ? Thérèse Lavoie-Roux, on a parlé beaucoup de prévention. Je veux dire, la réalité, c'est que les argents investis en prévention ne sont jamais à la hauteur des discours vertueux, et donc on n'arrive jamais à avoir finalement d'impact signifiant qui ferait la différence. On n'arrive jamais à développer une masse critique et à avoir une influence signifiante qui feraient en sorte que tout à coup, là, là il y aurait comme une espèce, tu sais, de déclic.

Vous disiez tantôt: Ça prend du temps, changer les comportements culturels. Je vais vous dire une affaire, là, s'il faut attendre 30 ans comme on a pris 30 ans pour juste la question du tabac, mais, dans 30 ans, là, je veux dire, moi, là, je vais en avoir 86, là, et là je vais être dans la chaise berçante puis je vais dire... Si, aujourd'hui, comme baby-boomer, là, je n'ai pas pris des bonnes habitudes, là, je vais vous dire, je vais vous coûter cher pas mal dans 30 ans puis je vais coûter cher à mes enfants puis à mes petits-enfants. Puis ça, c'est vrai pour moi, là, qui ai 56 ans, mais c'est vrai pour les autres qui sont plus jeunes, là. Alors, en bout de piste, là, il y a comme un choix fondamental: on vire ou on ne vire pas. Puis, si on vire, on vire pour le vrai, sinon arrêtons de faire semblant, là.

n (11 h 20) n

Le Président (M. Auclair): Mme Thibodeau.

Mme St-Pierre (Louise): ...on est là, on vous appuie.

Le Président (M. Auclair): Si vous me permettez, Mme Thibodeau voulait prendre parole.

Mme Thibodeau (Lucie): Oui. Je voulais ajouter quelque chose en termes de virage puis de prévention. Je pense qu'un moment clé pour faire un virage, c'est autour de la naissance d'un enfant, en périnatalité. La politique de périnatalité, effectivement on a participé, l'association, à la consultation qui est en ce moment, dans chacune des régions, sur le projet de politique, et, en postnatal, jusqu'à maintenant, dans le document, il n'y a pas beaucoup de soutien apporté à l'ensemble des parents en reconnaissance du fait que c'est une période de grand bouleversement, d'adaptation qui nécessite un accompagnement, qui n'a rien à voir avec la non-compétence des parents ou le fait que, de nos jours, on n'arrive plus à s'occuper des enfants, mais c'est juste que c'est une période d'apprentissage, une période de changement, une période où est-ce qu'on a besoin de partager avec les autres, de vivre ça en communauté, d'être rassuré et d'être soutenu pour éviter justement qu'il y ait des problèmes qui commencent à ce niveau-là, en termes de prise en charge parentale. Ça fait que, dans la politique de périnatalité, pour l'avoir lu, le projet, je peux vous dire qu'on n'est pas en train de faire un grand virage en termes de soutien à l'ensemble des parents, en postnatal, alors que c'est reconnu, quand on agit sur les territoires, comment les parents ont des besoins à cette période-là. Les mamans sont à domicile pendant un an, mais un an tout seul dans ta maison, avec ton bébé, là, ce n'est pas très santé puis ce n'est pas la meilleure façon de commencer une vie parentale.

Alors, moi, en tout cas, j'interpelle le ministre de la Santé à ce sujet-là pour s'assurer que, le soutien postnatal, on n'attende pas que les gens soient en difficulté, puis ce n'est pas seulement les clientèles vulnérables qui ont besoin de ressources. Ça ne coûterait pas des fortunes parce qu'il y a des organisations terrains qui sont tout à fait habilitées, qui ont de l'expertise pour accompagner les parents. On n'a pas besoin de soins de santé, là, on parle d'accompagnement terrain dans la communauté.

M. Charbonneau: Il y a une chose dont vous avez parlé tantôt, quand vous avez parlé de la problématique de la première ligne, c'est que vous disiez que les comités, c'est long, tout ça, là. Je serais porté à vous dire: Faites attention aussi, tu sais, il y a l'envers de la médaille. L'envers de la médaille, c'est que la démocratie, là, c'est toujours plus long. La dictature éclairée, c'est pas mal plus rapide, mais ce n'est pas sûr que finalement ça réussit à rassembler puis à faire en sorte que les gens adhèrent facilement au projet. On peut bien faire des projets cliniques décidés en haut, là, à la limite on n'a même pas besoin de donner ça comme mandat aux agences ou aux établissements, là, on a juste à décider ça au ministère, mais, si on pense qu'il faut que les gens soient associés, c'est clair que c'est plus long, c'est évident que... Là, à un moment donné, il faut que ça aboutisse, là, il y a un temps pour la discussion puis l'exercice démocratique, puis il y a un temps pour le choix puis la décision, mais, moi, je serais... Puis je pense que le ministre a raison de dire qu'il faut que les plans cliniques, ça ne prenne pas cinq ans à s'élaborer, mais en même temps il faut faire attention aussi pour faire en sorte qu'ils soient élaborés de telle sorte que les gens y adhèrent.

Puis un des problèmes qu'on a justement, c'est l'adhésion des intervenants, puis en particulier des médecins, pour qu'ils changent leur comportement culturel à l'égard de la première ligne, là, et, bon, vous, vous êtes médecin, Mme Michaud, j'aimerais ça que vous nous parliez un peu de la résistance de vos collègues médecins, là, pour embarquer dans toute cette pratique nouvelle. Parce que, tu sais, il y a comme deux cultures: il y a ceux qui acceptent de faire la prise en charge populationnelle, puis il y a ceux qui préfèrent rester encore dans leurs cabinets, pépères, tranquilles, sans infirmière puis sans approche multidisciplinaire. Pourquoi c'est si résistant que ça?

Mme Michaud (Pierrette): Je ne pense pas que je vais vous donner de réponse. C'est une belle question, mais il n'y a pas de réponse. Je crois que, tout à l'heure...

M. Charbonneau: ...plusieurs réponses, remarquez, là.

Mme Michaud (Pierrette): Oui, oui. Ce que je voulais apporter, c'est peut-être dans le même contexte que ce qu'on a présenté au début, c'est un changement de culture, c'est un changement de mentalité, c'est un changement de normes sociales. Et comment nos collègues cliniciens fonctionnent? Je vous l'ai dit, eux autres, ils fonctionnent dans l'urgence, donc ils sont moins habitués que nous à participer à des comités, à décider ceci, à décider cela. Ça dépend des régions, je dirais, comment ça peut se passer. Il y a des endroits où ça va très, très bien, les médecins participent, les DRMG participent, les tables territoriales sont actives. Bon, il y a tout ce mécanisme-là qui est en place et il faut miser là-dessus. Mais je pense aussi qu'il faut retenir que les cliniciens aiment ça quand les décisions se prennent puis se prennent quand même assez rapidement. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas appuyer le processus démocratique, ce n'est pas ça, pas du tout. Mais c'est plus de comprendre leurs contextes puis d'aller les chercher dans leurs contextes. Je ne voudrais pas intervenir plus que ça sur cette question. Puis-je profiter du fait que je reprends la parole pour parler...

M. Charbonneau: Je vais vous la laisser en conclusion, parce qu'il ne reste quasiment plus de temps. Alors, allez-y donc.

Le Président (M. Auclair): Il vous reste une minute, Mme Michaud, pour conclure.

M. Charbonneau: Alors, finissez donc. Plutôt que ce soit moi qui parle, allez-y.

Mme Michaud (Pierrette): Ah! Conclure, bon, conclure. Pour conclure, je reviendrais sur la question du vieillissement de la population. Vieillir en santé, c'est possible, et la cohorte des baby-boomers actuellement, c'est vrai qu'elle vit en meilleure santé. C'est l'ICIS, l'Institut canadien d'information sur la santé, qui confirme qu'elle vieillit en meilleure santé et avec de meilleures habitudes de vie. C'est intéressant de savoir ça parce que ça nous dit: Bien, est-ce que c'est la bonne cible? Est-ce que, quand on dit les coûts engendrés par le vieillissement de la population, c'est ce qu'on va avoir? On n'est pas certains de ça.

Vous avez parlé de l'espérance de vie de nos enfants. C'est vrai que, si on suit l'espérance de vie qu'on connaît actuellement, on pourrait dire que nos enfants vont vivre jusqu'à 100 ans. Mais malheureusement...

Le Président (M. Auclair): Je vais vous demandez de conclure, s'il vous plaît.

M. Charbonneau: Malheureusement. Allez-y.

Mme Michaud (Pierrette): Alors, malheureusement, ce sont nos enfants qui souffrent du problème d'obésité actuellement, dont on ne connaît pas l'évolution d'une maladie associée, et en conclusion ça peut être eux autres qui vont faire que l'espérance de vie va diminuer, qu'on va perdre les gains qu'on a faits dans les dernières décennies. Merci.

Le Président (M. Auclair): Bien, merci beaucoup. Malheureusement... Mme Thibodeau, Mme Michaud, Mme St-Pierre, merci beaucoup de votre présentation. Donc, on va passer maintenant au prochain groupe.

J'invite M. Damien Contandriopoulos, M. Régis Blais et Mme Marie-Pascale Pomey, s'il vous plaît, à prendre place à la table.

On va suspendre quelques secondes, s'il vous plaît.

(Suspension de la séance à 11 h 27)

 

(Reprise à 11 h 28)

Le Président (M. Auclair): On va reprendre maintenant la commission. Maintenant, donc, M. Damien Contandriopoulos, M. Régis Blais et Mme Pascale Pomey, bonjour. Bienvenue. Je veux juste vous rappeler qu'on bénéficie d'une heure, donc 20 minutes pour votre présentation, et 20 minutes également pour le parti ministériel, et 20 minutes pour l'opposition officielle. Donc, je vous demanderais, s'il vous plaît, de débuter en vous identifiant bien, quand vous allez prendre la parole, s'il vous plaît. Merci.

MM. Damien Contandriopoulos, Régis Blais
et Mme Marie-Pascale Pomey

M. Contandriopoulos (Damien): Merci beaucoup. Bonjour. Merci, M. le Président, M. le ministre, mesdames, messieurs. Merci beaucoup de l'invitation à présenter notre mémoire. On est très heureux d'avoir l'occasion de le faire.

En termes de présentation, nous sommes tous les trois du Département d'administration de la santé de l'Université de Montréal et du Groupe de recherche interdisciplinaire en santé. Ma collègue Marie-Pascale Pomey est par ailleurs médecin et professeure adjointe au département; Régis Blais, professeur titulaire au département; et, moi-même, je suis chercheur adjoint dans le même département. C'est moi qui vais présenter le document, mais c'est bien évidemment un travail collectif de notre part à tous les trois.

Notre présentation est en trois points: d'une part, notre lecture personnelle du document Garantir l'accès: un défi d'équité, d'efficience et de qualité, des objectifs et des moyens; une discussion à partir de quelques exemples de ce qui à notre avis constitue des problèmes dans la proposition actuelle; et ensuite une brève présentation de ce qui constituerait à notre avis des pistes de solution par rapport à ces problèmes-là.

n (11 h 30) n

Pour commencer, une mise en garde importante: nous ne sommes pas d'avis que le statu quo est une solution au problème ou une situation acceptable pour le système actuel. Le système de santé québécois présente actuellement quelques problèmes significatifs majeurs qui nécessitent une intervention, et parmi ceux-là il existe un problème d'accessibilité. Le système de santé québécois reste parmi les plus performants du monde en ce qui a trait à l'abolition des barrières d'accessibilité liées au revenu. On peut comparer sa performance avec les 45 millions d'Américains qui n'ont pas d'assurance médicale ou même, jusqu'à il y a très peu de temps, aux 300 000 personnes en France qui n'avaient pas d'assurance médicale. À l'inverse, la situation au Québec est exemplaire, à ce titre.

Par contre, il existe des problèmes d'accessibilité au niveau des temps d'attente, de la capacité à voir un médecin spécialiste, de la capacité à avoir accès aux tests diagnostics, etc. Dans certains cas, rares mais possibles, ces problèmes d'accessibilité peuvent être suffisamment graves et mettre en péril la santé ou la vie des citoyens. Nous lisons le jugement de la Cour suprême, comme le suggère Marie-Claude Prémont, juriste à McGill que vous avez entendue... de comprendre donc le jugement de la Cour suprême comme étant une mise en demeure forçant le gouvernement à intervenir rapidement pour s'assurer que ces problèmes d'accessibilité ne mettent pas en danger la vie ou la sécurité des gens. Et à ce titre nous voulons reconnaître à la fois non seulement les efforts, mais dans plusieurs cas les succès du ministre et de son gouvernement pour améliorer la situation de l'attente dans plusieurs secteurs. Et nous sommes d'accord avec les objectifs mis de l'avant et les principes mis de l'avant dans le document, entre autres préserver et améliorer notre système public et universel de santé et le faire en s'appuyant sur les pratiques qui ont déjà fait leurs preuves dans d'autres contextes, et nous sommes tout à fait d'accord avec ces deux choix.

En revanche, en ce qui a trait aux moyens proposés et aux façons de faire, nous sommes d'avis que ces moyens vont souvent aller à l'encontre des objectifs. Le problème des listes d'attente à notre avis ne sera pas résolu par les moyens proposés actuellement. Et il existe effectivement des pratiques qui ont fait leurs preuves, que ce soit au Canada ou ailleurs dans le monde, mais, à notre grande surprise, ces pratiques ne se trouvent pas traduites dans les propositions qui sont mises sur la table.

Globalement, notre lecture du document, c'est de dire que les listes d'attente s'expliquent par une insuffisance des capacités de production actuelles dans le système public. À notre avis, ce n'est pas la cause principale des listes d'attente, et la cause des listes d'attente est d'une nature beaucoup plus complexe. Pour le comprendre, il faut comprendre que tout d'abord les soins de santé ne sont pas des biens comme les autres. Contrairement à ce qu'explique la famille Castonguay, le taux d'intervention, dans le domaine de la santé, est extrêmement dépendant de l'offre. Il y a d'innombrables études qui le démontrent, en particulier aux États-Unis. Le fait d'avoir une chirurgie cardiaque est en grande partie expliqué par la proximité du lieu où on habite avec un hôpital qui offre la chirurgie cardiaque. Par contre, les gens qui bénéficient donc de taux d'intervention plus élevés en chirurgie cardiaque globalement ne sont pas en meilleure santé. Ça n'améliore pas la santé de la population de ces régions-là.

Donc, dans le domaine des soins de santé, offrir plus de soins n'est pas toujours en lien avec une amélioration de la santé de la population, ce qui est évidemment l'objectif final. Un rapport du Conseil médical, en 1997, au Québec, concluait sans équivoque qu'une part significative des services médicaux sont non pertinents par rapport aux besoins de la population ou par rapport aux meilleures pratiques.

Augmenter l'offre en multipliant les types de producteurs et les sources de financement à notre avis ne va favoriser ni l'efficience, ni la qualité, ni l'équité. On voudrait utiliser deux exemples pour mettre en valeur cette prise de position. Dans plusieurs provinces canadiennes, il y a eu des efforts majeurs faits pour augmenter l'offre dans le domaine de la chirurgie de la cataracte. Ça a été vrai en Alberta, ça a été vrai en Colombie-Britannique, et il y a des études qui ont été faites ensuite pour voir quel était l'effet de cette augmentation de l'offre en termes de chirurgie. Au niveau de la cataracte, une étude extrêmement bien documentée, en Colombie-Britannique, montre que, suite à l'augmentation du nombre d'opérations de la cataracte, 31 % des patients qui sont opérés pour la cataracte ont une vue presque parfaite avant l'opération, et 26 % des patients opérés ont une moins bonne vue après l'opération.

Si on utilisait ces statistiques-là au Québec, et on va le faire, on arriverait à l'idée que ce n'est pas forcément un problème d'offre. On a parlé au chef du département de chirurgie d'un important hôpital montréalais, qui disait que, dans son établissement, suite à des efforts faits par le ministre, les listes d'attente avaient diminué au point d'inquiéter les ophtalmologistes de son établissement. Et il a conclu, en riant, en disant: Le simple fait d'avoir un cristallin était rendu en soi une indication clinique pour se le faire enlever. Rien qui nous rassure encore.

L'année dernière, il s'est fait un petit peu plus de 66 000 opérations de la cataracte au Québec. Si on utilise les pourcentages que j'ai mentionnés, ça donnerait un petit peu plus de 20 000 interventions qui auraient été réalisées chez des gens dont la vue est presque parfaite, et ça aurait aussi donné un petit peu plus de 17 000 interventions dont le résultat clinique aurait été une moins bonne vue. À titre de référence, il y a environ 15 000 personnes en attente de chirurgie de la cataracte en ce moment, sur les listes, dans tout le Québec.

Ce qu'on veut faire ressortir avec ces chiffres, c'est qu'en extrapolant au Québec le résultat des études qui ont été faites dans d'autres provinces canadiennes, on en arrive à l'idée qu'il est possible qu'il se fasse actuellement plus de chirurgies de la cataracte chez les gens dont la vue est presque parfaite au Québec qu'il n'y a actuellement de gens en attente pour la chirurgie de la cataracte. Problème majeur selon nous, est-ce qu'il existe actuellement des mécanismes valides qui permettent de savoir si les gens qui sont en attente pour une chirurgie de la cataracte ont réellement cliniquement besoin de cette intervention? La réponse est malheureusement, à notre connaissance, non.

Deuxième exemple que nous voudrions soulever: l'arthroscopie du genou dans le cas des douleurs liées à l'ostéoarthrite. L'arthroscopie du genou, pour les gens qui comme moi ne sont pas des spécialistes... L'arthroscope, c'est une minuscule caméra qu'on insère dans l'articulation en injectant du liquide physiologique. Et on utilise cette intervention, juste l'arthroscopie, pour soulager les douleurs liées à l'ostéoarthrite.

L'arthroscopie, c'est l'intervention la plus courante au Québec, en chirurgie orthopédique, et c'est une intervention qui a une très forte variation géographique des taux d'intervention. Très forte variation géographique des taux d'intervention, ce que ça veut dire, c'est souvent un indice d'un problème dans l'utilisation des ressources et dans le niveau de la pertinence de l'intervention.

En 1998, il se pratiquait 650 000 arthroscopies du genou pour cette indication-là, aux États-Unis, pour un coût total de l'ordre de 4 milliards de dollars canadiens, donc pas des cacahuètes. Des études publiées dans les meilleurs journaux médicaux ont montré que, pour cette indication-là, cette intervention-là n'avait qu'un effet placebo. Autant dire, ça ne sert à rien.

Il s'est pratiqué, l'année dernière, un petit peu plus de 11 000 arthroscopies du genou au Québec, et il n'existe à notre connaissance aucun mécanisme permettant de savoir quelle proportion, s'il y en a une, de ces intervention-là ont été utilisées dans une indication de douleur d'ostéoarthrite. Ici encore, le bien-fondé d'augmenter les capacités de production sans se poser des questions sur l'utilisation que nous faisons actuellement des capacités de production n'est pas forcément une façon de maximiser l'efficience du système.

Les exemples que nous avons mentionnés ne sont pas des guides cliniques, ce n'est pas des exemples de mauvaises pratiques forcément, mais c'est minimalement des données qui à notre avis nécessitent... ou devraient attirer l'attention sur le besoin de se poser des questions, à ce niveau-là.

Autre chose, dans le livre blanc, trois interventions sont identifiées pour une ouverture au privé, donc les chirurgies de la hanche, du genou et de la cataracte. À l'échelle internationale, ces interventions-là, qui sont des interventions qui s'adressent généralement aux personnes âgées et sont des interventions qui laissent place à une liberté de la part des cliniciens, à savoir si ladite intervention est ou non nécessaire, ces interventions-là sont spécifiquement des exemples de types d'interventions pour lesquelles il faut agir par le biais de protocoles de bonne pratique, de prise en charge intégrée, avoir des critères cliniques d'admissibilité et une priorisation des cas.

Ce que nous lisons dans le livre blanc, c'est une avenue relativement différente. À notre avis, ce qui est fondamental et ce qui devrait être fait, c'est de s'assurer simultanément que les interventions nécessaires sont faites, c'est-à-dire en gros ce que demande la Cour suprême, mais aussi de s'assurer que les interventions faites sont nécessaires. Et cette avenue-là nous semble insuffisamment présente dans la proposition. Pour arriver à faire ça, il faut avoir d'une part une approche cohérente et centralisée des listes d'attente. Il faut avoir des mécanismes à la fois cliniques et organisationnels d'information et de gestion et il faut être capable d'harmoniser les modes de pratique et d'avoir des guichets uniques.

Nous proposons deux leviers principaux qui permettraient d'arriver à un tel résultat. D'une part, sur les listes d'attente, un mécanisme intégré. Quand un patient est diagnostiqué, le patient devrait être inscrit sur une liste d'attente unique et centralisée. Suivant les interventions, ça pourrait être au niveau provincial ou au niveau régional. Deuxièmement, l'inscription sur la liste devrait ? et c'est fondamental à notre avis ? inclure des critères cliniques d'admissibilité. Donc, par exemple pour la cataracte, ça voudrait dire que tels critères cliniques doivent être rencontrés pour qu'un médecin puisse inscrire son patient sur la liste d'attente. Troisième chose, la liste devrait être gérée de manière centralisée et elle devrait allouer les interventions dans leur ordre d'inscription aux différentes structures de production. Réellement, une intégration de la gestion. Ce n'est pas une approche qui est facile. C'est une approche qui va demander une collaboration de tous, qui va probablement soulever un certain nombre d'oppositions, mais c'est la seule approche qui à notre avis permettrait une gestion efficiente du problème des listes d'attente.

n (11 h 40) n

Deuxième chose, les goulets d'étranglement. Dans tout système organisationnel complexe, il y a des dysfonctions. C'est normal. Et, dans le système de santé québécois, il existe un certain nombre de dysfonctions qui ont un impact sur l'existence et la persistance des listes d'attente, en particulier la fermeture des salles d'opération plusieurs heures par jour, un certain nombre de plafonds de rémunération des spécialistes et l'utilisation de l'urgence comme à peu près la seule porte d'entrée, que ce soit pour les plateaux diagnostiques, pour l'accès aux spécialistes ou pour l'accès aux lits, tous des facteurs qui ont des impacts majeurs sur les listes d'attente. À notre avis, il est impératif que tant le ministère que les agences régionales fassent un travail continu pour identifier et analyser quels sont les goulets d'étranglement du système public et fassent des efforts proactifs d'intervention pour supprimer ces goulets d'étranglement.

Des exemples de bonne pratique. Le Royaume-Uni a toujours permis l'existence d'un système de production privé parallèle et d'un système de financement parallèle relativement proche de ce qui est proposé ici mais plus large. Le Royaume-Uni, malgré ce système parallèle, a toujours connu des listes d'attente dramatiques, des listes d'attente énormes. Ce n'est que très récemment que le problème se résorbe. La solution à la résorption des listes d'attente, ça a été un réinvestissement ciblé d'argent public vers les goulets d'étranglement du système. Les listes d'attente ont chuté de 35 %. L'attente longue, plus de six mois, a virtuellement disparu, et le temps moyen d'attente tourne aujourd'hui autour de 11 semaines.

Plus proche de chez nous, en Alberta, un projet majeur de réorganisation du trajet du patient pour les opérations du genou et de la hanche ? quelque chose qui nous concerne ? basé sur le guichet unique et sur la «queuing theory», donc quelque chose qui gère les listes d'attente un petit peu comme ce que je viens de présenter. Les résultats préliminaires sont extrêmement encourageants. La durée d'attente est passée de proche d'un an à 10 semaines en moyenne, actuellement.

Troisième exemple, en Ontario ? encore quelque chose qui est relativement proche de nous ? il y a une «wait time strategy», avec une injection ciblée d'argent, avec des incitatifs financiers visant l'augmentation de la productivité des institutions publiques dans certains domaines spécifiques. On a une augmentation de 16 % des chirurgies de la cataracte, 28 % des prothèses de la hanche et du genou, 42 % des IRM. Ce dernier exemple est relativement proche de ce qui se passe actuellement, par exemple à Montréal, dans le domaine de la chirurgie de la cataracte, etc.

Si ? et c'est notre avis ? la solution est de cette nature, malheureusement plusieurs des avenues proposées dans le livre blanc risquent d'être du côté du problème. La mise en place d'un système de production avec des producteurs privés additionnels et un financement privé, donc une nouvelle source de financement, rend d'autant plus improbable la mise sur pied d'une gestion intégrée et cohérente des listes d'attente et des pratiques professionnelles. Entre autres, le livre blanc continue à proposer que les listes d'attente fonctionnent établissement par établissement, et à notre avis ce n'est pas optimal. À notre avis, ce dont le système a besoin, ce n'est pas de multiplier les sources de financement ni de multiplier les types de producteurs, mais c'est au contraire de resserrer considérablement l'intégration et l'harmonisation des pratiques cliniques et organisationnelles, et ce n'est certes pas au père de la loi n° 25 que nous apprendrons les bénéfices de l'intégration.

Au niveau de la qualité, une des composantes essentielles du concept même de qualité dans le domaine des soins de santé, c'est l'adéquation entre les besoins et l'intervention. Dans le livre blanc, nous n'avons pas trouvé de mécanisme permettant d'agir à ce niveau.

Au niveau de l'équité, l'élargissement du domaine ouvert au financement et à la production privée est à notre sens, de manière assez évidente, une régression. Et, entre autres, les problèmes d'équité visibles dans les domaines actuellement ouverts au privé, que ce soient les tests diagnostics, la réadaptation, les soins dentaires, sont suffisamment évidents pour qu'on n'ait pas besoin de s'appesantir sur le sujet.

Un problème d'équité peut-être moins visible. Le fonctionnement des listes d'attente actuelles, établissement par établissement, pose un problème d'équité puisque l'ordre dans lequel seront traités les patients va être souvent dépendant de l'institution à laquelle ils se sont adressés plus qu'à leur ordre d'arrivée ou aux besoins qu'ils ont.

Au niveau de l'efficience et de la pertinence, je pense que les exemples que nous avons donnés montrent que, tant qu'on ne s'intéresse pas à savoir est-ce qu'il y a une bonne adéquation entre les services et les besoins, est-ce que la pertinence est prise en compte dans l'offre de service, il ne sera jamais possible d'être efficient. Que l'argent vienne des taxes et des impôts et qu'on l'appelle public ou qu'il vienne de paiements directs et des assurances et qu'on l'appelle privé, essentiellement l'argent vient des mêmes poches. Et ce qui est sur la table, c'est une augmentation de l'offre et une augmentation donc des sommes qui y sont consacrées.

À notre avis, en se concentrant sur des mécanismes qui permettent de s'assurer que les interventions faites sont réellement pertinentes et de s'assurer que les interventions sont en fonction des besoins des gens, il existe une marge et une possibilité de réallouer des sommes actuellement consacrées à des opérations à la pertinence discutable, pour réallouer ces sommes vers des domaines d'intervention essentiels.

Le titre du mémoire que nous avons déposé, c'est De la difficulté de remplir une baignoire qui fuit, et nous ne voudrions pas terminer notre présentation sans aborder, de façon brève et métaphorique, la question des baignoires qui fuient.

Le problème, avec une baignoire qui fuit, c'est qu'il faut constamment trouver une solution pour qu'elle reste pleine, puisque, si on ne fait rien, la baignoire se vide. Globalement, il y a deux façons de garder une baignoire qui fuit pleine. La première, c'est d'y rajouter continuellement de l'eau, et la deuxième, c'est d'essayer de comprendre d'où la baignoire fuit, pourquoi la baignoire fuit et comment s'arranger pour qu'elle arrête de fuir.

Si on veut utiliser cette analogie de la baignoire pour comparer les solutions sur la table, à notre avis la proposition consiste essentiellement à rajouter de l'eau dans une baignoire qui fuit. Avec ce que l'on sait ? et il y a de nombreuses études extrêmement, totalement indiscutables sur le fait que la nature des soins de santé et du marché de leur production va faire en sorte qu'on peut augmenter presque à l'infini les capacités de production ? ces capacités de production seront toujours utilisées. Une quantité proportionnelle de soins seront prescrits, produits et consommés, avec ce que ça implique au niveau des coûts. Malheureusement, cette augmentation de la production ne se traduira généralement pas par une amélioration de l'état de la santé de la population.

Pour reprendre notre analogie, le domaine des soins de santé s'apparente à une baignoire avec un trop-plein. Au-delà d'un certain seuil, on peut rajouter de l'eau tant qu'on veut, c'est un gaspillage net. À l'inverse, l'approche que nous proposons, de se centrer sur la pertinence et l'adéquation, de se centrer sur la gestion cohérente des listes d'attente, de se centrer sur l'abolition des goulets d'étranglement dans le système, ça consiste à s'assurer que la baignoire arrête de fuir. Et il existe, à l'échelle internationale, de nombreux exemples qui nous permettent de trouver les voies par lesquelles il est possible d'intervenir.

Nos recommandations sont donc à trois niveaux: tout d'abord, le maintien d'un système de financement public, universel et sans recours accru à l'assurance privée; deuxièmement, le maintien de structures de production de soins publiques qui permettront une coordination accrue, par le biais de guichets uniques et de listes d'attente unifiées qui intègrent des critères cliniques de pertinence; troisièmement, des interventions proactives du ministère et des agences pour s'attaquer aux goulets d'étranglement du système.

Nous sommes conscients que c'est une proposition qui implique un niveau de complexité beaucoup plus grand, qui est organisationnellement et politiquement plus difficile à mettre en oeuvre, mais il s'agit à notre avis de la seule voie qui permette réellement de s'assurer de la pertinence, de la qualité et de l'efficience. Nous vous remercions.

Le Président (M. Copeman): Merci. M. le ministre de la Santé et des Services sociaux.

M. Couillard: Merci, M. le Président. Merci, M. Contandriopoulos, M. Blais et Mme Pomey. Très rafraîchissant. Je vous félicite. Excellent mémoire. Une approche très pragmatique, et des vérités qui sont dites, et je vous suis reconnaissant de les avoir dites parce que ça me permet de renchérir dessus un petit peu. Ce n'est pas toujours évident, hein, vous savez, lorsqu'on est dans un poste d'autorité politique ? évidemment vous regardez ça de loin, hein? ? de faire certains commentaires sur certains sujets, surtout ces temps-ci. Mais on va quand même s'essayer. On a 20 minutes devant nous.

Je vais prendre votre métaphore de la baignoire. Elle est bonne, votre métaphore de la baignoire, mais j'ajouterais une petite touche que j'appellerais la touche de la réalité pratique. C'est que, quand on a une bonne vieille baignoire, il faut parfois tolérer des petites fuites, plutôt que de commander une nouvelle baignoire, parce que, si on commande une nouvelle baignoire, on va se laver à la mitaine un bout de temps avant que la nouvelle baignoire rentre, hein? Vous voyez, là, où... C'est la traduction du modèle théorique de la baignoire vers la vie réelle du plombier qui essaie de vous colmater les brèches et de garder le système.

M. Charbonneau: ...venir un réparateur de baignoire, puis tu colmates tes brèches plus vite.

Une voix: ...si la fuite est dans le haut de la baignoire.

M. Couillard: Alors, c'est ça, mais je voulais saluer la métaphore ? elle est très bonne, mais ? l'adapter un peu, là. C'est ce que j'ai fait.

Juste corriger un petit élément, puis ensuite je vais essayer d'aller rapidement sur les thèmes de discussion. Les plafonds, en rémunération des spécialistes, sont exceptionnels. Il n'y en a presque plus, en fait. C'est une sorte de notion qui flotte, là, mais... En établissement public, il n'y a presque plus de plafonds. On a eu un exemple résiduel, l'autre jour, avec la chirurgie veineuse, puis c'est la Fédération des médecins spécialistes qui avait demandé que le plafond soit mis en place. Puis ça, ça ne date pas de 2003, ça a été fait avant. Moi, quand j'étais en pratique, il n'y avait déjà plus de plafond en établissement pour la plupart des spécialistes.

Vous avez d'abord fait un diagnostic large sur le système de santé. Je dirais que le paradoxe est le suivant. Par rapport à sa mission de population, notre système de santé est parmi les meilleurs au monde. Si vous regardez la question de l'accès, l'accès uniforme selon la condition sociale, les indices de santé de population, il n'y a pas grand monde sur la planète qui fait mieux que le Québec. Il y en a quelques-uns au même niveau, mais pas beaucoup qui font mieux. Là où on a un échec perçu, ou un semi-échec perçu, ou un demi-succès perçu, dépendant de la journée où on lit les journaux, c'est la mission envers l'individu et la prestation de services à l'individu, qui s'incarnent avec des choses concrètes comme les listes d'attente et les salles d'urgence.

C'est vrai que la situation a changé depuis 1997, l'époque où le recours a été présenté. Moi, je dirais, en étant très prudent ? parce qu'on n'est pas à l'abri d'un grand malheur, là, mais ? qu'il n'y a plus grand monde dont la vie est menacée par les listes d'attente actuellement au Québec. Je pense que là, là, il faut quand même rétablir les faits. Est-ce que les gens souffrent, par exemple, sur la liste d'attente? Oui. Est-ce qu'il y a un inconfort qui les rend non participants à la société? Oui. Il ne faut pas minimiser ça non plus, mais il faut quand même placer le diagnostic au bon niveau.

n (11 h 50) n

Alors, je vais y aller sur les problèmes que vous soulevez. D'abord, la gestion centralisée de l'attente. La proposition ? et on se sert de la commission pour la bonifier ? inclut comme élément indispensable la gestion centralisée de l'attente. J'utilise l'image de la liste d'attente qui sort de la poche du sarrau du médecin et qui devient une responsabilité de l'établissement. Je crois cependant, à la différence de ce que vous proposez, qu'il faut que ça commence au niveau de l'établissement, que ce soit colligé au niveau régional ou au niveau national. Mais, plus on est loin de la prestation de services pour gérer la liste d'attente, moins bien ça va fonctionner.

Et j'irais même plus loin. Vous savez qu'on fait actuellement un exercice de validation des listes d'attente partout au Québec, où on fait l'exercice absolument élémentaire de téléphoner aux gens pour vérifier qu'ils sont au courant, un, qu'ils ont une chirurgie ? et c'est incroyable, souvent ils ne sont pas au courant ? ou, deuxièmement, qu'ils ne sont pas inscrits sur une autre liste d'attente, ou qu'ils n'ont pas déjà été opérés quelque part. Avec ça, le nombre... Juste cet exercice simple fait en sorte que les listes d'attente varient constamment d'un établissement à l'autre et d'une région à l'autre. On peut même faire l'analyse maintenant, puis je vous engage à le faire. Regardez, sur le site Internet du ministère, ce qu'on publie, par exemple, sur les hanches et les genoux. Regardez dans la région de Montréal, puis vous allez voir un établissement, par exemple, qui est complètement en dehors des chiffres des autres établissements. La raison de ça, ce n'est presque certainement pas parce qu'il y a une plus grande pression des demandes de soins là, mais c'est parce qu'il n'y a pas de validation de la liste d'attente qui est faite à cet établissement.

La question de la validation de liste d'attente, ça nécessite un partenariat avec les médecins, comme la question de la pertinence. Et puis je vais venir à la pertinence tantôt. Maintenant, prenons uniquement et brièvement cette question de la gestion de la liste d'attente. On a eu une présentation, l'autre jour, du Dr Bolduc d'Alma, que vous connaissez probablement, qui a fait une présentation absolument éclatante sur la bonne façon de gérer une liste d'attente et qui a dit ? et je le cite, là: Le plus grand problème des gens qui sont sur la liste d'attente depuis plus de six mois, c'est souvent qu'ils ont été oubliés ou que le degré de pertinence ou de sévérité n'est pas toujours au rendez-vous. Ce n'est pas moi qui l'ai dit, là, c'est le Dr Bolduc, suite à son expérience à Alma, où il a littéralement diminué fortement les listes d'attente.

Alors, comment vous pensez qu'on fait ce partenariat avec les médecins? Moi, je pense que la réponse, c'est qu'ils ont intérêt, eux, à ce que la liste d'attente soit bien gérée puis que ça fonctionne mieux dans l'hôpital. Et deuxièmement: Comment est-ce qu'on maintient cet engagement-là? Ça me semble indispensable. Dans les conditions préalables de succès, je dis qu'il faut que les médecins soient partenaires avec le système de santé. Mais comment est-ce qu'on élicite ce partenariat et qu'on le maintient, à votre avis?

Mme Pomey (Marie-Pascale): Bonjour, M. le ministre. Moi, je peux essayer de répondre avec quelques pistes, avec des exemples que j'ai pu voir au travers du Canada. Effectivement, la première chose pour mettre les médecins autour de la table, c'est qu'ils en voient un bénéfice réel dans leur propre pratique. C'est vrai qu'au départ ils peuvent être relativement réticents parce qu'effectivement ça entraîne un changement dans leur mode de gestion de leur liste d'attente et ça nécessite aussi d'ouvrir un peu des informations qu'ils n'ont pas forcément envie de partager avec leurs collègues. Mais, quand ils commencent à voir que ça peut avoir un bénéfice réel sur la façon dont ils vont pouvoir optimiser leur temps et puis aussi avoir une meilleure façon de prendre en charge leurs patients, je pense que ça fait boule de neige, et progressivement les médecins commencent à embarquer.

Une bonne façon de pouvoir le faire, c'est effectivement d'avoir des champions, entre guillemets, ou en tout cas des personnes leaders, là, qui ont suffisamment de crédibilité au niveau de leur leadership pour qu'effectivement, quand ils embarquent dans ce genre de projet, ils puissent dire à leurs collègues: Écoutez, pour l'instant, vous n'êtes pas convaincus, mais je vous promets que, si vous commencez à regarder ce qui se passe, vous allez voir que vous allez en tirer des bénéfices.

Il y a quelque chose que vous avez dit aussi sur le fait que les gens sont abandonnés en chemin, là, on ne sait plus, au bout de six mois, ce qu'ils font. Quand on voit ce qui passe en Alberta, par exemple, il y a un «case manager», là, il y a une infirmière... Quand on rentre dans le système, là, lors de la consultation, juste après le médecin généraliste, pour la première visite auprès du spécialiste, il y a une infirmière qui vous est attribuée et qui vous suit. Elle ne vous perd pas dans le système, là, vous n'êtes pas perdu comme ça ou, dans six mois, est-ce que vous existez encore. Il y a même un contrat qui est passé avec le patient pour effectivement que lui aussi fasse sa part, etc. Parce que souvent, en tout cas dans le cas du genou, il y a souvent des problèmes de surpoids, et autre. Donc, effectivement, il y a des moyens, je pense, incitatifs.

C'est vrai qu'on ne peut peut-être pas mettre tout le monde autour de la table, puis je pense que vous avez des bons exemples, tels que le SGAS, aussi. Ça n'a pas toujours été simple de mettre tout le monde autour de la table, mais je pense que, quand on arrive à trouver des champions puis on en... Enfin, c'est vrai. C'est ce que j'ai vu en tout cas au niveau pancanadien. Quand il y a des gens qui ont vraiment une certaine crédibilité, ils arrivent progressivement à asseoir les gens autour de la table puis à amener leurs confrères à embarquer.

M. Couillard: Et vous avez raison. D'ailleurs, on va proposer, dans la gestion de liste d'attente, qu'une personne imputable soit désignée...

Mme Pomey (Marie-Pascale): Voilà, c'est ça.

M. Couillard: ...pour s'occuper individuellement des gens.

Et la raison pour laquelle on choisit trois chirurgies, ce n'est pas uniquement le fait que c'est trois chirurgies associées à la démographie, trois chirurgies également qui font pression... qui font l'objet d'une demande accrue de soins ? et on va revenir à la pertinence dans quelques instants ? mais c'est également que l'expérience internationale nous enseigne que, si on est trop large dans une expérience initiale de garantie de soins, ça ne fonctionne pas. Il faut apprendre. C'est une nouvelle chose à faire fonctionner, et de la faire fonctionner d'abord avec trois chirurgies, déjà vous allez voir que ce ne sera pas simple, hein? On ne peut pas sous-estimer le changement que ça représente, dans les centres hospitaliers, d'abandonner le pouvoir médical total sur la gestion de la liste d'attente, et d'avoir une priorisation réelle des patients, d'avoir une personne de l'administration qui apprend à être imputable et contacter chaque personne sur la liste d'attente, comme vous l'avez dit, pour ne pas qu'elle soit perdue dans le brouillard. C'est considérable comme changement. Alors, si on arrivait avec une commande au réseau, aujourd'hui, de faire ça pour l'ensemble des chirurgies, c'est l'échec prédéterminé et la conclusion des gens qui vont dire: Bien, on ne sera jamais capables, ça ne sert à rien de le faire. Alors, c'est pour ça qu'on a concentré de cette façon-là.

Maintenant, la pertinence. Quel bonheur! Parce que vous êtes les premiers à parler de cette question-là, puis c'est très... Il faut être prudent à deux niveaux. D'abord, ce n'est pas la faute des patients, hein? Le patient, lui, il suit le conseil de son médecin. Deuxièmement, la médecine, ce n'est pas une science exacte. C'est également une grande partie d'art, puis de perception, puis d'intuition, dans la médecine, beaucoup plus que ce qu'on pense en général. Ceci étant dit, il existe plusieurs études ? vous les avez citées ? au Canada et ailleurs, qui donnent ce que vous avez mentionné vous-même. Je vais vous donner trois exemples vécus, puis ensuite on va parler sur les solutions. Ce que j'aime, dans votre mémoire, dans votre ton, c'est que vous apportez des solutions à chaque fois que vous soulignez un problème.

Un jour, il y a des gens à l'époque, dans mon ancienne vie, dans un autre hôpital que celui où je pratiquais avant 2003, au Québec, qui viennent me voir puis disent: On a un problème avec l'accessibilité des chirurgies discales. Moi, je faisais de la neurochirurgie, puis on faisait de la chirurgie pour les hernies discales à un moment donné. D'ailleurs, j'ai quelques collègues parlementaires qui ont bénéficié de cette chirurgie, et non pas uniquement par mes mains, mais parfois par les mains d'autres. Et ils ont été stupéfaits de ma réponse parce qu'ils voulaient nous apporter une solution qui augmentait fondamentalement le volume de production en chirurgie discale. Alors, ma réponse a été: Je ne suis pas sûr que c'est une bonne idée parce que ce genre de problème chronique en général a une amélioration spontanée et, si on opère trop précocement, souvent on va perdre le bénéfice de l'amélioration spontanée. D'ailleurs, la même chose se fait dans beaucoup de conditions, là, douloureuses. Premier exemple.

Deuxième exemple, un de mes collègues, l'ancien président de l'Association des neurochirurgiens, le Dr Jacques Boucher, de Sherbrooke, dans un débat d'il y a quelques années, à l'époque du gouvernement précédent, a osé dire publiquement ce que vous avez dit, a cité les chiffres de non-pertinence et a expliqué que non-pertinence ne veut pas dire inutile, ça ne veut pas dire fondamentalement assis sur des preuves scientifiques en termes d'indication. Il a été, mon cher, là, crucifié par ses collègues dès les premières minutes qui ont suivi sa déclaration. Alors, vous savez que c'est un terrain miné sur lequel on s'entend.

Troisième exemple, et j'arrête les exemples vécus pour en venir aux solutions. Dans mon ancienne vie, où je gérais un département de chirurgie ? où j'ai d'ailleurs aidé souvent le gouvernement précédent à se tirer de mauvais pas localement, parce que la liste d'attente est souvent utilisée comme moyen de pression, on le voit ces jours-ci, ne soyons pas naïfs, hein ? alors il y a un médecin qui fait une présentation aux médias: J'ai 55 patients sur ma liste d'attente. Pauvre 55e! Comment ça se fait? Il ne sera pas opéré avant des mois et des mois, puis c'est inacceptable. Que fait le département? Que fait l'hôpital? Que fait le ministère? Bon. Pour faire en sorte de nous amener à constater que, depuis l'époque où le patient en question avait été inscrit sur la liste jusqu'au moment de la déclaration, il y avait eu de nombreuses occasions où le patient en particulier aurait pu être opéré, où le choix du médecin, qui est fondamentalement le responsable de la gestion de sa liste d'attente, en termes de priorisation, avait été de faire d'autres interventions dont le caractère d'urgence, disons, était discutable par rapport à la condition réellement urgente que ce patient-là présentait.

Alors, bon, voilà trois épisodes vécus, puis il y en aurait combien d'autres à mentionner qui illustrent le problème de pertinence que vous soutenez. Maintenant, comment est-ce qu'on règle le problème de pertinence? Il est certain que ce n'est pas le gouvernement qui va aller vérifier sur une liste d'attente si l'opération est pertinente ou pas. Ce serait une catastrophe. Donc, ça prend un système où les médecins participent et font partie de la solution. Je vais vous donner un exemple. Dites-moi si vous pensez que ça s'appliquerait au Québec.

J'ai beaucoup discuté avec mon collègue précédent de la Saskatchewan, M. Nilson, qui maintenant, après six ans en poste, il faut le mentionner, après six ans en poste a quitté pour le ministère de l'Environnement en Saskatchewan, mais qui a fait des changements considérables dans la gestion de la liste d'attente. Et, lui, ce qu'il a fait, c'est ce que vous dites. Il demandait que, sur la liste, papier, qu'en gros l'indication soit itémisée en termes de sévérité. Mais il avait institué un système d'audit, c'est-à-dire qu'il s'était entendu avec les médecins en question pour qu'à l'aveugle, de façon répétée, un groupe de médecins d'un autre établissement aille faire l'examen de la liste d'attente de l'établissement x pour vérifier la pertinence de la gestion, la priorisation des cas. Ça m'apparaît une bonne idée, mais c'est très lourd à faire fonctionner, puis je ne suis pas certain que les médecins embarqueraient ici, au Québec. Mais comment vous voyez ce type de partenariat là?

M. Contandriopoulos (Damien): Bien, quelques mots, puis...

Une voix: Oui, allez-y.

M. Contandriopoulos (Damien): Bien, tout d'abord, la proposition qu'on a faite, c'est sûr que c'est une proposition extrêmement schématique. C'est un modèle général par lequel nous pensons que les listes d'attente... D'abord, nous sommes tout à fait d'accord avec vous, les listes d'attente doivent être quelque chose de géré, et géré à la fois au niveau organisationnel et au niveau clinique. Une liste d'attente, ce n'est pas simplement un papier, comme vous dites, et, plus on va avancer, je pense, dans le temps, les prochaines années, plus on va se rendre compte qu'il est fondamental de gérer ces listes-là de très près, avec des mécanismes, tant cliniques qu'organisationnels, très sophistiqués d'information. Il n'y aura pas de solutions qui passeront sans de tels mécanismes. Donc, il y a ce besoin de gestion.

n (12 heures) n

Nous, on a proposé une ébauche d'un modèle, mais c'est certain que l'aspect fondamental, dans cette ébauche-là, c'est l'idée qu'il doit exister un mécanisme qui va être clinique, qui va passer par le travail des médecins pour s'assurer que la recommandation d'inscrire la personne sur la liste d'attente est conforme au guide de bonne pratique, qui est encore évidemment un produit clinique du travail des médecins. Mais c'est un produit pas individuel, d'un médecin tout seul, mais c'est un produit collectif des médecins, qui doivent se mettre d'accord entre eux sur, selon le type de cas qu'on a devant soi, quelle est la meilleure intervention dans le domaine et de quelle manière on peut s'assurer que l'intervention soit bien le jugement collectif de ce que la médecine sait faire pour les gens et pas simplement le jugement d'un individu qui travaille dans un établissement puis qui parfois, comme tout être humain, est confronté à des incitatifs qui sont différents du simple bien-être du patient.

Mme Pomey (Marie-Pascale): Donc, moi, je voudrais répondre sur ce que vous avez donné comme exemple en Saskatchewan. D'abord, je pense que ça fait partie du métier de médecin, d'avoir un regard réflexif sur ce qu'on fait, et je trouve que l'évaluation des pratiques professionnelles, c'est quelque chose d'excessivement important dans le domaine médical, et qu'on ne fait peut-être pas assez d'efforts là-dessus. Vous devez l'entendre à mon accent, là, j'ai quelques origines françaises. Et vous savez que la France a beaucoup travaillé là-dessus. Et je pense que, même si les médecins au départ n'ont pas beaucoup embarqué, le bilan n'est quand même relativement pas si négatif que ça, hein, même au niveau des médecins travaillant en ville. Ça fait partie maintenant intégrante de leur façon de travailler. Ils doivent prendre du temps réflexif pour regarder si ce qu'ils font est en accord ou pas avec l'état des connaissances.

Ensuite, je pense quand même que le Collège des médecins, au Québec, n'est pas du tout négatif sur ce genre de choses. Ils ont même participé, par exemple, à l'élaboration donc de... Enfin, ils n'ont pas été eux-mêmes directement les promoteurs de ça, mais ils ont été positifs sur le fait de mettre des critères cliniques pour la chirurgie cardiaque et pour la radio-oncologie. Et je pense que ça pourrait être aussi un partenariat important, hein, dans ce type de chose. Donc, vous avez un allié quand même avec le Collège des médecins.

M. Couillard: Bien, j'espère. Moi aussi, j'ai des origines françaises, mais ça paraît moins.

M. Charbonneau: Je pense qu'autour de la table, à part le jeune homme ici, le président de notre...

M. Couillard: Mais, moi, j'ai également la citoyenneté. Ah! voilà. Et toc!

M. Charbonneau: ...de 14 générations.

M. Couillard: Donc, la pertinence, si on termine là-dessus, c'est la raison pour laquelle on résiste actuellement à des demandes qui nous sont faites d'amener une garantie de service pour l'imagerie. L'imagerie est l'exemple classique du problème de pertinence, c'est-à-dire que c'est très simple, lorsqu'on a un patient dans son bureau, de demander deux scans et trois résonnances magnétiques, là, et, tant qu'on n'aura pas de partenariat avec les médecins radiologues pour l'imagerie ? mais je pense qu'ils sont disposés à en discuter cependant ? ça va être difficile d'aller plus loin. D'ailleurs, pour les TEP, je ne sais pas si vous avez observé la stratégie de déploiement des tomographes à émission de positons qu'on fait actuellement, on l'a fait parce que les médecins nucléistes se sont engagés avec nous à valider les indications et à s'assurer de la bonne utilisation de la technologie. Et là je crois qu'il y a une bonne leçon également.

Dernier élément, c'est la question des expériences britannique et albertaine, puis je vais vous dire, d'entrée de jeu, respectueusement, là, qu'à mon avis vous faites une mauvaise lecture du document. Le document ne propose en rien d'amener la solution du problème d'accès par le financement privé. Absolument pas. La solution se trouve entièrement regroupée sous le financement public, dans la grande majorité des cas à prestation dans l'établissement public, dans quelques cas prestation privée mais à financement public et géré par l'État. Je pense que c'est une chose... Il faut peut-être relire le document. Peut-être n'était-il pas assez clair sur cette question, mais je peux vous dire que c'est le message que j'ai voulu et que nous avons voulu qu'il contienne.

Maintenant, vous avez cité à bon escient l'expérience britannique et l'expérience albertaine. Je vous ferai remarquer, amicalement également, un élément qui a dû vous échapper. C'est qu'autant en Grande-Bretagne, où c'est à peu près 15 % des chirurgies qui ont été pratiquées de cette façon, qu'en Alberta, où le chiffre à mon avis est même plus élevé, une grande partie des chirurgies qui ont été effectuées dans ces deux expériences ont été faites dans des milieux de prestation privée à financement public, incluant l'Alberta. Je vous engage à aller voir le détail de l'étude albertaine, et vous allez, avec stupéfaction, découvrir ce fait que peu de gens ont relevé jusqu'à maintenant. Et certains l'ont fait, cependant.

Donc, les deux cas valident la diversité des approches en termes de prestation de services. Allez voir, dans le guichet unique de l'Alberta, le nombre de procédures qui ont été faites ? en anglais ils disent «farmed out»; qui ont été faites ? dans des cliniques privées à financement public et vous allez, avec surprise ou pas avec surprise, je ne le sais pas, constater que ça a été la solution. D'ailleurs, en Grande-Bretagne, où c'est environ 15 %, selon les données que j'ai vues, des chirurgies qui ont été effectuées dans de tels milieux, le gouvernement Blair maintenant passe à un stade ultérieur ? je ne sais pas si vous avez vu les dernières propositions de ses réformes ? où il donne le choix complet du prestataire au patient. Ça fait que le patient peut décider d'aller soit dans le privé, soit dans le public, avec un financement public dans les deux cas. Alors, c'est deux expériences que beaucoup de gens citent comme étant des succès concrets, avec ceux qu'on a faits à Montréal ? moi aussi, j'ai eu vent de certaines inquiétudes de voir la liste d'attente baisser trop rapidement, je confirme vos informations. Autant en Grande-Bretagne qu'en Alberta, la solution s'est faite en grande partie dans l'établissement public financé publiquement, mais, dans les deux cas, dans une proportion significative dans l'établissement privé financé publiquement.

M. Contandriopoulos (Damien): Je peux répondre quelque chose, ensuite ma collègue Marie-Pascale, je ne sais pas si... Je pense qu'on a tous quelque chose à dire. Juste quelques mots.

Tout d'abord, je suis tout à fait d'accord avec vous, l'essentiel, c'est le financement, donc ce n'est pas la question de savoir quelle est la propriété de la clinique. Par contre, là où c'est clair qu'il est déjà difficile actuellement, dans le système, d'intégrer plus les producteurs, de s'assurer que les guides de pratique sont les mêmes, de s'assurer qu'il y a une intégration des pratiques, multiplier le nombre de types de producteurs va juste être une entrave à la mise en oeuvre de ce qui à notre avis constitue la solution.

Au niveau du financement, effectivement le document propose essentiellement un financement public. Malgré tout, l'ouverture à un financement privé pour des soins médicaux est tout de même présente dans le document. Et, à ce titre-là, il s'agit quand même d'un ajout d'un financement privé. Même si cet ajout est relativement petit, à l'heure actuelle, il n'est quand même à notre avis en rien une amélioration ni une solution au problème des listes d'attente.

Le Président (M. Copeman): Pr Blais.

M. Blais (Régis): Oui. Alors, moi, je me dis: Si on a de l'argent à donner au privé, qui par définition est là pour faire des profits, pourquoi, cet argent-là, on ne le met pas directement dans le public, où on a des disponibilités, on a des salles d'opération qui ne sont pas utilisées pleinement? Là, on va permettre à des investisseurs de construire des équipements et de faire de l'argent avec ça. O.K., ça fait partie de la game. On investit, on retire un retour sur notre investissement.

Ce qui fait qu'on a déjà une maison qui n'est pas complètement occupée, on va aller louer un chalet à quelqu'un d'autre qui va se construire un chalet, qui, lui, va faire de l'argent là-dessus, alors que notre maison n'est pas complètement occupée. Ça veut dire qu'on va louer des équipements ou des lieux de quelqu'un qui va, lui, construire quelque chose pour investir, alors que, cet argent-là, on peut le mettre dans le public, où on a déjà des disponibilités, soit en termes de temps opératoire. Et les dispensateurs de soins que sont les médecins, les chirurgiens, si on les a déjà dans le public, pourquoi les amener dans des cliniques privées...

M. Couillard: Pr Blais, excusez-moi, mais vous ne répondez pas à la question, là. Je vous ai fait remarquer que, dans les deux situations, qui sont des systèmes publics comme le nôtre, on a utilisé la prestation privée dans un pourcentage élevé de cas pour arriver au succès. Donc, ils ne seraient pas arrivés au succès s'ils n'avaient pas fait ça, voyez-vous?

M. Blais (Régis): Si on prend l'exemple du Québec à Montréal, à Montréal, on a réduit des deux tiers le nombre de personnes qui attendent pour une cataracte pour plus de six mois. Ça se fait à l'intérieur du public.

M. Couillard: Bien, je suis content que vous le disiez puis je vais vous citer cet après-midi, à l'Assemblée nationale, mais...

M. Blais (Régis): Mais ça se fait dans le public, vous l'admettrez.

M. Couillard: Mais on est dans des chirurgies plus compliquées un peu. Et puis, nous, on n'a pas l'intention de faire faire les hanches et les genoux, en passant, pas les cliniques associées. C'est des chirurgies trop lourdes pour être faites là. C'est la chirurgie d'un jour qu'on va déplacer.

M. Blais (Régis): Ah, O.K. C'est indiqué dans votre document, ça, que les hanches et les genoux...

M. Couillard: Ce n'est pas explicite, ce n'est pas indiqué, mais on l'a dit en commission parlementaire, plusieurs fois. Les hanches et les genoux, là, ce n'est pas une affaire pour faire dans les cliniques affiliées, là. C'est la chirurgie d'un jour. D'ailleurs, vous avez vu les chiffres de La Presse l'autre jour?

M. Blais (Régis): Oui.

M. Couillard: Ce qui ne bouge pas, en termes des listes d'attente actuellement, c'est la chirurgie d'un jour.

M. Blais (Régis): Donc, si, les cataractes, on a un meilleur succès dans le public, continuons.

M. Couillard: Bien, c'est-à-dire qu'il va falloir que les gens atteignent les cibles. Nous, ce qu'on veut, c'est que tous les patients soient traités dans les délais, alors...

M. Blais (Régis): Parce que c'est les cataractes pour lesquels on a les meilleurs succès.

M. Couillard: Actuellement, oui.

M. Blais (Régis): Donc, continuons.

M. Couillard: Mais on aura des problèmes dans d'autres types de chirurgie. Puis je soupçonne que le nombre de cliniques affiliées ne sera pas très grand, en passant. Puis, un élément de précision, il n'y a pas d'autoréférence et ? je ne me souviens plus si c'est expliqué clairement dans le document ? ce n'est pas une affaire de dire que le patient va aller se faire opérer dans la clinique affiliée X, puis va venir présenter la facture à l'établissement. Non, non, non. La gestion de l'attente fait en sorte que les patients vont être dirigés là à l'intérieur d'un volume d'activités prescrit.

Mais là, M. Blais, je dois dire ? puis je vais terminer là-dessus parce que mon temps se termine, là ? on a une opposition, là, fondamentale. Moi, je n'ai aucun problème à ce que les gens fassent du profit. Ce que je veux, c'est que le service soit donné aux concitoyens qui attendent.

M. Blais (Régis): ...faire dans le public.

M. Couillard: Mais pourquoi pas dans le privé? C'est là qui nous sépare...

M. Blais (Régis): Mais pourquoi?

M. Couillard: Non, mais je vous retourne la question: C'est quoi, le problème de faire ce que le monde entier fait?

Le Président (M. Copeman): Bon. Malheureusement, on a déjà dépassé de quelque peu le temps à ma droite. M. le député de Borduas et porte-parole de l'opposition officielle en matière de santé.

n (12 h 10) n

M. Charbonneau: Bien, merci, M. le Président. Alors, madame, messieurs, la dernière remarque du ministre fait vraiment la démonstration de la raison idéologique, c'est-à-dire qu'en bout de piste il n'y a aucune autre raison qu'une conception idéologique: le profit, ce n'est pas péché. Puis dans le fond, si tout le monde le fait, faisons-le donc. Mais il n'y a pas de démonstration, contrairement à ce qui a été affirmé, que c'est plus efficace. Et on n'a pas fait la démonstration que les succès d'ailleurs sont dus aux partenariats qu'on a faits avec les cliniques privées affiliées. Il n'y a rien qui nous démontre que ces succès-là n'auraient pas pu être obtenus ? puis d'ailleurs on l'a obtenu au Québec, dans le secteur des cataractes ? autrement. Donc, on peut vouloir juste copier les autres pour des raisons idéologiques, mais ne faisons pas l'équation que notre idéologie, c'est une équation scientifique, là. Tu sais, quelque part, là, il ne faut pas confondre les affaires.

L'autre chose, avant d'aller plus loin, je veux juste relever une petite remarque du ministre tantôt puis lui dire très amicalement que tantôt il a un peu piqué les fédérations de médecins en disant qu'il y a une espèce d'utilisation politique actuellement du dossier des listes d'attente, comme si de l'autre coté on n'avait pas utilisé politiquement le dossier des listes d'attente pendant des années pour démoniser le gouvernement précédent. Le ministre, lui, peut bien dire: Moi, je n'étais pas là, j'étais docteur dans un hôpital, mais ses collègues qui sont ministres aussi puis le premier ministre qui était là... Lui, là, il ne s'est pas gêné pour démoniser puis faire une utilisation politique partisane abusive du dossier des listes d'attente. Et ça, je pense qu'à un moment donné il faut dire les choses puis faire les rappels qui s'imposent.

Moi, je voudrais vous dire que vous êtes parmi les présentations les plus percutantes et les plus signifiantes qu'on a eues devant cette commission. Et je crois que c'est parce que vous avez fondé votre présentation sur la connaissance scientifique. Et le problème souvent, c'est qu'on fait des débats fondamentaux, dans les sociétés, sans les fonder sur la connaissance puis la comparaison des situations puis des réalités ici puis ailleurs puis de voir finalement, justement, au-delà des idéologies, qu'est-ce que c'est, la réalité, qu'est-ce que c'est, l'enseignement qu'on a de la connaissance.

Une question au préalable: Est-ce que vous avez été consultés par le ministère quand le document gouvernemental a été préparé?

Mme Pomey (Marie-Pascale): Pour ma part, non.

Une voix: Pas à ma connaissance.

M. Charbonneau: Non, non, je comprends, mais, je veux dire, c'est un peu incroyable. Je le dis très amicalement au ministre. Je veux dire, on prépare un document de consultation, dans une société évoluée où on a de la connaissance scientifique, on met sur pied des RUIS puis des corridors de services puis on veut que les établissements qui dispensent les services soient branchés sur la connaissance puis sur les universités, mais le ministère prépare un document de consultation puis il ne se branche pas sur la connaissance. Il y a un problème, là.

M. Couillard: Bien non, on n'a pas de problème. Je peux expliquer, si vous voulez. Voulez-vous... Est-ce qu'il veut que je lui explique?

M. Charbonneau: Bien, je pense qu'il y a un problème, moi. Je pense que les gens de l'université ne devraient pas être juste invités à venir commenter un document de consultation. À un moment donné, quand on fonde une proposition, on devrait aussi la fonder à partir, je veux dire, de la consultation préalable avec des gens qui ont une connaissance fine des situations. Vous vouliez dire quelque chose, docteur, sur ça?

Mme Pomey (Marie-Pascale): Oui, je voulais dire qu'actuellement j'ai la chance d'avoir un projet de recherche financé par le CIHR, donc les Instituts de recherche en santé du Canada, justement sur les facteurs organisationnels permettant de diminuer les listes d'attente. Et donc je fais une étude pancanadienne. Donc, c'est vrai que j'ai une assez bonne connaissance de ce qui se passe au niveau de chacune des provinces, avec tous les exemples, etc., autant les politiques provinciales qu'ensuite concrètement qu'est-ce que ça donne, au sein des organisations, et quels sont les déterminants qui permettent de pouvoir... ou au contraire qui sont des obstacles à la gestion des listes d'attente. Donc, il y a sûrement des choses intéressantes à en tirer.

M. Charbonneau: Oui, oui, mais encore une fois ce n'est pas aussi une remarque uniquement, là, partisane. Je crois que malheureusement les gouvernements, quels qu'ils soient, souvent élaborent des politiques sans au préalable faire la connexion indispensable avec la recherche scientifique, la connaissance scientifique. Puis tout à coup, après ça, finalement on arrive puis là, dans le débat public, on introduit les éléments de connaissance. Mais sauf qu'on s'est campés ou on est arrivés avec des propositions sur la table puis là on ne peut plus reculer ou on ne veut plus reculer. On aurait peut-être fait des propositions différentes si, dès le départ, on avait voulu faire une lecture plus fine de la réalité puis de la connaissance qu'on a. Alors ça, je suis content de savoir que finalement le ministère de la Santé et des Services sociaux n'a pas consulté un groupe de recherche connu d'une université réputée du Québec et particulièrement dans le secteur de la santé.

Moi, j'aimerais bien... Il y a trois éléments, là, dont vous avez parlé beaucoup. L'approche des listes d'attente, vous avez dit que... et puis vous avez expliqué un peu ? parce que le ministre a élaboré avec vous sur ça, a fait porter une partie de l'échange sur ça ? sur la façon de faire en sorte qu'on puisse faire en sorte que, les listes d'attente, l'inscription se fasse à partir de critères cliniques. Est-ce que c'est possible d'en arriver rapidement à faire en sorte qu'on change l'approche? Parce que bon le ministre dit: Nous autres, on envisage d'avoir justement cette approche de gestion centralisée. Mais est-ce qu'uniquement une gestion centralisée... Et je ne suis pas sûr qu'elle est totalement centralisée puisqu'on va commencer par les établissements, là. Parce que, si je comprends bien, vous autres, vous proposez une approche centralisée, soit sur une base régionale, soit même sur une base nationale. Mais, au-delà de la gestion centralisée, il y a la dimension des critères cliniques parce que c'est relié dans le fond avec la question de la pertinence, dont vous parliez tantôt, là, si je comprends bien.

M. Contandriopoulos (Damien): Pour un certain nombre d'interventions, ce qui est électif et justement ce qui laisse place à une interprétation de la part des médecins, il est fondamental qu'il existe des guides de bonne pratique et non seulement qu'ils existent, mais qu'ils soient suivis. Quand j'ai dit au début que 31 % des chirurgies de la cataracte faites actuellement en Colombie-Britannique le sont chez des gens qui ont une vue presque parfaite, ces gens-là ne correspondent pas à la définition de ce qu'est le critère clinique pour l'admissibilité à la cataracte. Et c'est vrai que c'est une maladie dégénérative, donc la vue va baisser, mais toutes sortes de choses se passent dans la vie. Et c'est vrai qu'il existe des guides de bonne pratique qui disent que la cataracte devrait être faite à partir de tel seuil de clarté de la rétine. Ces 31 % de gens qui sont opérés actuellement le sont en dehors de ce qui est considéré comme étant une bonne pratique. C'est clair que, pour être inscrit sur la liste d'attente de la cataracte, il faudrait s'assurer que les gens ont réellement cliniquement besoin, d'après le jugement médical, au meilleur de la connaissance de la communauté médicale, ils ont cliniquement besoin de l'intervention.

Et, nous, le centre de notre argument, c'est de dire: Actuellement, il est fort plausible et même probable que, pour plusieurs interventions médicales, des gens sont opérés sans que soit ils correspondent aux critères cliniques des gens qui devraient bénéficier de cette opération-là ou ils pourraient être traités de façon plus efficace avec d'autres types de traitement qui peuvent avoir, par exemple, des effets secondaires plus bas. Donc, c'est vrai qu'un des aspects fondamentaux pour favoriser la pertinence, c'est de s'assurer que l'inscription sur les listes d'attente passe par une évaluation de l'état clinique des personnes, pas juste par leur médecin traitant, mais à l'intérieur de guides structurés.

M. Charbonneau: Juste avant, docteur, si je vous comprends bien, là, la conséquence de ce que vous dites, c'est que non seulement on opère inutilement en fait un nombre important de citoyens, mais que deuxièmement les listes d'attente d'hier et d'aujourd'hui ne reflètent pas nécessairement le besoin réel de chirurgie?

M. Contandriopoulos (Damien): ...certainement un risque présent dans l'état actuel des systèmes d'information.

Mme Pomey (Marie-Pascale): Je voulais...

M. Charbonneau: Vous vouliez ajouter quelque chose, puis je sais que, sur cette question-là, le président voulait ajouter un élément. Alors, allez-y donc, madame.

Mme Pomey (Marie-Pascale): O.K., mais je veux juste répondre rapidement, là. Donc, quand vous avez parlé, là, de la gestion des listes d'attente, je pense qu'effectivement il faut partir quand même de la base de l'information, c'est-à-dire les établissements. Même si on propose après que ce soit géré à un niveau régional ou à un niveau provincial, l'information vient quand même de la base. Donc, on est bien d'accord que le système d'information doit être aussi pertinent parce, que je sache, encore la mitaine marche beaucoup dans ce système et qu'on manque quand même de systèmes d'information un peu plus fiables qui permettraient d'avoir des données en temps réel de meilleure qualité. Donc, il y aurait des investissements à faire là-dessus.

La deuxième chose, quand vous disiez: Pour vraiment la pertinence clinique, est-ce que ce serait faisable et rapidement faisable? En tout cas, il y a beaucoup de publications. Ça, je pourrais vous en envoyer, si vous voulez, sur ce qu'on appelle les cliniques de préadmission. C'est-à-dire que les établissements maintenant créent des cliniques de préadmission où c'est à ce niveau-là que les gens sont vus la première fois pour vraiment, d'une façon homogène, regarder quels sont les critères qui permettent ou pas de donner une indication. Et c'est seulement à partir de ce moment-là que les gens sont mis sur la liste d'attente. Donc, c'est là où on a vraiment un regard quand même relativement assez objectif et plausible, par rapport aux guides de bonne pratique, pour pouvoir avancer. Ensuite, effectivement, les guides de bonne pratique, ça ne se fait pas comme ça, là. C'est effectivement la profession médicale qui doit se mettre autour de la table pour pouvoir les faire. Mais il y a des choses qui sont faites, hein?

M. Charbonneau: Mais j'imagine que la profession médicale devrait accepter. Si le ministre... Et je pense qu'il a raison quand il dit que la pratique de la médecine, ce n'est pas d'abord une science, c'est plutôt un art. Sauf qu'il y a différentes façons de concevoir son art et l'art en question, et puis il y a des gens qui sont plus habiles que d'autres dans la pratique de l'art, de n'importe quel art. Alors, dans le fond, ça devrait être dans la culture médicale que d'accepter que finalement on confronte sa version ou son diagnostic avec quelqu'un d'autre. Et le problème actuellement, c'est que, parce que les médecins ne le font pas spontanément, c'est les citoyens qui sont obligés de magasiner pour aller tester si, à un moment donné, on leur propose une chirurgie trop lourde puis qui ont des doutes. Alors là, ils magasinent. On leur reproche de magasiner, puis on leur dit: On va vous arrêter ça. On va mettre un ticket modérateur, hein? On va vous modérer dans le fond le réflexe d'aller vérifier pour voir si c'est vraiment ce qu'il faut. Puis on a tous des expériences, dans nos vies ou dans nos familles, de gens qui ont dû aller voir deux, trois fois puis qui, après un troisième avis, ont décidé de ne pas se faire opérer parce que dans le fond ce n'était peut-être pas nécessaire.

n(12 h 20)n

Le Président (M. Copeman): Mais là-dessus, M. Contandriopoulos, je pense que l'exemple que vous amenez, sur les cataractes, est fort intéressant, surtout l'étude en Colombie-Britannique. J'ai subi deux opérations pour la cataracte, malgré mon jeune âge, hein, à quoi fait référence le député de Borduas. Dans les deux cas, évidemment, deux chirurgiens différents, ils avaient tous les deux recommandé une intervention chirurgicale tardive, c'est-à-dire: Attendez. Ils m'ont dit: Attendez. Pas parce que la liste d'attente était longue. Parce qu'ils savaient pertinemment qu'à un moment donné il y a toujours des répercussions à une chirurgie, il y a des complications, ainsi de suite. Et comme bon patient j'ai suivi. Est-ce que ma vue a été affectée? Absolument. J'ai changé de prescription de lunettes trois fois pour tenter de retarder l'intervention chirurgicale.

Mais, à un moment donné, ce que vous amenez, tout étant très vrai, ça implique une ingérence dans la pratique médicale, là. Il faut, à un moment donné, en quelque part, que le système se fie à la compétence du médecin pour dire: Non, je n'opère pas parce que vous n'êtes pas rendu, hein? L'ancienne expression, «la cataracte n'est pas assez mûre», on ne l'utilise plus, mais le médecin m'a dit ça quatre fois. Aux trois mois, je prenais mon rendez-vous parce que je me plaignais parce que je ne voyais pas. Le médecin m'a dit: Non, on va attendre, M. Copeman. Je vous suggère d'attendre parce que... Essayez... ajustez vos prescriptions. Après trois fois, là, j'étais rendu au maximum, et là effectivement il a opéré. Mais comment s'ingérer dans cette relation qui est en tout cas pour le moins délicate entre le professionnel de la santé puis le patient?

M. Contandriopoulos (Damien): Bien, la médecine est peut-être un art, mais c'est un art où justement les critères de l'esthétique sont des critères qui sont généralement mieux quand ils sont créés en commun. Et c'est vrai que les critères de savoir quel devrait être le seuil d'admission sur la liste sont des critères qui doivent être élaborés par les médecins spécialistes de cette chose dans leur ensemble. Et je suis certain qu'un consensus médical, à ce niveau-là, sera incontestable. Mais ce jugement général doit être un travail clinique, puis on ne doute pas de ça.

Par contre, quand on regarde en Colombie-Britannique, non seulement 31 % des gens avaient une vue presque parfaite avant, 26 % voient moins bien après, et ça, c'est directement une conséquence du premier. Si vous avez des gens dont la vue est presque parfaite, vous les opérez, vous risquez de faire en sorte que ces gens-là voient moins bien après, et c'est clairement un gaspillage. Donc, c'est certain que c'est un exemple qui est un exemple très juteux et qui sert simplement à mettre en valeur ça parce que c'est une opération relativement simple, c'est relativement facile d'avoir des données. Mais notre avis, c'est que le problème est plus large que simplement la cataracte et que ce type d'approche devrait être central dans la gestion future de ce que sera notre système de santé.

Le Président (M. Copeman): M. le député de Borduas.

M. Charbonneau: Merci, M. le Président. Je pense que votre expérience personnelle est intéressante parce qu'il y a aussi l'envers de la médaille. C'est-à-dire on peut décider que ce n'est pas le temps, que ce serait le temps, dans le fond ça prouve encore une fois que c'est très aléatoire. C'est-à-dire que c'est peut-être mieux des fois d'avoir deux, trois avis puis d'avoir une approche qui fait en sorte qu'on a un diagnostic plus serré.

L'autre élément dont vous avez parlé puis vous n'avez pas eu l'occasion ou peut-être pas le temps, parce que le temps est limité, d'élaborer, vous avez parlé des goulots d'étranglement puis du dysfonctionnement, là, puis vous avez dit: Il y un certain nombre de facteurs. Vous avez abordé un peu, mais je pense que ce serait utile, là, que vous le mettiez sur la table plus clairement, là, ces goulots d'étranglement là, parce que ce que vous avez dit, c'est que les expériences, au-delà de la façon, là, dont la dispensation des services est faite, c'est que là où on a eu des succès, en Ontario, en Grande-Bretagne puis, semble-t-il, je pense, dans une autre province, je pense que c'est l'Alberta, c'est parce qu'on a identifié ces goulots-là puis qu'on a investi d'une façon ciblée vers ces problématiques-là ou ces facteurs qu'on avait ciblés et identifiés. Mais quels sont-ils, ces facteurs-là, plus...

Mme Pomey (Marie-Pascale): Bien, moi, je vais donner juste une partie de la réponse, là. Peut-être que mes collègues voudront en donner une autre, là. Concernant les urgences, c'est vrai que, moi, je suis particulièrement choquée de voir que l'accès aux spécialistes ne peut se faire que par... hospitalier, en tous les cas, ne peut se faire que par les urgences. Et, même si vous avez déjà une recommandation pour aller voir un spécialiste directement, la plupart du temps, on vous fait passer par les urgences pour pouvoir aller le voir. C'est faux dans certaines circonstances, comme par exemple en pédiatrie, où effectivement on peut avoir directement un rendez-vous avec le spécialiste, mais bien des fois, alors que vous avez tous vos documents qui sont déjà faits, que vous avez un dossier donc complet pour pouvoir voir le spécialiste, vous vous retrouvez aux urgences pour pouvoir ensuite avoir accès au spécialiste. Je pense que là il y a, en tous les cas, une façon de revoir le chemin du patient où effectivement pour quelle raison est-ce qu'on ne peut pas avoir un accès directement au spécialiste, alors qu'on se retrouve aux urgences? Et c'est d'autant plus dommageable pour des gens qui sont fragiles, tels que les personnes âgées ou autres, qui se retrouvent à faire des listes d'attente absolument invraisemblables. C'est vrai aussi pour les tests diagnostiques, et autres. Donc ça, c'est un exemple, là, mais, si mes collègues en ont d'autres, là...

M. Contandriopoulos (Damien): Oui, ça revient un petit peu aux questions d'efficience qui ont été mentionnées tantôt. Je partage l'avis du ministre sur le fait que faire du profit, ce n'est pas péché. Par contre, je continue à avoir une préoccupation en termes d'efficience. L'efficience, ça consiste à avoir les meilleurs résultats possible pour une quantité d'investissement donnée, et le fait de créer une nouvelle structure, de créer de nouvelles salles d'opération alors qu'on a déjà des salles d'opération, ce n'est pas une utilisation efficiente de l'argent. Que ce soit de l'argent privé ou de l'argent public, ça ne change rien. On va reconstruire de nouvelles infrastructures alors qu'on en a de disponibles.

Et, sur les goulets d'étranglement du système, on a des salles d'opération qui, dans de nombreux cas, vont fermer à 15 h 30. Cette salle d'opération, c'est un plateau technique qui est extrêmement coûteux. Il serait possible de le faire fonctionner plus tard, mais le budget de l'établissement fait en sorte que c'est plafonné à certaines choses.

Vous avez probablement vu dans les médias, il y avait une citation de quelqu'un qui disait: Quand un médecin opère énormément, aux États-Unis, il rapporte de l'argent à son établissement. Quand un médecin opère énormément, au Québec, il coûte de l'argent à son établissement. Le problème... un système d'incitatifs comme ça, s'assurer que les incitatifs auxquels les établissements font face sont des incitatifs qui les poussent à traiter des gens à l'intérieur des budgets publics, plutôt que de les pousser à dire: Bon, bien, je ne vais pas opérer beaucoup, puis globalement, pour l'établissement, mon budget va s'en retrouver mieux. Il faudrait s'assurer donc que les incitatifs qu'on fixe aux établissements et aux individus poussent le système vers l'efficience et non le système vers un statu quo.

Mme Pomey (Marie-Pascale): Et, sur ce point-là, je veux juste... C'est parce que, par exemple à Halifax, ils ont beaucoup travaillé là-dessus, là, pour les prothèses totales de hanche et de genou, où justement ils ont engagé des spécialistes de la «queuing theory» pour regarder effectivement quels seraient les nombres d'heures ouvrables, les nombres de cas qui devraient être traités par jour et le nombre de lits qu'ils devraient avoir. Et il y a eu un financement ciblé, effectivement. Ils faisaient trois chirurgies par jour, dans la salle opératoire, ils sont passés à quatre, et grâce aussi à une ouverture de cinq lits supplémentaires. Et déjà là il y a eu vraiment un goulot d'étranglement qui s'est quand même un petit peu élargi, hein? Donc, on peut quand même, à la marge, réussir à faire des choses intéressantes, hein?

M. Blais (Régis): Peut-être un autre goulot, si vous cherchez des goulots d'étranglement, les lits disponibles dans les hôpitaux. On sait qu'il y a des gens qui attendent dans les urgences, on sait qu'il y a des opérations qui sont reportées parce qu'on manque de lits dans les hôpitaux, mais il y a des lits qui sont occupés par des gens qui ne devraient pas être là non plus. Alors, on sait, les soins de longue durée, les patients qui sont là en attente d'avoir un lit dans un établissement de soins de longue durée ou des gens qui n'ont pas de soins à domicile, alors ils attendent à l'hôpital. Mais c'est des lits qui sont occupés puis ce sont des lits parfaitement inefficients. Si on réussissait à libérer ces lits-là, on aurait de la place pour accueillir ces personnes qui ont besoin d'opérations.

M. Charbonneau: Est-ce que les études dont vous parlez, là, est-ce qu'il y a des études, là, qui analysent justement la façon ciblée dont ces goulots d'étranglement là ont été attaqués par certaines juridictions extérieures, comme la Grande-Bretagne, ce dont vous parliez tantôt? Est-ce qu'il y a des...

M. Contandriopoulos (Damien): Oui, il y a des études. Ça va être éminemment contextuel parce que justement chaque goulet d'étranglement dans le système, c'est un dysfonctionnement organisationnel, puis, établissement par établissement, ça va varier, donc il n'y aura certainement pas une... C'est pour ça que, nous, ce qu'on recommande, c'est que et le ministère et les agences essaient, de façon très proactive, d'intervenir. Et, si vous prenez des gens... Que ce soit dans les agences ou au ministère, les gens sont au courant de savoir où ça bloque. Les gens savent très, très bien où ça bloque.

Ce qu'il faudrait, c'est qu'il y ait une politique de dire: Nous allons proactivement intervenir. Nous savons que la salle d'opération est fermée à partir de telle heure, pour des causes budgétaires. Il est moins cher collectivement de la faire ouvrir, en accordant un budget supplémentaire, x heures par jour et d'ouvrir un certain nombre de lits, sur les étages, qui nous permettraient de faire tant de chirurgies additionnelles. C'est beaucoup moins cher de le faire dans le public comme ça que de dire: On va ouvrir ça au privé. On va créer une nouvelle clinique puis on va permettre un autre système de financement. Collectivement, ça va nous coûter plus cher, et le résultat ne sera pas payant, ni pour le patient, ni pour la santé de la population, ni pour les dépenses.

M. Blais (Régis): À Alma, le Dr Bolduc a réussi à presque effacer les listes d'attente. Ça se fait à l'intérieur du public. Ça se fait parce qu'ils ont une gestion très serrée de leurs lits, de leurs patients, des temps opératoires, etc. Ça se fait à l'intérieur du public.

M. Charbonneau: Oui, bien, en fait, c'est ça, la question. C'est qu'il y a des expériences positives réussies de succès au Québec. Il y en a ailleurs, là, mais il y en a chez nous aussi, là. Et le choix, c'est: Est-ce qu'on veut capitaliser sur ces succès-là, est-ce qu'on veut les répéter, est-ce qu'on veut en tirer les leçons puis est-ce qu'on veut investir pour qu'ils se multiplient ou si on veut, pour d'autres raisons, essayer une autre formule parce que ça se fait puis parce que finalement on a une conception particulière d'organisation? C'est clair qu'en bout de piste, là, c'est un choix, mais la démonstration que vous nous faites puis qui s'ajoute à celle de plusieurs autres, c'est qu'il n'y a pas de preuve scientifique, là, qu'une formule est meilleure que l'autre, là.

Est-ce que votre groupe a analysé certains problèmes justement dans les centres ambulatoires qu'on avait mis sur pied puis qui n'ont pas encore justement donné la pleine mesure de leurs espoirs ou de leur potentiel? Parce que ce qu'on nous a dit aussi, là, c'est qu'il y a eu un certain nombre de centres ambulatoires qui avaient été conçus, envisagés, mais, pour toutes sortes de raisons, qu'on ne leur a pas donné les moyens de se déployer efficacement puis dans le fond de faire ce dont on parle, là.

n(12 h 30)n

M. Blais (Régis): On est capables de faire mieux avec ce qu'on a, ça, c'est clair.

Le Président (M. Copeman): Juste avant de poursuivre, il vous reste deux minutes. Ça prend un petit consentement pour dépasser pour cette période, si vous le désirez, M. le député.

M. Charbonneau: Bien, écoutez, là, pour...

Le Président (M. Copeman): Je sais, il y a un caucus ici. Là, je ne veux pas mettre toute la pression sur vous, là.

M. Charbonneau: Bien, écoutez M. le Président, moi, je vais juste terminer et, pour conclure, vous dire que finalement, encore une fois, vous avez fait une démonstration très importante par rapport à l'enjeu de cette commission puis de ce débat-là. J'espère simplement qu'on va en tenir compte. Et encore une fois mieux vaut tard que jamais. J'invite le ministre et le ministère à se brancher sur la connaissance scientifique puis sur votre groupe. Ce n'est pas normal, dans une société, qu'on se paie les services d'un groupe de recherche puis qu'on ne l'utilise pas pour concevoir des politiques publiques puis pour éventuellement les bonifier. Merci beaucoup.

Le Président (M. Copeman): M. Contandriopoulos, Pr Blais, Pre Pomey, merci beaucoup pour votre contribution à cette commission parlementaire.

Et, malgré le fait qu'il est prévu que nous siégeons cet après-midi ? évidemment, nous allons écouter attentivement les avis touchant les travaux de la commission ? j'ajourne les travaux de la commission sine die.

(Suspension de la séance à 12 h 31)

 

(Reprise à 15 h 23)

La Présidente (Mme James): À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre, les amis! Je déclare cette séance de la Commission des affaires sociales sur la consultation générale et auditions publiques sur le document Garantir l'accès: un défi d'équité, d'efficience et de qualité ouverte. J'aimerais évidemment souhaiter la bienvenue à nos invités et de vous excuser de nos retards compte tenu de nos travaux au salon bleu.

Alors, je comprends que, M. Kelly-Gagnon, vous allez être le porte-parole officiel pour votre groupe du Conseil du patronat du Québec. Je vous informe que vous aurez 20 minutes pour faire la présentation de votre mémoire, et ensuite nous allons procéder à une période d'échange, dans un premier temps, avec le ministre et le côté ministériel, et ensuite à un autre bloc de 20 minutes avec l'opposition officielle.

Sans plus tarder, la parole est à vous, mais je vous demanderais évidemment de bien vouloir présenter les gens qui vous accompagnent.

Conseil du patronat du Québec (CPQ)

M. Kelly-Gagnon (Michel): Alors, merci, madame. Merci, M. le Président, M. le ministre, mesdames et messieurs, merci de nous recevoir. Alors, je suis effectivement accompagné, à ma droite, de M. Richard Dufour, qui est membre du conseil d'administration du Conseil du patronat du Québec. M. Dufour est également responsable des affaires gouvernementales à l'Association nationale des entreprises en recrutement et placement de personnel, et c'est d'abord et avant tout un entrepreneur, et il est président des Consultants en personnel Logipro. Je suis également accompagné, à ma gauche, de Mme Diane Bellemare, qui est première vice-présidente et économiste en chef au CPQ.

Alors, le CPQ est une association qui regroupe la plupart des associations sectorielles patronales présentes au Québec ainsi que plus de 300 entreprises parmi les plus importantes. Il représente ainsi les employeurs de la majorité de la main-d'oeuvre québécoise.

Tout d'abord, le CPQ tient à remercier et à féliciter le gouvernement pour tenir cette consultation sur ce sujet si important. D'ailleurs, nous partageons les propos récents du ministre de la Santé et des Services sociaux, à savoir que, si rien ne change, le budget de la santé représentera d'ici quelques années plus de la moitié du budget total du gouvernement.

Le CPQ croit qu'il faut désormais ouvrir notre système de santé au financement privé des soins de santé si on veut vraiment améliorer l'accès aux soins. L'assurance privée nous apparaît un véhicule approprié à cet effet. Par ailleurs, nous croyons que l'ouverture faite dans le document de consultation en ce sens constitue un pas dans la bonne direction mais est néanmoins quelque peu timide.

En fait, le milieu des affaires accueille plutôt positivement une ouverture encadrée au financement privé des soins de santé. Toutefois, il ne faudrait pas que le gouvernement se tourne du côté des entreprises pour financer cette ouverture accrue. En effet, il faut garder en tête que les entreprises participent déjà de façon spécifique au financement des dépenses de santé dans le cadre de leur cotisation au Fonds des services de santé. En fait, comme vous le savez, ces cotisations versées au fonds consolidé proviennent d'une taxe de 4,26 % sur la masse salariale, et le produit de cette taxe atteint près de 5 milliards, c'est-à-dire environ presque 25 % des dépenses de santé faites par l'État québécois. Donc, premier fait à noter: les entreprises contribuent déjà de façon importante.

D'ailleurs, comparativement aux autres provinces, la contribution des entreprises québécoises aux dépenses de santé publiques est élevée. Ainsi, seuls l'Ontario, le Manitoba, Terre-Neuve, et les Territoires du Nord-Ouest, et le Nunavut prélèvent une taxe sur la santé. De plus, comparativement à ces provinces, l'effort fiscal des entreprises pour le financement de la santé est beaucoup plus élevé ailleurs qu'au Québec. Et on cite dans le document, là, une note de bas de page avec une source à ce sujet.

D'autre part, les entreprises participent également au financement des assurances collectives touchant les médicaments, les pertes de revenus et les soins de santé divers lors d'un arrêt de travail pour des raisons médicales. Et, dans le contexte du vieillissement de la main-d'oeuvre, le coût de ces primes d'assurances collectives augmente continuellement, ce qui fait une autre contribution concrète des entreprises.

Le message du CPQ donc est clair: le gouvernement du Québec ne peut et ne doit pas compter davantage sur les entreprises pour le soulager dans le financement du système de santé. Les charges actuelles sont déjà assez lourdes, et il ne faut pas nous désavantager en alourdissant notre fardeau fiscal. Pour cette raison, le CPQ considère que la santé doit être traitée, par exemple, comme l'éducation, et que le financement privé additionnel, s'il en est un, devrait provenir des individus plutôt que des entreprises.

Concernant l'étanchéité des dispensateurs de services de santé privés et publics, le CPQ croit qu'il pourrait y avoir un effet pervers qui pourrait être créé en gardant une étanchéité totale, et ça pourrait donc avoir un effet contraire à l'effet recherché. Et donc nous recommandons qu'il soit possible aux médecins de gagner un pourcentage quelconque de leurs revenus dans le secteur privé, quitte à limiter et à encadrer fortement ce pourcentage.

De plus, le CPQ croit que le gouvernement doit explorer davantage les possibilités de développement économique pour le secteur des soins de santé, ainsi que le secteur de la santé puisse devenir un secteur d'activité économique non négligeable et qu'on pourrait encore davantage à profit pour qu'éventuellement on voie ce secteur-là comme étant un possible centre de revenus plutôt que simplement un centre de coûts.

Alors, sans plus tarder et sur ces notes préliminaires, je cède la parole à mes deux collègues qui vont expliquer davantage nos positions et qui vont présenter d'autres recommandations concrètes. Merci.

n(15 h 30)n

M. Dufour (Richard): Merci, M. Gagnon. M. le ministre, M. le Président, mesdames et messieurs. Je vais vous entretenir sur trois des huit thèmes de notre mémoire, et Mme Bellemare poursuivra avec les cinq derniers thèmes.

Le premier de nos thèmes, c'est des principes à respecter. Le CPQ désire que soit préservée l'universalité et l'équité des régimes publics des soins de santé. Fondamentalement, le CPQ est d'accord avec l'idée que l'accès aux services de santé doit reposer sur nos besoins et non sur notre capacité de payer. Cela implique à notre avis une garantie de soins dans des délais acceptables pour toute la population. C'est l'avenue que semblent privilégier de nombreux pays dont le Royaume-Uni et la Suède, pour n'en nommer que deux.

Toutefois, force est de constater que la population vieillit, que le besoin augmente et que notre capacité à payer des soins de santé ne suit pas l'évolution de la demande. Afin de garantir l'accès à des soins de santé à tous dans des délais raisonnables, il faudra, d'une part, faire des économies au chapitre de l'organisation et de la livraison de ces services et, d'autre part, donner de l'oxygène au système en permettant, dans des cas précis et balisés, l'ouverture au financement privé des soins de santé. Une ouverture bien encadrée des soins de santé au privé dégage des marges de manoeuvre financières pour le gouvernement afin de répondre aux demandes publiques, qui sont croissantes évidemment.

Pour cette raison, nous sommes d'avis que l'universalité et l'équité en matière de soins de santé ne rime pas avec monopole public, qui entraîne son lot d'inégalités dans les traitements. D'ailleurs, les expériences étrangères témoignent de la reconnaissance de ce principe.

La responsabilisation des personnes est un autre principe qu'il nous apparaît important de privilégier en matière de santé. Il nous semble important d'inciter les gens à se prendre en main et faire attention à leur santé. En effet, le gouvernement ne peut garantir à lui seul pour ses citoyens qu'ils seront en santé toute leur vie. C'est pourquoi nous insistons, dans notre mémoire, sur la prévention.

En matière de santé, le gouvernement ne peut pas attribuer à l'entreprise plus de responsabilité financière qu'elle en a déjà. Comme nous l'avons dit précédemment, vouloir augmenter ce fardeau créera des problèmes aux entreprises québécoises et minera notre compétitivité comparativement aux entreprises des autres provinces.

Donc, nos recommandations sur le premier thème sont que le CPQ recommande que toute réforme dans le système des soins de santé repose sur les principes suivants: le premier, la préservation de l'universalité et l'équité du régime public des soins de santé; le deuxième, une garantie de soins dans des délais acceptables pour toute la population; le troisième, la responsabilisation des personnes; et le quatrième, la protection de la compétitivité des entreprises.

Notre deuxième thème est sur un plan d'amélioration de l'accès aux services visant à réduire les délais d'attente. Bon, d'une manière générale, le CPQ est en accord avec la stratégie gouvernementale d'amélioration de l'accès aux services en offrant une garantie de soins dans des délais raisonnables. À notre avis, idéalement, tous les problèmes de santé devraient faire l'objet d'une telle garantie d'accès. Il faut s'assurer toutefois que la mise en oeuvre de la garantie d'accès des soins ne mène pas à des recours accrus devant les tribunaux pour la faire respecter évidemment, ce qui augmenterait les coûts du système de santé. Toutefois, il ne faut pas se leurrer, si le gouvernement adopte un plan raisonnable de garantie d'accès de soins, cela aura des répercussions financières. Si certains soins font l'objet d'un accès plus rapide et que l'enveloppe budgétaire demeure intacte, c'est que d'autres soins de santé seront jugés moins prioritaires et des personnes souffrantes devront attendre.

Pour cette raison, le CPQ est d'avis que la viabilité d'un plan d'amélioration de l'accès aux services doit être accompagnée non seulement d'un plan de réorganisation des services, mais aussi d'une révision du mode de financement qui prévoit une place circonscrite au financement privé.

Donc, nos recommandations sur le deuxième thème est que le CPQ est en accord avec la stratégie gouvernementale d'amélioration de l'accès aux services en offrant une garantie des soins dans des délais raisonnables. Cette garantie d'accès doit couvrir un pourcentage significatif des besoins de santé. Le CPQ est aussi d'avis qu'un plan de réorganisation des services ainsi qu'une révision du mode de financement prévoyant une place encadrée à la contribution privée sont nécessaires pour permettre la viabilité d'un plan d'amélioration de l'accès aux services. Et également le CPQ demande aussi au gouvernement de s'assurer que la mise en oeuvre d'une garantie des soins ne mène pas à des poursuites judiciaires accrues.

Le troisième point que je vais vous entretenir, c'est sur les assurances privées et le financement des soins de santé. Dans les mémoires qu'il a été présenter dans le passé aux différents gouvernements, le CPQ a toujours dit qu'il fallait préserver le financement public des soins de santé. Le CPQ a toujours prétendu qu'une réorganisation de la livraison des services pouvait engendrer des économies importantes. Mais depuis, il y a eu l'arrêt Chaoulli, cette décision de la Cour suprême du Canada statuant que l'interdiction de souscrire à des assurances privées pour obtenir des services couverts par le régime public contrevenait à la Charte québécoise des droits et des libertés. C'est dans ce contexte que le gouvernement du Québec propose de permettre l'ouverture aux assurances privées concernant les chirurgies de remplacement de la hanche et du genou et les chirurgies des cataractes.

Il est clair que l'ouverture aux assurances privées peut accroître le financement des soins de santé. Les personnes qui participent à un régime privé d'assurance peuvent recevoir alors des services de santé par leurs assureurs. Cela contribue directement à accroître les revenus du gouvernement lorsque ces services de santé sont fournis par le secteur public, ou encore, cela vient réduire les dépenses publiques de santé quand ces services sont offerts par des pourvoyeurs privés. Mais, dans les deux cas, l'impact budgétaire est le même: le financement par les assurances privées augmente les marges de manoeuvre financières du gouvernement, permettant ainsi de déduire les délais d'attente des services de santé publics. Ainsi, une ouverture encadrée au financement privé des soins de santé est une solution gagnante pour tout le monde.

Toutefois, l'ouverture faite par le gouvernement aux assurances privées n'aura que peu de répercussions financières, car l'ouverture faite dans le domaine des consultations s'avère trop timide. En effet, nous pensons que peu de personnes décideront d'acheter une assurance privée dans le cas des chirurgies électives mentionnées. La population en âge de travailler, ayant peu de recours à ces interventions, préférera tout simplement s'abstenir. Et comme les primes d'assurance pour la population plus âgée risquent d'être assez élevées, peu de personnes en achèteront.

Pour cette raison, le CPQ pense que le gouvernement devrait élargir la gamme des services de santé assurables à l'ensemble des chirurgies orthopédiques électives et ophtalmologiques. En contrepartie, le gouvernement devrait être rigoureux dans l'application de la garantie d'accès de soins pour ces mêmes services, pour le public en général.

Donc, notre recommandation au thème n° 3 est la suivante: Puisque le financement des soins de santé pour les assurances privées permet d'améliorer les marges de manoeuvre financières du gouvernement, le CPQ recommande d'ouvrir la porte aux assurances privées dans le cas de l'ensemble des interventions chirurgicales électives, orthopédiques et ophtalmologiques. Merci de votre attention.

Et je cède la parole à Mme Bellemare, qui vous entretiendra sur les cinq derniers thèmes de notre mémoire.

Mme Bellemare (Diane): M. le ministre, M. le Président, mesdames et messieurs. On va continuer dans la même veine, on va parler maintenant de l'étanchéité entre les dispensateurs de services à financement public et à ceux de financement privé.

Il est important à notre avis de protéger l'intégrité du système public des soins de santé. Néanmoins, si l'on veut réellement donner de l'oxygène au système, l'offre de services des soins de santé privés doit suivre l'ouverture au financement privé. À cet effet, les dispositions prévues quant à l'étanchéité entre les dispensateurs de services publics et privés nous apparaissent inutilement étanches. Elles pourraient même à notre avis avoir des effets contraires à ceux souhaités et encourager davantage les médecins à quitter définitivement le secteur public.

Donc, si on veut ouvrir l'offre de services, à notre avis il faut permettre aux médecins de pouvoir aussi participer à la dispensation de services privés, notamment comme le font certains pays: au Royaume-Uni, par exemple, on permet aux médecins de pouvoir compléter leurs revenus au privé en gagnant, par exemple, 10 % de leurs revenus dans ce secteur.

À cet effet, donc, le CPQ recommande au gouvernement d'être vigilant pour que l'ouverture au privé n'affaiblisse pas la qualité des soins de santé publics, mais par contre le CPQ croit qu'une trop forte étanchéité risque de générer des effets contraires à ceux souhaités et d'encourager davantage de médecins à se désengager du secteur public. C'est pourquoi nous recommandons qu'il soit possible aux médecins spécialistes de gagner un pourcentage quelconque ? à être négocié ? de leurs revenus dans le secteur privé.

Concernant maintenant le traitement fiscal des assurances privées pour les participants, ce qu'on suggère, c'est qu'il y ait un traitement fiscal qui privilégie les particuliers plutôt que les entreprises. En fait, l'ouverture à des assurances privées dans le domaine des soins de santé assurés par le public devrait donner droit à des avantages fiscaux pour les particuliers plus importants que ce qui existe déjà. Surtout parce qu'on parle ici, là, d'assurance duplicative, on ne parle pas d'assurance qui remplace mais duplicative. Donc, les particuliers devraient bénéficier d'un traitement fiscal amélioré lorsqu'ils paient directement pour des services de santé.

En effet, en raison de l'impact financier positif de ces contributions sur les finances publiques, un particulier qui participe à la réduction de la facture des services publics tout en partageant, par ses taxes et impôts, le coût des services publics, devrait pouvoir bénéficier d'une reconnaissance fiscale de la part du gouvernement sous forme d'un crédit d'impôt.

Dans le cas de la santé, tout comme dans celui de l'éducation, l'avantage fiscal devrait être offert aux particuliers plutôt qu'aux entreprises. Les entreprises qui veulent offrir une assurance collective à leurs employés pourront toujours le faire parce que le coût de ces assurances est comptabilisé dans la masse salariale, qui est donc déductible d'impôt, c'est un coût. Mais, par souci d'équité entre les sources de revenus, c'est-à-dire que ce soient les salaires, les revenus d'entreprise, les dividendes, nous préférons que ce soient les individus qui puissent profiter d'une reconnaissance fiscale particulière, car en matière de santé comme en matière d'éducation le statut du contribuable sur le marché du travail n'a pas d'importance.

n(15 h 40)n

Donc, nous recommandons qu'à l'instar de nombreux pays comme le Danemark, l'Irlande, la Nouvelle-Zélande et l'Australie le gouvernement accorde un statut fiscal particulier aux dépenses encourues par les particuliers dans le domaine de la santé, dépenses encourues sous forme de primes d'assurance ou de paiement direct pour des services assurés dans le secteur public. Cette reconnaissance fiscale de la contribution accrue des particuliers pour les soins de santé doit être plus importante que les déductions actuelles prévues au rapport d'impôt.

Maintenant, vous avez parlé, dans le document de consultation... vous essayez de sonder les coeurs quant à la création d'un régime d'assurance contre la perte d'autonomie. Bien, à première vue, la création d'un régime d'assurance contre la perte d'autonomie apparaît intéressante. Et d'ailleurs le CPQ, qui a participé aux travaux de la commission Ménard, a donné son aval à une telle proposition.

Néanmoins, dans le dernier budget, la création du Fonds des générations a changé la donne, et l'idée de la création d'un tel régime nous amène maintenant à formuler certaines réserves dont voici l'essentiel. Comme...

Le Président (M. Copeman): ...il reste trois minutes.

Mme Bellemare (Diane): Trois minutes. Bon. Alors, l'essentiel, c'est qu'à notre avis le Fonds des générations, qui ramasse les contributions et qui permet de rembourser la dette, vient apporter un soulagement aux finances publiques et vient en quelque place répondre à ce qu'une caisse santé pourrait faire. Par ailleurs, nous craignons qu'une caisse santé puisse donner lieu, là, à l'idée qu'on crée des CPE pour personnes âgées. Puis je pense que les baby-boomers vont vouloir davantage de services très diversifiés à leurs besoins. Et donc nous privilégions, au lieu d'une cotisation sous forme d'assurance, plutôt de reposer, là, sur de l'épargne personnelle, s'il le faut.

Donc, le CPQ tient à formuler des réserves quant à la pertinence de créer un régime d'assurance de soins de longue durée parce que, pour nous, ça n'a pas vraiment une connotation d'assurance, là. Tout le monde, à un moment donné... ou en tout cas les chances de perte d'autonomie sont très élevées pour un grand nombre de personnes. Donc, le CPQ est d'avis que le Fonds des générations, d'une part, et des dispositions d'épargne individuelle, d'autre part, pourraient alléger le financement des soins de longue durée.

En terminant, quelques mots sur la prévention en matière de santé. Nous pensons que la prévention est quelque chose de très rentable en matière de santé. C'est sûrement rentable pour les entreprises qui adoptent des programmes, parce que ça réduit l'absentéisme; c'est rentable pour le gouvernement également. Donc, nous recommandons au gouvernement que les dépenses encourues dans des programmes de prévention en matière de santé, auprès des employés, pour les entreprises puissent faire l'objet d'un traitement fiscal plus avantageux que ce n'est le cas actuellement. Je vous remercie.

Le Président (M. Copeman): Merci beaucoup, messieurs, madame. Alors, M. le ministre de la Santé et des Services sociaux.

M. Couillard: Merci, M. le Président. Merci, messieurs, madame, pour votre communication et votre visite aujourd'hui, à l'Assemblée nationale. J'aurais quelques éléments de votre mémoire à discuter.

D'abord, la question du financement privé, je dirais que les évidences disponibles montrent que l'ajout de financement privé ne diminue pas la facture de l'État. Il n'y a aucun exemple semblable dans le monde. Ça offre plus de flexibilité, plus de réactivité au système de santé peut-être, pour les individus et pour que les individus aient plus de choix peut-être et d'accessibilité. Mais, si on regarde les données internationales, notamment celles de l'OCDE et de l'Europe de l'Ouest, l'assurance privée ne diminue pas du tout les dépenses publiques.

Ce serait le cas si on décidait, par exemple, de désassurer un grand pan de services et de le confier entièrement à l'assurance privée. Là, on fait un remplacement, puis on a une assurance qui devient une assurance complémentaire par rapport à ce qui est assuré. Exemple ? c'est une hypothèse, je rassure tout de suite le député de Borduas: on désassure totalement la chirurgie d'un jour et on dit aux assureurs privés: Maintenant, vous allez offrir... tout le monde va devoir être couvert, vous allez offrir des programmes d'assurance privée pour la chirurgie d'un jour. Avec ça, on réduit la facture pas parce qu'on a introduit l'assurance privée, parce qu'on s'est désengagé d'une partie des services assurés. Donc, je pense qu'il faut faire... il faut être très prudent.

Je dirais, comme premier point, ici, que... Là, vous parlez du financement privé. Êtes-vous sûrs que les entreprises le désirent vraiment? Parce que j'ai été, moi, dans un groupe de dirigeants d'entreprise parmi des entreprises importantes au Québec, où le message explicite a été, envers le gouvernement: Protégez-nous du privé. Parce que ce qui va arriver, ce n'est pas le gouvernement, s'il y avait une assurance privée, qui va vous dire: Vous devez payer pour l'assurance privée. C'est vos employés puis vos syndicats qui vont l'exiger dans les avantages collectifs, puis vous allez vous ramasser, comme en Europe, comme aux États-Unis, avec une bonne partie de la facture à laquelle vous voulez échapper, justement.

Vous ne pourrez pas dire, là: Ce n'est pas nous autres qui vont se payer ça, parce que les citoyens, ils n'auront pas les moyens de toute façon de se payer des contrats personnels d'assurance pour la santé, donc ils vont exiger que ce soient les assurances collectives, et c'est vous qui allez ramasser au moins 50 % de la facture. Et vous allez peut-être perdre de la compétitivité, là, avec ça, par rapport justement à ce qui se passe au sud de la frontière. Est-ce que vous avez déjà réfléchi à cet aspect de la question?

M. Kelly-Gagnon (Michel): Alors, évidemment, merci, M. le ministre, pour vos excellentes questions. Sur le premier point que vous avez soulevé. D'abord, évidemment, comme il y a une file d'attente, au niveau du public, pour demander des soins, c'est bien évident qu'à un certain moment, peu importent les mesures que vous prenez, comme il y a des gens qui sont en queue, en file d'attente, quand même que vous déviez une partie au privé, ça va juste permettre à d'autres gens d'arriver, mais ce n'est pas une économie nette. Mais par contre...

Et vous avez raison de dire aussi que ça augmente, ça ne diminue pas l'augmentation des dépenses en santé, qui de toute façon, pour des raisons structurelles et de démographie, vont augmenter. Et je dirais même: À la limite, ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose, dans le sens que, s'il y a des besoins en matière de santé, qui on est, nous, pour dire que ces besoins-là ne peuvent pas représenter plus que tant de pour cent de l'ensemble des ressources disponibles? En bout de ligne, l'objectif, c'est de répondre au plus de besoins possible.

Par contre, ce qu'on peut voir ? puis là-dessus il peut y avoir peut-être un débat ? c'est au niveau du rythme d'augmentation des dépenses. Et, dans certains cas, nous, on croit avoir observé que, dans les pays qui ont ouvert au financement privé, le rythme d'augmentation des dépenses publiques avait été ralenti, donc qu'ils avaient continué à voir une augmentation, mais que l'augmentation était moins rapide que précédemment.

Sur la question du souhait des entreprises, je pense que le consensus, c'est de dire... d'effectivement ne pas se retrouver dans une dynamique où c'est intégré dans les assurances collectives. Il y a une préoccupation qui est à ce niveau-là. Par contre, est-ce que les entreprises pensent qu'il faut interdire aux particuliers l'accès? Je pense que là-dessus il peut y avoir une diversité d'opinions, là. Je n'ai pas vu, moi... et on a rencontré des petits groupes de travail, puis à travers aussi des firmes d'actuaires, qui avaient réuni des entreprises, je n'ai pas vu de consensus unanime.

Mais c'est clair qu'on ne veut pas et qu'il n'y a pas un souhait que ça devienne partie des régimes d'assurance collective de façon systématique et automatique. Ça, vous avez raison.

M. Couillard: ...que c'est la demande qui va vous être faite immédiatement. Il n'y a aucun pays qui a une assurance privée duplicative ou complémentaire dans laquelle ça ne fait pas partie d'une façon quelconque des avantages collectifs des employés, autant les employés de l'État que les employés des entreprises privées.

C'est la raison pour laquelle également... Puis, Mme Bellemare, je pense que c'est vous qui avez amené la question du traitement fiscal des assurances privées. Je veux indiquer de façon très ouverte et très franche que nous n'envisageons pas un tel traitement fiscal. Parce que vous dites: Le propriétaire d'une assurance privée va réduire la facture du système de santé. Non, il ne réduit pas la facture, la facture reste la même, parce qu'il y a un autre patient qui va prendre sa place. C'est toujours le même raisonnement que monsieur votre voisin vient de dire. Alors, il n'est absolument pas de notre intention d'accorder un traitement fiscal, déduction aux propriétaires d'assurance privée.

Par contre, si je reviens à mon exemple précédent, si on faisait une substitution, si on disait: Bien, on va désassurer un bloc de services puis, ça, on l'envoie à l'assurance privée, là, ce serait logique de donner une déduction fiscale pour les gens qui s'achètent de l'assurance privée. Mais, nous, on assure déjà la population avec des coûts considérables, on ne paiera pas deux fois, là. Parce qu'une dépense fiscale, c'est une dépense pareil. C'est des revenus de moins pour le gouvernement, mais ce n'est pas vrai, Mme Bellemare ? je m'excuse ? ce n'est pas vrai que ça réduit la facture de l'État. Montrez-moi un cas dans le monde où ça l'a fait.

Mme Bellemare (Diane): M. le ministre, si je peux me permettre d'insister sur ce point, c'est sûr que les dépenses totales du secteur public ne diminueront pas, actuellement, avec l'ouverture au privé, étant donné la longueur des listes d'attente. Et actuellement, le budget, il est fixé une fois par année, et donc on a des délais d'attente.

L'ouverture aux assurances privées et le fait qu'un individu qui continue de contribuer totalement pour l'assurance publique mais qui en plus contribue à financer des soins privés, ce qu'il fait, c'est qu'il vous permet, à vous, gouvernement, de financer une garantie de soins ou de réduire les délais d'attente. Alors, ce citoyen, lui, il paie doublement pour le service qu'il va se faire faire au privé, parce qu'il aurait pu attendre un peu puis il l'aurait eu au public. Mais donc il permet à quelqu'un d'avoir des soins et donc il diminue la grogne.

À cet effet-là, une reconnaissance fiscale, c'est sûr qu'elle réduit un petit peu la valeur. Mais, par exemple, actuellement, le traitement fiscal, c'est un crédit d'impôt non remboursable de 20 % pour des dépenses de santé qui excèdent 3 % du revenu d'un individu. Bien, nous, on pense que ce serait peut-être légitime, en tout cas dans un premier temps, de discuter de pouvoir enlever ce 3 % là, par exemple. Pourquoi ce ne serait pas un crédit d'impôt non remboursable pour la totalité de primes d'assurance, par exemple, qu'un individu pourrait payer?

M. Couillard: Sur...

M. Kelly-Gagnon (Michel): Puis l'autre... Excusez-moi.

Le Président (M. Copeman): Dr Gagnon, allez-y.

n(15 h 50)n

M. Kelly-Gagnon (Michel): Oui, si ça ne dérange pas. L'autre point aussi, monsieur ? et je ne dis pas que c'est ce que vous faites, mais c'est un commentaire général, là, que je vais faire ? il faudrait être prudent de ne pas commettre l'erreur d'attribuer un coût économique zéro au fait d'avoir des listes d'attente. C'est-à-dire qu'il y a les coûts monétaires évidents qui sont dépensés, mais quand vous comprimez l'offre ou quand l'offre ne répond pas aux besoins des citoyens et qu'il y a des gens qui sont sur des listes d'attente, il y a des coûts économiques à ça. Et je pense que, quand on parle de l'ensemble de l'équation, si on veut discuter en matière économique, il faudrait aussi attribuer la juste valeur du coût de ces listes d'attente.

M. Couillard: Là-dessus, vous avez un point qui est tout à fait réel. Ce que ça va nous dire, c'est qu'il faut améliorer les listes d'attente. Et là il y a plusieurs façons d'améliorer les listes d'attente.

Et, pour revenir à ce que vous disiez il y a quelques instants, même les pays de l'OCDE qui ont très peu de files d'attente, exemple la France, ont un pourcentage des dépenses publiques en santé qui est supérieur à celui du Québec et des rythmes d'augmentation annuelle qui sont les mêmes ou supérieurs à ceux du Québec. Alors, il n'y a pas de réduction ni de la taille des dépenses publiques de santé ni de leur rythme d'augmentation annuelle. Je pense que c'est... Qu'on nous en montre la preuve. Moi, je ne connais pas un seul exemple international dans ce domaine-là.

Alors, ce qu'on dit, c'est que, oui, les gens pourront avoir des assurances dans trois domaines, on en fera l'évaluation, mais l'État ne paiera pas une deuxième fois, il ne donnera pas de traitement fiscal pour ça. Mais ça, c'est notre position, puis c'est certain qu'on ne peut pas être d'accord sur tout.

La question de l'étanchéité maintenant. Moi, je ne suis pas fondamentalement et philosophiquement opposé à l'étanchéité. Il y a de nombreux pays aussi développés que nous ou même plus, sur le plan social, qui ont des doubles pratiques médicales. Puis, comme je l'indique souvent, c'est presque irréel parfois de nous chicaner sur le principe lui-même qui est appliqué dans l'ensemble des pays qui ont des systèmes de santé modernes.

Le seul point actuellement qui à mon avis doit nous amener à la plus grande prudence au fait de maintenir l'étanchéité, c'est la situation des effectifs médicaux. Au moment où les effectifs médicaux seront stabilisés, et on annonce dans le document qu'il y aura, dans 10 ans, environ 3 000 médecins au net ? au net ? de plus au Québec ? c'est énormément plus de médecins qu'on a actuellement, là ? à ce moment-là, on serait probablement ouverts à considérer la question, d'autant plus que les questions de rémunérations comparatives entre les provinces, des médecins, vont nous amener probablement dans cette direction-là. Mais, à court terme, je dirais que ce n'est pas envisagé.

Et vous parliez des biais possibles d'encourager le désengagement. Je vais vous rappeler que, dans la loi de santé, il y a des dispositifs qui permettent de décréter l'interdiction du désengagement, si on trouve que le mouvement s'accélère et qu'il y a d'autres disponibilités également en matière d'autres méthodes ou mesures que d'autres provinces canadiennes ont faites notamment dans la fixation des tarifs des médecins.

Moi, j'ai déjà expliqué, ici, dans cette Assemblée... commission, que, sur le plan philosophique, si un médecin décide de se désengager, de devenir un entrepreneur privé, il devrait ou elle devrait pouvoir fixer ses propres tarifs selon les lois du marché. Philosophiquement ou fondamentalement, ça m'apparaît correct. Cependant, je ne pense pas qu'un gouvernement hésiterait longtemps devant un mouvement de masse ou concerté de désengagement pour imposer une telle parité tarifaire ou même restreindre le désengagement.

Alors, je vous rassure tout de suite que la question du biais que vous soupçonnez va être surveillée de façon extrêmement attentive, et les outils législatifs existent pour l'interrompre immédiatement.

Mme Bellemare (Diane): Est-ce que je peux me permettre une question, M. le ministre?

M. Couillard: Oui.

Mme Bellemare (Diane): Comment allez-vous empêcher un orthopédiste d'aller livrer des soins dans une autre province ou aux États-Unis, dans son temps libre, si vous maintenez l'étanchéité?

M. Couillard: On n'a pas l'intention de les empêcher, ils peuvent le faire de toute façon, déjà. Vous le savez, madame...

Mme Bellemare (Diane): Oui, mais comment peut-on accepter philosophiquement que des médecins ici, qui aimeraient ça gagner leur vie ici correctement, ce ne soit pas possible de le faire et qu'ils sont obligés d'aller offrir leurs services à l'extérieur pour pouvoir garder la main, parce que les quotas au niveau des opérations du genou et de la hanche, par exemple, les empêchent de pouvoir...

M. Couillard: Il n'y a pas de quotas. Il n'y a pas de quotas.

Mme Bellemare (Diane): Bien, en tout cas, moi, j'ai...

M. Couillard: Il n'y a pas de quotas. Il y a des budgets. Il y a des budgets, comme dans tous les systèmes de santé de santé au monde, incluant les privés.

Mme Bellemare (Diane): Oui. Mais, en tout cas, moi, tout ce que je peux vous dire, c'est que j'ai été une patiente d'orthopédistes, j'ai les deux genoux opérés, puis j'ai, dans les deux cas... dans un cas, ça fait longtemps, je n'ai pas eu d'attente, mais dans l'autre cas, M. le ministre, je peux vous dire que les délais ont été excessivement longs, et que mon orthopédiste avait tout le temps pour m'opérer, et il ne pouvait pas m'opérer.

M. Couillard: Mais savez-vous pourquoi il ne pouvait pas vous opérer? Moi aussi, j'ai été chirurgien puis je ne pouvais pas opérer autant que je voulais. C'est parce qu'il n'y avait pas assez d'anesthésistes puis d'infirmières pour vous opérer. Parce que, du temps et des chirurgiens, il y en a en masse.

Mais, pour revenir à votre première question, moi, je n'ai aucun problème moral à répéter ce que j'ai dit tantôt. Pourquoi? Parce qu'on ne satisfera pas les besoins de rémunération des minorités aux dépens du plus grand nombre. Si on crée un glissement de personnel, si on crée une dérivation des ressources, là, professionnelles, à l'extérieur du système public, c'est l'ensemble de la population dont les 80 % qui gagnent moins de 50 000 $ par année qui vont être pénalisés. Ça, moi, ça ne m'enlève pas une demi-seconde de sommeil de faire ça.

Maintenant, je répète qu'au moment où les effectifs médicaux seront suffisants probablement qu'on va évoluer vers un système de santé avec une mixité de pratiques. Probablement qu'on va le faire. Mais je dirais que ça va prendre encore quelques années. Et on va surveiller de très près d'ailleurs l'évolution du nombre de médecins désengagés au cours des prochaines années.

Puis n'oubliez pas également que, malgré les récriminations, les lamentations et les jérémiades, la Régie de l'assurance maladie du Québec, ça demeure un milieu professionnel très agréable pour les médecins, avec un revenu élevé garanti dès la première année de leur pratique professionnelle, qui les place dans une situation envieuse par rapport aux autres citoyens du Québec. Alors, là-dessus, moi, je n'ai pas non plus vraiment d'inquiétude. Mais je répète que la question d'étanchéité, on pourra y revenir lorsque les effectifs le permettront.

Vous avez abordé la question du financement avec la proposition d'améliorer le Fonds des générations. Quels seraient les... Parce que j'ai compris dans votre mémoire que vous vouliez augmenter la taille du Fonds des générations ou le...

Mme Bellemare (Diane): Bien, par exemple, des transferts qui pourraient venir du fédéral pourraient être utilisés d'emblée pour réduire la dette, par exemple. Ça peut donner une marge de manoeuvre. Que des contributions à un régime de soins, d'assurance... au lieu d'avoir un fonds bien dédié à l'assurance de soins de longue durée, pourquoi ne pas se servir du Fonds des générations? L'impact financier est le même en bout de piste. C'est une illusion à mon avis que d'avoir deux véhicules.

M. Couillard: Donc, comment vous réagissez ? puis je termine là-dessus, M. le Président ? à l'idée qui a été évoquée, ce matin et d'autres journées, de créer comme véhicule de financement à long terme un fonds capitalisé ou partiellement capitalisé mais exclusivement centré sur la promotion et la prévention, de façon à diminuer la pression sur le système de santé des personnes âgées que nous serons ou que nos enfants seront? Est-ce que vous trouvez que c'est une idée qui mérite d'être approfondie?

Mme Bellemare (Diane): Un fonds capitalisé complètement dédié à la prévention?

M. Couillard: À la prévention et à la promotion des bonnes habitudes de vie.

Mme Bellemare (Diane): Si on le capitalise, ce fonds, ça veut dire qu'on va faire des dépenses de promotion dans 20 ans?

M. Couillard: Ah oui, il y en a toujours à faire, c'est clair, et il va falloir en faire au cours des prochaines années.

Mme Bellemare (Diane): Mais ça m'apparaît un peu curieux à mon avis, parce qu'on capitalise d'habitude des dépenses qui sont pour le futur, et, dans le cas de la prévention, c'est dès maintenant qu'on doit faire de la prévention puis de la promotion de la bonne santé, et à mon avis on ne peut pas...

M. Couillard: Mais il va falloir le faire dans 20 ans, aussi. Dans 20 ans aussi, il va falloir...

Mme Bellemare (Diane): Oui, oui. Oui, mais...

M. Couillard: Puis, on en ferait maintenant, aussi. Partiellement capitalisé.

Mme Bellemare (Diane): À mon avis, je pense qu'on serait peut-être mieux d'avoir des véhicules d'épargne pour permettre aux personnes actuellement baby-boomers de pouvoir financer leurs problèmes de soins de longue durée, pour répondre au problème d'équité intergénérationnelle que cela pose actuellement.

M. Couillard: O.K.

Le Président (M. Copeman): Merci. M. le député de Borduas et porte-parole de l'opposition officielle en matière de santé.

M. Charbonneau: Bien, madame, messieurs, bon après-midi. À une autre époque, Mme Bellemare, quand vous plaidiez pour le plein emploi, j'étais plutôt favorable avec vos opinions, mais aujourd'hui certainement pas. Et je pourrais prendre plusieurs des réponses que le ministre a données pour redire à peu près la même chose, en allant même un peu plus loin en ce qui concerne l'ouverture au financement privé. On ne le ferait même pas, si c'étaient nous.

Mme Bellemare (Diane): Pardon?

M. Charbonneau: On ne le ferait pas du tout. Et parce que de toute façon on reconnaît du côté gouvernemental que ce serait... l'effet va être cosmétique. D'ailleurs, vous autres aussi, vous le reconnaissez, et c'est pour ça que vous plaidez pour que le gouvernement élargisse vraiment l'ouverture aux assurances privées. Parce que ce qui va se faire actuellement, nous, on considère que c'est une brèche.

Mais il y a beaucoup de gens qui nous disent, puis je pense que vous êtes de cette opinion-là, que pour le moment ça ne portera beaucoup à conséquence. Mais, vous, vous souhaitez que ça porte à conséquence, et donc, dans ce contexte-là, vous plaidez pour que finalement, tant qu'à faire, les assurances privées soient importantes. Mais dans le fond vous ne faites pas la démonstration que ça va avoir un impact sur les listes d'attente. En fait, la démonstration a été faite partout que ça n'a pas d'impact sur les listes d'attente.

En Grande-Bretagne, ce matin, il y a un groupe de chercheurs de l'Université de Montréal qui sont venus faire la démonstration que ce n'est pas du tout ça qui a créé un impact sur les listes d'attente. C'est parce qu'on a identifié un certain nombre de problèmes opérationnels fonctionnels dans le système, puis qu'on s'est attaqué avec du financement public à ces questions-là, et qu'on a réussi à avoir un impact significatif sur l'attente. Ce n'est pas parce qu'on va ouvrir aux assurances privées.

Ça, c'est comme une espèce d'approche, là, qui donne l'impression aux citoyens, là, que, si on leur permettait de s'assurer, là, actuellement, là, l'attente serait réglée. Mais les 108 000 personnes qui attendent actuellement pour une chirurgie, là, dont 40 000 depuis plus de six mois, là, il n'y en a pas un qui est assurable. Et on donne l'impression, en tenant ce discours-là dans la société, là, que tout ce monde-là, demain matin, s'ils étaient assurés, qu'ils pourraient s'assurer facilement, ils régleraient leur problème d'attente. Ce n'est pas vrai, ça.

Dans le fond, la question des assurances, c'est pour l'avenir. Et là la réalité de fond, c'est: Qui peut se payer des assurances sur une base individuelle à la hauteur de ce que ça va coûter comme prime pour avoir une véritable protection?

Moi, je pense que... je ne comprends pas la logique... Oui, je comprends très bien la logique idéologique, mais je ne comprends pas le raisonnement au plan des faits quand la démonstration est, encore là, clairement que ça n'a pas eu les impacts, qu'on nous laisse croire ici, ailleurs, que c'est autre chose qui a amené le règlement des questions des listes d'attente quand c'est réglé ou quand ça s'est amélioré de façon significative.

n(16 heures)n

M. Kelly-Gagnon (Michel): Alors, merci, M. le député de Borduas, et je note que... Donc, vous, vous n'avez aucun biais idéologique, hein, vous, c'est seulement factuel.

M. Charbonneau: Non, je ne dis pas que je n'en ai pas, de biais idéologique...

M. Kelly-Gagnon (Michel): O.K.

M. Charbonneau: ...je dis que je ne partage pas votre idéologie, j'en ai une autre.

M. Kelly-Gagnon (Michel): O.K., d'accord. Et donc... Mais, moi, entre autres, je parlais récemment, et puis il y avait des statistiques qui avaient été données par le président du Parti libéral suisse, qui a été ministre de la Santé en Suisse aussi pendant plusieurs années, et lui mentionnait que les assurances privées jouaient un rôle tout à fait utile dans l'ensemble du système, y compris en matière des gestions de listes d'attente. Donc, vous dites: Aucun cas. Moi, je peux vous citer la Suisse. En Australie également dans le même sens.

Et, moi, je me demande quelle est cette obsession à vouloir interdire aux citoyens qui ont contribué, grâce à leurs taxes et à leurs impôts, au financement du système public, parce que le CPQ reconnaît et approuve le maintien du financement du système public grâce aux taxes et aux impôts... Une fois que cet exercice-là a été fait, si le citoyen a un revenu disponible, moi, je suis assez surpris qu'on vienne lui interdire l'usage de son revenu disponible. Vous, vous dites que les gens, à la grande majorité, ne pourraient pas s'en payer. Sait-on, s'il y a un marché qui se développe, comment les primes vont se tarifier, quels va être la gamme de services ouverts, et on pourrait être surpris de savoir qu'il y aurait une partie non négligeable de la classe moyenne qui pourrait y avoir accès, surtout si on accorde un traitement fiscal approprié.

M. Charbonneau: Justement, le traitement fiscal, il va être payé par l'ensemble des contribuables qui vont repayer une deuxième fois pour permettre à une minorité, eux autres, de pouvoir aller aux assurances privées? Voyons donc!

M. Kelly-Gagnon (Michel): C'est exactement l'inverse.

M. Charbonneau: Bien, voyons donc!

M. Kelly-Gagnon (Michel): C'est exactement l'inverse.

M. Charbonneau: Écoutez, le traitement fiscal, là, qui c'est qui le paie? C'est finalement l'ensemble des contribuables. Quand le gouvernement accorde un traitement fiscal comme celui que vous demandez, c'est l'ensemble des citoyens contribuables qui vont finalement être ceux qui vont assumer ça. Et, en bout de piste, là, ne faites pas croire aux gens qu'avec 7,5 millions de Québécois dont la majorité, 80 %, gagnent moins de 50 000 $ par année, qu'il y a un marché extraordinaire. Le marché, puis je pense que le ministre avait raison de vous le dire, ça va être vos entreprises qui vont devoir l'assumer à 50 %. Et, moi, je ne comprends pas que vous teniez cette thèse-là. Je pense qu'il y a bien des entreprises, là, qui, prises individuellement, puis des entrepreneurs grands, petits, moyens, là, qui ne tiennent pas le discours de leur Conseil du patronat puis qui tiennent plutôt le discours: Nous autres, là, on ne veut pas se retrouver, comme aux États-Unis, à devoir payer des primes énormes puis avoir des frais importants, alors que déjà, par notre fiscalité, on contribue, pour l'essentiel, au fonctionnement d'un système de santé qui a ses défauts mais qui n'est pas si pire que ça, là, hein?

M. Kelly-Gagnon (Michel): Je pense que la comparaison avec les États-Unis est assez boiteuse, parce qu'il n'y a pas, aux États-Unis, de système universel de santé, alors que, nous, il y en a un ici, et on dit qu'il faut le maintenir. Donc, je pense que c'est deux mondes différents.

Par ailleurs, sur la diversité d'opinions au niveau des entrepreneurs, oui, il y a une diversité d'opinions, mais de la même façon que, quand il y a des sondages qui sont faits puis qu'on demande à l'ouverture du privé en santé puis qu'ensuite on ventile selon les intentions de vote, parmi les gens qui votent Parti québécois, il y en a, des gens, qui sont ouverts à l'ouverture au privé en santé. Alors, vous savez, des diversités de points de vue, ça existe partout, là.

M. Charbonneau: C'est vrai, puis, quand vous demandez aux citoyens: Si on est capables d'améliorer le système, êtes-vous prêts à payer deux fois?, je ne pense pas que les citoyens sont prêts à payer deux fois. Parce que la réalité, là, c'est que les citoyens qui paieraient des assurances privées, là, en général, à part des plus riches, là, bien ils s'appauvriraient. Pourquoi? Parce qu'ils paient déjà des assurances. Puis pourquoi, moi, par exemple, j'irais payer une assurance privée pour avoir des services, alors que je paie déjà, par ma fiscalité puis par mes taxes et mes impôts, ces mêmes assurances là? L'argent que je vais donner à une compagnie d'assurance, alors que j'en ai déjà donné au gouvernement pour ce service-là, là, je ne l'ai pas dans mes poches, là, pour faire d'autres types de consommation, hein?

M. Kelly-Gagnon (Michel): Mais, M. le député, avec respect, on ne parle pas de l'obligation de souscrire à une assurance privée, on parle de la liberté. Ce n'est pas la même chose. Si, vous, vous pensez que ce n'est pas une bonne chose de souscrire à l'assurance privée, prenez-en pas. Si, moi, je pense que c'est une bonne chose, je vais en prendre. Ce n'est pas compliqué, ça.

M. Charbonneau: Sauf que... C'est ça. Mais le problème fondamental ? puis le ministre vous l'a dit, puis je pense qu'on l'a dit à plusieurs reprises, puis j'ai déjà eu l'occasion d'en débattre avec vous dans un autre forum ? la réalité, là, c'est que, là, actuellement, le risque majeur, c'est que, compte tenu de la réalité des effectifs, du personnel soignant au Québec, on ne peut pas se permettre ça. On ne peut pas se permettre actuellement le risque de faire en sorte que des gens vont quitter le système public, vont quitter leur... vont réduire l'offre de services publics pour aller faire plus d'argent dans le privé. C'est ça aussi, la réalité. Ça, là, je veux dire, on ne peut pas vivre dans un univers d'abstraction, là. À un moment donné, ça, c'est notre réalité aujourd'hui, puis ce n'est pas vrai que ça n'aura pas de conséquence sur les effectifs médicaux, sur les effectifs infirmiers. Ne venez pas nous dire le contraire, la démonstration a été faite à bien des endroits. Et c'est ça, la réalité avec laquelle, je veux dire, on est obligé de composer. On ne fait pas juste des théories dans l'abstraction. On fait des théories en fonction aussi de comment ça va atterrir dans un contexte particulier, dans une réalité particulière qui est la nôtre.

M. Kelly-Gagnon (Michel): Moi, je pense que... d'ailleurs, en parlant... de la réalité, actuellement, il y a des gens, à l'intérieur du système de monopole que vous défendez, il y a des gens qui souffrent, il y a des gens qui ont des difficultés à l'heure actuelle, et ça aussi, c'est la réalité.

M. Charbonneau: Oui, et la réalité, c'est peut-être qu'on peut répondre à cette problématique-là autrement et peut-être plus efficacement. Et ça, il y a beaucoup de gens qui, encore ce matin, sont venus nous indiquer que les options qui sont à notre disposition comme société, puis comme État, puis comme Assemblée nationale, sont différentes de celles que vous proposez.

Le Président (M. Copeman): Oui, Mme Bellemare, vous souhaitez intervenir?

Mme Bellemare (Diane): Oui. Moi, je pense qu'il y a un gros problème, une grosse confusion dans les esprits quand on analyse le secteur de la santé. On pense qu'on a un secteur, là, qui est une boule qui ne grossit pas, et à mon avis, quand on permet une ouverture au financement privé puis qu'on permet une certaine étanchéité, on augmente la production des services de santé, on n'enlève rien à personne, au contraire, on donne plus de soins.

Et pour le particulier qui décide de prendre 100 $ de plus de sa poche pour se faire traiter, parce qu'il a un malaise, au privé, O.K., et donc ça donne un 100 $ de plus au gouvernement pour traiter quelqu'un, si le gouvernement lui donne une petite reconnaissance, un 20 %, par exemple, il en reste encore toujours 80 de plus au gouvernement, 80, donc, dollars, que les autres payeurs de taxes auront moins à contribuer. Et c'est là, je pense, qu'il y a une confusion dans l'esprit des gens.

Et la santé, je pense, si on veut vraiment comprendre le phénomène économique de cette industrie, parce que c'est aussi une industrie, imaginez-vous un pays où le gouvernement, année après année, budgète le nombre de pommes de terre qu'il va donner à sa population parce qu'il nourrit sa population avec les pommes de terre, parce que c'est une épicerie collective, et qu'il y a des gens qui sont tannés de manger en fonction du budget que le gouvernement... et qui demandent une ouverture au privé. Si vous permettez l'ouverture au privé, autant au niveau des producteurs qui pourraient cultiver un petit peu plus de lopins de terre que des gens qui pourraient dire: Bien, moi, ça me tente d'acheter de la viande au lieu de m'acheter un objet quelconque, bien vous allez voir que l'agriculture va grossir, que les gens ne mangeront pas juste des pommes de terre, et puis que tout le monde va manger... son ventre... qu'il va y avoir une variété... et c'est un peu la même chose...

Et, M. Charbonneau, je termine juste sur une remarque. J'ai défendu le plein-emploi, et je le défends encore toujours, et je pense que, dans le secteur de la santé, il y a une possibilité de répondre à des besoins d'offrir des emplois de qualité, bien payés, puis d'empêcher des gens de souffrir. Et, pour ça, ça prend une ouverture à un financement privé. Et là, bon, le gouvernement nous consulte sur les assurances. Et, nous, on s'est dit: Bien, pourquoi pas, étant donné que la loi canadienne le permet? Alors, voilà.

M. Charbonneau: Non, non, mais, écoutez, vous avez droit à votre idée, puis, je veux dire, je trouve ça... on est dans une dynamique d'un débat, là, je veux dire... Je ne suis pas obligé de vous dire que je suis d'accord avec vous, pas plus que le ministre d'ailleurs. Et puis vous avez le droit d'émettre votre point de vue. Mais, en bout de piste, moi, je peux vous dire que je n'ai pas le mandat, puis les citoyens qui ont voté pour moi, ils n'ont pas voté pour ça, là. Puis je ne pense pas qu'ils ont voté pour le ministre non plus, puis pour ses collègues, pour ça non plus.

Et ce que je vous dis encore une fois, c'est que votre exemple est boiteux dans la mesure où, là, on n'est pas en surplus de personnel. Vous devez savoir que, dans une dynamique économique, quand vous manquez... quand vous avez un personnel x pour donner des services financés publiquement ou privément, là, je veux dire, ce n'est pas parce que, tout à coup, il va y avoir des assurances privées que la magie va faire qu'il va y avoir beaucoup plus de médecins, puis d'infirmières, puis d'anesthésistes, puis de gens qui vont supporter ces soignants-là en première ligne.

Mme Bellemare (Diane): ...revenir au pays.

M. Kelly-Gagnon (Michel): Mais vous ne vous êtes jamais demandé: Mais pourquoi il y a une pénurie? Pourquoi? Pourquoi il y a...

M. Charbonneau: Parce qu'il n'y a pas d'assurance privée? Voyons donc!

n(16 h 10)n

M. Dufour (Richard): Non, non, c'est parce qu'on vient dire... excusez, M. le Président, on vient dire en ce moment que finalement l'idée est bonne, autant le ministre que vous, M. Charbonneau, vous le dites. Le principe qu'on... de mettre une assurance privée future, elle est regardable à longue échéance dans le contexte qu'on va avoir assez de personnel pour souscrire les deux réseaux. Donc, l'idéologie est bonne. Vous ne pouvez pas venir dire qu'elle n'est pas bonne. Le principe, c'est qu'on n'est pas capable de les maintenir tous les deux en place. C'est ça, le problème qu'on a. Donc, on se résume à la pénurie de main-d'oeuvre. Il est là, le problème que vous dites, parce qu'on peut... Le privé serait bon dans le contexte qu'on aurait assez de personnel pour subvenir aux deux réseaux, privé et public. On ne dit pas, nous, qu'on est en défaveur du public; nous, on maintient, on dit qu'il faut le maintenir. La personne qui veut aller se faire soigner, elle peut avoir le choix d'aller d'un bord comme de l'autre. Il ne faut pas qu'on prenne le principe de dire, parce qu'on manque de personnel dans un réseau, qu'on va déborder de l'autre bord, qu'on ne peut pas l'offrir.

Le Président (M. Copeman): Parlant de choix, c'est mon choix de reconnaître, à ce moment-ci, Mme la députée de Lotbinière.

M. Charbonneau: C'est vrai, M. le Président.

Mme Roy: Merci, M. le Président. Je remarque que, depuis le début de ce débat, le mot «privé» est un peu démonisé puis, comme le sens sacré de la santé est assez fort dans notre population, ça heurte. Quand on entend «privé» dans la santé, ça heurte. Mais il faut, je pense, enlever un peu... être un peu plus rationnel puis faire attention aux raccourcis. Quand on parle de l'étude qui a été menée en Angleterre, ça a été proposé à la Cour suprême, on l'a lue attentivement, on s'est rendu compte que ce n'était pas... ce n'est pas vrai de dire, là, que l'ajout des assurances privées n'a rien fait. Ça, ce n'est pas vrai. Puis aussi, quand on fait des comparaisons, il faut que, en économistes que vous êtes, toutes les autres variables ne bougent pas, il faut qu'il y en ait juste une, variable. Puis, quand on se compare à un autre système de santé, bien les variables sont infinies, là ? on le voit juste dans cette commission-là.

C'est drôle aussi de dire que, si on ouvre au privé, on parle... d'alléguer en même temps qu'il n'y a personne qui a les moyens de se payer une assurance privée puis que le privé, ça va tout siphonner les médecins. S'il n'y a personne qui a les moyens de se payer des assurances privées ou de se payer des soins dans le privé, comment voulez-vous qu'on siphonne tous les médecins pour un marché qui est à peu près inexistant? Ça fait qu'on ne peut pas avoir... On ne peut pas tenir ce même discours-là, je pense, doublement. Il y a une incohérence, là.

Finalement, et je pense qu'on se rejoint, nous, on pense qu'il faut que les médecins fassent un service public puis, après, puissent aller dans le privé. À l'ADQ... puis ceux qui ont voté pour moi, ils ont voté pour ça parce qu'on l'a toujours dit. Mais on ne peut pas maintenir qu'on a une pénurie puis reporter des chirurgies parce que les salles d'opération sont fermées à 2 heures, avoir des spécialistes qui sont venus nous dire ici que, parce qu'ils n'ont pas assez de temps pour opérer, ils sont partis aux États-Unis. Quand on a une pénurie, là, clairement, là, ça veut dire que ces personnes-là sont importantes et qu'il faut les garder. Il ne faut pas les maltraiter. Si, moi, j'ai une pénurie chez nous de je ne sais pas, moi, de caviar, admettons, bien je vais le traiter de façon... puis je vais l'exploiter au maximum. Comment on peut prétendre qu'on a une pénurie de médecins puis ne pas leur donner de temps d'intervention, surtout pour les spécialistes qui sont venus tous nous le dire? Je pense qu'il faut remettre les pendules à l'heure dans ce débat-là.

M. Kelly-Gagnon (Michel): Merci, Mme la députée, pour votre intervention. En bout de ligne, vous savez, il y a des médecins québécois qui, à l'heure actuelle, vont... J'en connais un personnellement qui va à Phoenix pour faire... livrer un certain nombre de soins de santé. J'ai un autre médecin spécialiste, qui n'est pas trop loin de la frontière du Nouveau-Brunswick, qui va au Nouveau-Brunswick offrir des soins de santé. Bien, si c'était rien que ces deux médecins-là qui pouvaient offrir des services au Québec au lieu d'être obligés de s'expatrier, ce serait déjà un bien bon pas, puis je trouve ça bien malheureux qu'on les force à s'expatrier, parce que, dans les deux cas, ce sont des gens que, s'ils avaient le choix, ils aimeraient mieux offrir des services au Québec que d'aller le faire ailleurs, et, en ce moment, on les force à aller ailleurs. Et c'est... je pense que c'est honteux d'être obligé d'avoir des gens qui sont prêts à offrir des soins ici... Puis il y a toutes sortes d'idées originales. Il y a des gens dans le domaine de la santé au niveau du MUHC qui me parlaient d'idées pour offrir des soins en matière de neurologie à des citoyens étrangers sans nuire à la population puis en amenant des revenus qui permettraient d'offrir plus de soins à la population. Alors, il y a toutes sortes de solutions originales comme ça qu'un jour il va falloir qu'il y ait quelqu'un qui ait le courage politique de regarder ce genre de solutions là.

Mme Roy: Encore pire quand on voit des patients québécois qui vont se faire traiter aux États-Unis ? c'est des capitaux québécois qui sortent du pays ? pour aller se faire traiter par des médecins québécois qui ont été formés ici. Pourquoi ne pas... Parce que ce qu'on pense, là, qu'on va donner la chance aux plus riches de se faire soigner, actuellement ils le font déjà, les plus riches, ils vont aux États-Unis consommer ces soins de santé là quand ils ne sont pas capables de les trouver ici. Il faut ramener le débat, là. Ce n'est pas de ça dont on parle.

Le Président (M. Copeman): Merci. M. Kelly-Gagnon, Mme Bellemare, M. Dufour, merci beaucoup pour votre contribution à cette commission parlementaire au nom du Conseil du patronat du Québec.

J'invite immédiatement les représentants de la Centrale des syndicats démocratiques à prendre place à la table.

Je suspends les travaux de la commission quelques instants.

(Suspension de la séance à 16 h 16)

 

(Reprise à 16 h 17)

La Présidente (Mme James): À l'ordre, s'il vous plaît! Bienvenue à nos invités de la Centrale des syndicats démocratiques à cette commission parlementaire. M. Faucher et M. Pepin, je vous rappelle que vous aurez 20 minutes pour faire la présentation de votre mémoire. Ainsi, nous procéderons à un échange avec le côté ministériel et ensuite un autre bloc de 20 minutes avec le côté de l'opposition. Alors, sur ça, la parole est à vous.

Centrale des syndicats démocratiques (CSD)

M. Faucher (Claude): Merci, Mme la Présidente. M. le ministre, Mmes et MM. les députés, on vous remercie de permettre à la Centrale des syndicats démocratiques de venir exprimer son point de vue sur le document de consultation Garantir l'accès: un défi d'équité, d'efficience et de qualité.

La CSD, c'est une organisation syndicale qui regroupe 65 000 membres au Québec principalement du secteur privé, des petites et moyennes entreprises, et particulièrement dans les régions du Québec. La question de la santé, c'est une question qui, pour la CSD, est une question majeure parce que nos membres s'attendent à ce qu'on intervienne à titre d'agent de changement social et qu'on participe aux grands débats de société, et la santé, c'est, quant à nous, une question de justice et d'équité sociale.

C'est avec tantôt un certain soulagement et tantôt certaines réserves et inquiétudes qu'on a accueilli le document de consultation. Soulagement d'une part parce qu'une bonne portion de l'intention annoncée semble être axée sur la prévention; encore pourrons-nous discuter des moyens de prévention qui seront mis de l'avant un peu plus loin, mais c'est un élément qui nous soulage. Par contre, on a beaucoup de réserves quant aux moyens et interventions qui sont privilégiés.

Quand on pense, par exemple, à la garantie d'accès, ce qui en soi semble une excellente nouvelle et, quant à nous, constitue également une inquiétude parce que bien que, pour le moment, on ne limite qu'à trois types de chirurgie la garantie d'accès faisant en sorte qu'on puisse déborder et aller éventuellement dans un système privé, vous annoncez, d'entrée de jeu, que vous avez l'intention de l'élargir éventuellement, et ça, quant à nous, ça risque de causer des torts sérieux au réseau public de santé et de services sociaux.

n(16 h 20)n

On est aussi très préoccupés parce qu'on ne comprend pas le fait que vous mêliez deux dossiers pourtant fort importants: celui de répondre à la Cour suprême dans le cadre de l'arrêt Chaoulli avant le 9 juin prochain et celui du financement à long terme. Pour nous, on n'a pas le même échéancier, et le financement à long terme des services de santé et services sociaux doit faire l'objet d'un débat large, plus long et pour nous permettre de vraiment avoir une réflexion en profondeur, de mettre sur la table une multitude d'idées, d'essayer de dégager, sinon des consensus, à tout le moins des pistes et des guides qui nous serviront à l'élaboration d'un régime qui sera là pour longtemps. Donc, pour nous, ça ne devrait pas être mêlé, ces deux dossiers-là. En ce qui concerne le financement à long terme, d'entrée de jeu, on pense aussi que c'est intimement lié aux déterminants sociaux de la santé, que ça ne peut pas être démêlé, et, pour atteindre l'égalité sociale, il faut qu'on en discute longtemps.

On est heureux que vous parliez de prévention, mais quelle approche allez-vous privilégier? Vous semblez beaucoup axer l'approche sur les déterminants individuels de santé, donc l'alimentation, le tabagisme, etc., mais, nous, quant à nous, il y a un autre moyen beaucoup plus efficace, pensons-nous, d'intervenir sur des déterminants de santé, c'est ce qu'on appelle les déterminants sociaux, donc agir sur l'environnement, le logement, les conditions de travail et les conditions de vie. Parce qu'il y a une foule d'études qui ont démontré que, quand les gens vivent dans un environnement plus sain, quand ils ont le contrôle de leur vie de travail, quand ils ont le sentiment d'avoir un niveau social suffisant pour répondre à leurs besoins, aux besoins de leur famille, qu'ils ont un certain contrôle sur leurs activités de travail, sur leur vie personnelle, ces gens-là vivent beaucoup plus longtemps et en meilleure santé que lorsqu'on est dans un état de pauvreté, dans un état de détresse, dans un état où on n'a pas les moyens d'évacuer nos problèmes. Donc, quant à nous, l'approche des déterminants sociaux devrait d'abord et avant tout être privilégiée, ce qui ne veut pas dire pour autant que les déterminants individuels ne sont pas importants, mais ça devrait venir en deuxième épisode et non pas en premier.

Un exemple qui nous déçoit beaucoup de la pratique gouvernementale par rapport au discours, c'est la question de l'Observatoire sur la pauvreté et l'exclusion sociale. Pourtant adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale en 2002, le gouvernement actuel a décidé d'écarter cet observatoire pour plutôt créer un Centre d'étude sur la pauvreté et l'exclusion sociale. Mais l'observatoire, qu'est-ce qu'il avait comme fonctions particulières, quant à nous, qui le démarquent du Centre d'étude? C'est qu'il avait une vocation d'échange, c'est qu'il avait une certaine indépendance, c'est qu'il avait une implication citoyenne, c'est qu'on pouvait faire des débats indépendants de toute partisanerie pour arriver justement à des propositions concrètes sur ce que devraient être les actions gouvernementales concernant les déterminants, entre autres les déterminants sociaux. Et pourtant vous l'avez mis de côté.

Pour la CSD, il y a des éléments qui constituent des déterminants sociaux de santé sur lesquels le gouvernement pourrait agir et qui ne sont pas coûteux. À titre d'exemple, le gouvernement pourrait très bien élaborer un certain nombre de politiques pour promouvoir la gestion participative en entreprise. La CSD, on prône ça, nous, depuis la fin des années soixante-dix, la gestion participative. Qu'est-ce que ça veut dire en fait? Ça veut dire que les travailleuses et les travailleurs sont associés aux discussions quant à l'avenir de l'entreprise, quant aux comportements de l'entreprise, quant aux moyens de production qui sont mis de l'avant, donc qu'ils ont un certain contrôle sur la destinée de l'entreprise et qui font que, en ayant le sentiment de contrôler quelque chose, ça améliore leurs conditions de vie. Et c'est un déterminant social, comme les études l'ont démontré, particulièrement en Angleterre.

Aussi, il y a eu un comité de travail qui s'est penché sur la question, le comité sur la compétitivité et l'innovation sociale, créé à l'issue du Forum des générations, où siégeaient des représentants patronaux et syndicaux, et, à l'unanimité, on vous a recommandé de mettre de l'avant des politiques pour favoriser la gestion participative, mais, jusqu'à ce jour, on n'a pas de nouvelles concernant ce comité-là. Pour nous, donc, la gestion participative, bien que ça peut peut-être paraître sorti d'un chapeau, là, quand on essaie de relier ça à la santé, c'est un élément qui nous donne un contrôle sur notre vie au travail, donc qui nous donne un sentiment de grandeur et qui nous permet d'être en meilleur état. Et même ça a un effet ? puis ça, là-dessus, concrètement, on en a fait des analyses en milieu de travail ? ça a un effet sur la satisfaction au travail, quand j'ai mon mot à dire puis que je suis écouté, puis ça a un effet sur le taux d'absentéisme parce que, quand je ne me sens pas dégradé, j'ai plus le goût d'aller travailler le matin que quand c'est le contraire. Donc, on pense qu'il devrait y avoir une politique à cet égard-là.

Il y a aussi toute la question de la prévention en santé et sécurité dans les milieux de travail. Le gouvernement parle beaucoup de PPP. Chez nous, le mouvement syndical, quand on parle de PPP, on parle de prévention priorité partout. Il y a une loi qui existe depuis 1979, une très belle loi, qui veut qu'on élimine à la source les dangers pour la santé et la sécurité, et que, pour ce faire, le moyen privilégié, c'est la participation des employeurs, des syndicats et des travailleurs. C'est donc un moyen de participation, de gestion participative, et pourtant, au Québec, à ce jour, 27 ans plus tard, il y a 86 % des travailleuses et travailleurs du Québec qui n'ont pas accès, par la voie légale, aux mécanismes paritaires qui sont prévus dans la loi, à savoir le comité de santé et sécurité, le représentant en prévention, le programme de prévention, pour plusieurs, pour une très grande majorité.

Vous allez me dire: En santé et sécurité du travail, ce n'est pas le dossier de la santé publique. Nous croyons que oui, parce que les lésions professionnelles, d'une part, ça a des effets dévastateurs sur les victimes, ça a aussi des effets dévastateurs sur la famille, puis ça a aussi des effets dévastateurs sur l'environnement. Et, de plus en plus, ce qu'on constate dans les milieux de travail, c'est que les employeurs font de la pression sur les salariés qui sont victimes de lésions professionnelles pour qu'ils sortent de la CSST, qu'ils s'en aillent sur l'assurance collective. Pourquoi? Fort simple. Parce que, quand je m'en vas sur l'assurance collective, quand j'ai une assurance collective, les salariés, la plupart du temps, en paient une partie, 50 % et parfois plus. Donc, on décharge la facture de l'employeur et on surcharge le travailleur pour des lésions qui sont professionnelles. Ça, c'est pour la victime. Mais, quand c'est l'entourage qui subit des effets du comportement puis des réactions de la victime, bien c'est la société qui paie pour ça. Alors, on pense, dans une période où les lésions professionnelles sont fortement en hausse, qu'il serait urgent pour le gouvernement de faire adopter l'ensemble des dispositions législatives de la Loi sur la santé et la sécurité au travail pour que, dans les milieux de travail, on prenne en charge la véritable prévention, comme l'intention est dans le cadre de cette loi-là.

Toute la question de l'étanchéité. Pour nous, l'étanchéité, c'est quelque chose de primordial. Ça, on vous félicite là-dessus, mais on pense que ça va être difficile à maintenir, ce cap-là. D'ailleurs, vous avez semblé donner une certaine ouverture, tout à l'heure, en disant que, l'étanchéité, vous pouvez la maintenir parce que ça va créer un vacuum, mais qu'éventuellement, si on a un surplus de personnel, on pourra ouvrir la machine. Pour nous, c'est dangereux. Excusez, je le dis dans mes mots, là, mais, pour nous, c'est dangereux, ça, dangereux parce que, quand on va permettre aux cliniques privées d'investir largement en santé, on va nécessairement créer un vacuum, on va nécessairement créer une compétition parmi les entreprises pour embaucher le personnel du réseau de la santé, puis on sait qu'actuellement, actuellement les gens sont un peu au dépourvu dans le réseau de la santé. On est tanné des réformes, on est tanné des pressions, on est tanné du manque de conditions de travail, on est tanné d'un paquet d'affaires, et on a bien le goût, parmi le personnel de la santé, d'aller voir s'il ne se ferait pas mieux ailleurs. Alors, l'entreprise privée qui se partirait, là, facilement elle pourrait aller chercher du personnel du réseau de la santé.

L'autre affaire, c'est que les cliniques privées, ce que ça aura pour effet, c'est de permettre à ceux qui sont riches d'abord et à ceux qui sont assurables ensuite d'aller se faire soigner dans les cliniques privées. Donc, normalement, il y a une théorie qui veut que, quand je suis riche, quand j'ai de l'argent, je suis généralement moins malade, et donc les soins dont j'ai besoin sont des soins plus limités que quand je suis pauvre, puis que je n'ai pas un sou, puis que je vis dans la dèche. Donc, ce que ça va faire, c'est que les cas les plus légers puis les gens les plus riches vont aller se faire soigner dans le public, on va laisser les cas les plus lourds dans le privé... les cas les plus lourds dans le public, le personnel du privé va sortir, et on va faire la même comparaison qu'on fait dans les écoles publiques, hein? Dans les écoles publiques, c'est bien plus performant que les écoles privées. Pourquoi? Parce qu'à la base on ne reçoit que ceux qui ont des meilleurs notes... on laisse les cas les plus difficiles au réseau public. Puis, quand on fait une comparaison, elle est boiteuse.

L'autre affaire, c'est: Est-ce que je suis assurable? Bien, premièrement, pour m'assurer, il faut des sous puis, deuxièmement, il faut que je sois en bonne santé parce que, si, au départ, je suis malade, je ne suis pas capable d'aller m'assurer. Donc, ça risque de créer un problème, là aussi, à cet égard-là. Mais celui qui va payer... il y a quelqu'un qui l'a mentionné tantôt, je pense que c'est M. Charbonneau, il a tout à fait raison... la personne qui va payer pour un régime parallèle privé va faire des pressions sur l'État pour dire: Je suis tanné de payer à deux places, là, arrêtons ça, là; à un moment donné, dans le temps, il faut que ça arrête, puis donc on va vouloir cesser d'investir, on va avoir des crédits d'impôt parce qu'on choisit de se faire soigner dans le privé, ce qui va créer davantage de pression sur le réseau public.

Donc, pour nous, la solution, c'est de donner du gaz, de donner de l'air au réseau public, d'investir dans le réseau public, de lui donner les moyens. Puis d'ailleurs il y a une étude en Alberta, où on est intervenu sur les chirurgies de la hanche et des genoux, et on a modifié les pratiques médicales en investissant un peu d'argent, et ça a fait en sorte que les listes d'attente ont diminué substantiellement...

Une voix: ...

n(16 h 30)n

M. Faucher (Claude): Pardon?

M. Couillard: ...cliniques privées.

M. Faucher (Claude): Dans les cliniques privées?

M. Couillard: Payées par l'État.

M. Faucher (Claude): Payées par l'État. O.K., d'accord. Mais il y a eu une modification de la pratique médicale. Là où je veux en venir, c'est qu'il y a eu une modification de la pratique médicale d'une manière substantielle, puis c'est ça qui a donné du gaz. On peut modifier les pratiques médicales dans le réseau public, hein? D'ailleurs, dans le rapport Ménard, il y a une partie du rapport Ménard où on y dit que les pratiques médicales, les nouvelles technologies et le coût des médicaments causent beaucoup plus de pression sur les hausses du coût du réseau public que le vieillissement de la population. Mais on ne propose rien à l'égard de ces trois éléments-là. Tout ce qu'on fait, c'est d'essayer de trouver des solutions à la pièce sur la question du vieillissement de la population. Mais je vais revenir un peu plus loin sur le rapport Ménard si le temps me le permet.

Donc, ici, là, par exemple, au Québec, on n'investit pas beaucoup plus qu'au Canada, si on compare notre pourcentage du produit intérieur brut ? hein, on est à 10,2 comparativement à 10,1 ? mais on investit en santé beaucoup moins qu'aux États-Unis, et pourtant, aux États-Unis, c'est largement privé, hein, c'est l'assurance privée, puis quand je peux m'assurer, parce qu'il y a un paquet de monde qui se prive de soins parce qu'ils n'en ont pas les moyens.

Donc, l'équation qu'on fait en disant: Ça coûte trop cher au Québec, c'est une fausse équation. Il y a des choix politiques qui se font au Québec, puis, quand on décide de couper dans les programmes sociaux puis de réduire les budgets, c'est sûr que la portion de la tarte qui est attribuée à la santé semble s'accroître, mais ce n'est pas nécessairement parce qu'on est plus malade, c'est parce que, sur l'enveloppe globale rétrécie, la proportion à la santé est plus grande. On pense qu'il faut faire attention à ça.

Le rapport Ménard dont semble s'inspirer beaucoup le document de consultation, c'est, quant à nous, un document dont les prémisses sont biaisées. Toute la question du vieillissement de la population, la démographie... On dit: Aujourd'hui, il y a cinq personnes actives pour une personne à la retraite, puis, dans quelques décennies, ça va être deux pour un. Mais ça, ça prend pour acquis que tout le monde va arrêter de travailler à 65 ans, tout le monde va arrêter de contribuer à l'État à 65 ans, ce qui est totalement faux, parce que, d'une part, il y a des études qui démontrent que le taux d'activité des personnes de 65 ans et plus s'accroît, d'une part. D'autre part, il y a 40 % des personnes qui bénéficient de régimes complémentaires de retraite, qui vont retirer des bénéfices, qui vont continuer de contribuer à l'impôt. D'autre part, ce qui semble se pointer comme étant une pénurie de main-d'oeuvre va faire qu'il y a des gens qui vont avoir le goût puis la capacité de continuer à travailler, qui vont contribuer à l'impôt. Mais ce n'est qu'un exemple où on est parti d'une théorie fixe puis on n'a pas essayé de voir s'il n'y a pas des nuances à faire pour nous amener à conclure irrémédiablement qu'il faut mettre la hache dans le réseau public. Ça, pour nous autres, c'est une très mauvaise prémisse que le rapport Ménard.

Quand on parle du régime d'assurance contre la perte d'autonomie, ça aussi, ça nous semble être sorti d'une boîte de chapeau. La question de la prime selon l'âge, ça ne tient pas compte des revenus des gens, ça ne tient pas compte de nos moyens, et, pour avoir siégé sur ce comité-là, j'ai soulevé la question à M. Ménard, et on m'a dit: Oui, oui, oui, mais on pourrait mettre des balises, entre 200 $ puis 400 $. Mais savez-vous que le 200 $ pour quelqu'un qui vit dans une situation de pauvreté, c'est beaucoup trop cher, et que 400 $ pour quelqu'un qui en a les moyens, ce n'est peut-être pas assez cher? Alors, nous, nous trouvons que c'est un moyen de financement injuste. Et le simple point de départ, de dire qu'on sort du fonds consolidé de la province les sommes utilisées pour l'hébergement de longue durée pour faire la mise de fonds initiale du régime d'assurance, ça constitue, quant à nous, un désengagement de l'État, un désengagement dangereux de l'État, un glissement, parce que, quand il y aura de l'accroissement de coûts en matière d'hébergement de longue durée, ce ne sera plus l'État, ce ne sera plus le fonds consolidé, ça va être des augmentations de prime, laquelle prime va être en fonction de l'âge des individus. Alors ça, pour nous, c'est un système qui ne fonctionne pas.

On a proposé, quand j'ai soulevé ça au comité Ménard, on a proposé une espèce de retour d'impôt, un crédit d'impôt non remboursable ou je ne sais pas trop, une mécanique d'impôt, mais il faut d'abord le payer, ça, avant d'avoir le crédit d'impôt. Quand je n'en ai pas les moyens, je fais quoi?

La Présidente (Mme James): Alors, M. Faucher, juste vous aviser qu'il vous reste trois minutes.

M. Faucher (Claude): D'accord. Merci beaucoup. Donc, pour nous, il y a un problème de fonds à la base.

Maintenant, l'autre principe qui se dégage de ce système-là, c'est l'argent qui suit le patient. Ça, c'est un non-sens, ça, quant à nous, monsieur... L'argent qui suit le patient, ça veut dire quoi, ça? Ça veut dire que le patient, on lui fait un état de situation puis on détermine quels sont ses besoins, on lui donne l'argent et lui doit magasiner. Donc, qui va me rendre les services? Est-ce que ce sera quelqu'un de compétent? Est-ce que ce sera quelqu'un de moins compétent ou de pas compétent du tout? Est-ce que ce sera quelqu'un qui va travailler au noir puis qui ne me chargera pas cher? Comment on va contrôler ça? Est-ce qu'à la limite, parce qu'on a vécu des drôles de situations il y a quelques années, quand le travail confié aux auxiliaires sociales et familiales des CLSC a été enlevé pour donner ça à d'autres personnes qui allaient dans les maisons pour donner des bains puis accompagner les gens, puis... Bon. Alors, on a vécu ça, où des gens travaillaient au noir plutôt que de payer de l'impôt, puis c'étaient des gens qui n'étaient pas qualifiés, puis ça, c'est un peu le système de l'argent qui suit le patient, c'est le patient qui décidait qui il prenait pour donner les services. Donc, c'est un système qui, quant à nous, ne peut pas marcher.

Pour nous, là, M. le ministre, il y a urgence d'agir sur le réseau public, donner de l'air au réseau public, investir dans le réseau public, aller chercher de l'argent à Ottawa. Le déséquilibre fiscal, il est réel, il est existant. On nous fait des promesses, là; bien, c'est le temps de pousser, les besoins sont immédiats, pas futurs, il faut donc intervenir là-dessus. Et, si besoin est, nous avons la conviction qu'en expliquant à la population qu'il y a des besoins, qu'ils sont nécessaires, que le moyen pour les financer, c'est l'impôt, nous pensons, quant à nous, que c'est le moyen le plus juste, celui qui représente le mieux la capacité de payer des personnes et des entreprises, parce que les entreprises, eux autres disent toujours: Oui, oui, on est pour ci, on est pour ça. Mais on ne veut jamais payer. Il faut qu'ils paient, les entreprises, ils bénéficient de l'état de santé des gens, c'est eux aussi. Donc, l'impôt sur les particuliers serait le meilleur moyen de financement, quant à nous.

Alors, on va répondre à vos questions. Merci.

La Présidente (Mme James): Alors, merci beaucoup. M. le ministre.

M. Couillard: Merci, Mme la Présidente. Merci, messieurs, pour votre présentation et votre visite aujourd'hui.

Écoutez, je ne veux pas nécessairement prendre la défense de M. Ménard et de son rapport, il viendra ici même le présenter d'ici la fin de la commission, mais, s'il lit vos propos, il va sauter un peu, là, parce que, quand vous dites, par exemple, qu'il veut mettre la hache dans le système public, ce n'est pas ça du tout, là. Je l'ai lu, le rapport, là. C'est... quand même... c'est de la caricature grossière un peu, là. Il veut au contraire protéger le système public, il apporte sa solution, il a le droit comme n'importe quel citoyen d'apporter sa solution, puis Dieu sait qu'il a donné du temps à ce comité-là, je pense qu'il faut... on lui doit un minimum de respect pour le temps qu'il a mis dans ce travail-là. Même si vous n'êtes pas d'accord avec ses conclusions, de dire que son rapport veut mettre la hache dans le réseau public, je trouve que c'est très court. Au contraire, son rapport vise à protéger le système public, maintenir la capacité de l'État à faire face aux augmentations de dépenses publiques qui vont être les siennes au cours des prochaines années. Mais on aura l'occasion d'échanger avec M. Ménard qui dit également que, dans le cadre de sa proposition d'assurance perte d'autonomie, c'est les CSSS, donc les travailleurs du réseau de la santé, qui vont certifier les besoins et les services qui sont associés aux besoins. Ce n'est pas du tout un système d'épicerie, comme vous dites, où quelqu'un prend l'argent puis va se sélectionner les services lui-même. Ce n'est pas ce qu'il y a dans sa proposition. Mais il viendra la défendre ici. Puis, croyez-moi, j'ai des objections ou des craintes par rapport à sa proposition qui ressemblent beaucoup aux vôtres, notamment quant au bon estimé qu'on fait de l'impact du vieillissement sur les dépenses en santé. Je pense qu'il y a des éclaircissements à apporter. Vous avez donné plusieurs éléments de pondération, là, puis on va poser ces mêmes questions là. Mais je ne pense pas qu'il faille nécessairement, pour ça, tuer M. Ménard, entre guillemets, pour avoir osé remettre en question certains éléments du financement du système de santé que lui-même veut préserver, il le dit très clairement dans son document, comme nous d'ailleurs. On est tous ici réunis autour du même objectif.

Regardez, la question des cliniques privées, je vais quand même juste faire une rectification. À mon avis, vous confondez prestation et financement. Les expériences anglaise et albertaine auxquelles vous faites allusion ont eu du succès en grande partie ? pas en totalité, mais en grande partie ? par l'utilisation de cliniques privées financées par les fonds publics. Et du financement public, entièrement public pour la prestation privée, ça existe déjà: c'est les cliniques d'omnipraticiens auxquelles vous êtes probablement déjà allé vous-même dans votre vie, puis les membres de votre famille, c'est des entreprises privées qui font des profits financés par l'État, et on applique la même formule pour certaines chirurgies spécialisées. Il n'y a rien de révolutionnaire là-dedans, vous savez, là, on n'est pas le premier pays au monde à aller dans cette direction-là.

Et je vous entends parler d'une sorte de vision apocalyptique, là, de l'introduction de la prestation de services privés. Parce que ce qu'on propose, ce n'est pas le financement privé, en passant, c'est la prestation privée à financement public. Vous peignez une sorte de... C'est toujours l'amalgame qu'on fait entre les propositions, dès qu'on mentionne le mot «privé» puis les États-Unis. Ce n'est pas des États-Unis qu'on parle, là. Mais trouvez-vous, vous, que les pays scandinaves, la France, l'Angleterre, l'Australie, c'est des pays socialement retardés, là? Je veux dire, il y a la gauche dans ces pays-là aussi, il y a eu des gouvernements de gauche qui se sont fort bien accommodés de systèmes de soins de santé mixtes, avec une participation privée et publique, avec des cliniques privées, avec des assurances complémentaires. Alors, c'est un peu court, là, de déclarer puis de décréter qu'on a un meilleur système, la meilleure façon de faire le système de santé au monde, quand des pays qui sont les modèles mêmes des sociaux-démocrates, dont les pays scandinaves, font les choses différemment. Je pense qu'il faudrait manifester un peu plus, je dirais, de critique, parce que c'est trop court de dire: Bien, c'est le système américain. Ce n'est pas le système américain dont on parle ici, on parle d'un système où on protège l'accessibilité et l'universalité, entièrement dans un financement public, avec une prestation privée encadrée et gérée par l'État. Là-dessus, il n'y a rien ni de révolutionnaire ni de dangereux pour la société, le monde entier le fait, hein, sans que le monde... Le monde à Paris, à Londres, à Stockholm, ils ne vont pas dans les rues là-dessus, là, à ce que je sache, là. Alors, comment ça se fait que ça marche là-bas puis qu'ici, au Québec, il ne faut surtout pas se permettre d'en discuter ou d'envisager ça?

n(16 h 40)n

M. Faucher (Claude): Bien, ça marche là-bas... D'entrée de jeu, je vous dirais que, «ça marche là-bas», je ne suis pas certain parce que, sans avoir fait d'étude exhaustive à cet égard-là... les PPP, à un moment donné, vous disiez: Ça marche partout, alors que, là, les études tendent à démontrer que, attention! attention! les PPP, même en Angleterre, ils commencent à remettre ça, ils remettent ça en cause.

M. Couillard: Mais là... je parle du système de santé.

M. Faucher (Claude): Non, non, non, mais c'est parce que des fois on dit: Ça marche. Mais est-ce que ça marche vraiment? Il faut aller voir. O.K.?

Oui, certifier les besoins par les CSSS, ça, c'est une chose, mais l'exemple de l'argent suit le patient, ça veut dire qu'en bout de ligne c'est le patient qui doit trouver les moyens de satisfaire aux besoins identifiés par les CSSS. C'est lui qui va gérer son argent, qui va trouver le personnel pour lui rendre ces services-là. C'est ça qui est dangereux, quant à nous, M. le ministre.

Quand vous dites qu'on confond les prestations et le financement, pour nous, il y a un danger... un dangereux glissement. D'ailleurs, je vous ai écouté aux nouvelles, peu de temps après le dépôt du document, annoncer que, pour vous, quand c'était payé par le public, peu importe qui rendra les services, vous appelez ça du service public. Nous, on considère que non.

M. Couillard: ...

M. Faucher (Claude): Pardon?

M. Couillard: Je le répète encore aujourd'hui.

M. Faucher (Claude): Bon, d'accord. Mais, nous, on n'est pas d'accord avec ça.

M. Couillard: C'est correct.

M. Faucher (Claude): Nous, ce qu'on pense, c'est qu'à partir du moment où on fait... Parce que l'entreprise privée ? j'écoutais tout à l'heure ? investir, investissement privé, investissement privé, c'est drôle, il n'y a pas d'entreprises privées qui vont nous donner de l'argent pour nous faire plaisir, là. L'investissement privé, c'est pour faire de l'argent. Alors, pourquoi le réseau public se désagrégerait pour faire faire de l'argent à de l'entreprise privée? Parce qu'il y a un glissement dangereux. Plus on va favoriser l'entreprise privée, plus on va mettre de la pression sur le réseau public, plus on va tenter de faire apparaître que le réseau public est moins performant, plus on va vouloir... C'est le principe de la saucisse, ça, M. le ministre.

M. Couillard: Si vous voulez, on va se donner mutuellement le bénéfice des bonnes intentions, là, puis on veut, tous les deux, le bien de la société puis le progrès du monde, etc. Mais, à mon avis, c'est ce genre de fermeture là à toute modification des façons de faire qui est la plus grande menace à long terme du système de santé.

M. Faucher (Claude): Non, non, non. Écoutez, non. Ça, c'est le discours que certains tiennent pour laisser croire qu'on ne veut pas de changements. Au contraire, on en a proposé, des changements, au comité Ménard. Mais ce qu'on dit, nous, là: Intervenons dans le réseau, changeons les façons de faire dans le réseau, changeons nos pratiques médicales, vérifions si les nouvelles technologies sont nécessaires et utilisées à bon escient, puis si c'est nécessaire d'en avoir partout ou si on ne pourrait pas avoir des centres plus spécialisés à certains égards. Vérifions les façons de faire dans le réseau public puis donnons de l'air au réseau public, c'est ça qu'on dit, nous. On ne dit pas qu'il ne faut pas rien changer. Bien au contraire, il faut changer des choses, mais il faut changer des choses là où ça compte, de changer des choses, puis, dans le rapport Ménard, je m'excuse, là, à l'égard de ces trois éléments-là, vous n'avez à peu près pas de propositions.

M. Couillard: Bien, c'est parce qu'elles sont toutes sur le terrain, ces propositions-là, autant les médicaments, les technologies, les réformes des façons de faire. Vous le dites vous-mêmes, il y a eu assez de réformes. Là, vous nous dites: Faites plutôt une autre réforme. Puis, moi, ce que j'entends, là, c'est que tout ce que vous dites comme message, aujourd'hui, là, à la population, là, c'est deux choses. La seule solution, c'est d'augmenter vos impôts indéfiniment, jusqu'à temps qu'on ait assez d'argent pour la santé, puis c'est ça qui va régler le problème. Puis deuxièmement ? vous savez, il y a des citoyens qui nous écoutent ? la question de l'argent suit le patient, je suis d'accord partiellement avec ce que vous dites, il faut être très prudent sur la qualité des services puis la façon dont on gère ça, mais le citoyen qui nous écoute, pas tous, puis il n'y a pas d'unanimité sur rien dans la société, là, il y en a qui reçoivent assez mal ça, qui disent qu'après... quand je serai rendu à 70 ans: Moi, j'ai payé mes impôts toute ma vie, on ne me donne pas le droit d'avoir le jugement nécessaire pour prendre soin de moi-même selon les directives puis les choix que le système public de santé me donne. Ce n'est pas tout le monde qui accueille ce discours-là favorablement. Il y a une sorte d'infantilisation, derrière ça, du citoyen, là.

M. Faucher (Claude): Oui, je....

M. Couillard: Vous ne trouvez pas?

M. Faucher (Claude): Non, je crois qu'il y a deux choses dans ça. Premièrement, le mythe de l'impôt, hein, quand on dit: Payer des impôts, ça coûte assez cher. Ça, c'est un mythe qu'on véhicule pour dire aux gens: Il faut faire d'autres façons, il faut trouver d'autres façons dont la privatisation. Mais, moi, que je paie mes soins de santé, ou que je paie mes services via l'impôt, ou que je paie mes services autrement, je vais le payer quand même. Ça ne coûtera pas plus cher à la société, vous l'avez dit tantôt. Alors, ne laissons pas entendre qu'il faut augmenter les impôts, donc ça coûte plus cher. Ça ne coûte pas plus cher. On choisit le véhicule de financement qui est l'impôt parce que c'est un véhicule de financement qui nous semble plus juste, plus respectueux de la capacité de payer des gens, plus respectueux de ceux qui n'en ont pas les moyens, puis on pense qu'il faut que les entreprises apportent leur contribution. Donc, on ne dit pas: Il faut rien faire. On dit: Il faut utiliser le moyen qui est le plus juste et le moins néfaste pour les personnes.

M. Couillard: Le problème, puis encore pour le monde qui nous écoute, là, c'est qu'il y a 40 % environ de la population au Québec qui ne paie pas d'impôt, puis là, si vous dites: C'est les impôts, la solution, ce que vous faites, là, vous accrochez, comme un train, là, l'impasse budgétaire de la santé, qui est l'écart entre la croissance annuelle de... et puis les revenus du gouvernement, vous accrochez ça à l'impôt. Puis cette spirale, elle va se faire des deux bords, puis vous allez vous ramasser qu'on va payer 70 % d'impôt au Québec puis on n'aura pas nécessairement de meilleurs services.

M. Faucher (Claude): Je suis content que vous parliez du 40 % des personnes qui ne paient pas d'impôt. Savez-vous, là-dessus, qu'il y en a un nombre qui gagne assez cher pour être capable de s'en sortir, de l'impôt, et il y en a un grand nombre, la très, très forte majorité de ceux qui n'en paient pas, c'est parce qu'ils n'en ont pas les moyens. Et pourquoi ils n'en ont pas les moyens? Parce qu'on dit qu'on crée de l'emploi, mais on crée de l'emploi atypique, de l'emploi au salaire minimum, de l'emploi à 15 heures par semaine, à 20 heures par semaine, de l'emploi chez McDonald puis chez Wal-Mart qui fait que les gens n'ont pas l'argent suffisant, les revenus suffisants pour payer de l'impôt. Ça, c'est épouvantable, et ça, c'est un fléau de société auquel il faut s'attaquer, ça, c'est un déterminant social de santé: l'emploi, la rémunération puis la qualité de l'emploi.

M. Couillard: Mais ça, ce n'est pas une situation unique au Québec, là. L'ensemble des économies du monde actuellement sont...

M. Faucher (Claude): Mais ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas s'y adresser.

M. Couillard: Bien, il faut fonctionner dans le monde réel également qui nous entoure, hein?

Je vais juste terminer sur la question de la prévention parce que ce que vous dites également est vrai, là, c'est qu'il y a une bonne partie des déterminants de la santé qui sont des déterminants sociaux collectifs, d'ailleurs des études le prouvent, mais vous semblez évacuer, peut-être ce n'est pas votre intention, la responsabilité individuelle des gens. Si je décide de fumer... je sais bien que vous allez me dire: Si on est plus pauvre, on fume plus, puis, si on est plus pauvre, on mange moins bien. Mais il ne faut pas non plus évacuer la responsabilité individuelle. Si je décide de fumer, si je décide de manger trois poutines par jour, si je décide que mon petit gars est devant la télévision puis l'ordinateur puis je ne fais rien pour qu'il bouge un peu, j'ai une part de responsabilité là-dedans, là. On ne peut pas dire: Le gouvernement, le gouvernement fait tout pour nous, là. Il faut que les gens s'investissent eux-mêmes dans la santé, dans leur santé puis celle de leur famille. Vous ne trouvez pas qu'il faut faire un équilibre entre les responsabilités individuelles puis collectives là-dedans?

M. Faucher (Claude): Une part de responsabilité, oui. Le moyen d'y parvenir, ce n'est pas par la coercition, c'est par la prévention, par l'information, par la sensibilisation, par les pratiques médicales aussi. Le médecin, là, lui, c'est un conseiller auprès des gens qui vont se faire soigner. Alors, pourquoi les médecins n'expliquent pas aux gens de meilleures façons de faire puis naturellement leur donner les moyens? Parce qu'il ne faut pas se mettre la tête dans la sable. C'est vrai que, si je n'ai pas les moyens de me payer un steak à tous les jours, je vais manger des hot-dogs, hein, alors... Quant au tabagisme, ça, c'est autre chose. On pourrait bien dire: On peut s'en passer. Personnellement, je n'ai jamais fumé dans ma vie...

M. Couillard: Félicitations!

M. Faucher (Claude): Mais ça, ça prend de la prévention, d'accord, mais ça ne doit pas être le moyen, le premier moyen à privilégier, il faut agir d'abord sur les déterminants sociaux, pensons-nous.

M. Couillard: O.K. Bien, on a-tu hâte au 31 mai, hein, pour aller au restaurant sans fumée? Merci.

M. Faucher (Claude): Tout à fait.

La Présidente (Mme James): Tout à fait. Sur ça...

M. Charbonneau: Mme la Présidente...

La Présidente (Mme James): À vous, M. le député.

M. Charbonneau: Merci. Je suis, moi aussi, un non-fumeur invétéré, sauf...

M. Couillard: Un vétéran aussi.

M. Charbonneau: Oui, un vétéran aussi, sauf un cigare une fois de temps en temps que je ne respire pas, mais ça, c'est Claude Ryan qui m'a enseigné ça. Un bon cigare cubain de temps en temps, c'est le fun. Mais, après un bon repas puis un verre de vin rouge, c'est bon pour la santé, paraît-il, hein? Bon.

Ceci étant, messieurs, je trouve que vous avez apporté une contribution intéressante parce que toute la question des déterminants sociaux puis de la détresse psychologique reliée aux problèmes de pauvreté puis aux problèmes sociaux que les gens vivent, ça... Tu sais, moi, je collectionne ça, j'en ai à la maison, une collection d'articles sur les problématiques de santé, puis... Il y a le cahier santé de La Presse du dimanche, que je découpe régulièrement, puis tout ça. Puis, je veux dire, on parle de la détresse par rapport au bonheur. Et donc, quand les gens sont malheureux, je veux dire, ça a un impact immédiat sur leur santé, santé physique, santé psychologique, et la dynamique entre les deux est démontrée plus d'une fois. Je pense qu'il y a peu de gens qui sont venus devant la commission pour mettre le doigt sur ça.

Et je n'ai pas senti que vous disiez qu'il ne fallait pas s'occuper des déterminants reliés aux saines habitudes de vie, j'ai juste compris que vous aviez choisi de mettre le focus sur un élément qui a été moins mis en évidence jusqu'à maintenant et qui ne peut pas être négligé, là, dans une société comme la nôtre, où, effectivement, les problématiques de pauvreté sont réelles, les problématiques de précarité d'emplois, la détresse psychologique... Encore récemment, là, des articles sur la détresse psychologique même dans le réseau de la santé et des services sociaux, la détresse psychologique chez les cols bleus de Montréal. On peut bien les ridiculiser, mais...

n(16 h 50)n

Tu sais, si on prenait, là, ce qui apparaît dans l'espace public juste depuis quelques mois, là, des études qui ont été faites sur la détresse psychologique dans bien des domaines, je veux dire, les drames conjugaux à toutes les semaines, il y en a, des gens qui tuent leur... encore hier. Des drames conjugaux, ça part d'où, ça? Ça part de toute une dynamique souvent sociale qui fait en sorte qu'à un moment donné les gens détériorent leurs rapports personnels, leurs rapports familiaux, leurs rapports de couple reliés souvent à des conditions de vie qui sont devenues insupportables. Les gens deviennent aigris, agressifs, frustrés, et tout ça, là, c'est relié beaucoup à la santé psychologique, à la santé mentale, mais relié aussi à ce qu'on vit socialement, aux frustrations de vivre dans une société où on présente le bonheur comme étant un modèle relié à la consommation, à la possession de biens, à un niveau de vie particulier. Les annonces à la TV, là, ce n'est pas fait pour les pauvres, hein, mais ils les écoutent pareil à la TV, eux autres aussi, puis c'est enrageant en sacrifice quand finalement tu n'es pas capable de te payer ce qu'on te présente à chaque jour comme étant l'essentiel pour être heureux. La conséquence de ça, ça fait mal, et la conséquence de ça, c'est que la pauvreté a un impact énorme sur la santé des citoyens. Et ça, moi, je pense que vous avez réussi à mettre le doigt sur ça.

Puis vous avez été gentil avec le ministre quand vous avez rappelé que... quand vous avez parlé de l'abolition de l'Observatoire sur la pauvreté. Dans le fond, la seule raison pour laquelle on l'a aboli, de l'autre côté, l'observatoire, c'est parce que ça venait de nous autres. Mais dans le fond, finalement, l'Observatoire de la pauvreté, je pense qu'il y avait une dynamique, là, qui avait été créée, qui était positive. Et les centres d'études, il y en a plein, là. Mais un observatoire sur lequel les partenaires socioéconomiques étaient en interrelation pour analyser correctement, avec différents angles, la situation sociale, la situation de la pauvreté, ça, je pense que c'était unique, et c'était malheureusement un héritage qu'il fallait faire oublier parce que c'était l'héritage du PQ, tu sais, bon.

Moi, je pense que, quand vous mettez le doigt sur le danger de... en fait, l'importance de préserver l'étanchéité à tout prix, c'est que vous avez, vous aussi, remis le focus sur la fuite des ressources humaines, puis c'est une réalité. Je le sais, moi, j'ai des gens dans ma famille qui sont dans le monde de la santé, puis l'effet attractif d'aller travailler dans un milieu où on ne vivrait pas le stress puis la frustration qu'on a dans le système de santé actuellement, c'est très attractif pour aller... Je présume que, vous autres, à la CSD, vous représentez de ce monde-là aussi?

M. Faucher (Claude): Oui, on en représente quelques-uns. Notre masse critique est dans le secteur privé, comme je le disais, mais on en représente. Mais effectivement les gens... Et, quand je vous parlais de réforme après réforme, là, je ne parle pas d'une bonne réforme où on fait en sorte que dorénavant les services sont bien rendus, la population est bien heureuse, puis tout va très bien dans le meilleur des mondes, les gens seraient très heureux au travail. Mais là ce n'est pas le cas, là. Là, c'est la pression qu'on met sur les individus. Le travail est quand même précaire, hein, dans le réseau de la santé puis des services sociaux. Les gens qui travaillent sur appel, qui travaillent à temps partiel, il y en a à la tonne. Et c'est 90 %, 95 % féminin, hein, dans le réseau de la santé et des services sociaux. Donc, c'est un groupe de personnes qui malheureusement travaillent dans des conditions qui, quant à moi, sont bien souvent inacceptables. Puis c'est sûr que, quand on règle des conventions collectives à coups de lois spéciales puis qu'on ne sent pas dans les établissements qu'il y a du respect à l'égard de ces gens-là, bien ils vivent de la détresse, puis ils se sentent bousculés, puis ils veulent partir. D'ailleurs, quand il a été question des départs à la retraite massifs, il y a combien d'infirmières qui en ont profité? Ça a créé un vacuum. Aujourd'hui, on en a besoin, on en manque. Alors...

Des voix: 4 000.

M. Faucher (Claude): Pardon?

M. Couillard: Je peux vous informer, il y a 4 000 infirmières qui...

M. Charbonneau: Bien, c'est ça.

M. Faucher (Claude): 4 000? O.K. Bien, je n'ai pas...

M. Charbonneau: Mais pourquoi il y en a eu 4 000? C'est parce qu'il y en avait une gang qui voulait sortir du système.

M. Faucher (Claude): J'ai dit: Il y a combien... Alors, vous répondez à ma question, 4 000.

M. Couillard: Mais c'est pour aider le député de Borduas.

M. Faucher (Claude): Alors, il y en a beaucoup. Mais tout ça pour vous dire que c'est contextuel, mais ça fait que les gens qui travaillent dans le réseau qui devraient travailler avec bonheur, avec joie, avec plaisir parce qu'ils ont un travail utile, nécessaire, capital dans la société, hein, soigner des gens puis aider des gens à mieux s'en sortir, bien ils sont malheureux de par les contraintes qui se posent dans leur milieu de travail, puis il faut s'y attarder à cet égard-là, aussi.

Mais effectivement l'observatoire, pour nous, le plus grand mérite que ça avait, c'est d'être capable premièrement de créer un dialogue social, d'avoir des acteurs, des intervenants qui viennent du milieu de la pauvreté puis qui apportent leur grain de sel, puis d'être capable d'écouter des points de vue différents pour trouver des solutions communes.

M. Charbonneau: Moi, je pense que dans le fond le problème, un des graves problèmes au Québec, c'est: on a une conception hiérarchique des fonctionnements, y compris au niveau politique. Et puis, quand vous parliez de la gestion participative, la gestion participative, c'est d'introduire dans le fond une conception différente liée à ce qu'on devrait... à une bonne compréhension de ce que c'est, la démocratie. La démocratie, c'est dans une société où tout le monde est égaux puis tout le monde a une responsabilité de participer. Je veux dire, plus une entreprise fonctionne démocratiquement... Puis ce qui est extraordinaire, c'est qu'il y en a, des grandes entreprises, modernes, qui ont compris ça puis qui sont dans ce domaine-là. Ce qui est un peu incroyable, c'est que... puis qui réussissent puis qui performent. Ce qui est incroyable, c'est de voir encore la résistance de beaucoup de gens dans le monde de l'entrepreneuriat qui sont encore à des modes de gestion d'une époque féodale, et comme si les employés, c'étaient finalement des instruments de production, puis ce n'étaient pas du monde qui sont capables d'apporter une plus-value. Je ne dis pas que c'est tout le monde, mais je crois qu'il y a encore beaucoup trop de gens qui, dans le monde de l'entrepreneuriat, gèrent leurs entreprises comme des petits royaumes féodaux parce qu'ils pensent que finalement ils ont un droit divin parce qu'ils ont investi de l'argent puis qu'ils ont été emprunter pour avoir la capacité de se lancer en affaires. Ce n'est pas parce que tu as réussi à avoir du capital, souvent ? je parle de crédit ? que tu as le... que ça te donne le droit de diriger le monde comme s'ils n'avaient pas d'intérêt à participer à l'entreprise.

Puis, moi, je pense qu'effectivement, quand vous avez parlé tantôt de la gestion participative, c'était le fonctionnement de l'observatoire, mais c'est aussi, c'est vrai, le fonctionnement d'un paquet d'entreprises qui crée une dynamique de frustration chez leurs employés puis qui fait en sorte que les gens n'ont pas le coeur à l'ouvrage puis développent finalement des malaises. La seule chose que le monde veulent dans bien des cas, c'est que leur chiffre finisse, puis qu'ils sortent de la shop, puis au plus sacrant, puis qu'ils fassent d'autres choses. C'est comme si la vie existait à l'extérieur de l'entreprise dans bien des cas; ils ont des loisirs, ils ont une vie familiale; ça, c'est la vraie vie, heureuse et intéressante. Mais, quand ils sont en emploi puis qu'ils se font diriger à coups de pied dans le derrière, là, dans certains cas, là, oupelaïe! là, ce n'est pas ça qui améliore la santé des citoyens, ça.

M. Faucher (Claude): Tout à fait, et là... Oui.

M. Pepin (Normand): Si je peux me permettre. C'est tout à fait vrai, ce que vous dites, il n'y a pas de raison en tout cas... pour nous, il n'y a pas de raison pour que la démocratie s'arrête aux portes des entreprises, ça devrait continuer. Même au sein de l'entreprise, les travailleurs sont souvent les mieux placés pour avoir leur mot à dire sur l'organisation du travail.

Je voulais revenir à la question des conditions de travail dans le réseau de la santé. Si on connaît des pénuries à l'heure actuelle ou on se dirige vers certaines pénuries, peut-être ça va être corrigé à l'avenir, mais c'est aussi parce que les gens n'ont pas de contrôle sur leur travail présentement. Nous autres, on a mené un projet sur le vieillissement de la main-d'oeuvre, récemment, qui vient d'être terminé, puis on a eu des échanges avec différentes équipes de chercheurs, dont celle de Frédéric Lesemann à l'INRS-Urbanisation, Culture et Société. Eux autres, ils se sont intéressés aux infirmières, puis ce qu'ils ont réalisé, c'est que les infirmières, dès qu'elles prennent leur retraite, elles rentrent dans le réseau de la santé mais par le biais des agences. Et pourquoi font-elles ça? Parce que, là, par le biais des agences, elles peuvent dire: Je ne travaille pas les fins de semaine, je ne travaille pas les soirs, je peux choisir mon horaire, je choisis de travailler le mercredi, le jeudi, le vendredi, je peux choisir mon horaire, ce qu'elles n'avaient pas le choix de faire dans le réseau de la santé. Donc, oui, elles sont intéressées à continuer de travailler. Les pénuries pourraient être réglées si les gens avaient un peu plus de contrôle sur leur vie, sur les horaires de travail qu'ils peuvent faire. C'est une des conclusions qu'on a, puis c'est en droite ligne avec ce que M. Faucher disait, c'est qu'il faut que... il faut avoir un sentiment de contrôle sur qu'est-ce qu'on fait pour pouvoir non seulement être heureux dans la vie, mais être moins malade puis aussi avoir des perspectives de longévité.

Puis je veux revenir sur la question des déterminants individuels par rapport aux déterminants sociaux de santé. On n'est pas en train de dire qu'il faut donner carte blanche à tout le monde pour manger de la poutine puis fumer des cigarettes, mais ce que les études démontrent, notamment les études Whitehall, c'est que plus on est haut dans la hiérarchie, peu importe qu'on fume ou non, meilleure est notre espérance de vie. Et pourquoi? C'est parce qu'on a un plus grand contrôle sur notre destinée. Donc, même les fumeurs hauts dans la hiérarchie vivent plus longtemps que les non-fumeurs qui sont plus bas dans la hiérarchie. Ça, ça devrait dire quelque chose. On ne dit pas qu'il faut cesser les efforts. Il faut en faire aussi ailleurs, c'est ça qu'on dit.

n(17 heures)n

M. Charbonneau: Dans le fond, ce que ça démontre, puis il y a bien des études qui nous montrent ça, c'est que la santé psychologique, finalement le sentiment de bien-être puis de contrôle de sa vie, à la limite, crée moins de problématiques, de stress. Bien des cancers commencent entre les deux oreilles, hein? On peut bien parler de tous les déterminants, mais la façon d'appréhender la vie puis la façon dont les gens vivent, c'est beaucoup une dynamique qui fait en sorte que la santé mentale a un effet... Puis le ministre doit être d'accord avec moi parce qu'il s'est intéressé au dossier de la santé mentale. La santé mentale, ce n'est pas juste les grosses problématiques de schizophrénie puis de tout ça, là, ce qu'on retrouve. Il faut s'attaquer à ça. Mais la santé mentale des citoyens, là, puis l'état de détresse, puis le sentiment de ne pas contrôler sa vie, puis la frustration de courir d'un bord puis de l'autre, puis d'être obligé des fois d'avoir deux, trois jobs pour arriver à joindre les deux bouts, ça aussi, ça fait partie des conditions qui font qu'à un moment donné une population est en santé ou pas, là.

M. Faucher (Claude): Tout à fait. Et le fait de ne pas avoir d'emploi, ou le fait d'avoir un emploi mais de ne pas savoir combien d'heures je vais travailler puis à quelles journées je vais travailler, puis le fait d'être obligé de cumuler plusieurs emplois pour joindre les deux bouts, c'est bien certain que psychologiquement ça a des effets majeurs.

M. Charbonneau: Tu es à la maison, tu es de mauvaise humeur, puis là, bien, je veux dire, il y a toute une... En tout cas, on pourrait élaborer longtemps.

Moi, je voudrais... Vous avez dit: Il est temps de pousser un peu plus sur le fédéral. Parce que tout le monde parle ici que... Bon, c'est bien beau, le déséquilibre fiscal, certains ne veulent même pas en parler, d'autres en parlent. La réalité, là, c'est que, si on dit qu'il y a quelque chose là d'important, est-ce qu'on... Avez-vous l'impression qu'actuellement on fait ce qu'il faut au Québec pour aller chercher notre part du gâteau?

M. Faucher (Claude): Bien là, j'ai un petit peu l'impression que d'une part on ne voulait pas trop en parler et que, maintenant que le gouvernement fédéral nous annonce qu'ils veulent régler, on s'assoit un petit peu sur le gâteau en disant: Il va venir éventuellement. Mais je ne sens pas d'efforts. Et pourtant les besoins de la santé, les listes d'attente puis les besoins, ce n'est pas dans 10 ans, ce n'est pas dans 15 ans, ce n'est pas dans 20 ans, c'est tout de suite. Puis l'argent est là. Alors, oui, il faut faire des efforts, et pas juste, comme le rapport Ménard le mentionnait, intervenir auprès du gouvernement fédéral pour qu'il accroisse sa part dans le cadre de nouveaux besoins en matière de santé et de services sociaux. Non, non, non, ça, c'est d'y aller trop sur le bout des doigts. L'argent doit s'en venir, puis ça presse.

M. Charbonneau: Dans le fond, ce que vous dites, c'est que ? vous autres, vous êtes habitués de négocier ? si tu ne me fais pas de demande claire, si tu ne mets pas de... si tu ne crées pas un rapport de force, là, il y a bien des chances que tu sois perdant dans la négociation.

M. Faucher (Claude): En tout cas, il n'y a pas de presse à répondre quand tu ne demandes pas. Ça, c'est certain.

M. Charbonneau: En tout cas, c'est pour ça qu'on dit au ministre, depuis des semaines et des semaines: Ce serait peut-être le temps que vous mettiez sur la table clairement vos demandes puis que vous augmentiez la pression, là, parce que, si on n'augmente pas la pression, on peut bien faire un voeu pieux dans un livre blanc, dire: On pourrait aller chercher plus de la part du fédéral, ça n'en ramène pas plus dans la cagnotte, là. Ce n'est pas... En tout cas, ça a l'air que le temps est écoulé, madame, messieurs, alors...

La Présidente (Mme James): Alors, merci à M. Faucher ainsi qu'à M. Pepin de la Centrale des syndicats démocratiques pour votre présentation. Je demanderais aux représentants du Collège québécois des médecins de famille de prendre place pour la présentation de leur mémoire. Merci.

(Changement d'organisme)

 

La Présidente (Mme James): Bienvenue, Dr Lessard, Dr Dion et Dre Léger, à cette commission parlementaire. Vous aurez un échange de... pardon, une présentation, 20 minutes pour faire la présentation de votre mémoire, et ensuite on procédera à la période d'échange du côté ministériel et par la suite du côté de l'opposition officielle. Alors, Dr Lessard, la parole est à vous.

M. Lessard (Bernard): Pardon? Vous aviez un...

M. Charbonneau: Non, non, c'est parce que je vous voyais... j'avais l'impression que vous faisiez...

La Présidente (Mme James): M. le député.

M. Charbonneau: C'est très frustrant...

Mme Léger (Francine): Non, il n'y a pas de... Ça, c'est ma sécurité à moi, mais on n'a pas fait de...

M. Charbonneau: Non, c'est correct, il n'y a pas de problème.

Mme Léger (Francine): Mais vous avez notre mémoire, j'imagine.

M. Charbonneau: Oui, oui, oui. C'est juste parce que j'avais l'impression... puis je ne voyais pas que l'écran était allumé.

Mme Léger (Francine): Ah! O.K. Désolée. Mais tout fonctionne?

M. Charbonneau: Tout va bien. Tout est sous contrôle.

La Présidente (Mme James): Tout va très bien, comme d'habitude. On aura le plaisir à vous regarder, surtout de vous écouter. Allez-y.

Collège québécois des
médecins de famille (CQMF)

M. Lessard (Bernard): Alors, bon après-midi à tous. Permettez-moi de me présenter. Je suis Bernard Lessard. Je suis un médecin de famille qui est membre d'un groupe de médecine familiale au centre-ville de Montréal et président du Collège québécois des médecins de famille. Je suis accompagné de deux de mes collègues: Dre Francine Léger, qui est aussi médecin de famille ? et, soit dit en passant, a été nommée Médecin de famille de l'année au Canada, en 2004 ? alors Dre Léger est aussi responsable du dossier communications publiques chez nous; et Dr Dion, Harold Dion, qui est président du C.A. et président du Comité de développement professionnel continu. Ils vont m'assister dans cette présentation et lors de la période de discussion.

M. Charbonneau: La reconnaissance sociale, ça aide à être heureux, hein, madame...

Une voix: Bien oui. C'est l'oeuf ou la poule, par exemple.

M. Lessard (Bernard): Alors, en premier lieu, au nom du collège, j'aimerais remercier le ministre de la Santé, M. Philippe Couillard, la présidente et les membres de la commission de nous inviter et de nous donner l'opportunité de nous présenter devant cette commission. En fait, nous, nous sommes un organisme qui est en fait le Collège québécois des médecins de famille, qui est la voix de la médecine familiale au Québec. On est une section provinciale du Collège des médecins de famille du Canada, qui a été fondé il y a plus de 50 ans.

En fait, nous ne sommes pas un organisme syndical, on est un organisme qui représente les médecins qui croient dans un idéal de la médecine familiale, tant au point de vue académique que clinique, et les efforts faits par nos deux collèges ont pour but d'élever les standards de pratique de la médecine familiale et d'offrir des services de meilleure qualité aux patients le plus possible. Notre présentation d'aujourd'hui reflète ce que nous croyons être le mieux pour nos patients, donc, par extension, pour les citoyens du Québec en général. Les positions qui vont être présentées ici reflètent les discussions officielles qui ont eu lieu lors de nos C.A. respectifs et des consultations qui ont été entreprises par le Collège des médecins de famille du Canada et le Collège québécois des médecins de famille. En fait, nous ferons fréquemment référence au Collège des médecins de famille du Canada dans ces discussions, ici. C'est sûr que, nous, on représente une pluralité d'opinions, mais on essaie d'être les plus consistants possible avec les positions qui ont été prises par le Collège des médecins de famille au cours des années dernières.

C'est sûr, comme médecins de famille, on est des dispensateurs de soins de première ligne qui sont bien positionnés pour observer et comprendre les problèmes vécus par la population du Québec et par nos patients. On a à coeur leur santé, bien entendu, et leur bien-être. On est préoccupés par les défis qui sont représentés par la gestion d'un système de santé où les besoins sont grandissants, et non seulement en raison de la démographie, mais aussi en rapport avec les problèmes de santé publique. Les dernières années ont été le théâtre d'une évolution spectaculaire des percées médicales, ce qui donne beaucoup d'espoir à la population mais augmente aussi les coûts du système. D'un autre côté, comme médecins de famille, on voit souvent nos patients et on est impuissants vis-à-vis ça dans bien des cas, on les voit frapper un mur lorsqu'il est question d'accéder à des soins de santé, que ce soit au niveau primaire, au niveau des services spécialisés ou au niveau des services diagnostiques.

Le collège se préoccupe, depuis de nombreuses années, des questions importantes touchant le système de santé, entre autres la question des temps d'attente, la pénurie des médecins de famille, l'accès aux soins globaux et continus, les effectifs médicaux, l'optimisation des soins dans un contexte de ressources limitées. On s'est aussi prononcés sur plusieurs questions de santé publique, par exemple pour la loi du contrôle du tabac, pour l'augmentation de l'activité physique dans les écoles, contre les mégaporcheries, etc. Donc, on est impliqués dans ça. On a fait état de nos positions dans un document qui s'intitule La médecine familiale au Canada ? une vision d'avenir. Dr Dion va vous présenter le document un petit peu plus tard.

Concernant le dépôt du projet du Québec, bien entendu, on sait que tout ça est lié à une réponse au jugement de l'affaire Chaoulli, entre autres. On sait que la décision de la Cour suprême et les décisions subséquentes du gouvernement nous obligent à faire certains constats. Ça doit amener toutes les personnes concernées par le système de santé à se poser des questions sur le système de santé, des questions qui seront essentielles pour prendre des positions qui changeront la façon dont le système fonctionnera pour des décennies à venir.

n(17 h 10)n

C'est sûr que ça pose des questions, les changements qui sont proposés par le ministère de la Santé. On peut se poser certaines questions, par exemple: Est-ce qu'on ouvre la porte à un système de santé à deux vitesses où il y aura différents niveaux de soins? Entre autres, pour les gens qui auront accès à des assurances privées, est-ce qu'ils seront soignés plus rapidement que les autres et avec des moyens possiblement supérieurs? Est-ce que les compagnies d'assurance ne seront pas tentées de faire la sélection de patients, des patients plus faciles, au potentiel de profit supérieur, au détriment des gens qui ont des pathologies multiples et complexes, qui seront redirigés vers un système public qui est toujours surchargé? Est-ce que les médecins vont se désengager de la RAMQ? Est-ce qu'on va trouver le personnel soignant dont on a besoin dans tous ces nouveaux systèmes là pour remplacer celui qui quittera le système public pour aller travailler dans un système plus accueillant au niveau du privé? Est-ce qu'on fait déjà le maximum pour assurer les services aux patients, par exemple assurer aux chirurgiens la possibilité d'opérer plus d'un jour par semaine? Y a-t-il des dangers de développer la médecine comme une entreprise capitaliste versus une profession de services? Est-ce que le recours au privé préviendra vraiment le temps d'attente dans les services publics? Il y a des situations où le privé existe déjà en santé, et on perçoit des iniquités. Par exemple, comme médecins de famille, on doit référer souvent les patients en psychothérapie, ou au psychologue, ou même en physiothérapie. S'ils n'ont pas d'assurance privée déjà, c'est très, très difficile d'accéder au système, même via les CLSC.

On va aborder les positions officielles qui ont été décrites dans notre mémoire et, si vous permettez, par la suite on va discuter quelques-unes de ces positions-là et principalement les positions touchant les propositions du gouvernement.

En fait, le CQMF demeure engagé à l'égard d'un système à payeur unique subventionné par l'État, pour les services médicalement nécessaires. Les patients ne devraient pas avoir à payer pour des services médicalement nécessaires, même si ces services sont livrés par le secteur privé.

La mesure du temps d'attente, et ça, c'est un point qu'on trouve très important, même si ça ajoute à la complexité du dossier, on pense que la mesure du temps d'attente devrait commencer à partir de la première visite au cabinet du médecin de famille pour diagnostic et traitement et devrait comprendre toutes les étapes du continuum de soins jusqu'au traitement définitif.

Le CQMF appuie vigoureusement les efforts impliquant les gouvernements, les professionnels de la santé, les citoyens, les patients à établir des repères raisonnables pour la prestation des services médicalement nécessaires. Le CQMF maintient que l'accès à des soins médicalement nécessaires est un droit fondamental de tous les Québécois. Des soins de qualité et la prestation de services médicalement nécessaires en temps opportun sont essentiels.

Finalement, comme dernière position, le CQMF reconnaît le manque de ressources du système actuel et souhaite que la résolution des problèmes passe par une réorganisation des services où tous les intervenants, les professionnels de la santé, les institutions publiques, les gouvernements, soient imputables en regard de la prestation des soins de qualité dans des délais opportuns.

En fait, si on revient sur la question des temps d'attente, on sait que c'est un problème qui est majeur et qui est un irritant pour les patients, c'est ce qu'ils vivent quotidiennement, mais on sait que ce n'est pas l'unique problème du système de santé. On sait que le problème de l'accès aux soins est en partie causé par le manque de financement et les défauts organisationnels du système de santé. En plus, je pense qu'on doit rattacher le déficit de ressources professionnelles à ces deux causes. On sait que le Québec est en déficit important du nombre de médecins, d'infirmières et de pharmaciens. On connaît la cause de ces déficits; entre autres, on se souviendra, les incitatifs de la mise à la retraite, là, dans les années quatre-vingt-dix.

Vous êtes au courant, M. le ministre, qu'on manque de médecins de famille au Québec. On estime qu'entre 800 000 et 1 million de Québécois n'ont pas accès à un médecin de famille. Le problème n'est pas unique par rapport aux médecins de famille. On sait que, du côté des soins infirmiers, il y a un déficit aussi, que ce déficit-là est relié en partie au manque d'infirmières mais aussi à l'épuisement du personnel infirmier dans les hôpitaux. Alors, il faut bien être conscient que le problème des effectifs touche aussi tous les autres professionnels de la santé. Il semble que le gouvernement ait compris l'erreur du passé par rapport aux effectifs médicaux, et on sait que le nombre d'admissions en médecine et en soins infirmiers a augmenté, et on félicite le gouvernement pour ses initiatives.

Spécifiquement au problème des listes d'attente, il semble que le gouvernement veuille s'aligner aux recommandations de l'Alliance sur les temps d'attente. On est heureux donc de constater que le gouvernement du Québec semble vouloir suivre les lignes directrices qui ont mené à ces recommandations. Je pense qu'il faut souligner qu'il est cependant dommage de constater que le gouvernement se limite à cinq problèmes jugés prioritaires. On sait que c'est important de penser aux problèmes cardiaques, aux problèmes chirurgicaux et oncologiques, mais il ne faut pas oublier les problèmes médicaux complexes, les pathologies reliées à la psychiatrie et les problèmes d'urgence. Je pense que les ressources manquent de toutes parts, et c'est l'obligation du gouvernement de se pencher sur ces autres domaines de pratique qui sont tout aussi importants, même s'ils font moins la manchette des journaux.

Je pense qu'il est aussi intéressant de se demander quand commence véritablement la liste d'attente. Tout le monde sait qu'il est difficile de se trouver un médecin de famille. Alors, si la première difficulté du patient, quand il présente les symptômes, c'est d'accéder à un médecin qui fait des soins de première ligne, on sait que la liste d'attente va être encore plus loin. À travers tout ça, il y a l'accès au médecin de famille, l'accès aux services diagnostiques, le retour au médecin de famille, la consultation spécialiste. Tout ça, ce sont des délais qui s'additionnent avant d'avoir peut-être la chance d'être sur la fameuse liste d'attente. Alors, je pense qu'il faut reconnaître que c'est un problème, et les listes d'attente devraient véritablement refléter l'expérience du patient dans son ensemble et reconnaître toute la souffrance et la perte de qualité de vie qui viennent avec cette attente.

Il est aussi impératif que le processus qui régit les listes d'attente soit totalement transparent. Les décisions concernant les besoins médicaux et les temps d'attente raisonnables nécessitent la participation de tous les professionnels de la santé et des décideurs de la santé, sur la base des meilleures preuves et sur la base des pratiques exemplaires qui permettent la prestation de soins d'une grande qualité, axés sur le patient.

Concernant la question du privé en santé, en fait, comme je l'ai dit tout à l'heure, le CQMF supporte de protéger le plus possible le système de santé actuel pour assurer à la population des soins égalitaires et de qualité. On supporte la notion du payeur unique. La décision donc du gouvernement d'ouvrir la porte à la prestation des soins par le système privé, c'est une décision qui est sérieuse et qui doit être longuement réfléchie. Je pense qu'il faut cependant, si on va dans cette voie-là, ne pas oublier qu'il faut protéger les ressources professionnelles du système public actuel, il ne faut pas oublier que le déficit du nombre de professionnels ne peut pas se corriger rapidement, je pense que vous êtes bien conscients de ça, tout le monde autour de la table, que les médecins travaillent dans le public ou dans le privé, il n'y en aura pas plus au total. Alors, il faut être bien conscients de ça.

Je pense qu'il faut maintenir des balises claires pour protéger le système par rapport à la notion de médecin participant et non participant. Il faut aussi maintenir un quota maximum de médecins désengagés au Québec, à notre avis. Il faut aussi prévoir le mouvement, comme je l'ai dit tout à l'heure, non seulement des médecins, mais aussi des autres professionnels de la santé qui seront tentés de faire carrière dans les milieux privés. Je pense qu'il faut considérer cette question-là importante parce que je pense que la situation risque de s'aggraver dans le milieu public.

Concernant les cliniques affiliées, comme nous l'avons mentionné précédemment, le collège supporte le maintien du principe de payeur unique. Dans ce contexte, il est difficile pour nous de nous opposer sur le principe de cette question.

Je vais terminer par rapport à la prestation des soins de santé dans le milieu privé. Concernant la situation des assurances privées, je crois que vous avez compris qu'en supportant le système à payeur unique nous ne sommes pas en faveur de la prestation des services de santé utilisant des assurances. Je pense qu'une portion très importante de nos patients n'ont ni les moyens de se payer des services en privé ni les moyens de se payer une assurance, et on sait que, même si le privé existe déjà, ça ne change pas beaucoup l'accès des soins pour les gens qui n'ont pas ces assurances-là, je l'ai mentionné tout à l'heure, pour ce qui est des services de psychothérapie, par exemple, et de physiothérapie.

Le dernier danger, c'est d'ouvrir la porte, et c'est ce qui nous fait peut-être le plus peur, le plus grand danger est d'emprunter la voie d'ouverture des soins de santé vers le privé, voie que semble privilégier le gouvernement, et d'ouvrir la porte de plus en plus grande, de plus en plus large et de laisser aller de grandes parts de notre système de santé actuel au privé. Pour le moment, les mesures touchant les assurances privées se concentrent seulement sur quelques chirurgies. Quelle garantie aurons-nous qu'avec le temps le gouvernement n'ouvrira pas de plus en plus vers d'autres pathologies? Et pourrons-nous toujours protéger notre système universel?

Je pense que le gouvernement doit éviter de céder à la tentation de plaire à court terme. Il faut que la réflexion qui est menée actuellement soit guidée par l'intention d'assurer la pérennité de l'excellence des services de santé dans le but d'assurer à la population québécoise la chance de se réaliser pleinement dans un environnement sain.

Là-dessus, si vous permettez, M. le Président, je vais passer la parole à Dr Dion, qui va nous présenter le document du Collège des médecins de famille du Canada.

Le Président (M. Copeman): Je vous souligne simplement, Dr Dion, il reste cinq minutes.

M. Dion (Harold): Bon, c'est parfait, j'avais préparé en fonction de cinq minutes.

Le Président (M. Copeman): Excellent.

n(17 h 20)n

M. Dion (Harold): Donc, alors, comme Dr Lessard vous a mentionné, la plupart de notre discussion est tirée de ce document ? je pense que nous vous avons tous envoyé des copies ? intitulé La médecine familiale au Canada ? une vision d'avenir, qui a été publié en novembre 2004, et c'est à la suite d'un sommet qui a eu lieu sur la médecine familiale au Canada, en mai 2003, et, à ce sommet, les membres qui étaient présents étaient les gens du conseil d'administration. Il y avait les directeurs des départements universitaires de médecine familiale, des résidents en médecine familiale, des étudiants en médecine. Il y avait des représentants des différents comités, des différentes sections provinciales ? donc, le Québec y a participé également ? ainsi que des non-médecins. Donc, le document adressait plusieurs des questions importantes sur le système de santé, soit la question des temps d'attente et la pénurie des médecins de famille, l'accès aux soins globaux et continus, les effectifs médicaux et l'optimisation des soins dans un contexte de ressources limitées. Alors, c'est un document de 60 pages, avec 20 pages de recommandations, donc je vais juste vous en présenter quelques-unes.

Alors, en ce qui concerne la mesure des temps d'attente, le collège recommande que les études et les lignes directrices du champ des temps d'attente devraient être centrées sur le patient. La définition du temps d'attente devrait s'appliquer à partir du moment où un patient éprouve des problèmes de santé et tente d'avoir accès au système jusqu'au moment où il est vu par un médecin de famille, jusqu'à l'intervention du spécialiste et jusqu'au terme des soins définitifs. Les conditions autres que les cinq domaines identifiés ? le cancer, le coeur, l'imagerie diagnostique, les remplacements d'articulation et la restauration de la vue ? devraient faire l'objet de normes, de points de repère et de cibles, et il devrait y avoir des lignes directrices élaborées pour aider les patients à mieux comprendre les temps d'attente acceptables et sans danger pour leurs problèmes médicaux. Et enfin des politiques touchant l'imputabilité de tous les intervenants dans le système, y compris les gouvernements, devraient être mises en place pour s'assurer que les problèmes médicaux importants des Canadiens et Québécois, Québécoises soient pris en charge à l'intérieur des limites de temps acceptables et sécuritaires.

Je vais maintenant changer de domaine et parler de l'optimisation de l'accès aux soins spécialisés, que nous, les médecins de famille, avons un problème particulier. Donc, il est recommandé que les initiatives et les stratégies de réforme des soins de première ligne devraient insister sur l'amélioration de l'accès aux soins spécialisés pour les médecins de famille et leurs patients. On devrait introduire des modèles de soins partagés impliquant les médecins de famille et les spécialistes, comme ceux qui ont été développés pour le domaine de la santé mentale et de la prise en charge des maladies chroniques. Et finalement les rôles et les relations entre les médecins de famille et les spécialistes devraient être présentés comme modèles de rôle dès que possible dans le curriculum prédoctoral des facultés de médecine ainsi que des programmes postdoctoraux de médecine familiale et des spécialités, avec une exposition appropriée des étudiants en médecine et de tous les résidents, autant aux médecins de famille qu'aux spécialistes.

Et finalement la dernière section que je vais couvrir, c'est le soutien à la promotion de l'accès aux soins pour les populations mal desservies. Donc, le collège recommande que les facultés de médecine et les départements de médecine familiale devraient assurer l'éducation et la formation d'un nombre suffisant de médecins de famille appelés à dispenser des soins au sein des communautés rurales, éloignées, autochtones et autres. Les facultés de médecine et les départements de médecine familiale devraient offrir un meilleur modèle aux étudiants en médecine et aux résidents concernant les médecins et les pratiques desservant les régions éloignées, les centres-villes, les personnes âgées, les autochtones et les populations mal desservies. Les soins aux personnes âgées devraient continuer d'être au centre du curriculum de deux ans, en médecine familiale, pour tous les résidents. Et finalement, la dernière, les organisations des professionnels de la santé devraient encourager et soutenir les besoins éducatifs et de pratique des médecins de famille qui eux-mêmes proviennent de populations diverses et mal desservies. Voilà, je vais m'arrêter là.

Le Président (M. Copeman): Merci beaucoup. Alors, M. le ministre de la Santé et des Services sociaux.

M. Couillard: Merci, M. le Président. Merci, Dre Léger, et Dr Lessard, et Dr Dion. Vous voyez, même si c'est la fin de la journée, on est encore actifs et avec une bonne écoute.

M. Lessard (Bernard): On vous en félicite. Merci.

M. Couillard: Donc, nous aussi, on est heureux et en santé.

M. Lessard (Bernard): Excellent.

M. Couillard: Je voulais aborder la question de la liste d'attente. Vous avez raison, dans un monde idéal, il faudrait mesurer l'attente à partir du moment... je ne dirais pas de l'apparition des symptômes, parce que ce n'est pas parce qu'on a des symptômes qu'on a un problème nécessairement, là. Comme médecin de pratique, vous le savez très bien.

M. Lessard (Bernard): C'est pour ça qu'on a précisé: à partir de la consultation chez le médecin de famille. On est là pour discriminer, effectivement, là.

M. Couillard: Oui, à partir du moment où le médecin de famille décide que...

M. Lessard (Bernard): Pose un diagnostic.

M. Couillard: ...des soins spécialisés sont nécessaires. Je pense qu'idéalement il faudrait mesurer ça de cette façon-là.

Je voudrais d'abord vous dire que, comme vous le savez, les outils sont en place pour lutter contre la pénurie de médecins de famille. Je ne pense pas, à moins que vous en ayez d'autres à nous suggérer, là... Les facultés de médecine, ils n'en veulent plus, là. Ils ne sont plus capables. Et, si vous enseignez en médecine de famille, vous en savez quelque chose.

M. Lessard (Bernard): La médecine familiale est victime de son succès présentement, effectivement. Les cours sont comblés, là.

M. Couillard: Voilà. Je pense qu'on n'est pas très loin de l'époque où la plupart des Québécois auront leurs médecins de famille, question d'années malheureusement, parce que la formation médicale, c'est long. Mais on va arriver à ce niveau d'effectifs là.

Et je voudrais attirer votre attention sur ce qu'on pourrait appeler un peu le paradoxe québécois ou certains éléments sur lesquels il faut de façon critique attirer notre attention, et le fait que vous ne soyez pas une organisation à visée syndicale facilite peut-être cette discussion-là. Si vous allez à la page ? puis vous n'avez pas besoin de le faire maintenant parce que je vais vous donner les données à mesure; si vous allez à la page ? 38 de notre document de consultation, on a un tableau sur les effectifs médicaux par 1 000 habitants, médecins actifs. Donc, on a vraiment exclu les médecins retraités ou qui ont un niveau d'activité qui ne les qualifie pas comme étant des médecins actifs. Ce qu'on constate, c'est que la moyenne des pays de l'OCDE, c'est trois; au Québec, c'est 2,3; en France, c'est 3,4. C'est un écart considérable, un médecin par 1 000 pour une population de 7 millions, c'est des milliers de médecins de plus si on avait le même nombre.

Par contre, si on regarde le Royaume-Uni, eux, ils sont à 2,2. Donc, ils ont à peu près le même nombre de médecins par population que nous. Or ? or ? la Grande-Bretagne a réussi à mettre en place une garantie d'accès qui implique également la médecine de famille. Mais vous savez très bien qu'est-ce que les médecins de famille britanniques ont laissé, entre guillemets, sur la table depuis plusieurs années: c'est ce que nous appelons ici l'autonomie professionnelle, c'est-à-dire que les médecins sont attitrés à un territoire, l'inscription des patients est obligatoire, la fidélité également des patients est inscrite dans le code. Et ils ont réussi à faire en sorte que ? et c'est ce qu'on me dit, apparemment ça se vérifie sur le terrain ? maintenant vous pouvez avoir un rendez-vous avec votre médecin de famille en moins d'une semaine, en 48 heures. En fait, la norme est 48 heures. Bon. Il y a des gens apparemment qui téléphonent dans les lignes ouvertes maintenant puis qui se plaignent que ça leur a pris quatre jours. Le jour où on en sera là, on sera bien heureux. Mais, quel que soit le niveau de performance actuel, on va s'entendre pour dire que les patients en Grande-Bretagne ont accès plus rapidement et plus facilement à leurs médecins de famille qu'au Québec, avec un nombre de médecins qui est identique. Alors, ça...

Mme Léger (Francine): ...difficile ? pardon ? de comparer chiffre pour chiffre, parce que, moi, je ne sais pas si je suis considérée un temps plein de médecin de famille, mais, moi, il n'y a personne qui est venu me demander combien je fais d'heures de consultations. Puis, si on me considère un... Je fais deux jours de consultations en médecine familiale. Alors...

M. Couillard: Mais vous avez...

Mme Léger (Francine): ...alors là, si je suis considérée un médecin temps plein, bien là on fourre... ? excusez le langage ? on bousille toutes les statistiques. Ces chiffres-là, pour moi, ça ne veut rien dire parce que... mais, ici, les médecins de famille, on a été habitués à faire plein, plein, plein de choses...

M. Couillard: Mais ça, ça...

Mme Léger (Francine): Je passe deux heures à appeler pour avoir un rendez-vous avec la spécialiste, là. Moi, ce n'est pas sûr que je veux faire cinq jours de médecine familiale, de consultations. Alors là, pour l'instant, je suis considérée un temps plein puis je fais deux jours de consultations en médecine familiale. Puis pourtant, en 2006, avec les statistiques, là, ce serait très facile même de comptabiliser à partir du médecin de famille. Il me semble que ce ne serait pas si compliqué ? les gestionnaires, ils aiment ça, les petites cases, puis le nombre de jours, puis les statistiques. Puis on aurait... Ce serait simple. Puis je pense qu'on les occuperait pour quelque chose peut-être d'utile. Parce que la gestion, la bonne...

M. Couillard: Attention, ils trouvent qu'ils font des choses pas mal utiles, là.

Mme Léger (Francine): Non, non, mais beaucoup de choses, oui. Mais la bonne gouvernance, là, qui...

M. Couillard: Mais ils sont habitués à se faire caricaturer.

Mme Léger (Francine): Mais, je veux dire, la bonne gouvernance, on entend beaucoup parler de ça, là, mais je crois qu'on a beaucoup, beaucoup encore d'améliorations à aller chercher dans notre système de santé. Parce que les fusions... «Small is beautiful», hein? Les fameuses fusions, là, je ne sais pas si des fois c'est si... Moi, je viens du CHUM, hein, je travaille au fameux CHUM. Alors, j'ai été chef du Département de médecine générale au CHUM, avant la fusion, et puis je ne suis pas certaine que cette fameuse fusion là... Puis là les gestionnaires, on suppose bien, il y en a moins, mais finalement il n'y en a pas moins parce qu'ils n'ont pas coupé tant que ça.

Alors, en tout cas, je crois que, les chiffres actuels de Royaume-Uni, je ne suis pas sûre que je me fierais là-dessus. Ce qu'on sait, là, c'est que... Moi, je ne prends pas de nouveau patient parce que, pour l'instant, je fais plein d'autres choses puis je n'ai pas le temps d'en prendre des nouveaux. Alors, quand les patients auront tous un médecin de famille, on dira qu'il y a assez de médecins de famille.

M. Couillard: Ce que je veux juste dire, Dre Léger, vous avez raison, les statistiques sont les statistiques, mais on ne peut pas les évacuer complètement. Il n'en reste pas moins que, quels que soient les défauts des statistiques, les mêmes défauts se retrouvent partout. En Angleterre aussi, je suppose qu'il y a des gens qui ne sont pas vraiment actifs puis qui sont comptés comme actifs. Les pays ont les mêmes problèmes puis les mêmes gestionnaires ? quoique les nôtres sont plus compétents.

Mme Léger (Francine): Les quatre jours, c'est peut-être le sans-rendez-vous, puis, en rendez-vous, c'est peut-être deux mois.

M. Couillard: Mais vous savez...

Mme Léger (Francine): Tu sais, on ne sait pas, là, exactement. Moi, je n'ai pas... On n'est pas expertes en Royaume-Uni...

n(17 h 30)n

M. Couillard: Mais la façon dont ils l'ont fait, en pratique, c'est qu'on dit aux médecins: À partir de maintenant, vous ne prenez plus de rendez-vous dans un, deux, trois mois; fermez ça, fini, ça, prenez juste des rendez-vous de la personne qui vous appelle, puis vous donnez rendez-vous quelques jours plus tard. Je ne veux pas dire qu'il faut faire pareil.

Le message que je veux donner ici, là, c'est qu'il y a une tendance, là ? puis, depuis quelques années, c'est toujours la même chose ? c'est le système: ah! pauvre système, c'est effrayant notre système, on a donc un mauvais système. Mais il y a une responsabilité collective commune à faire fonctionner le système, puis peut-être que les médecins eux-mêmes, au Québec, auraient avantage à revoir peut-être certaines façons de faire. Personne n'est immun à la critique, là. La critique est souvent unidirectionnelle, hein, puis autant avant que maintenant. Il y a peut-être des réflexions à se faire également sur la façon dont on organise la pratique, sur les liens qui ne sont peut-être pas aussi formalisés qu'ils devraient être entre le médecin de cabinet puis l'organisation de santé, sur l'abandon d'une petite partie peut-être de cette sacro-sainte autonomie professionnelle au profit du système de santé.

Mme Léger (Francine): Le fameux silo, là, moi que ça fait 25 ans que je pratique, ou 24 ans, là, le fameux silo, on n'est pas uniquement responsables de ça, hein?

M. Couillard: Non, personne n'est uniquement responsable de rien.

Mme Léger (Francine): Parce que, moi, en santé publique, là, avant... Bon, là, il commence à avoir des liens avec nous, là, mais ça fait longtemps que je leur dis: Bien, pourquoi vous n'êtes pas venus me voir pour savoir quel outil que j'ai besoin puis pourquoi vous ne m'envoyez pas un fax quand il y a une alerte à la pollution atmosphérique? Je n'en reçois même pas, de fax de ça, là. Les urgences en reçoivent, puis, nous, les bureaux privés, là, tu sais... Ça commence à mieux fonctionner, mais ce n'était pas à moi... Je n'ai même pas le temps d'aller leur dire qu'est-ce que j'avais besoin, c'est à eux à venir voir qu'est-ce que j'ai besoin, ils ont le temps de ça. Puis, la prévention...

M. Couillard: Mais, vous savez, Dre Léger, les...

Mme Léger (Francine): ...on en fait, là.

M. Couillard: ...les gens des hôpitaux, ils disent: Bien, pourquoi le médecin de famille qui est sur mon territoire, il ne m'informe pas quand il part en vacances, au lieu de dire à tous ses patients de se rendre à l'urgence sans m'informer qu'il part en vacances deux, trois semaines? Je pense que, là, il y a des éléments de lien à faire. Le seul message que j'essaie de passer ici, là ? ce n'est pas le «rocket science» ? c'est juste de dire qu'il faut qu'on s'y mette tout le monde ensemble, au système de santé. Et effectivement, les ressources, on en met puis on rentre du monde dans les facultés de médecine. Mais je voudrais juste entendre de votre part un requestionnement quelconque des façons de faire des médecins au Québec. C'est juste ça que j'attends, là. Si vous n'êtes pas capables de le faire, c'est correct, là.

M. Lessard (Bernard): Je pense que, Dr Couillard, vous avez tout à fait raison, puis on n'a pas entré dans le détail, dans notre document, aujourd'hui, mais, quand on mentionne que les gouvernements, les institutions publiques et les médecins doivent être imputables de leurs actes, je pense qu'on est d'accord avec vous. Je pense qu'il y a beaucoup de choses qui ont été faites, au cours des dernières années, sur l'implantation des GMF. L'histoire des GMF, c'est quelque chose qui a été discuté, qui ne s'appelait pas GMF, mais qu'on a discuté au niveau du Collège des médecins de famille du Canada. Et je pense qu'il y a des mouvements qui ont été faits, dans les dernières années, qui visent à améliorer effectivement l'accès des soins de santé en première ligne.

Puis je pense qu'on est tout à fait d'accord avec le fait que les médecins aussi doivent prendre leur part de responsabilité là-dedans. Je pense que les médecins le font, il faut quand même leur donner la possibilité de le faire et les moyens de le faire. On est beaucoup du côté des patients, nous, et souvent, dans nos cabinets, on se sent un peu isolés. Effectivement, on a l'impression que les hôpitaux ne nous considèrent pas nécessairement. Il y a des problèmes de communication énormes entre les spécialistes et les médecins de famille. On ne reçoit pas souvent... Vous savez, on a coupé beaucoup de postes dans les dernières années, du personnel clérical dans les hôpitaux, ce qui fait en sorte que, quand on fait une consultation, un spécialiste, maintenant on ne reçoit plus de rapport de consultation. C'est dramatique, ça. Il y a moyen effectivement d'améliorer la communication, je pense, soit par le développement de systèmes informatiques ou par le fait tout simplement de remettre ces items-là à jour, là, dans la tête des médecins de famille et des médecins spécialistes. Alors, je pense qu'on est d'accord là-dessus avec vous: tout le monde, il faut mettre la main à la pâte.

Maintenant, je veux dire, le nombre, comme Dre Léger en parlait tout à l'heure, c'est difficile toujours d'évaluer, mais 800 000 Québécois n'ont pas de médecin de famille; ça en prend quand même, je pense, un petit peu plus que les statistiques le démontrent. Il y a eu beaucoup de coercition. On n'est pas un organisme syndical, mais on sait que les décisions administratives concernant les PREM, les AMP ou toutes les mesures coercitives qui ont été imposées aux médecins dans les dernières années, ça oriente les choix de carrière. Par exemple, les jeunes médecins ne vont plus travailler dans des cabinets pour faire de la prise en charge parce qu'ils ont des PREM à faire, ils ont des AMP à faire à l'urgence ou dans les centres d'accueil, ce qui fait que tant qu'à en faire on fait juste ça puis on ne fait plus de la prise en charge. C'est un problème, je pense, que vous reconnaissez. Je pense que vous avez tenté d'améliorer avec l'histoire des groupes de médecins de famille, mais je pense qu'il faut voir que les médecins, sur le terrain, font leur possible mais qu'ils débordent.

Puis le message que je veux passer, c'est que les problèmes d'accès, c'est en train aussi d'engorger les médecins de famille, en ce sens où maintenant on fait des tâches qui sont presque des tâches de secrétariat pour appeler tel ou tel spécialiste pour avoir un rendez-vous parce que la situation urge. On suit des patients qui sont de plus en plus lourds en cabinet privé, qui deviennent de plus en plus malades parce qu'ils n'ont pas accès aux soins spécialisés. Ça fait qu'on voit moins de patients globalement, puis les gens qu'on traite sont de plus en plus malades. Alors, je pense qu'il faut vraiment tenter de mettre en place, là, une organisation solide des soins de première ligne, augmenter la fluidité de l'accès des soins pour le patient, là, dans les hôpitaux puis essayer de faire du rattrapage un peu par rapport aux listes d'attente. Si ça prend des budgets particuliers pour faire du rattrapage sur une courte période, peut-être qu'il faut prendre la décision, comme société, de le faire puis essayer après de rebâtir un système qui va être fluide et auquel tout le monde va pouvoir mettre la main à la pâte, là.

M. Couillard: Mais je suis d'accord que ça prend plus de médecins, là, entendons-nous bien là-dessus, mais c'est comme l'argent, tu sais: si on fait juste empiler l'argent dans le système sans revoir les façons de faire ? puis Dieu sait qu'on en fait, des trucs actuellement pour repenser les façons de faire ? on n'y arrivera pas. Même chose pour les effectifs. Alors, il faut déjà penser à promouvoir des modes de pratique qui visent à l'intégration puis à la collaboration entre le médecin de famille en cabinet et l'organisation de santé du territoire. Puis d'ailleurs votre représentation au conseil d'administration du CSSS d'après moi est un pas important dans cette direction-là.

Vous avez entièrement raison sur le fait que certaines dispositions notamment associées aux ententes collectives ont des impacts sur le style de pratique que les gens choisissent. D'ailleurs, il y a une négociation en cours ? vous êtes probablement au courant également ? et on espère en voir plusieurs bonnes conséquences, là, autant pour les médecins d'ailleurs que pour la population. Et on pourra observer certaines choses intéressantes au cours des prochaines années. Par exemple, récemment, les dernières années, on a souvent parlé du plafonnement des médecins en cabinet pour expliquer les difficultés d'accès. Pensez-vous? On verra.

M. Lessard (Bernard): ...plafonné, Dr Couillard. Alors, je ne pense pas que...

M. Couillard: Est-ce que le déplafonnement éventuel va améliorer l'accès? On verra.

Mme Léger (Francine): Bien, il faut déplafonner parce qu'en pénurie d'effectifs, là, ce n'est plus logique d'avoir un plafonnement. Ça n'a pas de bon sens. Là, c'est qu'il faut penser qu'il y a une morosité, hein? Tout le monde est un peu... dans le système, là, les intervenants ? puis on n'est pas les seuls, dans les écoles aussi ? tout le monde est épuisé. Puis, si on a des principes comme ça en disant: Bien non, il faut plafonner, alors qu'il y en a... C'est une minorité de médecins qui plafonnent, hein? Inquiétez-vous pas, là, on ne «bustera» pas le budget à cause de ça. C'est qu'il faut aussi... il faut qu'on travaille puis qu'on soit reconnus. Les chirurgiens, s'ils opéraient, ils n'auraient peut-être pas besoin d'augmenter tant que ça leur salaire, ils feraient plus d'actes puis ils seraient contents. Ils veulent opérer. Là, c'est rendu que ? moi, je suis au CHUM, là ? ils ne peuvent plus opérer parce que, là, à 2 heures: Non, ton cas, il dure trop, là, on arrête. Alors là, tu dis: Ça n'a plus aucun sens.

M. Couillard: Ce n'est pas nouveau, ça fait des années que c'est de même. C'était de même quand j'étais en pratique.

Mme Léger (Francine): Non, c'est pire. Non, non, c'est pire, c'est pire. C'est vraiment pire. Ça prend plus de temps faire le ménage entre chaque cas. Ça se détériore de façon épouvantable. Il y a des choses simples, mais, dans chaque milieu...

M. Couillard: Ne soyons pas... Vous savez, Dre Léger, les messages apocalyptiques, c'est peu crédibles. Ne dites pas que ça se détériore de façon épouvantable, ce n'est pas vrai.

Mme Léger (Francine): Non, non, mais, je veux dire, d'année en année, moi, je le vois, là, en 25 ans, ça se détériore.

M. Couillard: Alors, ça ne s'améliore pas assez lentement puis il y a des choses à faire beaucoup, mais, si on commence à donner le message...

Mme Léger (Francine): Moi, je suis contente de ne pas dépendre de l'hôpital.

M. Couillard: ...mais, si on commence à donner le message que le système de santé est dans une trajectoire d'apocalypse, il n'y en aura plus, de système de santé, parce que les gens qui nous écoutent, ils vont dire: Bien, on est aussi bien d'abandonner ce système-là, c'est l'apocalypse.

Mme Léger (Francine): Non, non, mais, dans vos trois choix que vous nous donnez, c'est comme si vous ne nous donniez pas le choix, hein; les trois propositions, puis vous privilégiez la dernière. Mais là le statu quo est la première... C'est sûr que, là, on regarde ça, statu quo, bien non, il ne faut pas choisir ça. C'est normal, on ne veut pas... Ça ne va pas bien, le système. On ne choisira pas l'option un, c'est le statu quo, alors que ce n'est pas vrai, on est en pleine réforme de soins de santé primaires, on implante les GMF. On est trois médecins dans trois groupes de médecine de famille, ça veut dire quelque chose. Mais c'est en pleine implantation. C'est comme si on implante des choses, mais là: O.K., on n'aura pas le temps de voir l'impact, il faut faire de quoi parce que, là... et puis, là, on se dépêche à ouvrir au privé, alors que peut-être que, oui, à court terme, on va donner des budgets pour régler les... faire plus d'opérations, comme on a fait en chirurgie cardiaque, ça marche bien. Pourquoi on ne déciderait pas...

M. Couillard: Il y a quelque chose qui marche bien, je suis soulagé de vous entendre.

Mme Léger (Francine): Oui, oui, oui. En radio-onco, bien les deux constats: en radio-onco et les chirurgies cardiaques, ça a marché. On a mis des budgets désignés...

M. Couillard: Les cataractes aussi, les cataractes aussi.

Mme Léger (Francine): Pardon?

M. Couillard: Les cataractes aussi, ce n'est pas pire.

n(17 h 40)n

Mme Léger (Francine): Oui, oui, on a mis des budgets désignés et puis là on règle ça. Puis on n'est pas obligés d'aller dans le privé ou des cliniques affiliées nécessairement pour ça. On pourrait très bien dire: On donne plus de budgets, là, désignés pour... On règle les listes d'attente de chirurgie ? c'est un peu ça, les gros problèmes actuellement ? laissons voir la réforme de santé primaire s'installer. Puis il y a des trucs en santé aussi qui ne sont pas toujours... Bien, on pourrait prendre le budget du ministère de l'Environnement, parce que c'est tellement lié à la santé, ça nous ferait plus d'argent, puis on aurait un impact sur les politiques d'environnement, parce que c'est un des gros... Ce serait vraiment intéressant. On a un comité santé-environnement au Collège québécois des médecins de famille, puis ça a un énorme impact et dans le futur aussi ? un petit message pour une autre commission parlementaire à côté. Et puis, bien, les transports, l'activité physique, là, l'activité physique dans les écoles, les transports, on a des choix de société. Bien là, si on fait du transport en commun, ils vont être plus en forme, plus marcher. Alors, on a des choix qui sont hors budget peut-être du ministère de la Santé mais que, nous, on vous encourage à faire une concertation, parce que, pour nous, comme médecins de famille, on veut que nos patients soient en santé, hein, alors, s'ils marchent plus puis ils mangent mieux, certainement qu'ils vont peut-être être heureux.

Le Président (M. Copeman): Il vous reste une minute.

M. Couillard: C'est correct, j'ai terminé.

M. Lessard (Bernard): Je voudrais peut-être juste faire un commentaire.

Le Président (M. Copeman): Dr Lessard.

M. Lessard (Bernard): Je pense que, Dre Léger, Dr Couillard, vous parlez quand même le même langage, mais je pense qu'une chose qu'il faut constater, qu'on n'a pas dite ? puis pour être optimiste ? c'est qu'une fois dans le système de la santé les gens sont satisfaits de la qualité des soins. Je pense que ça, c'est clair, on le reçoit constamment. Moi, j'ai travaillé longtemps en soins palliatifs, il y a des gens qui n'avaient jamais eu accès aux soins de santé avant parce qu'ils n'étaient pas malades. On leur trouve un cancer, bon, ils sont dans une étape difficile de leur vie, et les soins qu'ils... Je veux dire, ce qu'ils connaissaient des soins, c'était l'expérience qu'ils entendaient dans les médias, et, quand ils l'ont vécu à l'hôpital, par exemple les soins qu'ils ont reçus, ils s'en montrent souvent très, très satisfaits. Ça fait que je pense que je suis d'accord avec vous, il y a des choses qui marchent dans le système. Les gens ont de la volonté. Les travailleurs de la santé, vous les connaissez, c'est des gens qui ont à coeur le bien-être de leurs patients, et puis si on les encourage, et si on les motive, et si on n'est pas trop coercitif, je pense que tout le monde est prêt à mettre la main à la pâte. Mais je pense qu'il faut continuer à encourager ça.

Le Président (M. Copeman): M. le député de Borduas et porte-parole de l'opposition officielle en matière de santé.

M. Charbonneau: Bien, merci, M. le Président. Alors, madame, messieurs, pour enchaîner, il ne s'agit pas d'avoir les lunettes roses, mais il ne s'agit pas non plus de se fermer les yeux. Et puis le monde n'a pas changé il y a trois ans; la réalité, c'est que les problèmes dont on parle aujourd'hui, ça fait plusieurs années qu'on les vit. Il y a des processus de changement qui sont en place, mais la situation fait en sorte qu'on doit encore constater aujourd'hui qu'il y a une problématique qui reste là, lancinante et pénible, en regard de l'attente puis de l'accessibilité. Si ce n'était pas le cas, là, on ne serait pas ici, en commission parlementaire, pour parler de ça. Alors, ça ne sert à rien de se raconter des histoires puis de vouloir nier la réalité.

Moi, j'aimerais ça préciser l'ampleur du problème du manque de médecins de famille, parce qu'à un moment donné il y avait un reportage de Radio-Canada, je pense, il y a quelques mois, puis on parlait de un demi-million; aujourd'hui, vous nous parlez plus de 1 million, ou 800 000, 1 million. Il y a une sacrée différence. Est-ce qu'on est capable de cerner la réalité? Il y a combien de Québécois qui n'ont pas de médecin de famille actuellement?

Mme Léger (Francine): ...on paie des sondages, on en a payé, mais le gouvernement aussi. C'est assez simple à questionner, là, mais on manque...

M. Lessard (Bernard): C'est parce qu'on n'a pas, nous, de statistiques officielles. Les statistiques que l'on a mises sur la table aujourd'hui, ça provient des statistiques qui ont été fournies par le gouvernement. Alors, à moins que je ne me trompe, c'est les dernières statistiques. Et, au niveau du Canada, on a estimé à 3 millions. Là, on avait des chiffres peut-être un petit peu plus appuyés, là. Mais, au Québec, il y a une certaine différence par rapport à ce qu'on a parlé tout à l'heure; la coercition au niveau des AMP, des PREM fait en sorte que les nouveaux médecins de famille ne s'installent pas souvent en cabinet privé, contrairement au reste du Canada. Donc, le déficit est probablement plus grand. C'est pour ça...

M. Charbonneau: On est plus proche de 1 million que de 500 000.

M. Lessard (Bernard): Je pense qu'on est plus proche de 1 million que 500 000.

Mme Léger (Francine): Les gens travaillent moins d'heures aussi, hein?

M. Charbonneau: Oui, je comprends, mais ça veut dire qu'il faut être conscient, là, c'est-à-dire que, quand on... Tu sais, quand on veut s'attaquer à un problème, si on fait une lecture irréaliste ou erronée d'une situation, bien on n'a pas la même approche en regard de l'intensité qu'on veut mettre pour le solutionner que si on a une lecture plus réaliste. Tu sais, la sonnette d'alarme, j'imagine que... à mon avis... Tu sais, j'ai utilisé le chiffre 500 000 à plusieurs fois en période de questions à l'Assemblée, puis personne de l'autre côté ne m'a dit que ce n'était pas vrai. Autrement dit...

M. Couillard: ...créé le problème, là.

M. Charbonneau: Eh Seigneur! Ça, c'est vraiment de la petite partisanerie, tu sais. Comme si tout avait commencé... était dramatique à l'époque où le Dr Couillard pratiquait à l'Université de Sherbrooke puis à l'hôpital puis que tout à coup, depuis qu'il est là, là, comme ministre, là, c'est extraordinaire. Franchement, là! Non, la réalité, là, c'est que ça ne va pas aussi bien que vous le dites puis que le système n'est pas remis sur les rails. C'est ça, la réalité. Alors, si vous voulez jouer ce jeu-là, là...

M. Couillard: ...

M. Charbonneau: La pénurie, on ne l'a pas créée, tu sais, puis les inscriptions en faculté de médecine, là, ça n'a pas commencé avec vous. Alors, les inscriptions en faculté de médecine ont commencé avant que vous arriviez puis se sont intensifiées.

De toute façon ? je vais continuer avec les gens qui sont ici, devant nous ? on a le problème du manque de médecins puis on a un certain nombre de situations dont vous venez de parler, donc des mécanismes qui obligent ou en fait qui sont des incitatifs.. ou plutôt des désincitatifs à amener des nouveaux médecins. Mais comment se fait-il que malgré tout il y en a qui ont réussi à accepter, comme vous autres par exemple, le défi des GMF? Parce que, là, la question qu'on pourrait se poser légitimement: Est-ce qu'on doit avoir d'autres sortes de mesures coercitives pour faire en sorte que finalement les médecins s'en aillent dans la bonne direction? Parce qu'on nous l'a dit... Puis d'une certaine façon le ministre faisait presque la démonstration de ça tantôt, quand il faisait la comparaison avec la Grande-Bretagne. Moi, ce qu'on m'a dit, c'est que, si on faisait une prise en charge différente, on pourrait réussir, avec le nombre de médecins qu'on a actuellement, de médecins omnipraticiens, à faire en sorte que tous les Québécois aient un médecin de famille. Je ne sais pas si c'est exagéré, mais je suis convaincu par exemple qu'on pourrait faire une prise en charge de plus de personnes. Sur le 1 million, on pourrait probablement réduire ça d'une façon significative. Mais comment on y arrive? Comment ça se fait que, vous autres, vous avez accepté puis qu'il y en a d'autres qui résistent? C'est-u une mentalité, c'est-u une conscience différente?

M. Lessard (Bernard): Bien, je pense qu'il y a plusieurs facteurs. Je pense qu'il y a des facteurs de mentalité ou d'idéologie. Je pense que, nous, au collège, on croit à la prise en charge des patients puis au lien thérapeutique entre un médecin et son patient à long terme. Mais je pense que la coercition, pour répondre à votre question, n'est pas la réponse, je pense qu'il faut passer par la valorisation. C'est vrai pour les médecins de famille, c'est vrai pour les infirmières dans le système de santé, c'est vrai pour les techniciens du système de santé, il faut passer par la valorisation.

Le fait qu'on ait, nous, accepté, par exemple, de faire partie d'un GMF, c'est que ? même si ce n'est pas miraculeux ? c'est une amélioration, une bonification des conditions de travail par l'ajout d'infirmiers, par exemple, ou d'infirmières qui vont nous aider à notre pratique, par le paiement de quelques heures. Ça ne représente même pas la totalité des heures qu'on fait, passées au téléphone à faire de la relance, mais au moins il y a une rémunération qui vient nous aider un petit peu à apaiser... C'est beaucoup ça qui est la difficulté entre travailler dans une clinique sans rendez-vous, où on n'a pas de responsabilité directe avec le patient à long terme, et travailler dans une clinique où, en plus de voir le patient, il faut l'appeler deux ou trois fois alors qu'il est à la maison et que tu n'es pas rémunéré pour ça. C'est là la différence de la prise en charge.

Alors, la valorisation, c'est sûr que malheureusement elle passe en partie par la rémunération. Mais je pense que ce n'est pas l'unique solution au problème, c'est qu'il faut que ça passe par l'organisation qui est supportée. Il faut supporter nos médecins de famille dans une organisation qui va leur permettre de vraiment faire ce qu'ils ont appris de faire, c'est-à-dire donner des soins, faire des diagnostics, faire de la prévention, et non pas seulement faire des actes de secrétariat, de téléphoner pour prendre des rendez-vous pour les patients. Alors, si on valorise cette pratique-là, je pense qu'il y a beaucoup de médecins qui choisissent d'aller en médecine familiale qui vont continuer d'aimer ça. Puis je pense que la réponse, c'est la valorisation et non pas la coercition.

n(17 h 50)n

Mme Léger (Francine): Il y a un des choix de... Par exemple, dans la... La rémunération est beaucoup plus importante que vous pensez. Là, c'est le gros trip de: oui, on va payer pour la prise en charge, mais juste pour la clientèle vulnérable. Dans une journée, là, si on a juste des clientèles vulnérables, là, on va être épuisés, ça ne prendra pas beaucoup de temps, hein? Ça nous fait du bien, un cas plus facile, un enfant, un adulte. Puis vulnérables, il y a certains qui sont acceptés, puis santé mentale, non. Alors, on fait des suivis de dépression, puis ça, c'est très exigeant puis ce n'est même pas reconnu comme une clientèle vulnérable. Alors là, tu te dis: Bien là, ils ne savent pas c'est quoi, notre quotidien. Puis ils nous paient... C'est rendu 9 $ de plus, 7 $, 9 $ par année pour m'occuper de mon patient clientèle vulnérable, puis là ça va payer mon téléphone, puis tout ça. Tu sais, des fois, tu te dis: Bien là, ils se moquent un peu de nous autres, tu sais, 9 $ dans une année pour répondre à quatre, cinq téléphones, tu sais, ça n'a pas de bon sens. Puis, les vulnérables, on ne peut pas juste voir des patients vulnérables. Alors là, il va falloir aussi réaliser qu'on fait de la prévention justement pour ne pas qu'ils s'en viennent clientèle vulnérable. Alors, des petits cas, là, des patients ordinaires en santé, là, bien peut-être qu'il faudrait valoriser ça aussi, parce qu'éventuellement on fait de la job de prévention à ces patients-là aussi, là.

Si vous voulez qu'on alterne de parler de cigarette puis de nutrition, bien il va falloir que ce soit reconnu dans ces patients-là. Si ce n'est pas reconnu, là le médecin va toujours dire: Bien là, franchement, ils ne reconnaissent même pas ça, ils ne valorisent pas ça. Là, ça prend toute une motivation pour... surtout qu'on sait qu'il manque de médecins, là. Donc, le médecin de famille, que ce soit une clientèle vulnérable ou non, il faut reconnaître que la prise en charge, c'est important. Alors, en ce moment, c'est juste clientèle vulnérable, oui, puis, les autres, on les laisse devenir vulnérables puis là on va s'en occuper juste quand ils vont être vulnérables. Oups! Vous avez oublié qu'on fait de la prévention.

Puis ça, ce n'est même pas nommé. Quand on parle de prévention dans les politiques de santé, la prévention, là, on n'est jamais là. Les médecins de famille, on est dans les soins curatifs, la prestation des soins. Puis ce n'est pas vrai, on ne fait pas juste ça, on fait de la prévention, puis, si c'était reconnu, bien peut-être qu'en plus il y aurait un peu de reconnaissance puis on aurait aussi, dans une journée, là, eu l'impression que les autres aussi ont reconnu notre travail. Parce que ça, c'est très important. Puis ce n'est pas juste dans la rémunération, mais on envoie un message quand, dans la rémunération, là... Quand vous vous serez occupés de toute la clientèle vulnérable, après on parlera des autres. Bien oui, là ils vont tomber malades puis là... Alors là, c'est une roue qui tourne, qui n'est pas logique, parce que, là, on les laisse tomber en vulnérabilité, ces patients-là.

M. Charbonneau: C'est là qu'on voit le lien, là, dans les problématiques. Si on veut que les médecins prennent du temps pour faire de la prévention, si on veut que la prise en charge soit correcte, si on veut finalement inciter les gens à faire une pratique médicale de prise en charge adéquate, il faut avoir les moyens de le faire. Puis il faut avoir les moyens de le faire, mais il faut qu'à un moment donné on injecte plus dans le système de santé. Ça ne sert à rien de tenir des discours contradictoires, vous le disiez vous-même tantôt, là, à un moment donné, il faut investir plus. Investir plus, c'est peut-être aussi pour payer plus, mais payer plus pour avoir une qualité de prise en charge différente ou une approche différente. C'est clair que, si on veut que le médecin prenne une demi-heure, trois quarts d'heure avec quelqu'un pour non seulement faire le diagnostic, regarder sa situation de santé puis peut-être le convaincre de changer ses habitudes de vie, ça, c'est moins payant que de rester 10 minutes dans le cabinet, dans une clinique sans rendez-vous.

Mme Léger (Francine): La Santé publique a dû vous parler des pratiques cliniques ? de PCP, là ? préventives, hein? Mais là, c'est ça, ils sont venus nous présenter ça à un congrès, là. Ils veulent qu'on fasse de la prévention: Ça va vous prendre juste cinq minutes, mais on va vous faire des outils pour qu'en cinq minutes, là, ou 10 minutes vous soyez capables de faire de la prévention pour vos patients. Là, j'étais là: Oui, je le sais, j'aime ça, c'est important, ça; mais là vous nous rajoutez encore quelque chose, puis, moi, je ne suis plus capable de voir mes patients aux demi-heures parce que, là, il y a trop de monde, puis on est débordé, puis le téléphone.

On veut en faire, de la prévention. On veut prendre le temps ? parce que le gros reproche: on ne prend plus notre temps ? mais là il faut que le système marche mieux. Puis il y a moyen que ça marche mieux, ça, c'est sûr. Mais, oui, c'est sous-financé, là. Là, on essaie de dire: On va essayer de le prendre dans le privé, alors que dans le fond ça a été coupé il y a 10 ans, beaucoup, beaucoup, beaucoup. Alors, c'est sûr que le fédéral, il va falloir... il faudrait qu'il nous en renvoie, là. C'est le gros dossier, c'est sûr.

M. Charbonneau: Tu sais, à court terme, là, c'est... Là, la question... Puis le ministre l'a dit la semaine passée, sauf qu'à un moment donné il faut le dire pas juste une fois, là, il faut le dire constamment, à chaque fois. Je veux dire, si c'est dans le livre blanc, chaque fois qu'on parle de ça, il faut avoir la volonté politique de dire: Il y a là, je veux dire, à court terme, peut-être, les moyens de faire en sorte qu'on fasse le rattrapage puis qu'on fasse la mise à niveau que tout le monde souhaite depuis très longtemps. On ne peut pas avoir un système qui était financé à 50-50 à une époque, par deux niveaux de gouvernement, dans un pays où il y a deux niveaux de gouvernement, puis tout à coup on a baissé ça à moins de 20 %, on le remonte un peu puis penser qu'il n'y a pas de conséquences à l'acte. Tu sais, c'est comme...

Mme Léger (Francine): Avez-vous pensé à l'effet pervers des cliniques affiliées, qu'est-ce que ça va donner, ça, dans le système actuellement en pénurie?

M. Couillard: Des bonnes affaires.

Mme Léger (Francine): Vous pensez? Vous êtes déjà... De toute façon, on sait que c'est déjà décidé. Mais c'est un peu triste. Pensez, je vous prédis l'effet pervers dans le réseau de la santé, surtout les spécialistes, parce que, nous, on regarde puis on dit: Ah! bien là, ils pensent juste aux chirurgies. Nous, les médecins de famille, on regarde ça, les priorités, puis on dit: Ils pensent juste aux chirurgies, là, puis on est complètement oubliés. Mais l'effet pervers, c'est que là les médecins vont dire: Au lieu que l'argent soit dans le réseau de la santé, là, on donne de l'argent pour aller... ça va être dans les cliniques affiliées, puis tout l'investissement est là. Ce n'est pas très... Ça va être un très mauvais effet pervers. Décourageant.

M. Charbonneau: En tout cas, vous êtes parmi bien des groupes ? qui connaissez le système puis qui vivez dans le système ? qui l'ont étudié ou qui sont dans le quotidien du système qui nous disent: Faites donc attention, là. Finalement, il y a la capacité, dans le public, de faire en sorte qu'on résorbe les problèmes avec les mécanismes publics. Les centres ambulatoires qui n'ont pas fonctionné comme ils auraient dû fonctionner, pour toutes sortes de raisons... Puis chacun peut prendre sa responsabilité dans ça, mais le fait est, c'est qu'il y a... Dans le fond, le choix, c'est: on prend des cliniques affiliées spécialisées à l'extérieur ou on prend des plateaux techniques plus légers puis reliés aux institutions publiques, puis on leur donne le moyen d'opérer puis de fonctionner vraiment, là.

Mme Léger (Francine): Les centres ambulatoires, là, pourquoi ça n'a pas fonctionné: parce que c'est sur le budget général de l'hôpital, alors là, dans les gros hôpitaux, étant donné qu'ils sont en déficit, ils n'ont pas pu fonctionner comme ils auraient pu fonctionner.

M. Charbonneau: Ah! c'est intéressant, ça. C'est la première fois qu'on nous parle de ça.

Mme Léger (Francine): Certainement. Comme, le CHUM, cet été, ferme ses lits puis il dit: Pénurie d'effectifs. C'est vrai, on est en grosse pénurie d'effectifs au CHUM, mais il y a peut-être une autre raison: ça fait l'affaire pour boucler le budget. Les budgets d'hôpitaux maintenant sont prévus pour... ça, c'est sûr, ça va coûter moins cher, c'est les vacances d'été puis les vacances de Noël. Alors ça, le budget, c'est compris là-dedans puis ça fait partie de boucler son budget de couper des lits l'été, mais c'est sûr que, là, tout ce qui paraît, c'est: pénurie d'effectifs. Alors, c'est très complexe, mais en même temps on veut des explications simplistes, puis ce n'est pas si simple que ça. Mais on ne voit pas les bonnes raisons.

M. Charbonneau: Ce matin, on nous a dit... le Groupe de recherche interdisciplinaire de la Faculté de médecine de l'Université de Montréal, les gens sont venus nous dire qu'il y a un problème aussi en regard de la pertinence des soins qui sont commandés ou qui sont prescrits. Et on a plusieurs études qui démontrent que plusieurs types de chirurgies, et je présume que c'est la même chose pour la médecine de famille... Puis vous dites: De toute façon, c'est vous autres qui faites les références, beaucoup d'interventions étaient inutiles et, dans certains cas, nuisibles, ou en tout cas ils n'ont rien réglé, puis, dans certains cas, les gens se sont retrouvés plus mal pris, là, entre autres on parlait des chirurgies de la cataracte, y compris même les chirurgies orthopédiques, et là on nous disait: L'approche devrait être une approche plus multidisciplinaire et de faire en sorte qu'il y a des critères cliniques et que les médecins acceptent que...

Tantôt, le ministre parlait dans le fond qu'en Grande-Bretagne ils ont abdiqué un peu l'autonomie professionnelle. Mais l'autonomie... tu sais, la pratique qui est individuelle plutôt que la pratique... versus la pratique en collégialité. Parce que c'est un art plus qu'une science, alors l'art, peut-être qu'il faut être plusieurs pour essayer de voir justement jusqu'où la pertinence des soins. Parce qu'en bout de piste, là, on est dans un système où c'est le médecin, l'omni ou le spécialiste, qui évalue la pertinence puis qui commande la production par la suite de services, et, s'il se trompe puis s'il commande des soins qui ne sont pas appropriés, on a un gros problème, là.

Mme Léger (Francine): Mais en même temps c'est beaucoup la médecine basée sur les... On est de plus en plus «evidence-based medicine», c'est-à-dire qu'on a besoin de recherche, d'étude pour dire c'est quoi, le meilleur traitement puis les impacts, et tout ça. Alors, c'est sûr que ça bouge beaucoup, puis probablement que ce n'est pas toujours évident, là, mais en général les médecins essaient d'être à jour dans les meilleurs traitements. Mais c'est clair que parfois il y a plusieurs meilleurs traitements possibles, puis ce n'est pas toujours chirurgical. Parce que dans le fond on s'en vient de moins en moins chirurgical. Beaucoup d'argent est mis dans les chirurgies, là, mais de plus en plus les traitements sont médicaux, non chirurgicaux. Alors, c'est quand même tout un défi de rester à jour, là. Mais les médecins, on n'a rien contre qu'il y ait des évaluations, là, des traitements, et tout ça. C'est juste qu'à un moment donné on a besoin d'aide justement des chercheurs, puis souvent c'est encore, là, en silo, là. Les recherches se font puis les soins se font, puis c'est des fois pas toujours égal, mais on n'a rien contre... Puis de changer...

n(18 heures)n

M. Charbonneau: Donc, les médecins seraient... c'est-à-dire que ce que vous dites, c'est que, la profession, les gens seraient plutôt d'accord, d'après, en tout cas, vos collègues, ce que vous connaissez du milieu, de confronter un peu leurs diagnostics avec d'autres points de vue pour être sûrs que finalement, tu sais, les soins qui sont prescrits sont ceux qui devraient être offerts ou dispensés, surtout si c'est des soins dispendieux puis qu'on peut éviter finalement une approche lourde et coûteuse et privilégier des approches moins coûteuses et moins invasives.

M. Lessard (Bernard): Je pense que les médecins sont sensibles aux coûts du système. On le voit très bien avec l'assurance médicaments quels impacts ça peut avoir sur le budget, alors on est sensibles à ça. Et le collège encourage effectivement la recherche des meilleures pratiques possibles pour... Et puis, le travail en interdisciplinarité aussi pour améliorer justement le système puis faire en sorte qu'il soit plus fluide puis que l'expérience soit meilleure pour le patient, on est d'accord avec ça, effectivement.

Mme Léger (Francine): Un exemple simple: les médecins, on donne moins d'antibiotiques qu'avant, là, pour des rhumes et des otites, et tout ça. C'est des changements de pratique qui se sont faits qu'on est d'accord, là. C'est juste que ça prend des recherches pour nous le démontrer. Mais on est d'accord, là.

Le Président (M. Copeman): Malheureusement, c'est tout le temps qui est imparti. Dr Lessard, Dr Dion, Dre Léger, merci pour votre participation à cette commission parlementaire au nom du Collège québécois des médecins de famille.

Et j'ajourne les travaux de la commission sine die.

(Fin de la séance à 18 h 1)


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